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Pages 187 à 196

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Journal de la psychanalyse de l’enfant, Inconscient et cognition, n°1-Volume 3, 2013, PUF.

1 Ce volume, consacré aux relations entre la psychanalyse et les sciences cognitives, expose les recherches et réflexions les plus actuelles pour tenter de clarifier les rapports entre ces deux disciplines qui ont pour objet l’étude du fonctionnement psychique, en particulier chez l’enfant et l’adolescent. L’éditorial revient sur l’évolution, d’une part du savoir psychanalytique, basé sur l’expérience subjective de la rencontre entre l’enfant et l’analyste, et d’autre part du développement des connaissances en matière de cognition fondées sur un souci d’objectivation et de mise en évidence de procédures de traitement de l’information, nous indiquant ainsi les différences majeures liées à leur origine respective. Cela étant posé, tout au long des articles s’esquisse un rapprochement qui tente de rendre compte rigoureusement de l’expérience psychique dans son ensemble, c’est-à-dire en se référant tout autant au monde intérieur vécu qu’au monde extérieur perçu.

2 La réflexion que propose Albert Ciccone en est une bonne illustration puisqu’il insiste, d’un côté sur le besoin de connaître et de comprendre que l’on observe aisément chez les bébés, même les plus jeunes, et de l’autre sur la réponse que le monde extérieur apporte dans l’expérience qu’en fait le bébé. En effet, il nous rappelle que si la connaissance est bien un besoin chez le bébé, susceptible de lui procurer du plaisir au même titre que l’alimentation ou l’attachement affectif, elle est aussi une expérience d’incomplétude qui génère la douleur psychique de la frustration. Il est donc fondamental qu’un lien intersubjectif permette à l’enfant de faire face à ses éprouvés d’impuissance et de dépendance. C’est en s’appuyant sur la capacité de contenance d’un adulte qu’il pourra supporter la tension émotionnelle générée par le processus d’apprentissage. Il importe également que l’enfant se voie proposer une rythmicité des expériences de saisie du monde qui soit garante d’un sentiment de continuité, a?n que puisse émerger sa compréhension et le développement de sa pensée.

3 Trudy Klauber s’intéresse également aux stades développementaux précoces et, après avoir fait un rappel des apports théoriques dans ce domaine de M. Klein, D. Winnicott et W.R. Bion, elle souligne, via l’observation clinique d’un nourrisson, toute l’importance des situations d’apprentissage des premiers mois de la vie, au cours desquels l’enfant élabore les transitions que sont pour lui le sevrage ou l’expérience de la séparation. Autant de dé?s que la mère accompagne en fonction de ses capacités réceptives.

4 Catherine Dupuis-Gauthier nous fait partager quant à elle sa pratique clinique auprès d’enfants souffrant de dysphasie. Souvent considérée comme un trouble instrumental relevant d’une remédiation cognitive et orthophonique, la dysphasie peut également être une indication de psychothérapie, les enfants dysphasiques ayant le plus grand besoin qu’on les aide non seulement à apprendre à parler mais aussi à être en relation avec l’autre et à penser. Après avoir fréquemment observé l’association de ce trouble sévère du langage avec une communication perturbée sur le plan émotionnel, où prédominent des défenses archaïques, Catherine Dupuis-Gauthier nous montre tout l’intérêt du recours au traitement psychanalytique. Elle constate l’ef?cacité de la psychothérapie dans la mesure où les mots, initialement vécus dans le langage dysphasique comme « objets en soi », deviennent petit à petit de véritables outils de signification et de symbolisation pour le jeune patient, le processus psychothérapique soutenant l’intégration du sens des mots à partir d’un partage émotionnel réussi dans le lien transférentiel.

5 Parmi les contributions originales de ce numéro nous retiendrons également l’article de Serge Boismare qui propose avec beaucoup de créativité une remédiation par le mythe ou le conte auprès d’adolescents aux prises avec un échec scolaire massif. Le premier temps de l’intervention de Serge Boismare est d’abord celui du repérage de ce qui est principalement en cause dans cet échec scolaire et qu’il désigne comme un « empêchement de penser ». Celui-ci se caractérise par un fonctionnement intellectuel aménagé autour d’un évitement de la réflexion, en particulier du temps du doute indispensable au travail de la pensée. Dès que ces adolescents font retour à eux-mêmes pour mobiliser leurs capacités réflexives, ils déclenchent des sentiments parasites (peurs infantiles, idées d’auto-dévalorisation et de persécution) qui perturbent leur fonctionnement cognitif et les déstabilisent, réduisant considérablement leurs possibilités d’apprendre et leurs capacités d’échange. A?n de les aider à sortir de leurs stratégies défensives de contournement de l’effort intellectuel, Serge Boismare utilise des récits mythiques ou folkloriques qui s’avèrent très mobilisateurs au ?l du temps et des séances. Son objectif est triple : il s’agit d’abord de procéder à un nourrissage culturel en leur faisant écouter un texte lu, reprenant les grandes questions existentielles de l’histoire de l’humanité, pour « alimenter la machine à penser ». Ensuite les jeunes sont invités à débattre et à parler de cette lecture en argumentant leur propos, pour « faire fonctionner la machine à penser ». Et pour terminer, il leur est demandé d’écrire quelques lignes en reprenant un point de la discussion qui a eu lieu, « pour renforcer la machine à penser ». Bien que ce travail ne puisse totalement infléchir un parcours scolaire chaotique, il permet cependant la « remise en marche des rouages de la pensée » et de réels progrès sur le plan de l’insertion sociale et scolaire de ces adolescents.

6 En?n, nous avons le plaisir de lire dans ce numéro le compte-rendu d’une interview de Brigitte Allain-Dupré, consultée par des membres du comité de rédaction du Journal de la Psychanalyse de l’Enfant, en raison de son intérêt de longue date pour la démarche cognitive. Après une brève présentation de son parcours personnel d’analyste, Brigitte Allain-Dupré est amenée à parler du travail de la pensée de l’analyste tout autant que de celle de l’enfant. Elle mentionne l’importance pour l’analyste de la confrontation avec un abord clinique autre, qu’il soit freudien, kleinien ou lacanien, ainsi que la nécessité d’une ouverture sur la pratique des analystes jungiens d’autres pays, afin que ces échanges façonnent l’identité de l’analyste et sa pensée clinique dans une construction permanente. L’entretien lui permet ensuite de développer, à partir de la question cognitive et du travail de la pensée enfantine, de nombreux aspects de la spécificité des outils de l’approche jungienne ; qu’il s’agisse du projet du Soi chez l’enfant, théorisé en grande partie par Michael Fordham à partir de son expérience des enfants traumatisés pendant la Seconde Guerre Mondiale ; ou bien du creuset alchimique dans lequel opère une commune inconscience au cœur de la relation transférentielle, transformatrice pour le patient aussi bien que pour l’analyste. Ce paradigme peut être rapproché de celui, plus freudien, d’aire d’illusion créée entre patient et analyste, mais aussi entre mère et bébé. Ce dialogue par sa spontanéité, sa simplicité mais aussi sa profondeur, illustre en somme l’idée que dans le travail analytique, par le biais du transfert / contre-transfert, s’installe un système de co-pensée intimement lié au travail de l’inconscient des deux partenaires.

7 Olivier Cametz

Junguiana, Diversidade, falta e excesso, 31/1 et 31/2, 2013.

8 Diversité, manque et excès, tel est le thème des deux numéros annuels de la revue de la Société brésilienne de psychologie analytique (SBPA). Articles très divers par l’ensemble des thèmes abordés, dont voici un bref aperçu, avant de m’arrêter plus particulièrement sur deux d’entre eux.

9 Dans « Excès de vitesse et arrogance : la mortalité des jeunes dans les accidents de la route sous une perspective symbolique », l’auteure pointe le besoin d’ef?cacité à outrance et du tout à jeter comme « symptôme de l’excès de nouveauté ». Dans « Le sens dans l’anorexie mentale », les auteurs la définissent comme une « lutte héroïque en quête de différenciation, mais une lutte à haut risque ». Dans « Abîme narcissique », l’auteur souligne qu’il n’existe pas d’évolution sans « perte de ce qui nous maintenait organisés et stables ». L’article « Internet et le risque de démesure » analyse les modifications des codes de conduite sur internet. Dans « Mélancolie – symptôme contemporain », l’auteure se demande si l’on peut espérer « que la vie ne se résume pas à s’ajuster à un engrenage mortifère ».

10 Une diversité des thèmes, donc, qui se poursuit dans le n° 31/2, avec notamment « Jung, prenant soin du soignant – Récit d’une expérience ». Cristiane S. Costa Curta et Aurea Afonso Caetano rendent compte de l’intervention de la Commission clinique de la SBPA auprès d’un groupe de 15 agents de santé sur une période de 6 mois en 2012. Un travail pilote, sur la base de la psychologie analytique, où des analystes furent confrontées à des professionnels très fragilisés, présentant des taux de morbidité élevée, symptômes de « démesure ».

11 Deux articles ont retenu tout particulièrement mon attention.

12 Il s’agit d’« Œdipe, l’abandon et la paranoïa », où Sylvia Baptista, coordinatrice du groupe de recherche sur la mythologie à la SBPA, invite le lecteur à réfléchir sur l’importance du « filicide », ou meurtre par un père ou une mère de son propre enfant. La tragédie de Sophocle, essentiellement connue comme le drame de celui qui tue son père et épouse sa mère, traite pourtant du filicide avant de s’intéresser au parricide. Aussi, à partir d’Œdipe Roi, l’auteure nous entraîne dans une réflexion soutenue et qui nous tient en haleine, sur le lien entre les abus psychiques de l’enfance, – tels l’abandon et le rejet précoces – et la paranoïa. Œdipe est le rejeté, l’exclu, l’indésirable, l’avorté par excellence. Avant d’être au monde, il porte déjà en lui ces regards et ces dénis, empreintes qui marqueront lourdement son existence. Sylvia Baptista analyse alors comment le vécu d’abandon s’il n’est pas regardé en face, s’il n’est pas affronté, entraîne une réaction à caractère paranoïaque. Question inquiétante que celle-ci, en effet : que fait-on de ce que l’on sait ? Laïos savait que la paternité lui était interdite et qu’a-t-il fait ? Œdipe connaissait l’interdit prononcé par l’oracle et qu’a-t-il fait ? Et tout en poursuivant son propos, l’auteure relance les questions. Pourquoi la mort de Laïos n’a-t-elle pas été clari?ée ? Pourquoi Jocaste ne s’est-elle pas interrogée sur le fait de recevoir comme époux un homme de l’âge de son fils et portant des cicatrices identiques à celles de l’enfant qu’elle a « exposé » ? Pourquoi Œdipe ne s’est-il pas demandé si Jocaste qui avait l’âge d’être sa mère, n’avait pas quelque chose à voir avec la réponse de l’oracle qu’il avait lui-même consulté ? Pourquoi ? Pourquoi ? Tant de questions ouvertes qui renvoient chez Œdipe à penser que l’hybris ou la plus grande démesure résiderait, avant tout, dans l’aveuglement et la surdité. Se percevoir comme quelqu’un d’inadéquat et d’insuf?sant qui ne doit pas poser de questions, ne doit pas exprimer de doutes, ne doit pas, ne doit pas... est un champ fertile pour la paranoïa. C’est bien à une autre image d’Œdipe et à une lecture contrastée du mythe que l’auteure nous convie.

13 Ana Lia B. Aufranc se penche sur « L’Amitié dans un monde interconnecté ». Les relations amicales revêtent, en effet, depuis toujours, une importance considérable pour la santé psychique. Et nous vivons actuellement une époque de transformations considérables. Ainsi, en référence à l’astrologie, nous entrons dans l’ère du Verseau, caractérisée notamment par l’altruisme et l’humanisme. Pourtant, c’est le pro?t matériel qui s’impose. Nous ne sommes plus des individus mais des consommateurs. Nous sommes à l’ère de « l’obsolescence programmée (...) où nous jetons vite des choses parfaitement utiles que nous remplaçons par d’autres jugées plus avancées ». L’auteure cite d’ailleurs des chiffres astronomiques, tels cette « île de plastique » dans la mer, entre la Californie et Hawaï, composée de près de 5 millions de tonnes de déchets ! Puis, en s’appuyant sur des études scienti?ques récentes et des chiffres tout aussi effarants, elle se penche longuement sur la « pandémie de l’obésité et ses troubles associés : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires », dus notamment à la consommation d’aliments « hyperindustrialisés ». Ce « rêve de consommation », ayant pour corollaire un « vide existentiel », est mis en lien avec le taux de suicide, qui a augmenté de 50 % au cours des 50 dernières années. Cette réalité est en concordance avec le modèle ou « paradigme matérialiste » dans lequel nous vivons. Et là, nous reconnaissons bien l’auteure et ce qu’elle cherche à mettre en évidence depuis des années au travers de ses différents écrits, parus notamment dans plusieurs numéros de Junguiana. Elle rappelle que « les paradigmes sont comme des verres optiques à travers lesquels nous voyons le monde, mais que nous ne pouvons les confondre avec la réalité ». Elle souligne que les modèles les plus ?ables sont remis en question par la physique quantique. La psychologie analytique, qui s’est développée de manière concomitante avec la physique quantique, « inaugure une nouvelle approche qui est encore naissante et peu assimilée par la conscience collective ». Et c’est justement autour de cette réflexion que l’auteure articule sa proposition. « La possibilité de nous percevoir simultanément comme des individus à part entière et en même temps comme faisant partie de quelque chose de plus grand, la conscientisation que nous sommes tous interconnectés et que nos actions se répercutent sur le tout, provoque un changement considérable dans notre façon d’être au monde. » Alors si elle revient sur les risques et les méfaits du web, elle souligne également à quel point la diffusion de l’information en temps réel – la révolution en Tunisie, la marche de protestation en Egypte, diverses actions d’information et de solidarité au Brésil, via internet –, ouvre la possibilité d’une « nouvelle forme d’articulation sociale, non hiérarchique », au-delà des représentations politiques, telles que nous les connaissons, allant jusqu’à « réinventer la démocratie ». Au cœur de la mondialisation actuelle, nous pouvons certes rester dans la masse des consommateurs manipulés et acheminer inexorablement les générations futures vers une vie invivable sur la planète. Ou alors, nous pouvons dès à présent, et pour la première fois, « dans cette interconnexion, réinventer les relations d’amitié ». La bonne volonté, le soutien, l’entraide, ne sont plus con?nés à un petit groupe d’amis mais susceptibles d’être vécus au sein de mouvements collectifs créatifs, de coopération et de considération pour et avec l’autre et avec un ensemble d’interlocuteurs plus vaste. La décision nous appartient.

14 Catherine de Lorgeril

Recherches germaniques, Carl Gustav Jung (1875-1961). Pour une réévaluation de l’œuvre, Textes réunis par Christine Maillard et Véronique Liard. Actes du colloque de la MISHA et du CNRS, Université de Strasbourg, Hors série N° 9, 2014.

15 Les sept articles en langue française (quatre autres sont en langue allemande) explorent des champs inhabituels et passionnants dans des champs que nous, cliniciens n’avons pas l’habitude d’explorer : l’histoire, le champ social, la philosophie, les neurosciences...

16 Ils sont réunis en trois grandes parties : « Les contextes intellectuels et culturels », « Les années du Livre rouge et leurs enjeux », « Les notions jungiennes et perspectives contemporaines ».

17 Christian Gaillard revisite le débat et la rupture entre Freud et Jung pour ouvrir les problématiques actuelles : pensées imageantes / représentations topiques ; approche émergentiste / problématique du refoulement ; processus de création artistique / psychobiographie. Il met en lumière « la révolution » opérée par Jung dans la conception et la pratique de la psychanalyse qui touche son objet même, qui n’est pas l’inconscient, mais le rapport à l’inconscient : la façon dont on lui fait face, ce qu’on en fait (l’attention au « présent » par exemple dans le cabinet de l’analyste). L’approche jungienne (« émergentiste » plus que téléologique) consiste à rendre conscientes les images derrière les émotions pour aller vers la construction d’un sujet, d’une éthique, d’une responsabilité qui demande à être assumée. L’héritage chrétien et l’attention particulière que Jung porte aux transformations du travail de symbolisation, amène l’auteur à poser la question des voies de développement de la psychologie analytique dans des pays procédant d’une autre histoire que la nôtre. Et à inviter à un dialogue fécond avec les différentes formes de psychanalyses. Dialogue procédant d’une déconstruction préalable puis d’une clarification des divergences pour une réévaluation de notre connaissance de l’histoire et un renouvellement de l’élan et de la force première et de ses formes d’expression.

18 Romano Madera explore la question de la philosophie dans l’œuvre de Jung. Au croisement de l’œuvre de Jung et de Pierre Hadot, il explore les confins des domaines psychothérapeutiques et philosophiques et nous invite à penser notre condition de « médecin philosophe »... à condition, écrit-il, « de penser la philosophie comme mode de vie, dans l’acception de la philosophie antique, c’est-à-dire comme recherche d’individuation, ouverture vers les autres et le monde, quête de vérité et d’authenticité et non comme discours théorique ». Partant de l’analyse jungienne du « besoin de sens » comme facteur thérapeutique et constatant la fragilité « du sens » dans notre société – qui entraîne au plan individuel des malaises symptomatiques diagnostiqués en catégories psychopathologiques –, l’auteur nous invite à un changement radical : pour nombre de patients, la recherche de sens invite à « vivre philosophiquement », c’est-à-dire à « rechercher le sens qui respecte les instances de la personnalité dans leur ensemble et leur rend justice ». La pensée de Jung rejoint en cela la philosophie antique telle que Pierre Hadot la dé?nit : « [...] les recherches philosophiques antiques sont très souvent des exercices spirituels que l’auteur pratique lui-même et fait pratiquer à son lecteur. Elles sont destinées à former les âmes. Elles ont une valeur psychagogique. »

19 Françoise Bonardel propose une lecture jungienne du malaise dans la culture. Elle rappelle combien les névroses sont liées aux problèmes de l’époque et comment Jung mise sur « la formation » permettant à chaque être humain de s’individuer. Explorant les relations de massi?cation des phénomènes et les phénomènes de compensation qu’elles engendrent, elle s’inquiète d’une menace totalitaire « mutante » et notamment du fanatisme religieux qu’elle oppose évidemment à « l’expérience religieuse » dont Jung écrivait qu’elle était : « le seul antidote ef?cace à la massi?cation ». Elle s’interroge sur la culpabilité collective, le rôle de la culture, les liens entre l’unus mundus jungien et la globalisation programmée...

20 Luigi Zoja explore l’actualité de l’individuation dans la bipolarité voie individuelle/voie collective. À travers notamment la question de l’introversion, de son évolution sociale et de son traitement dans la société (de valeur affirmée, elle devient implicitement pathologique). « Comment empêcher », se demande-t-il, que « ces ermites modernes » qui portent aujourd’hui la critique sociale ne retournent contre eux la violence qu’ils ressentent ?

21 Christine Maillard étudie les thématiques communes qui traversent les œuvres d’Herbert Silberer et de C.G. Jung dans la genèse et les enjeux d’une théorie de l’alchimie, notamment la dimension prospective du symbole.

22 Paul Bishop questionne (en allemand) l’expérience esthétique et se demande dans quelle mesure on peut envisager le Livre Rouge comme une « cathédrale pour les lieux silencieux de l’esprit ».

23 Stéphane Gumpper s’interroge sur les « schizes » qui jalonnent la vie de Jung : dédoublement de la conscience des médiums, schizophrénie, typologie introverti / extraverti.

24 Véronique Liard replace les images du Livre Rouge, dans le contexte du discours sur l’art de l’époque.

25 Christian Roesler analyse (en allemand) le développement historique et les enjeux de la théorie et de la pratique de la notion d’archétype, au regard notamment des neurosciences et des recherches sur la génétique.

26 Vincent Prouvé met en lumière l’actualité des concepts jungiens et leur réactualisation par des auteurs contemporains, notamment la dialectique et la dynamique des rapports du Moi et de l’Inconscient, pour trouver les conditions de la métamorphose à l’aide du support de l’imagination active. Il nous rappelle que l’inconscient en tant que chaos est porteur de devenir, source de renouvellement. Il étudie le transfert, en lien avec les apports de la neurobiologie, avec son rôle de contenant et de mise en sens, ainsi qu’avec les travaux du prix Nobel de chimie Ilya Prigogine. Il nous invite à penser positivement l’écart et la marge et à vivre plus symboliquement, à chercher un sens dans ce chaos.

27 Giovanni Sorge interroge (en allemand) la notion psychodynamique de la « personnalité Mana ».

28 En?n, Gerhard Schmitt (en allemand) compare les termes essentiels et les structures de pensées de Heidegger et de Jung.

29 Sophie Braun

RFP – Revue Française de Psychanalyse, Le Paternel, décembre 2013 – Tome LXXVII – 5 – Spécial Congrès, puf, Paris. p. 1279-1748.

30 Les travaux du 73eCongrès des psychanalystes de langue française constituent le substrat de ce numéro de la RFP, qui se présente comme troisième volet d’un triptyque. En 2011 le congrès avait pour thème « Le Maternel », en 2012 « Oedipe », le thème de 2013 s’imposant d’évidence, dans l’approche freudienne de la psychanalyse, au centre duquel on trouve la notion de triangulation. J’ai été frappée, à la lecture des textes composant ce numéro qui vient enrichir l’édi?ce métapsychologique, par l’effort soutenu de précision conceptuelle, de discrimination ?ne des notions, alors qu’en tant que psychanalyste jungienne je suis habituée aux contours flous et à l’équivocité de la langue, dont Jung revendiquait la nécessité quand il s’agit de parler de l’inconscient.

31 Les notions de père et de paternel sont ici interrogées sous des angles aussi variés que l’approche freudienne contemporaine offre de le faire. Parmi les nombreuses contributions, j’ai été particulièrement intéressée par la manière dont la question du paternel et du père, en tant que posée au croisement de la phylogenèse et de la psychogenèse, est abordée par certains auteurs.

32 Le premier à le faire est Christian Delourmel. Son rapport s’intitule « De la fonction du père au principe paternel » et il y propose l’hypothèse d’un « potentiel originaire possédant une qualité de paternel », qui s’exprime dans la fonction paternelle, le premier relevant de la phylogenèse et la seconde de l’ontogenèse. Ces deux dimensions phylogénétique et ontogénétique se situent selon lui dans une relation, que je nommerais paradoxale, faite d’opposition et intrication à la fois. La notion d’émergence, telle que Plotin l’utilisait, caractériserait le mode de passage du principe à la fonction. Il me paraît important de préciser que dans la conception de Ch. Delourmel, « ce serait (ainsi) la rétroactivité des effets de la fonction paternelle se constituant dans la rencontre avec les objets de l’histoire du sujet qui conférerait à ce potentiel paternel, transmis héréditairement, et pour chaque sujet, la qualité d’un principe commandant et commençant la vie psychique ». Que l’auteur évoque les « schèmes organisateurs primordiaux » décrits par André Green, concernant les liens entre les notions de principe paternel d’une part et fantasmes originaires d’autre part, pourrait nous laisser imaginer l’éventualité, à terme, au prix d’un saut épistémologique, d’une convergence avec l’approche jungienne.

33 Des différents textes de discussion suivant les deux rapports – de Ch. Delourmel, puis de François Villa, intitulé « Le père : un héritage archaïque » –, c’est celui d’Augustin Jeanneau « La question du père. Tiercéité, principe et transcendance », qui m’a donné le plus à réfléchir. L’auteur y reprend la notion de principe paternel, qu’il inscrit, de manière nécessaire, dans un paysage qui, de son point de vue, ne peut qu’être extra-psychanalytique, fait de philosophie et de métaphysique, où la notion de transcendance s’invite.

34 Denis Hirsch quant à lui, dans « Le père en psychanalyse : entre ontogenèse et phylogenèse, entre biologie et culture », montre que l’hypothèse d’un principe paternel, défini comme fonction psychique inhibitrice et tiercéisante, héritée phylogénétiquement, permet d’asseoir la légitimité métapsychologique du meurtre du père de la horde primitive, ce parricide s’établissant comme « un fantasme originaire nécessaire à l’avènement de la psyché individuelle et collective, a?n de dépasser ce qui entraverait justement les processus de symbolisation de l’originaire ».

35 Jean-Claude Stoloff rappelle, dans « Le père en psychanalyse : entre “phylogenèse” et ontogenèse », que Freud n’a pas accepté l’hypothèse jungienne de l’inconscient collectif. Il précise aussi que dans l’optique freudienne, la phylogenèse et l’ontogenèse mènent en chaque sujet « leur chemin propre, l’une en racontant l’histoire de l’espèce, l’autre en épousant l’histoire individuelle ». Pour J-C. Stoloff, la distinction entre l’origine et le fondement permettrait d’éclairer la question phylogénétique : l’origine questionne la causalité historique alors que le fondement se relie au « fonds fantasmatique [...] à partir duquel se développe la psyché humaine, au-delà de ses avatars historiques individuels ou collectifs ».

36 De multiples autres contributions sont à découvrir dans cette livraison de la RFP.

37 Marie-Christine Simon

Rivista di psicologia analitica, 88/2013 n° 36 Paure della contemporaneità.

38 La Rivista di Psicologia Analitica nous livre un numéro organisé autour du thème de la peur, rare dans la littérature psychanalytique, qui se redouble quand il s’agit de l’examiner à la lumière de l’ici et maintenant de la contemporanéité.

39 La part belle est faite à deux auteurs français, l’anthropologue Marc Augé et l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, mais aussi à des auteurs italiens qu’on ne croise pas souvent dans le registre psychanalytique : la poétesse Chandra Livia Candiani, les criminologues Adolfo Ceretti et Roberto Cornelli, Yasuo Kobayashi, une arménienne auteur de livres de cuisine... et d’autres encore. Plus et mieux que des articles académiquement rédigés, le numéro est essentiellement constitué d’interviews et de textes littéraires ou poétiques.

40 La peur est toujours peur de quelque chose, rappelle Barbara Massimilia dans l’éditorial : l’écart entre peur et angoisse va animer les nombreux débats et les riches amplifications de ce numéro. « Comment rendre leur nom aux peurs du monde interne, en essayant de les distinguer les unes des autres et affronter chacune dans sa complexité propre ? Comment réussir à les calmer dans le corps, lieu par excellence de la peur originaire inconsciente ? » interroge-t-elle encore.

41 La poésie est convoquée par Chandra Livia Candiani pour « dire là où on ne peut pas dire, là où c’est prohibé, interdit, illégitime de dire, mais aussi là où la peur, la terreur ne fait pas image, elle est inimaginable... »

42 Nous nous arrêterons d’abord sur l’interview conduite par Alfredo Lombardozzi à propos de l’ouvrage Les nouvelles peurs de l’anthropologue Marc Augé, publié en 2013 chez Payot. Les « Peurs diffuses et partagées » constituent pour Marc Augé le signe distinctif du monde contemporain. La confrontation entre mouvements de globalisation et logiques nationales et ou locales provoque des tensions dont les représentations sont imposées par une culture de la globalisation, au détriment des images enracinées dans un substrat à échelle humaine, souvent familiale. Les possibilités d’interagir sur son destin personnel échappent de plus en plus au sujet. La représentation de la précarité face aux progrès qui se réalisent dans les secteurs technologiques pointus (et pro?tent à une minorité), induit une discontinuité du développement collectif qui provoque la peur de tomber dans le monde des exclus.

43 Le sentiment de dépendance aux événements se développe avec l’uniformisation de l’information : les catastrophes naturelles, le terrorisme, les hyper technologies sont vécues à un niveau de peur équivalent : le lien entre soi et l’autre se défait, les générations ne comprennent plus les écarts qui les séparent... et surtout l’influence de la hiérarchie au travail provoque des sentiments de solitude et d’isolement qui contrastent avec la toute-puissance des systèmes de circulation de l’information. « L’individu est toujours plus seul face à l’écran sur lequel s’af?che le malheur du monde... et le jardin que Voltaire nous invitait à cultiver est désormais planétaire ». La seule utopie réalisable serait, affirme Marc Augé, celle de la connaissance.

44 Alors la psychanalyse est-elle un instrument de compréhension ou bien l’antidote à l’hyper consommation de biens et de temps, de par sa capacité à ouvrir un temps pour penser et reconstruire un terrain où jardiner des objets affectifs ?

45 Si elle se concentre sur le passé comme principe d’explication, elle devrait également dégager une pensée du futur avec les outils de la pensée. Pour Marc Augé, le problème du futur est avant tout lié à la problématique de l’altérité : d’un côté, les ressources médiatiques de la globalisation nous rendent l’altérité de l’autre quasi familière, de l’autre, la violence des rapports entre humains n’a pas diminué avec le temps. Comment ne pas perdre l’universel sans sacri?er la question du sens de la relation, à travers la communication, la langue, pour toujours remettre l’histoire humaine dans le vivant de la vie ?

46 Sans doute l’article de l’ethnopsychiatre Tobie Nathan poursuit-il cette réflexion ouverte par l’anthropologue Marc Augé. À partir du rêve d’une patiente marocaine étudiante en sciences politiques à Paris, commenté dans La nouvelle interprétation des rêves (Odile Jacob, 2011), Tobie Nathan nous fait réfléchir à la question de l’interprétation : comment la perte d’ancrage dans les repères de son histoire provoque chez la patiente des troubles qu’on pourrait dire d’absence à soi, et la peur qui l’accompagne. Ces troubles sont à entendre comme la répétition symbolique de ce que l’auteur considère qu’elle doit activement se réapproprier, et pas seulement comprendre.

47 La patiente souffre de crises d’évanouissements, qui apparaissent à l’improviste et de façon incompréhensible. Rien dans les examens médicaux ne permet de penser à une épilepsie.

48 La recherche approfondie d’images, de souvenirs, ou encore de sensations particulières amène la patiente à décrire simplement deux cercles, quelque chose qui tourne... sans plus de précisions.

49 Cherchant à explorer les relations affectives de sa patiente, le thérapeute est surpris de l’entendre dire qu’elle est « vierge ». Elle ne trouve pas de mari, parce qu’elle n’en cherche pas ! Elle veut mener à bien ses études supérieures... Tobie Nathan pense par devers lui qu’il doit bien y avoir quelqu’un dans le cœur de cette jeune femme... quand elle raconte une bribe de rêve.

50 Un homme l’avait suivie, mais c’était en rêve, elle ne pouvait pas distinguer son visage. Il était très grand, la peau noire et sentait très fort, et avec un peu de gêne, elle raconte que l’homme s’approchait d’elle et la prenait « comme un chien ».

51 Pour Tobie Nathan, cette femme entretenait une relation régulière avec un être de la nuit.

52 Rentrée au pays pour se reposer, elle consulte une guérisseuse Gnawa. Après ses habituelles manipulations magiques, celle-ci demande à la patiente « tu n’as pas rêvé d’un homme ? » La jeune femme lui raconte son rêve de l’homme à la peau noire. La consultation se termine sur l’injonction d’organiser une lila, c’est-à-dire une nuit thérapeutique. Les hommes noirs Gnawa, avec leurs instruments de musique, s’installent dans la cour de la maison de ses parents, ils sacrifient un bouc à la tête noire, et la jeune femme se sent mal au moment où le sacrificateur dépose sur son front une goutte de sang de la bête... La soirée, puis la nuit, les musiciens n’ont de cesse que de jouer leurs rythmes ternaires, interminables, puis la musique des violons, les chants et l’apparition des transes... jusqu’à ce que sur l’air d’un chant parlant d’un homme à la peau noire, la jeune femme tombe à son tour, non pas évanouie, mais en transe, c’est-à-dire tombe dans ce qui avait été prévu, préparé par cette mise en scène au rituel ancestral.

53 Tobie Nathan insiste pour souligner la différence d’approche entre son identité de thérapeute qui interprète et celle de la guérisseuse qui prescrit une action... « comme s’il fallait corriger dans la vie réelle les anomalies dont elle reconnaissait les traces. »

54 Il en conclut l’impossibilité d’interpréter un rêve si on ne connaît pas le contexte culturel du rêveur. Autrement dit, il réaf?rme ce que nous, jungiens, savions déjà, à savoir que l’interprétation, si tant est qu’elle ait lieu, ne peut être que du ressort d’un travail d’élaboration à partir des ampli?cations effectuées par le patient lui-même, soutenu par la collaboration respectueuse de l’analyste. On pourrait souligner ici qu’un tel analyste, à son tour, n’aurait pas peur de l’inconnu de la complexité de la culture de l’autre...

55 Brigitte Allain-Dupré

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