Couverture de CJUNG_131

Article de revue

Éditorial

Pages 5 à 6

Notes

  • [1]
    C.G. Jung, « Psychogenèse de la schizophrénie » (1939), Psychogenèse des maladies mentales, Paris, Albin Michel, 2001, p. 299.
  • [2]
    C.G. Jung, Entretiens, Ville d’Avray, La Fontaine de Pierre, 2010, p. 155.
  • [3]
    A. Agnel, La Passion de l’Autre, Paris, Milan, « Les Essentiels », 2004, p. 3.
English version

1 En 1939, Jung écrivait que « le malade mental a toujours joui du privilège d’être celui qui est possédé par des esprits ou persécuté par un démon [1] ». Jouir de ce privilège, la formulation est étonnante… et pourtant, pourrions-nous dire de la même façon que l’on peut jouir du « privilège » d’être possédé ou persécuté par la passion, tant dans nos vies que lorsque nous sommes confrontés à la clinique, alors que nous ne pouvons que sursauter face à ce mot « privilège » accolé aux ravages de la passion ?

2 En effet, cette dernière renvoie à un cortège de douleurs et les mots pour la décrire ne sont jamais trop forts : souffrance, brûlure, écartèlement, conflit, excès, démesure, aveuglement, perte de repères, possession, emprise, et ce jusqu’à une perte d’âme. Le lien au monde extérieur du sujet se distend, voire s’efface, son rapport avec son histoire se perd, tout comme la relation avec ses proches. Toutefois, alors que le « passionné » abandonne ses responsabilités, il déborde d’énergie et est prêt à tout pour atteindre son objectif, son objet.

3 Ainsi, le plus souvent, la passion est associée à ses ravages, que ce soit la possession collective, l’emprise (maternelle ou sous ses différentes formes), la passion amoureuse, la jalousie meurtrière, la volonté de domination, la folie de savoir ; autant de situations où le moi est mis à mal par la charge énergétique impulsée par la passion, situations qui compromettent son intégrité.

4 En même temps, la passion qui a mis le passionné hors de lui, lui fait contacter des énergies profondes, puissantes, qui peuvent lorsqu’il retrouve contact avec la vie lui apporter richesse et créativité. En effet, notre clinique nous montre qu’il n’y a pas de mouvement créateur qui ne s’inscrive dans une dynamique passionnelle. Quoiqu’il en soit, la confrontation n’est jamais sans risque, elle est toujours périlleuse et son issue jamais certaine, y compris dans la relation transférentielle. Avec la passion, on est toujours sur le fil du rasoir et en relation directe avec les forces inconscientes. Comme Jung le dit à maintes reprises, la charge de l’inconscient peut être destructrice comme dans les cas extrêmes de la psychose et de la schizophrénie.

5 Excès de force de l’inconscient ? Faiblesse du moi ? Difficile de trancher. Cependant, lorsque le moi parvient à intégrer les apports véhiculés par la passion, la conscience en est élargie, enrichie. Lorsque le moi n’y parvient pas, le risque encouru est celui de sa destruction.

6 La nature humaine est passionnée, c’est un fait. Pourtant, entre 1955 et 1959, dans des entretiens avec des professeurs et des étudiants de l’Institut C.G. Jung de Zurich, Jung pose la question de l’acceptation de la nature, non seulement animale et primitive, mais aussi passionnée de l’homme. Passions chtoniennes ou spirituelles, faut-il les dénigrer, les transcender, les accepter, entre autres en les incarnant, en prendre conscience et ne plus les projeter ? Sa réponse est catégorique : « Il ne s’agit pas de savoir si cette nature peut être acceptée ou non. Elle ne peut pas être acceptée. C’est justement le problème [2]. »

7 La solution, s’il en existe, ne peut venir que d’un troisième terme, entre répétition et passion, un troisième terme qui permette au sujet de transformer cette énergie, issue du soi, en créativité du moi. Cette créativité particulière étant le fruit, comme le rappelle Aimé Agnel, « de la relation paradoxale entre le moi et le soi – cet “Autre” plus grand que lui qui ne peut s’incarner qu’à travers les limites, la parole et les choix éthiques du moi conscient [3] ».


Date de mise en ligne : 21/07/2012.

https://doi.org/10.3917/cjung.131.0005

Notes

  • [1]
    C.G. Jung, « Psychogenèse de la schizophrénie » (1939), Psychogenèse des maladies mentales, Paris, Albin Michel, 2001, p. 299.
  • [2]
    C.G. Jung, Entretiens, Ville d’Avray, La Fontaine de Pierre, 2010, p. 155.
  • [3]
    A. Agnel, La Passion de l’Autre, Paris, Milan, « Les Essentiels », 2004, p. 3.
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