Notes
-
[1]
Deux observations liminaires méritent d’être faites : la première en forme de remerciements, d’abord à Pascal Caille d’avoir eu l’heureuse initiative de ce colloque sur l’instruction dans le procès administratif et de m’y avoir convié, ensuite à l’Université de Lorraine et à l’IRENEE de l’accueillir et de l’organiser ; la seconde en forme d’avertissement, la présente contribution n’engageant que son auteur.
-
[2]
Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Puf, 2007, V° Mise en état, 1.
-
[3]
Cf. J.-M. SAUVÉ, « L’apport de René Chapus au contentieux administratif », 16 janvier 2018 ; ou encore P. GONOD, « L’étude du procès administratif », in Un avocat dans l’Histoire. En mémoire de Arnaud Lyon-Caen, Dalloz, 2013, pp. 165-176.
-
[4]
Cf. not. L. CADIET, J. NORMAND, S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, Puf, 1re éd., 2010, n° 245-247.
-
[5]
J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE, chron. sous CE, sect., 5 décembre 2014, Lassus, n° 340943, AJDA, 2015, p. 211.
-
[6]
« Le décret du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », AJDA, 2010, p. 611. Les présidents J. ARRIGHI de CASANOVA et J.-H. STAHL ne disaient pas autre chose, en retenant que « l’affaire est en état d’être jugée [lorsque] l’échange contradictoire des premiers mémoires a déjà eu lieu » (« Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », RFDA, 2010, p. 392).
-
[7]
Cf. J.-M. SAUVÉ, « Les réformes en cours au sein de la justice administrative », 18 mai 2009.
-
[8]
Dans cette perspective, la mise en état suppose alors « que le juge détermine en amont, le plus tôt possible, les pièces dont il risque d’avoir besoin et qu’il fixe aux parties des délais pour les produire, ainsi que pour produire leurs mémoires, et que ces délais soient assortis de sanctions efficaces lorsqu’ils ne sont pas respectés » (rapport du groupe présidé par S. DAËL, p. 23).
-
[9]
Cf. B. STIRN, « Le contentieux administratif en mouvement », DA, 2008, entretien 3.
-
[10]
Cf. not. P. GONOD, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit public », Justice & Cassation 2013, pp. 31-42.
-
[11]
Cf. not. CE, ass., 28 juin 2002, Magiera, n° 239575, Rec., p. 248.
-
[12]
M. GUYOMAR, « L’économie mouvementée du procès administratif », Revue de droit d’Assas, n° 15, 2017, p. 135.
-
[13]
Cf. not. CE, ass., 4 juillet 1962, Paisnel, n° 58502, Rec., p. 1077.
-
[14]
Cf. A. MEYNAUD, L’office des parties dans le procès administratif, thèse Paris II (dir. : B. Seiller), 2017, passim.
-
[15]
Cf. not. X. DOMINO et A. BRETONNEAU, « De la loyauté dans le procès administratif », AJDA, 2013, p. 1276.
-
[16]
Cf. M. GUYOMAR, « La loyauté en droit administratif », Justice & Cassation, 2014, pp. 59-68.
-
[17]
Cf. not. CE, sect., 19 avril 2013, chambre de commerce et d’industrie d’Angoulême, n° 340093, Rec., p. 105.
-
[18]
Cf. par ex. la radiation d’une affaire au rôle et la réouverture de l’instruction : art. R. 613-4, al. 1er.
-
[19]
Cf. par ex. s’agissant de la dispense d’instruction qui vaut dispense de mise en état : CE, 11 février 2005, Lamouissi, n° 258801, Rec., T., p. 1041.
-
[20]
Cf. décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives, JO, 23 février 2010.
-
[21]
Cf. art. 753 C. proc. civ.
-
[22]
C’est-à-dire par ordonnance, art. R. 613-1 ; sans ordonnance trois jours francs avant l’audience, art. R. 613-2 ; dès l’enregistrement de la requête, art. R. 611-11.
-
[23]
S’agissant de « la mise en état des dossiers contentieux », « l’on sait (…), dans les faits, et même si la pratique peut être variable d’une juridiction à l’autre, voire d’une chambre à l’autre, l’importance essentielle du greffe et la responsabilité particulière qui lui incombe dans ce processus déterminant pour la qualité de la décision juridictionnelle qui marque son aboutissement » (Réflexions pour la justice administrative de demain, rapport du groupe de travail présidé par O. PIÉRART, pp. 47-48).
-
[24]
Cf. décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative (partie règlementaire), JO, 4 novembre 2016.
-
[25]
Cf. not. O. PIÉRART, « De nouvelles règles en matière de compétence et de procédure administrative contentieuse », RFDA, 2017, pp. 16-18.
-
[26]
Cf. art. R. 600-4, C. urb. Sur la cristallisation des moyens, le contentieux des permis de construire a servi de « terrain d’expérimentation » comme l’annonçait le président D. LABETOULLE (« Bande à part ou éclaireur ? », AJDA, 2013, p. 1900).
-
[27]
Cf. not. F. POULET, « La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016 », AJDA, 2017, pp. 279-287.
-
[28]
« Du dialogue du juge et des parties. Réflexions sur la procédure administrative contentieuse », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 158. Cf. également A. LYON-CAEN, « Vers une procédure de dialogue interactif du juge et du justiciable », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, spéc. pp. 588-589.
-
[29]
Cf. décret n° 65-872 du 13 octobre 1965 modifiant certaines dispositions du code de procédure civile et relatif à la mise en état des causes, JO, du 14 octobre 1965.
-
[30]
Rapport au Premier ministre sur le décret n° 65-872 du 13 octobre 1965, JO, du 14 octobre 1965, p. 9076.
-
[31]
Cf. décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, JO, du 25 mai 2016.
-
[32]
Cf. not. N. FRICERO, « La mise en état : entre tradition et modernité », Procédures, 2012/3, étude 7.
-
[33]
Cf. par ex. s’agissant du mémoire récapitulatif : J. ARRIGHI de CASANOVA et J.-H. STAHL, « Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », RFDA, 2010, spéc. p. 392.
-
[34]
Annexe XVI, p. 117.
-
[35]
« La redécouverte de l’oralité. Propos décousus d’un membre du Conseil d’État », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, spéc. pp. 557-558.
-
[36]
Cf. art. 1er, al. 4, règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité.
-
[37]
Cf. B. BLANCHET et P. NERENHAUSEN, « Faut-il guérir le procès administratif de sa taciturnité chronique ? », AJDA, 2007, spéc. p. 1914.
-
[38]
Cf. not. en vue de « sortir de l’anonymat celui qui guide le procès » : S. DEYGAS, « Pour une instruction et une audience renouvelées », JCP A, 2005, n° 1294.
-
[39]
Cf. not. A. MEYNAUD, L’office des parties dans le procès administratif, thèse Paris II (dir. : B. SEILLER), 2017, spéc. p. 420.
1La question n’est pas innocente : elle résonne prima facie comme une provocation ; elle invite en réalité à la réflexion.
2La question résonne comme une provocation, d’abord. La question postule qu’il n’y a aucune mise en état dans le procès administratif. Comme si aucune action n’était menée par le juge administratif en vue de mettre une affaire en état d’être jugée [2].
3La mise en état souffre, il est vrai, d’un défaut d’affichage : elle ne fait l’objet d’aucun développement dédié dans le code de justice administrative et dans le plan de classement du recueil Lebon ; rien, non plus, dans les ouvrages de contentieux administratif en dotation de premier équipement des auditeurs nommés au Conseil d’État, i.e. le cours du président Raymond Odent et le manuel du professeur René Chapus [3]. Bref, si le juge administratif met en état, il le cache bien !
4Mais comme souvent, les apparences sont trompeuses, et pour qui parvient à se détacher du « signifié » et cherche à appréhender le « signifiant », la mise en état, sans être formalisée en tant que telle, inspire et colore bien des dispositions du livre VI du code de justice administrative consacré à « l’instruction ».
5De fait, au-delà des mesures d’instructions (i.e. expertise, enquête « à la barre », avis, visite des lieux, vérification d’écriture, amicus curiae, etc.), les outils ne manquent pas en vue de mettre une affaire en état d’être jugée (i.e. communication des mémoires, fixation des délais de production, demande de mémoire récapitulatif, cristallisation des moyens, information sur l’audiencement envisagée et la clôture possible, ou encore fixation d’une clôture d’instruction, réouverture de l’instruction et dispense d’instruction). L’idée d’une mise en état est bien là, innomée mais sous-jacente, dans le code de justice administrative : il n’y aura pas de procès administratif sans un minimum de mise en état.
6La question invite à la réflexion, ensuite. Avec le recul, la question appelle à réfléchir sur ce qu’est exactement la mise en état dans le procès administratif. La locution s’emploie couramment comme si le concept recélait une évidence de sens. Et pourtant, sa définition ne va pas de soi.
7La mise en état se révèle assez plastique, au point de se confondre avec l’instruction de l’affaire, en ce que celle-ci a pour objet de mettre l’affaire en état d’être jugée. En toute rigueur, la mise en état correspond à une phase de l’instruction [4], où les parties échangent, communiquent sous la direction du juge leurs éléments lato sensu (i.e. mémoire, moyen, argument, pièce, etc.) pour que le juge, lorsqu’il statuera, puisse se fonder sur ces éléments. C’est ni plus ni moins le « temps de l’échange contradictoire » [5]. La mise en état qui s’achève avec la clôture de l’instruction, se manifeste par un corps de règles procédurales destinées à organiser cet échange, cette communication.
8Cette définition se déduit notamment de l’acception qu’il convient d’avoir de la condition d’affaire « en état d’être jugée » requise par l’article R. 611-11-1 pour une clôture immédiate de l’instruction : comme l’indiquaient les présidents Didier Chauvaux et Jean Courtial dans leur commentaire du décret du 22 février 2010,
« pour qu’une affaire soit en état d’être jugée – c’est-à-dire, pour qu’elle puisse sans irrégularité être inscrite à une audience –, il faut et il suffit que toutes les communications aient été effectuées et que les délais de réponse soient expirés » [6].
10La mise en état s’est, depuis une décennie, trouvée au cœur des mutations d’une justice administrative en quête de productivité face au flux croissant des requêtes. Participant à ce mouvement, le vice-président du Conseil d’État avait mis en place en 2008 un groupe de travail présidé par le président Serge Daël (alors président-adjoint de la section du contentieux) pour réfléchir sur le thème « calendrier prévisionnel de l’instruction, mise en état des dossiers et clôture de l’instruction » [7] ; ce groupe de travail avait alors appréhendée la mise en état sans la définir ; il l’avait qualifiée d’« instrument au service du jugement » [8], qui tend notamment à donner plus de prévisibilité à la procédure [9]. Se profilait un besoin de mise en état pour instruire plus vite et mieux.
11Dans ce procès administratif rénové, si elle s’affirme comme un processus de régulation (I), la mise en état s’expose désormais à la tentation d’une procédure d’ordre (II).
I – La mise en état s’affirme comme un processus de régulation du procès administratif
12La mise en état est un vecteur de régulation du procès administratif. Ce processus se révèle indispensable à l’administration de la justice administrative ; il participe même d’une bonne administration de cette justice [10], en ce qu’il en est a priori un gage de qualité. Encore faut-il, bien évidemment, ne pas réduire le recours pour excès de pouvoir à un « procès fait à un acte » (selon Edouard Laferrière) qui ne ferait naître aucun litige entre les parties.
13A l’examen, ce processus poursuit au moins deux objectifs. Le premier intéresse l’efficacité et la célérité [11] du travail du juge ; « en interne », il s’agit de le mettre en mesure de statuer sereinement, dans un délai raisonnable et en toute connaissance de cause. Le second objectif bénéficie aux parties ; « en externe », il s’agit de les mettre en mesure d’exposer et valoriser au mieux leurs prétentions et de les informer de l’évolution prévisible de l’instruction, en vue de leur « garantir (…) une traçabilité de l’œuvre juridictionnelle » pour reprendre les mots du président Mattias Guyomar [12].
14Ce faisant, la mise en état obéit aux principes directeurs de l’instruction : le processus est inquisitoire ; le processus est contradictoire, étant entendu que la contradiction se donne par écrit. La mise en état relève donc de l’office du juge, proactif, qui dirige seul l’instruction [13] ; mais elle relève aussi de l’« office des parties dans le procès administratif », selon l’intitulé de la thèse de Mme Ariane Meynaud [14], lesquelles ont vocation à échanger, communiquer et interagir dans le cadre fixé par le juge.
15Du reste, la mise en état n’est pas seulement écrite et contradictoire ; elle est encore censée être loyale [15]. Certes, la loyauté fait figure de principe implicite, qui renvoie aussi bien à la droiture qu’à la bonne foi [16]. Mais elle constitue une exigence, presque morale, opposable au juge dans la conduite du procès, en particulier dans la mise en état (notamment lorsqu’en application de l’article R. 611-7, le juge administratif informe les parties de ce que sa décision lui paraît susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office [17]), à l’instar des dispositions de l’article 763 du code de procédure civile qui prévoit que le juge de la mise en état a pour mission de « de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces ».
16Le processus de la mise en état relève a priori de l’« administration judiciaire », dont les mesures, à la discrétion du juge, ne peuvent être contestées [18]. Pour autant, certaines de ses modalités pourront être critiquées, le cas échéant à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision juridictionnelle au fond si elles sont préparatoires à cette décision [19].
17Avec la transformation de la justice administrative et l’accélération de la processualisation du contentieux administratif – sans préjudice de la généralisation des téléprocédures –, les procédés de mise en état ont été développés de manière pragmatique. Les dernières réformes du code de justice administrative sont notables, en vue de banaliser de nouvelles pratiques procédurales.
18Ainsi le décret du 22 février 2010 [20] a, dans le sillage des propositions du groupe de travail présidé par le président Serge Daël, notamment institué la possibilité pour le juge de demander aux parties de produire un mémoire récapitulatif, en s’inspirant d’ailleurs de la procédure civile [21], sans pour autant en systématiser la production sans doute pour éviter la pratique d’empilement (art. R. 611-8-1) ; il a également mis en place un dispositif de clôture de l’instruction avec effet immédiat (art. R. 611-11-1), de sorte que cette clôture peut n’être plus seulement avec effet différé [22] ; il a aussi introduit l’idée d’un « calendrier de procédure », avec la faculté d’informer les parties sur l’audiencement envisagée et la clôture possible (art. R. 611-11-1).
19Le décret a autorisé la délégation aux rapporteurs d’une partie des pouvoirs d’instructions des présidents de formation de jugement (i.e. information sur l’existence d’un moyen d’ordre public, invitation à produire un mémoire récapitulatif, mise en demeure des parties, clôture par ordonnance et réouverture de l’instruction) (art. R. 611-10 pour les tribunaux et R. 611-17 pour les cours). Ce qui fait désormais du rapporteur la cheville ouvrière de la mise en état, dans le procès administratif, tandis que le greffe de la juridiction sert de plaque tournante [23].
20Pour sa part, le décret du 2 novembre 2016 [24] (ou décret « JADE ») s’inscrit dans le prolongement des Réflexions pour la justice administrative de demain, rapport du groupe de travail présidé par la présidente Odile Piérart qui a été remis un an plus tôt au vice-président du Conseil d’État [25] ; ce décret a notamment rendu possible d’assortir d’un délai la demande de production d’un mémoire récapitulatif, au terme duquel la partie, si elle n’a pas produit, est réputée s’être désistée (art. R. 611-8-1) ; il a généralisé le dispositif de cristallisation des moyens qui était jusqu’alors cantonné au contentieux des permis de construire (art. R. 611-7-1) [26] ; il a renforcé le rôle du greffier pour assurer la mise en œuvre des mesures décidées par le rapporteur et « proposer toute mesure utile pour la mise en état des dossiers » (art. R. 226-1 et R. 611-10), ce qui le met concrètement en mesure de suggérer un plan d’instruction.
21Le décret a même donné la faculté au juge, s’il s’interroge sur l’intérêt d’une requête, d’inviter son auteur à confirmer s’il maintient sa requête (art. R. 612-5-1) ; dans un souci de rationalisation, il a imposé que les actes de la procédure, dans le cas de requête collective, ne soient accomplis qu’à l’égard du « représentant unique » nécessairement désigné (art. R. 411-6) ; il est allé jusqu’à offrir la possibilité, pour le président de la formation de jugement, de prolonger la mise en état après la clôture d’instruction en invitant une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction (art. R. 613-1-1) [27].
22Ces réformes ont indéniablement renforcé et renouvelé le processus de mise en état dans le procès administratif. Pour autant, son statut n’est peut-être pas encore stabilisé.
II – La mise en état dans le procès administratif s’expose à la tentation d’une procédure d’ordre
23Le dispositif actuel de la mise en état n’est pas sans certaines faiblesses auxquelles d’aucuns considèrent qu’une procédure d’ordre en bonne et due forme pourrait remédier, en ce qu’elle est spécialement organisée à cet effet et dirigée par un magistrat dédié, doté de pouvoirs quasi-juridictionnels. S’interrogeant sur le caractère inquisitorial du juge administratif à la lumière des expériences, le président Daniel Chabanol souhaitait ainsi « que s’installe dans le paysage procédural une sorte de juge de la mise en état » [28].
24A cet égard, la procédure dite de « mise en état des causes » issu du décret du 13 octobre 1965 [29], fait souvent figure de modèle, dans la perspective d’une optimisation du temps du procès. Elle a été édictée dans le prolongement du décret-loi du 30 octobre 1935 créant le juge chargé de suivre la procédure. Selon le rapport fait au Premier ministre à l’époque,
« l’office du juge, par une plus grande initiative génératrice de plus grandes responsabilités, devait […] connaître un accomplissement nécessaire, non seulement dans la marche de la procédure, mais dans l’exercice même du pouvoir juridictionnel » [30].
26La procédure est aujourd’hui codifiée dans le code de procédure civile, aux articles 763 et suivants devant le tribunal de grande instance, aux articles 907 et suivants devant la cour d’appel.
27Elle a, certes, été récemment transposée à la justice prud’homale, par décret du 20 mai 2016 [31] en vue de sa modernisation. Pour autant, le modèle, lui-même, mérite d’être revisité.
28Le magistrat dédié – distinct du magistrat chargé d’élaborer le rapport – s’est, il est vrai, vu assigner une fonction renouvelée, en vue d’une régulation des causes dans un procès dont les parties – et non le juge –, ont la maîtrise ; il détient les pouvoirs les plus étendus, pour apprécier les délais nécessaires et fixer un calendrier de mise en état, pour adresser des injonctions, réclamer des productions, demander des éclaircissements en fait ou en droit et pour ordonner des mesures d’instruction.
29Toutefois, la dialogue escompté entre le juge et les parties n’a pas forcément lieu et le juge (ou le conseiller) « de la mise en état », souvent surchargé, n’assure en réalité qu’une gestion administrative des affaires, sans être en mesure de jouer un rôle actif [32]. Son rôle se réduit généralement à impartir des délais pour policer les échanges et optimiser le temps.
30Même si le procès administratif est peu ou prou devenu un procès avec des parties, l’institution d’une procédure d’ordre n’est pas forcément la panacée.
31Déjà, à bien des égards, les manifestations de la mise en état dans le code de justice administrative sont le fruit d’un équilibre subtil : elles traduisent un compromis qui tient compte de la spécificité de la justice administrative, où l’instruction, écrite et contradictoire, est conduite par le juge inquisiteur. De sorte qu’il n’est pas acquis que l’importation, même amendée, dans la procédure inquisitoriale conduite par le juge administratif de règles conçues pour la procédure civile apporte tous les bienfaits escomptés [33].
32De plus, dès 2009, dans sa synthèse de l’enquête menée auprès des chefs de juridiction, le groupe de travail présidé par le président Serge Daël faisait cette remarque :
« l’institution d’une mise en état formalisée dans le genre de celle du CPC ne paraît correspondre ni à la culture, ni à l’office du juge administratif, où le caractère écrit de la procédure et le fait que le rapporteur la dirige unilatéralement sont centraux. La souplesse de la mise en état par le rapporteur et le greffe est généralement appréciée et considérée comme facteur d’efficacité » [34].
34La remarque paraît toujours d’actualité : l’office du juge dans le procès administratif n’appelle aucune procédure d’ordre, d’autant que le juge administratif dispose déjà d’une panoplie d’outils assez simples à piloter pour conduire les affaires vers leur jugement. Rien n’est cependant figé, dès lors que, comme l’écrivait le président Bruno Lasserre, « la culture du Conseil d’État [est] faite de pragmatisme mais aussi d’esprit d’initiative pour s’adapter aux temps » [35] !
35S’agissant de la mise en état, des pistes de progrès sont encore envisageables, et les idées ne manquent pas du point de vue de l’avocat. Parmi celles-ci, figurent notamment : l’idée de l’instauration d’un délai préfixe et uniforme – de deux mois, sauf circonstances particulières de l’espèce – pour la production du premier mémoire en défense, ce qui permettrait de donner à la mise en état de l’affaire un premier cadencement ; l’idée d’une systématisation, désormais, du « calendrier de procédure », dès lors que la situation de la justice administrative, en termes de gestion des stocks, n’est peut-être plus celle de 2010, laquelle permettait seulement d’instituer une simple faculté ; l’idée de transposer, au niveau du Conseil d’État et pour les questions prioritaires de constitutionnalité qui lui sont transmises, le traitement en deux temps adopté par le Conseil constitutionnel en vue de statuer dans le délai légal de trois mois, avec des « premières observations » et des « secondes observations » ayant uniquement pour objet de répondre aux premières [36].
36Une réflexion pourrait aussi être menée sur la visibilité du rapporteur pendant l’instruction, nonobstant la qualité de l’accueil du greffe de la juridiction [37] ; les parties n’ont officiellement aucun accès, direct ou privilégié, au rapporteur du dossier devant les juridictions administratives du fond, lequel agit anonymement sous l’autorité du président de la formation de jugement notamment pour impartir des délais, les mettre en demeure de produire ou encore clôturer l’instruction [38].
37Est-ce l’office du juge qui interdit cette transparence qui participerait d’une coopération complètement loyale avec les parties ? Rien n’est moins sûr. Le rapporteur, devenu plus visible dès l’instruction, pourrait ainsi conduire de manière directe et résolue son travail de mise en état, en prenant le temps dans la compréhension du dossier – le cas échéant, lorsque le dossier le nécessite, en tenant avec les parties une réunion contradictoire de mise en état dans le cadre prévu par l’article R. 626-1 –, avant de s’effacer devant l’institution et le silence impénétrable de la formation de jugement. Les garanties essentielles de l’impartialité des juges et du secret du délibéré ne devraient pas en être altérées.
38Une autre réflexion pourrait être menée sur la pratique, encore trop inégale d’une juridiction à l’autre, de la réitération d’une ordonnance de clôture d’instruction après une production tardive, au dernier moment, qui a conduit à lever une précédente clôture d’instruction [39]. En ce sens, l’institution d’une clôture « glissante », selon laquelle toute production donnerait automatiquement aux autres parties un délai minimum pour répondre, avec un report de clôture automatique sans ordonnance, n’est pas sans attrait. Ce mécanisme pourrait utilement rythmer, cadencer la mise en état, en donnant à chaque fois aux parties une perspective claire pour leur production.
39En définitive, la mise en état peut sans doute encore être revue et améliorée dans le code de justice administrative. Il n’est cependant pas indispensable d’en faire un totem pour l’avenir, sauf à se méprendre sur l’identité et la singularité de la justice administrative.
Notes
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[1]
Deux observations liminaires méritent d’être faites : la première en forme de remerciements, d’abord à Pascal Caille d’avoir eu l’heureuse initiative de ce colloque sur l’instruction dans le procès administratif et de m’y avoir convié, ensuite à l’Université de Lorraine et à l’IRENEE de l’accueillir et de l’organiser ; la seconde en forme d’avertissement, la présente contribution n’engageant que son auteur.
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[2]
Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Puf, 2007, V° Mise en état, 1.
-
[3]
Cf. J.-M. SAUVÉ, « L’apport de René Chapus au contentieux administratif », 16 janvier 2018 ; ou encore P. GONOD, « L’étude du procès administratif », in Un avocat dans l’Histoire. En mémoire de Arnaud Lyon-Caen, Dalloz, 2013, pp. 165-176.
-
[4]
Cf. not. L. CADIET, J. NORMAND, S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, Puf, 1re éd., 2010, n° 245-247.
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[5]
J. LESSI et L. DUTHEILLET de LAMOTHE, chron. sous CE, sect., 5 décembre 2014, Lassus, n° 340943, AJDA, 2015, p. 211.
-
[6]
« Le décret du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », AJDA, 2010, p. 611. Les présidents J. ARRIGHI de CASANOVA et J.-H. STAHL ne disaient pas autre chose, en retenant que « l’affaire est en état d’être jugée [lorsque] l’échange contradictoire des premiers mémoires a déjà eu lieu » (« Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », RFDA, 2010, p. 392).
-
[7]
Cf. J.-M. SAUVÉ, « Les réformes en cours au sein de la justice administrative », 18 mai 2009.
-
[8]
Dans cette perspective, la mise en état suppose alors « que le juge détermine en amont, le plus tôt possible, les pièces dont il risque d’avoir besoin et qu’il fixe aux parties des délais pour les produire, ainsi que pour produire leurs mémoires, et que ces délais soient assortis de sanctions efficaces lorsqu’ils ne sont pas respectés » (rapport du groupe présidé par S. DAËL, p. 23).
-
[9]
Cf. B. STIRN, « Le contentieux administratif en mouvement », DA, 2008, entretien 3.
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[10]
Cf. not. P. GONOD, « Introduction à la notion de bonne administration de la justice en droit public », Justice & Cassation 2013, pp. 31-42.
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[11]
Cf. not. CE, ass., 28 juin 2002, Magiera, n° 239575, Rec., p. 248.
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[12]
M. GUYOMAR, « L’économie mouvementée du procès administratif », Revue de droit d’Assas, n° 15, 2017, p. 135.
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[13]
Cf. not. CE, ass., 4 juillet 1962, Paisnel, n° 58502, Rec., p. 1077.
-
[14]
Cf. A. MEYNAUD, L’office des parties dans le procès administratif, thèse Paris II (dir. : B. Seiller), 2017, passim.
-
[15]
Cf. not. X. DOMINO et A. BRETONNEAU, « De la loyauté dans le procès administratif », AJDA, 2013, p. 1276.
-
[16]
Cf. M. GUYOMAR, « La loyauté en droit administratif », Justice & Cassation, 2014, pp. 59-68.
-
[17]
Cf. not. CE, sect., 19 avril 2013, chambre de commerce et d’industrie d’Angoulême, n° 340093, Rec., p. 105.
-
[18]
Cf. par ex. la radiation d’une affaire au rôle et la réouverture de l’instruction : art. R. 613-4, al. 1er.
-
[19]
Cf. par ex. s’agissant de la dispense d’instruction qui vaut dispense de mise en état : CE, 11 février 2005, Lamouissi, n° 258801, Rec., T., p. 1041.
-
[20]
Cf. décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives, JO, 23 février 2010.
-
[21]
Cf. art. 753 C. proc. civ.
-
[22]
C’est-à-dire par ordonnance, art. R. 613-1 ; sans ordonnance trois jours francs avant l’audience, art. R. 613-2 ; dès l’enregistrement de la requête, art. R. 611-11.
-
[23]
S’agissant de « la mise en état des dossiers contentieux », « l’on sait (…), dans les faits, et même si la pratique peut être variable d’une juridiction à l’autre, voire d’une chambre à l’autre, l’importance essentielle du greffe et la responsabilité particulière qui lui incombe dans ce processus déterminant pour la qualité de la décision juridictionnelle qui marque son aboutissement » (Réflexions pour la justice administrative de demain, rapport du groupe de travail présidé par O. PIÉRART, pp. 47-48).
-
[24]
Cf. décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative (partie règlementaire), JO, 4 novembre 2016.
-
[25]
Cf. not. O. PIÉRART, « De nouvelles règles en matière de compétence et de procédure administrative contentieuse », RFDA, 2017, pp. 16-18.
-
[26]
Cf. art. R. 600-4, C. urb. Sur la cristallisation des moyens, le contentieux des permis de construire a servi de « terrain d’expérimentation » comme l’annonçait le président D. LABETOULLE (« Bande à part ou éclaireur ? », AJDA, 2013, p. 1900).
-
[27]
Cf. not. F. POULET, « La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016 », AJDA, 2017, pp. 279-287.
-
[28]
« Du dialogue du juge et des parties. Réflexions sur la procédure administrative contentieuse », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 158. Cf. également A. LYON-CAEN, « Vers une procédure de dialogue interactif du juge et du justiciable », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, spéc. pp. 588-589.
-
[29]
Cf. décret n° 65-872 du 13 octobre 1965 modifiant certaines dispositions du code de procédure civile et relatif à la mise en état des causes, JO, du 14 octobre 1965.
-
[30]
Rapport au Premier ministre sur le décret n° 65-872 du 13 octobre 1965, JO, du 14 octobre 1965, p. 9076.
-
[31]
Cf. décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, JO, du 25 mai 2016.
-
[32]
Cf. not. N. FRICERO, « La mise en état : entre tradition et modernité », Procédures, 2012/3, étude 7.
-
[33]
Cf. par ex. s’agissant du mémoire récapitulatif : J. ARRIGHI de CASANOVA et J.-H. STAHL, « Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives », RFDA, 2010, spéc. p. 392.
-
[34]
Annexe XVI, p. 117.
-
[35]
« La redécouverte de l’oralité. Propos décousus d’un membre du Conseil d’État », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, spéc. pp. 557-558.
-
[36]
Cf. art. 1er, al. 4, règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité.
-
[37]
Cf. B. BLANCHET et P. NERENHAUSEN, « Faut-il guérir le procès administratif de sa taciturnité chronique ? », AJDA, 2007, spéc. p. 1914.
-
[38]
Cf. not. en vue de « sortir de l’anonymat celui qui guide le procès » : S. DEYGAS, « Pour une instruction et une audience renouvelées », JCP A, 2005, n° 1294.
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[39]
Cf. not. A. MEYNAUD, L’office des parties dans le procès administratif, thèse Paris II (dir. : B. SEILLER), 2017, spéc. p. 420.