Couverture de CIVIT_034

Article de revue

Faire parler le parlement. Méthodes et enjeux de l’analyse des débats parlementaires pour les sciences sociales, C. de Galembert, O. Rozemberg et C. Vigour, LGDJ, 2013

Pages 319 à 323

1Objet d’analyse classique dans le champ du droit constitutionnel, le Parlement est également de plus en plus étudié, en France et à l’étranger, par les politises les historiens, notamment dans la revue parlements, mais aussi par les autres disciplines des sciences sociales. Les législatives studies ont connu un essor récent en France. Cette exploration tardive, tient peut-être dans notre pays à la faiblesse supposée du Parlement sous la Ve République, à tel point que la sociologie de l’action publique et la sociologie législative, se sont souvent ignorées, faisant du temps législatif « un véritable trou noir au sein du processus de décision » (Millet 2010).

2La littérature en science politique ou en droit constitutionnel s’est plutôt attachée jusqu’alors à montrer le déclin du Parlement (gouvernement des juges, parlementarisme rationalisé, crise de la démocratie représentative, transfert de souveraineté). Le propos de l’ouvrage dirigé par C. de Galembert, O. Rozenberg, C. Vigour, se situe cependant à un autre niveau, celui des méthodes et enjeux inhérents à l’analyse du discours parlementaire. Son objet est au carrefour de plusieurs disciplines, mais porte uniquement sur les débats qui se déroulent au Parlement, c’est-à-dire une petite partie de l’activité de ce dernier. Il s’agit d’une séquence à part de mise en visibilité du travail politique révélant la dramaturgie et les dispositifs de publicisation. L’intérêt de cet ouvrage est de dépasser la simple analyse du rôle de cette institution dans la construction des choix publics. Les auteurs de cet ouvrage se sont donc interrogés sur les enjeux concrets de la prise de paroles, les conditions de production de ces actes de langage. Plus globalement les contributions de cet ouvrage s’intéressent aux rapports entre langage, politique, construction de la réalité sociale.

Une approche des débats parlementaires qui décloisonne les disciplines

3L’intérêt de l’analyse des débats parlementaires est que dans les legislatives studies cette étape est peu traitée. En France on a plutôt privilégié la vie dans les circonscriptions parlementaires, par exemple. C’est, expliquent les auteurs, à la fin des années 1990 que les études sur les débats d’assemblée se sont multipliées (Landowski), selon des paradigmes et méthodologies diverses faisant appel aux linguistes et sémioticiens (actes de langages), aux théoriciens de la décision (Elster, rapport argument/négociation), aux politistes et historiens (fonctionnement des institutions et systèmes de partis), aux sociologues du droit ou de l’action publique (processus d’écriture de la loi). L’ouvrage contribue à décloisonner les disciplines (sociologie, science politique, philosophie et histoire) et les méthodes (observation, logiciels d’analyse lexicale), à travers diverses approches (approches néo institutionnalistes analyses en termes de choix rationnel, legislative studies ; approche sémiotique, micro histoire.

4Ces débats parlementaires qui ont pour finalité de légiférer et contrôler le gouvernement, ont des logiques de fonctionnement et de production encore mal connues et les initiateurs de l’ouvrage notent leur dimension paradoxale et donc intéressante : publics mais confidentiels, régulés par des procédures, mais source d’une part d’imprévu, ils s’adressent à des tiers et des participants, s’inscrivent à la fois dans la majesté et la routine. Les auteurs ont pris deux précautions : situer cette séquence du travail parlementaire en fonction d’autres étapes, s’interroger sur l’écart entre réalité orale et retranscription écrite, reflet d’une mise en forme institutionnelle.

5Les débats parlementaires inspirent, dans cet ouvrage, quatre principaux questionnements à partir d’exemples empiriques historiques et nationaux différents : le débat parlementaire est-il ou non un moment délibératif (fins stratégiques, conflictualité ritualisée) ? Quel est le rôle des valeurs dans les débats ? Le rôle du parlement dans la fabrique législative ? Comment les parlementaires se conforment ou contournent la discipline partisane ?

Quatre thématiques composent l’ouvrage

6La première partie rapporte les débats à la fabrique de l’ordre parlementaire. Quatre chapitres posent la question du rapport entre le cadre institutionnel spécifique du parlement et les logiques d’action déployées au sein des assemblées. J. Elster et P. Urfalino reviennent à Bentham, penseur de l’utilitarisme, sur la « bonne » organisation des assemblées politiques. Puis deux contributions inversent le raisonnement : le cadre institutionnel est envisagé à partir des dispositifs, savoirs croyances et ritualités parlementaires (J.-P. Heurtin sur les débats en 1958-1959 relatifs à l’élaboration du nouveau règlement de l’Assemblée Nationale. Mise en valeur des conflits de de représentations, valeurs croyances intérêts et logiques d’action, dans la formation de l’accord préalable. Delphine Gardey met l’accent sur le rôle des technologies de publicisation des débats dans la fabrication de la scène parlementaire.

7La deuxième partie est consacrée au lien entre débats parlementaires et travail de représentation politique : les auteurs montrent la dimension cérémonielle et symbolique propre à une activité scénique, l’aspect processuel de délégation de la volonté populaire à des élus. Deux historiens, analysent la portée dramaturgique des débats parlementaires, dont la mise en scène est imparfaitement réglée. Jérôme Loiseau, met au jour les effets de réalité produits par un langage cérémoniel ; Steven Beaudouin démontre à partir de l’étude d’un débat à la chambre des députés en 1891 le caractère performatif que revêtent ces moments de théâtre politique. Cécile Vigour utilise la lexicomérie (Alceste) pour analyser la représentation à partir des rôles que les parlementaires endossent et les méta-discours que certains d’entre eux développent sur leur activité.

8Dans une troisième partie, les contributeurs s’interrogent sur la dimension effective de la délibération dans le parlementarisme, et sur la créativité et le caractère émotionnel du débat parlementaire, alors qu’il pourrait n’être qu’un conflit ritualisé, vide d’enjeux.

9La quatrième partie de l’ouvrage analyse les débats parlementaires sous l’angle de la production des politiques publiques et l’importance de l’instrument législatif pour l’écriture du droit.

Spécificités du langage politique de l’hémicycle à travers des études micro-sociologiques

10Le langage politique de l’hémicycle, comporte, comme le montre O. Rozenberg des spécificités liées à l’institutionnalisation du pluralisme. Réglé par une procédure, il est public, pluraliste, ritualisé et fonctionnel. La séance présente une synthèse entre la garantie juridique d’une liberté d’expression et l’imposition par la procédure d’un ordre particulier, de nature à circonscrire les émotions. Ainsi, les débats parlementaires offrent des solutions concrètes à différents problèmes relatifs à la qualité de la décision. Ces débats ont la vertu de stabiliser la décision politique, de réduire le chaos parlementaire et de modérer le pouvoir politique : ils contribuent à décollectiviser la décision (chef disciplinant ses troupes) ; ils imposent les procédures spécifiques encadrant le débat (vote par article, 49-3 ; doubler l’encadrement procédural d’un encadrement discursif publicisé). Selon O. Rozenberg, les débats parlementaires permettent d’améliorer le comportement des parlementaires et de mieux les connaître ; Dans un système complexe où la délégation des activités est organisée à chaque maillon du système, l’intervention orale en séance constitue le seul type de comportement institutionnalisé. Les débats au parlement sont l’occasion de légitimer le gouvernement représentatif et de crédibiliser une prétention à parler au nom des profanes. L’institutionnalisation d’un pluralisme oralisé de la parole est un moyen de prévention efficace de l’excès de pouvoir.

11C. Vigour met l’accent sur la pluralité des méthodes, utilisées dans cet ouvrage, l’interdisciplinarité, et le plus souvent la focale micro-sociologique (études de cas, comptes rendus écrits). Cette démarche se distingue de celle des législatives studies privilégiant un niveau d’analyse agrégé. C. Vigour évoque deux controverses prises en compte dans cet ouvrage : l’une porte sur la prépondérance des analyses portant sur les comptes rendus écrits plutôt que sur l’oralité (déficit de réflexivité des chercheurs sur les spécificités de ce matériau que l’institution produit). L’autre controverse concerne l’importance des débats de l’assemblée en eux-mêmes à distinguer de leur pertinence dans la perspective du vote (cela renvoie au poids respectif des intérêts des acteurs, des idées, à la force prêtée au cadre institutionnel et organisationnel dans lequel s’inscrivent les élus).

12Plusieurs approches sont adoptées dans cet ouvrage. Un tiers des contributions met en valeur des normes et valeurs, représentations que cristallisent les débats parlementaires et à la Construction sociale d’un problème public. Certaines études privilégient le degré de délibération (tradition habermassienne), d’autres, la manière dont les émotions sont mobilisées dans les débats et les arguments. L’articulation entre prises de position et positions des orateurs dans l’espace politique et social, permet d’identifier les intérêts des parlementaires. Des analyses mobilisent des outils pour visualiser, décompter la portée des modifications intervenues sur un texte. Plusieurs études s’appuient sur des comptes rendus écrits et les apports de la lexicométrie, armée du logiciel Alceste. La matérialité des discours renvoie aux structures et logiques argumentatives ou aux dispositifs de publicisation de ces discours. Les études ne se limitent pas à l’analyse des contenus, aux argumentations, et la signification qu’ils revêtent pour les parlementaires. Mais aussi au rapport entre le texte et celui qui l’a écrit. Le cadre parlementaire informe sur le déroulement des échanges.

13Cet ouvrage est particulièrement utile pour comprendre le fonctionnement du Parlement au-delà de ses aspects institutionnels et proprement juridiques. Sa dimension pluridisciplinaire, comme l’indique la participation de politistes, d’historiens, de sociologues, de linguistes permet de dépasser les frontières traditionnelles, et notamment l’approche classiquement constitutionnaliste des Parlements.

14Ainsi, l’histoire de la pensée politique permet de comprendre la transparence de la publicité parlementaire selon Bentham (J. Elster). Le rapport aux théories de la validité juridique, mobilisées par les députés en 1959 permet de comprendre comment ils ont éprouvé la validité de leur règlement après l’instauration de la Ve République. L’approche historique permet aussi de rendre justice aux États provinciaux, assemblées délibératives précurseurs des Parlements avant le parlementarisme (D. Gardey). L’approche par les instruments permet de s’interroger sur les conditions concrètes, techniques et matérielles mais aussi politiques de la production des comptes rendus, dans une comparaison France /Grande-Bretagne. Elle révèle le verbatim comme une véritable philosophie politique visant à la transparence absolue par la publicité intégrale, différant en cela de comptes rendus plus sélectifs et synthétiques en Grande-Bretagne.

15L’évocation de l’ensemble des contributions, au nombre de 17, est impossible ici, mais chacune d’elles contribue à une lecture spécifique de cette activité parlementaire visible, mais à travers le prisme sélectif des média - ce qui aurait d’ailleurs pu être interrogé dans cet ouvrage - et mal connue. L’intérêt de cet ouvrage est l’interdisciplinarité, la complémentarité entre micro et macro, entre les approches quantitative et qualitative. Ce livre est aussi une contribution à l’étude de la fabrique parlementaire du droit, de l’oralité des pratiques d’assemblée. On aura compris que les analyses proprement juridiques ne sont pas l’objet de cet ouvrage, et que précisément toute l’originalité de ce dernier est d’appréhender le parlement et les acteurs qui le composent sous un autre angle que celui des constitutionnalistes, qui ne sont pas présents dans cet ouvrage. Toutes les sciences sociales ont en effet un regard légitime et fécond sur cet objet particulier que sont les débats parlementaires.

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