Monique Salzmann, Pourquoi la mythologie ?, Rennes, Éd. La Part commune, 2006.
1 Oui, pourquoi ? La table des matières va-t-elle nous fournir une réponse fastfood ? Non, elle nous invite à un repas aux mets diversifiés et cependant harmonisés. Monique Salzmann, sur un ton très personnel, nous raconte l’inéluctable de la mythologie. Ceux que cette branche de la connaissance laisserait indifférents ou rebuterait doivent dresser l’oreille et se rassurer : l’auteur nous dit d’entrée de jeu son propre malaise antérieur. Le travail intellectuel et psychique effectué à partir de ce ressenti, dont elle nous livre ici le riche aboutissement, nous rend à notre tour interpellés par la portée – et la source – de ces créations de l’âme humaine et désireux de nous en trouver vivifiés.
2 Une promenade guidée à travers les contes des mythes sibériens Grand Corbeau nous permet, grâce à un décryptage éclairant, de comprendre ce qui se révèle de la psyché et du monde au sein des données souvent extravagantes de certains de ces récits, données qui – ô surprise – nous renvoient aussi bien au dessin animé de Tom et Jerry qu’aux aventures de « Gros dégueulasse » concoctées par Reiser, tout comme au Fripon divin. De même, une brève incursion dans la mythologie grecque permet d’en référer à Winnicott... et de nous amener, par la voie du féminin, à la psychanalyse.
3 Si nous ne le savions pas, nous apprenons que la conviction de Freud était : « La mythologie devrait être entièrement conquise par nous. » Jung, on le sait, s’y employa et toute la suite du livre nous fait parcourir, dans un enchaînement d’articulations convaincantes, le cheminement qui va du mythe à la théorisation de ces porteurs d’images de totalité que sont les archétypes.
4 Il est fructueux de revisiter la théorie jungienne à l’aide de la pensée didactique de l’auteur qui ne perd jamais de vue son propos, la créativité des mythes. Les concepts dont il est question ici et qui – sait-on jamais ? – pourraient parfois avoir tendance à devenir de pures abstractions, y retrouvent chair et substance.
5 Et les rêves ? Ils ne sont pas oubliés et notre attention est attirée, à l’aide de vignettes cliniques aux images banales, sur l’arrière-plan archétypique à l’œuvre, lequel, « au cours de l’évolution, est resté détenteur de ce qui est humain ».
6 Avec ce livre nous explorons la « fonction de la mythologie », titre du dernier chapitre, « la manière dont les mythologies organisent et déterminent la façon que l’homme a de percevoir le monde et sa propre place dans l’univers et dont elles régulent son comportement ». Autrement dit : partis des mythologies archaïques, nous arrivons à notre planète en danger.
7 Merci à Monique Salzmann de nous parler de notre condition humaine, de notre relation au cosmos et à l’inconnaissable.
8 Micheline Dufour
Marie Goudot, Tristia, Rennes, Éd. La Part commune, 2006.
9 Parce que, sans doute, il avait aperçu ce qu’il n’aurait jamais dû voir, le poète latin Ovide a subi la lourde peine de l’exil loin du ciel de Rome ; sur les bords du Pont-Euxin où il a été relégué par Auguste, il écrit les Pontiques et les Tristes, Tristium Libri ou Tristia.
10 De la douceur de vivre si brutalement interrompue, nous ne savons guère plus, constate Marie Goudot, comme de ces jours passés parmi les Barbares de cette colonie romaine des marches de l’Empire. Avec une infinie délicatesse, la romancière entreprend de suivre malgré tout le poète banni sur des chemins, des mers où, par-delà les siècles, il croise d’autres exilés célèbres, Pavese ou Mandelstam.
11 « Publius Ovidius Naso, Ovide en terre italienne, s’appellera simplement Nason au rivage barbare, trop éloigné de lui-même pour conserver son nom romain » ; première perte d’une liste douloureuse que Marie Goudot égrène mélancoliquement : la douceur des étoffes remplacée par le tissu rêche des braies inélégantes ; le luxe d’une demeure qu’aimait à fréquenter Julie, la fille de l’empereur, devenu l’inconfort d’une méchante masure de bois menacée par les flèches de ces peuples que la civilisation romaine n’a pas séduits, réduits. La belle lumière du ciel italien, comment s’en souvenir dans les brouillards de Tomes, la ville grise cernée de marécages et de mines ? Les amis qui ne répondent plus, le goût sur la langue des nourritures de la patrie...
12 Et les mots, surtout : de cette langue latine qu’elle manie avec amour, Marie Goudot sait admirablement dire l’oubli progressif, la douleur de ne plus l’entendre, de ne plus la parler peut-être. Elle raconte Nason au port de Tomes, quémandant des marins à peine débarqués des mots de sa langue, lui dont L’Art d’aimer a fait les délices du public romain. Pour écrire – parce que, dit-il (dit-elle), « j’écris, j’écris sans cesse, c’est une maladie, je ne peux m’empêcher d’écrire, une vraie maladie qui confine à la folie » –, il s’en va mendier des noms de poissons, les mots de la navigation– qu’importe, des mots latins.
13 Ainsi, Marie Goudot réhabilite le malheureux Ovide moqué par la postérité pour ses lettres implorantes à Auguste et les infinies suppliques qu’il écrit à ses amis dont il tait le nom pour les préserver des foudres du tyran. La terreur d’Auguste habite les pages de ce roman comme elle a étouffé Rome de son moralisme, ses morts suspectes et ses bannissements. Cesare Pavese l’a bien compris, vingt siècles plus tard, au rivage calabrais où Mussolini l’a expédié ; quand le Duce salue en Auguste le modèle de sa gloire, l’écrivain turinois retire à Ovide le titre de bouffon dont il l’avait gratifié : c’est qu’il en partage désormais les peines et les rêves, inattendus, de « saucisson et livres de Byron ».
14 Les mots d’Ovide, de Nason plutôt, ses Tristia résonnent longtemps dans la mémoire des exilés ; mais pas seulement. Si la méditation romanesque de Marie Goudot parle des lointains ancêtres, elle est aussi palimpseste, résolument neuve et originale. Ce que nous dit ce très beau livre, c’est l’exil même de la langue, dépossédée de son pouvoir de nommer la beauté du monde, et l’urgente nécessité de retrouver les mots pour devenir poète, « pas davantage latin que scythe. Oui, si vous préférez, universel ».
15 Carole Cavallera
Jean-Pierre Schnetzler, De la mort à la vie. Transmigration, réincarnation, science et bouddhisme (3e éd. revue, corrigée et augmentée), Paris, Dervy, 2006.
16 Ce livre – dont c’est la 3e édition – synthétise le travail d’une vie : réflexion scientifique et recherche intérieure d’un psychiatre hospitalier et psychanalyste jungien.
17 Jean-Pierre Schnetzler rappelle les diverses conceptions de l’après-mort suivant les époques et les continents. Pour le christianisme, survie de l’âme après une existence terrestre ; dans l’Antiquité pré-chrétienne, naissances et renaissances successives, sous divers noms : métempsychose, métemsomatose ou palingénésie ; pour le spiritisme d’Allan Kardec, réincarnation ; dans l’Orient hindou et bouddhique, cycle des existences, transmigration et réincarnation. Enfin, pour les scientistes, rien après la mort.
18 Il aborde ensuite la question qui peut, à mon sens, poser le plus de problèmes à un Européen du XXIe siècle, accoutumé par son éducation à séparer ce qui lui paraît relever de croyances, traditions, préjugés, etc., de ce qui est scientifiquement avéré. Il reconnaît que « les modalités de la transmigration[...] suivent en gros les normes édictées par la civilisation considérée », ce qui en conserve la cohérence. Des faits de passage, liés à des manifestations de l’inconscient, sont évoqués, favorisés par des pratiques méditatives ou hypnotiques.
19 « Le refoulement de la mort dans l’Occident contemporain a fini par aboutir à un retour du refoulé. » D’où l’intérêt pour tout ce qui touche à la réincarnation, aux expériences de mort imminente (EMI), aux allégations de vie antérieure (AVA), aux souvenirs spontanés du Bardo (état intermédiaire entre la mort de la personnalité précédente et la naissance de la suivante), à la notion de rêve et de réalité dans la logique bouddhique.
20 Accepter l’hypothèse d’une migration d’éléments psychiques d’une existence à l’autre pose bien des questions au psychologue : préexistence de la personnalité à la naissance, préexistence de l’inconscient ; et au psychothérapeute : les vies antérieures jouent-elles un rôle étiologique en psychopathologie ? La méditation, la psychanalyse et ses dérivés, l’hypnose, le lying peuvent-ils être efficaces ? Les relations bouddhisme-christianisme sont envisagées sous forme de dialogue ouvert malgré la distance qui les sépare : vie éternelle et transmigration, résurrection et nirvana.
21 Il ne s’agit pas d’un livre polémique, il ouvre largement la réflexion sur des thèmes qui peuvent paraître opposés et même contradictoires. Travail considérable, étude riche et dense étayée par une bibliographie imposante, et l’expérience clinique de toute une vie.
22 Jacqueline Masse-Rouquette
Alain Braconnier, Mère et fils, Paris, <BR />Odile Jacob, 2005.
23 Alain Braconnier, propose des définitions ajustées et compréhensibles pour des concepts tels que l’Œdipe, l’amour maternel, l’inceste, et combat les préjugés, les idées toutes faites. Ainsi quand il souligne que l’amour excessif des mères serait moins nocif que l’absence réelle ou affective des pères pour qu’un garçon devienne un homme. De même, il inverse la causalité, en écrivant qu’il est fort probable qu’un garçon habité par une identité féminine précoce entraîne chez sa mère une attitude différente de celle qu’elle aurait face à un garçon plus masculin.
24 La mère a une double fonction mythique : mettre au monde un fils à l’image d’un dieu et servir d’intercesseur entre ce fils et les mystères du monde. Pour illustrer son rôle essentiel dans la construction d’un homme, Alain Braconnier rassemble les différentes figurations de la relation mère-fils dans l’art, l’histoire, la religion, la mythologie et l’ethnologie. Il interroge la clinique quotidienne variée et vivante – qui peut aller jusqu’à la pathologie – dans ses relations avec l’éducation, l’environnement social, l’autorité et la séduction, la qualité de contact et la place de la mère ; et celle du père, capitale pour un fils, place que le père prend, que la mère laisse.
25 Il s’intéresse particulièrement à l’adolescent qui doit faire face à la série des séparations à accomplir : la maman-refuge et la mère œdipienne. Il évoque divers comportements qui demandent une aide : d’un soutien naturel de l’entourage ou d’un travail psychothérapique qui consiste souvent à dégager des représentations négatives toutes faites que l’enfant a de lui-même, à une aide psychologique individuelle, ou en groupe, de type analytique ou comportemental, ou une thérapie familiale. Mais il ne néglige pas la nécessité médicamenteuse pour certains, ou encore des centres spécialisés.
26 Alain Braconnier pose des questions plus qu’il n’y répond, ce qui est capital pour nous ouvrir à la réflexion. Il a plusieurs grilles de lecture, parmi lesquelles la psychanalyse, la psychologie, le cognitivisme, la sociologie, l’anthropologie... avec l’idée que la valorisation de la relation mère-fils doit cesser de faire peur, comme toile de fond.
27 Sylvie Rouquette
Nous avons reçu :
28 Gérard Bazalgette, La Tentation du biologique et la psychanalyse. Le cerveau et l’appareil à penser, Ramonville - Saint-Agne, Érès, 2006. Didier Lauru, Père-fille. Une histoire de regard, Paris, Albin Michel, 2006.
29 Carl Gustav Jung, La Réalité de l’âme, 2. Manifestations de l’inconscient – Introduction, notices et index de Michel Cazenave, Paris, Le Livre de poche, « La Pochothèque », 2007.
30 Olivier Thomas, Du traumatisme sexuel à l’amour de transfert, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2006.
31 Pratiques spirituelles bouddhistes et chrétiennes en hospitalité, Grenoble, Cahiers de Meylan, 2006.