Notes
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[1]
Wiard Raveling, La Réconciliation est-elle possible ? Ma rencontre avec Vladimir Jankélévitch (lettres-visites-rencontres-considérations) avec une préface de Georges-Arthur Goldschmidt. Une lettre et ses suites, traduit de l’allemand par Pierrick Steunou / Ist Versöhnung möglich ? Meine Begegnung mit Vladimir Jankélévitch (Briefe-Besuche-Begegnungen-Betrachtungen), mit einem Vorwort von Georges-Arthur Goldschmidt, Isensee Verlag Oldenburg, 2014. Voir aussi Catherine Clément, La Putain du diable, Paris, Flammarion, 1996, p. 278-285.
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[2]
W. Raveling, op. cit., p. 145.
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[3]
Ibid., p. 150.
-
[4]
Ibid., p. 152.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid., p. 154.
-
[7]
Ibid., p. 155.
-
[8]
Ibid., p. 156.
-
[9]
Vladimir Jankélévitch, Das Verzeihen. Essays zur Moral und Kulturphilosophie, Suhrkamp, 2003 (trad. Claudia Brede-Konersmann) ; Kann man den Tod denken ? Turia + Kant, 2003 (trad. Jürgen Brankel), Von der Lüge, Parerga, 2004, Bergson lesen, Turia + Kant, 2004, Der Tod, Suhrkamp, 2005 (trad. Jürgen Brankel).
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[10]
Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé, Paris, Gallimard, 1978, p. 32.
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[11]
Vladimir Jankélévitch, « La sincérité », in Les Vertus et l’Amour, Traité de vertus, II, t. 1, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 1986, p. 234.
-
[12]
Ibid., p. 235.
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[13]
Ibid.
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[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
Vladimir Jankélévitch, Le Pur et l’Impur (1960), Paris, Flammarion, 2004, p. 227.
-
[17]
Ibid., p. 177 sq.
-
[18]
Vladimir Jankélévitch, « La sincérité », op. cit., p. 235.
-
[19]
Ibid., p. 236 : « l’aliénation est la limite de l’oubli diabolique, le régime de la “schizopsychie” » ; « littéralement “dementia” le régime d’un esprit étranger à soi… » Une formule comme « le dément est relativement raisonnable » (p. 236) montre que Jankélévitch reprend l’opposition de la schizophrénie et de la démence établie par Eugène Minkowski (La Schizophrénie, Paris, Payot, 1927), philosophe phénoménologique et directeur de l’Œuvre de Secours aux Enfants.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Ibid., p. 237.
-
[22]
Ibid., p. 239.
-
[23]
Dans les publications ultérieures Jankélévitch insère des noms des résistants assassinés par l’occupant allemand entre 1942 et 1944.
-
[24]
« Déjouer le jeu d’autrui sans être soi-même déjoué : – c’est en ces termes que Baltasar Gracian conçoit le « rapport » non réciproque et unilatéral de tromperie. » Ibid., p. 192, voir aussi p. 218.
-
[25]
Ibid., p. 200.
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[26]
Ibid., p. 227 : « un sacrifice effectif et drastique ».
-
[27]
Karl Vossler, Die Neue Zeitung du 11 mars 1950, p. 7 sq. Cf. Hans Ulrich Gumbrecht, « Stattliche Gestalt. Karl Vossler und die Ambivalenzen der “inneren Emigration” », in Gumbrecht, Vom Leben und Sterben der grossen Romanisten, Karl Vossler, Ernst Robert Curtius, Leo Spitzer, Erich Auerbach, Werner Krauss, Munich/Vienne, Hanser, 2002, p. 24-48.
-
[28]
Helmut Lethen, « Im reissenden Strom der Translation. Der Gracián-Kick im 20.Jahrhundert », in Komparatistik-online, 2014, p. 185-202. Lethen retrace également les usages de Gracián après 1945, chez Hans Blumenberg, mais aussi chez les néolibéraux américains qui s’en servent pour le coaching. Il rapporte aussi les reprises par Guy Debord et Marc Fumaroli.
-
[29]
Baltasar Gracián, Handorakel und Kunst der Weltklugheit, traduction par Arthur Schopenhauer, Stuttgart, Kröner, 1954, p. 144.
-
[30]
Krauss élabore la doctrine et la stratégie d’un homme en danger et emprisonné, dont la marge de manœuvre est foncièrement réduite. Membre du groupe Schulze-Boysen (l’orchestre rouge), il récuse la « solution dictatoriale, tentée plus tard par les putschistes du 20 juillet » (Stauffenberg) (Werner Krauss, « Lüneburg-Bericht », p. 3, cité d’après Karlheinz Barck, « Werner Krauss vor dem Reichskriegsgericht », in Lendemains 69/70, 18. Jg., 1993, Zum deutsch-französischen Verhältnis : Werner Krauss, p. 137-150, p. 140). Rétrospectivement, Krauss souligne : « j’estime que nous ne devions pas la vérité surtout pas à nos adversaires, nous avions au contraire le devoir de lutter pour notre vie par tous les moyens » (Lüneburg-Bericht, non-publié, p. 6, cité d’après Barck, in Lendemains, p. 142). Quand les activités du groupe Schulze-Boysen sont découvertes, John Rittmeister et Ursula Goetze ne cachent pas leur opinion. Ils se déclarent résistants, les nazis les assassinent, tout comme Schulze-Boysen.
-
[31]
Karlheinz Barck, « Gracián-Lektüre in Plötzensee », in Ottmar Ette, Martin Fontius, Gerda Hassler, Peter Jehle (dir.), Werner Krauss – Werke, Wirkungen, Berlin, Berlin Verlag, 1999, p. 141-152.
-
[32]
Werner Krauss, « Bericht aus der Todeszelle », in Lendemains, 69/70, 18. Jg., 1993, p. 157-163, p. 157.
-
[33]
Ibid., p. 157-163.
-
[34]
Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, p. 15.
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[35]
Voir aussi Catherine Clément sur Jankélévitch : « Il parlait si vite qu’on le perdait en route. Il avait une drôle de voix perchée, très bizarre… – Saviez-vous qu’il détestait sa voix ?… Un jour il m’a dit : “J’ai la phobie de ma voix…” » (Catherine Clément, La Putain du diable, op. cit., p. 279.
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[36]
W. Raveling, La Réconciliation est-elle possible ?, op. cit., p. 153.
1 Vladimir Jankélévitch réunit de façon extrême deux traits de caractère absolument contraires : ouverture et fermeture d’esprit. Les étudiants contestataires de mai 1968 ont bénéficié de sa sympathie et de son soutien, nés de la visée radicalement anti-bourgeoise de sa doctrine morale. Ils y trouvèrent aussi un fondement éthique différent de l’existentialisme historiciste de Sartre et de sa conception de l’engagement, qu’il juge hypocrite et non attesté par l’action risquée. Mais que penser de l’anathème qu’il jette sur l’Allemagne, les Allemands et la culture allemande.
2 Nul autre que lui n’a eu cette volonté de récuser tout ce qui est allemand – de façon explicite, sans retenue, et avec toutes les conséquences qu’implique cette discrimination : aucun contact avec les Allemands, aucune visite en RFA ou en RDA, extirpation rétroactive de la culture allemande du savoir. Son texte le plus célèbre est probablement un article publié en 1965, dont la phrase clé est : « Le pardon est mort dans les camps de la mort ». Son attitude s’est progressivement durcie dans les années 1950 et 1960, parallèlement au miracle économique allemand. Il réalise une œuvre de réécriture exclusive de tout ce qui est allemand ; ce qui n’est pas sans problèmes, notamment en philosophie et en musique.
3 C’est seulement après la mort de Jankélévitch que l’on a appris qu’un Allemand, seul en son genre, Wiard Raveling, avait pu ébrécher ce mur du refus, sans que le seuil de la non-compréhension soit vraiment franchi [1]. Les limites de l’entente ne se trouvent pas uniquement du côté de Jankélévitch, mais aussi du côté de son hôte allemand.
4 Les rendez-vous manqués de Raveling sur le sujet du pardon avec Jankélévitch, mais ensuite également avec Derrida, traduisent une impossibilité de penser une figure et une posture, à savoir la polyvocité. Reste dès lors à déplorer l’étiage du dialogue.
L’intervention de Wiard Raveling
5 En 1980, Raveling, professeur allemand du secondaire, qui enseigne le français et l’anglais au lycée de Westerstede en Allemagne, écoute l’émission de radio « Le Masque et la Plume » dont l’invité est Jankélévitch. Ce dernier affirme alors en parlant des Allemands : « Ils ont tué six millions de Juifs, mais ils dorment bien, ils mangent bien et le mark se porte bien. » Raveling, bouleversé, adresse alors une lettre à Jankélévitch. Il n’a pas tué de Juifs, il est innocent mais il a mauvaise conscience et éprouve un mélange de honte, de pitié, de résignation, de tristesse, d’incrédulité et de révolte. De plus, il ne dort pas toujours bien. Ses parents n’avaient pas voté pour Hitler, mais ont été impressionnés par ses « succès ». Son père, mutilé, n’a pas participé à des crimes de guerre. Lui-même se donne comme devoir de raconter à ses enfants les crimes perpétrés par les Allemands. À la fin de sa lettre, Raveling invite Jankélévitch chez lui en Frisonie de l’Est.
6 Né en 1939 Raveling, fait partie de la première génération des Allemands qui, sans réserve, assume la responsabilité historique des crimes nazis – à la place de la génération des bourreaux – et transforme profondément la RFA à partir des années 1960. Néanmoins, il refuse de porter la marque de Caïn.
7 La lettre ébranle Jankélévitch, il aurait attendu ce message depuis trente-cinq ans. Il invite Raveling, qui lui rend visite dans son appartement à Paris en 1981. Cependant, il évite toute discussion approfondie sur la faute et le pardon. La correspondance se poursuit pendant cinq ans, mais les lettres ne dépassent jamais l’échange de politesses. Raveling demande à Jankélévitch s’il maintient son refus de nouer le contact avec des Allemands en Allemagne. La question reste sans réponse. La mort de Jankélévitch en 1985 empêche définitivement un débat de fond.
8 Jankélévitch s’est tu quant à son correspondant et visiteur allemand. Le public prend connaissance de leur correspondance grâce à François-Régis Bastide, dans un cahier du Magazine littéraire de 1995, ainsi que dans une émission sur France Culture « L’amour philosophe, une rencontre avec Wiard Raveling » la même année. L’émission rencontre un écho fort et positif.
9 En 2003, Raveling découvre par hasard la version anglaise du texte Pardonner de Derrida, qui présente son échange de lettres avec Jankélévitch. Il voudrait se procurer l’original français et se tourne vers le Collège international de philosophie de Paris. C’est alors Derrida en personne qui le contacte par téléphone. Il souligne que son rapport avec les Allemands est complètement différent de celui de Jankélévitch. Il lui parle aussi du cancer du pancréas, qui l’emportera peu après. Deux fois la mort – sujet central dans la pensée de Jankélévitch –, intervient brutalement, interrompant l’entretien.
10 Dans Pardonner. L’impardonnable et l’imprescriptible, Derrida présente la lettre de Raveling comme suit : le jeune Allemand (pas si jeune en réalité) aurait mauvaise conscience sans avoir commis de faute ; il aurait des remords au nom de l’autre ; il demanderait pardon pour un crime qu’il n’a pas commis. La lettre de Raveling serait en même temps « protestation, plaidoyer et réquisitoire [2] », elle s’adresse à l’auteur d’un texte qui s’appelle La Mauvaise Conscience (1933). Derrida cite aussi la réponse dans laquelle Jankélévitch parle d’une ère nouvelle pour laquelle il serait lui-même trop âgé. Avec le passage d’une génération à l’autre, l’espoir de Jankélévitch, le deuil se met en place, à la fin duquel le pardon devient possible. En même temps, face à la monstruosité du crime se fait valoir – en opposition à l’histoire guérissante –, une immobilité de l’irréparable qui exerce son effet. Le pardon ne peut pardonner que l’impardonnable. « Pardonner le pardonnable, le véniel, l’excusable, ce qu’on peut toujours pardonner, ce n’est pas pardonnable [3]. »
11 C’est ici qu’intervient la non-compréhension. Afin de récuser une quelconque « essence véritable du mot » ; pour souligner la concrétisation du sens du mot par son usage, Raveling renvoie à Wittgenstein [4]. Il rapproche la théorie du langage de ce dernier de la recherche poppérienne de la vérité par hypothèses à falsifier. Mais ce faisant, il passe complètement à côté des conceptions du langage propres à Jankélévitch et Derrida. En effet, Derrida inscrit le mot « pardon » dans sa réécriture des actes de langage comme une chaîne infinie de recontextualisations de signifiants. Les deux philosophes ont une conception résolument non-essentialiste du langage – ce que Raveling ne perçoit pas. Le pardon de l’impardonnable devient avec lui « je te pardonne, mais je ne sais pourquoi » ; Jankélévitch et Derrida pratiqueraient « une construction de l’esprit, une chimère loin de toute réalité » [5] voire un « acte gratuit », absurde, « saisissable uniquement à l’aide de paradoxes et d’apories » [6]. Il rappelle que Jankélévitch admirait les jeux de mots, le double sens des écrits du jésuite espagnol Balthasar Gracián [7]. Or Raveling confond le glissement de sens avec l’arbitraire.
12 Il amalgame Jankélévitch et Derrida à partir d’un prétendu manquement à l’univocité. Il gomme le hiatus qui existe entre la parole tâtonnante mais exacte de Derrida et les formules globalisantes telles que « les Allemands », « l’Allemand », « les philosophes allemands ont une bonne conscience imperturbable » [8] de Jankélévitch. En revanche, la continuité réelle entre les deux philosophes, celle du sens, atteindrait tous les Juifs nés en Allemagne et/ou imprégnés de culture allemande. À ses yeux, Jankélévitch ne déprécierait pas uniquement la part allemande du judaïsme : il méconnaîtrait complètement l’Allemagne occidentale des années 1980, que Goldschmidt qualifie de démocratie modèle, prête à se confronter avec son histoire criminelle, mais aussi de pays peu profond, sage, modeste.
13 Le prix à payer pour cette disqualification de l’Allemagne est élevé. Jankélévitch doit attribuer à la culture allemande une forme monolithique et une attraction pour le mal. Il lui faut réviser des textes anciens et les réécrire, y compris ses propres textes – il a soutenu une thèse sur Schelling en 1933. De plus, la culture allemande représente un héritage de sa famille originaire d’Odessa. Son père a traduit Schelling, Hegel et Freud. La correction rétroactive efface l’acculturation que la culture juive ainsi que la culture française ont contractée avec la culture allemande. Elle relit les ouvrages français sous l’angle de l’éventuelle influence néfaste allemande, et le contact avec l’Allemagne et les Allemands n’apparaît plus que comme une contamination à éviter.
14 Longtemps Jankélévitch reste inconnu en Allemagne, non traduit à sa demande, à l’exception de son livre sur Ravel, paru chez Rowohlt en 1958. Cependant l’intervention de Raveling à la radio française connaît des répercussions outre Rhin. Par son intermédiaire, la revue Sinn und Form publie à partir de 1997 quelques extraits de Jankélévitch. Puis Ralf Konersmann diffuse son œuvre en Allemagne, en accord avec Sophie, la fille du philosophe [9]. Le public germanophone découvre l’attitude irréconciliable et discriminatoire de Jankélévitch, qui bloque les sentiments « amphiboliques » devant les crimes imprescriptibles des Allemands, démontrant du même coup que la doctrine des affects non-univoques relève d’un champ qui a connu ses grandes heures en Allemagne, et qui est prolongée à quelques égards par Derrida.
15 Il y a également quelque chose de tragique dans le fait que les concepts soulignant l’équivoque restent fermés à Raveling.
L’amphibolie : philosophie morale et anthropologique
16 Le titre de l’émission radiophonique avec Raveling « L’amour philosophe » évoque le sujet de l’amour cher à Jankélévitch selon lequel l’amour est sans Dieu, sans ultime raison, sans condition ; ainsi, il respecte l’autre et lui pardonne. L’amour illustre également le caractère amphibolique du sentiment. L’amour totalement pur est impossible. Toutefois, la lumière de l’amour échoue à transpercer la méchanceté allemande [10].
17 Pourtant, la philosophie non-systématique mais concrète des sentiments ouvre un espace qui tisse ensemble des bribes de la pensée française et allemande Car Jankélévitch appartient à une transversale franco-allemande qui relie les figures de pensée de Bergson, la sociologie vitaliste et anthropologique de Simmel et l’éthique « matériale » de Scheler. Son approche, qui ancre la morale non dans la pensée mais dans l’action, lui confère un statut particulier au sein de la philosophie française. On ne saurait y voir une « influence » de la pensée allemande. Jankélévitch reçoit, choisit et contextualise. Dans le monde confus des sentiments, sa doctrine morale cherche des orientations et des forces de résistance. Il vit dans une période barbare qui ne peut plus garantir les valeurs de la personne. Il dissèque les sentiments contradictoires tels que la peur, le désespoir, la pudeur et le dégoût pour en faire des éléments d’une sincérité très particulière de l’homme. De la lecture des romans de Dostoïevski, il tire la conclusion que les protagonistes ne sont pas clairs quant à leurs propres sentiments. Jankélévitch distingue trois degrés de la dislocation de la conscience. Pour décrire le premier, il s’appuie sur l’écrit de Scheler, Nature et formes de la sympathie (Wesen und Formen der Sympathie) paru en français en 1928, suivant lequel il est impossible d’aimer et de haïr le même dans une seule personne. On aime le noyau d’une personne malgré le dégoût provoqué par quelques traits adjacents. On déteste une personne et on l’aime tout de même à cause de sa beauté. Ainsi les sentiments sont fluctuants et parcellaires [11].
18 Ceci ne suffit pas à expliquer le principe de la contradiction. Au deuxième degré, se trouvent les complexes, les cynismes et les tabous. La haine peut être un signe d’amour.
19 Pour le troisième degré Jankélévitch introduit – en se référant à Kierkegaard et Jaspers – le terme d’« amphibolie dialectique », qui se manifeste dans la peur, le désespoir, la pudeur et le désir du néant [12]. Il présente la théorie du polyzoïsme psychique de Durand de Gros. La centralisation personnelle de l’organisme humain est précaire et ne cesse de se désagréger, dans la maladie par exemple. L’individu se compose d’une légion d’unités vivantes plus petites. Des formules telles que « je suis plusieurs », « je suis légion, et peuplé d’une multitude virtuelle » semblent anticiper la pensée de Deleuze [13]. Jankélévitch décrit la sincérité envers soi-même à l’aide de concepts bergsoniens. La « dureté [14] » personnelle, sa consistance, se forme dans la densité impure du temps présent. Elle donne à cette sincérité sens et matière. L’écart entre le présent impur, les états harmonieux dans le passé et la latence du possible dans l’avenir produit une vibration, une verticalité polyphonique, que Jankélévitch appelle aussi devenir bergsonien [15].
20 Or, selon le même état d’esprit, dans Le Pur et l’Impur Jankélévitch donne une définition de l’homme qui est à la fois théologique et anthropologique. Il distingue bios et zoé [16]. Sa doctrine morale possède un ancrage organologique et intègre l’avertissement de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » Jankélévitch rapproche cette formule fameuse de la conception de l’homme selon le jésuite espagnol Gracián guidé par l’idée de l’« amphibie hybride », de la double composition de l’homme : « Nous sommes entre les deux extrémités », dit Baltasar Gracián, « et ainsi nous tenons de toutes les deux… »… Cette « alternative » n’est-elle pas le lot de la « créature créatrice » [17] ?
21 Selon Gracian, se savoir une créature intermédiaire et hybride engendre le sentiment de la pudeur et de la honte, crée une distance de l’homme envers lui-même sans légitimer automatiquement la dissimulation sans scrupules. La mauvaise foi dans le contact avec l’autre a pour condition le fait que la personne exerce un contrôle sur son rôle. Ainsi le menteur ne peut-il tromper l’autre que parce qu’il ne se trompe pas lui-même [18] et qu’il adhère complètement au rôle qu’il joue. L’homme insincère avec soi perd finalement le contrôle de soi-même, ce qui s’exprime dans son existence physique, le cas extrême étant l’aliénation du schizophrène [19]. Entre le mensonge et l’aliénation totale se situent les « amphibies, qui vivent dans le brouillard de l’amphibolie, comme les poissons vivent dans l’eau [20] ! », tels que les « mythomanes [21] ». L’homme insincère, qui se trompe sur lui-même, succombe à « l’oubli biologique [22] ».
22 La pensée de l’amphibolie fournit ainsi orientation et stratégie à qui veut résister par des moyens larvés.
Résister avec les stratégies de gracián
23 Jankélévitch a rédigé Du mensonge [23] – publié clandestinement à Lyon en 1942 –, pendant la Résistance. À ses yeux, il ne fait aucun doute que la dissimulation et le mensonge sont nécessaires pour résister efficacement aux forces d’occupation : cela relève d’une stratégie qui sert la vérité et la morale. Il actualise ainsi la controverse qui opposait Kant et Benjamin Constant à la fin du xviii esiècle sur l’éventuel droit de mentir. Kant insistait sur l’obligation absolue pour une personne cachant un persécuté de le révéler au persécuteur ; Constant objectait que cette conception extrême de la vérité détruisait la cohésion sociale et finalement aussi la morale.
24 Lors de temps inhumains, le mensonge devient une obligation. L’énonciation brutale de la vérité est parfois plus immorale que le mensonge. C’est dans ce contexte que la doctrine de Gracián [24] trouve son actualité : Ainsi, pour Jankélévitch, « Dans ce monde de misère, et en attendant que les hommes puissent s’aimer les uns et les autres, l’art gracianesque de la duperie, violence sèche, est préférable aux bûchers de l’inquisitio [25]. » Les situations répressives inhumaines légitiment la mauvaise foi, la dissimulation de ceux qui résistent. Jankélévitch vénère le sacrifice des résistants, de Cavaillès, Lautmann et Brossolette [26]. Le fait d’être prêt au martyre n’est pas un engagement de la pensée du sujet, c’est l’acte qui seul accrédite la morale. Plus la discrimination d’un individu ou d’un groupe est extrême, plus les formes de résistance doivent être rusées, ambiguës. La doctrine morale de l’amphibolie suit, elle est différée, elle intervient après l’acte. Ce que Jankélévitch n’a pas pu savoir, c’est qu’en même temps, en Allemagne nazie, un autre résistant se jouait des nazis à l’aide de la doctrine de Gracián. Werner Krauss, professeur de français et d’espagnol à l’université de Marbourg, puis membre de l’orchestre rouge à Berlin, identifie les formes de comportement qui évitent les expressions corporelles traîtresses et garantissent le contrôle du langage et du corps dans des situations risquées, s’inspirant de la conception de la persona de son maître Karl Vossler et de la doctrine de la prudence de Baltasar Gracián.
25 D’un côté, dans son étude Geist und Kultur in der Sprache (1925) Vossler transpose au présent la notion de la persona, le masque du théâtre antique. L’homme devient une personne dans la mesure où il joue un rôle qui le révèle à lui-même. Cette personne-persona n’est pas le champion de l’insincérité. Bien que le masque protège contre les situations gênantes, où l’on risque de perdre la face, il fait également résonner les sentiments équivoques, par le truchement du dérapage stylistique et les trahisons de la voix. En tant que corps de résonance, persona et personne ne se situent pas dans une suite historique - le masque et le rôle dans l’antiquité, la personne dans les temps modernes - mais les deux sont inséparablement liées. Pour Vossler il importe que la personne en tant que persona, comme rôle, revendique ses propres actes : « un homme qui nie avoir été ce qu’il a fait, commandé, ordonné et omis, n’est pas une personnalité mais un comédien. Il ne l’a été que suivant son rôle et son masque, mais il se désinvestit de son rôle, rend sa fonction et se présente dans sa pureté, dans une parfaite nullité [27]. » Ainsi s’exprime l’anti-nazi Vossler, membre de l’émigration intérieure entre 1933 et 1945, à propos des opportunistes allemands à la fin du nazisme.
26 D’un autre côté, cette valeur du rôle acquiert une importance particulière pendant l’entre-deux-guerres et la guerre, expliquant l’intérêt pour Gracián. La référence au jésuite espagnol relie – sans les assimiler bien sûr – les textes de Carl Schmitt, Bert Brecht, Norbert Elias, Werner Krauss et Vladimir Jankélévitch [28]. En légitimant la dissimulation dans son Oráculo manual, Gracián n’excuse pas le mensonge ; mais si l’on ne doit pas mentir, on ne doit pas non plus dire toute la vérité. L’homme prudent ne souhaite pas être vu, mais il agit comme s’il l’était [29]. L’homme prudent ne perd jamais sa contenance, ne s’indigne jamais. Il n’a pas forcément des projets mal-intentionnés. Il cherche à se protéger des affects qui risquent de l’empoisonner, le rendre ridicule ou même l’anéantir. La dissimulation est associée à une douce gentillesse, qui épargne la catastrophe de perdre la face.
27 Au xx esiècle, la persona protectrice devient une figure clé dans plusieurs disciplines. Dans le contexte des mobilisations et cruautés, le contrôle de soi acquiert une nouvelle fonction. Si la dissimulation peut servir à sauver la vie la lecture de Gracián est plus qu’utile. Le persécuteur nazi contraint les résistants allemands à mentir ; l’occupant allemand contraint les résistants français à mentir [30].
28 Arrêté, Krauss est emprisonné de 1943 à 1945 à Plötzensee puis Alt-Moabit, toujours condamné à mort. Son déguisement et les témoignages et attestations psychiatriques, entre autres de Gadamer, qui le décrivent comme savant bizarre non-responsable et a-politique, repoussent l’exécution capitale [31]. Il demande l’autorisation de poursuivre la rédaction de son manuscrit sur Gracián [32]. Il écrit, parfois les mains ligotées, Graciáns Lebenslehre et le roman PLN. Die Passionen der halykonischen Seele sur un officier de la Luftwaffe inspiré par Schulte-Boysen. Il applique les conseils de Gracián, perturbant celui qui l’interroge en reprenant ses arguments. Il l’engage même à relire La Montagne magique pour y trouver d’éventuels propos anti-nazis [33].
29 La voix intérieure, la conscience, mènent à la perte. Le prisonnier gagne une ouverture en rattachant son moi à celui de son adversaire. L’autre croit fixer le moi ligoté, mais c’est lui qui est dupe. Quand sa libération arrive, Krauss est toujours vivant. Il poursuivra en RDA ses recherches sur les Lumières et trouve la reconnaissance en Belgique et en France. En 1971 l’Université d’Aix-en-Provence lui décerne, sur proposition de Henri Coulet, le titre de docteur honoris causa.
30 Jankélévitch et Krauss confèrent une légitimité et même une dignité aux comportements dissimulateurs. Tous deux professent une prudence de la (sur)vie. Avant toute théorie, ils honorent les actes de résistance efficaces. Pour Jankélévitch, les martyrs sont des tiers, qui à la place des autres et face aux oppresseurs, s’immolent par le sacrifice du corps. Krauss en revanche n’accorde pas à l’oppresseur la satisfaction de son assassinat.
31 Le lien de la persona avec la pudeur et la honte – le masque qui sert à éviter d’être vu, d’être humilié – est ici révélateur. La discrimination par l’homme qui épie la victime a un effet sidérant. La personne qui est livrée et exposée à la vue a honte. Cet affect est désagréable, presque torturant, il ramène l’attention vers le corps. La personne humiliée ne peut sortir de sa passivité qu’en pratiquant des actes protecteurs – dissimuler, mentir… S’affranchir du blocage revient ainsi à se distancier de soi-même. Les stratégies de la persona servent à regagner le contrôle et à renverser les rôles sans que l’oppresseur le sache : la personne menaçante devient dupe.
32 Au cours des années trente et quarante, dans le contexte de la persécution, de la guerre et de l’occupation, les stratégies protectrices et résistantes deviennent vitales et transfrontalières, en réaction à des relations discriminatoires dissymétriques extrêmes. Après 1945 la question de la protection contre la discrimination se pose d’une façon moins aiguë. Néanmoins le message continue d’exercer son effet, car il traduit le besoin de se rendre discret afin d’éviter la discrimination. La dissimulation est mimicry, elle sert à ressembler aux autres. Ainsi la stratégie qui consiste à éviter toute apparence pouvant entraîner des sentiments de gêne, voire de honte, est une anticipation de la discrimination par d’autres. Ce mécanisme joue à l’intérieur d’une communauté langagière, quand quelqu’un se distingue par son idiome, et entre communautés linguistiques, ou quand un immigrant essaie de cacher son accent. La part non-volontaire de la parole que Vossler identifie comme composante de l’expression de la persona est en quelque sorte un « masque acoustique », selon l’expression d’Elias Canetti. Ce dernier y perçoit plutôt la parole des voyous, donc une appartenance douteuse, mais dans d’autres cas, l’on peut aussi y voir un signal de non-appartenance douloureuse.
33 C’est ici que l’on peut décrypter le comportement de Jankélévitch comme signe d’une profonde conscience de sa non-appartenance. Son attitude sert à éviter toute situation risquant de révéler son altérité présumée. La cicatrice qui ne s’est jamais refermée devient apparente dans le besoin qu’il a d’entendre son nom prononcé à la française. C’est l’essentiel qui est en jeu – son appartenance au peuple français. La France de Vichy l’a écarté de l’éducation nationale et l’a destitué de sa nationalité française. À Alger Derrida, plus jeune, a subi un sort semblable : le régime de Vichy l’a expulsé de l’école. Depuis cette expérience, leur accueil par la nation française leur paraît précaire, incertain. Jankélévitch et Derrida vivent leur stigmatisation comme une mise en cause de leur « francité ». Aux yeux des antisémites leur expression en français – leur « masque acoustique et stylistique » – est discréditée comme mimicry, comme imposture. Dans cette optique, on peut lire l’essai de Derrida Le monolinguisme de l’autre comme un décryptage et aussi une continuation de la pensée de Jankélévitch et de sa blessure.
Parole et honte : le monoculturalisme de l’autre
34 Dans Le Monolinguisme de l’autre, texte issu d’une conférence sur la francophonie, Derrida rattache audacieusement la question de l’accueil de la voix de l’autre à son propre statut langagier, qui est largement un statut de honte. À la différence de ses interlocuteurs, Edouard Glissant et Abdelkebir Khatibi, Derrida est monolingue, il ne parle que le français. Il précise : « Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne [34]. ». Bien que franco-maghrébin il ne parle ni arabe, ni berbère. En tant que membre de la diaspora juive dans une colonie française, il participe au français, langue du colon, opprimant les autres langues, ce qui n’empêche pas qu’il subisse entre 1940 et 1942 les mesures antisémites du régime de Vichy. Ainsi le français ne peut-il être pour lui la langue mère pour son travail de deuil.
35 En même temps il s’exerce continuellement à parler un français parfait. Il a horreur de l’idiome bruyant des pieds noirs, dont l’intonation et l’accent le gênent. Il a honte. Le français colonial lui semble incompatible avec la dignité intellectuelle de la parole publique. Les parlers méridionaux apparaissent chez lui comme des masques acoustiques, qui signalent une déviation, mais aussi une appartenance collective à un groupe douteux. Avocat d’une pensée qui souligne la non-identité des signifiants avec soi, et en cela un penseur de l’impur comme Jankélévitch, il s’efforce de parler un français pur. Il parle doucement, cherche la formule parfaite, soucieux d’éviter toute faute. La peur d’être discriminé détermine sa parole. Elle bloque son corps, le corps force à son tour le langage. Il le travaille, il en extirpe les sons et l’intonation suspects. Son parler est mimicry. Il se fait discret [35].
36 Derrida lui-même exerce l’effet discriminatoire de la voix : s’il entend un enregistrement d’une lecture de poèmes de René Char, il ressent une gêne. Il a honte. Dans l’intonation provençale du poète, il reconnaît la part méridionale de son identité. Tant qu’il pratique le monolinguisme du français écrit, le risque est largement absent. Il s’efforce de maîtriser un idiome pur dépourvu de tout accent. Mais dès qu’une personne ouvre la bouche, elle promet l’arrivée de ce qui est sans intention, sans contrôle absolu. Derrida est ainsi une persona qui évite physiquement la discrimination. Il cherche à éviter l’humiliation et la honte.
37 Derrida se sent hôte dans la langue française et en France tout court. Toutefois dans une très longue note de bas de page, il présente les divers scénarios caractérisant le rapport de philosophes juifs envers leurs langues respectives. Il rappelle la défense de la langue allemande, langue du Gastvolk (peuple-hôte) pour Franz Rosenzweig. Il ne suit pas Hannah Arendt, qui privilégie l’allemand comme langue de la métaphysique, langue qui serait restée innocente malgré la Shoah. Pour Derrida le concept de la langue-mère, de la Muttersprache est empoisonné. En passant par le nazisme, la langue allemande est devenue folle.
38 Il lui garde toutefois une place : à côté de « pardonner », il inscrit le terme allemand « vergeben ». À côté de la logique transgénérationnelle qui diminue le poids du passé, les stratégies transculturelles et translangagières ont un effet réconciliateur. Le moment de l’appropriation de la culture allemande semble important. Jankélévitch possède déjà la culture allemande – il l’a héritée – quand le nazisme triomphe en Allemagne ; Derrida acquiert la philosophie allemande quand le nazisme est vaincu. Jankélévitch expulse un héritage ; Derrida intègre une culture étrangère et foisonnante, suspecte.
39 Derrida, qui partage avec Jankélévitch une appartenance à la France ressentie comme précaire, a pu tracer une ouverture envers le monde germanique. Sépharade il a montré sans ménagement les limites de cette appartenance. Chez Jankélévitch, cette blessure, cette précarité sont à peine avouées. La politique de Vichy rendue possible par l’Allemagne nazie expulse aussi la part allemande du judaïsme. L’expérience du rejet et de l’humiliation a entraîné un profond sentiment d’insécurité, un état amphibolique. La volonté de Jankélévitch d’appartenir pleinement à cette France en reniant tout ce qui est allemand pourrait expliquer son durcissement envers la culture allemande : mais elle lui a coûté ce qui est peut-être le plus précieux et le plus humain dans sa pensée, à savoir l’amphibolie. Ainsi pourrait-on parler - par analogie avec la formule derridienne du monolinguisme de l’autre – d’un monoculturalisme de l’autre propre à Jankélévitch, éclairé par la lecture des textes derridiens.
40 De façon symétrique la pensée de Raveling témoigne d’une coupure qui se distancie de toute une tradition allemande à laquelle Jankélévitch était liée. Raveling s’inspire de la philosophie d’émigrés autrichiens comme Wittgenstein et Popper, sans s’approprier la pensée ni des émigrés, qui ont emmené l’héritage vitaliste et phénoménologique, ni des penseurs français ayant assimilé et travaillé ce courant. La pensée émigrée prônée par Raveling est liée à la philosophie analytique anglo-saxonne. Les limites de compréhension de Raveling résultent de son approche poppérienne : il adhère à la méthode de falsification de Popper qui consiste à évacuer tout ce qui est contradictoire. Cette méthode a été absorbée par la philosophie analytique anglo-saxonne. Raveling s’exerce – dans la documentation citée – à soumettre les propos de Jankélévitch au processus de la falsification, à les réduire à des affirmations erronées [36]. À ce titre il rate la transversale franco-allemande qui intègre le monde affectif non-univoque.
41 Jankélévitch et Raveling ont précisément évacué les éléments de pensée qui leur auraient permis de dialoguer. Toujours est-il que Jankélévitch a ouvert sa porte et que Raveling a posé les jalons d’une réconciliation. Certes, on peut s’imaginer des Allemands témoignant d’une plus grande sensibilité à l’endroit des figures de pensée qui se dérobent à l’univocité. Mais ils n’ont pas écrit de lettre à Jankélévitch.
Notes
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[1]
Wiard Raveling, La Réconciliation est-elle possible ? Ma rencontre avec Vladimir Jankélévitch (lettres-visites-rencontres-considérations) avec une préface de Georges-Arthur Goldschmidt. Une lettre et ses suites, traduit de l’allemand par Pierrick Steunou / Ist Versöhnung möglich ? Meine Begegnung mit Vladimir Jankélévitch (Briefe-Besuche-Begegnungen-Betrachtungen), mit einem Vorwort von Georges-Arthur Goldschmidt, Isensee Verlag Oldenburg, 2014. Voir aussi Catherine Clément, La Putain du diable, Paris, Flammarion, 1996, p. 278-285.
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[2]
W. Raveling, op. cit., p. 145.
-
[3]
Ibid., p. 150.
-
[4]
Ibid., p. 152.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid., p. 154.
-
[7]
Ibid., p. 155.
-
[8]
Ibid., p. 156.
-
[9]
Vladimir Jankélévitch, Das Verzeihen. Essays zur Moral und Kulturphilosophie, Suhrkamp, 2003 (trad. Claudia Brede-Konersmann) ; Kann man den Tod denken ? Turia + Kant, 2003 (trad. Jürgen Brankel), Von der Lüge, Parerga, 2004, Bergson lesen, Turia + Kant, 2004, Der Tod, Suhrkamp, 2005 (trad. Jürgen Brankel).
-
[10]
Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé, Paris, Gallimard, 1978, p. 32.
-
[11]
Vladimir Jankélévitch, « La sincérité », in Les Vertus et l’Amour, Traité de vertus, II, t. 1, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 1986, p. 234.
-
[12]
Ibid., p. 235.
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[13]
Ibid.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Ibid.
-
[16]
Vladimir Jankélévitch, Le Pur et l’Impur (1960), Paris, Flammarion, 2004, p. 227.
-
[17]
Ibid., p. 177 sq.
-
[18]
Vladimir Jankélévitch, « La sincérité », op. cit., p. 235.
-
[19]
Ibid., p. 236 : « l’aliénation est la limite de l’oubli diabolique, le régime de la “schizopsychie” » ; « littéralement “dementia” le régime d’un esprit étranger à soi… » Une formule comme « le dément est relativement raisonnable » (p. 236) montre que Jankélévitch reprend l’opposition de la schizophrénie et de la démence établie par Eugène Minkowski (La Schizophrénie, Paris, Payot, 1927), philosophe phénoménologique et directeur de l’Œuvre de Secours aux Enfants.
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[20]
Ibid.
-
[21]
Ibid., p. 237.
-
[22]
Ibid., p. 239.
-
[23]
Dans les publications ultérieures Jankélévitch insère des noms des résistants assassinés par l’occupant allemand entre 1942 et 1944.
-
[24]
« Déjouer le jeu d’autrui sans être soi-même déjoué : – c’est en ces termes que Baltasar Gracian conçoit le « rapport » non réciproque et unilatéral de tromperie. » Ibid., p. 192, voir aussi p. 218.
-
[25]
Ibid., p. 200.
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[26]
Ibid., p. 227 : « un sacrifice effectif et drastique ».
-
[27]
Karl Vossler, Die Neue Zeitung du 11 mars 1950, p. 7 sq. Cf. Hans Ulrich Gumbrecht, « Stattliche Gestalt. Karl Vossler und die Ambivalenzen der “inneren Emigration” », in Gumbrecht, Vom Leben und Sterben der grossen Romanisten, Karl Vossler, Ernst Robert Curtius, Leo Spitzer, Erich Auerbach, Werner Krauss, Munich/Vienne, Hanser, 2002, p. 24-48.
-
[28]
Helmut Lethen, « Im reissenden Strom der Translation. Der Gracián-Kick im 20.Jahrhundert », in Komparatistik-online, 2014, p. 185-202. Lethen retrace également les usages de Gracián après 1945, chez Hans Blumenberg, mais aussi chez les néolibéraux américains qui s’en servent pour le coaching. Il rapporte aussi les reprises par Guy Debord et Marc Fumaroli.
-
[29]
Baltasar Gracián, Handorakel und Kunst der Weltklugheit, traduction par Arthur Schopenhauer, Stuttgart, Kröner, 1954, p. 144.
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[30]
Krauss élabore la doctrine et la stratégie d’un homme en danger et emprisonné, dont la marge de manœuvre est foncièrement réduite. Membre du groupe Schulze-Boysen (l’orchestre rouge), il récuse la « solution dictatoriale, tentée plus tard par les putschistes du 20 juillet » (Stauffenberg) (Werner Krauss, « Lüneburg-Bericht », p. 3, cité d’après Karlheinz Barck, « Werner Krauss vor dem Reichskriegsgericht », in Lendemains 69/70, 18. Jg., 1993, Zum deutsch-französischen Verhältnis : Werner Krauss, p. 137-150, p. 140). Rétrospectivement, Krauss souligne : « j’estime que nous ne devions pas la vérité surtout pas à nos adversaires, nous avions au contraire le devoir de lutter pour notre vie par tous les moyens » (Lüneburg-Bericht, non-publié, p. 6, cité d’après Barck, in Lendemains, p. 142). Quand les activités du groupe Schulze-Boysen sont découvertes, John Rittmeister et Ursula Goetze ne cachent pas leur opinion. Ils se déclarent résistants, les nazis les assassinent, tout comme Schulze-Boysen.
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[31]
Karlheinz Barck, « Gracián-Lektüre in Plötzensee », in Ottmar Ette, Martin Fontius, Gerda Hassler, Peter Jehle (dir.), Werner Krauss – Werke, Wirkungen, Berlin, Berlin Verlag, 1999, p. 141-152.
-
[32]
Werner Krauss, « Bericht aus der Todeszelle », in Lendemains, 69/70, 18. Jg., 1993, p. 157-163, p. 157.
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[33]
Ibid., p. 157-163.
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[34]
Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, p. 15.
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[35]
Voir aussi Catherine Clément sur Jankélévitch : « Il parlait si vite qu’on le perdait en route. Il avait une drôle de voix perchée, très bizarre… – Saviez-vous qu’il détestait sa voix ?… Un jour il m’a dit : “J’ai la phobie de ma voix…” » (Catherine Clément, La Putain du diable, op. cit., p. 279.
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[36]
W. Raveling, La Réconciliation est-elle possible ?, op. cit., p. 153.