Journal de la psychanalyse de l’enfant, Expressions corporelles et souffrances psychiques, n°1 – Volume 2, 2012, PUF.
1 Ce bel ouvrage offre une palette de regards tout à fait personnels et passionnants sur « la relation entre la souffrance psychique et le dysfonctionnement somatique ».
2 L’éditorial de ce numéro nous rappelle combien le sens vise à articuler la relation psyché-soma dans un « décodage » nécessaire à l’action thérapeutique et s’étaye sur des propositions théoriques diverses, soit biologiques (l’École de New-York ou de Chicago), soit métapsychologiques (principalement l’École psychosomatique de Paris pour la France). Aux côtés de cette approche, je retiendrai particulièrement l’attention de J. McDougall au travail des analystes d’enfants lorsqu’ils lui font comprendre que ses « patients adultes fonctionnaient parfois comme des petits enfants » dépourvus de mots pour exprimer leur pensée et obligés de recourir à une manifestation psychosomatique.
3 En faisant un lien explicite entre expression corporelle, souffrance psychique et niveau archaïque de son origine, J. McDougall soutient ce qui, dans la clinique de l’enfant, vient féconder le travail de l’analyste d’adulte. Car l’enfant, chez l’adulte, surgit aussi par le biais du corps, parfois même jusque chez l’analyste, lorsque la souffrance du patient est projetée sur lui et qu’il en ressent, dans son corps, des désordres qu’il lui faut reconnaître sur le plan transférentiel. Je retiendrai par ailleurs avec le plus vif intérêt l’approche de W. Bion qui, bien qu’il n’ait pas apporté de façon systématisée une théorie de la psychosomatique, se représente la psyché et le soma en capacité de se cliver pour « protéger l’univers psychique d’un bombardement d’élément ? lorsque la fonction pensée, perforée, insuffisante, laisse au corps la charge de retrouver un point d’équilibre ». L’article d’A. Ferro approfondit cette approche dans la perspective du modèle post-bionien. Il distingue les « pathologies d’évacuation » dans lesquelles il inclut les manifestations psychosomatiques et nous dit que le symptôme est « comme un précipité déshydraté d’un rêve qu’il n’a pas été possible de faire ». S’il situe la conversion du côté de la décharge d’éléments ?, la somatisation recourt selon lui à une « évacuation d’éléments ? purs ». La fonction ? fait alors défaut et son remaillage trouve son issue dans la « réciprocité onirique » qui se joue au cœur de la séance d’analyse. J’esquisse là quelques mouvements de son déploiement qui me paraît un point de vue fort intéressant et original et ma compréhension de cette fonction du rêve se déplie à la lecture de J.-C. Guillaume lorsqu’à propos de la douleur du corps, qui peut figer l’activité de l’appareil à penser de l’analyste, l’image, la métaphore, le rêve ou le dessin, apparaissent « comme autant d’étapes entre le corporel et le psychique, aussi bien pour le patient que pour l’analyste » et contribuent à ce que le corps, dans l’analyse, atteigne « le statut d’objet psychique, fruit d’une transformation permise par l’élaboration et la pensée » tel que Bion nous en parle.
4 Sur un versant plus kleinien, L. Magnenat s’intéresse aux « niveaux d’intégration de la position dépressive et au rôle joué par l’objet dans le développement des fonctions symbolisantes du moi » qui, selon lui, polarisent les désordres du corps. Le spectre qui en résulte s’étend du « corporel symbolique – du côté de la conversion hystérique de Freud –, au somatique asymbolique – du côté de la manifestation somatique des névrosés » et il nous l’illustre.
5 Des situations cliniques, sensibles et perspicaces, parcourent ce recueil et éclairent la relation parent-enfant (V. Poulet Young), l’émergence de l’identité (T. Flores), ou nous plongent dans « le présent des odeurs » (A. Nakov) et dans « La relation de vide avec la perte des introjections » (D. Rosenfeld). L’article de M. Fognini « De quelques prisons d’infortune des “corps psychiques” » se décale du terme psychosomatique à son goût usité abusivement pour penser « l’imprimatur du psychique sur le corps et du corps en la psyché de l’enfant et de l’adulte ». F. Joly travaille « Le corps et l’inconscient chez l’enfant » tandis que B. Golse s’intéresse au processus de symbolisation chez le bébé en présence de l’objet et en son absence.
6 Il est alors intéressant de revisiter le dossier de D. Houzel « Le corps et l’esprit : quelles relations ? » , qui ouvre ce numéro et dans lequel il nous présente le léger vacillement de Descartes en réponse à la Princesse palatine Élisabeth au sujet de la dualité ontologique de l’âme et du corps qu’il postule. D. Houzel, au travers de l’histoire des découvertes de la biologie, du développement de la physique et des sciences humaines, met finement en évidence le dualisme épistémique de l’âme et du corps qui supplante l’approche cartésienne. « Il ne s’agit plus de considérer que l’âme et le corps sont deux substances totalement hétérogènes l’une à l’autre, mais d’admettre que si nous avons affaire à une seule et même substance, une psyché-soma, le point de vue d’où nous l’explorons en change la nature. »
7 Christine Dallot
Junguiana, Diversidade, 30/1, 2012.
8 Diversité, tel est le thème central de la revue brésilienne Junguiana n° 30. Comme il s’agit d’un concept très vaste, ce premier volume commence par en présenter plusieurs formes d’élaboration.
9 Dans le premier article « L’autre dans la diversité », A. Mendes souligne que « l’image de la diversité surgit comme une possibilité de sauvegarder la pluralité et les différences dans un contexte de coexistence collective ». Sous le titre « Ex-mère, ex-père », ex-fils, S. Mello S. Baptista analyse combien parfois ces rôles de mère, père, fils peuvent s’éterniser et emprisonner l’individu dans des relations qui devraient mourir ou se transformer. Dans « Cuisiner avec l’inconscient », M. Hassano partage son expérience d’ateliers de cuisine avec des patients psychotiques et ce que ceux-ci lui ont appris. C.A. Byington, dans un long article autour du thème mythologique grec du « Vote de Minerve », s’efforce de démontrer que l’on peut parvenir à un consensus dans la mesure où l’on accepte la diversité. Dans « Anticorps psychiques – diversité et individuation », M. Zelia de Alvarenga affirme notamment que « s’individuer, c’est gérer la plus importante de toutes les diversités connues ».
10 On peut s’arrêter un moment sur « Schopenhauer et la passion ». Il s’agit, en effet, d’une brillante approche proposée par R. Rosas Fernandes de ce philosophe qui eut une certaine influence sur Jung. « La grande trouvaille de mes investigations, écrit en effet Jung dans Ma vie (p. 90), fut Schopenhauer. Il était le premier à parler de la souffrance du monde […] ; à parler du désordre, des passions, du mal, que tous les autres semblaient à peine prendre en considération. […] Il disait clairement que le cours douloureux de l’histoire de l’humanité et la cruauté de la nature reposaient sur une déficience : l’aveuglement de la volonté créatrice du monde ». R. Fernandes se penche sur cette « philosophie qui part de l’irrationnel » avec le concept de « Volonté » qui chez le philosophe n’a rien à voir avec le libre arbitre, mais qui est la puissance « aveugle » de la vie. La passion amoureuse et l’instinct sexuel, pour Schopenhauer, sont fondamentalement une seule et même chose. À l’opposition classique entre l’esprit et le corps, Schopenhauer substitue une opposition entre l’intellect et la volonté. Et il faut reconnaître dans la sexualité, une expression de la primauté du « vouloir-vivre » sur l’intellect. Ainsi, R. Fernandes se penche-il avec le philosophe sur ces passions qui humilient le moi, alors que celui-ci essaie de choisir son destin. Elles se moquent des convictions les plus fortes et des traditions les plus solides. Et l’anxiété que provoque la passion conduit bon nombre de gens à « prendre des anxiolytiques, à se rendre à l’église ou à consulter des voyantes ». Mais « l’aspect symbolique de la passion, souligne l’auteur qui chemine avec le philosophe, ne se révèle à l’individu que quand sa vie se transforme ». C’est en ce sens, dit-il, que « passion et individuation cheminent côte à côte ». Pour autant, si Jung a emprunté l’expression Principium individuationis à Schopenhauer, dès 1916, il l’utilise dans un sens différent du « vouloir vivre » du philosophe. Il va dans le sens de : « la prise de conscience qu’on est distinct et différent des autres, et l’idée qu’on est soi-même une personne entière, indivisible ». Dans les pas de Schopenhauer, R Fernandes poursuit son analyse de la passion, - « la passion est téléologique », « la conscience doit être active face à la volonté aveugle ou à la passion qui rend passif » -, cherchant à rapprocher la réflexion du philosophe de la pratique analytique.
11 Dans la partie consacrée aux recensions, S.M.S. Baptista fait une très bonne critique du livre de M.H.R. Mandacarú, O Livro vermelho – o drama de amor de C. G. Jung (Le Livre Rouge, le drame d’amour de C. G. Jung), paru en 2011. Avec la douceur et la clarté d’une pensée développée tout au long d’années d’enseignement de la psychologie analytique et de pratique clinique, M.H. Mandacarú, apporte une « révélation qui aiguise notre désir d’aller une fois encore à la rencontre de Jung ». La thèse de cet ouvrage est que le Livre Rouge « est le fruit de la relation simultanée de Jung avec Toni Wolff et Emma Jung et des sentiments et émotions qui en découlèrent ». C’est essentiellement la crise morale qu’il vécut alors qui aurait déclenché son processus d’individuation, exprimé d’une manière extraordinaire et passionnée dans les écrits et les dessins du Livre Rouge, source de son œuvre ultérieure. M.H. Mandacarú construit sa pensée en relisant rêves et visions de Jung. Elle propose un regard de femme sur des symboles jusque-là auto-interprétés par Jung, tout en relevant des faits chronologiques et concomitants à l’écriture des Cahiers noirs. Elle nous montre comment l’attribution du rêve où Jung voyait un bain de sang sur l’Europe à une prémonition de la Première Guerre mondiale, peut être perçue comme un moment où Jung se départit de sa persona pour apaiser le tumulte intérieur qu’il vivait alors. Le triangle amoureux qui se forma avec l’entrée de Toni dans sa maison, « solidifia la collision entre l’esprit de son temps versus l’esprit des profondeurs ». Ce livre, insiste S. Baptista devrait être traduit en anglais et en espagnol. Pour l’avoir lu également avec beaucoup d’intérêt dès sa sortie, je me permets d’ajouter qu’il mériterait d’être traduit en français. Son auteure a animé autour de son livre, une des conférences d’ouverture du VIe Congrès Latino-Américain de psychologie analytique, en septembre 2012.
12 Catherine de Lorgeril
Revue Française de Psychanalyse , La réflexivité, juillet 2012.
13 C’est à une réflexion sur les liens entre psychanalyse et réflexivité que nous convie le tome de l’été dernier de la RFP. Divers auteurs étudient ce thème sous ses multiples aspects, plus particulièrement historiques et cliniques. Deux articles hors thème s’ajoutent à cette recherche qui m’apparait, comme souvent à la lecture de cette revue, particulièrement fouillée, plus orientée vers la précision dans la description de ce qui se repère à l’œuvre dans le travail analytique de la cure classique que vers de nouveaux angles de vues, des approches à explorer.
14 Partant d’une réflexion nourrie d’éléments cliniques issus de son travail d’analyste d’enfants, M. Ody donne à l’insight la qualité d’une forme de la réflexivité. S’interrogeant sur les fondements pulsionnels de cette dernière, il repère dans les écrits freudiens de 1915 le concept de double retournement : celui dans le contraire et celui sur la personne propre. Du côté du moi, c’est la notion extra-analytique de la réflexivité qu’il pointe comme venant nous solliciter concernant l’ensemble de la métapsychologie.
15 É. Birot, quant à elle, nous interpelle sur les liens existant entre les différentes activités réflexives du point de vue de la perception : s’entendre, se regarder, se toucher, ressentir ses propres affects et la notion de pare-excitation. À travers des vignettes cliniques, elle illustre l’importance de la parole de séance comme vecteur essentiel de la réflexivité dans le travail analytique du côté du patient, privé par le divan de la fonction spéculaire de l’objet, quand c’est « le travail de contre-transfert de l’analyste, dans son rapport au surmoi et à l’idéal analytique, (qui) s’instaure alors en butée réflexive (J.-L. Baldacci, 2009) ».
16 À sa suite, J.-C. Rolland explore le travail de la cure aux renoncements des attachements œdipiens à travers la figuration de leurs objets intériorisés. La parole, via l’interprétation, permet la transformation de ces derniers par une réactivation des processus primaires porteurs de créativité.
17 J.-L. Donnet tente de dégager les enjeux psychanalytiques de la méthode associative en différenciant tout d’abord association libre et associativité. Puis, il s’intéresse, s’appuyant sur les études sur l’hystérie de Freud, d’une part aux effets qu’opère l’introduction de la règle fondamentale dans cette méthode, effet de rupture selon lui, et, d’autre part, aux « risques que représente pour elle l’aventure du transfert. » Il en déduit une « assise méthodologique » sous la forme d’un « couple association libre/attention en égal suspens ». « Les contradictions des prescriptions de la règle (se révélant) accordées aux conflits métapsychologiques les plus fondamentaux, qu’elles révèlent et font travailler. »
18 M. Perron-Borelli questionne la place de la réflexivité dans le statut théorique des souvenirs-écrans, pour leur attribuer des conséquences quant à la fonction identitaire. Ceci, au travers de la valeur élaborative qu’ils ont pu avoir dans l’organisation et la subjectivation de l’histoire personnelle du sujet et en fonction de sa structuration psychique en particulier sur le versant narcissique.
19 Revenant sur l’auto-analyse de Freud comme modèle de réflexivité et la plaçant en perspective avec celle de Ferenczi, G. Pragier s’interroge sur la manière dont l’auto-analyse procède à la transformation de soi par la présence, bien que différente dans l’analyse, d’un autre. Il étudie en parallèle l’intérêt davantage porté actuellement à l’analyse du contre-transfert pour en dégager l’importance, portée par le cadre analytique, d’un système capable d’auto-organisation.
20 B. Chervet nous rappelle, pour sa part, que la réflexivité en tant que question phénoménologique dans la théorie psychanalytique fut introduite par Silberer (1909) sous le terme de « phénomène fonctionnel ». Il nous parle d’une « réflexivité anti-traumatique » qui serait fondée sur des opérations de déflection et de réflexion et dont dépendrait la progrédience des formations psychiques régressives.
21 Partant de la notion de contenance selon Bion, c’est-à-dire de la capacité maternelle à transformer les identifications projectives de son enfant pour les lui renvoyer sous une forme constructive et positive, C. Bronstein nous remet en mémoire en quoi cela fonde les prémisses de la capacité de penser de l’enfant. À travers le cas clinique d’une problématique psychosomatique et l’analyse de son contre-transfert, elle repère les effets négatifs sur le développement nécessaire d’une barrière de contact entre conscient et inconscient, lorsque cette fonction de contenance est défaillante. La capacité réflexive est alors remplacée par des attaques contre l’activité même de penser.
22 Coéditrice de la correspondance de Freud, I. Gubrich-Simitis se penche dans son article sur les lettres qu’il échange avec sa future femme entre 1882 et 1886, pour y découvrir la présence en germes de quelques concepts psychanalytiques fondamentaux y compris méthodologiques.
23 S’ensuit un article de 1938, écrit de la main de M. Schmideberg, fille de M. Klein, intitulé « après l’analyse… » qui traite essentiellement du fantasme de « l’individu complètement analysé ». Y voyant un parallèle avec l’image parfaite que selon elle l’enfant se fait de l’adulte, elle examine les particularités narcissiques de ce type de patients dont la défense principale s’avère être le déni par exagération. L’analyse est alors considérée comme une expiation purificatrice, « un exercice religieux », alimenté par des fantasmes de grandeur masochiste ou de perfection. Elle dénonce la responsabilité de certains analystes dans le maintien éventuel de ces fantasmes car ils viennent les flatter ou conforter leur propre image idéalisée de l’analyse. Elle considère, non sans humour, pour conclure son propos, qu’une analyse réussie est celle où un patient devient « quelqu’un comme tout le monde. »
24 É. Spillius voit dans l’article précédent « une critique intéressante de patients assez naïfs et d’analystes potentiellement manipulateurs » et non une attaque considérée comme brutale d’une fille contre sa mère au sein de la société britannique de psychanalyse de l’époque. Elle répond ainsi à la polémique que la parution de cet article avait provoquée dans une lecture orientée vers les divergences relationnelles entre M. Klein et sa fille. S’ensuit un historique commenté des faits de l’époque et leurs répercussions dans le microcosme d’analystes divisés entre les branches viennoise et anglaise.
25 R.H. Balsam, dans un commentaire sur l’article de M. Schmideberg, loue les qualités humaines et visionnaires de cette dernière et apporte ses remarques tant sur les idées exprimées que sur leurs liens avec la situation familiale et relationnelle des deux femmes, ceci en référence avec des sources historiques diverses. Ce rappel documenté et son analyse actuelle tout en finesse, des dissensions ayant cours à l’époque dans cette société d’analystes encore plongée dans le chaudron des pionniers, se lisent comme un intermède vivant, voire rafraichissant, au milieu de propos où la pensée, bien que brillante, aurait mérité un peu plus de chair pour être plus digeste à mes yeux.
26 M. Widmer-Perrenoud étudie par la suite une forme spécifique de trouble narcissique sous ses aspects cliniques : l’effacement de soi, qu’elle rapporte pour certains cas à des traumatismes précoces. Analysant la dynamique à l’œuvre dans différentes formes cliniques d’effacement de soi comme étant d’ordre défensif, elle repère l’importance d’une répression des affects ou d’éléments dépressifs chez l’objet maternel internalisé. Ce travail analytique se centre sur les désirs pulsionnels des patients en vue de leur réappropriation subjective.
27 Enfin, B. Lamblin analyse l’autoportrait de 1500 de Dürer comme une œuvre signant la naissance du sujet en tant que désirant, porteur du « je », et cheminant ainsi, du narcissisme premier à l’idéal du moi, en passant par l’acceptation de la castration, vers le symbolique.
28 Ève Pilyser
International Journal of Jungian Studies , Vol. 3, n° 2, sept. 2011.
29 Cette revue bisannuelle de grande qualité est publiée par « l’International Association for Jungian Studies », association pluridisciplinaire qui se consacre aux échanges de points de vue sur tous les aspects du legs culturel de l’œuvre de Jung et de l’histoire de la psychologie analytique.
30 Ce numéro est articulé autour du cinquantenaire de la mort de Jung.
31 T.B. Kirsch, psychiatre à Palo Alto, et ancien président de l’AIPA (Association Internationale de Psychologie Analytique), dans un article très vivant, témoigne de son aventure personnelle avec la psychologie analytique, depuis sa rencontre avec Jung peu avant sa mort jusqu’à aujourd’hui. Il fait un état des lieux de la psychologie analytique aux États-Unis, à l’époque de la mort de Jung, c’est-à-dire quand lui-même est devenu analyste jungien, et ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Il brosse une histoire de la psychologie analytique ces 50 dernières années, des conflits entre les différents mouvements jungiens, de la création de l’AIPA et de la naissance des différentes sociétés à travers le monde, ainsi que de l’impact étonnant de la publication du Livre Rouge. Si pour Kirsch, être jungien dans les années 60 était synonyme de marginalité, il estime qu’aujourd’hui les idées de Jung répondent de façon adéquate au malaise de la société moderne. J. Cambray, actuel président de l’AIPA, nous parle ensuite de l’engagement précoce et durable de Jung vis-à-vis des sciences. L’auteur met en perspective les deux rêves de Jung à 19 ans, qui détermineront son choix pour la médecine, et celui dit de Liverpool, en 1927, qui marque la charnière du passage à l’alchimie, avec les peintures de radiolaires de l’artiste et biologiste allemand Haeckel. Jung n’a jamais cessé de s’intéresser aux recherches scientifiques, mais surtout pour servir de support à son propre cadre théorique, qui peut être considéré comme celui d’une science visionnaire. Pour Jung, la notion de science incluait une prise en compte des éléments inconscients. C’est cette conjonction entre subjectivité et objectivité qui constitue l’essentiel de l’approche subversive de Jung vis-à-vis des sciences de son époque, et lui a permis de mettre en forme ses idées sur la synchronicité telles qu’elles émergeront après l’écriture du Livre Rouge.
32 M. Stein, président de l’International School of Analytical Psychology à Zürich, dans un très intéressant essai, remarque que, s’il a beaucoup été écrit sur l’influence de la culture juive sur la genèse de la pensée de Freud, il y a eu beaucoup moins de recherches sur l’influence profonde qu’a eue la culture protestante sur l’œuvre de Jung et la psychologie analytique en général. L’auteur relève aussi que le conflit entre Freud et Jung n’était sans doute pas seulement un conflit entre deux personnalités hors du commun, mais aussi un choc entre cultures. La différence de leur relation respective à leurs traditions d’origine a sans doute constitué un des aspects insolubles du conflit. L’influence des théologiens protestants a été déterminante dans la constitution de l’attitude de Jung vis-à-vis des processus inconscients et du processus d’individuation en particulier. Cependant, bien qu’il y ait de nombreux liens entre la pensée et l’attitude de Jung et son héritage protestant, il serait simpliste de ne considérer Jung qu’en tant que protestant.
33 R. Main, directeur du Centre d’Études Psychanalytiques à l’Université d’Essex, écrit ensuite sur le développement de l’un des concepts-clés de Jung, la synchronicité, et met ce concept en lien avec l’idée du désenchantement dû aux transformations qui ont conduit du monde pré-moderne, enchanté, au monde moderne, désenchanté. L’auteur réfléchit aux limites du réenchantement du monde à travers le concept de synchronicité, l’idée de Jung n’étant certes pas de retourner au monde pré-moderne, mais de transformer notre compréhension de la modernité en réactivant et en retrouvant des éléments importants du monde pré-moderne.
34 Puis, C. Hauke, analyste jungien membre de la Society of Analytical Psychology, nous emmène du côté de la question des secrets. Nous savons combien Jung insistait sur l’importance de préserver ses secrets dans le sens du soi et de l’individuation. L’auteur réfléchit aux raisons qui ont conduit Jung à ne pas publier le Livre Rouge, demeuré secret pendant près d’un siècle. Ce délai a sans doute été conditionné par les réactions (en particulier celle de Winnicott) aux révélations sur la vie intérieure secrète de Jung dans Ma vie. L’auteur se centre ensuite sur deux points : d’abord, l’équilibre à trouver entre préserver et/ou révéler un secret de valeur, et l’équilibre à trouver entre les besoins compulsifs d’information du public et les risques d’incompréhension du matériel personnel.
35 Enfin, T. Fischer, l’arrière-petit-fils de Jung, nous parle de la précieuse collection de livres sur l’alchimie, la Kabbale, les Pères de l’Église, etc. rassemblée par Jung au cours des années 30. Cette collection est en cours de numérisation, afin de permettre aux chercheurs jungiens d’y accéder plus facilement.
36 La revue s’achève par quatre courts témoignages personnels de cliniciens jungiens sur leur pratique quotidienne, ainsi que par une recension de livres.
37 Karen Hainsworth
International Journal of Jungian Studies, Vol. 4, n°2, mars 2012.
38 Le sociologue Max Weber écrivait en 1918 : « Le destin de notre époque est caractérisé par la rationalisation et l’intellectualisation, et surtout par “le désenchantement du monde”. C’est sur ce thème que s’est tenue la première conférence régionale de l’International Association of Jungian Studies, à Londres en juillet 2011, dont le titre était « Enchantement et désenchantement : la psyché en transformation ». Cette revue en reprend les principales conférences.
39 W. Giegerich, analyste jungien allemand, a inauguré la conférence avec : « Le complexe du désenchantement chez Jung ». Pour l’auteur, Jung a esquivé le défi que constituait l’image initiatique de ses 11 ans : Dieu déféquant sur la cathédrale de Bâle, qui le précipitait dans l’expérience du désenchantement. Pour l’auteur, ce fantasme était une opportunité pour Jung de sortir d’une enfance « enchantée » pour évoluer vers une maturité psychique totalement désenchantée. L’échec de Jung à aller au bout de cette possibilité a eu pour effet de limiter sa vision du psychisme, et de le faire vivre à cheval entre deux mondes, le monde moderne désenchanté, et le monde enchanté de l’enfance, dans lequel il demeurait profondément « le fils de la mère ». Ce clivage s’est matérialisé par ses deux logis : Küsnacht et Bollingen.
40 M. Saban, analyste jungien anglais, suggère, au contraire, que la position de la psychologie de Jung se situe à la frontière entre enchantement et désenchantement, et permet d’offrir un troisième terme au conflit apparent de ces deux opposés ; de telle sorte que la modernité peut être revisitée comme enchantée « dans son désenchantement-même ». Cette attitude déconstructrice permet de démonter l’aspect rigide et binaire des opposés sur lequel reposait la définition de Max Weber ; cette attitude apparaît à l’auteur comme implicite et très moderne dans la psychologie jungienne. L’article est illustré de nombreux schémas.
41 L’article de M. Whan, analyste jungien américain, est centré sur le lien entre sacré et monde, suggérant que le processus de désenchantement, vu comme une déliaison entre monde et sacré, remonte à la Grèce et à la mort de Pan. Pour l’auteur, le lien entre le sacré et le monde est fondamental dans l’histoire des mythes et des religions. De nos jours, on le retrouve dans les spiritualités New Age, dans les religions contemporaines, et dans certaines idéologies politiques et écologiques. M. Whan soutient néanmoins que le désenchantement, la rupture entre le mythe et le monde, loin d’être une perte d’âme, serait bien davantage le travail de l’âme, son labeur dialectique entre négatif et relation au soi. En clair, un opus contra naturae alchimique, la distillation du logos mercuriel hors de la pierre.
42 T. Dawson, professeur de littérature européenne à Singapour, nous invite à réfléchir sur « Enchantement, possession et surnaturel ». Pour lui, tout enchantement est une forme de possession, tel l’amour ou la foi, qui peuvent donner du sens à la vie, avec le risque de changer totalement la personnalité du sujet. Peu d’écrivains ont aussi bien exploré ces différentes formes d’enchantement que l’écrivain romantique allemand E.T.A. Hoffmann, dont Le Marchand de sable est l’œuvre la plus connue, pour deux raisons : d’une part, elle a inspiré Delibes (Coppélia) et Offenbach (Les Contes d’Hoffmann), et d’autre part parce que Freud l’a critiquée dans son essai sur « Le Surnaturel » (1919). L’auteur propose une interprétation, au-delà de la fiction narrative, qui a à voir avec les dangers de l’enchantement au présent. Il s’étonne que Jung ne se soit pas intéressé à ce texte sur le plan symbolique.
43 P. Bishop est professeur d’allemand à Glasgow et réfléchit sur les formes que prennent enchantement et désenchantement dans les universités en Angleterre, mais aussi dans le monde occidental. Pour l’auteur, l’enchantement consisterait à réussir à transmettre les aspects affectifs et esthétiques de la littérature et de la culture à des étudiants abrutis par les attentes médiocres de la culture populaire contemporaine. L’auteur s’appuie sur la pensée jungienne, ainsi que sur l’école de Francfort, pour essayer de comprendre les dynamiques psychiques en œuvre sur les campus.
44 La revue se termine sur une intéressante recension de livres récemment parus.
45 Karen Hainsworth