Notes
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[1]
Le centre CEA de Saclay, implanté sur le plateau de Saclay en Île-de-France sud, constitue un site de recherches et d’innovations de tout premier plan à l’échelle nationale et européenne. Il se caractérise par une grande diversité des activités allant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée.
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[2]
Elizabeth Spelke est spécialiste de la psychologie comportementale. Auteur de nombreux ouvrages et articles de référence, elle enseigne à l’université Harvard. Elle a reçu le prix Jean-Nicod du CNRS en 2009.
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[3]
Michael I. Posner est un psychologue américain. Il a dirigé de très nombreuses publications dans le domaine des neurosciences et des sciences cognitives. Actuellement, il est professeur émérite de psychologie à l’université de l’Oregon (département de psychologie, institut de sciences cognitives et de la décision).
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[4]
On appelle « apprentissage supervisé » (subervised learning) la technique d’apprentissage automatique visant à produire automatiquement des règles à partir d’une base de données d’apprentissage contenant des « exemples ». Dans ce contexte, le bootstrap consiste en une technique de ré-échantillonnage permettant d’estimer l’écart entre l’erreur d’apprentissage (risque empirique) et l’erreur de généralisation (risque fonctionnel).
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[5]
Daphné Bavilier dirige le laboratoire de neurosciences cognitives (cerveau et apprentissage) à l’université de Genève (Suisse) après avoir enseigné une dizaine d’années à l’université de Rochester (NY, USA).
1 Cités : Stanislas Dehaene, vous êtes passé des mathématiques aux sciences cognitives, puis, du point de vue des sciences cognitives, vous vous êtes intéressé à la question de l’apprentissage, aux problèmes comme aux solutions posés par ce processus. Quelle est la logique sous-jacente à ce parcours académique ?
2 Stanislas Dehaene : Je me suis intéressé très tôt aux mathématiques et à la manière dont les mathématiques sont implémentées ou réalisées par le cerveau humain. Puis, par le biais des mathématiques, je suis passé aussi au symbole des lettres, donc pas seulement au symbole des chiffres. Enfin, il est une découverte des sciences cognitives qui nous a conduits, moi et mes collègues, à nous poser des questions dont la résolution m’a ouvert à d’autres préoccupations. En effet, les activités acquises, dites culturelles, font toutes appel à des circuits cérébraux extrêmement reproductibles. Toujours les mêmes, d’une personne à l’autre. Ainsi me suis-je rendu compte que l’on disposait d’un mauvais modèle de l’apprentissage de ces fonctions culturelles. Ce qui permet de s’adapter à toutes sortes d’enseignements, ce n’est pas du tout une très grande flexibilité cérébrale, une plasticité cérébrale immense, c’est au contraire quelque chose d’extrêmement canalisé, des fenêtres de plasticité dans des circuits qui, par ailleurs, sont bien organisés. Telle est donc la voie au moyen de laquelle j’ai commencé à m’intéresser aux apprentissages : en essayant de comprendre comment le circuit se modifie – puisqu’il faut bien qu’il se modifie pour apprendre à lire en russe, ou en chinois, ou en français, ou bien à calculer, etc. La question, pour moi, aura donc été celle-ci : comment ce circuit se modifie-t-il dans des limites bien précises, qui sont fixées par la biologie ?
3 Cités : Est-ce que sur le plan des structures et des laboratoires en France vous avez trouvé un soutien immédiat à votre envie de recherche ? Autrement dit, cette recherche a-t-elle pu s’appliquer tout de suite en France, ou bien a-t-il fallu monter des structures qui vous permettraient de dégager des statistiques, de récolter des données ?
4 S.D. : Mon laboratoire s’intéresse au cerveau. Soyons donc clair : nous avons en France un équipement absolument exceptionnel : NeuroSpin, sur le plateau de Saclay. C’est certainement en Europe l’un des meilleurs laboratoires sur le plan des équipements destinés à l’imagerie cérébrale. Le CEA [1] a dû s’adapter à notre activité, qui consistait à scanner non pas seulement des adultes mais aussi des enfants, et parfois des bébés. C’est l’un des centres où les enfants sont accueillis dans des conditions vraiment exceptionnelles si l’on entend regarder ce qui se passe avant et après un apprentissage. Par ailleurs, il n’était pas évident d’obtenir l’avis positif du Comité d’éthique sur toutes ces questions. On s’est rendu compte qu’avec les machines modernes, on pouvait très bien réaliser des expériences extrêmement intéressantes pour les enfants eux-mêmes. Et c’est ainsi que, par exemple, nous avons pu réaliser des expériences longitudinales où les mêmes enfants sont étudiés plusieurs fois. Ceux-ci reviennent régulièrement à NeuroSpin, où l’on a créé une infrastructure grâce à laquelle ils se sentent participer pleinement à notre recherche. D’ailleurs, sachant que ces enfants participent à une recherche, c’est toute la classe à laquelle ils appartiennent, qui se prend à s’intéresser au cerveau pendant un an. Les enfants reviennent tout fiers avec leur image du cerveau, ils s’expliquent mutuellement ce que cela veut dire. Le résultat de tout cela, c’est que ces enfants non seulement participent avec enthousiasme à la recherche, mais qu’ils sont aussi tout à fait désolés et pleurent parfois au terme de l’entreprise. Il y a quelques autres laboratoires en France qui font un excellent travail dans ce domaine ; on peut notamment mentionner celui de Jo Ziegler à Marseille, qui travaille sur la lecture et développe le logiciel Graphogame en français, ou bien encore celui de Franck Ramus à l’ENS Paris, qui travaille sur la dyslexie. Ce sont des labos de réputation internationale.
5 Il faut bien comprendre une chose : un intitulé comme « apprentissage et sciences cognitives » renvoie à un domaine dans lequel il est impératif de se fonder sur des tests rigoureux. Or, très souvent, ça n’est pas fait. Les sciences de l’éducation souffrent depuis longtemps d’un manque de rigueur méthodologique. Le parallèle avec le milieu médical est à ce titre très éclairant. Au milieu du xix esiècle, les hôpitaux fonctionnaient, dans une très large mesure, en dehors de la science. Mais aujourd’hui, on ne peut plus imaginer qu’un hôpital fonctionne sans nouer des liens très étroits avec les biologistes, avec l’épidémiologie, avec les recherches de santé en général. La médecine représente désormais un des domaines d’application de la science. Or, aujourd’hui, ce sont les écoles qui fonctionnent en dehors de la science. Et je pense fondamentalement que ce qui s’est passé avec la médecine aura lieu dans l’éducation. Car enfin, comment se fait-il que le ministère de l’Éducation nationale, avec son budget, qui est la première dépense de l’État après le remboursement de la dette, n’ait pas un département de recherche et développement ? Comment cela est-il possible ? Bientôt personne ne pourra plus dire que l’éducation est un domaine qui ne concerne pas la recherche et le développement…
6 Cités : Vous êtes passé de l’étude des adultes à celle des enfants. Et pour cause : vous intéressant à la genèse de l’apprentissage, donc à la manière dont cette activité non seulement opère mais se construit, il semble que, parce que la plasticité neuronale ou cérébrale des enfants est plus grande, il soit plus facile de l’observer chez ces derniers. Je me demande toutefois quels enseignements vous tireriez des mêmes observations sur les adultes ?
7 S.D. : Je vais vous le dire très simplement : la majorité de mon travail se fait chez l’adulte ! Mais il se trouve que ma femme a une équipe de recherches dans le même laboratoire, et qu’elle travaille sur le tout petit enfant, sur le bébé. Nous nous rejoignons alors pour faire quelques expériences chez l’enfant. Mais ça n’est pas la majorité de mon travail, loin de là. En effet, j’ai beaucoup travaillé sur le cerveau adulte comme résultat de l’apprentissage. Car on a là la fin de l’apprentissage. – Qu’est-ce qui fait la différence entre une personne qui a été à l’école et une autre qui n’a pas été à l’école ? C’est une question que l’on peut se poser. Ou : qu’est-ce qui caractérise une personne qui a été à l’école mais qui n’a pas appris à lire, je veux dire : qui n’a pas eu suffisamment d’enseignement pour apprendre à lire ? Ou bien : quelle différence y a-t-il entre une personne devenue mathématicienne et une autre qui ne l’est pas devenue ? Tout cela, on l’a observé chez l’adulte, avec pour hypothèse de départ l’idée d’accumulation dans le cerveau, et l’on en a conclu à l’existence d’une sorte de sédimentation de tous les apprentissages dont la personne aura pu bénéficier tout au long de sa vie.
8 Retenez en tout cas ceci : le cerveau possède une très grande plasticité, qui diminue avec l’âge ou qui se modifie avec l’âge. Prenons par exemple, et pour être concret, car je préfère rester concret, le domaine de la lecture… La question de l’apprentissage de la lecture à l’âge adulte est en effet une vraie question. À l’âge adulte peut-on apprendre à lire aussi facilement qu’en bas âge ? Est-ce qu’il y a des limites à cet apprentissage ? Elena Matsui, à l’Unesco, a accumulé des données qui tendent à laisser penser que, à l’âge adulte, on ne peut plus automatiser la lecture. Pas même si l’on est très brillant (elle parle elle-même huit langues). S’il s’agit d’apprendre un alphabet nouveau, Elena prétend que l’on n’arrive pas à l’automatiser comme on pouvait le faire quand on était petit. Pour notre part, nous avons compris que des adultes peuvent bien apprendre à lire à l’âge adulte, mais nous ne sommes pas certains qu’ils puissent le faire de façon aussi fluide que les tout jeunes.
9 Cités : Vous avez fait état de l’importance qu’il y avait à faire apprendre à de très jeunes enfants deux langues au minimum, sinon plus, parce qu’à cet âge-là il y a une appréhension beaucoup plus immédiate des différences…
10 S.D. : Oui. D’ailleurs, l’apprentissage de la seconde langue parlée est peut-être le domaine dans lequel on s’aperçoit avec le plus d’évidence qu’il existe une limite à la plasticité cérébrale. Dans l’apprentissage de l’audition, notamment des contrastes phonémiques qui sont propres à une langue, il est tout à fait clair que quelque chose se passe lors de la première année de vie de l’enfant. Je dis bien la première. Avant douze mois, en effet, l’enfant a déjà convergé vers les phonèmes de sa langue maternelle, de sorte que s’il n’est pas très vite exposé au chinois, il perdra la capacité d’apprendre les contraintes du chinois. Voilà pourquoi il est nécessaire d’intervenir si l’on veut mettre à profit cette extraordinaire capacité du cerveau de l’enfant à apprendre. Pour ce qui est des langues, il faut en profiter extrêmement tôt. En ce qui concerne la phonologie il faut agir le plus tôt possible, mais pour d’autres aspects – comme la syntaxe –, il faut y avoir été exposé bien avant la puberté. Certaines données suggèrent que la puberté joue un rôle particulier dans la fermeture de la plasticité cérébrale. Les enfants qui sont bilingues ont, semble-t-il, des capacités de contrôle exécutif qui sont meilleures que les autres. Cela reste encore un petit peu débattu. Mais il y a pas mal de données qui suggèrent que les bilingues ont des capacités de contrôle, d’inhibition, de sélection intentionnelle, bien meilleures que les autres. Et cela parce que très tôt ils ont été confrontés à une situation où ils devaient choisir. Ils ont eu affaire à deux lexiques possibles, et ils ont dû prêter attention à l’état mental d’autrui pour savoir quelle est la langue que cette personne particulière comprendrait. Cela les a inévitablement entraînés sur une dimension qui est à proprement parler exécutive, et non linguistique.
11 Cités : Au regard des résultats fournis par les neurosciences, est-il encore possible de donner crédit à une notion telle que « l’âge de raison » ? Plus généralement, faut-il continuer à donner crédit à des notions telles que « l’acquis » et « l’inné » ? Est-il toujours aussi pertinent de se servir de la notion de « nature humaine » ?
12 S.D.: Je séparerais complètement les deux trains de questions que vous venez d’énoncer, la question de l’âge de raison et celle de la nature humaine ne se recoupant pas. Au sujet de l’âge de raison, je vous avoue que je ne connais pas suffisamment ce domaine pour pouvoir vous dire avec certitude si à 7 ans il se passe des évènements clés. Ce qu’on peut dire, par contre, c’est que bien plus précocement, le cerveau de l’enfant est déjà un extraordinaire logicien. Et statisticien. C’était l’objet de mon cours il y a deux ans : le bébé statisticien. En effet, on est en train de se rendre compte que bien avant ce fameux âge de raison de 7 ans, les enfants font des calculs logiques et de probabilité. Ils raisonnent d’un point de vue strictement implicite, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas capables de formuler à nouveau les raisonnements qui ont été les leurs, et ce alors même qu’ils sont capables de prendre en compte des raisonnements absolument extraordinaires. On est en train de s’apercevoir, par exemple, que sur le plan social les bébés sont capables – dès 7 mois, c’est-à-dire à un âge où ils n’ont pas encore acquis le moindre langage – de raisonner sur la présence d’autrui, sur le fait qu’un individu a vu quelque chose et sur le fait que s’il a vu quelque chose, alors il connaît certaines choses et que s’il les connaît et qu’il agit de telle ou telle façon, c’est qu’il pense que… etc. Donc : à cet âge éminemment précoce, vous avez déjà ce que l’on appelle la théorie de l’esprit. Jusqu’à encore une dizaine d’années, on pensait que ça survenait plutôt vers 3 ans. Ainsi avait-on toujours à l’esprit cette idée d’une espèce d’âge critique entre 3 ans et 3 ans et demi, une idée complètement battue en brèche aujourd’hui. On soutient maintenant, dans ce domaine, une théorie de l’esprit implicite mais extraordinairement puissant, capable de véritables raisonnements, d’inférences probabilistes aussi, et fonctionnant comme tel dès la première année de vie. Il est typique de l’évolution qui a eu lieu dans pratiquement tous les domaines des sciences cognitives, de repousser à un âge beaucoup plus précoce, et avec des méthodes non-verbales, ce que l’on croyait jusque-là être tardif.
13 Maintenant je voudrais répondre à votre deuxième question, qui porte sur la notion de nature humaine. L’étude du cerveau des petits enfants et celle des compétences cognitives des petits enfants – ce sont là deux choses différentes en termes de méthodologie – convergent à présent pour nous dire qu’il y a une extraordinaire structure dans le cerveau de l’enfant. Il ne s’agit pas du tout d’un système isotrope, de même qu’il n’est absolument pas juste de penser que l’espèce humaine serait moins contrainte que les autres. Dès le départ nous disposons de circuits excessivement contraints au point que (mais je ne suis pas philosophe) on a parlé d’une approche kantienne du bébé… Une approche selon laquelle il a été démontré qu’il y a un sens de l’espace, qu’il y a un sens du nombre, qu’il y a un sens de l’objet, qu’il y a un sens du temps, qu’il y a un sens de la probabilité, et que tous ces sens existent chez le petit enfant. Il ne serait pas possible à l’enfant de tirer des inférences sur le monde extérieur, s’il ne possédait pas à la base ces bribes de sens. C’est ce qu’on appelle un noyau de connaissances, puisqu’on parle de core knowledge en anglais (c’est le terme qu’a utilisé Elisabeth Spelke et que nous utilisons tous désormais [2]). Ce noyau de connaissances dans tous les domaines que j’ai cités sert de fondation aux apprentissages ultérieurs. Sur le plan cérébral, cela se traduit immédiatement par le fait que – comme je vous le disais au départ – des circuits sont déjà en place et que chaque apprentissage va faire appel à un circuit bien particulier, d’une façon identique chez tous les enfants. Pour la lecture, par exemple, tout le monde va utiliser le même circuit ; pour ce qui est de l’arithmétique, on a démontré il y a déjà vingt ans qu’il existe un circuit cérébral tout à fait spécifique, et que les autres aspects des mathématiques font appel à ce même circuit, comme si elles se construisaient à partir de ce circuit-là. Autant dire que l’on n’est pas du tout dans une situation de plasticité généralisée qui permettrait à des enfants d’apprendre de façons extrêmement différentes, chaque point du cerveau pouvant servir à dix mille choses. Non, ce n’est pas du tout cela : il s’agit plutôt de choses ciblées. C’est pourquoi je défends l’hypothèse du recyclage neuronal, qui inverse la proposition en prétendant que ce sont les objets culturels qui ont évolué avec les contraintes de notre cerveau, lesquelles, de leur côté, n’ont pas tellement bougé. Elles n’ont peut-être pas bougé du tout. L’évolution génétique étant assez lente, c’est l’évolution culturelle qui a surtout eu lieu, de sorte que l’on a inventé des objets comme par exemple les lettres : celles-ci rentrent dans un circuit, elles ont les propriétés adéquates pour rentrer très vite dans un circuit, au sens où celles-ci permettent d’accéder aux aires du langage par le seul biais de la vision. Or il se trouve qu’un tel circuit existe dans le cerveau de l’enfant. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas pu apprendre à lire.
14 Cités : Revenons à votre cheminement personnel. Vous avez commencé par les mathématiques, puis vous êtes passé à l’étude du langage. Quelle serait l’étape d’après ? La considération de la socialité, de la sociabilité, des relations humaines ?
15 S.D. : Ce qu’on a pu montrer dans le domaine de la conscience, c’est qu’il y a un système central, responsable de nos états de conscience, qui ne travaille pas en parallèle, alors que les systèmes non conscients travaillent puissamment en parallèle. Il s’ensuit que lorsque vous prêtez une attention consciente à l’objet A, vous ne pouvez pas en même temps faire attention à l’objet B. Dans le domaine du développement, c’est très important ; cela veut dire que lorsque vous commencez à apprendre, l’apprentissage est conscient : votre espace de travail est alors envahi par un objet de pensée qui vous demande un effort conscient, une concentration, une attention absolue, si bien que l’enfant qui se trouve à cette étape-là de l’apprentissage, par exemple, de la lecture, l’enfant qui est en train de déchiffrer des lettres et qui n’a pas encore automatisé la lecture, ne peut pas simultanément se concentrer sur autre chose. Le déchiffrement des lettres va occuper tout son espace de travail. Le lien avec la question de l’apprentissage en général est qu’il faudra toujours parvenir à automatiser les fonctions pour qu’elles se déplacent dans le cerveau en dehors du circuit conscient. Il faudra qu’elles deviennent complètement automatisées, non conscientes, afin que nous puissions chaque fois libérer l’espace de travail permettant de penser à d’autres pensées conscientes. Les mathématiques, par exemple, vont consister sans cesse en cette alternance : je me donne un objet nouveau, il occupe alors mon espace conscient, je l’automatise, il se déplace dans les aires pariétales, ce qui fait de la place pour penser à l’étape suivante. Les mathématiques reposent sur une telle construction cyclique. En règle générale, je crée des symboles parce que cela me simplifie les opérations non conscientes.
16 Cités : Quand vous dites cela, êtres vous conscient que vous vous rattachez à une certaine tradition philosophique (celle qui a pris son essor aux xvii e et xviii esiècles) – je pense notamment à la notion d’« attention » chez Descartes, qui renvoie au fait que je ne peux avoir qu’une représentation à la fois…
17 S.D. : Bien sûr ! Descartes a été le premier, sinon un des premiers, à déceler une limite à l’attention centrale. Diderot aussi a parlé de cette limitation décisive.
18 Cités : Il existerait donc une passerelle entre les sciences cognitives d’aujourd’hui et la métaphysique d’autrefois, dont vous reconnaissez d’ailleurs spontanément qu’elle a depuis longtemps abordé ces questions. Comment vous rapportez-vous à ce terrain d’échanges entre les sciences et la philosophie ?
19 S.D. : Je crois que pour moi, c’est aussi, et d’abord, un terrain de jeu. C’est-à-dire que l’on trouve dans ces lectures, parfois très anciennes, des idées ou des gens qui ont réfléchi puissamment sur les questions que l’on se pose, et qui ont formulé à leur endroit des hypothèses. Mais ce ne sont jamais que des hypothèses, farfelues parfois, comme c’est aussi le cas chez Descartes. Ce dernier n’est-il pas allé un petit peu loin dans l’idée si naïve du mécanisme de la glande pinéale qui se penche d’un côté, puis de l’autre ? C’est aussi amusant que ce que proposait plus récemment William James… Des idées introspectives brillantes, mais qui demeurent à l’état d’hypothèses. Et qui parfois, malheureusement, ne sont pas avancées à titre d’hypothèses. C’est encore pire dans le cas de Freud, qui assène comme vérité ce qui, après tout, n’est qu’une idée sortie de son chapeau. Idée qu’il ne teste du reste jamais. Je considère que c’est exactement là qu’est la limite. On peut avoir un dialogue extrêmement intéressant avec ce type de spéculation, mais l’objet des sciences cognitives consiste tout de même à transformer tout ça en un test expérimental. C’est là, il me semble, que nous intervenons. Il y a maintenant peu de domaines qui échappent à l’expérimentation. Et c’est pourquoi je ne regarde les philosophes que comme une source d’inspiration. A posteriori, je dirais aussi qu’il y a un certain nombre de philosophes qui m’intéressent, parce qu’ils suivent très attentivement ce qui se fait en sciences cognitives et qu’ils critiquent, dissèquent les concepts qui sont les leurs, en voyant par exemple qu’on n’a pas utilisé le mot qu’il fallait, qu’on l’a utilisé dans un ou deux sens différents, etc.
20 Cités : C’est bien leur rôle, en effet, que de tenter de dégager les présupposés qui sont les vôtres.
21 S.D. : Oui, absolument. Ou de dénoncer un vocabulaire inapproprié. Mais ces gens-là ne sont vraiment intéressants que dans la mesure où ils se tiennent aussi au courant de l’état d’avancement de la discipline dont ils discutent ou dont ils évaluent la portée.
22 Cités : Certaines pratiques ont été longtemps très difficiles à évaluer, à expérimenter, comme le yoga ou la méditation. C’est un peu moins le cas aujourd’hui, s’il est vrai qu’on en parle en termes d’imagerie cérébrale. Mais on sait également que des exercices physiques peuvent amener des états psychologiques et que ces états psychologiques peuvent augmenter l’ouverture au monde, la capacité de perception de l’individu, quoi qu’on mette dans cette terminologie que la philosophie a toujours beaucoup utilisée. Pourrait-on aussi se demander si ces états libèrent plus d’espace pour l’apprentissage ?
23 S.D. : Je ne travaille pas du tout là-dessus. Michael Posner – qui aux États-Unis a été mon maître dans le domaine de « l’attention [3] » – a travaillé sur la méditation. L’expérimentation dans ce domaine lui a semblé tout à fait possible. On peut très bien assigner des tâches différentes à deux groupes de personnes : le premier groupe ferait des exercices de méditation, tandis que le second ferait des exercices de contrôle dont on aurait à déterminer le contenu. C’est exactement ce que Posner a fait, et ce qu’il a montré ce sont les bénéfices cognitifs que l’on peut chaque fois tirer des exercices de méditation – dans un contexte, je le précise, strictement laïc. À ces exercices introspectifs il revient en effet de pouvoir développer le contrôle exécutif et le contrôle de soi. Et également de diminuer le stress. Rien n’empêche de mesurer le stress de façon objective, et ce n’est pas difficile d’expérimenter dans ce domaine. C’est seulement long et coûteux, puisqu’il faut avoir à sa disposition plusieurs groupes de sujets : au moins un groupe-contrôle et un groupe expérimental ; il faut aussi une certaine randomisation, les sujets ne devant pas choisir d’être dans le groupe expérimental ou dans le groupe-contrôle ; en plus d’être aléatoire, cette distribution doit se faire en double aveugle, ce qui veut dire que les gens ne doivent pas eux-mêmes savoir dans quel groupe ils ont été répartis. C’est bien sûr plus difficile chez l’homme. De mon point de vue il faut appliquer aux expérimentations de ce genre le même type de protocole que celui qui préside aux tests médicamenteux. Il y a en effet une très grande similarité, toute une série de passerelles – par le biais de l’épidémiologie par exemple – entre ces domaines d’expérimentation.
24 Cités : Vous devez connaître la taxonomie de Bloom, ce chercheur américain qui, après-guerre, a défini six niveaux d’apprentissage : reconnaître, comprendre, appliquer, analyser, évaluer, créer ; on considère en effet que « l’évaluation », le fait d’être amené à évaluer le travail de ses pairs, comme le fait d’être amené à être évalué par ses pairs, constitue un protocole pédagogique plus efficient que « l’application », qui se situe à un niveau inférieur…
25 S.D. : Je ne ferai pas de commentaire sur ce que je ne connais pas, au-delà des verbes qui sont utilisés là et qui sont tout de même un peu réducteurs… Je demeure toujours un peu sceptique devant l’esprit de système. Vous savez, le cerveau, ce n’est pas du tout un organe mais une collection d’organes. Si on considère le système de navigation spatiale, on sait maintenant que chez toutes sortes de mammifères ce système est présent, comme une forme a priori de l’intuition de type kantien, dès que l’animal commence à se déplacer. Ce qui veut dire qu’il n’est pas le résultat du déplacement mais bien plutôt qu’il est déjà là au moment où l’animal commence à se déplacer. Eh bien, il s’agit là d’un système très particulier : c’est un câblage spécifique servant à avoir une sorte de compas mental…
26 Cités : Un système est-il doté de données aussi fines que l’envers et l’endroit, la gauche et la droite ?
27 S.D. : Ce système-là, je ne sais pas s’il décide de ce genre de calcul, parce qu’il a besoin d’être non seulement organisé dès le départ, mais aussi, et en même temps, non conscient. Certes, nous n’avons pas conscience de l’avoir, mais si nous ne le possédions pas nous serions absolument inca- pables de comprendre la nature de l’espace qui nous entoure. Et cependant, dans ce domaine, je ne dirais pas qu’il n’y a pas d’apprentissage. On sait qu’il y a un apprentissage. Simplement, on part de ces noyaux de connaissance que j’évoquais tantôt. Ce sont ces noyaux, qui nous sont donnés. Dans la vision qu’en a Elizabeth Spelke – et aussi dans la mienne, dans une certaine mesure – une grande partie de l’apprentissage consiste à relier ces noyaux entre eux, à trouver des manières d’harmoniser différentes représentations de l’espace. Dans le cadre de la géométrie par exemple, c’est assez extraordinaire que l’on puisse mettre en relation des formes planes sur une feuille de papier et le plan de l’espace qui nous entoure. Voyez-vous en 3D ? Or, c’est ce qu’on fait en géométrie : on y est capable de mettre en relation un angle droit sur une feuille de papier avec un angle droit entre deux rues dans Paris. Voilà qui demande à coup sûr l’intégration de plusieurs systèmes cérébraux : celui qui reconnaît la forme et celui qui navigue dans l’espace, des systèmes qui occupent eux-mêmes deux endroits complètement différents du cerveau et qui ont sans doute des propriétés assez différentes au départ. Là, il me semble, il y a un véritable apprentissage. Il y a même une invention culturelle – on invente un système de géométrie. Et cela prend beaucoup de temps : il faut développer les bons symboles. Le travail du mathématicien consiste aussi, dans une certaine mesure, à développer ce type d’apprentissage. Si bien qu’il n’y a pas du tout d’incompatibilité – je l’ai dit dans mon premier cours cette année – entre le fait de dire qu’un système est très largement « inné » et le fait de dire qu’il fait l’objet d’un apprentissage relatif à l’environnement culturel qui le reçoit. L’apprentissage lui-même fonctionne sur une base innée, la question étant ici la suivante : les règles d’apprentissage dans le cerveau, d’où sortent-elles en vérité ? Eh bien, elles sortent de systèmes moléculaires complètement innés. Disons même, pour être plus précis, que l’évolution laisse un peu de place à l’apprentissage dans un certain nombre de circuits seulement. Dans un certain nombre de cas en effet, l’évolution a fait en sorte, pour ainsi dire, qu’il était plus accessible d’avoir des systèmes complètement innés, comme la cochlée qui se développe sans qu’il y ait besoin d’entendre des sons (ici, ce qui se développe c’est une forme), mais dans d’autres cas, il était sans doute plus facile, ou plus accessible, de laisser une fenêtre ouverte à l’apprentissage. L’évolution ne pouvait pas anticiper tous les visages qu’on allait rencontrer dans la vie, tous les animaux, toutes les plantes ! C’est là précisément ce qui fait l’objet d’un apprentissage, un apprentissage qui toutefois est extraordinairement limité, en plus du fait qu’il demeure de part en part guidé.
28 Cités : Qu’est-ce qui explique que certaines fenêtres ouvertes à l’apprentissage se ferment à un moment donné ?
29 S.D : C’est une bonne question, et j’en ai justement parlé dans mon cours au Collège de France. Je dirai cependant pour vous répondre que nous avons affaire là à des phénomènes biologiques. Il y a des neurones inhibiteurs qui « maturent », qui atteignent leur forme définitive en inhibant les autres, et cela bloque la capacité du réseau de changer de patron d’activité. Vous me direz : est-ce qu’il est possible de les relancer, de leur redonner plus de plasticité ? C’est d’ailleurs une question que les chercheurs se sont posés au départ pour des raisons thérapeutiques. Est-ce qu’on peut rouvrir la plasticité ? On commence à découvrir toutes sortes de moyens de rouvrir la plasticité. J’en ai mentionné plusieurs. Il y a des moyens pharmacologiques, qui vont peut-être être utiles pour les accidents vasculaires cérébraux – par exemple si vous avez besoin de réapprendre à vous servir d’un bras parce que vous avez eu un AVC. Mais je reconnais que de vous dire cela nous entraîne loin de l’éducation. Il n’empêche que cela existe et qu’il importe de le signaler. Les benzodiazépines par exemple ferment la plasticité. On sait ou, du moins, on commence à voir que des enfants qui ont été exposés aux benzodiazépines in utero ont peut-être des périodes « critiques » (propices au changement) qui se ferment trop tôt. Il existe par ailleurs des interventions environnementales. Un environnement enrichi non seulement permet des apprentissages mais il ouvre la plasticité. C’est-à-dire que la plasticité va être prolongée dans le temps comme si l’organisme savait qu’il y avait beaucoup de choses à apprendre. Il arrive donc que la plasticité reste ouverte plus longtemps. En conséquence de quoi, le fait d’exposer un enfant à un environnement enrichi fera durer plus longtemps la période de plasticité. À l’inverse, un environnement de peur ferme la plasticité. J’ai fait état de cette question dans mon cours cette année parce que je pense que, pour l’école, elle est tout particulièrement pertinente. Créer une école de la peur – j’ai mentionné les orphelinats de Roumanie – c’est risquer de fermer la plasticité pour des enfants qui seront peut-être « retardés », en tout cas qui auront beaucoup plus de mal à apprendre. L’inverse est aussi vrai et, du reste, toujours réversible, y compris chez l’adulte. Créez un environnement de peur : vous fermerez les voies de l’apprentissage chez l’adulte. Stimulez au contraire une personne avec des jeux vidéo intensifs, et vous ouvrirez la plasticité.
30 Cités : Vos recherches invalident-elles l’impact du genre sur les facultés d’apprentissage ?
31 S.D. : Je n’ai pas travaillé là-dessus. Mais les recherches cognitives n’ont pas constaté des différences majeures.
32 Cités : En revanche certains parlent de typologie de l’apprentissage.
33 S.D. : C’est encore un mythe. Un article assez important, paru récemment dans une revue spécialisée, porte sur l’idée qu’il existe des styles d’apprentissages visuels ou auditifs. Vous savez, je suis un visuel. Eh bien, apparemment, il semble ne pas y avoir d’évidence dans ce domaine. Si bien qu’il faut être très prudent en la matière, parce que, voyez-vous, étant donné que nous partageons la même espèce humaine, nous ne prêtons même plus attention à ce qui nous fait nous ressembler les uns aux autres ; et très spontanément, nous nous focalisons en premier sur les différences : « il est comme ci, et elle est comme ça ». Nous oublions toujours le fait que nous avons une structure cérébrale commune. La première des choses sur lesquelles travaillent les sciences cognitives est ce qui est commun à l’ensemble de l’humanité. Et l’on trouve beaucoup de choses communes à l’ensemble de l’humanité. Donc le message principal des sciences cognitives est peut-être de dire qu’il y a de nombreuses structures communes, y compris au niveau d’un apprentissage culturel comme la lecture et que, s’il y a là des différences bien sûr, elles concernent le degré d’avancement d’un apprentissage. Autrement dit, il y a des enfants qui ont appris plus vite, des enfants qui ont appris moins vite, et l’on ne sait pas très bien pourquoi. Il y a sans doute une part de génétique là-dedans. Mais cela n’explique jamais qu’une chose : que des enfants différents ne sont pas au même point d’un parcours qui, lui, peut être dans une large mesure invariant.
34 Cités : Comment réagissez-vous à cette formule de Nicholas Negroponte : Learning is learning learning – « Apprendre, c’est apprendre à apprendre » ?
35 S.D. : Si je la sors de son contexte d’énonciation, dont je ne sais rien, je dirai qu’elle me paraît juste. Dans mon cours, j’ai exposé tout ce qui concerne l’apprentissage du contrôle exécutif : ce par où l’on apprend à se contrôler. Pour ce faire, on apprend à sélectionner un circuit, par exemple, et à inhiber les activités qui sont indésirables, etc. Eh bien, ces apprentissages-là bénéficient toujours à de nouveaux apprentissages. Il y a une sorte d’effet boule de neige ou, mieux que boule de neige, c’est le système qui pour ainsi dire « se bootstrap [4] », c’est-à-dire qui fait que les personnes qui ont maîtrisé cela vont apprendre beaucoup plus vite de nouvelles activités. Des recherches ont montré que des enfants qui jouent beaucoup aux jeux vidéo non seulement ont des compétences perceptives ou motrices améliorées, mais apprennent aussi plus vite. Placés dans une situation complètement nouvelle nous allons être capables de nous adapter beaucoup plus rapidement, nous aurons une pente d’apprentissage beaucoup plus raide.
36 Cités : Quel jugement portez-vous alors sur l’enseignement en ligne et, au-delà de cet enseignement en ligne qui se manifeste sous des formes diverses et variées, sur toutes ces situations d’auto-apprentissage ou de quasi auto-apprentissage où l’on joue assez librement de sa « socialité », mais où le cadre, le protocole opératoire et le scénario pédagogique, sont prédéfinis ?
37 S.D. : Comme beaucoup de mes collègues je fais le pari qu’il va y avoir des capacités d’apprentissage augmentées par le biais de logiciels et de jeux vidéo. D’une part, le logiciel, par définition, est constamment disponible – j’allais dire 24 heures sur 24 – sans même que cela coûte grand-chose. D’autre part, il s’adapte au niveau de l’enfant. On fabrique maintenant des logiciels adaptatifs qui détectent le niveau de l’enfant et qui ne se lassent pas de lui répéter des exercices appropriés à son niveau. Et puis il se trouve que, pour une raison qu’on ne comprend pas encore très bien, le cerveau de l’enfant est happé assez facilement – en se prêtant même à une forme d’addiction – par ces jeux vidéo. Plusieurs données montrent que dans ce cas, le système dopaminergique est activé. C’est donc le système même qui nous rend accros à d’autres drogues ou au sexe, c’est ce système-là qui est également activé par les jeux vidéo. Et si l’on peut en retirer des effets bénéfiques, c’est dans la mesure sans doute où le jeu en tant que tel mobilise toute l’attention, toute la vigilance, tous les systèmes d’alerte, bref, toutes ces modalités qui, comme je vous l’ai dit, rouvrent la plasticité cérébrale. Donc, sur le plan strictement empirique, des chercheurs fort compétents ont montré que les individus qui jouent aux jeux vidéo et notamment – c’est assez paradoxal – aux jeux vidéo d’action violents, tirent des bénéfices cognitifs assez importants. C’est une recherche assez étonnante. Daphné Bavelier [5] est venue faire un exposé au Collège de France en novembre ; ses articles, publiés notamment dans Nature, expliquent que les bénéfices en question sont même assez rapides chez des gens qui commencent tout juste à jouer à ces jeux en y passant d’emblée quelques dizaines d’heures. Il reste toutefois à comprendre le mécanisme. Là se pose une question parmi d’autres : est-ce que le jeu vidéo a besoin d’être violent ? Certes, on aimerait mieux qu’il ne le soit pas. Mais il semble bien que les jeux violents aient un impact plus fort. Est-ce parce qu’ils activent des systèmes anciens dans notre cerveau, des systèmes de survie, qui déclenchent des neuro-modulateurs extrêmement puissants ? En tout cas, y jouer crée un contexte émotionnel particulier dans lequel, comme on le sait maintenant, les apprentissages vont être meilleurs.
38 Cités : Un dernier mot, enfin, pour refermer notre entretien sur ce que nous évoquions au tout début. On envisage de créer à Paris-Saclay ce que l’on appelle « une forge technologique » – un endroit où sont développées les technologies d’application de nouveaux concepts, de nouvelles idées, de nouvelles méthodes, etc. Selon vous, que devrait-on y faire pour améliorer les conditions de l’apprentissage en ligne ? Dans quelle direction conviendrait-il de conduire les recherches ?
39 S.D. : La recherche en cours se présente sous cette forme : vous avez un temps limité ; dans ce cas, est-ce qu’il vaut mieux passer tout son temps à étudier et se tester à la fin, ou bien suivre le cycle étude-test, étude-test, étude-test ? Les résultats sont extrêmement clairs : il vaut mieux faire étude-test, étude-test, étude-test. Et aussi moins d’étude et plus de test.
40 Cités : Des séquences courtes, des évaluations régulières : ce que vous dites là va bien dans le sens de l’apprentissage en ligne…
41 S.D. : C’est tout à fait l’apprentissage en ligne ! Mon prochain cours sera d’ailleurs là-dessus. Il faut être actif, et il faut avoir un feedback immédiat. Exactement ce que permet l’ordinateur. Le professeur qui rend la copie quinze jours après l’examen, ce n’est probablement pas très pertinent pour nos systèmes de renforcement… Le système de renforcement a besoin d’un feedback le plus immédiat possible. C’est en quoi il me semble que les gamers ou les concepteurs de jeux vidéo ont appris, certes de façon empi- rique, ce qui fonctionne le mieux pour maximiser la motivation et l’apprentissage. Mais en travaillant avec les sciences cognitives de la plasticité ou de l’apprentissage on ne manquera pas de créer un domaine extrêmement intéressant, qui bouleversera peut-être un jour les sciences de l’éducation. Je dis : un jour, car actuellement – à l’âge du numérique ! – la formation aux sciences cognitives demeure presque totalement inexistante dans lesdites sciences de l’éducation.
Notes
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[1]
Le centre CEA de Saclay, implanté sur le plateau de Saclay en Île-de-France sud, constitue un site de recherches et d’innovations de tout premier plan à l’échelle nationale et européenne. Il se caractérise par une grande diversité des activités allant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée.
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[2]
Elizabeth Spelke est spécialiste de la psychologie comportementale. Auteur de nombreux ouvrages et articles de référence, elle enseigne à l’université Harvard. Elle a reçu le prix Jean-Nicod du CNRS en 2009.
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[3]
Michael I. Posner est un psychologue américain. Il a dirigé de très nombreuses publications dans le domaine des neurosciences et des sciences cognitives. Actuellement, il est professeur émérite de psychologie à l’université de l’Oregon (département de psychologie, institut de sciences cognitives et de la décision).
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[4]
On appelle « apprentissage supervisé » (subervised learning) la technique d’apprentissage automatique visant à produire automatiquement des règles à partir d’une base de données d’apprentissage contenant des « exemples ». Dans ce contexte, le bootstrap consiste en une technique de ré-échantillonnage permettant d’estimer l’écart entre l’erreur d’apprentissage (risque empirique) et l’erreur de généralisation (risque fonctionnel).
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[5]
Daphné Bavilier dirige le laboratoire de neurosciences cognitives (cerveau et apprentissage) à l’université de Genève (Suisse) après avoir enseigné une dizaine d’années à l’université de Rochester (NY, USA).