Notes
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[1]
W.R. Bion, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1962, p. 109.
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[2]
N. Geissmann, Découvrir W.R. Bion, explorateur de la pensée, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2001.
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[1]
J.-B. Pontalis, Fenêtres, Paris, Gallimard, 1999.
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[2]
J.-B. Pontalis, L’amour des commencements, Paris, Gallimard, 1986.
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[3]
Entretien avec C. Fellous, diffusé par France Culture dans le cadre de l’émission Carnet nomade, le 28 juin 2002.
Giuseppe MAFFEI, Le metafore fanno avanzare la conoscenza ?, Milano, Bi blioteca di Vivarium, 2001.
1 Nous nous souvenons tous de la question que le facteur, il Postino, posait à Pablo Neruda : « Mais comment fait-on de la poésie ? » Et de la réponse du poète : « En fabriquant des métaphores. » Nous ne sommes pas assez poètes, considère Giuseppe Maffei qui s’interroge tout au long de son livre sur l’absence de création de nouvelles métaphores dans la pensée jungienne contemporaine. Il fait un constat, parfois douloureux, d’un rapport qu’il juge insuffisamment créatif à la pensée de Jung. Mais ce livre n’est pas une lamentation et Giuseppe Maffei n’est pas Jérémie, ceux qui le connaissent le savent bien.
2 Ce livre est l’occasion de reprendre et de poursuivre ses travaux les plus significatifs des quinze dernières années pour nous faire partager et comprendre l’intensité et l’exigence de son rapport à la pensée jungienne. Partager et comprendre, ces mots ne sont pas dits par hasard : Giuseppe Maffei nous fait raisonner avec lui, il nous rend intelligents et critiques avec lui.
3 La critique est la santé de sa pensée, sa respiration intime, c’est cet acte de volonté qui oblige à ne prendre aucune idée, d’où qu’elle vienne, pour allant de soi : la vérifier, certes, mais avec les outils d’aujourd’hui. On ne trouvera jamais, sous sa plume, d’érudition ostentatoire qui voudrait nous faire adhérer, nous fasciner ou encore nous faire avancer les yeux fermés. Non, son livre nous fait faire avec lui ce travail de pensée, qui oblige à choisir, à décider, à errer parfois aussi, mais certainement jamais à nous soumettre à la puissance des mots, fussent-ils du « maître » ! D’ailleurs, en ce qui concerne la chose « psychanalytique », l’honnêteté intellectuelle exige, on le sait, que le rapport à ce qui pourrait passer pour « la vérité » soit sans cesse ré-interrogé. Et Giuseppe Maffei ne s’en prive pas, nous laissant parfois saisis d’effroi.
4 Entre Giuseppe Maffei et Jung, les questions provocantes sont au premier plan. Aucune d’entre elles ne sera évincée. Giuseppe Maffei apparaît comme un véritable empêcheur de penser en rond. Il affronte des sujets aussi essentiels que le rapport de Jung à la souffrance, à la religiosité, à l’absence, au nazisme, ainsi que la question du mythe et de l’éthique de la mutation, le soi et son histoire...
5 Ici, je voudrais m’arrêter au seul chapitre sur les métaphores : des nouvelles métaphores qui manqueraient... Tout d’abord, qu’est-ce qu’une métaphore ? Pourquoi est-ce important dans le champ de la psychanalyse que les métaphores nouvelles ne manquent pas ? De quoi leur manque serait-il le signe ? Pour Giuseppe Maffei, la métaphore est ce qui « sert à indiquer simplement le caractère approximatif de tous les concepts théoriques qui se réfèrent à une vérité qui est en elle-même inaccessible ». Il faut accepter de voir que les mots « inconscient », « ombre », « projection », etc., sont des métaphores. La métaphore réalise « le transport de sens d’un signifiant à l’autre, à travers un même signifiant » : la couverture du livre s’illustre même d’un superbe camion ! Dans le champ psychanalytique, « les métaphores peuvent être également pensées comme les conditions de représentation des processus psychiques, et, en ce sens, elles ne peuvent instaurer ni garantir rien d’autre que la possibilité de les penser, et donc, par là même, les conditions nécessaires à une activité analytique ».
6 Quant au manque de nouvelles métaphores, pour Giuseppe Maffei, « le monde jungien, à part quelques exceptions, semble condamné à une sorte de répétition d’énoncés déjà constitués ». Pour lui, les raisons de cette difficulté de « croissance théorique » doivent être recherchées dans « l’épistémologie soggettivistica, subjectiviste, de Jung aussi bien que dans les conséquences déterminantes d’une emphase particulière sur l’importance des archétypes, mise par Jung lui-même comme par les analystes jungiens ».
7 Ayant posé ce diagnostic, Giuseppe Maffei nous informe pourtant que cette caractéristique de la psychologie analytique, qu’il vient de décrire comme un défaut, pourrait « au contraire être pensée comme une qualité. Si les maladies sont des dieux et si la psychopathologie peut trouver son fondement dans la mythologie, la psychologie analytique possèderait alors un système de métaphores approprié et efficace ». Notre tâche serait alors, avec Hillman, de « repenser [...] ou de réimaginer la psychologie analytique en examinant le comportement humain avec un regard mythique » et la présence de ce regard rendrait inutiles toutes les constructions intermédiaires, ajoute Giuseppe Maffei. Alors, nous interroge-t-il, « pourquoi ne sommes-nous pas capables de créer de nouveaux mythes ? », étant entendu que les mythes anciens, aussi riches soient-ils, ne peuvent pas être considérés comme autre chose qu’un peu d’écume sur la mer...
8 Ainsi, l’auteur, à partir d’un diagnostic établi, critique et interroge sa critique même pour avancer un raisonnement prospectif.
9 L’effort de théorisation qu’il nomme « intermédiaire » répond à « l’exigence de construction continue du réel, qui ne peut être accomplie sans nous interroger et nous inquiéter ». Le travail d’appropriation de ces métaphores anciennes n’irait donc pas, pour l’analyste, sans une réévaluation et donc un renouvellement et une transformation de ces métaphores, comme de lui-même. Pour lui, face au parasitisme de la signification, « l’alternative se trouve dans la poiesi, le moment de création, le poetare, le moment poétique, la construction de nouvelles histoires, de nouvelles significations », et pour cela, nous dit-il, il faut oser « s’exposer à la vie et au risque de l’errance ».
10 Ce chapitre sur les métaphores se poursuit par une étude des caractéristiques de la pensée de Jung, organisée autour du concept clé, selon Giuseppe Maffei, de esse in anima. Pour lui, l’œuvre de Jung repose sur deux aspects contradictoires : d’une part, une théorisation fondée sur une conception réaliste ; d’autre part, la valeur mise en évidence et donnée au rôle de l’observateur. C’est ce concept de esse in anima qui permettrait de sortir de cette contradiction.
11 « À l’esse in intellectu manque la réalité tangible ; à l’esse in re manque l’esprit. Or idée et chose se rencontrent dans la psyché de l’homme qui maintient l’équilibre entre elles. [...] Qu’est la réalité sensible sinon la réalité en nous, un esse in anima ? » (Jung, Types psychologiques, p. 53). Cette affirmation ouvre la fondation d’une théorie de la subjectivité, en même temps qu’elle peut la nier ; en quelque sorte, ce serait à nous de choisir.
12 Jung pouvait considérer comme valables les contenus psychiques en même temps qu’il refusait les expressions rationalisées ou dogmatiques des mêmes contenus. Cet esse in anima est pour Giuseppe Maffei le nœud qui ne peut signifier autre chose que création, poiesi, de nouvelles métaphores. Autrement dit, ce n’est pas de la parole d’un père que procède la pensée de Jung. « Il évite une prise de position “paternelle”, qui consisterait en l’affirmation, même consciente, de leur inadéquation constitutive au réel, d’authentiques métaphores reconnaissables comme telles. On ne peut pas ne pas évoquer, face à cette problématique, le père de Jung et l’hypothèse qu’il aurait eu besoin de fonder sa propre naissance, non pas sur les pauvres paroles de son père, mais sur les archétypes, antiques parents mythiques. »
13 Mais alors, conclut Giuseppe Maffei, pourquoi les découvertes jungiennes sur la psychose qui sont aussi fondamentales et procèdent de l’invention par Jung de la notion de « participation mystique » ont-elles permis à d’autres d’inventer (de réinventer ?) la notion d’« identification projective » ? Pourquoi, poursuit-il, après « s’être libérés de l’idée ingénue d’un progrès scientifique linéaire, n’est-il pas possible de créer de nouvelles métaphores dans notre champ ? Est-ce possible de penser un futur qui ne soit pas seulement la répétition de ce qui a déjà été ? »
14 Brigitte Allain-Dupré
Nicolas GEISSMANN, Découvrir W.R. Bion, explorateur de la pensée, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2001.
15 Nicolas Geissmann se propose de nous introduire à la pensée et à l’œuvre de Bion, nous introduire et nous accompagner dans ce cheminement. La métaphore du chemin est importante et présente tout au long du livre ; elle dit comment l’auteur voit ce travail : un accompagnement sur un chemin ardu.
16 Les trois premiers chapitres préparent au voyage : « Qui est Bion ? » ; « Avant Bion » (état des lieux de la psychanalyse et place que prend Bion qui ne veut pas créer une nouvelle théorie mais donner des outils pour penser) ; « Les mots de Bion ». Ce chapitre nous familiarise avec le style de Bion, style difficile, « mathématique », avec recours à l’abstraction, à la modélisation et au vocabulaire très singulier, le tout sous-tendu par la vie même des mots et des concepts et le fait qu’ils sont appelés à se transformer.
17 Puis Nicolas Geismann, comme il le dit lui-même, se jette dans le vide. Il suit la pensée de Bion dans toute sa complexité et ses transformations en s’appuyant sur un grand nombre de citations bien choisies. Il ne simplifie pas, ne laisse rien de côté, ne nous épargne rien. Avec humour, il propose des moments de repos, des haltes, nous invite à ralentir le pas, reprendre souffle et... repartir.
18 Il faut, me semble-t-il, bonne connaissance et familiarité avec l’œuvre de Bion, ainsi que finesse, intelligence et sensibilité pour arriver à nous tenir tout au long de ce livre difficile et pourtant clair. Nicolas Geissmann a toute mon admiration – et ma reconnaissance – pour ce travail fait avec subtilité, simplicité, et une espèce de confiance dans la capacité du lecteur à l’accompagner.
19 Catherine Lovering
Jef DEHING, Autour de W.R. Bion. Essais psychanalytiques, Paris, L’Har mattan, 2001.
20 Ce livre est un compte rendu de conférences faites lors de deux journées d’études organisées par l’École belge de psychanalyse jungienne, à l’occasion du centenaire de W.R. Bion. Elles avaient pour titre : « Mémoire d’un avenir ».
21 Fait remarquable, les orateurs appartiennent à quatre sociétés différentes : École belge de psychanalyse, Société belge de psychanalyse, École belge de psychologie analytique, Association flamande de thérapie analytique. Ainsi, comme le dit M. Leyser, président de la Société belge de psychologie analytique, dans son introduction à ces journées : « Une étude approfondie des écrits de Bion apparemment dépasse l’affiliation à une société ou une autre. Comment expliquer cela ? »
22 Bion essaie de rendre compte des « éléments constituants » du processus analytique. Passionné par la genèse de la pensée humaine, il a travaillé avec des psychotiques qui, pour lui, ne peuvent fabriquer des pensées. Cette capacité est, chez eux, détruite. Bion, à la recherche d’une méthode scientifique, utilise un langage abstrait, proche du langage mathématique. La Grille (Grid) est son langage, la méthode qu’il crée pour rester au plus près de ce qui se passe dans la fabrication et l’élaboration des pensées. Bion cherche à créer une théorie de la pensée. Dans Aux sources de l’expérience [1], il écrit : « La théorie des fonctions et la fonction alpha ne font pas partie de la théorie psychanalytique. Ce sont des outils de travail conçus pour aider l’analyste praticien à penser quelque chose qui lui est inconnu. » Ces outils « permettent de neutraliser au maximum les interactions des sens et des émotions pour décrire une situation donnée. » [2]
23 Puis la réflexion de Bion évolue et se transforme, et l’on voit apparaître, à travers ses œuvres, un deuxième Bion, une autre période où il rend compte de ce qui se passe dans le processus de façon presque mystique. Il se dit alors plus proche de la vérité que par un langage qui se veut scientifique.
24 Le rédacteur du livre, Jef Dehing, analyste jungien, écrit deux articles, le premier et le dernier. Dans le premier, intitulé « Bion et Jung. Analogies et contrastes », l’auteur pose de façon claire, presque schématique, mais en abordant différents champs (religion, sexualité, causalité versus finalité, relativité de toute théorie psychanalytique), les rapprochements et les différences dans les théories de Bion et de Jung. Pour moi, ce texte placé en début d’ouvrage est une très bonne référence et permet de garder en mémoire, pour la lecture des textes suivants, les rapprochements possibles entre les deux théories et souligne le fait qu’il y a, chez Bion comme chez Jung, ce même mouvement d’une définition scientifique qui va vers une mystique. Les conférences que Bion et sa pensée ont su inspirer sont passionnantes. C’est un vrai travail de pensée, de réflexion et d’élaboration. Il y a de l’inventivité, du jeu, plaisir de la pensée à l’œuvre. La plupart des conférenciers explicitent et élaborent, à partir de la « transformation » de Bion, ce passage d’une attitude scientifique, abstraite, mathématique à une attitude mystique : la relation avec O inconnaissable, « la réalité Ultime Inconnaissable », relation qui n’est pas de l’ordre du savoir mais de l’être.
25 Par exemple, Rudi Vermote reprend les différents éléments de la « grille » et leur utilisation avant et après la « césure ». Avant la césure, Bion cherchait à arriver à K (connaissance, savoir), après la césure, il abandonne la grille dans sa recherche de contact avec O ; la pensée a un côté défensif qui empêche d’arriver à ce qui EST.
26 Jan Cambien et Michel Thys soulignent l’importance de la philosophie pour Bion. Le psychanalyste devrait être philosophe. L’article de Jan Cambien développe l’idée que le philosophe est homme d’action. Celui de Michel Thys traite de mensonges et vérité, idées et vérité. Comment trouver une vérité qui soit pensable ? Qu’est-ce que la vérité psychique si l’on s’accorde à penser la vérité comme étant quelque chose qui existe hors du psychisme, hors de la pensée ?
27 Les articles sont beaucoup trop complexes et subtils dans la façon dont la pensée progresse et se transforme pour pouvoir être résumés. Tout au long de la lecture il me vient des rapprochements avec les idées de Jung. On se retrouve enrichi de « voir » les idées jungiennes à travers ces mouvements de pensée suscités par Bion, comme si un autre regard ou plutôt un autre angle de vue s’ajoutait au connu et le rendait neuf, plus dense et plus riche.
28 Pour finir, nous citerons Michel Thys : « Bion commence par la psychose et aboutit à la mystique. Dans l’arc de tension entre les deux, des imprécisions conceptuelles (non accidentelles) et des confusions embrouillantes amènent souvent le lecteur à s’égarer et à perdre de vue le sujet... Cet exposé permet au sujet égaré de se poser à nouveau là où il a sa place : dans le champ intersubjectif (de la pratique psychanalytique), dont les pôles psychotique et mystique constituent les limites constitutives. Dans son œuvre, et donc entre la psychose et la mystique, Bion a réussi à faire naître l’intersubjectivité sur le plan clinique tout en la situant sur le plan conceptuel. »
29 Catherine Lovering
Jean-Bertrand PONTALIS, En marge des jours, Paris, Gallimard, 2002.
30 En quelque 120 pages, Jean-Bertrand Pontalis s’engage, à la manière dont il l’avait déjà fait, il y a un peu plus de deux ans avec Fenêtres [1], dans une écriture de soi se risquant, fragment après fragment, à suivre les mouvements de cette « pensée rêvante » qui se tient dans le moment présent où les souvenirs reviennent d’un exil plus ou moins lointain. Pas vraiment besoin, dès lors, de les dater, ce serait comme une contradiction à ce travail de la « pensée rêvante » qui reste le fil d’Ariane à saisir pour s’aventurer au pays de la mémoire – celle de Jean-Bertrand Pontalis.
31 Ce travail de la « pensée rêvante » fait ici son œuvre avec bonheur, même si le souhait de Jean-Bertrand Pontalis serait d’être encore plus proche de la pensée du rêve, « cette pensée qui ne sait pas qu’elle pense », tout en étant plus incisive et fulgurante que ne l’est, bien souvent, la pensée consciente. Elle donne ici cette densité, ces couleurs à ce qui s’écrit de l’intimité de cet homme sans s’égarer dans la confession, la complaisance du moi-je, et laisse entendre tout le plaisir qui lui vient parfois de cette remise en mémoire. Cette approche par touches successives donne un relief particulier et parfois émouvant à cet autoportrait indirect, même lorsque s’y retrouvent des données déjà connues, ne serait-ce que par le récit plus autobiographique de L’amour des commencements [2].
32 S’il s’étonne à l’occasion de se retrouver un peu seul parmi les psychanalystes, pourtant « spécialistes de la mémoire vive », à tenter de s’inscrire ainsi du côté de l’histoire subjective plutôt que du côté de l’histoire de la psychanalyse où fleurissent tant d’écrits, il n’en exprime pas moins le désir de poursuivre dans cette voie tout en étant conscient qu’il s’agit d’« un projet idéal plutôt qu’une réalisation [3] » ; mais un projet quand même, soutenu et animé par cette préférence à « naviguer dans les marges », y compris celles des théories, à se tenir sur le seuil du secret, de l’inconnu, du non-pensé et qui pourrait dire quelque chose de « ce qui suscite le désir de devenir analyste et de le rester ». Car il est naturellement souvent question de ce « métier bizarre », celui que pratique toujours Jean-Bertrand Pontalis, en parallèle avec son activité d’éditeur chez Gallimard où il dirige à la fois une collection d’ouvrages psychanalytiques, « Connaissance de l’inconscient », et une collection littéraire, « L’Un et l’Autre ». Il est donc tout aussi naturellement question de littérature, de la parenté du romancier et du psychanalyste, chacun s’essayant à révéler ce qui touche à la part d’inconnu, même s’il y a, par ailleurs, « antinomie » entre le roman et l’analyse, entre la parole déposée dans l’objet-livre et celle qui « ne laissera d’autres traces qu’intimes, [...] non écrites, dont le destin est de s’effacer ».
33 Jean-Bertrand Pontalis partage ainsi sa vie entre ces « deux usages de la parole » et il constate là une « nécessité » qui lui permet sans doute de lutter à la fois contre l’inertie que tisse si volontiers la pulsion de mort, et de solliciter la mise en mouvement de la psyché.
34 Là se tient, me semble-t-il, un des aspects essentiel de ce qui habite ses fragments où il est toujours possible de revenir vagabonder en marge de nos jours.
35 Marie-Christine Malfilâtre
Roberto CASATI, La découverte del’ombre, Paris, Albin Michel, 2002.
36 Au commencement, la surprise ! Un style plein d’humour qui ne s’embarrasse pas de mots grandiloquents, les « grandes interrogations sur la vie » avec les mots du quotidien.
37 Roberto Casati nous installe dans le jeu, la curiosité, et nous nous laissons prendre par la main comme un enfant. Partant de son expérience, l’auteur met en questions les évidences d’une perception modelée par des a priori. Il nous invite à réfléchir sur la distinction entre image et réalité, sur la différence entre « la chose objective et la matérialité de la chose ». Il nous fait pénétrer dans le mystère de l’ombre entre manque, illusion et dévoilement d’une réalité... une ombre qui effraye et fascine.
38 « Les ombres sont de précieux instruments de connaissance. Loin de cacher, elles révèlent... » Une formule qui met en appétit ! Le titre déjà avait orienté mes attentes de lectrice imprégnée... de l’ombre de la psychanalyse jungienne ! et me voilà goûtant les échos de cette écriture : « ... il n’y a pas d’ombre s’il n’y a pas de ligne d’ombre, c’est-à-dire pas de séparation entre ombre et lumière », « une ombre peut révéler une lumière autrement invisible », « le labyrinthe est obscur mais les ténèbres qui nous enveloppent peuvent avoir une forme qui nous guide dans la connaissance »... sans parler des références faites aux mythes, aux différences entre cultures occidentale et orientale, au bébé non tabula rasa, etc.
39 La notion d’ombre développée dans cet ouvrage se différencie quelque peu du concept jungien : « Le concept d’ombre est hybride [...] il a un aspect causal, un aspect matériel et un aspect perceptif. » Roberto Casati nous invite à un voyage dans le temps et l’espace en compagnie d’Aristarque, Plutarque, Ératosthène, Ptolémée, Gassendi, Kepler, Al-Biruni, Galilée, Dante, Flammarion, et d’autres encore... une association de science et d’art, de mythes et de calcul, d’anecdotes et de discours savants... « avec, dit-il, la langue de l’univers : les mathématiques », mâtinée de celle du philosophe ! Un voyage qui nous fait découvrir la relation entre une coupelle et le rayon de la Terre ! Un voyage au total assez lassant !
40 Ce livre est aussi une ode au génie humain qui, poussé par la peur du mystère, le désir de comprendre et le goût du pouvoir, crée des outils, invente des explications pour rendre compte de ses perceptions et calmer ses angoisses, et, pour cela, est souvent prêt aux petites supercheries et aux grandes trahisons !
41 Michèle Moirez-Haas
Jean-Paul VALABREGA, Les mythes, conteurs de l’inconscient, Paris, Payot, 2002.
42 Jean-Paul Valabrega est psychanalyste freudien, membre fondateur du Quatrième groupe. Dans cet ouvrage, il démontre que seul le mythe peut répondre aux questions d’origine et de fin, que la causalité mythique est celle de l’inconnaissable, que s’y déploient inversion, renversement et retournement. Le mystère n’a pas d’autre réponse que mythique, et la mort, irreprésentable par excellence, a toujours été représentée, et cela de façon mythologique. L’auteur développe la parenté profonde entre le mythe, l’intemporalité et l’inconscient.
43 Avec Narcisse, c’est le mythe du sujet qu’il veut réhabiliter. Il constate, et s’en étonne, que la psychanalyse contemporaine, pour laquelle le narcissisme et les pathologies narcissiques ont pris une place si considérable, se soit si peu intéressée à la source mythique de l’histoire de Narcisse. Il se penche alors sur tous les détails, dans différentes versions, aborde successivement les thèmes de l’homosexualité, de l’androgynie, de la gémellité, de l’identité-altérité et crée le concept de l’idalter.
44 Afin de donner une belle étoffe à son propos, il interroge de nombreuses figures mythologiques, s’attarde sur les ruses comme celles de l’homophonie de chronos (K) et cronos (X), y voyant un lien entre mort et castration, l’un castrant son père, l’autre étant le temps qui castre...
45 Pour lui, toutes les cosmogonies, théogonies sont construites à partir du même matériau, la matière mythique ; les schèmes dynamiques dénombrés sont des caractères formels, des organisateurs, embrayeurs ou générateurs de tout mythe. Il y a donc une pensée mythique à définir comme un universel.
46 Le mythe peut se définir, pour l’auteur, comme conteur de l’inconscient.
47 En tant que jungiens, nous nous trouvons là en pays de résonance, de même qu’avec la notion de retournement qui court tout au long de cet ouvrage, proche de celle d’énantiodromie que Jung emprunte à Héraclite.
48 Françoise Bruley
Christine VESCHAMBRE, La griffe et les rubans, Paris, Le Préau des col lines, 2002.
49 Étrange livre que La griffe et les rubans ! Son auteur se dira à elle-même, au dernier tiers de son ouvrage : « Tu sais maintenant que tu es toi-même le pont. Ce pourquoi tu n’avais pas à le construire mais à reconnaître depuis la dépression qu’il enjambe (et qu’en même temps il protège) son arche double. » Pont qui relie deux rives : sur l’une (rive de granit breton), une femme écrit sur un cahier d’écolier sa quête d’identité avec un sens de l’à-plat pathétique ; sur l’autre, terre d’à-venir, une femme de l’être (et de lettres) qui fut à la fois agréée et agrégée par l’Université (dure Alma Mater) et aussi par Mallarmé, Proust... et d’autres, cherche et découvre – à travers un bref récit de Mallarmé qui raconte l’affrontement d’un ours et d’un « clown d’argent » sur une piste de cirque – la force créative d’un couple paradoxal. « Et l’on vit, couple uni dans un secret rapprochement, comme un homme inférieur, trapu, bon, debout sur l’écartement de deux jambes de poil, étreindre pour y apprendre les pratiques du génie [...] le buste de son frère brillant et surnaturel. »
50 Deux rives, deux arches, où le pont est jeté entre animal et anima. Au fond, dans la gorge sombre, chemine ce vieux Styx « enjambé » et « protégé ».
51 Le lecteur bouleversé, que je fus, ne cesse de passer et repasser par cette passerelle, celle de l’humanisation, de l’individuation, de l’âpre sens de l’être.
52 N’y a-t-il pas là, en effet, le cheminement de l’impassible par le presque-impossible, entre un conscient de désespoir, l’inconscient personnel de l’auteur et l’inconscient collectif universel intemporel ? C’est ça le vieux Styx « qui unit dans son lit les cheveux blonds, les cheveux gris » (comme dit la chanson) d’une fillette tôt questionneuse de sens, d’un romancier de l’âme transgénérationnelle (Marcel Proust) et d’un poète amateur de clair-obscur, sombre et numineux à la fois (Stéphane Mallarmé).
53 Quêteurs de sens, et de non-sens, analystes de tous poils et de toutes dentelles, il suffit de passer ce pont.
54 Henri Duplaix
Notes
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[1]
W.R. Bion, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1962, p. 109.
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[2]
N. Geissmann, Découvrir W.R. Bion, explorateur de la pensée, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2001.
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[1]
J.-B. Pontalis, Fenêtres, Paris, Gallimard, 1999.
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[2]
J.-B. Pontalis, L’amour des commencements, Paris, Gallimard, 1986.
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[3]
Entretien avec C. Fellous, diffusé par France Culture dans le cadre de l’émission Carnet nomade, le 28 juin 2002.