Couverture de CJUNG_138

Article de revue

Hommages

Pages 191 à 194

Notes

  • [1]
    « Le corps, expérience du soi », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°80, automne 1994.
  • [2]
    « Il était une fois le soi », Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 76, printemps 1993.
  • [3]
    « Enquête sur les origines », Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 66, 3e trimestre 1990.
  • [4]
    « Points de vue divers sur les origines du complexe-mère », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°60, 1er trimestre 1989.
  • [5]
    « Créativité et destruction », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°98, été 2000.
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Geneviève Guy-Gillet (1919-2013)

1 Dans le « Parcours de Geneviève Guy-Gillet » que m’a très aimablement fait parvenir Claude Boisserie-Lacroix, sa jeune sœur, je relève ces quelques faits qui ont pu participer à la formation du « mythe personnel » de Geneviève, tel qu’on peut le découvrir dans ses nombreux articles publiés dans les Cahiers jungiens de psychanalyse, et dans son livre La Blessure de Narcisse ou les enjeux du soi, publié en 1994 chez Albin Michel. Les thèmes que l’on retrouve dans ces différents écrits : le jeu des contraires, le sens, le transfert, le narcissisme, le corps, l’enfant... donnent à ce « mythe » sa forme et son rythme singuliers. Ces quelques éléments biographiques ne ressortent pas, pour moi, de la simple causalité, ils m’apparaissent plutôt comme la preuve objective d’une poussée vivante du soi, présente dès l’enfance.

2 Comme son père, Geneviève est douée pour le dessin et la peinture ; elle aime aussi et pratique le sport, les activités physiques. Sa première école utilise les « méthodes actives », dont on peut penser qu’elles lui ont donné le goût d’un enseignement par le jeu, favorisant la créativité. À 18 ans, elle suit une formation pour devenir monitrice d’éducation physique, selon un mode d’apprentissage dit « naturel ». À 22 ans, elle obtient un poste de professeur dans cette spécialité, qu’elle enseigne quelques années à Bordeaux. Les Guides de France la nomment, dans le même temps, Commissaire nationale pour l’Éducation physique et l’expression (chant et danse). Vingt ans plus tard, après avoir été un temps libraire avec son mari, puis décoratrice, elle suivra l’enseignement d’inspiration jungienne de Graf Dürckeim, dans ses ateliers d’expression et de méditation. Elle a entrepris, à la même époque, des études de psychologie et commence une activité de thérapeute, d’abord auprès d’enfants dans une école d’Antony, puis dans le cabinet d’analyste qu’elle ouvre à Paris, rue de Rennes.

3 À relire les écrits de Geneviève Guy-Gillet, on ne peut qu’être frappé par la place importante tenue par le corps, qui est essentiellement pour elle, à travers les perceptions et sensations agréables et désagréables qui l’informent et l’animent, « ce par quoi nous nous sentons vivants ». Le corps est donc en relation étroite avec la question du sens, dont elle retient qu’il est, pour Jung, « ce qui fait de la vie pour nous ». L’archétype lui-même est compris dans son inscription dans le corps. Il est, dit-elle, « ce qui organise le destin psychique de nos instincts ». Il existe donc, dans la mesure où l’on peut rester proche de cette source instinctuelle, une sagesse du corps, bien qu’il faille admettre que « nous sommes la plupart du temps plus fous que sages ». Le corps, conclut-elle, est « une expérience du soi [1] ». Aussi est-ce dans et par le corps que s’apprécient les changements qui ont lieu dans le transfert : « quelque chose entre en alerte à l’intérieur de moi et me fait regrouper mes énergies. Je sens aussi qu’il me faut lâcher prise et diriger mon écoute autrement [2]. »

4 On touche ici, avec cette autre écoute, à ce qui, peut-être, caractérise le mieux la pensée dialectique, sans cesse en mouvement, de Geneviève Guy-Gillet. Chaque point de vue est mis à l’épreuve de son contraire, ce qui transforme l’unilatéralité, où se complait si souvent le moi, en un champ plus large et paradoxal, – celui du soi, justement – où les opposés sont mis en tension, voire en conjonction. Écouter autrement, c’est, par exemple, comprendre l’enfant divin des mythologies « comme l’autre face de celui qui figure en tiers exclu dans le scénario de la scène primitive [3] ». C’est confronter la théorie jungienne (comme ici à celle de Freud) à celles de Ferenczi, Winnicott, Balint, Kohut, Meltzer, Tustin, Laplanche, Green, Grunberger, Lacan [4]... tout en se référant à la pensée des historiens et des scientifiques (Detienne, Vernant, Eliade, Lévi-Srauss, Reeves) et à la vision des poètes : en particulier, Rilke et Char... Le jeu de réponses que relève Geneviève Guy-Gillet entre une pensée limitée par une typologie, inscrite dans une culture, et une autre, étrangère, qui part d’un autre lieu, est toujours fécond. Le moi y découvre les ombres qu’il cherchait à éviter. Par ce métissage, il se rapproche de l’entièreté du soi, mais c’est au prix d’un sacrifice. Le processus d’individuation, conclut Geneviève Guy-Gillet, a besoin « pour se construire, de détruire les premières formes que nous avons eu bien du mal à édifier [5] ».

5 Peut-être est-ce cette conscience aiguë du jeu créatif des contraires et cette place essentielle faite à l’ombre qui donnent aux écrits de Geneviève Guy-Gillet leur forme si particulière. Sa pensée, en effet, ne se déroule pas d’une façon linéaire, comme l’école nous a appris à le faire ; elle se développe peu à peu, par retours successifs, en décrivant une spirale. L’idée première se charge progressivement d’éléments complémentaires ou contradictoires jusqu’à atteindre le juste degré de complexité recherché. Tout part d’un centre et y revient, tout tourne autour d’un point d’équilibre où se conjoignent, en une forte et paradoxale unité, le moi et son ombre, le corps et le soi. La qualité singulière de cette écriture, la synthèse à laquelle elle parvient entre nature et culture, se retrouvait dans sa vie même, dont elle aurait pu dire, après Jung, qu’elle a été « l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa propre réalisation ».

6 Aimé Agnel

Hélène Wiart-Teboul (1928-2013)

7 Hélène Wiart-Teboul a été, pour ceux d’entre nous qui l’ont rencontrée, une femme hors du commun.

8 Le temps passé auprès d’elle a été formateur puisqu’elle savait ouvrir nos esprits et nous soutenir dans une transformation personnelle afin que nous puissions aller au-delà de notre « actuel ».

9 Après avoir été l’une des deux seules femmes fondatrices de la Société Française de Psychologie Analytique et, à dire vrai, la cheville ouvrière du groupe d’analystes français membres de l’Association Internationale de Psychologie Analytique, elle avait en effet su aplanir les différends entre les autres membres fondateurs, établir le lien entre eux et les convaincre de la nécessité de se rassembler pour mettre sur pied une association qui permettrait une transmission de la psychologie analytique, c’est-à-dire de la pensée de Carl Gustav Jung.

10 Son engagement a permis la création de la SFPA, en 1969. Elle était la dernière représentante du groupe des fondateurs.

11 Elle avait fondé le GERPA en 1968 – ce groupe d’étude et de recherche – et a donné l’occasion à un grand nombre d’entre nous de prendre connaissance des concepts jungiens et plus tard, d’entrer en formation à la SFPA.

12 Hélène Wiart-Teboul était une grande travailleuse. Elle a animé de multiples conférences, en particulier au groupe Jung ; elle était aussi membre fondatrice des Cahiers jungiens de psychanalyse. Son engagement et son élan stimulant ont largement contribué à la création et à la diffusion de cette revue, dans laquelle sont publiés quelques articles.

13 Enfin, elle a écrit plusieurs ouvrages comme La Mère abusive et Mon âne, as-tu mal à la tête ? Comme l’indique ce dernier titre, l’humour était une de ses grandes qualités.

14 Elle était médecin et, par la suite, avait choisi de se spécialiser en psychiatrie, ce qui témoigne de son esprit de recherche toujours à l’œuvre.

15 Ceux qui ont été en analyse ou en supervision avec elle en conservent des souvenirs très forts.

16 Elle savait sortir du cadre quand cela s’imposait mais sans jamais le perdre de vue.

17 Elle avait une intuition fulgurante et savait être à l’écoute des patients, psyché et corps. Elle percevait certains détails inconscients qu’elle exprimait très spontanément, qui faisaient mouche, parfois de façon très vigoureuse et incompréhensible sur le moment.

18 Elle faisait preuve d’une immense générosité quand le besoin authentique s’en faisait sentir.

19 Cette générosité la rendait simple avec chacun, elle dispensait sans réserve sa pensée exceptionnelle.

20 Chacun de nous se souvient de certaines de ses phrases percutantes qui jaillissaient comme des éclairs, et nous gardons au cœur et dans nos souvenirs les belles soirées qui avaient lieu chez elle et son mari, Georges Teboul, médecin et psychanalyste, à Montmorency.

21 Après une journée de travail en commun, nous nous retrouvions autour d’un délicieux buffet. Ce temps partagé se terminait en chanson puisque Hélène avait une très belle voix de soprano, qu’elle savait aussi utiliser pour éclater de rire, détendant ainsi l’atmosphère, ou pour demander « de rester au ras des pâquerettes » quand certains partaient dans des théorisations qu’elle jugeait sans intérêt.

22 C’est une joie et un honneur de l’avoir connue.

23 Françoise Caillet


Date de mise en ligne : 12/11/2013.

https://doi.org/10.3917/cjung.138.0191

Notes

  • [1]
    « Le corps, expérience du soi », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°80, automne 1994.
  • [2]
    « Il était une fois le soi », Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 76, printemps 1993.
  • [3]
    « Enquête sur les origines », Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 66, 3e trimestre 1990.
  • [4]
    « Points de vue divers sur les origines du complexe-mère », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°60, 1er trimestre 1989.
  • [5]
    « Créativité et destruction », Cahiers jungiens de psychanalyse, n°98, été 2000.
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