Trop rares sont les films d’Eugène Green, sans doute parce que le temps
de gestation qu’ils impliquent condamne à revenir vers le traumatisme inaltérable créé par la parole. Des personnages, des enfants ou des femmes prennent
forme, que nous voyons sur grand écran. D’où viennent-ils, eux que l’on reconnaît d’emblée à leur façon si singulière de prononcer les mots avec les liaisons
les plus sévères, et filmés de face ? D’un homme, il faut bien le dire. C’est un
homme qui est derrière eux, et qui les pousse dans nos mémoires. Une minute
suffit pour s’en souvenir : notre conscience n’en revient pas en étant tout à fait
elle-même. Il faut voir La Religieuse portugaise (2009) pour s’en convaincre. Ses
films ne coïncident pas avec une époque qui se soucie avant tout de produire et
d’aller à la manière opposée à celle d’Orphée : sans se retourner. Voici pourtant
un homme qui s’arrête : dans l’instant même qu’il prend pour se détourner
du chemin qu’on lui a ordonné, il ne sait pas qu’il perd son bien le plus cher,
l’objet de ses délices, le corps de sa rêverie. Eugène Green est cet homme. En
cherchant à se rapprocher de sa nymphe, ne serait-ce que pour la happer du
regard, le voilà qui la perd à jamais. La lamentation de la belle n’y change rien.
Est-ce le châtiment, cette fois, Dieu tout-puissant ? Curieuse déposition des
signes, cette poétique défaite.
Le réalisateur du Pont des Arts (2004) nous livre dans ce long-métrage l’une
des plus belles scènes de l’histoire du cinéma : à Paris, on assiste à la répétition d’un orchestre de musique baroque, dont le chef est incarné par Denis
Podalydès…
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