1Ceci n’a rien d’un texte référencé, documenté par de multiples citations et connaissances littéraires ou mythologiques accumulées : ce n’est que l’expression de relations humaines, pathétiques ou tragiques dérivant au gré du besoin de l’enfant... à tout prix.
2Fabriquer une vie, transmettre un peu de soi – en duplication de deux unités – dépasse toutes les définitions et les croyances : c’est le fondement de la vie, le réflexe le plus primaire qui soit, et, pour connaître et appréhender tous ces trajets devenant parfois sordides, pour aboutir à cette réalisation « divinisée », il faut revenir à notre origine, celle de nos entrailles pour ressentir l’obstination des couples en défaut de descendance.
3Qu’est ce qui pousse une union à produire un modèle de soi ? La vie naturelle, c’est-à-dire le « sens » de la vie.
4Qu’est ce qui fait l’échec de la conception ? La filière, meurtrie, du sperme ou des trompes.
5Le comportement sexuel est maintenant libéré de la notion de reproduction depuis l’installation des méthodes contraceptives, essentiellement chimiques ; mais il est le premier à pâtir de l’absence de reproduction. Il n’est donc plus le repère de tous les guetteurs des performances d’un couple. La pérennisation d’un couple est l’affirmation de soi par la reproduction tangible et visible de l’amour exprimée par ce don de soi.
6Mais ne pas faire un enfant n’est pas toujours le choix du temps opportun ou le témoin de l’instabilité conjugale. Bien des circonstances sont subies ou révélées brutalement par l’échec d’une conception spontanée.
7La demande de « l’enfant », héritier ou prolongement de soi, survient dans différentes circonstances qui n’ont pas toutes la même amplitude, ni les mêmes répercussions. La permission du « moment » de la conception d’un enfant, qui dans notre société est organisée autour de l’accomplissement « social » dans le travail, a fait émerger la vanité de la planification d’une procréation, en mettant à jour (le moment convenu) les multiples obstacles de sa construction. Parfois, l’écueil est insurmontable et définitif : l’âge rédhibitoire de l’un et/ou de l’autre des acteurs joue un rôle décisif, cruel et irréversible, pour le pronostic de réussite.
8L’obstacle physique (anatomique ou physiologique) à l’absence de procréation peut être abordé puis contourné par une sommation d’investigations et de techniques actuelles, représentée par trois lettres : PMA (procréation médicalement assistée) ou AMP (assistance médicale à la procréation).
9Il faut distinguer ici un autre point d’importance : le moment de la mise en évidence du handicap ou de l’obstacle porté par l’un ou l’autre des deux constituants du couple créateur.
10« Un enfant quand je veux, si je veux... »
11Thème féministe de 1970
12« ... si je peux »
13Thème réaliste de 1982 (le temps de la FIV)
14Enfant de l’amour réciproque, de la rupture ou de la réparation, ce dernier apparaît aujourd’hui comme un défi à notre existence et à une hérédité subie : tous les fantasmes surgissent et s’agglutinent dans la conviction de pouvoir dominer et choisir l’instant bébé et sa projection sociale. L’enfant est le temps de la revanche d’une enfance douloureuse, ou d’un amour perdu. Il est une fin de « comptes », multiples et inconscients. Un contre-temps ou un échec peut représenter un véritable drame et disperser les liens du couple ou de la famille ancestrale.
15La légitimation des techniques de PMA a repoussé la marginalisation des couples sans enfant. Le recours à ces outils a déculpabilisé l’absence du « fruit de l’amour » et fait taire les sarcasmes sur l’improductivité sexuelle.
16Ce premier temps, rassurant, significatif de l’évolution des conceptions sociales adaptées aux connaissances médicales nouvelles, a induit, dans un deuxième temps, un effet pervers : celui d’un sentiment de maîtrise et de dominance... Plus dure sera la chute à l’énoncé des causes de l’improductivité.
17La première consultation, obligée et nécessairement consentie, n’appréhende pas encore suffisamment l’itinéraire lourdement médicalisé qui s’annonce. L’énoncé des responsabilités de l’un, de l’autre ou des deux protagonistes, va provoquer des réactions violentes : de la contrition à l’accusation, de l’incrédulité à l’impuissance, de la colère à l’abattement, tour à tour, la vie et les moments passés défilent comme dans des scénarios noirs. L’incompréhension et la complexité de la gestion « de ce droit légitime et naturel à la procréation » révèle le fond des êtres en touchant à leur intimité. C’est, à mon sens, le moment clé de la réussite de cette expédition assistée : la révélation conjointe de l’impuissance à procréer sans assistance. Un aveu qui exprime aussi la soumission à un tiers. Avant d’avoir un coût financier, ce dépouillement de soi sexuel, conjugal, puis hormonal, a un coût humain. Il ne doit pas être sous-estimé pour être ensuite dévalué. Le médecin-témoin ne doit pas manquer cet instant. Explorer une fertilité isolée ou fusionnée à l’aide des moyens actuels n’est pas la plus intransigeante ou la plus délicate des tâches médicales.
18C’est le contrôle de l’échec patent et permanent qui est le plus dur à maîtriser. Donner foi dans les moyens de la reproduction, puis décrire une perspective objective de réussite est un jeu d’équilibre périlleux. De la bonne mesure initiale estimée dépend souvent la préservation du couple et, tout au moins, de l’un ou l’autre des protagonistes.
19Autant le désir et l’investissement peuvent être pressants, exigeants, voire violents au départ, chez l’un ou l’autre, autant la lassitude et le désintéressement peuvent être significatifs dès le premier échec. Il est ainsi des réactions paradoxales de « maris » qui maternent leur « épouse » tout au long du trajet médical puis qui s’éclipsent ou même disparaissent dès la grossesse confirmée et installée. L’ambiguïté masculine se joue alors comme soutien viril tant qu’il y a des « épreuves » (consultations, examens, surveillance des soins...), puis comme fuite honteuse (aveu inconscient d’immaturité en fin de parcours). Cette situation, loin d’être exceptionnelle, met en lumière la pauvreté de notre investigation psychologique des couples en défaut de procréation.
20Il existe aussi des femmes qui, enfin enceintes, devenant à leur tour des mères, deviennent uniquement mères et non plus amantes ou séductrices.
21Qui se retrouve dans cet itinéraire subi ou malencontreusement tracé ? Qui emprunte ce chemin de contraintes, de consultations, de déceptions, d’annonces contradictoires et d’instabilité ? Nous sommes alors face à des agressions physiques, des explorations et des modalités de traitements très lourdes où l’intimité est dépouillée. Temps perdu, temps occupé. Espace de vie exclusivement rempli de ce seul objectif. Chemin de croix. Passage de vie... vers la vie ?
22S’agit-il d’un retour d’enfance ou d’images de la famille destinées à reconstruire une projection de nous-mêmes ? Ou bien de la désexualisation d’un assemblage conjugal inopportun ? Qui a écrit que les musiques du ciel ne peuvent s’écouter sur terre ? Loin de notre vanité à gérer la vie, c’est surtout sur une détresse liée à l’absence de l’enfant et sur la solitude de deux êtres qui s’aiment que les technologies de la reproduction devraient s’attarder.
23L’espace contrôlé des maladies génétiques, chromosomiques ou transmissibles ne souffre d’aucune contestation d’intervention de PMA. Mais à moyen ou à long terme l’absence d’évaluation rigoureuse des techniques nouvelles de stimulation ou de substitution (de manipulation ?) des cellules germinales doit être énoncée en première intention. Elle doit représenter une limite à l’acharnement procréatif, et doit induire aussi une réflexion sur les enfants ainsi obtenus. Cela devrait être en cours d’étude sur le long terme, d’une manière qui soit crédible, au risque sinon de ceci : « Le meilleur des mondes pour les meilleurs dans le monde ? »
24Et après ? Un enfant est là, construit comme un puzzle savant ou un casse-tête chinois. Que lui dire ? Enfant de l’amour, de la technologie et d’un « génie » génétique ? Fabriqué en laboratoire ?
25Mot d’enfant : « Tu m’aimes quand même, malgré les piqûres, maman ? » Enfant empereur. Fils de qui ? Et Dieu créa l’enfant.