Couverture de CIVIT_045

Article de revue

Protection régionale des droits humains et Covid-19. L’apport de la Cour interaméricaine des droits de l’homme

Pages 165 à 183

Notes

  • [1]
    Cour IDH, COVID-19 y Derechos Humanos : Los problemas y desafíos deben ser abordados con perspectiva de Derechos Humanos y respetando las obligaciones internacionales, Déclaration 1/20, 9 avril 2020, San José, Costa Rica (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/declaracion.html, consulté le 28/10/2020), ci-après la « Déclaration 1/20 ». L’auteure précise ici que, sauf mention contraire, les traductions sont les siennes.
  • [2]
    Id.
  • [3]
    Ce cycle de conférences traite de tout un ensemble de sujets en relation directe avec la pandémie, tels que son impact sur les personnes privées de liberté, sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants, sur les limitations aux droits humains, sur les droits économiques et sociaux, sur les groupes en situation de vulnérabilité ou encore sur la notion d’État de droit. Ces conférences sont retransmises en direct et peuvent être visionnées en différé sur la page suivante (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/ciclo.html, consulté le 28/10/2020).
  • [4]
    Ce Dialogue s’est tenu le 13 juillet 2020 et peut être visionné en espagnol (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/ciclo.html, consulté le 28/10/2020), et en français et en anglais (https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=court/dialoguecourts/regionalcourts, consulté le 28/10/2020).
  • [5]
    Cette réunion s’est tenue le 26 octobre 2020 et sera retransmise sur le site internet de la Cour.
  • [6]
    (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/index.html, consulté le 28/10/2020). Si on ne retrouve pas d’équivalent sur le site internet de la Cour européenne, on peut tout de même signaler que la Direction générale Droits de l’Homme et État de droit du Conseil de l’Europe a fait de même, (https://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/covid19, consulté le 28/10/2020).
  • [7]
    M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation : les réponses du droit international des droits de l’homme », RDLF, 2020, chron. n°40, (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020).
  • [8]
    V., entre autres (et par ordre chronologique), les billets de blog suivants : F. SUDRE, « La mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », 20 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; F. SUDRE, « La Convention EDH face au Covid-19 : dépasser les apparences », 27 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; T. RENOUX et M. GUDZENKO, « Pas de mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », 24 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com consulté le 28/10/2020) ; J.-P. COSTA, « Le recours à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme », 27 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020). V. aussi M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation : les réponses du droit international des droits de l’homme », RDLF, 2020, chron. n°40 (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020) ; G. GONZALEZ, « L’article 15 de la Convention européenne à l’épreuve du Covid19 ou l’ombre d’un doute », RDLF, 2020, chron. n° 43, (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020) et de C. LE BRIS, « Du juste équilibre : les limitations aux droits de l’homme en période de crise sanitaire (Première partie) », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 31 octobre 2020 (http://journals.openedition.org/revdh/10551, consulté le 04/11/2020).
  • [9]
    Sur les origines de cette clause et de son équivalent interaméricain, voir M. ROTA, « Les régimes dérogatoires en droit international des droits et libertés : approche comparée (Comité, Cour européenne et Cour interaméricaine des droits de l’homme) », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 17, 2019, pp. 191-199.
  • [10]
    Les deux dispositions contiennent en effet une liste d’articles ou de principes auxquels aucune dérogation ne saurait être admise.
  • [11]
    M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit.
  • [12]
    Pour une analyse détaillée du contrôle opéré par la Cour, voir A. PETROPOULOU, Liberté et sécurité : les mesures antiterroristes et la Cour europénne des droits de l’homme, Pedone, 2014, 574 pages.
  • [13]
    Commission EDH, Grèce c/ Royaume-Uni, 26 septembre 1958, (76/56).
  • [14]
    F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, Puf, 2012, p. 231. Pour une citrique de ce caractère prétorien, se reporter à J. GARCÍA ROCA, « La muy discrecional doctrina del margen de apreciación nacional según el Tribunal Europeo de los Derechos Humanos », Teoría y Realidad Constitucional, UNED, n° 20, 2007, pp. 117-143.
  • [15]
    Comme le constatent les professeures Mireille Delmas-Marty et Marie-Laure Izorche, cette « marge concédée par le juge lui-même [est] une sorte d’autolimitation de ses propres pouvoirs normatifs », M. DELMAS-MARTY et M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, vol. 52, n° 4, 2000, p. 754. C’est sans doute pourquoi la Cour interaméricaine refuse de la consacrer de manière explicite. Notons toutefois que même si l’expression n’est volontairement pas employée, la Cour consacre tout de même, selon nous, une telle marge aux États dans certains domaines (M. ROTA, L’interprétation des Conventions américaine et européenne des droits de l’homme. Analyse comparée de la jurisprudence des cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 2018, pp. 265-277).
  • [16]
    Cour EDH, Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978, (5310/71), § 207.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Cour EDH, Cour Pl., Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, (5493/72), § 49.
  • [19]
    Cour EDH, Irlande c/ Royaume-Uni, loc. cit., § 207.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    F. TULKENS, « Dérogations », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P. MARGUÉNAUD, S. RIALS et F. SUDRE (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, Puf, 2008, pp. 267-271, spécialement p. 269. Dans ce cadre, le juge doit « attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé », Cour EDH, Gr. Ch., A. c/ Royaume-Uni, 19 février 2009, (3455/05), § 173.
  • [22]
    Id., § 178.
  • [23]
    Id., § 109. Selon le Comité, en effet, « Les mesures dérogeant aux dispositions du pacte doivent avoir un caractère exceptionnel et provisoire », CDH, Observation générale n° 29, États d’urgence (art. 4), 31 août 2001, CPR/C/21/Rev.1/Add.11, § 2.
  • [24]
    Cour EDH, Gr. Ch., A. c/ Royaume-Uni, 19 février 2009, (3455/05), § 178.
  • [25]
    Cour IDH, J. c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens, 27 novembre 2013, série C n° 275, § 137.
  • [26]
    Id., §§ 137-147.
  • [27]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation des pouvoirs de crise – Essai de droit comparé, thèse dactylographiée, Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, 2015, p. 47.
  • [28]
    Cour IDH, El Hábeas Corpus Bajo Suspensión de Garantías (arts. 27.2, 25.1 y 7.6 Convención Americana sobre Derechos Humanos), opinion consultative n° OC-8/87, 30 janvier 1987, série A, n° 8, § 20.
  • [29]
    Id., § 24, repris au contentieux, Cour IDH, J. c/ Pérou, loc. cit., § 125.
  • [30]
    C’est le cas par exemple de S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020).
  • [31]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., pp. 52-72.
  • [32]
    Id., p. 69.
  • [33]
    Comme l’explique bien Vincent Souty, en imposant aux gouvernants le cadre constitutionnel normal en période de crise, ces derniers auront conscience de le violer pour y faire face et d’encourir une sanction potentielle. Ils ne l’enfreindront, de fait, qu’avec une extrême prudence. Le but visé est donc d’« éviter l’usage arbitraire de pouvoirs de crise » en posant « une présomption de non-légitimité, réfragable, de la nécessité [d’y] recourir », id., p. 55.
  • [34]
    Formant le constat que le droit est inapte à encadrer l’exception, plusieurs auteurs considèrent que cette question : soit ressort du domaine politique (id., pp. 56-60), soit constitue un droit naturel de l’État (id., pp. 60-62), soit, enfin, est inhérente à tout texte constitutionnel, pouvant par essence être interprété de façon à sauvegarder l’existence de l’État (id., pp. 62-67).
  • [35]
    M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit. ; v. aussi J. REYNOLDS, “The Long Shadow of Colonialism : The Origins of the Doctrine of Emergency in International Human Rights Law”, Comparative Research in Law & Political Economy, Research Paper n°19, Osgoode Hall Law School, Toronto, 2010, pp. 2-50.
  • [36]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., p. 108.
  • [37]
    V. SOUTY, « Les dérogations en cas de circonstances exceptionnelles : un régime en demi-teinte », Rev. trim. dr. h., n° 109/2017, p. 102.
  • [38]
    Dans l’affaire J. c/ Pérou, bien que la Cour constate que l’État n’ait pas procédé à une telle notification (Cour IDH, J. c/ Pérou, loc. cit., § 124), elle accepte de qualifier les mesures en cause de dérogations au regard de l’enclenchement, au niveau interne, des pouvoirs de crise, id., §§ 137-147.
  • [39]
    V., entre autres, S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020).
  • [40]
    Même s’il le critique, Vincent Souty reconnaît qu’« il apparaît difficilement réaliste de demander au juge de trancher un litige sans tenir compte du contexte dans lequel il se déroule, d’autant plus lorsqu’un tel litige s’inscrit dans le cadre d’une situation de crise », V. SOUTY, « Les dérogations… », loc. cit., p. 102.
  • [41]
    Cour EDH, Cour Pl., Brogan et autres c/ Royaume-Uni, 29 novembre 1988, (11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85), § 48.
  • [42]
    Voir sur ce point l’analyse de Vincent SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., pp. 115-120.
  • [43]
    Ibid., voir aussi, du même auteur, « Les dérogations… », loc. cit., pp. 102-105.
  • [44]
    Id., p. 102.
  • [45]
    Ce fut le cas dans l’affaire Hassan c/Royaume-Uni, par exemple, dans laquelle la Cour institue une nouvelle exception au principe selon lequel « Nul ne peut être privé de sa liberté », qu’elle ajoute au texte de la Convention en se fondant sur une interprétation de l’article 5 au regard « du contexte et des règles du droit international humanitaire », Cour EDH, Gr. Ch., Hassan c/ Royaume-Uni, 16 septembre 2014, (29750/09), § 103. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner (M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit., p. 199), le contrôle du juge sur une exception est plus complet que sur une dérogation. Véritable contrôle de conformité, il porte aussi sur le respect des garanties figurant aux paragraphes 3 à 5 de l’article 5. Dans le cadre d’une dérogation, qui, par essence, s’applique à cette disposition dans son ensemble, il n’est pas certain que le juge admette se livrer à un tel contrôle, et pour cause : les garanties offertes par ces paragraphes ne bénéficient pas d’un caractère indérogeable.
  • [46]
    C’est d’ailleurs pourquoi la Cour aboutit à des solutions différentes dans les affaires Brogan et Brannigan et Mc Bride, alors qu’elles sont quasiment identiques, le Royaume-Uni ayant activé l’article 15 dans la première et pas dans la seconde (Cour EDH, Cour Pl., Brogan et autres c/ Royaume-Uni, 29 novembre 1988, (11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85) et Cour EDH, Cour Pl., Brannigan et Mc Bride c/ Royaume-Uni, 26 mai 1993, (14553/89 14554/89)). V. à ce sujet M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation… », loc. cit.
  • [47]
    V. SOUTY, « Les dérogations… », loc. cit., p. 106.
  • [48]
    C’est au même constat que parvient Catherine Le Bris, lorsqu’elle constate qu’« une distorsion importante entre la situation interne - à savoir celle d’un état d’urgence, qui conduit, notamment, à assigner à domicile une population - et la situation internationale - celle d’une application « normale » des conventions de droits de l’homme – pourrait être tendancieuse », C. LE BRIS, « Du juste équilibre… », loc. cit., § 30.
  • [49]
    G. GONZALEZ, « L’article 15… », loc. cit.
  • [50]
    C. LE BRIS, « Du juste équilibre… », loc. cit., § 33.
  • [51]
    M. DELMAS-MARTY, Sortir du pot au noir. L’Humanisme juridique comme boussole, Paris, Buchet/Chastel, 2019, p. 7.
  • [52]
    W. MARX, « Ce que la littérature nous apprend de l’épidémie », Une boussole pour l’après, livre numérique, Humensis, 2020, pp. 111-112.
  • [53]
    Ci-après « DESCE ». Notons que le qualificatif « environnementaux » est ajouté de manière prétorienne par la Cour, notamment depuis son avis Cour IDH, Medio ambiente y derechos humanos (obligaciones estatales en relación con el medio ambiente en el marco de la protección y garantía de los derechos a la vida y a la integridad personal - interpretación y alcance de los artículos 4.1 y 5.1, en relación con los artículos 1.1 y 2 de la Convención Americana sobre Derechos Humanos), opinion consultative n° OC-23/17, 15 novembre 2017, série A, n° 23. Sur ce point voir, inter alia, L. BURGORGUE-LARSEN, « Environnement et droits de l’homme : de l’audace du juge interaméricain des droits de l’homme », Énergie - Environnement - Infrastructures, n° 6, juin 2018, pp. 53-55.
  • [54]
    M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 356-357.
  • [55]
    Cour IDH, Velásquez Rodríguez c/ Honduras, fond, 29 juillet 1988, série C, n° 4, § 165.
  • [56]
    Cour IDH, Condición Jurídica y Derechos de los Migrantes Indocumentados, opinion consultative n° OC-18/03, 17 septembre 2003, série A, n° 18, § 73. Voir à ce sujet H. NOGUEIRA ALCALÁ, « Los derechos esenciales o humanos contenidos en los Tratados Internacionales y su ubicación en el ordenamiento jurídico nacional : Doctrina y jurisprudencia », Ius et Praxis, 2003, vol. 9, n° 1, pp. 403-466. Voir également W. G. DI LORENZO, « Abertura da constituição », Direito e Justiça, année 23, vol. 24, n° 2, 2001, pp. 171-200 ; H. ALVES DA FROTA, « O princípio da dignidade da pessoa humana à luz do direito constitucional comparado e do direito internacional dos direitos humanos », Revista Latinoamericana de Derecho, année 2, n° 4, 2005, pp. 1-26.
  • [57]
    Pour la Cour européenne, nous le rappelons, « l’essence même [de la Convention] est le respect de la dignité et de la liberté humaines », Cour EDH, S.W. c/ Royaume-Uni, loc. cit., § 44. Sur ce point, v. M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 368-369.
  • [58]
    Cour IDH, Chaparro Álvarez et Lapo Íñiguez. c/ Équateur, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 21 novembre 2007, série C, n° 170, § 52.
  • [59]
    C’est en effet, selon elle, « un droit de l’homme de base, caractéristique des attributs de la personne, qui se projette dans toute la Convention », ibid.
  • [60]
    B. MATHIEU, « Pour une reconnaissance des « principes matriciels » en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », Dalloz, n° 27, 1995, p. 211.
  • [61]
    Cour IDH, Propuesta de Modificación a la Constitución Política de Costa Rica Relacionada con la Naturalización, opinion consultative n° OC-4/84, 19 janvier 1984, série A, n° 4, § 55. Elle en déduit dès lors que le principe « d’égalité et de non-discrimination découlent de l’idée de l’unité de la dignité et de la nature de la personne [humaine] », ibid., § 56.
  • [62]
    En effet, la dignité « privilégie le présupposé de l’égalité entre les personnes humaines et permet une égale reconnaissance », S. HENNETTE-VAUCHEZ, « La dignité en 3D… », ibid., p. 28.
  • [63]
    Cour IDH, Condición Jurídica y Derechos de los Migrantes Indocumentados, opinion consultative n° OC-18/03, 17 septembre 2003, série A, n° 18, § 101.
  • [64]
    Sur ce point, voir M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 394-395.
  • [65]
    Ibid., §§ 395-396.
  • [66]
    Ibid., §§ 396-400.
  • [67]
    M. ROTA, « La vulnérabilité dans la jurisprudence de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, CRDF, n° 18, 2020, pp. 45-46. V. aussi R. ESTUPIÑAN-SILVA, « La vulnérabilité saisie par la Cour interaméricaine », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, pp. 89-113.
  • [68]
    M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation… », loc. cit.
  • [69]
    Selon elle, « Le premier [problème] est celui de la différenciation, qui heurterait l’universalité des droits de l’homme et l’égalité des sujets de droit. Le deuxième est celui de la catégorisation avec d’une part, le risque de verser dans un essentialisme qui […] réduirait les personnes concernées à un seul attribut […] et d’autre part le risque d’entretenir alors des stéréotypes, sinon un processus de stigmatisation. Le troisième problème est celui du paternalisme, potentiellement attentatoire aux libertés des intéressés et de nature, le cas échéant, à les déresponsabiliser », (C. BOITEUX-PICHERAL, « Introduction – Vers une protection « systématisée » des personnes vulnérables ? », in C. BOITEUX-PICHERAL, La vulnérabilité en droit européen des droits de l’homme. Conception(s) et fonction(s), Bruxelles, Nemesis Anthemis, 2019, p. 13.
  • [70]
    La Cour européenne affirme en effet depuis l’affaire S.W. c/ Royaume-Uni que « l’essence même [de la Convention] est le respect de la dignité et de la liberté humaines », Cour EDH, Ch., S.W. c/Royaume-Uni,22novembre1995, (20166/92),§44. Sur ce point, v.M.ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 368-369.
  • [71]
    X. BIOY, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2003, p. 747.
  • [72]
    Nous reprenons ici les termes de Xavier Bioy, à qui revient la paternité de l’expression « sujet libéral situé » (X. BIOY, ibid.).
  • [73]
    V. entre autre, à ce sujet C. BOITEUX-PICHERAL, La vulnérabilité en droit européen des droits de l’homme, op. cit., J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et la protection des personnes vulnérables », in Vers un nouvel ordre juridique : l’humanitaire ? – Mélanges en l’honneur de Patricia Buirette, Lextenso-LGDJ, 2016, pp. 341-357 ou encore S. BESSON, « La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme. L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, pp. 59-85.
  • [74]
    M. ROTA, « La vulnérabilité… », loc. cit.
  • [75]
    Cour IDH, Ximenes Lopes c/ Brésil, fond, réparations et frais, 4 juillet 2006, série C, n° 149, § 130.
  • [76]
    L’autonomie personnelle est aussi au cœur du concept de résilience qu’elle développe dans sa jurisprudence relative à la vulnérabilité, M. ROTA, « La vulnérabilité… », loc. cit., pp. 42-43.
  • [77]
    M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 385-389. V. aussi H. HURPY, Fonction de l’autonomie personnelle et protection des droits de la personne humaine dans les jurisprudences constitutionnelle et européenne, Bruxelles, Bruylant, 2015.
  • [78]
    L. BURGORGUE-LARSEN, « La vulnérabilité saisie par la philosophie, la sociologie et le droit. De la nécessité d’un dialogue inter-disciplinaire », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, p. 242.
  • [79]
    Comme le rappelle Laurence Burgorgue-Larsen, « la jurisprudence interaméricaine […] a toujours attaché une place centrale aux contextes (historiques, sociologiques, culturels, etc.) », id. L’importance du contexte dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine est également régulièrement soulignée par les juges de cette même Cour. Voir, pour un exemple récent, l’opinion du président de la Cour, Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot et de la juge Elizabeth Odio Benito sous l’affaire Cour IDH, Díaz Loreto et autres c/ Venezuela, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 19 novembre 2019, série C, n° 392.
  • [80]
    Dans l’affaire Acevedo Buendía et autres c/ Pérou de 2009, la Cour affirme clairement « sa pleine compétence pour analyser les violations de tous les droits reconnus dans la Convention américaine » (nous soulignons), Cour IDH, Acevedo Buendía et autres (“Cesantes y Jubilados de la Contraloría”) c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 1er juillet 2009, série C, n° 198, § 97. Se référant aux travaux préparatoires et à la volonté des rédacteurs de donner une valeur juridique et un caractère justiciable aux droits économiques et sociaux, elle estime qu’on ne peut déduire des obligations étatiques différentes au regard du contenu substantiel des droits protégés, en se fondant uniquement sur la place formelle de ces articles au sein de la Convention. Cette disposition est donc soumise aux obligations générales issues des articles 1 et 2 de la Convention et les droits économiques, sociaux et culturels visés à l’article 26, qui ont un véritable pouvoir normatif et sont donc justiciables, id., §§ 97-99.
  • [81]
    Cour IDH, Acevedo Buendía et autres c/ Pérou, loc. cit., § 105.
  • [82]
    Id., § 103.
  • [83]
    Id., § 101.
  • [84]
    V. par exemple l’affaire Comunidad Indígena Yakye Axa c. Paraguay dans laquelle la Cour reconnaît l’accès à l’eau, à l’alimentation, à la santé et à l’éducation comme composante du « droit de mener une vie digne » des populations autochtones, Cour IDH, Comunidad Indígena Yakye Axa c. Paraguay, fond, réparations et frais, 17 juin 2005, série C, n° 125, §§ 195-211.
  • [85]
    Cour IDH, Instituto de Reeducación del Menor c. Paraguay, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 2 septembre 2004, série C, n° 112.
  • [86]
    V., par exemple, les affaires Cour IDH, 4 juillet 2006, Ximenes Lopes c. Brésil, fond, réparations et frais, série C, n° 149 ou encore Cour IDH, Albán Cornejo et autres. c. Équateur, fond, réparations et frais, 22 novembre 2007, série C, n° 171.
  • [87]
    L. BURGORGUE-LARSEN et A. ÚBEDA DE TORRES, « Commentaire n° 17, sous l’avis Statut juridique et droits des travailleurs migrants », in L. BURGORGUE-LARSEN et A. ÚBEDA DE TORRES, Les grandes décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 479.
  • [88]
    Et ce depuis l’affaire Cour IDH, Lagos del Campo c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 31 août 2017, série C, n° 340, §§ 141–150 et 154 notamment.
  • [89]
    Cour IDH, Hernández c. Argentine, exception préliminaire, fond, réparations et frais, 22 novembre 2019, série C, n° 395.
  • [90]
    Id., § 64-67.
  • [91]
    Voir sur ce point H. TIGROUDJA, « Chronique de la jurisprudence consultative et contentieuse de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (2015-2017) », Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, n° 115, 2018, pp. 704-707.
  • [92]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 64.
  • [93]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 76-81.
  • [94]
    Ibid., § 78.
  • [95]
    Ibid.
  • [96]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 81.
  • [97]
    Ibid.
  • [98]
    Ceci est d’ailleurs régulièrement rappelé par la Cour, qui insiste dès 1999 sur “the Convention does not guarantee, as such, socio-economic rights”, Cour EDH, déc., Panĉenko c/ Lettonie, 28 octobre 1999, (40772/98), § 2. Elle se reconnaît donc incompétente ratione materiae lorsqu’une requête ne porte que sur la violation d’un droit de cette nature.
  • [99]
    C. PICHERAL, C. HUSSON-ROCHCONGAR, M. AFROUKH, « Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2017 », RDLF, 2018, chron. n° 11 (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020).
  • [100]
    Voire même de plus en plus restrictive… V. sur ce point l’analyse de Caroline PICHERAL de l’affaire Cour EDH, Gr. ch., Lopes de Sousa Fernandes c/ Portugal, 19 déc. 2017, (56080/13), id.
  • [101]
    Cour EDH, 3e section, Abdyusheva et autres c/ Russie, 26 novembre 2019, (58502/11, 62964/10 et 55683/13), § 112. Elle réitère ainsi sa position déjà affirmée dans Cour EDH, déc., Shelley c/ Royaume-Uni, 4 janvier 2008, (23800/06).
  • [102]
    Elle se fonde, pour ce faire, sur tout un ensemble de sources issues tant de l’OEA, du droit international que des droits nationaux, Cour IDH, Hernández…, loc. cit., §§ 69-82.
  • [103]
    Selon la Déclaration 1/20, en effet : « En estos momentos, especial énfasis adquiere garantizar de manera oportuna y apropiada los derechos a la vida y a la salud de todas las personas bajo la jurisdicción del Estado sin discriminación alguna, incluyendo a los adultos mayores, las personas migrantes, refugiadas y apátridas, y los miembros de las comunidades indígenas ».
  • [104]
    Cour EDH, Ch., Airey c/ Irlande, 9 octobre 1979, (6289/73), § 26.
  • [105]
    105 M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 369-371.

1

« La Cour interaméricaine des droits de l’homme, en tant qu’organe de protection des droits humains, consciente des problèmes et des défis extraordinaires auxquels les États américains, la société dans son ensemble et chaque personne et famille sont confrontés en raison de la pandémie mondiale causée par le coronavirus COVID-19, publie cette déclaration afin d’exhorter l’adoption et la mise en œuvre de mesures, dans le cadre de la stratégie et des efforts déployés par les États parties à la Convention américaine des droits de l’homme pour traiter et contenir cette situation ayant un impact sur la vie et la santé publique, se déroule dans le cadre de l’État de droit, dans le plein respect des instruments interaméricains de protection des droits humains et des normes développées dans la jurisprudence de cette Cour » [1].

2Face aux atteintes aux droits humains engendrées par la crise sanitaire et aux décisions des juridictions internes adoptées à leur suite, parfois jugées trop clémentes à l’égard des gouvernants, de nombreux auteurs en appellent au juge régional des droits humains pour les contrôler. Les réponses apportées par les Cours aux questions posées par la pandémie ne doivent cependant pas se limiter à cet aspect. Ceci ressort clairement de la déclaration 1/20 adoptée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dès le 9 avril 2020 intitulée « Covid-19 et droits humains : les problèmes et défis doivent être abordés dans une perspective de Droits Humains et respectant les obligations internationales » [2]. Les juges de San José se sont en effet très rapidement saisis des enjeux globaux posés par la crise sanitaire. Ils le font dans un premier temps via l’adoption de ce texte, qui ne trouve pas d’équivalent au niveau européen et qui exhorte les États d’agir dans le cadre de l’État de droit et conformément aux obligations issues tant de la Convention américaine que de leur propre jurisprudence. La Déclaration se décline en treize points qu’on pourrait regrouper autour des problématiques suivantes : l’appel au multilatéralisme pour faire face à la pandémie ; un rappel du cadre dans lequel les limites apportées aux droits humains pour faire face à la crise sont considérées comme licites ; l’importance du respect des droits économiques, sociaux et environnementaux et plus particulièrement du droit à la santé ; l’importance du droit à la non-discrimination ; l’importance de la protection apportée aux personnes vulnérables ; l’accès à l’information et la protection des données, notamment digitales ; l’accès à la justice et aux mécanismes de dénonciation.

3Mais l’action de la Cour interaméricaine ne se limite pas à cette déclaration. Consciente de l’ampleur des questions juridiques posées par la pandémie, elle a aussi organisé un cycle de conférences académiques pour tenter d’y répondre [3]. Un dialogue avec les autres juridictions régionales des droits humains a en parallèle été engagé, ayant donné naissance à une réunion virtuelle entre les présidents et certains juges des Cours européenne, interaméricaine et africaine des droits de l’homme dédiée à l’impact de la pandémie sur ces derniers [4]. Une autre rencontre a été organisée avec les membres du Comité des droits de l’homme des Nations Unies [5]. Enfin, une page spécialement consacrée à la pandémie a été créée sur le site internet de la Cour [6].

4Si ces efforts tranchent avec la réaction de la Cour européenne « qui s’est contentée d’adopter des mesures d’urgence pour adapter son fonctionnement à la crise du covid-19 » [7], ils invitent aussi à repenser le rôle de ces juridictions régionales face à la pandémie. À ce titre, la jurisprudence de la Cour interaméricaine pourrait inspirer le juge européen à deux égards. Son étude invite tout d’abord à plaider pour un encadrement plus poussé des limitations aux droits humains en temps de crise (II) ; elle suggère ensuite une reconsidération du principe d’égalité (II).

I – Pour un encadrement plus strict des limitations aux droits humains

5La décision de la France de ne pas activer la clause dérogatoire a fait couler beaucoup d’encre [8]. Elle a aussi actualisé la question des limitations des droits humains en temps de crise et ravivé le débat sur la nécessité et l’utilité de l’insertion de l’article 15 dans le texte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [9] (ci-après « CEDH »). Cette disposition, tout comme l’article 27 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (ci-après « CADH »), permet en effet aux États de déroger à certains droits humains en cas de crise [10], à condition, nous le verrons, que les mesures prises soient temporaires et qu’elles soient proportionnées à la menace. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le démontrer [11], la Cour interaméricaine opère un contrôle plus poussé sur la mise en œuvre de cette clause, ce sur quoi pourrait s’aligner le juge européen (A). Par ailleurs, si le juge européen n’hésite pas à analyser les atteintes aux droits en temps de crise sous l’angle des restrictions – en dehors donc du déclenchement de l’article 15 – ce n’est pas le cas du juge interaméricain. Ce retour à l’approche dite « moniste » dans le cadre du droit européen présente cependant des travers sur lesquels cette différence de positionnement des deux cours amène à réfléchir (B).

A – Pour un alignement du contrôle du juge européen sur celui de la Cour interaméricaine concernant la mise en œuvre de la clause dérogatoire

6La principale critique adressée à la jurisprudence de la Cour européenne est le caractère trop limité de son contrôle sur l’article 15 du fait de la large marge d’appréciation qu’elle laisse aux États en la matière [12]. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une affaire relative à cette disposition [13] que l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme a créé la « notion toute prétorienne de marge d’appréciation » [14], manifestation la plus directe de son caractère subsidiaire, mais signe aussi de son autolimitation [15]. Or, la Cour concède aux États une telle marge, qui plus est étendue, tant dans le cadre de la qualification des circonstances que dans celui de l’étendue des dérogations adoptées. Selon elle, en effet, « il incombe d’abord à chaque État contractant, responsable de « la vie de (sa) nation », de déterminer si un « danger public » la menace et, dans l’affirmative, jusqu’où il faut aller pour essayer de le dissiper » [16]. Elle poursuit en affirmant que, dans la mesure où les autorités nationales sont « en contact direct et constant avec les réalités pressantes du moment », elles « se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la présence de pareil danger comme sur la nature et l’étendue de dérogations nécessaires pour le conjurer » [17].

7C’est pourquoi ils peuvent bénéficier d’une telle marge, qui va cependant « de pair avec un contrôle européen », pour reprendre l’expression consacrée par la suite [18]. Les États « ne jouissent pas pour autant d’un pouvoir illimité en ce domaine » [19] et la Cour va donc pallier tout risque d’arbitraire dans la qualification des circonstances. Elle le fait aussi en vérifiant que les mesures adoptées n’ont pas « excédé la « stricte mesure » des exigences de la crise » [20], condition fixée par l’article 15. Le juge européen conserve alors le pouvoir d’apprécier la stricte proportionnalité des mesures adoptées par rapport au but poursuivi. Aussi, l’État devra « démontrer le caractère indispensable, inévitable de l’atteinte, ce qui signifie notamment que le danger ne peut être écarté par d’autres moyens moins attentatoires aux droits et libertés » [21]. Ce contrôle de proportionnalité a cependant pu faire l’objet de critiques. Dans l’affaire A. c. Royaume-Uni, par exemple, la Cour refuse de considérer que les mesures dérogatoires doivent avoir un caractère « exceptionnel et provisoire » [22]. Si la menace est persistante – et c’est le cas s’agissant de l’actuelle pandémie – elles ne sauraient donc être sanctionnées pour ce seul motif. Or, la Cour va ici clairement à l’encontre de la pratique du Comité des droits de l’homme, qu’elle cite pourtant [23], en précisant toutefois que la durée du danger invoqué « puisse entrer en ligne de compte pour la question de la proportionnalité de la riposte qui lui est apportée » [24].

8La Cour interaméricaine prend le contrepied de cette approche. Car si elle affirme que les autorités nationales doivent au premier chef évaluer si la situation exige le déclenchement de l’état d’exception dans l’ordre interne et la conformité des mesures prises au regard de la Convention [25], elle fait fi de toute référence à l’existence d’une marge d’appréciation. Elle opère, de fait, un contrôle entier sur les deux aspects – qualification des circonstances et proportionnalité des mesures adoptées – dont l’examen est d’ailleurs entremêlé [26]. Ce positionnement peut s’expliquer par le souvenir du passé dictatorial des États sud-américains. En effet, la prise de pouvoir par les militaires a été « systématiquement justifiée par la nécessité de faire face à une menace pour l’État » [27]. Le principal but poursuivi par la Cour est donc d’éviter que les États ne se saisissent de ces clauses pour en abuser. Elle affirme aussi qu’elle

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« ne peut faire abstraction des abus auxquels peuvent donner lieu et auxquels, de fait, ont donné lieu dans notre hémisphère, l’application de mesures d’exception lorsqu’elles ne sont pas strictement justifiées au regard des critères qui orientent l’article 27 » [28].

10Ce mécanisme ne saurait en outre ni comporter « la suspension temporaire de l’État de droit » ni « autoriser les gouvernants à agir en marge de la légalité, à laquelle ils doivent à tout moment se soumettre » [29].

11Or, lorsqu’on s’attarde sur la motivation de son homologue européen, on constate que la nécessaire sauvegarde de l’ordre public – face aux « menaces » dont subirait « la vie de la nation » et dont les États sont les garants – ressort comme préoccupation première. La différence de contrôle qui en découle implique une certaine rétrocession d’un pouvoir à l’État dont il pourra, par conséquent, potentiellement abuser, et ce, légalement puisque fondé sur l’article 15 de la Convention. Poussant cette logique jusqu’à son terme, le caractère conventionnel de la dérogation pourrait même devenir un élément de légitimation de plus, le juge devenant ainsi le complice d’une telle déviance. Sans pouvoir tout de même aller jusque-là s’agissant de la jurisprudence européenne, on est à même de saisir les risques que peut présenter un contrôle trop timoré.

12C’est sans doute la raison pour laquelle un grand nombre d’auteurs préconise l’absence d’activation de l’article 15 de la Convention dans le cadre de la crise sanitaire [30]. L’objectif initial d’encadrement des pouvoirs de l’État porté par l’approche dualiste des pouvoirs de crise est, en raison de ce contrôle si peu intense, mis à mal. Si cet encadrement existe, il n’est que minimal et tranche avec celui préconisé par la Cour interaméricaine. Il est même totalement détourné dans d’autres affaires dans lesquelles les États adoptent des mesures exceptionnelles, mais sans que l’article 15 ne soit enclenché.

B – Pour un refus du retour à l’approche moniste en dehors du déclenchement de la clause dérogatoire

13Les articles 15 de la CEDH et 27 de la CADH s’inscrivent dans ce qu’on appeler l’approche dualiste des pouvoirs de crise [31]. Selon ses tenants, il serait nécessaire de prévoir un encadrement de ces derniers en vue de renforcer l’État de droit. Plusieurs de ses manifestations principales seraient ainsi sauvegardées : « la sécurité juridique (connaissance des normes applicables par leurs destinataires), la limitation du pouvoir (hétérolimitation de l’exercice du pouvoir) et la garantie des droits et libertés » [32]. Elle s’oppose à une seconde approche, dite moniste, selon laquelle l’institutionnalisation d’une distinction entre période exceptionnelle et période normale dans le champ juridique est inutile [33], voire impossible [34]. Si la sauvegarde de l’ordre public impose que des mesures exceptionnelles soient adoptées, l’ordre juridique : fera soit l’objet d’une suspension, soit s’autorégulera, s’accommodera de violations ponctuelles du droit qui seront – ou non – par la suite sanctionnées en fonction de leur légitimité.

14La décision d’insérer ces clauses dans les textes européen et américain a fait l’objet de nombreux débats entre leurs rédacteurs – y compris d’ailleurs entre ceux du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui n’ont pas été sans influencer ces premiers [35]. C’est finalement un compromis entre ces deux écoles qui l’emportera. Il passe par la reconnaissance de telles clauses qui renvoient néanmoins à une liste d’articles ou de principes auxquels aucune dérogation ne saurait être admise. Sorte d’« exception à l’exception » [36], elles permettent de contenter les tenants des deux approches : les États ne peuvent se soustraire que partiellement à leurs obligations conventionnelles (seuls les droits dérogeables sont concernés). Il faut cependant garder à l’esprit que l’

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« intérêt du mécanisme institué par les clauses de dérogation ne peut être assuré que si celui-ci constitue le seul moyen pour l’État d’exercer des ingérences aggravées dans les droits et libertés conventionnellement garantis » [37].

16Or, il apparaît que de telles ingérences sont possibles en dehors du déclenchement de l’article 15 de la Convention de Rome.

17Pour le comprendre, il faut rappeler que ces clauses posent une obligation de notification, au Secrétaire général du Conseil de l’Europe d’un côté et de l’OEA de l’autre, de son exercice ce droit de dérogation. En dehors d’un tel acte, deux solutions s’offrent alors à l’organe de contrôle : soit il accepte d’examiner tout de même l’affaire sous l’angle de la clause dérogatoire en qualifiant la mesure attentatoire aux droits protégés de dérogation, soit il le refuse et la considère comme une restriction. De ce point de vue, si la Cour interaméricaine opte pour la première option [38], il en va différemment de la Cour européenne. A priori, celle-ci serait donc plus protectrice dans la mesure où le régime juridique attaché aux dérogations autorise des atteintes plus importantes aux droits que celui attaché aux restrictions. C’est d’ailleurs l’argument avancé par une partie de la doctrine française à ce sujet [39].

18Néanmoins, l’étude de la jurisprudence européenne en la matière démontre que l’existence même de circonstances exceptionnelles implique un contrôle moins approfondi sur ce type de restrictions, adoptées en temps de crise et qui ne seraient donc pas des restrictions ordinaires. Dans la mesure où elles ont pour objet de répondre à ces circonstances, ces dernières ne peuvent être ignorées ni placées au second plan [40]. Les juges de Strasbourg acceptent aussi de prendre en considération le « cadre général de l’affaire » [41] lorsqu’ils opèrent leur test de compatibilité conventionnelle et d’être, par conséquent, plus indulgents vis-à-vis des États [42]. Si cette critique [43] nous paraît légitime, précisons toutefois que le contrôle du juge reste plus poussé que dans le cadre d’une dérogation, qui n’est pas soumise à l’examen des critères de légalité et de nécessité dans une société démocratique notamment. Cette interprétation de la Cour permet certes aux États de commettre des « ingérences aggravées », pour reprendre l’expression de Vincent Souty [44], voire d’instituer de nouvelles exceptions aux droits consacrés [45], mais elle ne sauraient être à la hauteur des dérogations [46].

19L’intérêt de ces différences de qualification nous parait alors moins résider dans l’intensité du contrôle du juge international que dans le risque de « contamination progressive de la normalité par l’exception » [47]. Car permettre aux États de commettre des restrictions aggravées aux droits conventionnels sur le fondement du droit commun alors que le texte conventionnel prévoit un régime d’exception, aboutit à un décalage certain avec la réalité [48], brouillant la frontière entre régime de droit commun et état d’exception. Par ailleurs, et comme l’affirme fort bien la Cour interaméricaine dans sa déclaration 1/20, « les problèmes et défis extraordinaires que génère la présente pandémie doivent être abordés au travers du dialogue et de la coopération internationale et régionale conjointe, solidaire et transparente entre tous les États ». Or, l’objet même des conditions formelles figurant aux § 3 des articles 15 de la CEDH et 27 de la CADH, imposant aux États d’indiquer à la fois aux États membres du Conseil de l’Europe et de l’OEA quelles mesures sont adoptées et les raisons pour lesquelles elle le sont, est de permettre non seulement cette transparence, mais aussi ce dialogue nécessaire à la mise en place d’une certaine « « veille sanitaire » au chevet des droits mis à mal » [49]. Enfin, ces dispositions prévoient que l’État concerné doive aussi signaler la date à laquelle l’exercice de ce droit de dérogation prend fin. Or, « il est sans aucun doute plus difficile d’opter pour la prolongation lorsqu’on doit le signaler aux autres États […] que quand on y procède, plus discrètement, dans son seul ordre interne » [50]. C’est pourquoi cette requalification de la restriction en dérogation effectuée par la Cour interaméricaine invite à réfléchir sur ces risques.

20Mais l’analyse de la jurisprudence de la Cour interaméricaine dans une perspective comparée avec celle de la Cour européenne invite aussi à repenser la portée octroyée au principe d’égalité, bien moindre qu’outre atlantique du fait de l’attachement de cette dernière à la philosophie libérale. Or, les enjeux liés à la pandémie montrent avec acuité la nécessité de dépasser cette vision en raison de l’existence d’une « communauté de destin pour l’humanité » [51].

II – Pour un renfort de la protection de l’égalité réelle

21Comme le constate très justement le Professeur William Marx, « Les pandémies […] ont ceci de particulier qu’elles font de la collectivité humaine leur victime. Elles atteignent l’Homme dans sa capacité à faire société ; elles révèlent sa nature d’animal social […] » [52]. La personne humaine ne peut, dans ce contexte, être réduite à l’individu abstrait du siècle des Lumières. C’est la raison pour laquelle une revalorisation de l’égalité réelle, dite encore substantielle, nous semble être une des voies ouvertes par la jurisprudence de la Cour interaméricaine, permettant de pallier aux principaux défis soulevés par la crise sanitaire. Elle aboutit en effet à un renfort de la protection des personnes dites vulnérables (A), mais aussi à une revalorisation des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux – ci-après les « DESCE » [53] – et en particulier du droit à la santé (B).

A – Pour le renfort de la protection des personnes ou groupes vulnérables au nom de la Dignité

22La Cour interaméricaine adopte une vision plus sociale des droits et libertés. Cela s’explique directement par le concept philosophique qu’elle place à leur fondement : la dignité humaine attachée à l’être humain, entendu dans son sens générique. La dignité lui est reconnue en raison de son appartenance à l’Humanité, qui devient son véritable dépositaire [54]. Dès sa première décision portant sur le fond, elle affirme en effet que « l’exercice de la fonction publique a des limites qui découlent du fait que les droits de l’homme soient des attributs inhérents à la dignité humaine et, par conséquent, supérieurs au pouvoir de l’État » [55]. La Dignité est ici opposée au pouvoir de l’État comme l’était la Liberté dans les déclarations occidentales du XVIIIe siècle. Elle fonde directement les droits humains – attributs de la personne humaine et qui sont inhérents à sa Dignité – et limite aussi la puissance étatique. Il s’agit là d’un présupposé puisque, selon la Cour, « le fait que toute personne ait des attributs inviolables et inhérents à sa dignité humaine est indiscutable » [56]. La liberté n’est, quant à elle, et contrairement à ce que considère le juge européen [57], pas entendue en tant que concept au fondement des droits : il s’agit d’un simple « droit humain » [58] auquel la Cour reconnaît néanmoins une nature particulière [59]. Il faut en effet rappeler que, dans cette optique, la Dignité ne s’oppose pas à la Liberté ; mais en tant qu’unique « socle sur lequel est construite la philosophie des droits de l’homme, et, partant, le droit des droits de l’homme » [60], elle la fonde et peut l’encadrer.

23Il en va différemment de l’Égalité. Dans son quatrième avis consultatif, la Cour souligne que « la notion d’égalité découle directement de l’unité du genre humain et est inséparable de la dignité essentielle de la personne avec laquelle toute situation [discriminatoire] est incompatible » [61]. Or, dans la mesure où elle est « inséparable » de la Dignité, l’Égalité en est l’expression même. La différence entre les deux concepts est alors très ténue. En consacrant la Dignité comme fondement, les juges partent du postulat initial que tout homme, parce qu’il est homme, mérite respect. C’est pour respecter cette essence humaine que les droits sont reconnus. L’Égalité est quant à elle supposée dans cette appartenance au genre humain (c’est parce que toute personne appartient au genre humain qu’elle est égale à toute autre) et en est donc l’expression la plus fondamentale [62]. Les autres droits, dont la liberté, en découlent ensuite. On comprend alors la position de la Cour qui reconnaît la valeur de jus cogens attachée au principe d’égalité et de non-discrimination [63]. C’est parce que l’Égalité est l’expression même de la Dignité de la personne humaine, qui elle-même limite le pouvoir de l’État, que le principe d’égalité devient la base de tout ordonnancement juridique.

24C’est pourquoi la Cour octroie une portée très étendue à ce principe. Elle reconnaît tout d’abord l’existence de discriminations indirectes à l’égard de certains groupes vulnérables et ceci depuis beaucoup plus longtemps et de manière beaucoup plus systématique que ne le fait la Cour européenne [64]. Elle estime aussi que des discriminations positives doivent pouvoir leur bénéficier puisque ces groupes de personnes se trouvent en situation défavorable vis-à-vis des autres, et donc en position de vulnérabilité [65]. Enfin, elle n’hésite pas à reconnaître des droits à des groupes vulnérables méritant un égal respect [66]. La vulnérabilité occupe donc une place essentielle dans sa jurisprudence [67] et devient une condition objective d’une personne, en tant que membre d’un groupe qualifié comme tel, étant lui-même le produit d’une relation déséquilibrée vis-à-vis des autres groupes qui composent la société.

25Cette vision sociale des droits humains explique l’insistance de la Cour sur cette notion de vulnérabilité, y compris dans sa déclaration 1/20, qui ne relève donc pas, selon nous, d’une quelconque audace. Si elle peut en effet apparaître « audacieuse » [68], ce n’est qu’au regard de la conception occidentale des droits humains, qui prend sa source dans la philosophie libérale. Cette conception explique par ailleurs les réticences de la doctrine occidentale face à l’utilisation de la Cour européenne des concepts de « Dignité » mais aussi de « vulnérabilité ». Elle ferait en effet apparaître des « risques », très bien identifiés et résumés par Caroline Boiteux-Picheral, comme étant ceux de la différenciation, de l’essentialisation et du paternalisme [69] et relevés par la doctrine occidentale en raison de son attachement, tout comme le juge européen, à la Liberté.

26Car, si la Cour européenne des droits de l’homme fonde bien les droits conventionnellement protégés sur la Dignité, la Liberté est consacrée comme second fondement et mise sur un même pied d’égalité que ce premier [70]. Le concept de Dignité est donc bel et bien repris par les juges de Strasbourg mais fait l’objet d’une lecture libérale (et non plus sociale comme c’est le cas au niveau interaméricain). Il est non plus attaché à l’Humanité, mais au « concept unitaire de personne » [71]. Or, comme l’a très bien démontré Xavier Bioy, le titulaire des droits reste le « sujet libéral », qui certes diffère de celui pris en compte par la philosophie des Lumières en raison de son caractère « situé » [72], mais qui suppose de respecter sa Liberté.

27Sans pour autant inviter les juges européens à un changement total de paradigme, il nous semble cependant qu’une meilleure prise en compte de l’égalité réelle serait possible – et souhaitable – au regard des conséquences dramatiques des mesures adoptées pour faire face à la pandémie (à commencer par le confinement) pour les personnes vulnérables. On peut citer les personnes âgées, détenues, en séjour irrégulier, sans domicile, mais aussi les enfants ou les femmes victimes de violences domestiques ou sexuelles. La crise sanitaire ne fait ici que révéler, tout en l’aggravant, l’ineffectivité de leurs droits.

28Pour faire face à cette ineffectivité, la Cour européenne se saisit certes du concept de vulnérabilité [73] mais elle est cependant loin de lui attribuer les mêmes effets qu’en droit de la CADH [74]. Ceci s’explique à notre sens par sa crainte que les risques précédemment cités se réalisent. Or, ils pourraient être facilement écartés grâce à la mobilisation d’un autre principe : celui de la préservation de l’autonomie personnelle. L’étude de la jurisprudence de la Cour interaméricaine est à cet égard très instructive, car c’est dans sa décision Ximenes Lopes c. Brésil[75], qui consacre son dictum relatif à la vulnérabilité, que la Cour se réfère pour la première fois à ce concept [76] – quant à lui très présent dans la jurisprudence européenne [77]. Aussi peut-on y voir une tentative de mettre en place une garantie contre ces dérives potentielles. Elle passerait par la recherche d’un juste équilibre entre garantie de l’Égalité (via la reconnaissance de la vulnérabilité) et de la Liberté (via la reconnaissance de l’autonomie personnelle).

29Dans la mesure où, cependant, il revient au juge de placer le curseur sur l’un ou l’autre des deux concepts, elle est nécessairement soumise à critique. C’est pourquoi l’« angle d’analyse » proposé par Laurence Burgorgue-Larsen « consistant à plus et mieux valoriser les contextes de vulnérabilité plutôt que les personnes et/ ou les groupes vulnérables » [78], nous paraît particulièrement pertinent. Il nécessite cependant une ouverture du droit à ce dont il est le produit – la société – et à une remise en cause du positivisme juridique, là encore bien ancré dans la pensée occidentale. C’est sans doute ce qui explique que la Cour européenne fasse si peu souvent référence au contexte, contrairement à la Cour interaméricaine [79], qui pourrait donc ici servir de modèle. Il en va de même s’agissant de la promotion des DESCE.

B – Pour un renfort de la protection des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, et en particulier du droit à la santé

30À la différence de la CEDH, le Pacte de San José contient une disposition – l’article 26 – qui consacre le « développement progressif des droits économiques sociaux et culturels ». Sa rédaction (seul le « développement progressif » de ces droits est visé) et sa place dans l’économie générale de la Convention (l’article 26 est l’unique article d’un chapitre III consacré aux droits économiques, sociaux et culturels, lui-même inséré dans une partie I consacrée aux « obligations des États et des droits protégés ») en font cependant une disposition ambiguë. Elles pourraient laisser entendre qu’il existe une différence de nature entre ces deux types de droits, voire que ces droits ne sont pas justiciables. Tout en refusant ce dernier aspect [80], la Cour avait néanmoins, dans un premier temps, affirmé le premier. Elle le justifiait par le fait que l’article 26 n’imposait aux États qu’un devoir de « non-régression » présenté comme étant le corollaire de la progressivité [81]. Aussi, cette disposition n’était considérée comme violée que si une norme de droit interne consacrant un droit économique, social ou culturel présentait un caractère régressif vis-à-vis de l’état du droit antérieur [82]. Par conséquent, même si la Cour ne fait pas explicitement référence au caractère collectif de ces droits, c’est uniquement ce volet qu’elle protégeait en se fondant sur l’article 26.

31Pour dénoncer le non-respect d’un droit individuel, en revanche, qu’il soit économique, social, culturel ou non, les victimes devaient se baser sur ceux consacrés dans le Chapitre 2 intitulé « Des Droits Civils et Politiques », ayant « des prolongements économiques et sociaux » [83]. La jurisprudence de la Cour relative aux groupes, qu’elle identifie de « vulnérables » selon les principes précédemment évoqués est, à ce titre, remarquable. Elle accepte en effet de consacrer des droits économiques, sociaux, culturels et même environnementaux au profit de ces personnes, qu’il s’agisse des populations autochtones, des enfants ou encore des personnes malades par exemple. S’agissant de ces premières, elle affirme très tôt que l’État puisse se rendre responsable d’atteintes de leur droit à la vie lorsqu’elle constate des carences dans leurs ressources alimentaires, l’absence d’accès à l’eau propre ou potable, l’insuffisance de l’assistance médicale, ou encore en raison d’un manque d’accès à l’éducation [84]. Concernant les enfants, elle affirme que leurs droits à l’éducation et à la santé font partie intégrante de leur droit à la vie et à l’intégrité personnelle dès 2004 [85]. Elle estime, enfin, que ces mêmes articles comprennent une obligation pour les États d’apporter des soins aux personnes malades [86]. C’est pourquoi la doctrine a pu relever l’existence d’un véritable « paradoxe » puisque, « bien que la Convention dispose d’une clause expresse consacrée aux droits économiques et sociaux, leur justiciabilité [était] mieux assurée au travers des droits civils et politiques » [87].

32La jurisprudence de la Cour a cependant fait l’objet d’une évolution notable. Depuis 2017, en effet, une vision globale des violations des droits humains soumises à son analyse est promue par la Cour au travers d’une nouvelle lecture de l’article 26 [88], reprise à l’égard du droit à la santé en 2019 dans l’affaire Hernández c. Argentine[89]. Selon cette nouvelle méthodologie, la Cour commence par affirmer que ce droit est « autonome et justiciable » [90]. Il faut ici préciser que le droit à la santé avait déjà été reconnu dans plusieurs affaires antérieures, mais comme découlant de droits civils et politiques tels que le droit à la vie ou à l’intégrité [91]. L’affaire Hernández c. Argentine innove sur ce point puisqu’elle accepte de reconnaître qu’il a été directement violé en se fondant sur l’article 26 [92]. Selon elle, l’État a le devoir d’assurer l’accès aux services de santé essentiels, garantissant des soins médicaux de qualité efficaces, mais aussi de promouvoir l’amélioration des conditions de santé de sa population [93]. Le droit à la santé se traduit en outre par « le droit de toute personne de jouir du plus haut niveau de bien-être physique, mental et social » et il suppose que soient prodigués les soins « opportuns et appropriés conformément aux principes de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité » [94]. Enfin, l’État doit « accorder une attention particulière aux groupes vulnérables et marginalisés » [95].

33La Cour revient enfin sur le caractère progressif des DESCE tel qu’il est mentionné dans l’article 26 et réaffirme que « la nature et la portée des obligations qui [en] découlent » peuvent, par certains aspects, requérir « une exigibilité immédiate », et par d’autres, « un caractère progressif » [96]. En vertu des premières, les États doivent « adopter des mesures efficaces en vue de garantir l’accès sans discrimination » à ces droits et, « d’une manière générale, progresser vers la pleine efficacité de DESCE » ; en vertu des secondes, ils

34

« ont l’obligation concrète et constante de progresser aussi rapidement et efficacement que possible vers la pleine efficacité dudit droit, dans la mesure de leurs ressources disponibles, par le biais de la législation ou d’autres moyens appropriés » [97].

35La Cour rappelle enfin le devoir de non-régression qui découle de l’article 26 tout en soulignant l’importance des articles 1.1 et 2 de la Convention pour parvenir à ces fins. Elle procède alors à une relecture complète de cette première disposition, induisant des obligations beaucoup plus importantes à la charge des États.

36Cette jurisprudence et cette dernière évolution tranchent radicalement avec l’approche de la Cour européenne. Il faut ici rappeler que celle-ci ne peut pas, quant à elle, se fonder sur une disposition conventionnelle consacrant explicitement les DESCE [98]. Sa jurisprudence en la matière est en outre assez frileuse. Car, même si « un droit à des soins de santé a […] pu émerger par « ricochet » dans le droit de la Convention, à travers les obligations positives de protection qui incombent aux États au titre des articles 2, 3 ou 8 » [99], sa lecture reste très restrictive [100]. La Cour européenne réaffirme en sus avec force, en 2019, que « les questions de santé publique relèvent d’une ample marge d’appréciation des autorités internes, qui sont les mieux placées pour apprécier les priorités, l’utilisation des ressources disponibles et les besoins de la société » [101]. Là où la Cour interaméricaine s’affaire à détailler le contenu de ce droit et s’assure que les États lui donnent une pleine effectivité [102], le juge européen s’en remet à la discrétion de chacun d’entre eux en la matière.

37Comme le souligne la Cour interaméricaine, l’actualité montre cependant que l’accent doit être mis sur les DESCE et plus particulièrement sur ce droit à la santé [103]. La pandémie invite donc à repenser la portée du caractère indivisible des droits civils et politiques d’un côté et des DESCE de l’autre, pourtant affirmée depuis longtemps par les juges de Strasbourg [104]. Car, malgré l’absence de clause protégeant ces seconds dans le texte conventionnel, l’empêchant certainement d’aller aussi loin que sa consœur américaine en la matière, une lecture trop libérale des droits humains freine nécessairement leur reconnaissance en tant que prolongement de ces premiers [105]. Il en découle une atteinte accrue aux droits des personnes vulnérables, précisément les plus touchées par les conséquences de la pandémie. Cette dernière permet alors de saisir les limites de l’humanisme porté par la Cour européenne et le recours au droit comparé de trouver des éléments de réponse pour y faire face.


Date de mise en ligne : 04/01/2021

https://doi.org/10.3917/civit.045.0165

Notes

  • [1]
    Cour IDH, COVID-19 y Derechos Humanos : Los problemas y desafíos deben ser abordados con perspectiva de Derechos Humanos y respetando las obligaciones internacionales, Déclaration 1/20, 9 avril 2020, San José, Costa Rica (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/declaracion.html, consulté le 28/10/2020), ci-après la « Déclaration 1/20 ». L’auteure précise ici que, sauf mention contraire, les traductions sont les siennes.
  • [2]
    Id.
  • [3]
    Ce cycle de conférences traite de tout un ensemble de sujets en relation directe avec la pandémie, tels que son impact sur les personnes privées de liberté, sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants, sur les limitations aux droits humains, sur les droits économiques et sociaux, sur les groupes en situation de vulnérabilité ou encore sur la notion d’État de droit. Ces conférences sont retransmises en direct et peuvent être visionnées en différé sur la page suivante (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/ciclo.html, consulté le 28/10/2020).
  • [4]
    Ce Dialogue s’est tenu le 13 juillet 2020 et peut être visionné en espagnol (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/ciclo.html, consulté le 28/10/2020), et en français et en anglais (https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=court/dialoguecourts/regionalcourts, consulté le 28/10/2020).
  • [5]
    Cette réunion s’est tenue le 26 octobre 2020 et sera retransmise sur le site internet de la Cour.
  • [6]
    (https://www.corteidh.or.cr/tablas/centro-covid/index.html, consulté le 28/10/2020). Si on ne retrouve pas d’équivalent sur le site internet de la Cour européenne, on peut tout de même signaler que la Direction générale Droits de l’Homme et État de droit du Conseil de l’Europe a fait de même, (https://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/covid19, consulté le 28/10/2020).
  • [7]
    M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation : les réponses du droit international des droits de l’homme », RDLF, 2020, chron. n°40, (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020).
  • [8]
    V., entre autres (et par ordre chronologique), les billets de blog suivants : F. SUDRE, « La mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », 20 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; F. SUDRE, « La Convention EDH face au Covid-19 : dépasser les apparences », 27 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020) ; T. RENOUX et M. GUDZENKO, « Pas de mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », 24 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com consulté le 28/10/2020) ; J.-P. COSTA, « Le recours à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme », 27 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020). V. aussi M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation : les réponses du droit international des droits de l’homme », RDLF, 2020, chron. n°40 (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020) ; G. GONZALEZ, « L’article 15 de la Convention européenne à l’épreuve du Covid19 ou l’ombre d’un doute », RDLF, 2020, chron. n° 43, (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020) et de C. LE BRIS, « Du juste équilibre : les limitations aux droits de l’homme en période de crise sanitaire (Première partie) », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 31 octobre 2020 (http://journals.openedition.org/revdh/10551, consulté le 04/11/2020).
  • [9]
    Sur les origines de cette clause et de son équivalent interaméricain, voir M. ROTA, « Les régimes dérogatoires en droit international des droits et libertés : approche comparée (Comité, Cour européenne et Cour interaméricaine des droits de l’homme) », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n° 17, 2019, pp. 191-199.
  • [10]
    Les deux dispositions contiennent en effet une liste d’articles ou de principes auxquels aucune dérogation ne saurait être admise.
  • [11]
    M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit.
  • [12]
    Pour une analyse détaillée du contrôle opéré par la Cour, voir A. PETROPOULOU, Liberté et sécurité : les mesures antiterroristes et la Cour europénne des droits de l’homme, Pedone, 2014, 574 pages.
  • [13]
    Commission EDH, Grèce c/ Royaume-Uni, 26 septembre 1958, (76/56).
  • [14]
    F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, Puf, 2012, p. 231. Pour une citrique de ce caractère prétorien, se reporter à J. GARCÍA ROCA, « La muy discrecional doctrina del margen de apreciación nacional según el Tribunal Europeo de los Derechos Humanos », Teoría y Realidad Constitucional, UNED, n° 20, 2007, pp. 117-143.
  • [15]
    Comme le constatent les professeures Mireille Delmas-Marty et Marie-Laure Izorche, cette « marge concédée par le juge lui-même [est] une sorte d’autolimitation de ses propres pouvoirs normatifs », M. DELMAS-MARTY et M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, vol. 52, n° 4, 2000, p. 754. C’est sans doute pourquoi la Cour interaméricaine refuse de la consacrer de manière explicite. Notons toutefois que même si l’expression n’est volontairement pas employée, la Cour consacre tout de même, selon nous, une telle marge aux États dans certains domaines (M. ROTA, L’interprétation des Conventions américaine et européenne des droits de l’homme. Analyse comparée de la jurisprudence des cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 2018, pp. 265-277).
  • [16]
    Cour EDH, Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978, (5310/71), § 207.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Cour EDH, Cour Pl., Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, (5493/72), § 49.
  • [19]
    Cour EDH, Irlande c/ Royaume-Uni, loc. cit., § 207.
  • [20]
    Ibid.
  • [21]
    F. TULKENS, « Dérogations », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P. MARGUÉNAUD, S. RIALS et F. SUDRE (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, Puf, 2008, pp. 267-271, spécialement p. 269. Dans ce cadre, le juge doit « attacher le poids qui convient à des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé », Cour EDH, Gr. Ch., A. c/ Royaume-Uni, 19 février 2009, (3455/05), § 173.
  • [22]
    Id., § 178.
  • [23]
    Id., § 109. Selon le Comité, en effet, « Les mesures dérogeant aux dispositions du pacte doivent avoir un caractère exceptionnel et provisoire », CDH, Observation générale n° 29, États d’urgence (art. 4), 31 août 2001, CPR/C/21/Rev.1/Add.11, § 2.
  • [24]
    Cour EDH, Gr. Ch., A. c/ Royaume-Uni, 19 février 2009, (3455/05), § 178.
  • [25]
    Cour IDH, J. c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens, 27 novembre 2013, série C n° 275, § 137.
  • [26]
    Id., §§ 137-147.
  • [27]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation des pouvoirs de crise – Essai de droit comparé, thèse dactylographiée, Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, 2015, p. 47.
  • [28]
    Cour IDH, El Hábeas Corpus Bajo Suspensión de Garantías (arts. 27.2, 25.1 y 7.6 Convención Americana sobre Derechos Humanos), opinion consultative n° OC-8/87, 30 janvier 1987, série A, n° 8, § 20.
  • [29]
    Id., § 24, repris au contentieux, Cour IDH, J. c/ Pérou, loc. cit., § 125.
  • [30]
    C’est le cas par exemple de S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020).
  • [31]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., pp. 52-72.
  • [32]
    Id., p. 69.
  • [33]
    Comme l’explique bien Vincent Souty, en imposant aux gouvernants le cadre constitutionnel normal en période de crise, ces derniers auront conscience de le violer pour y faire face et d’encourir une sanction potentielle. Ils ne l’enfreindront, de fait, qu’avec une extrême prudence. Le but visé est donc d’« éviter l’usage arbitraire de pouvoirs de crise » en posant « une présomption de non-légitimité, réfragable, de la nécessité [d’y] recourir », id., p. 55.
  • [34]
    Formant le constat que le droit est inapte à encadrer l’exception, plusieurs auteurs considèrent que cette question : soit ressort du domaine politique (id., pp. 56-60), soit constitue un droit naturel de l’État (id., pp. 60-62), soit, enfin, est inhérente à tout texte constitutionnel, pouvant par essence être interprété de façon à sauvegarder l’existence de l’État (id., pp. 62-67).
  • [35]
    M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit. ; v. aussi J. REYNOLDS, “The Long Shadow of Colonialism : The Origins of the Doctrine of Emergency in International Human Rights Law”, Comparative Research in Law & Political Economy, Research Paper n°19, Osgoode Hall Law School, Toronto, 2010, pp. 2-50.
  • [36]
    V. SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., p. 108.
  • [37]
    V. SOUTY, « Les dérogations en cas de circonstances exceptionnelles : un régime en demi-teinte », Rev. trim. dr. h., n° 109/2017, p. 102.
  • [38]
    Dans l’affaire J. c/ Pérou, bien que la Cour constate que l’État n’ait pas procédé à une telle notification (Cour IDH, J. c/ Pérou, loc. cit., § 124), elle accepte de qualifier les mesures en cause de dérogations au regard de l’enclenchement, au niveau interne, des pouvoirs de crise, id., §§ 137-147.
  • [39]
    V., entre autres, S. TOUZÉ, « La restriction vaudra toujours mieux que la dérogation… », 22 avril 2020 (https://www.leclubdesjuristes.com, consulté le 28/10/2020).
  • [40]
    Même s’il le critique, Vincent Souty reconnaît qu’« il apparaît difficilement réaliste de demander au juge de trancher un litige sans tenir compte du contexte dans lequel il se déroule, d’autant plus lorsqu’un tel litige s’inscrit dans le cadre d’une situation de crise », V. SOUTY, « Les dérogations… », loc. cit., p. 102.
  • [41]
    Cour EDH, Cour Pl., Brogan et autres c/ Royaume-Uni, 29 novembre 1988, (11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85), § 48.
  • [42]
    Voir sur ce point l’analyse de Vincent SOUTY, La constitutionnalisation…, op. cit., pp. 115-120.
  • [43]
    Ibid., voir aussi, du même auteur, « Les dérogations… », loc. cit., pp. 102-105.
  • [44]
    Id., p. 102.
  • [45]
    Ce fut le cas dans l’affaire Hassan c/Royaume-Uni, par exemple, dans laquelle la Cour institue une nouvelle exception au principe selon lequel « Nul ne peut être privé de sa liberté », qu’elle ajoute au texte de la Convention en se fondant sur une interprétation de l’article 5 au regard « du contexte et des règles du droit international humanitaire », Cour EDH, Gr. Ch., Hassan c/ Royaume-Uni, 16 septembre 2014, (29750/09), § 103. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner (M. ROTA, « Les régimes dérogatoires… », loc. cit., p. 199), le contrôle du juge sur une exception est plus complet que sur une dérogation. Véritable contrôle de conformité, il porte aussi sur le respect des garanties figurant aux paragraphes 3 à 5 de l’article 5. Dans le cadre d’une dérogation, qui, par essence, s’applique à cette disposition dans son ensemble, il n’est pas certain que le juge admette se livrer à un tel contrôle, et pour cause : les garanties offertes par ces paragraphes ne bénéficient pas d’un caractère indérogeable.
  • [46]
    C’est d’ailleurs pourquoi la Cour aboutit à des solutions différentes dans les affaires Brogan et Brannigan et Mc Bride, alors qu’elles sont quasiment identiques, le Royaume-Uni ayant activé l’article 15 dans la première et pas dans la seconde (Cour EDH, Cour Pl., Brogan et autres c/ Royaume-Uni, 29 novembre 1988, (11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85) et Cour EDH, Cour Pl., Brannigan et Mc Bride c/ Royaume-Uni, 26 mai 1993, (14553/89 14554/89)). V. à ce sujet M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation… », loc. cit.
  • [47]
    V. SOUTY, « Les dérogations… », loc. cit., p. 106.
  • [48]
    C’est au même constat que parvient Catherine Le Bris, lorsqu’elle constate qu’« une distorsion importante entre la situation interne - à savoir celle d’un état d’urgence, qui conduit, notamment, à assigner à domicile une population - et la situation internationale - celle d’une application « normale » des conventions de droits de l’homme – pourrait être tendancieuse », C. LE BRIS, « Du juste équilibre… », loc. cit., § 30.
  • [49]
    G. GONZALEZ, « L’article 15… », loc. cit.
  • [50]
    C. LE BRIS, « Du juste équilibre… », loc. cit., § 33.
  • [51]
    M. DELMAS-MARTY, Sortir du pot au noir. L’Humanisme juridique comme boussole, Paris, Buchet/Chastel, 2019, p. 7.
  • [52]
    W. MARX, « Ce que la littérature nous apprend de l’épidémie », Une boussole pour l’après, livre numérique, Humensis, 2020, pp. 111-112.
  • [53]
    Ci-après « DESCE ». Notons que le qualificatif « environnementaux » est ajouté de manière prétorienne par la Cour, notamment depuis son avis Cour IDH, Medio ambiente y derechos humanos (obligaciones estatales en relación con el medio ambiente en el marco de la protección y garantía de los derechos a la vida y a la integridad personal - interpretación y alcance de los artículos 4.1 y 5.1, en relación con los artículos 1.1 y 2 de la Convención Americana sobre Derechos Humanos), opinion consultative n° OC-23/17, 15 novembre 2017, série A, n° 23. Sur ce point voir, inter alia, L. BURGORGUE-LARSEN, « Environnement et droits de l’homme : de l’audace du juge interaméricain des droits de l’homme », Énergie - Environnement - Infrastructures, n° 6, juin 2018, pp. 53-55.
  • [54]
    M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 356-357.
  • [55]
    Cour IDH, Velásquez Rodríguez c/ Honduras, fond, 29 juillet 1988, série C, n° 4, § 165.
  • [56]
    Cour IDH, Condición Jurídica y Derechos de los Migrantes Indocumentados, opinion consultative n° OC-18/03, 17 septembre 2003, série A, n° 18, § 73. Voir à ce sujet H. NOGUEIRA ALCALÁ, « Los derechos esenciales o humanos contenidos en los Tratados Internacionales y su ubicación en el ordenamiento jurídico nacional : Doctrina y jurisprudencia », Ius et Praxis, 2003, vol. 9, n° 1, pp. 403-466. Voir également W. G. DI LORENZO, « Abertura da constituição », Direito e Justiça, année 23, vol. 24, n° 2, 2001, pp. 171-200 ; H. ALVES DA FROTA, « O princípio da dignidade da pessoa humana à luz do direito constitucional comparado e do direito internacional dos direitos humanos », Revista Latinoamericana de Derecho, année 2, n° 4, 2005, pp. 1-26.
  • [57]
    Pour la Cour européenne, nous le rappelons, « l’essence même [de la Convention] est le respect de la dignité et de la liberté humaines », Cour EDH, S.W. c/ Royaume-Uni, loc. cit., § 44. Sur ce point, v. M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 368-369.
  • [58]
    Cour IDH, Chaparro Álvarez et Lapo Íñiguez. c/ Équateur, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 21 novembre 2007, série C, n° 170, § 52.
  • [59]
    C’est en effet, selon elle, « un droit de l’homme de base, caractéristique des attributs de la personne, qui se projette dans toute la Convention », ibid.
  • [60]
    B. MATHIEU, « Pour une reconnaissance des « principes matriciels » en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », Dalloz, n° 27, 1995, p. 211.
  • [61]
    Cour IDH, Propuesta de Modificación a la Constitución Política de Costa Rica Relacionada con la Naturalización, opinion consultative n° OC-4/84, 19 janvier 1984, série A, n° 4, § 55. Elle en déduit dès lors que le principe « d’égalité et de non-discrimination découlent de l’idée de l’unité de la dignité et de la nature de la personne [humaine] », ibid., § 56.
  • [62]
    En effet, la dignité « privilégie le présupposé de l’égalité entre les personnes humaines et permet une égale reconnaissance », S. HENNETTE-VAUCHEZ, « La dignité en 3D… », ibid., p. 28.
  • [63]
    Cour IDH, Condición Jurídica y Derechos de los Migrantes Indocumentados, opinion consultative n° OC-18/03, 17 septembre 2003, série A, n° 18, § 101.
  • [64]
    Sur ce point, voir M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 394-395.
  • [65]
    Ibid., §§ 395-396.
  • [66]
    Ibid., §§ 396-400.
  • [67]
    M. ROTA, « La vulnérabilité dans la jurisprudence de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, CRDF, n° 18, 2020, pp. 45-46. V. aussi R. ESTUPIÑAN-SILVA, « La vulnérabilité saisie par la Cour interaméricaine », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, pp. 89-113.
  • [68]
    M. AFROUKH, « Covid-19 et droit de dérogation… », loc. cit.
  • [69]
    Selon elle, « Le premier [problème] est celui de la différenciation, qui heurterait l’universalité des droits de l’homme et l’égalité des sujets de droit. Le deuxième est celui de la catégorisation avec d’une part, le risque de verser dans un essentialisme qui […] réduirait les personnes concernées à un seul attribut […] et d’autre part le risque d’entretenir alors des stéréotypes, sinon un processus de stigmatisation. Le troisième problème est celui du paternalisme, potentiellement attentatoire aux libertés des intéressés et de nature, le cas échéant, à les déresponsabiliser », (C. BOITEUX-PICHERAL, « Introduction – Vers une protection « systématisée » des personnes vulnérables ? », in C. BOITEUX-PICHERAL, La vulnérabilité en droit européen des droits de l’homme. Conception(s) et fonction(s), Bruxelles, Nemesis Anthemis, 2019, p. 13.
  • [70]
    La Cour européenne affirme en effet depuis l’affaire S.W. c/ Royaume-Uni que « l’essence même [de la Convention] est le respect de la dignité et de la liberté humaines », Cour EDH, Ch., S.W. c/Royaume-Uni,22novembre1995, (20166/92),§44. Sur ce point, v.M.ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 368-369.
  • [71]
    X. BIOY, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2003, p. 747.
  • [72]
    Nous reprenons ici les termes de Xavier Bioy, à qui revient la paternité de l’expression « sujet libéral situé » (X. BIOY, ibid.).
  • [73]
    V. entre autre, à ce sujet C. BOITEUX-PICHERAL, La vulnérabilité en droit européen des droits de l’homme, op. cit., J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et la protection des personnes vulnérables », in Vers un nouvel ordre juridique : l’humanitaire ? – Mélanges en l’honneur de Patricia Buirette, Lextenso-LGDJ, 2016, pp. 341-357 ou encore S. BESSON, « La vulnérabilité et la structure des droits de l’homme. L’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, pp. 59-85.
  • [74]
    M. ROTA, « La vulnérabilité… », loc. cit.
  • [75]
    Cour IDH, Ximenes Lopes c/ Brésil, fond, réparations et frais, 4 juillet 2006, série C, n° 149, § 130.
  • [76]
    L’autonomie personnelle est aussi au cœur du concept de résilience qu’elle développe dans sa jurisprudence relative à la vulnérabilité, M. ROTA, « La vulnérabilité… », loc. cit., pp. 42-43.
  • [77]
    M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 385-389. V. aussi H. HURPY, Fonction de l’autonomie personnelle et protection des droits de la personne humaine dans les jurisprudences constitutionnelle et européenne, Bruxelles, Bruylant, 2015.
  • [78]
    L. BURGORGUE-LARSEN, « La vulnérabilité saisie par la philosophie, la sociologie et le droit. De la nécessité d’un dialogue inter-disciplinaire », in L. BURGORGUE-LARSEN (dir.), La vulnérabilité saisie par les juges en Europe, Paris, Pedone, 2014, p. 242.
  • [79]
    Comme le rappelle Laurence Burgorgue-Larsen, « la jurisprudence interaméricaine […] a toujours attaché une place centrale aux contextes (historiques, sociologiques, culturels, etc.) », id. L’importance du contexte dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine est également régulièrement soulignée par les juges de cette même Cour. Voir, pour un exemple récent, l’opinion du président de la Cour, Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot et de la juge Elizabeth Odio Benito sous l’affaire Cour IDH, Díaz Loreto et autres c/ Venezuela, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 19 novembre 2019, série C, n° 392.
  • [80]
    Dans l’affaire Acevedo Buendía et autres c/ Pérou de 2009, la Cour affirme clairement « sa pleine compétence pour analyser les violations de tous les droits reconnus dans la Convention américaine » (nous soulignons), Cour IDH, Acevedo Buendía et autres (“Cesantes y Jubilados de la Contraloría”) c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 1er juillet 2009, série C, n° 198, § 97. Se référant aux travaux préparatoires et à la volonté des rédacteurs de donner une valeur juridique et un caractère justiciable aux droits économiques et sociaux, elle estime qu’on ne peut déduire des obligations étatiques différentes au regard du contenu substantiel des droits protégés, en se fondant uniquement sur la place formelle de ces articles au sein de la Convention. Cette disposition est donc soumise aux obligations générales issues des articles 1 et 2 de la Convention et les droits économiques, sociaux et culturels visés à l’article 26, qui ont un véritable pouvoir normatif et sont donc justiciables, id., §§ 97-99.
  • [81]
    Cour IDH, Acevedo Buendía et autres c/ Pérou, loc. cit., § 105.
  • [82]
    Id., § 103.
  • [83]
    Id., § 101.
  • [84]
    V. par exemple l’affaire Comunidad Indígena Yakye Axa c. Paraguay dans laquelle la Cour reconnaît l’accès à l’eau, à l’alimentation, à la santé et à l’éducation comme composante du « droit de mener une vie digne » des populations autochtones, Cour IDH, Comunidad Indígena Yakye Axa c. Paraguay, fond, réparations et frais, 17 juin 2005, série C, n° 125, §§ 195-211.
  • [85]
    Cour IDH, Instituto de Reeducación del Menor c. Paraguay, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 2 septembre 2004, série C, n° 112.
  • [86]
    V., par exemple, les affaires Cour IDH, 4 juillet 2006, Ximenes Lopes c. Brésil, fond, réparations et frais, série C, n° 149 ou encore Cour IDH, Albán Cornejo et autres. c. Équateur, fond, réparations et frais, 22 novembre 2007, série C, n° 171.
  • [87]
    L. BURGORGUE-LARSEN et A. ÚBEDA DE TORRES, « Commentaire n° 17, sous l’avis Statut juridique et droits des travailleurs migrants », in L. BURGORGUE-LARSEN et A. ÚBEDA DE TORRES, Les grandes décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 479.
  • [88]
    Et ce depuis l’affaire Cour IDH, Lagos del Campo c/ Pérou, exceptions préliminaires, fond, réparations et frais, 31 août 2017, série C, n° 340, §§ 141–150 et 154 notamment.
  • [89]
    Cour IDH, Hernández c. Argentine, exception préliminaire, fond, réparations et frais, 22 novembre 2019, série C, n° 395.
  • [90]
    Id., § 64-67.
  • [91]
    Voir sur ce point H. TIGROUDJA, « Chronique de la jurisprudence consultative et contentieuse de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (2015-2017) », Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, n° 115, 2018, pp. 704-707.
  • [92]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 64.
  • [93]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 76-81.
  • [94]
    Ibid., § 78.
  • [95]
    Ibid.
  • [96]
    Cour IDH, Hernández…, loc. cit., § 81.
  • [97]
    Ibid.
  • [98]
    Ceci est d’ailleurs régulièrement rappelé par la Cour, qui insiste dès 1999 sur “the Convention does not guarantee, as such, socio-economic rights”, Cour EDH, déc., Panĉenko c/ Lettonie, 28 octobre 1999, (40772/98), § 2. Elle se reconnaît donc incompétente ratione materiae lorsqu’une requête ne porte que sur la violation d’un droit de cette nature.
  • [99]
    C. PICHERAL, C. HUSSON-ROCHCONGAR, M. AFROUKH, « Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2017 », RDLF, 2018, chron. n° 11 (www.revuedlf.com, consulté le 28/10/2020).
  • [100]
    Voire même de plus en plus restrictive… V. sur ce point l’analyse de Caroline PICHERAL de l’affaire Cour EDH, Gr. ch., Lopes de Sousa Fernandes c/ Portugal, 19 déc. 2017, (56080/13), id.
  • [101]
    Cour EDH, 3e section, Abdyusheva et autres c/ Russie, 26 novembre 2019, (58502/11, 62964/10 et 55683/13), § 112. Elle réitère ainsi sa position déjà affirmée dans Cour EDH, déc., Shelley c/ Royaume-Uni, 4 janvier 2008, (23800/06).
  • [102]
    Elle se fonde, pour ce faire, sur tout un ensemble de sources issues tant de l’OEA, du droit international que des droits nationaux, Cour IDH, Hernández…, loc. cit., §§ 69-82.
  • [103]
    Selon la Déclaration 1/20, en effet : « En estos momentos, especial énfasis adquiere garantizar de manera oportuna y apropiada los derechos a la vida y a la salud de todas las personas bajo la jurisdicción del Estado sin discriminación alguna, incluyendo a los adultos mayores, las personas migrantes, refugiadas y apátridas, y los miembros de las comunidades indígenas ».
  • [104]
    Cour EDH, Ch., Airey c/ Irlande, 9 octobre 1979, (6289/73), § 26.
  • [105]
    105 M. ROTA, L’interprétation..., op. cit., pp. 369-371.

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