1. MACRO-ÉCONOMIE : LA REPRISE APRÈS UNE DÉCENNIE PERDUE
1Après dix années de torpeur, l’économie japonaise a retrouvé le cercle vertueux de la croissance. En 2005, la croissance a encore été supérieure à 2 %. Le fait que les investissements productifs et la consommation des ménages contribuent tout particulièrement à cette croissance est un élément favorable. De plus, les bénéfices des entreprises s’améliorent de façon significative.
2Au 31 mars 2005, fin de l’année fiscale japonaise, le résultat annuel moyen des 1 099 entreprises cotées à la Bourse de Tokyo était en hausse de 25,6 % par rapport à mars 2004. Les bilans intermédiaires du 30 septembre 2005 indiquent une augmentation du résultat moyen semestriel de 6,6 % par rapport à l’année précédente.
3Le secteur automobile, où les entreprises ont enregistré un redressement historique de leurs bénéfices, se porte bien grâce à la fermeté du marché américain. Le secteur des biens intermédiaires et la sidérurgie bénéficient de la croissance du marché chinois tandis que le transport maritime et les Sogo-Shoshas (maisons de commerce) tirent profit du développement du commerce en Asie, le secteur des machines-outils bénéficiant quant à lui de la progression des investissements des entreprises japonaises. L’évolution rapide de la demande intérieure et de la demande extérieure profite au secteur de l’électronique et de la communication. Enfin, l’augmentation de la demande en énergie, matières premières, et biens intermédiaires, ainsi que la hausse des prix, ont pour effet d’améliorer la profitabilité des entreprises de ces secteurs. Depuis les années 1970, le Japon a su améliorer son efficacité énergétique, et les industries japonaises sont devenues plus économes en énergie. La hausse du prix du pétrole pèse moins qu’auparavant sur l’ensemble de l’économie.
4En termes de cycles des stocks, nous sommes encore dans une phase d’ajustement, étape normale du cycle conjoncturel, qui devrait prendre fin au cours du premier semestre 2006 et entériner la nouvelle phase de croissance. Certains secteurs avancés, notamment celui des composants électroniques, sortent déjà précocement de cette phase d’ajustement.
5La déflation touche à sa fin bien que certains de ses effets perdurent. Mais grâce à elle, les prix japonais autrefois réputés très chers, ont radicalement chuté. Le prix du foncier a baissé de 54 % et les loyers des bureaux à Tokyo de 53,3 % par rapport à 1994. Il y a quinze ans, un appartement à Tokyo valait trois fois le prix de son équivalent à Paris. Aujourd’hui, les prix de l’immobilier dans les deux capitales sont comparables, mais c’est à Paris que l’immobilier est en hausse. Ainsi, le Japon, retrouvant une croissance positive, avec des prix beaucoup plus raisonnables, présente un environnement réellement attractif pour les investisseurs étrangers.
6Au hit-parade des biens de consommation de la décennie en cours, apparaissent en tête les lecteurs DVD, les téléviseurs à écran plat et les appareils photos numériques. La percée de ces produits a été le signe du retour de la vitalité de la consommation intérieure, et a encouragé le retour des investissements productifs. Depuis 2002, la production et la vente de ces produits sont en hausse constante. Véritable manne, on peut dire que ces technologies ont sauvé l’économie japonaise. En raison de la concurrence très vive qui caractérise ce secteur, les prix des lecteurs DVD et des téléviseurs à écran plat sont en baisse de 30 à 40 %, ce qui les rend accessibles aux couches moyennes et modestes. Les appareils photo numériques sont déjà très largement diffusés. Le marché se stabilise en volume mais la demande en valeur continue de croître grâce à la sophistication sans limites des produits tels que les appareils reflex numériques.
2. KOIZUMI ENGAGE LES RÉFORMES STRUCTURELLES
7Les réformes structurelles conduites par le Premier ministre Koïzumi commencent à produire des effets visibles sur l’économie japonaise. Les créances douteuses détenues par les banques japonaises, symbole du passif hérité de la « bulle économique » des années 1980, représentaient 8,4 % de leurs capitaux propres en 2002. En mars 2005 elles n’en représentaient plus que 2,9 %. Ce chapitre est donc désormais clos pour les grandes banques japonaises. Les principaux établissements bancaires ont d’ailleurs enregistré, fin septembre 2005, une progression importante de leur résultat semestriel, grâce notamment à des taux d’intérêt très bas.
8Dans l’industrie, la structure des grands groupes évolue également. Dans le passé, ils se formaient au travers de participations croisées, d’où l’importance d’un actionnariat stable qui représentait plus de 40 % des actionnaires en 1995. Mais en 2002, ce pourcentage est tombé à moins de 25 % alors que la part des investisseurs étrangers, de plus en plus présents, passait de 10 % en 1995 à 20 % en 2002. Des entreprises japonaises de renom comme Canon et Sony sont d’ores et déjà détenues majoritairement par des étrangers.
9Les réformes touchent aussi l’État. La privatisation de la Poste en constitue le symbole. Les résultats des élections générales qui ont suivi la précipitation théâtrale des événements politiques de l’été 2005 ont montré que la population japonaise approuvait la privatisation de la Poste prônée par le Premier ministre Koïzumi. Cette réforme se traduira par la mise en place d’une entreprise privée qui développera ses activités dans quatre domaines : la poste, la banque, l’assurance prévoyance et les réseaux. Il y a vingt ans, le gouvernement Nakasone avait procédé à la privatisation et la régionalisation des Chemins de fer nationaux du Japon (JNR). La privatisation de la Poste sera une opération d’une importance comparable à celle du rail.
3. L’AFFLUX DES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS AU JAPON CRÉE UNE NOUVELLE DONNE ILLUSTRÉE PAR DE NOMBREUSES ALLIANCES FRANCO-JAPONAISES
10L’expansion des investissements directs vers le Japon devient un enjeu majeur des réformes structurelles. Les investissements directs étrangers (IDE) des économies européennes atteignent en moyenne 30 % du PIB avec 37,5 % en Grande-Bretagne, 27,4 % en Allemagne et 42,6 % en France. Même aux États-Unis, ils atteignent 22,1 % du PIB. En revanche, ils sont extrêmement faibles au Japon puisqu’ils ne représentent que 2,1 % seulement du PIB. Les investissements étrangers, en faible croissance jusqu’en 1998, ont décollé à partir de 1999. Afin de soutenir cette nouvelle tendance, le Premier ministre Koizumi, avait déclaré en 2003 qu’il voulait faire doubler en cinq ans le volume des IDE. Ils sont passés de 663,2 milliards de yens en 2001 à 1 045,5 milliards en 2004 ; l’objectif pour 2006 est de 1 320 milliards. Profitant pleinement de ce nouvel environnement en faveur de l’investissement, les IDE ont dépassé, pour la première fois en 2003, les investissements directs sortants.
11Les États-Unis sont les premiers investisseurs au Japon, mais la France occupe depuis peu, le deuxième ou le troisième rang. En effet, les investissements d’origine française ont aussi connu une nouvelle augmentation inaugurée par la prise de participation majoritaire de Renault dans le capital de Nissan en 1999. Par la suite, les entreprises françaises ont noué de nombreuses alliances avec des entreprises japonaises. Au Japon, ces alliances ont fait figure de nouveaux modèles de gestion des entreprises. Est-il nécessaire de rappeler l’exceptionnel leadership exercé par Carlos Ghosn dans le redressement de Nissan ? Autre type d’investissement : Schneider Electric a fait l’acquisition de la PME Digital Electronics, située à Osaka et spécialisée dans l’affichage numérique. Schneider a gardé le personnel d’encadrement japonais et la joint-venture bénéficie du dynamisme propre aux PME. Dans un tout autre secteur, Lafarge est entré à hauteur de 40 % dans le capital des Ciments Aso. Le cimentier français a pris le temps de préparer soigneusement cette opération, allant jusqu’à faire entrer dans son conseil de surveillance des personnalités japonaises de renom. Les Ciments Aso ont été sensibles à l’apport de l’encadrement français. Les relations entre les dirigeants français et japonais paraissent excellentes, leur permettant la mise en place de nouvelles méthodes de travail dans un climat de respect mutuel.
12La société Saint-Gobain, présente depuis de longues années en Chine, a pris conscience de la nécessité de s’engager sur le marché japonais du verre, un marché en forte mutation et à haut potentiel. Après avoir racheté Central Glass, elle a investi dans un laboratoire de recherche pour pouvoir suivre l’évolution des nouvelles techniques sur place et développer des activités de R&D au Japon. Quant à l’alliance Nikon/Essilor dans la lunetterie pour la production de verres correcteurs au Japon, elle constitue un cas de coopération réussie, où les deux partenaires ont mis en commun leurs technologies de haut niveau. Dans la finance, en particulier le secteur de l’assurance, Axa a sauvé Nichidan, assureur vie pour les PME, qui était alors au bord de la faillite. Après une phase de stricte observation de la gestion japonaise, Axa a par la suite opéré une refonte du management et de la méthode de formation des ressources humaines grâce à des équipes mixtes franco-japonaises. Ces nouvelles méthodes ont permis de faire d’Axa Japon une société plus ouverte et plus dynamique.
13Dans le secteur agroalimentaire, on retiendra le cas de l’alliance Danone/Yakult. Yakult a éprouvé au départ un sentiment de méfiance vis-à-vis de Danone qui avait brutalement augmenté ses parts dans son capital. Par la suite, les relations entre les deux sociétés se sont stabilisées grâce aux échanges réciproques d’administrateurs et à l’engagement de Danone à ne pas augmenter ses parts dans le capital de la société japonaise. Les deux entreprises, de culture radicalement différente mais qui fabriquent des produits identiques, s’efforcent de valoriser leurs points forts respectifs.
14Enfin, dans le secteur des produits de luxe, les sociétés françaises poursuivent déjà depuis longtemps leurs investissements au Japon ; ceux-ci connaissent depuis quelques années un regain de vitalité grâce à la Maison Chanel qui a ouvert une nouvelle boutique à Ginza, et Louis Vuitton qui a également inauguré une nouvelle vitrine du luxe français. Ces deux sociétés manient avec une très grande efficacité la stratégie des marques.
15Les entreprises françaises ont su en effet renforcer leurs positions au Japon par le biais de fusions et acquisitions en redressant des entreprises japonaises en difficulté, en profitant des facilités induites par les réformes de la législation japonaise et en mettant en valeur des relations de complémentarité avec leurs partenaires japonais. Les sociétés françaises ont réussi à proposer à leurs partenaires, des modèles innovateurs en matière de management, de formation du personnel et d’apport technologique. Pour toutes ces raisons, les investissements français au Japon sont mieux appréciés que ceux réalisés par d’autres pays. Les deux pays ont chacun respectivement leurs domaines d’excellence : les entreprises japonaises s’illustrent dans les liens R&D/production ou dans le design/production ainsi que dans la gestion des méthodes de production. Les entreprises françaises gardent un avantage relatif dans la finance, les méthodes d’approvisionnement, la R&D, le design et la stratégie des marques.
16Au niveau des secteurs d’activité, les entreprises japonaises paraissent plus performantes dans l’électronique, la bureautique, l’automobile, les pièces automobiles, les nouveaux matériaux, les machines-outils et l’on assiste aujourd’hui à l’émergence d’une solide industrie des « contenus ». En revanche, l’industrie française se distingue dans l’aéronautique, le nucléaire et les techniques associées, l’agroalimentaire, les produits pharmaceutiques, le luxe et l’événementiel. Là encore, la France et le Japon sont plus complémentaires que concurrents.
17Il n’existe pas de statistiques fiables, mais on peut estimer que les deux tiers des investissements directs sont réalisés sous la forme de fusions-acquisitions. Le nombre de ces opérations est en rapide augmentation. Il y en a eu 834 en 1998, 1 169 en 1999, puis 1 752 en 2002 et 1 728 en 2003, et enfin 2 211 en 2004. En 2005 cette progression s’est poursuivie avec 2 725 cas. Sur fond de mondialisation des fusions et acquisitions et de réformes structurelles menées au Japon, on voit s’estomper le modèle classique de participations croisées entre entreprises japonaises avec actionnariat stable, les actionnaires étrangers détenant de plus en plus de parts dans le capital des entreprises japonaises. Le marché des capitaux japonais est devenu lui aussi un marché très ouvert.
4. LE JAPON ET L’ASIE
a) Imaginer de nouvelles stratégies industrielles
18En France, les questions liées aux délocalisations sont encore au cœur de l’actualité. Avec l’élargissement de l’Europe, on craint que les entreprises françaises ne décident de délocaliser en quête d’une main-d’œuvre meilleur marché dans les nouveaux pays de l’Union. De la même façon, la délocalisation des usines japonaises vers la Chine au début de la décennie avait fait craindre que le Japon ne se vide de ses activités industrielles. C’est sous le nom de « kudôka » qui signifie « évidement » – par analogie avec le bambou qui se vide de sa substance – que ce phénomène de délocalisation est appelé. Cette peur de voir le Japon se vider est toujours latente. Face à ce danger les entreprises japonaises investissent dans de nouvelles stratégies alternatives aux délocalisations et ce changement de comportement constitue un facteur important de la reprise de confiance en l’économie japonaise.
19À titre d’exemple, Sharp est le no 1 mondial des écrans à cristaux liquides. C’est pourtant au Japon que Sharp fabrique ses écrans à la pointe de la technologie. La société continue de renforcer activement ses investissements sur place. Plusieurs usines de production de LCD de la 6e et de la 7e génération ont été construites coup sur coup, la production d’équipements de 8e génération devant démarrer en octobre 2006 près de Kameyama. Sharp maintient au Japon le développement des technologies les plus sophistiquées afin de conserver son avance face aux sociétés étrangères et poursuit sans relâche le perfectionnement de ces technologies. Afin de préserver une avance technologique significative, notamment par rapport à la Chine, elle déploie une grande énergie dans la R&D au Japon et dans les investissements productifs.
20Parallèlement, le groupe japonais fabrique en Chine des produits destinés au marché local en forte expansion et caractérisé par une demande croissante de produits de masse de moyenne technologie. D’une délocalisation subie, cette nouvelle stratégie évolue vers une complémentarité active entre entreprises chinoises et japonaises. Après le marasme des années 1990, ces sociétés japonaises, aux remarquables performances, sont en train de construire un modèle gagnant pour triompher d’une concurrence exacerbée. Lorsque Sharp augmente ses investissements au Japon, immédiatement après, un grand nombre de sociétés qui lui sont liées augmentent, elles aussi, leurs équipements productifs indispensables. Les composants majeurs des LCD sont produits à 70 % par les entreprises japonaises comme par exemple les filtres couleurs, les matériaux pour cristaux liquides, les « films alignment », les substrats de verre ou les filtres polarisants, etc. S’il est vrai que la société sud-coréenne Samsung élargit progressivement sa production d’écrans à cristaux liquides, il faut toutefois noter qu’elle dépend pour beaucoup du Japon pour son approvisionnement en composants. Parmi les entreprises japonaises fabriquant ces composants, certaines d’entre elles sont des PMI qui jouissent des investissements productifs des grands groupes et en profitent aussi pour investir à leur tour.
21Si la société Plasma Display est un acteur important dans le secteur des écrans plats, Matsushita est le premier investisseur domestique dans ce domaine. La société prévoit en effet de construire la plus grande usine au monde. Canon et Toshiba ont décidé ensemble de commencer à fabriquer l’écran SED, un écran plat d’un nouveau type, et ont déjà effectué des investissements au Japon pour ce projet. Si cette stratégie est vérifiée pour les écrans plats, on observe un mouvement similaire de renforcement des capacités de production au Japon pour les produits tels que les lecteurs DVD, les semi-conducteurs, les imprimantes, les appareils photo numériques, etc. En outre, le renforcement des investissements productifs les concernant, investissements des PME partenaires compris, est globalement un facteur de reprise de l’économie. Le retour des investissements productifs au Japon, ainsi que la stratégie de recherche de complémentarité technologique avec la Chine et les différents pays d’Asie, peuvent être également observés dans d’autres secteurs industriels.
b) Le Japon se veut la porte vers l’Asie
22Pour les nouveaux produits numériques de pointe, le Japon reste ainsi la porte incontournable de l’Asie. Leur cycle de vie raccourcit rapidement, et les ingénieurs sont engagés dans une lutte constante pour développer de nouveaux produits. Le meilleur moyen de connaître ce qui mobilise les chercheurs et les ingénieurs au Japon est de s’implanter sur place. L’agglomération de Tokyo, si on lui ajoute les villes avoisinantes de Yokohama, Chiba et Saitama, représente un marché gigantesque de 30 millions de consommateurs dont le niveau d’exigence est très élevé. Les téléphones portables sont au Japon de véritables petits bijoux de l’électronique. C’est grâce à ce niveau d’exigence des consommateurs concentrés dans cette agglomération, que par exemple, dans le métro de Tokyo, il est courant de voir les usagés, les yeux rivés sur leur téléphone portable, pianoter sur leur clavier avec la dextérité d’un pianiste. Pour se faire une place au Japon, il faut savoir capter la « folie » des consommateurs, au sens positif du terme.
23Ce conseil s’applique également aux cosmétiques. Les Japonaises attachent une très grande importance aux soins de leur peau. On dit qu’elles utilisent chaque jour en moyenne six produits de soins différents. Il est vrai qu’en plus des quatre saisons, il y a au Japon une saison des pluies en juin pendant laquelle l’atmosphère particulièrement moite est un élément fragilisant de l’épiderme. Un responsable de L’Oréal explique que, lors du développement de nouveaux produits cosmétiques, les tests sont pratiqués en premier lieu sur le marché japonais. Un résultat positif garantit le succès du produit en Asie. De même que la mode féminine japonaise a un impact direct sur les tendances de la consommation en Asie, le Japon peut, dans les cosmétiques aussi, offrir un accès privilégié vers le marché asiatique.
24Même constat pour l’industrie japonaise des contenus dont la croissance est remarquable. Les personnages des mangas japonais se répandent dans les livres, à la télévision, au cinéma, les films DVD et les produits dérivés. Même en Europe, environ 40 % des dessins animés télévisés sont d’origine japonaise. Une enquête révèle qu’en Chine, sur les cinq dessins animés qui ont le plus grand succès, quatre sont japonais. Il s’agit du petit garçon enjoué dénommé « Crayon Shin-Chan », du chat-robot Doraemon, un grand classique japonais, du jeune détective Konan, et de la petite Chibimaruko. Le singe volant Sun wu kong, dessin animé chinois qui met en scène des personnages traditionnels, arrive en deuxième position. Ces héros ont dépassé en popularité Snoopy, Donald Duck et Mickey Mouse. Là encore, le Japon constitue un excellent tremplin pour l’ensemble du continent asiatique.
25Pour résumer, avec la reprise de la consommation, le Japon est plus que jamais un marché de référence, un foyer actif de R&D et de haute technologie qui lui assurent un fort leadership en Asie. Par conséquent, la menace des délocalisations disparaît, cédant la place à un phénomène de « relocalisation ». La production de composants et de matériaux constitue un bon exemple de ce retournement de tendance. Sur 115 grandes entreprises japonaises interrogées, près de 90 % déclarent avoir l’intention de maintenir ou d’augmenter (49 %) leurs investissements au Japon. Il va sans dire que le maintien de l’avance des entreprises japonaises dans la course aux technologies de demain est la clef de leur prospérité.
c) Chine : Rechercher les complémentarités
26Tout comme les États-Unis en 1990, la Chine est maintenant responsable de 20 % des importations de produits échangés dans le monde. Ce nouveau pourvoyeur d’opportunités d’affaires, avec une croissance annuelle supérieure à 8 % depuis plusieurs années, présente cependant un certain nombre de risques au rang desquels le non-respect de la propriété intellectuelle. On estime que 90 % des CD disponibles en Chine sont des éditions pirates contre 10 % en moyenne à l’échelle mondiale. À ce risque économique s’ajoutent les risques commerciaux liés à la monnaie, les risques liés à l’énergie, l’environnement et les créances douteuses des banques. De plus, la Chine connaît une situation de surinvestissement. En effet, les investissements représentent 40 % du PIB pour une croissance supérieure à 8 %, à comparer avec le taux de 30 % constaté au Japon ou en Corée du Sud quand ces pays enregistraient des taux de croissance de l’ordre de 9 à 10 % annuels. Pour diminuer ces risques, les entreprises japonaises optent pour des stratégies de rééquilibrage en effectuant, parallèlement à leurs investissements en Chine, des investissements dans les pays de l’ASEAN. D’ailleurs, le commerce entre les pays d’Asie de l’Est augmente et représente aujourd’hui 55 % de la totalité des échanges extérieurs de ces pays. En comparaison, le montant des échanges à l’intérieur de l’Europe des quinze représente plus de 60 % de la totalité des échanges, 65 % pour l’Europe des vingt-cinq et ce pourcentage s’établit à 45 % pour les échanges à l’intérieur de la zone ALENA. L’intégration économique des pays d’Asie de l’Est est donc déjà bien avancée. Si dans cette zone, l’intégration régionale n’est pas encore institutionnalisée comme en Europe, il est clair que l’intégration dans les faits est déjà réalisée.
27Le Japon, pour sa part, s’efforce de conclure des conventions de partenariat économique comprenant des accords bilatéraux de libre-échange. Il a déjà noué des accords de ce type avec Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, et également avec le Mexique ; un accord avec les Philippines est en cours de concrétisation tandis que les pourparlers se poursuivent avec la Corée du Sud. Le Japon engage par ailleurs une négociation globale avec l’ensemble des pays de l’ASEAN. L’intérêt croît pour un espace rassemblant l’ASEAN, le Japon, la Corée du Sud et la Chine. Une telle réalisation prendra assurément du temps compte tenu des spécificités économiques et culturelles de chacun de ces pays, mais il ne fait aucun doute que le resserrement réel des liens économiques sera la première étape vers la formalisation d’une intégration régionale où le Japon entend pérenniser son rôle majeur en Asie.
5. QUELLES PERSPECTIVES POUR L’ÉCONOMIE JAPONAISE ?
28Malgré la reprise observée depuis l’année 2000, deux paramètres hypothéquaient les perspectives de croissance de l’économie : l’interminable déflation et le lourd déficit budgétaire. La consolidation de la reprise de la consommation, à la fin de l’année 2005, voit le spectre de la déflation disparaître durablement. Les prix de gros sont en hausse significative et l’évolution des prix à la consommation affiche une tendance largement positive, la Banque du Japon abandonnant sa politique monétaire accommodante. Reste, dès lors, l’épineux problème du déficit budgétaire. En 2005, le montant de la dette publique représentait 161,1 % du PIB, soit un niveau bien supérieur à celui des États-Unis (66,4 %), de l’Allemagne (71,6 %), de la France (74,2 %) et même de l’Italie (120,8 %). Le montant net des dettes publiques, après soustraction des actifs financiers détenus par l’État, atteint 81,2 % du PIB. Il est inférieur à celui de l’Italie (100 %), mais nettement supérieur à celui de l’Allemagne, qui dépasse 60 %, et à ceux des États-Unis et de la France estimés à environ 40 %. Le paiement des intérêts de la dette représente 22,4 % du budget général de l’État pour l’année fiscale 2005. Mais de quelles ressources le Japon dispose-t-il pour réduire son déficit budgétaire ? Il serait envisageable d’augmenter la taxe à la consommation dont le taux culmine à 5 %, une pression faible comparée à la TVA française. Certains pensent qu’il suffirait d’augmenter le taux de cette taxe pour résorber le déficit budgétaire. Mais le Premier ministre Koïzumi continue d’affirmer que, tant qu’il sera à la tête du gouvernement, une telle augmentation n’aura pas lieu. Dans ces circonstances, la réduction du montant des dépenses budgétaires devient incontournable.
a) Une politique réformiste
29D’un point de vue structurel, trois points me paraissent importants : 1 / les nouveaux secteurs industriels porteurs ; 2 / les déréglementations de l’État et des collectivités locales ainsi que les privatisations à venir ; 3 / enfin, la restructuration des entreprises et la formation des ressources humaines pour améliorer la compétitivité des entreprises sur le plan international.
b) La technologie au service de la croissance
30Il est évident que la demande de nouveaux produits en provenance des nouveaux secteurs industriels porteurs a été la locomotive de l’économie japonaise après la crise des années 1990, caractérisée par les créances douteuses des organismes financiers après la « bulle », la surcapacité de production, l’excès de main-d’œuvre et le surendettement public. Appareils numériques, lecteurs DVD, écrans plats, téléphones mobiles de nouvelles générations constituent autant de symboles de la reprise conjoncturelle japonaise. Les réformes structurelles de l’économie et le développement de secteurs industriels capables d’innover passent par la création de nouvelles industries. Le rapport du METI (N.d.l.R. ministère de l’Industrie) sur les stratégies de création de nouvelles industries du Japon cite en premier lieu une série de secteurs et des produits orientés vers les technologies de pointe : piles à combustible, appareils électroniques numériques, robots et industries des contenus. Viennent ensuite, les secteurs orientés vers la demande du marché, les équipements et appareils liés à la protection de l’environnement, les services aux entreprises. Enfin, ce rapport fait référence à la redynamisation de l’économie locale et dans ce cadre, souligne aussi l’importance de la sophistication des industries agroalimentaires qui développent la traçabilité ou encore les stratégies de marques.
31Les piles à combustibles vont constituer une innovation déterminante sur le plan environnemental pour l’automobile comme pour l’habitat. Les robots, stars de l’exposition internationale d’Aichi, commencent à être dotés de capacités d’intervention utiles en cas de catastrophe naturelle, ou bien au service de la sécurité et de l’aide à la personne. L’industrie des contenus évoquée plus haut, et qui comprend les mangas, les dessins animés télévisés, les films d’animation et les DVD, représente un secteur capable de marquer la culture mondiale au rythme de l’avancée de la société de l’information. De même que les estampes d’Edo avaient inspiré les impressionnistes et l’art nouveau, les récents films d’animation japonais pourraient bien avoir le même impact sur l’industrie et la culture dans le monde. Le Japon est le champion de l’électronique numérique tant sur le plan du développement technologique que pour la maîtrise du marché. Les applications se multiplient : domotique, nouvelles générations d’écrans plats, d’imprimantes, de téléphones portables, de navigateurs automobiles intégrant le contrôle du trafic, semi-conducteurs et leurs équipements de production, nouveaux matériaux et composants. D’autre part, on observe dans les secteurs de l’électroménager, de la communication, de la diffusion radiotélévisée et des contenus, une vague de fusions et acquisitions et de restructurations. La normalisation ou encore l’inter-opérabilité des technologies et des composants vont contribuer à l’envolée de ces marchés. Le développement technologique doit se faire dans le respect de la propriété intellectuelle, et nous devons travailler à l’élaboration de règles internationales qui la protègent.
32Parmi les nouveaux secteurs industriels porteurs, les équipements et services de santé représentent un enjeu majeur pour le Japon, confronté au vieillissement de sa population. La concurrence doit jouer librement en faveur de la réduction des dépenses publiques et l’amélioration de la qualité de ces services. Dans le secteur de l’environnement également, le développement de la production d’équipements et de services s’étend avec les nouvelles normes internationales dans le domaine de l’eau, de la pollution sol/air et du recyclage des déchets. Les services aux entreprises progresseront parce que celles-ci externaliseront davantage certaines de leurs activités au fur et à mesure des restructurations industrielles. La diffusion des technologies informatiques conduit également à la création de nouveaux services.
33Tous ces nouveaux secteurs industriels ne verront réellement le jour qu’avec le développement innovant des technologies génériques telles que nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et celles liées à l’énergie et à l’environnement. En ce sens, la politique de la technologie industrielle a un rôle essentiel à jouer. L’importance de la collaboration entre les secteurs public et privé, et la recherche académique, est reconnue depuis longtemps. Il reste crucial de promouvoir les transferts entre la recherche publique et le secteur privé, de renforcer la formation des ressources humaines, et de réaliser une meilleure interface entre les besoins du privé et la formation scientifique universitaire. Cette politique devrait s’accompagner de dispositifs prévoyant les outils fiscaux pour encourager les investissements en R&D du secteur privé, ainsi que l’accroissement des fonds publics alloués au secteur privé.
c) Les collectivités locales à l’épreuve de la déréglementation et les « zones pilotes »
34La privatisation de la Poste conduite par le Premier ministre Koïzumi apportera des changements dans la distribution du courrier, mais cette réforme sera surtout sensible dans le domaine financier. En effet, les fonds mis en jeux seraient considérables : plusieurs centaines de milliers de milliards de yens. Les nouvelles modalités de placement de ces fonds vont multiplier les opportunités d’affaires. À cette privatisation, s’ajoutera l’énorme masse des actifs en quête de placements des baby-boomers de l’après-guerre qui prendront bientôt leur retraite. Là encore, on s’attend à ce que cet apport génère d’importantes opérations au sein du secteur financier.
35Depuis quelques années, le Japon teste la déréglementation en créant des zones pilotes où sont développées des initiatives locales. Des exemples intéressants sont à noter comme les ports à fonctionnement continu 24 h sur 24, des écoles primaires à enseignement bilingue, des fermes qui ont le statut d’entreprises, etc. Le secteur public met également en place des expériences destinées à tester l’ouverture de ses marchés via les procédures d’appels d’offres dans lesquelles sont mis en concurrence les prestataires publics et privés. Par cette émulation, on s’attend à un renforcement de la compétitivité des services publics et à des résultats bénéfiques pour les travaux à la charge des collectivités locales. La voie de la privatisation pourrait être aussi envisagée pour un certain nombre de services publics. D’autre part, la décentralisation se poursuit et conduit à davantage de transferts de ressources de l’État vers les collectivités locales. Ainsi, le défi à relever serait d’élargir ces réformes pour qu’elles couvrent l’ensemble du Japon, au-delà des frontières des zones pilotes de déréglementation et de test d’ouverture des marchés publics. Il est également important que les collectivités locales collaborent davantage. Il existe d’ailleurs des courants d’opinion en faveur de l’introduction d’une certaine dose de fédéralisme.
d) Les réformes pénètrent l’entreprise nouveaux principes de gouvernance et gestion du capital humain
36La restructuration des entreprises et l’adaptation de la formation des ressources humaines sont des facteurs essentiels pour une meilleure compétitivité au plan international.
37La vague de fusions-acquisitions a fait couler beaucoup d’encre dans la presse japonaise tout au long de l’année 2005. Les nouvelles entreprises de l’Internet, dans un contexte de grande aisance financière, ont livré bataille pour prendre le contrôle de chaînes de télévision traditionnelles. Citons par exemple, la bataille entre Fuji TV et Livedoor pour la prise de contrôle de la société de radiodiffusion Nippon Hôsô ou celle qui a opposé TBS et Rakuten, portail de commerce sur Internet. Le PDG de Livedoor, surnommé Horiemon – ce nom vient-il de Doraemon, le célèbre chat-robot japonais ? – est un garçon d’une trentaine d’années à peine, qui fait la une des quotidiens à cause de ses saillies percutantes dans le monde traditionnel des entreprises. Au départ, son franc-parler a suscité des réactions d’antipathie puis certains l’ont perçu comme un leader réformateur capable d’ouvrir des brèches dans le management traditionnel des entreprises. Malheureusement, le très médiatique Horiemon devait être arrêté après qu’une investigation pour délit d’initié a été lancée contre lui, mettant fin à cette fulgurante ascension.
38Ce qui est certain, c’est que la disparition des frontières dans la réalité des affaires entre information, Internet et média radiodiffusés, est en train de générer un nouveau terrain de jeu économique.
39D’ailleurs, les fusions-acquisitions s’inscrivent maintenant dans la réalité quotidienne et sont perçues comme inéluctables. Malgré la persistance naturelle d’un sentiment de défiance vis-à-vis de ces prises de participation, un consensus est en train de s’élaborer dans l’opinion publique sur les mesures de protection à prendre face aux OPA inamicales. Grâce à une série de réformes des lois sur le commerce et sur les sociétés conduites depuis les années 1990, il devient maintenant possible de fonder, intégrer, diviser et redresser des entreprises beaucoup plus facilement qu’auparavant. Les restructurations des entreprises se font de plus en plus à l’échelle internationale. On peut présumer, dans ce contexte réformateur, que les sociétés ayant une force compétitive internationale chercheront activement à nouer des alliances internationales et les sociétés en perte de vitesse s’allieront peut-être avec des sociétés étrangères pour leur survie.
40Cette évolution sensible du paysage capitalistique nippon a de très fortes implications dans la gestion des hommes. Les ressources humaines constituent en effet une des clés de la compétition. Outre la formation des ingénieurs indispensables pour garantir la force d’innovation, la formation de l’encadrement administratif sera déterminante. Il est indispensable de mettre en place des cursus pour former un personnel apte à travailler dans des entreprises internationales, notamment dans les domaines du droit, de la comptabilité, de la gestion technologique et du leadership, tout en tenant compte des caractéristiques propres aux pays partenaires. Depuis les années 1990, les entreprises japonaises emploient de plus en plus de vacataires. Pendant longtemps, le marché japonais de l’emploi fut considéré comme très peu mobile, conséquence du traditionnel système d’emploi à vie qui avait cours dans une majorité d’entreprises. Mais, avec l’augmentation du nombre de vacataires et d’intérimaires, la mobilité sur ce marché augmente et l’on constate une certaine dichotomie entre la couche stable et la couche mobile du personnel. Il faudra prendre des mesures pour que cette dichotomie ne mène pas à une fracture sociale. Il est nécessaire qu’un maximum de personnes puisse avoir accès aux formations et suivre des cursus adaptés à chacun. Le gouvernement travaille également en faveur de l’élargissement de la participation sociale des femmes. Ces mesures indispensables sont, en outre, destinées à lutter contre le danger de la dénatalité. À cet égard, une politique de l’immigration reste à définir et constituera également un défi pour l’avenir.
CONCLUSION : REGARD CROISÉ FRANCE-JAPON
41Finalement, les enjeux de demain, pour la France comme pour le Japon, sont assez semblables et nous rapprochent : l’intégration des pays d’Asie pose un défi stratégique majeur au Japon, comme l’intégration européenne à la France, sur les plans du commerce, de la monnaie et de la sécurité. Lorsqu’on réfléchit aux perspectives économiques japonaises, on est frappé par les nombreuses similitudes qui existent avec la France. Sur certains points, la France est plus riche d’expérience, et sur d’autres le Japon a engrangé plus de succès. Cela va de soi puisque nous évoluons dans des environnements différents avec des caractéristiques de population différentes. Je suis cependant convaincu que la France et le Japon ont la volonté d’élaborer de meilleures pratiques en partageant leurs connaissances et leurs expériences propres.