Cités 2016/4 N° 68

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Article de revue

Contestation de la propriété : actualité de l’anarchisme ?

Pages 91 à 110

Notes

  • [1]
    C. B. Macpherson, La Théorie politique de l’individualisme possessif, de Hobbes à Locke (1962), trad. fr. M. Fuchs, Paris, Gallimard, 1971, rééd. coll. « Folio ».
  • [2]
    Matthias Kaufmann, Anarchie éclairée. Une introduction à la philosophie politique (1999), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 24.
  • [3]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté (1885), Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1978, p. 239.
  • [4]
    Ibid., p. 238.
  • [5]
    Ibid.
  • [6]
    « Je veux l’organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit », Mikhaïl Bakounine, deuxième Congrès de la Ligue de la paix et de liberté (21-25 septembre 1868), in Marx/Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire, textes rassemblés et présentés par Georges Ribeill, Paris, Union générale d’édition, coll. « 10-18 », vol. I, p. 73.
  • [7]
    Au premier Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, Bakounine expliquait en effet qu’il fallait viser « l’abolition de la propriété héréditaire, l’appropriation de la terre et de tous les instruments de travail par la fédération universelle des associations ouvrières », Ibid., p. 72.
  • [8]
    « Ce serait une erreur funeste de croire que l’idée d’expropriation ait déjà pénétré dans les esprits de tous les travailleurs et qu’elle soit devenue pour tous une des idées pour lesquelles l’homme intègre est prêt à sacrifier sa vie », Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 238.
  • [9]
    Ibid., p. 239.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Ibid., p. 227.
  • [12]
    « Pouvons-nous croire que les paysans irlandais et anglais, s’ils entrevoient la possibilité de s’emparer du sol qu’ils convoitent depuis tant de siècles et de chasser les seigneurs qu’ils détestent si cordialement, en profiteront pas de la première déflagration pour réaliser leurs vœux ? […] Que le paysan français, voyant le pouvoir central désorganisé, ne cherchera pas à s’emparer des prés veloutés de ses voisines les saintes sœurs ? […] Pense-t-on que les mineurs […] ne chercheront pas à éliminer les propriétaires des mines ? », Ibid., p. 41-42.
  • [13]
    Ibid., p. 239.
  • [14]
    « Les anarchistes, qui répugnent à accepter le patronage d’une individualité, aussi illustre soit-elle, n’ont cependant pas hésité à se réclamer de Proudhon et à voir en lui le premier théoricien de leur doctrine » ; Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Paris, Maspero, 1975, t. 1, p. 39. Maitron renvoie à un passage du Bulletin de la Fédération jurassienne de 1874, qui rassembla les anarchistes après la dissolution de l’AIT : « L’anarchie n’est pas une invention de Bakounine ; si on veut absolument lier les doctrines à des noms d’hommes, il faudrait dire l’anarchie proudhonienne, car Proudhon est le véritable père de la doctrine an-archiste » (Ibid).
  • [15]
    « Le propriétaire a toujours dissipé ses rentes en festins joyeux, le paysan a toujours travaillé. Le propriétaire n’a rien fait pour améliorer ses terres, et néanmoins la valeur en a triplé en cinquante ans, grâce à la plus-value donnée au sol par le tracé d’une voie ferrée, par les nouvelles routes vicinales, par le dessèchement des marais, par le défrichage des côtés incultes ; et le paysan qui a contribué pour une large part à donner cette plus-value à la terre s’est ruiné », Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 57.
  • [16]
    Ibid., p. 182.
  • [17]
    Ibid., p. 245.
  • [18]
    La petite propriété, quand elle existe, comme c’est le cas en France, est trop pauvre pour pouvoir être productive. Elle assure parfois à peine la subsistance.
  • [19]
    « Quant au petit propriétaire, croyez-vous qu’il ne comprendra pas les avantages de la culture commune s’il les voit sous ses yeux ? », Ibid., p. 245.
  • [20]
    « Ils ont raconté comment il est né des guerres et du butin, de l’esclavage, du servage, de la fraude, et de l’exploitation moderne. Ils ont montré comment il s’est nourri du sang de l’ouvrier et comment peu à peu il a conquis le monde entier », Ibid., p. 175.
  • [21]
    Ibid., p. 60.
  • [22]
    C’est pour cela qu’elle ne supporte pas la demi-mesure. Si seul un changement complet du régime de propriété peut transformer une simple insurrection en révolution, alors l’expropriation consiste à s’emparer par la force, et dans une lutte dont on peut évidemment prévoir qu’elle sera sanglante, de toute la richesse sociale, non seulement les moyens de production (usine, manufacture), les infrastructures collectives (chemins de fer, moyens de transport), mais aussi les maisons des plus riches, leurs avoirs bancaires, et les comestibles disponibles dans les villes.
  • [23]
    « Les prolétaires révolutionnaires affirment nettement leur droit à toute la richesse sociale et la nécessité d’abolir la propriété individuelle, aussi bien pour les valeurs de la consommation que de la production », Ibid., p. 115.
  • [24]
    Ibid., p. 124.
  • [25]
    « Il s’agit, pour nous, d’abolir l’exploitation de l’homme. Il s’agit de mettre fin aux iniquités, aux vices, aux crimes qui résultent de l’existence oisive des uns et de la servitude économique, intellectuelle et morale des autres », Ibid., p. 237.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    « Nous savons fort bien que, depuis les temps du servage et même depuis le siècle passé, certains progrès ont été réalisés : l’homme du peuple n’est plus l’homme privé de tous les droits qu’il était autrefois. Le paysan français ne peut pas être fouetté dans les rues comme il l’est encore en Russie », Ibid., p. 45.
  • [28]
    « Loin d’être une source de richesse pour le pays, la propriété individuelle est devenue une source d’arrêt dans le développement de l’agriculture. Pendant que quelques chercheurs ouvrent des voies nouvelles à la culture de la terre, celle-ci reste stationnaire sur presque toute la surface de l’Europe – grâce à la propriété individuelle », Ibid., p. 245.
  • [29]
    Ibid., p. 246.
  • [30]
    Ibid., p. 248.
  • [31]
    Ibid., p. 253.
  • [32]
    Ibid., p. 40.
  • [33]
    Ibid., p. 43.
  • [34]
    Ibid., p. 84.
  • [35]
    « Celle-ci (l’insurrection), éclatant en même temps en mille points du territoire, empêchera l’établissement d’un gouvernement quelconque qui puisse entraver les événements, et la révolution sévira jusqu’à ce qu’elle ait accompli sa mission : l’abolition de la propriété individuelle et de l’État », Ibid., p. 86.
  • [36]
    Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit., p. 19.
  • [37]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 180.
  • [38]
    Ibid., p. 181.
  • [39]
    Mikhaïl Bakounine, Étatisme et Révolution (1873), trad. fr. Marcel Body, in Œuvres complètes, t. 4, publiées par Arthur Lehning, Leyde, Champ libre, 1967, 1976 pour l’édition française, p. 211.
  • [40]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 182.
  • [41]
    Ibid., p. 184.
  • [42]
    « La raison n’est pas tout, nous le savons. Il ne suffit pas que les intéressés arrivent à reconnaître leur intérêt, qui est celui de vivre sans continuelles préoccupations de l’avenir et sans l’humiliation d’obéir à des maîtres ; il faut aussi que les idées aient changé relativement à la propriété et que la morale correspondante se soit modifiée en conséquence », Ibid., p. 253.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État (posth., éd. Élisée Reclus, 1882), Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 12.
  • [45]
    Ibid., p. 23.
  • [46]
    Ibid., p. 25.
  • [47]
    Ibid., p. 67.
  • [48]
    Ibid., p. 77.
  • [49]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 182.
  • [50]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 30.
  • [51]
    Ibid., p. 31.
  • [52]
    Ibid., p. 32.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Franco Venturi, Les Intellectuels, le peuple et la révolution. Histoire du populisme russe au xixesiècle (1952), trad. fr. Viviana Paques, Paris, Gallimard, 1972.
  • [55]
    Pierre Kropotkine, L’Éthique (1891), trad. fr. M. Goldsmith, Paris, Stock, 1927, rééd, 1979, p. 26 ; voir l’ouvrage de Raphaëlle Beaudin-Fontainha, L’Éthique de Kropotkine, Paris, L’Harmattan, 2010.
  • [56]
    Ibid., p. 27.
  • [57]
    Ibid., p. 125-130.
  • [58]
    Ibid., p. 28.
  • [59]
    Ibid., p. 60.
  • [60]
    Pierre Kropotkine, L’Entraide, un facteur de l’évolution (version anglaise 1902, version française 1906), Paris, Éditions du Sextant, 2010, p. 40-42.
  • [61]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 95.
  • [62]
    Ibid., p. 98.
  • [63]
    Matthias Kaufmann, Anarchie éclairée, op. cit., p. 23.
  • [64]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 42.
  • [65]
    Ibid., p. 105.
  • [66]
    Ibid. p. 115.
  • [67]
    Marx/Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire, op. cit., p. 127.
  • [68]
    Ibid., p. 176.
  • [69]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 49.
  • [70]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 35.
  • [71]
    Ibid., p. 54.
  • [72]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 49.
  • [73]
    Ibid., p. 7.
  • [74]
    « À moi aussi il semble indubitable qu’un changement réel dans les relations des hommes à la possession sera ici d’un plus grand secours que tout commandement éthique ; mais cette vision, chez les socialistes, est troublée par une nouvelle méconnaissance idéaliste de la nature humaine et sa réalisation s’en trouve invalidée », Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture (1930), trad. fr. Dorian Astor, présentation P. Pellegrin, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2010, p. 173.
  • [75]
    Ibid., p. 135
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1 Dans les contestations de la propriété, nul doute que les anarchistes représentent le courant le plus radical. C’est en effet dans ses racines non seulement économiques, mais politiques et morales que la théorie anarchiste récuse non seulement l’existence mais la pertinence de la propriété. Pour cette raison, ce courant de la pensée politique qu’est l’anarchisme regagne en actualité dans notre réalité sociale. L’anarchie est à la fois en convergence et en divergence avec notre monde libéral. Convergente avec le libéralisme, la théorie anarchiste semble l’être parce qu’elle partage avec celui-ci la critique de l’autorité au nom d’une liberté tenue pour non seulement fondamentale mais pour un principe de minimisation de la contrainte. Divergente, elle l’est aussi le plus qu’il est possible, car si le libéralisme, comme l’a montré Macpherson [1], est un « individualisme possessif » et fonde un droit à la propriété aussi essentiel que la liberté car aussi nécessaire à la conservation de l’individu, la théorie anarchiste entend contester jusqu’au pseudo principe anthropologique de la distinction du « mien » et du « tien ». Loin d’être un fait de la nature humaine, celui-ci n’est que social et emprunte à l’idée d’une naturelle insociabilité, d’une guerre de chacun contre chacun. Cette convergence et cette divergence expliquent que la théorie anarchiste puisse servir d’appui pour contester les abus de la propriété en notre monde, voire pour en espérer l’évolution vers plus de solidarité.

2 C’est notamment l’ambition du philosophe allemand contemporain Matthias Kaufmann, dont le livre de 1999, Aufgeklärte Anarchie. Eine Einfürhung in die politische Philosophie, a été traduit en français en 2011 sous le titre Anarchie éclairée. Une introduction à la philosophie politique. Sans s’inscrire dans la fidélité doctrinale aux penseurs anarchistes de la tradition, l’auteur entend remettre au jour certaines de leurs intuitions fondamentales, notamment l’idée que les sociétés doivent reposer sur la coopération volontaire, que la coexistence humaine ne prend pas nécessairement la forme de la lutte à mort, mais aussi de l’entraide, et que l’exploitation et l’oppression ne constituent pas des fatalités [2].

3 Aux antipodes de cette démarche, qui reconstruit le concept d’anarchie en prenant des libertés avec les anarchistes de l’histoire, on peut aussi penser que le regain d’intérêt d’actualité pour l’anarchie est un des effets de la perte d’influence du marxisme. Sans entrer ici dans la querelle du droit d’aînesse des théories révolutionnaires du xixesiècle, la rivalité de Marx et Bakounine qui a causé la dissolution de l’Association internationale des travailleurs, la première Internationale, a rendu inaudible, ou audible à une petite minorité, la conception de la révolution des anarchistes – du moins pendant le xxesiècle. La chute des régimes communistes laisse en quelque sorte réémerger cet héritage oublié, que nous devons interroger pour savoir où nous en sommes. La contestation de la propriété obéit à un mot d’ordre, chez les anarchistes : l’expropriation. Cette idée n’a rien d’anecdotique, mais elle est au centre de l’anarchisme, aussi bien dans la théorie de la révolution qui lui est propre, que dans son sens économique politique, moral et social, notamment chez Bakounine et Kropotkine. Elle n’est cependant pas sans soulever quelques problèmes majeurs.

L’expropriation, « idée-mère » de la révolution

4 La théorie de l’expropriation est particulièrement développée dans les textes de Kropotkine. Même si l’anarchie constitue fort peu un corps de doctrine unifié – pour des raisons de cohérence avec le refus de tout principe d’autorité – la contestation de la propriété en son principe réunit tous ceux qui se réclament de l’anarchisme. La théorie de l’expropriation n’est pas une idée comme une autre, mais une « idée-mère », écrit Kropotkine dans son article de 1882 sur « L’expropriation », article paru dans le journal qu’il a fondé en 1879, le Révolté, et qui fait partie des textes réunis par Élisée Reclus pendant que Kropotkine était en prison et publiés dans le recueil Paroles d’un révolté [3]. Si cette idée de l’expropriation paraît à Kropotkine la matrice des autres idées anarchistes, c’est pour une raison théorique et pratique.

5 Sur le plan théorique, elle est l’idée même du communisme, dont l’anarchisme fait partie. Dans ce texte de 1882, Kropotkine écrit : « Il y a dix ans, ce programme (du moins dans sa partie économique), était accepté par tous les socialistes [4]. » Dans la scission de l’AIT, en 1872, les partisans de Marx sont accusés d’avoir si bien travaillé à « écourter ce programme » que « les seuls anarchistes se trouvent l’avoir maintenu dans son intégrité » [5]. Les anarchistes, qui deviennent un mouvement autonome à l’occasion des discussions avec les marxistes, veulent l’abolition de la propriété et en même temps celle de l’État. Pour Marx, on le sait, l’État doit mourir de sa belle mort, une fois que la nécessité de maintenir par la violence politique des rapports de classe conflictuels aura disparu, mais avant cela la propriété des moyens de production, dont les capitalistes ont été dépossédés, demeure aux mains d’une organisation, qui pour être révolutionnaire, n’en est pas moins centralisée et étatiste. L’expropriation n’est pas totale, mais partielle [6]. Bakounine préfère parler d’« appropriation », mais c’est néanmoins la même idée qui prend chez Kropotkine en 1882, six ans après la mort de Bakounine, le nom d’expropriation [7].

6 Sur le plan pratique, l’expropriation doit figurer en première place dans la diffusion des idées révolutionnaires. La raison invoquée par Kropotkine est tout sauf démagogique. Ce n’est pas la puissance de séduction de cette idée, ou l’adhésion spontanée à ce programme qui lui confère cette importance. Kropotkine est conscient du contraire [8]. Il pense que seul un élan révolutionnaire peut entraîner une adhésion à une idée qui doit apparaître alors comme évidente au peuple. C’est en effet pendant une révolution que la chose publique prend un sens, et cesse d’être effrayante. Or, l’expropriation n’est rien d’autre qu’une des dimensions de la chose publique. Mais une révolution se prépare, au moins pour éviter que le processus révolutionnaire ne soit entravé par des forces antagonistes qui n’y rencontrent pas d’intérêt. C’est ce qui s’est produit pendant la Révolution française, qui, si elle fut bien, pour Kropotkine, une révolution et une révolution qui eut des effets sociaux et politiques non négligeables, a, par défaut de radicalisme, sécrété l’autoritarisme du Comité de salut public. Pour éviter une telle dérive du processus révolutionnaire, il convient de respecter la temporalité propre d’une révolution. Si l’expropriation est une « idée-mère », c’est qu’elle est convoquée au début du processus révolutionnaire, faute de quoi elle devient impossible. L’expropriation dans le processus révolutionnaire consiste en effet à : « prendre la richesse sociale, l’utiliser de suite et établir ses droits sur cette richesse en la faisant profiter au peuple entier [9] ». Il n’est pas question, comme ont fait les marxistes, d’édulcorer la révolution, qui est un acte de violence consistant, pour le peuple, à prendre, à utiliser, à profiter. L’expropriation est même le seul acte qui puisse justifier les sacrifices qu’un peuple peut consentir pour la révolution, et garantir que « le sang n’aura pas coulé en vain [10] ».

7 Si la révolution ne va pas jusqu’à l’expropriation, elle n’est qu’un changement de gouvernement. Mais dans ce cas, elle n’est pas une révolution car elle ne change rien à l’ordre établi. Pour être une vraie révolution, c’est-à-dire une « révolution populaire », la révolution doit être « un cataclysme qui transformera de fond en comble le régime de la propriété » [11]. Un changement qui n’est pas complet n’en est pas un. Or pour être complet, le changement doit passer par l’expropriation. Le vocabulaire de Kropotkine est à la hauteur de cette exigence. Les paysans doivent profiter de la « première déflagration » pour « s’emparer du sol », des « prés veloutés » des propriétés ecclésiastiques, tandis que les mineurs chercheront à « éliminer les propriétaires des mines » [12]. Pour qu’un tel acte s’accomplisse, il convient donc que la notion d’expropriation prenne la première place dans la discussion populaire des idées anarchistes. Il convient, dit Kropotkine, de « semer l’idée d’expropriation par toutes nos paroles et tous nos actes » jusqu’à ce qu’elle devienne « partie intégrante du mot Anarchie » [13].

8 Si le mot expropriation fait « partie intégrante du mot Anarchie », c’est que malgré leur méfiance à l’égard de tout principe d’autorité, les anarchistes, surtout après la dissolution de la première internationale, revendiquent la filiation proudhonnienne, ainsi que l’a bien montré Jean Maitron dans Le Mouvement anarchiste en France[14]. Or, une telle paternité conduit à mettre la question de la propriété au centre du mouvement, et à considérer que « La propriété, c’est le vol ». Bakounine et Kropotkine donnent de cette idée leur propre interprétation.

L’expropriation, une idée économique

9 C’est comme économique que l’expropriation est une idée-mère. Elle comporte certes une signification bien plus large, mais l’économique doit venir en premier car la révolution ne saurait se réduire à sa dimension politique. Pour être véritablement un changement de l’ordre social, le nouvel ordre des choses est une transformation de la propriété. L’expropriation doit mettre fin à la propriété abusive, à l’usurpation de ce qui est produit par les travailleurs, ouvriers mais aussi paysans. La théorie de la plus-value vaut en effet dans ces textes, pour le monde agricole, dans une Europe où une grande partie du monde paysan travaille, en fermage ou en métayage, pour le compte de propriétaires terriens. C’est le travail du paysan qui produit la plus-value de la terre qu’il ne fait pourtant que louer et dont les bénéfices ne lui profitent pas – quand il ne s’appauvrit pas selon une logique identique à celle de l’industrie [15]. Le régime même de la production doit être transformé pour mettre fin à ce qui peut se nommer ici justement une « appropriation injuste des produits du travail de l’humanité par certains monopoleurs [16] ».

10 Le premier sens de l’expropriation, dans la révolution anarchiste, est donc l’abolition de la propriété, et même de la propriété individuelle. Par abolition de la propriété individuelle, il ne faut certes pas entendre, précise Kropotkine, que « la révolution sociale doive renverser toutes les bornes et les haies de la petite propriété, démolir jardins et vergers […]. Nous prendrons garde de toucher au lopin du paysan tant qu’il cultive lui-même avec ses enfants, sans recourir au travail salarié [17] ». Si cette précision est nécessaire pour s’opposer à une industrialisation autoritaire de l’agriculture visée jusque dans certains programmes socialistes, elle est presque formelle. Même propriétaire, le paysan est voué à la pauvreté en raison du régime de propriété qui l’entoure [18]. Nul doute donc, pour Kropotkine, que de son plein gré et spontanément il comprendra les avantages de la propriété commune [19].

11 L’expropriation doit en effet assurer le passage de la propriété individuelle à la propriété commune. L’expropriation renverse l’attribution de la plus-value. Concernant l’analyse du capital, Kropotkine ne prétend à aucune originalité ; il écrit par exemple : « Les socialistes ont déjà fait maintes fois l’histoire de la genèse du Capital [20]. » Il est donc logique de penser que les bénéfices du surtravail reviennent aux travailleurs eux-mêmes quand on passe de l’individuel au commun : « Lorsque la propriété individuelle sera abolie, alors chaque nouveau progrès industriel se fera au bénéfice de toute l’humanité [21]. » L’abolition de la propriété individuelle est nécessaire car son maintien ruinerait les résultats d’une expropriation seulement partielle [22]. Elle doit viser la mise en commun de tous les biens, de production comme de consommation [23]. C’est cela seul qui peut donner à tous, et notamment aux paysans, la possibilité de « prendre place au banquet de la vie », explique Kropotkine dans l’article sur « La question agraire » [24]. L’expropriation, cette réap­propriation des biens confisqués par quelques-uns, est seule capable de mettre fin à l’exploitation, c’est-à-dire à « la servitude écono­mique [25] ». L’expropriation est trans­formation du droit en fait, là où l’usurpation n’était qu’un déguisement d’un fait en droit. Elle consiste à rendre les biens à ceux qui les ont produits [26].

12 Le raisonnement économique de Kropotkine peut apparaître à bien des égards sommaire. Il est vrai qu’il refuse toute concession à l’économie politique dont la pseudo-scientificité ne recouvre qu’idéologie bourgeoise. La justification de la propriété individuelle repose sur un faux raisonnement. Il est sûr qu’elle peut donner un temps l’illusion de pouvoir jouir des bénéfices de son travail. Il démontre que c’est faux à la fois pour l’agriculture et pour l’industrie. Concernant l’agriculture, pour que le travail serve au travailleur, encore faut-il que les conditions en soient réunies et que d’autres créanciers ne viennent pas ruiner les efforts du fermage. Certes, il ne faut pas confondre, selon Kropotkine, le servage, le fermage, le métayage et la petite propriété, ni nier la différence entre le paysan français et le paysan russe, délivré du servage depuis quelques années à peine (en 1861) au moment où Kropotkine écrit [27], mais rien de cela ne peut être mis en balance avec la propriété collective. Si l’agriculture ne peut progresser, c’est, selon Kropotkine, en raison de la propriété individuelle [28]. Pour l’agriculture, il est donc certain que « L’avenir n’est pas à la propriété individuelle, au paysan parqué sur un lopin qui le nourrit à peine : il est à la culture communiste [29] ». Pour l’industrie, les choses sont encore plus nettes. Que le capital soit source de paupérisation, à l’encontre de l’utopie libérale déjà démentie par Marx et Engels, fait consensus chez les socialistes. On ne peut défendre la propriété privée des moyens de production au prétexte qu’elle aurait permis le progrès industriel. En scientifique, Kropotkine ne nie pas ce progrès, qu’il s’agisse du moteur à vapeur ou bien de l’industrie chimique. Mais ces progrès ne sont pas causés par la propriété mais par des savants eux-mêmes souvent « morts sur la paille [30] ». Les découvertes scientifiques auraient même eu, selon lui, plus de répercussion dans un mode collectif de production.

13 L’expropriation est donc une réappropriation. Sa justification ultime a des accents proudhonniens :

14

« Il faut comprendre sans hésitation ni réticence morale, que tous les produits, l’ensemble de l’épargne et de l’outillage humain, sont dus au travail solidaire de tous et n’ont qu’un seul propriétaire, l’humanité. Il faut voir clairement dans la propriété privée ce qu’elle est en réalité, un vol conscient ou inconscient à l’avoir de tous et s’en saisir joyeusement au profit commun quand sonnera l’heure de la revendication [31]. »

15 La signification de l’expropriation excède donc le simple niveau de la répartition des richesses. Elle engage la conception de la société et des relations entre les membres de la communauté, elle est politique et éthique.

L’expropriation, une idée politique, éthique et sociale

16 En développant l’idée d’expropriation de manière autonome, on court le risque de marxiser la théorie anarchiste, et même si les points communs, comme l’analyse de la plus-value, sont évidents, il y a aussi divergence de fond sur l’autorité et le pouvoir. Si l’expropriation est l’idée-mère des autres idées anarchistes, c’est dans le processus révolutionnaire, et en tant qu’elle est une révolte contre l’autorité et le pouvoir. En s’attaquant à la propriété, on s’attaque à l’autorité et au pouvoir, à l’État, aux lois, et la religion. Par là-même l’expropriation a aussi une signification sociale, car elle donne naissance à une nouvelle forme de sociabilité, celle de la commune.

La signification politique

17 Contrairement à Marx, pour qui la réappropriation par les travailleurs des moyens de production prépare l’abolition de l’État – l’économique étant la condition de la transformation politique –, l’expropriation chez les anarchistes comporte en elle-même une dimension politique. Par l’expropriation, on détruit l’État et on l’abolit, car l’État n’a qu’une fonction, celle de conserver la propriété. La propriété et le pouvoir sont de manière indifférenciée les fondements des institutions sociales [32]. La théorie de la révolution, comme révolte spontanée, est elle-même rétroactivement conditionnée par ce principe théorique. L’expropriation se passe de décret. Elle ne dérive d’aucun acte d’autorité d’un quelconque organe central de la révolution. Si la propagande doit être efficace en amont, c’est pour que le peuple se débarrasse de sa tendance à l’obéissance. Kropotkine explique dans son article « La prochaine révolution » :

18

« L’ouvrier parisien n’attendra pas qu’un gouvernement – fût-il même celui de la Commune libre – l’accomplissement de ses vœux : il se mettra à l’œuvre lui-même en se disant : “Ce sera autant de fait”. Le peuple russe n’attendra pas qu’une Constituante vienne le doter de la possession du sol qu’il cultive : pour peu qu’il espère réussir, il cherchera lui-même à s’en emparer [33]. »

19 Toute révolution est une abolition par la force. De même que, sous la Révolution française, le servage a été par la force définitivement aboli (c’est-à-dire ce qui en restait, le servage réel, portant sur les biens fonciers, et non le servage personnel), de même, désormais, dans la révolution sociale, qui, selon les anarchistes, se prépare, tout ce qui reste de la propriété doit être aboli par le même moyen, la force, qui est une façon de renverser l’État. Une telle abolition par la force est « bien autrement plus efficace que l’abolition de n’importe quoi par des lois [34] ». La mission de la révolution est donc d’empêcher toute institution d’un gouvernement et d’abolir ensemble la propriété et l’État [35]. Paradoxalement, si l’appropriation est une idée mère, c’est que la propriété n’est pas autonome, mais repose sur le principe d’autorité. Comme l’explique bien Jean Maitron, la différence entre les anarchistes et les communistes vient de ce que pour ceux-ci tout le mal vient de la propriété individuelle, tandis que pour les anarchistes, si la propriété individuelle est un mal, elle n’est pas le tout du mal, mais seulement sa surface. La racine étant l’autorité, c’est d’abord le principe d’autorité qu’il faut détruire [36] et l’expropriation est en elle-même un acte de destruction de l’État.

20 L’expropriation contient donc en elle-même une critique de la notion même de loi, dans sa dimension politique. Dès que la loi recouvre un autre sens que celui de loi de la nature, la signification en est abusive. La notion de loi politique ne recouvre que la propriété. Les lois politiques sont essentiellement des lois sur la propriété. En effet, dès lors qu’une loi n’est pas une loi de la nature, elle est coercitive. La contrainte qu’elle exerce vise à protéger artificiellement un phénomène non naturel, comme celui de la propriété. Selon Kropotkine, on peut réduire l’ensemble des lois, « les millions de lois » de l’humanité, à trois grandes catégories qui en déclinent la dimension sécuritaire : « Protection de la propriété, protection du gouvernement, protection des personnes [37]. » Dans les trois cas, la loi est inutile et nuisible, et toutes les lois se ramènent à la propriété.

21 Les lois sur la propriété stricto sensu ne sont pas faites pour garantir à un individu les produits de son travail, mais pour les lui dérober. L’établissement des droits sur une chose est une appropriation injuste du fruit du travail d’un autre. C’est parce qu’il y a de l’injustice qu’il faut des lois, pour protéger l’injustice et non l’éviter. Si l’appropriation n’était pas injuste, il n’aurait pas été nécessaire d’établir des lois pour la maintenir. Les armées, les soldats, les policiers et les juges ne servent qu’à maintenir le partage injuste du mien et du tien, à l’encontre de ce que nous enseignent « le bon sens et le sentiment de justice inhérent à l’humanité [38] ». Pour Bakounine, tout État est militaire. Celui-ci écrit par exemple dans Étatisme et Révolution :

22

« Toute exploitation du travail, quelles que soient les formes politiques de la pseudo-volonté ou de la pseudo-liberté du peuple dont on la dore, est amère au peuple. Donc, aucun peuple, aussi docile soit-il par nature et aussi habitué qu’il puisse être à obéir aux autorités, ne se résignera volontiers à s’y soumettre ; pour cela une contrainte permanente est nécessaire ; cela veut dire que sont nécessaires la surveillance policière et la force militaire. L’État moderne, par son essence et les buts qu’il se fixe, est forcément un État militaire [39]. »

23 Les lois sur la propriété ne servent qu’à asseoir le monopole de quelques-uns sur tous. Toute la législation peut quasiment se réduire à une législation sur la propriété. L’expropriation est donc en même temps, pour Kropotkine « un autodafé de toutes les lois qui ont un rapport avec les ci-nommés “droits de propriété” », lesquels ne sont qu’un équivalent de l’esclavage et du servage [40].

24 Le même raisonnement s’applique aux lois de gouvernement, qui n’ont, quel que soit le régime, pour but que de défendre des possédants. L’expropriation est donc aussi « un feu de joie » de toutes les lois qui concernent l’organisation du gouvernement.

25 On pourrait croire que les lois visant la sécurité des personnes n’entrent pas dans la même catégorie et ne sont pas une extension de la signification politique de l’injuste appropriation, les lois criminelles qui condamnent et répriment les agressions assurant la sécurité non des biens mais des hommes. Il n’en est rien, selon Kropotkine. Délinquance et pauvreté, selon un raisonnement devenu commun, sont liées. Selon lui, la grande majorité des crimes et délits étant commis dans le but de s’emparer de biens, l’expropriation sert l’ordre social et la sécurité des personnes : « Il est prouvé par la statistique que le nombre des crimes augmente et diminue en proportion du prix des denrées [41]. » C’est l’obéissance à l’ordre injuste de la propriété qui est cause de la criminalité, et donc l’expropriation rend à l’humanité une sécurité qu’elle a perdue.

La signification morale

26 L’expropriation a également une signification morale. C’est une nouvelle morale qu’elle inaugure. Toucher au partage du tien et du mien, c’est s’exposer, les anarchistes en ont conscience, non seulement à la résistance de la bourgeoisie mais aussi à celle de la paysannerie, alors même que l’expropriation sert son intérêt. Pour cela, il faut que la morale relative à la propriété ait changé. Ce qui est ici appelé morale est opposé à la raison [42]. L’argumentation rationnelle est celle de la science, sur laquelle la théorie anarchiste, repose. Mais la morale n’est pas à négliger car elle s’enracine dans le sens commun et s’inscrit dans les mœurs. Le raisonnement qui enseigne que la propriété est vol doit trouver sa correspondance dans une nouvelle morale, où la propriété qui est vol serait mauvaise, et l’expropriation, qui est réappropriation, bonne. L’expropriation désigne même le moment, révolutionnaire au sens propre, de ce renversement de la morale. La propriété privée peut alors apparaître comme du côté du mal, et un nouveau sujet collectif, l’humanité, peut voir alors sa propriété, la propriété collective, comme du côté du bien : « Que de vieilleries à remplacer ! », s’exclame Kropotkine [43]. Dans ces vieilleries, se trouvent en premier lieu non seulement les notions politiques comme l’autorité et la loi, mais surtout, ce qui s’est donné comme fondement même de la morale, la religion. Le propos est largement développé par Bakounine dans Dieu et l’État. La critique de la religion est pour lui le fondement même de la critique de l’État, et l’expropriation est aussi pour l’homme une réappropriation de son humanité, confisquée par la divinité.

27 Le but de la religion est toujours de servir à affermir l’autorité. La révolution requiert donc une critique de la religion destinée à saper les fondements de la croyance humaine en l’autorité personnelle, et donc à saper le ressort de l’État. Dieu est l’alibi du maître. Si l’expropriation est une critique de la religion, c’est que se débarrasser de la religion est nécessaire pour comprendre que l’humanité est le sujet de son histoire. Comme Feuerbach et Marx, Bakounine ne se contente pas de dénoncer la fiction religieuse, mais de comprendre que si ce qui a fait l’humanité est le péché du point de vue religieux, ce qui a fait l’homme, c’est la désobéissance. L’homme commence son histoire propre « par la révolte et la pensée [44] ». La seule raison pour laquelle les hommes acceptent de renoncer à un besoin de se révolter inhérent à l’humanité, est la misère, qui confère à la religion le sens d’une « protestation instinctive et passionnée [45] ». Le christianisme témoigne bien que l’essence de la religion réside dans « l’asservissement et l’anéantissement de la liberté au profit de la Divinité [46] ». Pour recouvrer sa liberté, l’homme doit renoncer à toute religion. Il n’y a aucune autorité divine, absolue. Si toute autorité humaine est abusive, car exercée au profit d’une minorité dominante et exploitante, toute autorité divine l’est aussi. La religion est donc bien davantage, chez Bakounine, qu’un opium du peuple. Elle sert à annihiler toute liberté au profit de l’autorité. Elle n’est pas seulement idéologie mais processus réel d’asservissement. La religion est un élément dynamique de l’installation de l’État. Il ne faut donc pas dire que la religion est d’essence politique, mais que l’État est d’essence religieux. Tout le mouvement de la vie va au contraire dans le sens de l’anarchie. Il faut rendre aux hommes leur liberté pour parvenir à « l’extinction absolue du principe même de l’autorité [47] ». Or la liberté ne supporte pas plus de demi-mesure que la propriété. Pour être libre entièrement, c’est-à-dire libre tout simplement, il faut ne plus dépendre de la propriété d’autrui, ne plus être dépendant d’une quelconque autorité. L’anarchie s’appuie sur le mouvement de la vie et la spontanéité du sens individuel de la liberté : « L’action spontanée du peuple lui-même peut seule créer la liberté populaire [48]. » La révolution populaire est une violence, mais cette violence est réappropriation par le peuple de sa liberté. L’abandon de la religion donne naissance une nouvelle morale, à une morale non fondée sur des interdits (« ne vole pas, ne tue pas ») mais à une morale positive. Ainsi au précepte encore négatif « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît », Kropotkine substitue une morale de la solidarité dont la maxime serait : « Si tu veux être heureux, fais à chacun et à tous ce que tu voudrais que l’on te fît à toi-même [49]. » De là, découle le dernier sens de l’expropriation, le sens social.

Le sens social de l’expropriation

28 L’expropriation donne naissance à une nouvelle sorte de sociabilité, qui nous est enseignée par des lois, mais pas par les lois de l’histoire comme chez Marx, mais par les seules lois qui existent, les lois de la nature. La seule loi qui ne soit pas asservissante est la loi de la nature, et c’est par abus de langage que nous parlons d’autorité des lois de la nature, au prétexte que nous leur obéissons et qu’elles sont toutes puissantes. En obéissant à ces lois, nous ne sommes pas esclaves : « Il n’y a rien d’humiliant dans cet esclavage, ou plutôt, ce n’est pas même l’esclavage [50]. » Mieux encore, ces lois sont celles de notre émancipation, non seulement parce qu’il faudrait être fou pour se révolter contre la loi que « 2 et 2 font 4 » mais aussi parce que la reconnaissance de ces lois nous permet de mieux organiser « l’existence matérielle et sociale » [51]. C’est de ces lois que l’on peut attendre d’être délivré de l’autorité. C’est parce qu’elles sont irréfutables que les autoritaires devront s’incliner et reconnaître que la « direction et la législation » ne sont plus nécessaires [52]. Il n’est donc pas question de gouverner au nom de la science. Le système de Saint-Simon, le premier socialiste, qui charge une académie de savants de la législation et de l’organisation de la société, est selon Bakounine « une monstruosité [53] ». Il faut empêcher le gouvernement de la science comme tout autre gouvernement.

29 Mais en revanche, ce qu’enseigne la science, c’est la naturalité de la sociabilité dans l’espace de la commune. Ce qui distingue les anarchistes russes est le rôle qu’ils accordent aux sciences naturelles, pour des raisons qui ont tenu à la constitution de ce que l’on a appelé en Russie dans les années 1860 le populisme, dont Franco Venturi a fait l’histoire dans Les Intellectuels, le peuple et la révolution, et qui désigne l’attitude qui consiste à « aller au peuple » et tourne autour de la figure de Alexandre Herzen, qui fut lié à Bakounine et exerça une influence sur Kropotkine [54]. Pour se libérer des préjugés et aussi des spéculations philosophiques compromises avec l’hégélianisme, seule la science naturelle est efficace car elle met à nu le réel. Herzen lui-même enseigna la physiologie. Bakounine a été formé comme Marx chez les hégéliens de gauche, mais il s’est converti au naturalisme. Kropotkine et Élisée Reclus sont géographes. Leur conception de la commune doit beaucoup à leur étude de la géographie comme science naturelle. C’est par la géographie que Reclus et Kropotkine abordent les questions économiques, et la géographie d’Élisée Reclus est traversée par la préoccupation de l’économie.

30 La commune est donc le lieu d’une sociabilité naturelle, d’une solidarité spontanée et de ce que les anarchistes appellent l’entraide. Cette sociabilité repose pour Kropotkine et Reclus sur la loi de l’évolution. Dans L’Éthique, ouvrage dans lequel Kropotkine entend utiliser les connaissances des sciences nouvelles (physique, physiologie, etc.) pour refonder la morale, celui-ci entreprend de montrer quelles sont, selon lui, les vraies leçons de Darwin. Aux antipodes de l’acception ordinaire du darwinisme social, Kropotkine considère que Darwin a montré « l’énorme importance de l’entraide pour la persistance des espèces animales et de l’humanité [55] ». La commune est avant tout une communauté d’entraide quand la nature de l’homme lui est en quelque sorte rendue à lui-même par l’abolition de la propriété. En rendant possible la commune, l’expropriation permet à l’homme de retrouver le sens de la sociabilité de sa nature, inscrite dans l’espèce. La lutte est réservée au rapport entre espèces, tandis qu’« au sein d’un groupe formé pas des espèces différentes mais vivant en commun, l’entraide est la règle générale [56] ».

31 Cette sociabilité ne revient pas à la philia aristotélicienne. Il ne s’agit pas de dire que l’homme est zoon politikon, ni de retourner à une éthique prémoderne. La sociabilité naturelle de l’homme chez Aristote, note Kropotkine, s’accompagne d’une croyance en la supériorité de la raison dans l’intellect humain, et socialement, d’une acceptation de fait de l’esclavage, qui fait entrave au sens de la justice dont a témoigné le philosophe grec [57]. Au contraire, la sociabilité naturelle de l’humanité est ici établie par la science naturelle et repose sur l’animalité de l’homme, donc sur sa véritable nature, pas sur une nature identifiée à la raison. Dans les espèces animales, comme dans l’espèce humaine, l’entraide est selon Kropotkine lisant Darwin, « le facteur principal [58] ». C’est sur cette base que doit s’édifier la nouvelle éthique, qui ne peut recevoir son plein accomplissement que si les conditions sont réunies pour une vie selon la nature, c’est-à-dire justice, égalité et liberté qui sont à quoi tend notre sociabilité naturelle [59]. Pour les théoriciens russes de l’anarchie, le village agricole russe, le mir, incarne, malgré la pauvreté et l’asservissement, une telle solidarité naturelle. De manière générale, l’État moderne n’a jamais réussi à venir à bout de la commune villageoise, de l’entraide spontanée qui y règne, car le partage du mien et du tien est moins évident dans la pauvreté que dans la richesse, comme le décrit Kropotkine dans L’Entraide, un facteur de l’évolution[60].

32 La sociabilité naturelle est aussi la sociabilité insurrectionnelle. Au Moyen Âge, il y eut des communes en révolte contre les seigneurs [61]. La dernière commune, encore dans les esprits, est celle de Paris en 1871. Si ces communes furent des échecs, c’est qu’elles n’allèrent pas au bout de l’expropriation. La première chose que la commune de la grande révolution sociale ait à faire, en se proclamant « Commune » est d’établir un « communisme complet », c’est-à-dire l’abolition de la propriété individuelle, en vue de la « jouissance collective du capital social » [62].

33 Tout le sens de l’anarchisme réside en la croyance en une coexistence humaine, paisible, égalitaire et juste au sein de petites communes unies entre elles à l’échelle du monde. Les communes, parfois « les communautés » comme on le disait dans les années 1970, sont même, selon Matthias Kaufmann, ce qu’il y a de moins utopique dans l’anarchisme, car de telles tentatives existèrent toujours, de la vie commune des horlogers genevois au xviiiesiècle à Summerhill [63]. C’est dans la notion de commune, parfaitement réalisée grâce à l’expropriation totale, que se nouent les différents fils de la théorie anarchiste. La distribution des richesses y est assurée selon l’égalité et la justice, puisque la cause de l’inégalité et de l’injustice réside dans la propriété. Il y a assez de biens pour toute la commune si on s’empare de ce qui se trouve dans les magasins et qu’on cesse de produire des produits de luxe, explique Kropotkine [64]. Les cinq mois de siège de Paris ont permis d’entrevoir « les immenses ressources économiques, intellectuelles et morales dont il dispose [65]. » La commune est bien littéralement la mise en commun de toutes les richesses [66]. Cette organisation sociale spontanée est résolument antiétatique. Dans une lettre à Marx du 1er avril 1970, au début de l’insurrection parisienne, Bakounine exprime son désaccord avec l’instauration d’un État révolutionnaire. La Commune fédérative doit être « destructive pour l’État, pour le droit juridique et la propriété privée », et « ces formes positives de la vie locale […] ne peuvent être créées que par la pratique vivante de chaque localité » [67]. En juin 1871, après l’échec de la Commune, il réaffirme que la « future organisation sociale doit être faite seulement de bas en haut, par la libre association et fédération des travailleurs, dans les associations d’abord, puis dans les communes, dans les régions, dans les nations, et finalement dans une grande fédération internationale et universelle [68] ». De là, bien sûr aussi, dans la commune, une nouvelle morale, fondée sur la solidarité. La solidarité est la loi morale conforme à ce qu’une conception naturaliste de l’homme amène à envisager. De même qu’il existe une « solidarité naturelle », dit Bakounine dans Dieu et l’État, il y a une « loi de sociabilité qui relie tous les hommes ». C’est cette loi qui régit les hommes quand, à l’échelle locale de l’auto-organisation, peut s’instituer l’égalité sociale et économique [69]. De nouvelles obligations morales doivent remplacer les obligations religieuses, les vrais devoirs nous liant non à un quelconque Dieu ou à une quelconque autorité, mais à ceux avec lesquels nous entretenons des relations quotidiennes [70]. Supprimer la propriété, c’est supprimer la conflictualité sociale.

Conclusion

34 Si l’intérêt et la portée critique de la théorie anarchiste de l’expropriation sont indiscutables, celle-ci pose néanmoins divers problèmes.

35 Sur le plan logique, la démonstration anarchiste de la nécessité de l’expropriation est tautologique. Le principe est le même concernant la propriété, la liberté et la révolution : ce qui est totalement ce qu’il est, ou ne l’est pas du tout – et ainsi n’est pas. Une liberté qui n’est pas entière, pour Bakounine, n’en est pas une, car cela n’a pas de sens d’être à moitié libre. De même une expropriation partielle laisse subsister la propriété et l’exploitation. Bref, un changement qui n’est pas total n’en est pas un. De ce fait, tout est dans tout, et c’est tout ou rien. C’est cette logique qui justifie le passage à la violence, passage assumé, comme on l’a vu, et revendiqué. L’expropriation n’est rien de pacifique, mais c’est un incendie, un feu de joie, et bien sûr, le sang coule pendant une révolution.

36 Le pari anarchiste est que cela n’ouvre pas nécessairement sur une dictature, comme ce fut le cas de toutes les révolutions, jusqu’à celle des soviets, qui justifia les craintes de Bakounine et par rapport à laquelle Kropotkine, rentré en Russie, fut critique. Qu’est-ce qui justifie la croyance anarchiste en le caractère non autoritaire de l’organisation qu’ils visent ? De leur point de vue, c’est la science. Il y a un scientisme anarchiste qui se dissimule souvent derrière un spontanéisme, mais qui est néanmoins un naturalisme. Il ne suffit pas d’être altruiste pour être socialiste, mais il faut appliquer à « l’étude de la question sociale la sévère induction du naturaliste », dit Bakounine [71]. La solidarité humaine, dans la commune, n’est elle-même qu’une déduction de la conscience de ce que l’on doit aux autres dans la production et la distribution. La spontanéité du sujet n’est elle-même qu’un effet de la loi de la nature : « la liberté de l’homme consiste en ceci qu’il obéit aux lois naturelles qu’il a reconnues comme telles », écrit Bakounine [72]. Cette liberté implique le besoin de se révolter quand de pseudo-lois sont imposées d’ailleurs. La révolte est pour Bakounine un principe du développement humain, avec l’animalité et la pensée [73].

37 Mais si cela exclut possiblement une autorité centralisatrice, on ne voit pas ce qui empêcherait la terreur, dans ce raisonnement. L’expropriation peut être spontanée et pour autant faire régner la terreur. En récusant toute loi autre que naturelle, les anarchistes excluent aussi toute subjectivité. L’entraide est d’autant mieux supposée, dans une théorie qui voit toujours la révolution totale comme un avenir jamais réalisé, qu’il existe des adversaires à démolir. On peut de ce point de vue reprocher aussi aux anarchistes ce que Freud opposait aux communistes, à savoir de confondre la cause et l’effet. À Freud aussi, il semblait clair qu’un changement dans la relation des hommes à la possession serait pacifiant [74]. Quiconque a, comme lui, connu la pauvreté, ajoute-t-il, ne peut que souscrire à une lutte contre les inégalités sociales [75]. Mais la propriété n’est pas la cause de l’agressivité humaine, ce n’est qu’un de ses canaux. Croire s’attaquer à la conflictualité humaine en s’attaquant à la propriété, c’est risquer d’infliger un remède pire que le mal, car l’agressivité contient le désir humain. La conflictualité sociale est le prolongement de la conflictualité du sujet humain. La contestation radicale de la propriété chez les anarchistes ne peut donc que contribuer à un clivage possiblement destructeur dans les relations humaines. La sociabilité naturelle se paierait d’une sévère répression pulsionnelle. Une contestation aussi entière et radicale de la propriété que la doctrine anarchiste de la propriété n’est donc pas propre à assouplir le rapport humain à la possession. Elle n’évite pas ce qu’elle croit combattre, mais au contraire ne peut qu’encourager la conflictualité et une forme de terreur.


Date de mise en ligne : 04/01/2017.

https://doi.org/10.3917/cite.068.0091

Notes

  • [1]
    C. B. Macpherson, La Théorie politique de l’individualisme possessif, de Hobbes à Locke (1962), trad. fr. M. Fuchs, Paris, Gallimard, 1971, rééd. coll. « Folio ».
  • [2]
    Matthias Kaufmann, Anarchie éclairée. Une introduction à la philosophie politique (1999), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 24.
  • [3]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté (1885), Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1978, p. 239.
  • [4]
    Ibid., p. 238.
  • [5]
    Ibid.
  • [6]
    « Je veux l’organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit », Mikhaïl Bakounine, deuxième Congrès de la Ligue de la paix et de liberté (21-25 septembre 1868), in Marx/Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire, textes rassemblés et présentés par Georges Ribeill, Paris, Union générale d’édition, coll. « 10-18 », vol. I, p. 73.
  • [7]
    Au premier Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, Bakounine expliquait en effet qu’il fallait viser « l’abolition de la propriété héréditaire, l’appropriation de la terre et de tous les instruments de travail par la fédération universelle des associations ouvrières », Ibid., p. 72.
  • [8]
    « Ce serait une erreur funeste de croire que l’idée d’expropriation ait déjà pénétré dans les esprits de tous les travailleurs et qu’elle soit devenue pour tous une des idées pour lesquelles l’homme intègre est prêt à sacrifier sa vie », Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 238.
  • [9]
    Ibid., p. 239.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Ibid., p. 227.
  • [12]
    « Pouvons-nous croire que les paysans irlandais et anglais, s’ils entrevoient la possibilité de s’emparer du sol qu’ils convoitent depuis tant de siècles et de chasser les seigneurs qu’ils détestent si cordialement, en profiteront pas de la première déflagration pour réaliser leurs vœux ? […] Que le paysan français, voyant le pouvoir central désorganisé, ne cherchera pas à s’emparer des prés veloutés de ses voisines les saintes sœurs ? […] Pense-t-on que les mineurs […] ne chercheront pas à éliminer les propriétaires des mines ? », Ibid., p. 41-42.
  • [13]
    Ibid., p. 239.
  • [14]
    « Les anarchistes, qui répugnent à accepter le patronage d’une individualité, aussi illustre soit-elle, n’ont cependant pas hésité à se réclamer de Proudhon et à voir en lui le premier théoricien de leur doctrine » ; Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Paris, Maspero, 1975, t. 1, p. 39. Maitron renvoie à un passage du Bulletin de la Fédération jurassienne de 1874, qui rassembla les anarchistes après la dissolution de l’AIT : « L’anarchie n’est pas une invention de Bakounine ; si on veut absolument lier les doctrines à des noms d’hommes, il faudrait dire l’anarchie proudhonienne, car Proudhon est le véritable père de la doctrine an-archiste » (Ibid).
  • [15]
    « Le propriétaire a toujours dissipé ses rentes en festins joyeux, le paysan a toujours travaillé. Le propriétaire n’a rien fait pour améliorer ses terres, et néanmoins la valeur en a triplé en cinquante ans, grâce à la plus-value donnée au sol par le tracé d’une voie ferrée, par les nouvelles routes vicinales, par le dessèchement des marais, par le défrichage des côtés incultes ; et le paysan qui a contribué pour une large part à donner cette plus-value à la terre s’est ruiné », Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 57.
  • [16]
    Ibid., p. 182.
  • [17]
    Ibid., p. 245.
  • [18]
    La petite propriété, quand elle existe, comme c’est le cas en France, est trop pauvre pour pouvoir être productive. Elle assure parfois à peine la subsistance.
  • [19]
    « Quant au petit propriétaire, croyez-vous qu’il ne comprendra pas les avantages de la culture commune s’il les voit sous ses yeux ? », Ibid., p. 245.
  • [20]
    « Ils ont raconté comment il est né des guerres et du butin, de l’esclavage, du servage, de la fraude, et de l’exploitation moderne. Ils ont montré comment il s’est nourri du sang de l’ouvrier et comment peu à peu il a conquis le monde entier », Ibid., p. 175.
  • [21]
    Ibid., p. 60.
  • [22]
    C’est pour cela qu’elle ne supporte pas la demi-mesure. Si seul un changement complet du régime de propriété peut transformer une simple insurrection en révolution, alors l’expropriation consiste à s’emparer par la force, et dans une lutte dont on peut évidemment prévoir qu’elle sera sanglante, de toute la richesse sociale, non seulement les moyens de production (usine, manufacture), les infrastructures collectives (chemins de fer, moyens de transport), mais aussi les maisons des plus riches, leurs avoirs bancaires, et les comestibles disponibles dans les villes.
  • [23]
    « Les prolétaires révolutionnaires affirment nettement leur droit à toute la richesse sociale et la nécessité d’abolir la propriété individuelle, aussi bien pour les valeurs de la consommation que de la production », Ibid., p. 115.
  • [24]
    Ibid., p. 124.
  • [25]
    « Il s’agit, pour nous, d’abolir l’exploitation de l’homme. Il s’agit de mettre fin aux iniquités, aux vices, aux crimes qui résultent de l’existence oisive des uns et de la servitude économique, intellectuelle et morale des autres », Ibid., p. 237.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    « Nous savons fort bien que, depuis les temps du servage et même depuis le siècle passé, certains progrès ont été réalisés : l’homme du peuple n’est plus l’homme privé de tous les droits qu’il était autrefois. Le paysan français ne peut pas être fouetté dans les rues comme il l’est encore en Russie », Ibid., p. 45.
  • [28]
    « Loin d’être une source de richesse pour le pays, la propriété individuelle est devenue une source d’arrêt dans le développement de l’agriculture. Pendant que quelques chercheurs ouvrent des voies nouvelles à la culture de la terre, celle-ci reste stationnaire sur presque toute la surface de l’Europe – grâce à la propriété individuelle », Ibid., p. 245.
  • [29]
    Ibid., p. 246.
  • [30]
    Ibid., p. 248.
  • [31]
    Ibid., p. 253.
  • [32]
    Ibid., p. 40.
  • [33]
    Ibid., p. 43.
  • [34]
    Ibid., p. 84.
  • [35]
    « Celle-ci (l’insurrection), éclatant en même temps en mille points du territoire, empêchera l’établissement d’un gouvernement quelconque qui puisse entraver les événements, et la révolution sévira jusqu’à ce qu’elle ait accompli sa mission : l’abolition de la propriété individuelle et de l’État », Ibid., p. 86.
  • [36]
    Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, op. cit., p. 19.
  • [37]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 180.
  • [38]
    Ibid., p. 181.
  • [39]
    Mikhaïl Bakounine, Étatisme et Révolution (1873), trad. fr. Marcel Body, in Œuvres complètes, t. 4, publiées par Arthur Lehning, Leyde, Champ libre, 1967, 1976 pour l’édition française, p. 211.
  • [40]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 182.
  • [41]
    Ibid., p. 184.
  • [42]
    « La raison n’est pas tout, nous le savons. Il ne suffit pas que les intéressés arrivent à reconnaître leur intérêt, qui est celui de vivre sans continuelles préoccupations de l’avenir et sans l’humiliation d’obéir à des maîtres ; il faut aussi que les idées aient changé relativement à la propriété et que la morale correspondante se soit modifiée en conséquence », Ibid., p. 253.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État (posth., éd. Élisée Reclus, 1882), Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 12.
  • [45]
    Ibid., p. 23.
  • [46]
    Ibid., p. 25.
  • [47]
    Ibid., p. 67.
  • [48]
    Ibid., p. 77.
  • [49]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 182.
  • [50]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 30.
  • [51]
    Ibid., p. 31.
  • [52]
    Ibid., p. 32.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Franco Venturi, Les Intellectuels, le peuple et la révolution. Histoire du populisme russe au xixesiècle (1952), trad. fr. Viviana Paques, Paris, Gallimard, 1972.
  • [55]
    Pierre Kropotkine, L’Éthique (1891), trad. fr. M. Goldsmith, Paris, Stock, 1927, rééd, 1979, p. 26 ; voir l’ouvrage de Raphaëlle Beaudin-Fontainha, L’Éthique de Kropotkine, Paris, L’Harmattan, 2010.
  • [56]
    Ibid., p. 27.
  • [57]
    Ibid., p. 125-130.
  • [58]
    Ibid., p. 28.
  • [59]
    Ibid., p. 60.
  • [60]
    Pierre Kropotkine, L’Entraide, un facteur de l’évolution (version anglaise 1902, version française 1906), Paris, Éditions du Sextant, 2010, p. 40-42.
  • [61]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 95.
  • [62]
    Ibid., p. 98.
  • [63]
    Matthias Kaufmann, Anarchie éclairée, op. cit., p. 23.
  • [64]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 42.
  • [65]
    Ibid., p. 105.
  • [66]
    Ibid. p. 115.
  • [67]
    Marx/Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire, op. cit., p. 127.
  • [68]
    Ibid., p. 176.
  • [69]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 49.
  • [70]
    Pierre Kropotkine, Paroles d’un révolté, op. cit., p. 35.
  • [71]
    Ibid., p. 54.
  • [72]
    Mikhaïl Bakounine, Dieu et l’État, op. cit., p. 49.
  • [73]
    Ibid., p. 7.
  • [74]
    « À moi aussi il semble indubitable qu’un changement réel dans les relations des hommes à la possession sera ici d’un plus grand secours que tout commandement éthique ; mais cette vision, chez les socialistes, est troublée par une nouvelle méconnaissance idéaliste de la nature humaine et sa réalisation s’en trouve invalidée », Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture (1930), trad. fr. Dorian Astor, présentation P. Pellegrin, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2010, p. 173.
  • [75]
    Ibid., p. 135
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