Notes
-
[1]
Ac. Fr., Dict., 9e éd.
-
[2]
Dict. Larousse
-
[3]
Ph. THERY, « Exécution », Dic. Culture juridique, Puf, coll. Quadrige, 2003, p. 678.
-
[4]
TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 713, concl. ROMIEU.
-
[5]
CE, ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux, ministre de la Justice c. Magiera, n° 239575, p. 247. Pour une application récente précisant que « lorsque des dispositions applicables à la matière faisant l’objet d’un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la durée globale de jugement doit s’apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable », cf., CE, 13 juill. 2016, Jarraud, n° 389760.
-
[6]
CEDH, 31 juin 2005, Matheus c. France, n° 62740/00, pt 56 et s.
-
[7]
M. GUYOMAR et B. SEILLER, Contentieux administratif, Dalloz, Hypercours, 3° éd., n° 983.
-
[8]
CE, 30 mars 2005, SCP médecins Reichfeld et Sturtzer, p. 128.
-
[9]
CE, 20 mai 1988, Nardin, p. 198.
-
[10]
CE, 17 octobre 1997, Rubet, n° 176800.
-
[11]
CE, 26 décembre 1925, Rodière, p. 1065.
-
[12]
CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
-
[13]
CE, 29 décembre 2014, Cne d’Uchaux, n° 372477. Pour un exemple récent : CE, 25 janvier 2017, Assoc. Avenir d’Alet et a., n° 372676.
-
[14]
A. GARCIA et J. GOURDOU, Exécution des décisions de justice administrative, Rép. Cont. Adm., Dalloz, n° 1.
-
[15]
CE, Ass, 2 juillet 1982, Huglo, p. 257.
-
[16]
Étude annuelle CE, Le droit souple, Doc. Fr., 2013, p. 61.
-
[17]
CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et a., n° 368082, 368083, 368084.
-
[18]
Art. R. 412-1 CJA. Le décret du 2 novembre 2016 a remplacé l’expression « décision attaquée » par celle d’« acte attaqué ».
-
[19]
Art. L. 11 CJA : « les jugements sont exécutoires ».
-
[20]
Art. R.222-1 CJA
-
[21]
CE, Ass., 23 janvier 1970, Min. Aff. sociales c. Amoros, n° 77861.
-
[22]
R. CHAPUS, Droit Administratif Général, T. 1, 15e éd., n° 672.
-
[23]
Art. L. 551-1 CJA
-
[24]
CE, sect., 5 novembre 2003, Assoc. Convention vie et nature pour une écologie radicale et Assoc. pour la protection des animaux sauvages, n° 259339, 259706 et 259751.
-
[25]
CE, Sect., 7 oct. 2016, Cne de Bordeaux, n° 395211.
-
[26]
Pour un cas rare et récent de recours suspensif de plein droit : art. L. 77-10-25 CJA relatif à l’action de groupe « L’appel formé contre le jugement sur la responsabilité a, de plein droit, un effet suspensif ».
-
[27]
CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[28]
CE, Ass., 11 mai 2004, Assoc. AC !, n° 255886.
-
[29]
CE, Ass., 16 févr. 2009, Sté Atom, n° 274000.
-
[30]
CE, 6 avril 2016, M. E, n° 374224.
-
[31]
Cf., Association Internationale des Hautes Juridictions Administratives (AIHJA), L’exécution des décisions des juridictions administratives, VIIIe congrès, Madrid 2004.
-
[32]
CE, 1er juillet 1970, Cne de Sainteny Manche, n° 70820 : « considérant qu’il sera fait une exacte appréciation du préjudice résultant pour la commune de Sainteny des malfaçons commises par le sieur X… dans la confection de la toiture en condamnant ce dernier à verser à la commune une somme de 1.200 f, si mieux n’aime le sieur x… procéder lui-même aux travaux nécessaires ».
-
[33]
TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière St Just, préc.
-
[34]
Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes, Droit et Cultures, 57/2009-1, n° 4.
-
[35]
CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, R. 583.
-
[36]
J. ROMIEU, concl. sur TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière de Saint-Just, S. 1904, III, p. 17, note M. HAURIOU.
-
[37]
CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 49241, p. 583, S. 1915, 3, p. 9, note HAURIOU.
-
[38]
CE, 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194.
-
[39]
Idem.
-
[40]
Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 713.
-
[41]
CE, Sect., 27 février 2004 Dme Popin, n° 217257.
-
[42]
« L’expédition des décisions est délivrée par le secrétaire général ; elle porte la formule exécutoire suivante : “La République mande et ordonne au ministre de (ajouter le département ministériel désigné par la décision), en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision” ». Rec. Duvergier, Lois décrets ordonnances et réglements, 1850, p. 279.
-
[43]
Sur les mesures provisoires prononcées par la CEDH, Cf. S. WATTHEE, Les mesures provisoires devant la CEDH, La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, Nemesis-Anthémis, Coll. Droit et justice, n° 107, 2014.
-
[44]
CEDH, communiqué de presse du 25 juin 2014, n° CEDH 183 (2014).
-
[45]
Ibid.
-
[46]
C. MILHAT, « Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes », Droit et Cultures, 57/2009-1, n° 3.
-
[47]
R. CHAPUS, débats, La revue adm., n° spécial 1 : « Évolutions et révolution du contentieux administratif », 1999, p. 82.
-
[48]
Les pouvoirs reconnus au juge administratif par le livre IX du CJA ne sont pas limités à la seule exécution de la chose jugée. Ils permettent également au juge de préciser les obligations découlant nécessairement d’une ordonnance de référé (pour le sursis à exécution : CE, Sect., 20 décembre 2000, Ouatah, n° 206745 ; pour le référé-suspension : CE, 5 mars 2001, Saez et a., n° 230045).
-
[49]
R. 921-1 et s. CJA.
-
[50]
R. 931-1 et s. CJA.
-
[51]
CE, 29 décembre 2000, Colombeau, p. 1141.
-
[52]
CC, QPC n° 2017-624, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Durée maximale de l’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence].
-
[53]
Ibid.
-
[54]
CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
-
[55]
E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, t. 1, 2e éd., 1896, pp. 350-351.
-
[56]
Concernant la vente des biens des communes, E. Laferrière rappelle qu’elle est prévue depuis la loi du 18 juillet 1837 et qu’elle autorise tout créancier porteur d’un titre exécutoire à obtenir par décret une « vente forcée, une sorte de saisie et d’expropriation par la voie administrative » tant pour les meubles que pour les immeubles, mais uniquement s’il s’agit de biens « autres que ceux servant à un usage public » (Traité de la juridiction, t. 1, 2e éd., p. 353). La parenté avec la jurisprudence « société fermière de Campoloro » (CE, Sect., 18 novembre 2005, n° 271898) est patente.
-
[57]
E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, t. 1, 2e éd., 1896, p. 348.
-
[58]
R. CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. I, p. 725.
-
[59]
CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[60]
Sans prétendre à l’exhaustivité, Cf., CE, 26 juin 1968, Martinod, p. 399 ; CE, 17 mars 1971, Durand, p. 219 ; CE, 3 mars 1976, Ep. Renaudin, p. 131 ; CE 14 déc. 1983, Jacq, p. 510 ; CE, sect., 5 nov. 2003, Assoc. « Convention vie et nature pour une écologie radicale », p. 444 ; CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[61]
CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
-
[62]
CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
-
[63]
J.-F. THERY, débats, La revue adm., n° spécial 1 : Évolutions et révolution du contentieux administratif (1999), p. 78.
-
[64]
Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 714.
« La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique ».
1Si l’on s’intéresse à la définition de l’exécution, l’usage constaté par l’Académie la consacre comme l’« action de faire passer des dispositions dans les faits [1] » alors que les dictionnaires de langue la définissent comme « l’accomplissement d’une obligation, d’un jugement [2] ». Les définitions juridiques y voient « la réalisation d’une obligation ou un devoir juridique, le processus qui permet de faire passer le droit dans les faits, de faire coïncider ce qui est et ce qui doit être [3] ».
2Sans délai, on note l’acception réaliste de ces définitions.
3Le champ de l’exécution est, lui, plural quant aux domaines et quant aux actes concernés.
4Le droit constitutionnel est concerné puisque le Pouvoir exécutif est chargé de l’exécution des lois. Cette dernière est d’ailleurs mal distinguée d’une notion voisine qu’est l’application des lois ainsi qu’en témoigne la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux pouvoirs de réglementation et de sanctions confiés aux autorités indépendantes qui amalgame sous l’expression de « mise en œuvre de la loi » les notions pourtant bien distinctes d’exécution et d’application de la loi. Si l’exécution de la loi nécessite de préciser les conditions de mise en œuvre de cette dernière pour la doter d’un effet direct, l’application de la loi, elle, n’est possible que si la loi est d’effet direct et n’a donc besoin d’aucune mesure d’exécution.
5Le droit administratif est également convoqué notamment en raison de la théorie jurisprudentielle de l’exécution forcée [4]. Il l’est aussi à raison de la décision exécutoire théorisée par Hauriou.
6La notion d’exécution est également appréhendée sous l’angle de la CEDH dès lors que le caractère déraisonnable du délai de jugement engage en droit interne la responsabilité de l’État sur le fondement des articles 6, §§ 1 et 13, de la CEDH [5], dans la mesure où la Cour rappelle « que le droit à l’exécution d’une décision de justice est un des aspects du droit d’accès à un tribunal (…) et que l’exécution doit être complète, parfaite et non partielle [6] ».
7Déjà trois champs disciplinaires recouvrant notamment l’ensemble du droit public interne et toutes les catégories d’actes unilatéraux (lois, décisions de justice, décisions administratives) sont pris en compte.
8Quant aux modalités de l’exécution, elles sont également très diversifiées. Elles peuvent être classées selon leur caractère passif ou actif [7]. La disparition d’un acte annulé dès lors qu’il « est réputé n’avoir jamais existé [8] » est la modalité d’exécution passive la plus topique puisqu’elle interdit à l’administration d’appliquer ou de modifier l’acte annulé [9]. Concernant les modalités d’exécution active, les hypothèses n’ont de limites que les illustrations jurisprudentielles, allant de l’édiction d’une nouvelle décision lorsque, notamment, l’acte annulé était une réponse à une demande d’un administré [10], en passant par la reconstitution de la situation juridique de l’intéressé [11], jusqu’à une panoplie kaléidoscopique d’injonctions adressées à une personne publique [12], même lorsqu’un acte détachable d’un contrat de droit privé [13] a été annulé.
9Mais dans toutes les hypothèses, le même constat peut être fait. L’exécution d’un acte dépend d’un autre. Autrement dit, l’exécution d’un acte nécessite un acte dérivé. À la vérité, ce mécanisme fonde très vraisemblablement la théorie réaliste de l’interprétation. Si un acte primaire doit être interprété par un acte secondaire pour révéler sa norme jusqu’à ce qu’il soit finalement exécuté, c’est parce qu’il doit être précisé dans ses conditions « d’exécution ». On pourrait donc estimer qu’au final, la théorie réaliste de l’interprétation est une théorie de l’exécution.
10À la réflexion, et quelles que soient les hypothèses et les définitions retenues de l’exécution, il apparait que la notion d’exécution comprend deux caractéristiques remarquables :
11La première est qu’il faut distinguer la décision de recourir à l’exécution que l’on appellera le titre d’exécution, de la réalisation de l’exécution que l’on nommera l’exercice de l’exécution.
12La seconde caractéristique – mais elle n’est à la vérité que la conséquence mécanique du respect dû au principe de la séparation des Pouvoirs – est que le titre et l’exercice de l’exécution ne relèvent en principe jamais du même Pouvoir. Car ainsi que le constate la doctrine en matière d’exécution des décisions de justice, « en dernière analyse l’exécution des décisions de justice par l’administration condamnée suppose toujours un tant soit peu de bonne volonté de sa part » [14].
13En combinant ces deux caractéristiques, il apparait que si le titre d’exécution est consubstantiel – c’est-à-dire intrinsèque – à la décision de justice administrative, l’exercice de l’exécution est étranger – c’est-à-dire extrinsèque – à la juridiction administrative.
I – Le titre d’exécution, notion intrinsèque à la décision de justice administrative
14S’il est exact de dire que la décision de justice porte en elle-même son titre d’exécution c’est essentiellement parce qu’elle est une décision. Espèce particulière du genre décisoire, la décision de justice comporte un « titre d’exécution » spécifique.
A – Le titre d’exécution intégré à toute décision
15Érigé par le Conseil d’État comme « la règle fondamentale du droit public » [15] – ce qui n’est tout de même pas rien – le caractère exécutoire des décisions administratives permet d’édicter des obligations indépendamment du recours préalable à un juge.
16De ce point de vue, apparait que seules les décisions contiennent leur titre d’exécution. Peu importe qu’elles soient définitives. Même provisoire, une décision doit pouvoir être exécutée. Le sursis à exécution en son temps, le référé-suspension aujourd’hui (voire le référé liberté) démontrent que la décision provisoire peut être réellement exécutée. C’est par principe le cas de toute décision avant l’expiration du délai de recours.
17Dès lors, on ne sera pas surpris qu’un acte non décisoire, quel qu’il soit, ne contienne pas ce titre d’exécution. Aucune obligation juridique ne découle de cet acte : aucune exécution ne peut juridiquement en naitre. Seul une norme décisoire extérieure pourra sanctionner l’irrespect de cet acte ne comportant en lui-même aucun titre d’exécution. Le cas s’illustre à propos tant à propos d’actes administratifs qu’à propos d’actes juridictionnels.
18Parmi les actes administratifs non décisoires, les actes de droit souple sont révélateurs. Bien que stricto sensu les actes de droit souple « ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations [16] », le Conseil d’État a décidé en 2016 que le recours pour excès de pouvoir était ouvert contre certains actes pourtant non décisoires au motif qu’« ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » [17]. C’est donc par dérogation prétorienne, que fut écartée la règle énoncée à l’époque par le CJA selon laquelle « La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée (…) de la décision attaquée [18] ». Un acte peut donc faire grief sans que la cause juridique de ce grief soit le titre d’exécution attaché à la décision, puisque décision il n’y a pas. De ce point de vue, la modification par le décret du 2 novembre 2016 du CJA ne fait que conforter l’idée selon laquelle la « création de droits ou d’obligations » est un monopole décisionnel lié au titre d’exécution contenu dans la décision, puisque ce n’est plus ce critère qui fonde la recevabilité de la requête concernant un acte qui peut ne plus être décisoire.
19Les actes juridictionnels sont également concernés. Tel est le cas des avis contentieux rendus par le Conseil d’État. N’étant pas décisoires, ils ne comprennent ipso facto pas de titre d’exécution. Ces avis qui ne relèvent donc pas de la catégorie « jugement » ne sont pas exécutoires [19]. De ce point de vue, la disposition réglementaire permettant de rejeter les requêtes présentant des questions identiques à celles déjà « examinées ensemble par un même avis rendu par le Conseil d’État » [20], semble avoir doté cet avis des effets « d’une pseudo-décision » en lui accordant un fondement similaire à un titre d’exécution. Bien que la procédure administrative contentieuse relève en principe de l’article 37 de la Constitution, il ne parait pas impossible de se demander si, ce faisant, le pouvoir réglementaire n’est pas intervenu dans une matière relevant des « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » : est-ce bien au règlement de doter un avis contentieux d’une « force contraignante » ?
20Mais au final, compte tenu de l’importance rétrospective de ces avis sur les décisions rendues par les TA, les CAA et les ordonnances de rejet, ces avis contentieux ne forment-ils pas le droit souple juridictionnel puisque, somme toute, « ils sont de nature à produire des effets notables (…) ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent », c’est-à-dire essentiellement les juridictions administratives ?
21Toute décision contient son titre d’exécution. C’est là, la conséquence mécanique et nécessaire du privilège du préalable.
22Une précision préalable s’impose toutefois. Il convient de distinguer la décision exécutoire au sens de la définition qu’en donne Hauriou ou qu’illustre le Conseil d’État, du titre d’exécution dont toute décision est nécessairement dotée. La décision exécutoire vise : soit la décision entrée en vigueur, soit la décision modifiant l’ordonnancement juridique [21] et non seulement la décision enrichissant ledit ordre, soit la décision susceptible d’exécution forcée.
23Dès lors que, par la manifestation de volonté de son auteur, une norme impérative enrichit l’ordonnancement juridique soit par la modification de ce dernier soit par son renouvellement (par ex., décisions de refus), son caractère décisoire est établi et elle est, ipso facto, dotée du privilège du préalable. Pour autant, son caractère exécutoire dépendra d’autres conditions sans lien aucun avec la définition de la décision ni avec le privilège du préalable. De ce point de vue, le « caractère exécutoire, règle fondamentale du droit public » ne renvoie pas aux seules décisions exécutoires au sens que lui donne Hauriou mais bien au contraire à toutes les décisions. Car ce qui est fondamental en droit public, c’est le pouvoir de
« décider en édictant des obligations ou des interdictions ou en conférant des droits, sans avoir à saisir préalablement un juge de ses prétentions. On ne saurait évidemment qualifier de fondamental le fait que les décisions prises, ou du moins certaines d’entre elles, seront exécutoires [22] ».
25Il en est de même de toutes les décisions de justice, même celles qui ne sont pas dotées de l’autorité de chose jugée comme les ordonnances de référé qui sont provisoires [23], lesquelles sont, conformément au principe rappelé à l’article L. 11 CJA, exécutoires [24] et obligatoires [25]. Il en est de même des décisions de justice susceptibles de recours juridictionnels, sauf à déterminer le caractère suspensif du recours [26]. En conséquence et ainsi que le considère le Conseil d’État « le représentant de l’État… doit prêter le concours de la force publique en vue de l’exécution des décisions de justice ayant force exécutoire [27] ».
B – Le titre d’exécution spécial des décisions de justice administrative
26Ce titre d’exécution que comportent toutes les décisions de justice administrative est remarquable à deux points de vue.
27D’une part, le pouvoir totalement discrétionnaire qu’à la justice administrative de « modifier » sur le fondement de ses pouvoirs propres caractérise le caractère exécutoire de ses décisions. En effet, c’est sans autre fondement que les décisions de justice administrative qui les posent, que sont apparus notamment, les pouvoirs de modulation dans le temps des annulations [28] ou qu’ont été consacrées en matière de sanctions administratives, la reformatio in mitius [29] puis la reformatio in pejus [30]. Ces exemples démontrent s’il en était besoin que le juge administratif décide du champ d’application temporel ou matériel du titre d’exécution de ses décisions [31]. En effet, décider que les effets de l’annulation seront reportés à une date postérieure à la date de l’annulation interdit l’exécution de l’annulation entre ces deux dates. Le pouvoir de substitution, dès lors qu’il peut être en plus ou en moins, permet également au juge de renforcer ou d’atténuer le titre d’exécution de sa décision. De même, la jurisprudence du « si mieux n’aime » démontre encore que lorsque le juge permet à la personne condamnée de s’en tenir à son obligation première [32], le fondement de l’exécution de l’obligation n’est pas identique : soit il s’agira de la décision de justice si la personne condamnée « n’aime mieux pas », soit dans l’hypothèse inverse il s’agira de l’acte fondant son obligation première (en l’espèce le contrat puisqu’il s’agit de respecter les obligations liées à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle).
28Ainsi, s’il n’est pas possible de renoncer au titre d’exécution des décisions de justice administrative à moins d’un déni de justice, il peut être modulé par la décision elle-même.
29Cette spécificité ne se retrouve bien évidemment pas en ce qui concerne les décisions administratives car, moduler le titre d’exécution desdites décisions reviendrait à devoir recourir au juge pour qu’il agisse au lieu et place de l’administration. Cela, on le sait depuis 1913, n’est en principe pas possible.
30D’autre part, les décisions de justice voient leur expédition alourdie d’une formule exécutoire. La différence tient à ce que cette formule exécutoire permet l’exécution forcée des décisions de justice, ce dont ne sont pas généralement dotées les décisions administratives [33].
31De ce point de vue, la répartition des contraintes (c’est-à-dire leur équilibre) semble optimisée. Administration et juge ont réciproquement besoin l’un de l’autre car ainsi que le déclare C. Milhat [34]
« dans le domaine de l’exécution de ses actes, l’administration se trouve en présence d’une contrainte et d’un interdit majeur : la contrainte résultant de l’impossibilité de demander par voie de justice l’édiction ou l’exécution de mesures qu’elle est seule apte à prendre en vertu du “privilège du préalable” [35] ; l’interdit l’empêchant de recourir, sauf exception, à des procédés d’exécution forcée, parce qu’il est “un principe fondamental de notre droit public que l’administration ne doit pas mettre d’elle-même la force publique en mouvement [36]” ».
33L’administration doit donc, en principe, recourir au juge seulement pour obtenir l’exécution forcée de ses décisions. Cela signifie d’abord qu’elle ne peut pas demander au juge de se substituer à elle pour délivrer le « titre d’exécution ». De l’arrêt « préfet de l’Eure [37] » à l’arrêt « Dpt de l’Eure [38] », la solution est constante : une personne publique « est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre [39] ». Cela signifie ensuite que l’administration doit demander au juge l’exécution forcée de ses décisions. Le juge n’exécute donc pas matériellement sa décision : il ne possède aucun moyen pour « faire passer des dispositions dans les faits ». C’est à la puissance publique que revient cette fonction.
34En résumé, et par un mouvement circulaire, en accordant l’exécution d’office aux décisions administratives par le truchement de la formule exécutoire adossée à ses propres décisions, le juge administratif devient le bras séculier de l’administration. Mais cette exécution forcée autorisée par le juge nécessite elle-même l’action administrative car aucune juridiction administrative ne peut auto-exécuter ses propres décisions.
II – L’exercice de l’exécution, notion extrinsèque à la juridiction administrative
35Apparaissent 3 raisons qui peuvent expliquer cette extranéité.
36Raison factuelle : la juridiction administrative ne dispose pas d’un corps d’agents permettant l’auto-exécution de ses décisions.
37Raison historique : jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 24 mai 1872, la justice retenue permettait d’exécuter les décisions de justice émanant du Chef de l’État sous l’empire du devoir d’obéissance hiérarchique. Cette caractéristique organique présentait l’avantage de régler, et la question de la séparation des Pouvoirs et la question du refus d’exécution.
38Raison juridique : l’exercice de l’exécution relève de l’exécutif, c’est-à-dire d’un autre pouvoir que le pouvoir juridictionnel. Mais il faut comprendre que l’exercice de l’exécution nécessite la collaboration des Pouvoirs : l’administration a besoin de la formule exécutoire pour recourir à l’exécution forcée, mais la formule exécutoire a besoin de l’administration pour être réalisée. Car exécuter ses propres décisions semble, au final et par principe, porter atteinte à la séparation des Pouvoirs.
39Compte-tenu de ces éléments, la formule de Romieu dans ses conclusions sous l’arrêt « société immobilière de Saint-Just » raisonne juste :
« Nous nous trouvons en présence de la question suivante, qui est, à notre avis, une des plus graves et des plus importantes du droit administratif : qu’est-ce que l’exécution forcée par la voie administrative des actes de puissance publique sur les personnes et sur les biens ? » [40].
41À cette question, l’état du droit apporte une réponse en deux temps.
A – La séparation des Pouvoirs opposée à l’auto-exécution des décisions de la juridiction administrative
42La formule exécutoire accolée aux décisions de justice est depuis l’origine claire. Et un détail apparait, mais est-ce un détail ?, l’ordre d’exécution est donné non par une juridiction mais par la République. La question d’ailleurs pourrait être clairement posée : toute juridiction interne – donc toute juridiction administrative –n’est-t-elle pas que le mandataire de l’État en ce qui concerne l’ordre d’exécution forcée puisque « la justice est rendue de façon indivisible » en son nom [41] ?
43Aujourd’hui formulée à l’article R751-1 CJA, elle précise que les expéditions de la décision délivrées aux parties portent la formule exécutoire suivante :
« La République mande et ordonne au (indiquer soit le ou les ministres, soit le ou les préfets soit le ou les autres représentants de l’État désignés par la décision) en ce qui le (les) concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision ».
45Prévue dès l’article 44 du règlement intérieur du Conseil d’État du 16 juin 1850, elle n’en différait que fort peu [42]. Quant aux conseils de préfectures – premières juridictions administratives puisqu’ayant reçu de la loi la justice déléguée (le Conseil de préfecture prononcera…) –, l’article 7 de la loi du 28 pluviôse an VIII prévoyait que « l’expédition est donnée par le secrétaire général de la préfecture ». Elle ne sembla pas avoir compris de formule spécifique.
46Le droit international reconnait cette absence d’auto exécution par la juridiction administrative de ses propres décisions. Révélatrice est l’hypothèse de la CEDH lorsque, de manière prétorienne bien qu’en les fondant sur l’article 39 de la CEDH, elle prononce des mesures provisoires [43]. Ainsi, et de ce point de vue l’affaire Lambert est topique, la CEDH fut saisie la veille de la décision rendue par le Conseil d’État « d’une demande d’article 39 du règlement de la Cour en sollicitant… la suspension de l’exécution de la décision du Conseil d’État prévue pour le 24 juin au cas où celle-ci autoriserait l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert » [44]. En conséquence, après avoir
« pris connaissance de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, la chambre à laquelle l’affaire a été attribuée a décidé de demander au gouvernement français, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant elle, de faire suspendre l’exécution de l’arrêt rendu par le Conseil d’État pour la durée de la procédure devant la Cour » [45].
48Or, en adressant pareille demande, non pas à l’État ni au Conseil d’État mais au gouvernent français, la CEDH reconnait que le pouvoir d’exécution des décisions de justice ne relève pas du pouvoir judiciaire.
49En droit interne, la séparation des pouvoirs explique la césure entre le titre d’exécution et son exercice, en conséquence de quoi la juridiction administrative ne peut procéder elle-même à l’exécution de ses décisions.
50Certes, l’apparence – même dotée d’un statut légal dans la mesure où le livre IX de la partie législative du CJA est relatif à « l’exécution des décisions » – porte à croire que le juge administratif est organiquement l’exécuteur de ses décisions. On pourrait ainsi affirmer que « si le champ de l’exécution juridique est entièrement administratif, celui de l’exécution matérielle est exclusivement juridictionnel [46] ». Or, si cette formule a le mérite de dissocier ce qui relève de l’administration (le titre d’exécution) de ce qui relève du juge (l’exécution forcée), elle n’est toutefois pas juridiquement exacte.
51Car l’apparence est trompeuse et l’expression n’est qu’un commode abus de langage. Conformément à la formule exécutoire, le juge n’est pas l’administrateur de l’exécution de ses décisions. Quand bien même le législateur aurait renforcé ses pouvoirs notamment d’injonction ou d’astreinte, ceux-ci ne lui permettent, selon les termes de René Chapus, que d’« expliciter ce à quoi la chose jugée oblige, mais, ce faisant, il reste juge » [47]. Sans doute serait-il plus conforme à la logique juridique de poser que le juge administratif est le juge de la précision des obligations découlant du caractère exécutoire de ses décisions [48]. Preuve en est attestée par les pouvoirs dits « d’exécution » limités à ce que la décision de justice « implique nécessairement ».
52Ainsi, tant la loi du 16 juillet 1980 instituant la possibilité de demander au Conseil d’État, statuant au contentieux, de prononcer une astreinte pour assurer l’exécution des décisions rendues par les juridictions administratives, que la loi du 8 février 1995 qui institue une procédure d’injonction d’exécution, ou même plus spécialement et tout récemment la loi du 9 décembre 2016 habilitant la juridiction à
« prescrire de réintégrer toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non-renouvellement de son contrat ou d’une révocation en méconnaissance du deuxième alinéa de l’article L. 4122-4 du code de la défense, du deuxième alinéa de l’article L. 1132-3-3 du code du travail ou du deuxième alinéa de l’article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires »,
54ne confèrent de pouvoirs d’auto-exécution à la juridiction administrative. Cette dernière peut « prescrire à une personne (…) de prendre une mesure d’exécution dans un sens déterminé », elle peut « prescrire de réintégrer » une personne, elle peut « prescrire qu’une nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé », elle peut même « liquider une astreinte », ou encore « enjoindre ». Mais la juridiction ne prend pas la mesure d’exécution, ne réintègre pas, ne procède pas au paiement de l’astreinte. Elle n’est pas le bras séculier de ses propres ordres.
55Quant aux procédures d’éclaircissement « sur les modalité d’exécution de la décision de justice » adressées tant aux présidents des TA et CAA [49] qu’à la Section du Rapport et des études du Conseil d’État [50], à considérer même qu’il s’agisse d’un réel pouvoir d’exécution (ce qui n’est pas), la saisine soit du président de la juridiction soit de la section du rapport et des études empêche de considérer que le juge auto-exécuterait ses propres décisions puisque ni le président de la juridiction saisie ni le Conseil d’État ne sont alors saisi dans leur fonction juridictionnelle [51]. Au surplus, penser le cumul successif d’intervention de la juridiction administrative en terme exclusivement juridictionnel pourrait méconnaitre « le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif [52] » puisque, le cas échéant, chaque juridiction après avoir statué de manière définitive pourrait « ultérieurement avoir à se prononcer comme juge [53] ».
56Cela explique d’ailleurs la présence de circulaires du premier ministre aux préfets et aux ministres afin de leur rappeler la nécessité d’exécuter les décisions de justice : elles sont la preuve que l’exécution ne relève pas de la compétence des juridictions.
B – L’exécution forcée, compétence in fine exclusive du pouvoir exécutif
57Sans doute parce la réalité l’impose, les solutions juridiques ont toujours limité – c’est-à-dire justifié de la manière la plus restreinte qui soit – cette compétence. Le Conseil d’État l’a explicitement exprimé « le justiciable nanti d’une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l’appui de la force publique pour assurer l’exécution du titre qui lui a été ainsi délivré [54] ».
58Concernant l’hypothèse de l’exécution forcée des décisions de justice, Laferriere l’a clairement affirmé :
« l’exécution à donner à l’arrêt rentre dans les attributions de l’administration active, puisqu’elle se lie étroitement à l’exercice de la puissance publique. Elle ne saurait donc relever que de l’autorité et de la responsabilité ministérielles et non de la juridiction contentieuse » [55].
60La mise en œuvre des voies d’exécution (régies notamment par le code de procédure civile lorsqu’elles visent des personnes privées) ne relèvent que de l’administration active [56], c’est-à-dire in fine du gouvernement.
61On comprend alors pourquoi la doctrine a développé tout les argumentaires pour lier ce pouvoir d’exécution : il y va du respect de la séparation des Pouvoirs (l’administration ne pouvant pas ne pas respecter la chose jugée) il y va des garanties d’un État de droit (la norme individuelle devant se fonder sur une norme générale).
62Selon Laferrière,
« Il ne faut pourtant pas conclure de cette absence de sanction légale, que le ministre, en exécutant les condamnations prononcées contre l’État, n’accomplit qu’un acte de déférence envers la juridiction qui les a prononcées, un acte de justice envers la partie qui les a obtenues, et qu’il lui appartient d’apprécier l’opportunité d’un ordonnancement ou d’une demande de crédit. Il a le devoir strict, le devoir juridique de pourvoir à cette exécution, parce qu’elle lui est prescrite par une autorité supérieure à l’autorité ministérielle et qui s’impose à tous les pouvoirs de l’État : « Au « nom du peuple français », porte la formule exécutoire, la République « mande et ordonne au ministre… » de pourvoir à l’exécution de la « présente décision ». Cette injonction ne laisse place à aucune appréciation portant sur le mérite de la décision ou sur les avantages ou les inconvénients de son exécution » [57] ».
64Selon Carré De Malberg :
« Si les administrateurs ont le devoir de se conformer aux décisions des tribunaux administratifs, […] c’est parce que, dans le système de l’unité de l’État, tout acte fait par une autorité opérant dans le cadre de sa compétence régulière doit normalement valoir au regard des autres autorités étatiques même si elles sont indépendantes, et à la condition toutefois qu’elles ne soient pas elles-mêmes hiérarchiquement supérieures, comme une manifestation de l’activité de la personne État une et indivisible » [58].
66Le fondement juridique sur lequel reposent les argumentations de Laferrière et de Carré de Malberg est la séparation des Pouvoirs. Toutefois il est étonnant de constater qu’ils y parviennent sur des arguments quasiment opposés. Alors que selon Laferrière, l’exécution des décisions de justice par le ministre est une obligation juridique en ce qu’elle est énoncée par une « autorité supérieure à l’autorité ministérielle qui s’impose à tous les pouvoirs », selon Carré de Malberg en revanche, l’obligation réside dans l’indépendance entre autorités étatiques qui oblige chacune d’entre elles (chaque Pouvoir) à appliquer les décisions des autres.
67Ce fondement constitutionnel est d’ailleurs explicitement consacré en jurisprudence ainsi que le rappelle le Conseil d’État
« le représentant de l’État, saisi d’une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l’exécution des décisions de justice ayant force exécutoire ; que seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public, ou des circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants d’un local, faisant apparaître que l’exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu’il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique » [59].
69D’ailleurs, il n’est pas anodin de constater que le rappel juridictionnel de cette obligation d’exécution des décisions de justice est périodique [60]. Ce qui ne peut que poser question : une norme aussi solennelle que la séparation des Pouvoirs inscrite dans le marbre constitutionnel ne devrait pas avoir besoin de donner lieu à un quelconque rappel : alors pourquoi cette réitération, sinon parce la « piqure de rappel » semble nécessaire ?
70Et la nécessité est double. Elle est d’abord juridique – et c’est conforme au droit – dès lors qu’au principe de l’obligation d’exécuter les décisions de justice, déroge « le devoir d’apprécier les conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force [61] » tant que l’administration « estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité ». Dès lors, la tentation administrative de s’exonérer de l’obligation en invoquant l’exception doit être sans cesse cadenassée par le rappel jurisprudentiel, lequel peut aller jusqu’à distinguer la compétence du juge des référés administratifs : si dans le cadre d’un référé suspension le juge des référés ne peut pas ordonner l’exécution, le juge du référé-liberté peut, « si le refus de concours est manifestement illégal, enjoindre au préfet d’accorder ce concours dans la mesure où une telle injonction est seule susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte [62] ». Elle est ensuite politique – et la conformité au droit peut ne pas s’imposer avec la force de l’évidence – car pour reprendre le doux euphémisme du président Théry, si l’exécution de la décision nécessite l’édiction d’un décret, elle « fait échec à un acte de nature politique et les choses deviennent plus compliquées [63] ».
71C’est, en tout état de cause, dire que l’exécution des décisions de justice échappe au juge.
72Concernant l’exécution forcée des décisions administratives – hypothèse plus problématique car c’est alors un cas d’auto-exécution – Romieu l’ayant parfaitement identifié, a cherché à le délimiter au plus près :
« si les citoyens n’obéissent pas, s’ils n’obtempèrent pas volontairement au commandement qui est obligatoire pour eux, comment assurera-t-on l’exécution matérielle des actes de puissance publique ? Quels sont les procédés de coercition ? L’Administration qui commande, se trouvant d’ailleurs disposer de la force publique, il y aurait pour elle, une tentation bien naturelle de se servir directement de la force publique, qui est dans sa main, pour contraindre les citoyens à se soumettre aux ordres qu’elle a donnés ou qu’elle est chargée de faire exécuter. Mais on voit sans peine combien un pareil régime serait dangereux pour les libertés publiques, à quels abus il pourrait donner lieu. Aussi est-ce un principe fondamental de notre droit public, que l’Administration ne doit pas mettre d’elle-même la force publique en mouvement pour assurer manu militari l’exécution des actes de puissance publique, et qu’elle doit s’adresser d’abord à l’autorité judiciaire qui constate ta désobéissance, punit l’infraction, et permet l’emploi des moyens matériels de coercition » [64].
74Ainsi, l’auto-exécution par l’autorité administrative de ses propres décisions est en principe exclue. Par dérogation, dans certaines hypothèses sériées par Romieu – véritable « code de l’exécution forcée » – où le recours à la juridiction pour délivrer le titre d’exécution est impossible (urgence, absence de voie de droit sanctionnant le comportement du justiciable récalcitrant, habilitation légale), l’administration est fondée à recourir elle-même à l’exécution forcée, c’est-à-dire à auto-exécuter ses décisions.
75Au final et en toute hypothèse, l’exercice de l’exécution ne peut relever que de la compétence administrative, c’est-à-dire que d’une fonction exécutive.
76Cela amène deux réflexions.
77La première concerne la théorie réaliste de l’interprétation. Affirmer que le juge est l’auteur final de la norme au motif qu’il est l’interprète authentique parait fragile. Car évidemment, exécuter c’est interpréter. L’auteur final de la norme n’est donc pas le juge, mais l’autorité administrative en ce qu’elle exécute la décision de justice. Est alors posée l’horrible question de savoir si la théorie réaliste de l’interprétation ne consacre pas l’État de police puisque seules des normes de police existent, et au final des normes seulement individuelles.
78La seconde concerne la théorie du gouvernement des juges. La doctrine s’est focalisée sur le risque d’atteinte au principe de la séparation des Pouvoirs dans les hypothèses où le juge posait des règles, par des arrêts (voire des avis) de règlement. Mais le gouvernement des juges réside-t-il véritablement dans l’édiction des normes générales ? N’est-ce pas plutôt s’il pouvait exécuter ses propres décisions que le juge exercerait une fonction exécutive, c’est-à-dire un véritable gouvernement des juges ?
Notes
-
[1]
Ac. Fr., Dict., 9e éd.
-
[2]
Dict. Larousse
-
[3]
Ph. THERY, « Exécution », Dic. Culture juridique, Puf, coll. Quadrige, 2003, p. 678.
-
[4]
TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 713, concl. ROMIEU.
-
[5]
CE, ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux, ministre de la Justice c. Magiera, n° 239575, p. 247. Pour une application récente précisant que « lorsque des dispositions applicables à la matière faisant l’objet d’un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la durée globale de jugement doit s’apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable », cf., CE, 13 juill. 2016, Jarraud, n° 389760.
-
[6]
CEDH, 31 juin 2005, Matheus c. France, n° 62740/00, pt 56 et s.
-
[7]
M. GUYOMAR et B. SEILLER, Contentieux administratif, Dalloz, Hypercours, 3° éd., n° 983.
-
[8]
CE, 30 mars 2005, SCP médecins Reichfeld et Sturtzer, p. 128.
-
[9]
CE, 20 mai 1988, Nardin, p. 198.
-
[10]
CE, 17 octobre 1997, Rubet, n° 176800.
-
[11]
CE, 26 décembre 1925, Rodière, p. 1065.
-
[12]
CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
-
[13]
CE, 29 décembre 2014, Cne d’Uchaux, n° 372477. Pour un exemple récent : CE, 25 janvier 2017, Assoc. Avenir d’Alet et a., n° 372676.
-
[14]
A. GARCIA et J. GOURDOU, Exécution des décisions de justice administrative, Rép. Cont. Adm., Dalloz, n° 1.
-
[15]
CE, Ass, 2 juillet 1982, Huglo, p. 257.
-
[16]
Étude annuelle CE, Le droit souple, Doc. Fr., 2013, p. 61.
-
[17]
CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et a., n° 368082, 368083, 368084.
-
[18]
Art. R. 412-1 CJA. Le décret du 2 novembre 2016 a remplacé l’expression « décision attaquée » par celle d’« acte attaqué ».
-
[19]
Art. L. 11 CJA : « les jugements sont exécutoires ».
-
[20]
Art. R.222-1 CJA
-
[21]
CE, Ass., 23 janvier 1970, Min. Aff. sociales c. Amoros, n° 77861.
-
[22]
R. CHAPUS, Droit Administratif Général, T. 1, 15e éd., n° 672.
-
[23]
Art. L. 551-1 CJA
-
[24]
CE, sect., 5 novembre 2003, Assoc. Convention vie et nature pour une écologie radicale et Assoc. pour la protection des animaux sauvages, n° 259339, 259706 et 259751.
-
[25]
CE, Sect., 7 oct. 2016, Cne de Bordeaux, n° 395211.
-
[26]
Pour un cas rare et récent de recours suspensif de plein droit : art. L. 77-10-25 CJA relatif à l’action de groupe « L’appel formé contre le jugement sur la responsabilité a, de plein droit, un effet suspensif ».
-
[27]
CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[28]
CE, Ass., 11 mai 2004, Assoc. AC !, n° 255886.
-
[29]
CE, Ass., 16 févr. 2009, Sté Atom, n° 274000.
-
[30]
CE, 6 avril 2016, M. E, n° 374224.
-
[31]
Cf., Association Internationale des Hautes Juridictions Administratives (AIHJA), L’exécution des décisions des juridictions administratives, VIIIe congrès, Madrid 2004.
-
[32]
CE, 1er juillet 1970, Cne de Sainteny Manche, n° 70820 : « considérant qu’il sera fait une exacte appréciation du préjudice résultant pour la commune de Sainteny des malfaçons commises par le sieur X… dans la confection de la toiture en condamnant ce dernier à verser à la commune une somme de 1.200 f, si mieux n’aime le sieur x… procéder lui-même aux travaux nécessaires ».
-
[33]
TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière St Just, préc.
-
[34]
Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes, Droit et Cultures, 57/2009-1, n° 4.
-
[35]
CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, R. 583.
-
[36]
J. ROMIEU, concl. sur TC, 2 décembre 1902, Sté immobilière de Saint-Just, S. 1904, III, p. 17, note M. HAURIOU.
-
[37]
CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, n° 49241, p. 583, S. 1915, 3, p. 9, note HAURIOU.
-
[38]
CE, 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194.
-
[39]
Idem.
-
[40]
Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 713.
-
[41]
CE, Sect., 27 février 2004 Dme Popin, n° 217257.
-
[42]
« L’expédition des décisions est délivrée par le secrétaire général ; elle porte la formule exécutoire suivante : “La République mande et ordonne au ministre de (ajouter le département ministériel désigné par la décision), en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision” ». Rec. Duvergier, Lois décrets ordonnances et réglements, 1850, p. 279.
-
[43]
Sur les mesures provisoires prononcées par la CEDH, Cf. S. WATTHEE, Les mesures provisoires devant la CEDH, La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, Nemesis-Anthémis, Coll. Droit et justice, n° 107, 2014.
-
[44]
CEDH, communiqué de presse du 25 juin 2014, n° CEDH 183 (2014).
-
[45]
Ibid.
-
[46]
C. MILHAT, « Entre contraintes et interdits : l’administration et l’exécution de ses actes », Droit et Cultures, 57/2009-1, n° 3.
-
[47]
R. CHAPUS, débats, La revue adm., n° spécial 1 : « Évolutions et révolution du contentieux administratif », 1999, p. 82.
-
[48]
Les pouvoirs reconnus au juge administratif par le livre IX du CJA ne sont pas limités à la seule exécution de la chose jugée. Ils permettent également au juge de préciser les obligations découlant nécessairement d’une ordonnance de référé (pour le sursis à exécution : CE, Sect., 20 décembre 2000, Ouatah, n° 206745 ; pour le référé-suspension : CE, 5 mars 2001, Saez et a., n° 230045).
-
[49]
R. 921-1 et s. CJA.
-
[50]
R. 931-1 et s. CJA.
-
[51]
CE, 29 décembre 2000, Colombeau, p. 1141.
-
[52]
CC, QPC n° 2017-624, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Durée maximale de l’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence].
-
[53]
Ibid.
-
[54]
CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
-
[55]
E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, t. 1, 2e éd., 1896, pp. 350-351.
-
[56]
Concernant la vente des biens des communes, E. Laferrière rappelle qu’elle est prévue depuis la loi du 18 juillet 1837 et qu’elle autorise tout créancier porteur d’un titre exécutoire à obtenir par décret une « vente forcée, une sorte de saisie et d’expropriation par la voie administrative » tant pour les meubles que pour les immeubles, mais uniquement s’il s’agit de biens « autres que ceux servant à un usage public » (Traité de la juridiction, t. 1, 2e éd., p. 353). La parenté avec la jurisprudence « société fermière de Campoloro » (CE, Sect., 18 novembre 2005, n° 271898) est patente.
-
[57]
E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, t. 1, 2e éd., 1896, p. 348.
-
[58]
R. CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. I, p. 725.
-
[59]
CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[60]
Sans prétendre à l’exhaustivité, Cf., CE, 26 juin 1968, Martinod, p. 399 ; CE, 17 mars 1971, Durand, p. 219 ; CE, 3 mars 1976, Ep. Renaudin, p. 131 ; CE 14 déc. 1983, Jacq, p. 510 ; CE, sect., 5 nov. 2003, Assoc. « Convention vie et nature pour une écologie radicale », p. 444 ; CE, 27 novembre 2015, SA Usine du marin, n° 376208.
-
[61]
CE, 30 novembre 1923, Sieur Couitéas, n° 38284.
-
[62]
CE, 1er juin 2017, SCI La Marne Fourmies, n° 406103.
-
[63]
J.-F. THERY, débats, La revue adm., n° spécial 1 : Évolutions et révolution du contentieux administratif (1999), p. 78.
-
[64]
Concl. ROMIEU sous TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just c. préfet du Rhône, p. 714.