Couverture de CIS_114

Article de revue

La modernité du risque

Pages 5 à 26

Notes

  • [1]
    Je remercie François Ascher, Karel Dobbelare, Marie-Pierre Lefeuvre et Liliane Voyé, dont les lectures attentives et les conseils m’ont été précieux.
  • [2]
    Cf. les travaux de François Ewald.
  • [3]
    Représentée en particulier par trois livres : Ulrich Beck, Risikogesellchaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1986 (trad. franç., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, traduit de l’allemand par Laure Bernardi, préface de Bruno Latour, Paris, Aubier, 2001) ; Anthony Giddens, The Consequences of Modernity, Cambridge, Polity Press, 1990 (trad. franç., Les conséquences de la modernité, traduit par O. Meyer, Paris, L’Harmattan, 1994) ; U. Beck, A. Giddens, S. Lash, Reflexive Modernization. Politics, Tradition and Aesthetics in the Modern Social Order, Cambridge, Polity Press, 1994.
  • [4]
    La théorie des sociétés du risque s’inscrit dans celle de la modernité réflexive, bien que les apports importants de Niklas Luhmann (notamment Soziologie des Risikos, Berlin, de Gruyter, 1991) ne puissent pas être rattachés à ce courant.
  • [5]
    Sans parler de la littérature (écrite et filmée) consacrée aux effets d’une erreur dans le fonctionnement des dispositifs de surveillance.
  • [6]
    Le 28 mars, un accident majeur se produisit sur le réacteur no 2 de la centrale de Three Miles Island, près de Harrisburg en Pennsylvanie. La catastrophe fut évitée de peu et les effets médiatiques furent considérables.
  • [7]
    Durant la nuit du 2 décembre, 42 t d’isocyanate de méthyle se sont échappées de la cuve 106, entre 16 000 et 30 000 personnes du bidonville sont mortes d’asphyxie. Environ 500 000 habitants ont été contaminés.
  • [8]
    À quoi l’on peut opposer l’impact relativement limité sur l’opinion de l’éruption du Pinatubo, sans doute pour une part en raison de sa localisation géographique, mais également parce qu’il ne s’agit pas d’un événement procédant de l’action humaine.
  • [9]
    La prise en considération des risques technologiques par la sociologie est, en France, largement redevable aux ingénieurs praticiens des sciences sociales. Elle se développe à l’ombre des grandes écoles d’ingénieurs, comme en témoigne avec éloquence le cas d’un des pionniers de la sociologie du risque en France, Patrick Lagadec. (Cf. Lagadec, La civilisation du risque. Catastrophes technologiques et responsabilité sociale, Paris, Le Seuil, 1981.)
  • [10]
    La société du risque, une chance pour la démocratie, Le débat, no 109, mars-avril 2000, p. 39-54.
  • [11]
    Cf. notamment F. Dubet et D. Martuccelli, Dans quelle société vivons-nous ?, Paris, Le Seuil, 1998.
  • [12]
    On pourrait donc le rattacher à la tradition à travers la référence à Max Weber.
  • [13]
    On en trouve une excellente description dans Patrick Peretti-Watel, La sociologie du risque, Paris, Armand Colin, « U », 2000.
  • [14]
    Voir ci-après l’article de Patrick Peretti-Watel.
  • [15]
    Encore que le seul choix délibéré de comportements à risque dans la conduite automobile fasse beaucoup de morts chaque année.
  • [16]
    Cela n’a rien de spécifique à la France.
  • [17]
    La critique radicale du discours sécuritaire n’est pas non plus toujours au-dessus de tout soupçon d’idéologie. Pour une synthèse bien informée et rigoureuse, en particulier sur toutes les difficultés de construction des faits d’insécurité, voir Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2001.
  • [18]
    Celle-ci est mesurée à partir de l’activité des forces répressives, ce qui est un premier défaut. Les enquêtes de victimation, apparues dans plusieurs pays, prennent en compte – à partir du témoignage des personnes – tous les événements, qu’ils aient ou non été enregistrés. Mais les unes et les autres traitent sur le même plan des faits très différents dans des contextes très différents et donnant lieu à des interprétations différentes. Le vol de téléphones portables a fortement contribué à faire monter les statistiques de criminalité en France et cela était en partie dû à des formules d’abonnement offertes par les distributeurs qui rendaient ce vol très attrayant : exemple simple de l’énorme travail d’interprétation dont toutes les données « objectives » sur l’insécurité doivent faire l’objet.
  • [19]
    Particulièrement popularisé en France en 2002, puisque inscrit dans les grandes priorités du président de la République.
  • [20]
    Cf. l’article ci-après de Claudine Pérez-Diaz.
  • [21]
    Le risque, probabilité plus que réalité (mais réellement probable...), est construit, contextuel, objet d’interprétations et de transformations par la gestion, en ce sens il échappe fortement à sa construction comme fait objectif universel.
  • [22]
    Cf. l’article ci-après de Rémi Baudouï.
  • [23]
    Cf. l’article ci-après de Marie-Pierre Lefeuvre.
  • [24]
    Elles constituent en outre un espace de coopération particulièrement facile entre les sciences sociales et au-delà.
  • [25]
    Dans la mesure notamment où ce type d’évaluations suppose une approche « clinique » qui exige une grande familiarité avec les pratiques que l’on étudie.
  • [26]
    Voir notammment R. Laufer, M. Orillard (éd.), La confiance en question, Paris, L’Harmattan, « Logiques sociales », 2000 ; C. Thuderoz, V. Mangematin, D. Harrison (éd.), La confiance. Approches économiques et sociologiques, Paris-Montréal, Gaëtan Morin, 1999 ; et l’on rappellera G. Simmel, Secret et sociétés secrètes (trad. S. Muller), Paris, Circé, 1991.
  • [27]
    J. Remy, L. Voyé, E. Servais, Produire ou reproduire ? Une sociologie de la vie quotidienne, Bruxelles, Éditions Vie ouvrière, 1978, t. 1 : Conflits et transactions sociales.
  • [28]
    Cf. M. Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002.
  • [29]
    Et de la « sécurité ontologique » chère à Giddens.
  • [30]
    Dans la mesure où il veut mettre en place des dispositifs à court terme qui « libèrent » la construction lente de vérité scientifique, ce qui selon les versions s’énonce (version négative) : « En interdisant toute action dont une vérité scientifique ultérieurement élaborée pourrait faire apparaître la nocivité » ou bien (version positive) « en définissant les limites dans lesquelles l’action peut s’exercer avec une faible probabilité de tomber sous le coup de risques que des vérités scientifiques ultérieures mettraient en évidence. ».
  • [31]
    Prométhéennes aurait-on dit il y a quelques décennies.
  • [32]
    Comme le dit Beck dans la préface de La société du risque, op. cit.
  • [33]
    Du moins marxistes, car Julien Freund (cf. Études sur Max Weber, Genève, Droz, 1990) a démontré que la rationalisation weberienne n’avait rien à voir avec la progression vers une société plus « rationnelle », mais les utilisateurs ont parfois confondu.
  • [34]
    Une étude plus fine conduirait sans doute à nuancer le propos. On n’en voudra pour preuve que la différence de tonalité entre l’expression politique de la démarche de Giddens (The third Way, Cambridge, Polity press, 1998) et la fin de l’article ci-après d’Ulrich Beck.
  • [35]
    « C’est l’examen et la révision constante des pratiques sociales à la lumière des informations concernant ces pratiques mêmes, ce qui altère constitutivement leur caractère » (Giddens, op. cit.).
  • [36]
    Et l’actuel président des États-Unis ne se prive pas de le faire.
  • [37]
    F. Ewald, D. Kessler, Risque et politique, Le débat, no 109, mars-avril 2000, p. 55-72.
  • [38]
    À quoi il faut ajouter un raisonnement que l’on trouve notamment chez Giddens ou chez Beck et qui concerne l’évolution même des structures de la connaissance : les systèmes experts sont de plus en plus complexes et dépendants, cela fait que se développe une véritable question des « coûts de transaction » entre ces différents domaines. Cela fait écrire à Beck (Democracy without Enemies, Cambridge, Polity Press, 1998) que le véritable problème devient celui de la connaissance des conséquences non voulues de la connaissance.
  • [39]
    Scott Lash commence sa préface à Individualization (U. Beck and E. Beck-Gernsheim, Individualization. Institutionalized Individualism and its Social and Political Consequences, London, Sage, 2002) par la phrase suivante : « Ulrich Beck’s Risk Society, and indeed the theory of “reflexive modernization” is characterized by two theses : an environmental thesis or the “risk thesis” and an “individualization thesis”. »
  • [40]
    Dans la préface de La société du risque, op. cit.
  • [41]
    John Urry remarque avec humour (dans Sociology Beyond Societies. Mobilities for the twenty-first century, London, Routledge, 2000) que la phrase de Margaret Thatcher « There is not such a thing as society » directement héritée d’Hayek) méritait cependant d’être prise au sérieux.
  • [42]
    Celle de Bourdieu par exemple.
  • [43]
    Représentées notamment par les travaux de R. Boudon. Voir notamment R. Boudon, Le sens des valeurs, Paris, PUF, 1999.
  • [44]
    Certaines évaluations de la pensée de Beck à l’occasion de la traduction tardive de son livre en France paraissent singulièrement schématiques.
  • [45]
    On ne présentera qu’un aspect limité du débat, mais il en existe d’autres. C’est ainsi, par exemple, que l’auteur d’un article récent (A. Elliott, Beck’s sociology of risk : A critical assessment, Sociology-the-journal-of-the-British-sociological-association, mai 2002, 36 (2), p. 293-315) estime que Beck reste trop dépendant d’une conception objectiviste et instrumentale de la construction du risque et de l’incertitude dans les relations sociales et qu’il ne parvient pas à définir les relations entre la dynamique institutionnelle et l’autoréférence.
  • [46]
    Cela vaut plus encore pour certains sociologues de la science dont le succès médiatique donne parfois l’impression de reposer moins sur leurs apports que sur un côté iconoclaste, voire démagogique.
  • [47]
    Pour une critique de la raison procédurale, in D. Mercure (éd.), Une société-monde. Les dynamiques sociales de la mondialisation, Québec, Presses de l’Université Laval - De Boeck, 2001.
  • [48]
    On pourrait également parler de la pluralité agonistique des rationalités et des processus de rationalisation.
  • [49]
    Cf. l’article, ci-après, d’Ulrich Beck.
  • [50]
    Mais l’étude des comportements à risque entraîne très souvent une théorisation du risque.

1Pourquoi la sociologie a-t-elle mis si longtemps à prendre véritablement le risque en considération ? Dès la Renaissance, le système des assurances prend de l’importance en Europe [2]. Il nécessite la définition et l’évaluation des risques, qui se développent à travers le calcul des probabilités (dès le XVIIe siècle) et son application, le calcul actuariel. Le capitalisme est indissociable du calcul sur des risques et l’État providence en fait un outil pour organiser la protection sociale. La rationalité instrumentale, typique des sociétés « modernes », repose sur le calcul de risques. Mais si la science économique a largement théorisé le risque, en sociologie seule la théorie de l’action rationnelle prend en considération les calculs auxquels il donne lieu, pour définir leurs caractéristiques plus que pour interroger ce sur quoi ils portent.

2Dans la mesure où le risque est assimilé aux dangers ou aux aléas (c’est-à-dire à ce qui vient par hasard), il semble échapper au domaine de la sociologie. Mais l’identification, la connaissance, la mesure des risques, encore plus que les calculs qu’ils entraînent entrent bien dans la sphère sociologique. Pourtant, pendant longtemps, cela n’a guère pesé.

3Récemment, la sociologie du risque et la théorie de la modernité réflexive [3], qui lui est étroitement associée, ont connu un succès remarquable. Demain, l’analyse des risques remplacera peut-être celle des conflits sociaux. Comment interpréter ce changement ?

4La sociologie du risque associe une théorie générale [4], une interrogation de phénomènes sociaux contemporains à travers la catégorie de risque, une description de ce qui est reconnu comme risque par les autorités politiques, les organisations sociales ou les individus et des conséquences qu’entraîne cette reconnaissance. Elle forme un ensemble complexe et parfois disparate.

5Qu’il s’agisse d’un domaine particulièrement fécond ne fait pas de doute, mais il n’est pas dépourvu d’ambiguïtés. Son succès ne correspond guère à un retour vers l’examen de la rationalité contemporaine. Les connexions entre les spécialistes du risque et les théoriciens de l’action rationnelle sont même assez faibles. Souvent, le concept de risque paraît fonctionner comme un point de départ ou un prétexte pour faire autre chose. Quelle est donc la place de la thématique du risque dans la sociologie contemporaine ? S’agit-il d’un nouveau domaine de recherches et dans ce cas comment se différencie-t-il des sociologies spécialisées traditionnelles ? Faut-il au contraire y voir un cadre de lecture de la modernité, qui n’aurait de sens qu’adossé à une théorie : le risque servirait alors à désigner l’expérience de la réflexivité ? C’est à ces questions que l’on tentera de répondre à travers l’examen des grandes caractéristiques de la sociologie du risque, telle qu’elle se donne à voir dans la présente livraison des Cahiers internationaux de Sociologie.

UNE QUESTION SOCIALE

6C’est d’abord en raison de l’importance prise dans la conscience commune par la notion de risque que la sociologie s’en saisit. Le risque nucléaire, d’abord perçu à travers l’information [5] donnée sur l’équilibre de la terreur et des grandes crises comme celle des fusées de Cuba, prend une autre dimension lorsque la contestation du nucléaire civil s’autonomise. L’accident de Three Miles Island (1979) [6] et surtout la catastrophe de Tchernobyl (1986) en font une préoccupation de premier plan. Avec Seveso (1976), Bophal (1984) [7] ou les grandes marées noires (Amoco Cadiz, 1978) [8], le risque technologique connaît une montée en puissance parallèle [9]. Les décennies suivantes voient l’irruption du risque sanitaire et biologique avec le sida, la vache folle, les OGM, le clonage... Ces événements balisent la construction de grandes peurs collectives : autour de la santé, des technologies folles, de la destruction de l’humanité. La sociologie du risque est peut-être d’abord un écho (qui devient parfois une réponse ou une analyse) des peurs qui dominent les sociétés contemporaines – en tout cas les plus riches d’entre elles.

7Mais son développement procède également du succès que des catégories venues du monde économique et des sciences qui lui sont liées connaissent au même moment dans le langage de la politique, de l’administration publique et de la vie quotidienne. Les techniques de la gestion (publique ou privée) des risques se sont complexifiées bien avant que la sociologie ne s’y intéresse et celle-ci ne le fait que lorsque s’opère le basculement culturel qui établit l’économie comme la science de référence pour les acteurs et le débat public : la contamination de la sociologie par l’économie s’opère indirectement.

8Ces deux évolutions se combinent dans ce que J.-G. Padioleau [10] appelle « l’hégémonie d’une représentation collective de l’omniprésence généralisée des prises de risques » que concrétisent et activent « des problèmes pressants, inédits, dérangeants, voire inquiétants, soulevés par des innovations financières, par des recherches génétiques, par des avant-gardes sexuelles ou culturelles perçues comme “dangereuses”... » (p. 43).

9Si la sociologie s’est volontiers approprié la question sociale du risque, c’est également que son évolution rendait facile et désirable l’introduction de questions ou d’instruments d’analyse en rupture avec la tradition.

10En effet, ses découpages internes traditionnels étaient organisés à partir des catégories socialement instituées, correspondant à des grands types morphologiques (ville, campagne), à des grands domaines de l’activité humaine facilement identifiables (travail, connaissance, religion, art...), à des institutions, des organisations ou des secteurs constitués d’activité (famille, école, professions...). Elle privilégiait les échelles de raisonnement qui correspondaient à l’idée de société : les systèmes sociaux, la société nationale, les grands groupes constitués (classes sociales, etc.). Elle abordait les processus sociaux à partir de la cohésion ou du contrôle social [11], à moins qu’elle ne les inscrive dans une perspective du changement ou du progrès qui était une autre manière de réintroduire le primat d’un ordre global. Cette posture était également présente en anthropologie où elle semblait justifiée par la fermeture des ensembles étudiés, en sciences politiques où l’on s’interrogeait plus sur le « qui gouverne ? » que sur le « comment gouverne-t-on ? », et dans d’autres sciences sociales. Cette organisation de la discipline continue d’exister et d’évoluer (les gender studies se situent dans cette ligne), mais elle est souvent supplantée par une analyse qui part des processus et fait du cadre social un contexte. Ce mouvement, principalement porté par les diverses sociologies de l’action [12], invite à partir des problèmes que se posent les acteurs plutôt que des découpages sociaux. Les travaux inspirés de la théorie des jeux, des démarches telles que celle d’Hirschman, lorsqu’il étudie les processus d’engagement et de défection, balisent cette évolution. Qu’on l’envisage comme objet de calcul ou comme expression des grandes peurs sociales, le risque est typiquement un problème que se posent les acteurs. Ainsi le « problème social » s’inscrit-il dans une évolution du questionnement sociologique, auquel il contribue.

DES TERRAINS D’ÉLECTION

11Même si son succès est partiellement dû à des causes internes, la sociologie du risque reste tributaire du questionnement social. C’est pourquoi elle est principalement structurée par les objets auxquels elle s’applique, ce qui délimite de nouveaux domaines de recherche [13].

12Le premier d’entre eux (au moins chronologiquement) est le risque industriel. Son extension est liée à l’impact dans l’opinion et dans l’économie des grandes catastrophes industrielles, mais également à une évolution générale de l’organisation industrielle qui associe une prise en compte beaucoup plus précise et fouillée des risques avec la recherche de qualité et la flexibilité de la production. Cette évolution modifie la position de l’homme au travail et le risque devient un nouvel élément de la culture industrielle qui affecte les relations professionnelles, en même temps qu’un nouveau problème à traiter. Cela offre des opportunités de recherche aussi bien sur les pratiques réelles et l’élaboration de normes informelles au-delà des règles formelles et des protocoles dans des contextes de veille (comme la salle de contrôle d’une tranche de centrale nucléaire) que sur l’étude des dispositifs de crise dans le cas de catastrophes industrielles. Mais, toujours, c’est la construction de l’action dans des contextes sous forte contrainte (celles des procédures routinisées ou celles qui découlent d’un événement exceptionnel) qui se trouve en cause.

13On retrouve les mêmes thématiques de la veille et de la crise (ou catastrophe) avec le risque environnemental. La veille organise un rapport au monde paradoxal : il s’agit bien d’agir sur lui, de le maîtriser, mais en guettant l’imprévu (sinon l’imprévisible) et en se préparant à y réagir, quitte à ne rien faire la plupart du temps. La crise radicalise l’imprévu et fonctionne comme un révélateur des comportements, des attitudes, des contradictions sociales. On s’interroge également sur ce qui la produit, modes d’organisations, grands choix technologiques ou facteurs extérieurs. Dans le cas du risque environnemental, cela concerne des choix de gestion, par exemple celle des cours d’eau et de l’urbanisation si l’on s’occupe d’inondations, mais on se trouve bien vite entraîné vers des questions telles que l’effet de serre, qui mettent directement et radicalement en cause aussi bien l’avenir de l’humanité que le rôle des experts. Si le risque industriel peut, à la limite, se traiter en restant dans la sphère industrielle, le risque environnemental entraîne presque nécessairement le recours à des théories lourdes ou à des idéologies : qualifier un problème d’environnemental, c’est poser implicitement son caractère global (à travers le jeu complexe des relations systémiques) et se situer dans une perspective qui – pour le moins – ne considère pas une lecture dualiste du monde (l’homme d’un côté, la « nature » de l’autre) comme évidente. C’est pourquoi l’évocation de l’environnement tient une place tout à fait particulière dans la sociologie du risque.

14D’autres secteurs de cette dernière abordent plus directement les comportements individuels. D’abord les quelques travaux consacrés aux sports à risque et à tous les comportements ludiques ou sportifs qui entraînent des prises de risques importantes [14]. Le sujet peut paraître étroit comparé à ceux qui précèdent [15], mais, outre qu’empiriquement il correspond à des catégories de personnes et de circonstances clairement identifiables, il permet – parce qu’il porte sur des comportements volontairement choisis en raison même de leur caractère risqué – de s’interroger sur la psychologie de l’homme contemporain, la production du sens dans nos sociétés, voire la situation humaine elle-même.

15C’est à propos de la santé, en particulier de la drogue et du sida, que la sociologie du risque, en ce qu’elle étudie les comportements individuels, a connu ses développements les plus nombreux. Dans les deux cas, comme en témoigne notamment l’article ci-après de Jean-Yves Trépos, l’action collective la plus volontariste se heurte à des difficultés qui résistent aux schémas explicatifs habituels. L’usure de ces derniers porte sur l’interprétation des comportements des populations concernées (y compris sur la notion de population cible elle-même) comme sur l’analyse des acteurs, des procédures, des schémas généraux de l’organisation de l’action. La sociologie du risque contribue au renouvellement des perspectives, des problématiques et des modalités de l’action elle-même. Avec la toxicomanie, c’est vers la définition de modalités d’interventions pertinentes que se tourne d’abord la recherche, même si elle n’affiche aucun objectif opérationnel. Dans le cas du sida, le comportement individuel est interrogé pour aboutir à une meilleure compréhension des « ressortissants » des politiques publiques (essentiellement de prévention) et l’interrogation de l’action elle-même est moins présente.

16Quoi qu’il en soit, l’accent est mis sur les rapports que l’individu entretient avec son destin personnel et avec le monde, sur la manière dont il construit ses comportements et dont il produit du sens. On rejoint le risque environnemental à travers les interrogations métaphysiques que cette démarche oblige à considérer.

17Une autre thématique se regroupe autour de la notion d’insécurité. Celle des personnes devant la criminalité ou les « incivilités » est devenue un thème majeur dans la sphère politique et médiatique [16]. Le discours dominant, d’autant plus efficace qu’il fait grande consommation de données statistiques, tout en jouant sur le registre de l’expérience commune et de l’émotion, véhicule une conception désuète des déterminismes sociaux. Les chercheurs subissent son influence [17]. Comme, par ailleurs, il n’y a eu que peu de sociologues pour s’intéresser à la place, au rôle, aux comportements quotidiens des organismes de répression ou à leurs problèmes spécifiques de fonctionnement, et guère plus pour étudier effectivement le fonctionnement quotidien de l’ensemble de la machine judiciaire, dans ses différents aspects, on voit l’importance de la thématique du risque pour élargir le débat : si l’on admet que l’insécurité est le rapport que l’on entretient avec un ensemble de risques, on peut s’interroger sur la manière dont ces derniers sont construits et sont perçus, sur les calculs auxquels ils donnent lieu et sur la manière dont ils sont gérés, toutes choses qui éloignent des lectures simplistes en termes de taux statistiques appliqués à ces boîtes noires trop évidentes que sont la criminalité [18] et les incivilités. Comme le montre l’article ci-après de Christine Schaut à partir de travaux de terrain précis, rien n’est plus construit, relatif et contextuel que l’insécurité, ce qui n’exclut pas sa réalité ; introduire la notion de risque c’est se donner les moyens de rendre compte de ce double aspect construit et contextuel, mais également réel et pas seulement imaginaire, de l’insécurité.

18Si l’insécurité des personnes face à la délinquance, associée à la méfiance à l’égard des étrangers ou aux préjugés raciaux, a pesé sur nombre d’élections en Europe au cours des dernières années, la lutte contre l’insécurité routière y est également devenue un thème fort [19]. Son intérêt sociologique est de permettre l’association entre l’étude d’effets de dispositifs sociaux, en particulier répressifs, et celle de la manière dont les situations et les normes sont perçues par les usagers et dont sont construits les comportements individuels. On touche à la fois la cognition, les représentations, la cohésion sociale, l’univers des choix individuels et les effets de l’action publique. Dans cet espace carrefour, la notion de risque constitue un fil conducteur qui permet aussi bien d’interroger l’action publique – en termes de gestion – que la connaissance et les représentations – en termes de perception des risques – ou encore les comportements individuels – en termes de prise de risques. En même temps, la question du risque routier est un véritable « testeur » de théories car, compte tenu des budgets importants accordés à la recherche sur ce sujet, on a pu développer des expérimentations ou enquêtes significatives sur des hypothèses précises. Des résultats obtenus [20], on tire moins l’idée d’une faillite générale des théories qu’un rappel à l’ordre sur l’épistémologie des sciences humaines : les explications trop générales et globales posent toujours problème, et toute régularité établie par les sciences de l’homme ne s’énonce que sous réserve de multiples conditions. Les sciences humaines sont plutôt le cadre d’élucidations localisées et contextuelles, ce qui n’exclut en rien la cumulativité. Leur apport concerne moins la connaissance directe du monde que les outils de cette connaissance ou encore une connaissance indirecte qui ne peut s’opérationnaliser qu’à travers des dispositifs localisés. La notion de risque, qui s’inscrit facilement dans cette perspective [21], peut également jouer dans l’autre sens si l’on ne retient que son caractère mesurable (en oubliant qu’il s’agit de probabilités) et l’universalité de sa définition (en oubliant que celle-ci permet justement de rendre compte de diversités et de spécificités). On touche là une des ambiguïtés de la sociologie du risque.

LE RISQUE GÉNÉRALISÉ

19La sociologie du risque ne s’arrête pas aux domaines d’élection qui viennent d’être évoqués : elle peut servir de cadre d’analyse pour renouveler la question de la guerre dans le contexte géopolitique contemporain [22] ou d’instrument d’élucidation du comportement des propriétaires dans une copropriété [23]. On pourrait multiplier les exemples. En effet, la sociologie du risque définit des interrogations qui sont applicables à une grande diversité de contextes contemporains.

20D’abord la perception des risques : comment sont-ils identifiés, construits, nommés, à travers quels filtres, avec quels instruments ? Si l’on définit le risque comme ce qui peut advenir et que l’on ne voudrait pas avoir à subir directement ou indirectement (par ses conséquences), on caractérise une catégorie du rapport au monde qui, tout en présentant un caractère très général, peut prendre des formes différentes et faire l’objet de constructions diverses : l’universalité de la question n’exclut pas la souplesse des réponses. La notion de prise de risque permet d’élargir et de transformer la problématique de la décision. Identifier le moment ou la nature de la décision est souvent chose difficile, qu’il s’agisse de processus collectifs ou de comportement individuel. Souvent l’action se construit de manière continue que l’on peut certes réduire à de microdécisions mais sans que cela soit vraiment éclairant. L’avantage du raisonnement sur les prises de risques est qu’il échappe à la recherche du moment de la décision, qu’il permet d’analyser des séquences de comportement (sans avoir à rechercher obstinément un point de départ), et qu’il introduit l’analyse des différences entre ce qui est perçu par les acteurs concernés et ce que l’on peut mesurer à partir d’une norme extérieure visant l’objectivité.

21Cet affinement dans la compréhension des séquences de l’action est également possible à partir de la gestion de risques. Cette notion très opérationnelle peut être réélaborée par les sociologues. La sociologie crozérienne, en insistant sur le contrôle des incertitudes, nous a déjà fortement entraînés dans cette voie. Comment les risques sont-ils identifiés et perçus ? Quelle importance leur accorde-t-on ? Quels dispositifs met-on en place pour les limiter, les utiliser, les connaître ? Comment la référence aux risques modifie-t-elle l’action et le sens qu’on lui donne ? Ce genre de questions peut s’avérer particulièrement efficace [24]. Mais aujourd’hui, les acteurs se réfèrent souvent à des modèles de gestion de risques parfaitement explicites et contrôlés. Il n’est plus question d’interroger des modèles implicites dont la mise au jour nous révèle ce que l’acteur ne sait pas bien lui-même, posture aimée du sociologue, mais l’usage des modèles et les effets que cela entraîne, interrogation pour laquelle la sociologie, même celle des organisations, n’est pas toujours très bien armée [25].

22Enfin, la problématique du risque conduit presque infailliblement à celle de la confiance [26]. Le couple risque-confiance est un opérateur très efficace de l’interrogation sociologique contemporaine parce qu’il permet de rendre compte de situations, d’attitudes ou de comportements dans des contextes sociaux et institutionnels différents, sans que l’homogénéité culturelle soit nécessaire. La confiance s’inscrit sur des arrière-plans (religieux, affectifs, moraux, etc.) très différents : comme l’exaltation, la culpabilité [27] ou le sentiment d’une dette [28], elle correspond à des catégories socio-affectives quasi anthropologiques, en tout cas pertinentes dans nombre de contextes. On dispose donc d’un instrument d’interrogation et d’élucidation qui s’adapte à la plasticité sociale et à la diversité culturelle du monde contemporain. Mais, dans ce monde marqué par le double mouvement de radicalisation de l’individuation et du nihilisme (selon la terminologie de Nietzsche), la question du sens se réduit souvent et parfois dramatiquement à la possibilité de faire crédit (c’est-à-dire, pour reprendre une formulation de Schütz, de « suspendre tout doute » non quant à l’ « existence du monde extérieur » en général, mais quant à l’existence, au comportement ou au fonctionnement de personnes ou d’objets techniques bien définis) à son entourage, à ses partenaires dans l’action ou aux objets de la vie quotidienne. Cela fait également le succès du couple risque/confiance [29].

DES INTERROGATIONS MAJEURES

23On le voit, la sociologie du risque ne se définit pas seulement par des objets, mais par un ensemble d’interrogations qui portent d’abord sur le rapport au monde et sur la construction du monde par les individus. Un autre volet, tout aussi important concerne la science, l’établissement des vérités scientifiques, et plus encore la nature et le rôle de l’expertise dans les controverses et les choix sociaux. Cela s’inscrit dans un vaste mouvement, initié par la sociologie des sciences depuis Merton. Mais alors qu’au cours des dernières décennies on s’est surtout préoccupé des conditions de production et de légitimation des vérités scientifiques ainsi que du fonctionnement interne (notamment dans les réseaux de pouvoirs propres aux disciplines) du monde scientifique, elle insiste plutôt sur les formes de la relation entre science et société, particulièrement à travers l’exercice de l’expertise et sa réception. Certains abordent ce débat sous le seul angle de la démocratie, à partir notamment de la référence à Habermas. On interroge alors le poids des experts par rapport au citoyen « ordinaire », l’obligation qu’ils ont de rendre compte et la manière dont ils le font, dans un contexte de désenchantement vis-à-vis du savoir scientifique et technique. La sociologie du risque s’intéresse plus directement à la nature même des rapports entre cette connaissance et le contexte social. Elle s’interroge en particulier sur la nature des vérités que l’on exige du chercheur ou de l’expert.

24En effet, on demande aujourd’hui aux chercheurs et aux experts d’entrer dans la conduite de l’action, et de raisonner en termes de risques et de gestion de risques à plusieurs échelles temporelles. On n’attend pas des vérités universelles élaborées dans les conditions et dans les limites d’élaboration des vérités universelles, quitte à ce qu’elles soient parfaitement inutilisables concrètement et immédiatement, mais des solutions concrètes et immédiates qui soient quand même de l’ordre du savoir universel. Comme cela est à peu près impossible et que la manière dont le monde scientifique définit les vérités universelles se complexifie avec l’évolution des sciences, une relation critique s’instaure et la suspicion grandit en même temps que la confiance, au point que l’on peut se demander si ce n’est pas une trop grande confiance déçue qui entraîne la mise en cause de la science. D’autant que la temporalité de l’actualité, de l’événement, et en particulier de la sphère médiatique s’impose au monde de la science et de l’expertise dont les rythmes et les durées sont très différents. L’exigence est formulée dans la durée des médias et les chercheurs ou experts – outre qu’ils sont souvent obligés de se prêter aux exigences de la demande – tentent parfois d’instrumentaliser la temporalité médiatique au profit de jeux purement internes à leur sphère. Le principe de précaution peut apparaître comme une tentative pour résoudre le dilemme [30]. En tout cas, la problématique du risque paraît une bonne entrée pour analyser les relations entre sciences et société.

25Sur le plan de la méthode, la sociologie du risque présente l’avantage de s’occuper d’un objet qui n’est jamais donné, même lorsqu’il paraît évident : le risque dit « objectif » a besoin d’être reconnu, connu, explicité. Le risque, tel qu’il est perçu ou défini, fonctionne souvent comme un instrument d’objectivation, voire de calcul des dangers ou des difficultés qui peuvent affecter les comportements individuels et sociaux, qu’ils soient d’origine interne ou externe à la sphère sociale. Il fonde également un système de « bonnes raisons » pour faire ou ne pas faire : je ne dois pas faire ceci par ce que cela met ma vie en danger et qu’il ne faut pas mettre sa vie en danger, ou bien je dois le faire parce que cela met ma vie en danger et que la vie n’a pas de sens si l’on ne la met pas en danger... Cela aussi bien à l’échelle de grands ensembles sociaux opérant des choix collectifs qu’à celle d’individus organisant leur comportement. Les formes de l’objectivation du risque ou les systèmes de bonnes raisons qu’il fonde mobilisent toutes sortes de ressources sociales composites et constituent des analyseurs exceptionnels de la réalité « en profondeur » des sociétés contemporaines. On le voit dans les articles ci-après à propos des schémas d’interaction qui président à la reconnaissance collective d’un risque (Gilbert), de la stratégie d’action par rapport à des groupes cibles, dont l’évolution s’opère à travers la reconsidération de la définition que l’on donne du risque (Trépos), ou encore de la non-prise en considération d’un risque qui devrait être reconnu (Lefeuvre) : la construction de la non-conscience par les acteurs d’un risque par ailleurs socialement défini et reconnu constitue un objet d’étude particulièrement significatif.

26Une première conclusion se dégage de cette description : les objets de la sociologie du risque lui sont venus des peurs et préoccupations sociales, mais elle a élaboré un ensemble de questions spécifiques à forte portée sociologique. Ces questions ne sont pas de même nature que celles qui fondent une sociologie spécialisée (qu’est-ce que l’art, le travail, ou la connaissance en tant que phénomènes sociaux ?). Elles se présentent plutôt comme une série d’éléments de théorie, ce qui pose la question des théories sociologiques du risque aptes à rassembler ces éléments. Les tentatives en la matière sont peu nombreuses, et les tenants de la modernité réflexive offrent la seule grande théorie qui donne au risque une place centrale.

LA THÈSE DE LA MODERNITÉ RÉFLEXIVE

27Une école, certainement pas, une théorie sans doute, et plus encore un courant théorique, ainsi apparaît la modernité réflexive. Autour de quelques personnalités et travaux emblématiques, une nébuleuse s’est formée, dont les participants sont multiples et à laquelle contribuent durablement ou plus épisodiquement des penseurs assez divers. Cette nébuleuse constitue un pôle théorique de la sociologie contemporaine. L’incertitude des frontières de la nébuleuse tient à l’organisation de cette pensée sociologique et à la diversité de ses utilisations possibles. Utiliser (et pas seulement citer) le Bourdieu de La distinction ou de L’amour de l’art entraîne une affiliation – au moins partielle et provisoire – alors que les utilisateurs – parfois sans vergogne – des Conséquences de la modernité de Giddens, n’ont pas besoin de s’engager vis-à-vis de lui : tout le monde a été peu ou prou influencé par le courant de la modernité réflexive, mais cela n’engage pas vraiment.

28En s’appuyant notamment sur le résumé que fait Beck lui-même (dans l’article ci-après) des principales thèses de la Société du risque, on caractérisera ainsi les points forts de ce courant :

  • D’abord, on l’oublie souvent, une utilisation de la notion même de modernité à laquelle les Français sont fort peu habitués, surtout de la part des sociologues, Georges Balandier étant un des rares, pratiquement le seul à l’avoir utilisée d’une manière très proche. En effet, la modernité sert certes à décrire une phase de l’évolution des sociétés, mais également le cœur du mouvement qui travaille les sociétés en mouvement [31]. Elle est un principe de changement et d’organisation macrosociale, en même temps qu’une expérience qui peut être vécue individuellement. L’histoire récente a connu des sociétés qui, avec le triomphe du modèle industriel, se sont voulu radicalement en mouvement, se sont donc pensées comme totalement vouées à la modernité, et ont fait idéologie de cela. C’est le destin de ces sociétés quand elles deviennent « post » [32] qu’il s’agit d’élucider. La perspective adoptée dans cette idée de la modernité (du moins dans sa dimension macrosociale) est l’héritière d’une lecture de l’histoire des sociétés marquée par la dialectique Hégélienne et Marxiste, ainsi que par l’idée, notamment weberienne, d’un processus de rationalisation. Elle en opère une sorte de recyclage. Sans doute accorde-t-elle moins d’importance que ses devancières [33] à l’idée d’une progression de l’humanité : il s’agit moins de raconter l’histoire du monde que d’aider les hommes à comprendre leur rapport au monde. Mais elle se situe quand même plutôt dans cette logique et dans une perspective optimiste [34].
  • Ce courant exprime fortement la conviction (partagée par d’autres) que, dans un ensemble de sociétés contemporaines (développées, démocratiques, sécularisées et entrées fortement dans l’ère postindustrielle et postfordiste), ce qui est socialement construit et reconnu comme tel l’emporte définitivement sur ce qui est donné. Le sens ne réside plus dans des grands messages immuables, mais dans des élaborations sans cesse renouvelées et qui, parfois, forment un véritable marché des valeurs, des symboles et des discours. Des institutions comme la famille ou même l’État sont ce que chacun d’entre nous en fait au quotidien. Les organisations (entreprises, administrations, universités, associations) reposent plus sur la mobilisation de leurs membres et sur leur capacité à produire leur propre comportement que sur un ordre qui s’imposerait à tous. La conscience d’être acteur de la construction sociale se développe. Cela constitue une véritable révolution.
  • L’idée de réflexivité implique que l’on intègre sans cesse à la construction de l’expérience les résultats de l’expérience acquise ou en cours [35], ce qui renvoie aux divers apports des écoles inspirées par le pragmatisme et la phénoménologie. Mais, sur un plan plus historique, elle signifie également que les sociétés qui, à un moment, ont fait de la modernité leur univers unique, sont confrontées non à des difficultés extérieures, mais aux paradoxes et aux effets pervers de leur propre logique. Elles prennent conscience que leurs problèmes viennent d’elles-mêmes. Tchernobyl (peu de temps avant la publication du livre de Beck) est emblématique de cas dans lesquels personne ne veut de mal à personne, ce qui n’empêche pas que se produise une catastrophe qui met en danger une partie de l’humanité. Le 11 Septembre peut être lu comme l’effet de la méchanceté des hommes [36], mais ce sont bien les caractéristiques (technologiques, sociologiques, économiques) des sociétés développées à partir de la révolution industrielle qui font que l’action terroriste de quelques hommes peut prendre une telle importance et menacer chacun à tout instant et hors toute logique, alors que la guerre semblait encore établir un ordre.
  • La réflexivité se manifeste au niveau individuel par l’expérience du risque. Comme l’écrivent F. Ewald et D. Kessler [37], celle-ci « est placée sous le signe d’une essentielle ambiguïté. C’est une forme de mesure qui, en même temps qu’elle permet de pondérer le pour et le contre, ne permet jamais de s’affranchir d’une décision nécessaire. L’éthique du risque est une éthique de la responsabilité qui impose à chacun, individuellement et collectivement, de se prononcer au cas par cas sur la valeur des valeurs » (p. 67).
  • Le raisonnement comprend une théorie de la mondialisation des sociétés. D’un côté l’expérience individuelle est elle-même mondialisée, elle est « délocalisée » (Giddens) et « relocalisée » dans un mouvement permanent et passe de plus en plus souvent par l’appartenance à des « communautés mondialisées d’expériences partagées ». Les « gages symboliques » (toutes les abstractions qui fondent les relations sociales : argent, droit, etc.) et les « systèmes experts » (les dispositifs techniques qui remplacent l’intervention de l’homme et que celui-ci ne peut pas maîtriser directement) sont les opérateurs de ce jeu de distanciation. Mais la mondialisation s’opère également par le partage de « menaces globales trans-nationales et non spécifiques à une classe déterminée, qui s’accompagnent d’une dynamique sociale et politique nouvelle » (Beck 1986, p. 27). Le partage des « mal » l’emporte sur la dynamique des « bien ».
  • Le rapport à la science et à la technologie s’inverse. Elles furent l’objet de croyances positives et associées indissolublement aux certitudes et à la vérité. Le mouvement de la science et des technologies lui-même – et non un retour vers le monde préscientifique ou pré-industriel – relativise toujours plus ce qui fondait ces croyances. Les attentes (et donc les exigences) croissantes vis-à-vis des sciences et des technologies alimentent l’aggravation de leur mise en cause [38] : les débats récents sur la vache folle, les OGM, le sang contaminé et les divers problèmes de bio-éthique liés aux thérapies géniques en témoignent. Désormais, la question du rapport entre le savant ou l’expert et les autres acteurs sociaux ou citoyens est sans cesse posée et jamais résolue à l’avance. Au demeurant s’interroger sur ce sujet, à partir d’une même référence à la modernité réflexive, n’oblige nullement à tirer les mêmes conclusions, c’est ce que montre l’article ci-après de Florence Rudolf.
  • Enfin, la demande de maîtrise devient la demande sociale centrale. Elle correspond à des mondes sociaux dans lesquels la peur l’emporte sur l’espérance. Elle est omniprésente dans la préoccupation de sécurité et constitue le moteur de la construction des différents dispositifs de confiance. Cette demande de maîtrise, fortement liée au processus d’individuation [39], mais également au foisonnement des systèmes experts et des dispositifs de délocalisation, est porteuse de dangers politiques et sociaux qu’il convient d’examiner sérieusement.

29Dans quelle mesure cette théorie permet-elle de donner une consistance à la sociologie du risque, et celle-ci peut-elle apparaître comme un cadre de lecture de la modernité ?

UNE OUVERTURE QUI DYNAMISE LA SOCIOLOGIE

30La théorie de la modernité réflexive vaut d’abord par la posture qu’elle adopte, explicitement ou implicitement. Ce qui fait dire dans une heureuse expression à Latour [40] : « Beck n’est pas un penseur critique c’est un penseur généreux », ce qui se manifeste – et parfois choque – dans la forme que Giddens donne à ses engagements politiques, c’est une idée de la manière dont les sciences sociales peuvent se situer par rapport à la société. Celles-ci n’auraient pas pour vocation d’expliquer le monde social, c’est-à-dire de faire le compte des causes ou des effets, mais plutôt de l’élucider, c’est-à-dire de rendre clair ce qui est flou ou de l’expliciter, donc de dire ce qui n’est pas dit. Cette démarche-là, même si elle se développe dans le monde académique, s’adresse d’abord à tous les acteurs sociaux et (comme le dit Beck) est construite à partir (il faudrait presque dire en miroir) de l’expérience commune. Elle est donc d’abord réflexive. Cette ambition est indissolublement liée à l’idée que les outils traditionnels de la sociologie, conceptuels et même méthodologiques, sont pour le moins obsolètes et sans doute radicalement dépassés, parce qu’il n’y a plus de société [41] et que le monde est devenu un gigantesque système de mobilité. Il convient donc d’élaborer de nouveaux instruments, à partir de l’expérience des acteurs et en évitant de produire un nouveau système a priori.

31Centrée sur les acteurs (ce qui ne signifie pas qu’elle en soit toujours bien comprise), la théorie de la modernité réflexive prétend à une certaine universalité. Elle permet d’interroger une diversité de situations spécifiques, elle s’applique à des échelles et dans des perspectives très différentes : elle peut servir à la fois pour rendre compte de l’état et du mouvement du monde en général et de situations particulières, individuelles, quotidiennes. Mais contrairement à d’autres théories générales [42], elle n’exige l’adoption d’aucun appareillage immuable : on peut l’utiliser de manière très libre. En ce sens, elle est plutôt localisable (et n’oblige pas à abandonner les savoirs locaux liés à la situation étudiée) que reproductible. C’est probablement un aspect très important de sa puissance et de son succès. En cela, elle se différencie de certaines théories de l’action rationnelle qui, dans leurs versions les plus récentes [43], sont également localisables, mais ne peuvent changer ni d’échelle ni de registre.

32En construisant des instruments pour rendre compte de l’expérience contemporaine en même temps qu’un discours sur le sens du monde et de son évolution, la théorie de la modernité réflexive offre à la sociologie le moyen de développer le dialogue avec les idéologies ou les visions du monde actuelles. En effet, elle aborde directement certains de leurs thèmes les plus forts (la mondialisation, la mise en cause de la science, le risque environnemental), elle propose des cadres d’interprétations de ces thèmes et ne condamne pas a priori le discours des acteurs. Certains l’utiliseront pour analyser, mettre à distance ou critiquer des idéologies comme celles de l’antimondialisation ou du développement durable, d’autres la mettront à leur service. Cette ambivalence peut s’avérer féconde.

DES POINTS DE FRAGILITÉ

33À l’intérieur de l’espace ouvert par la théorie de la modernité réflexive, les points de vues et les controverses sont très divers : le débat sociologique de ces dernières années en a été largement alimenté et c’est là que se sont réalisées ses plus grandes avancées. Cependant, sans adopter un point de vue réducteur [44] ou systématiquement négatif, on peut s’interroger sur ses limites ou ses dérives [45] et sur les conséquences que cela entraîne pour la sociologie du risque.

34Tout d’abord, l’utilisation de la notion de risque, malgré sa généralité, sa « transversalité », n’empêche pas le développement de découpages très étroits de l’expérience collective ou de l’organisation sociale. Les bibliographies des articles publiés dans ce numéro en témoignent : d’un côté un tout petit nombre de références communes (Beck et Giddens, puis Latour et Callon, souvent mentionnés), de l’autre des listes d’ouvrages très spécialisés qui ne se recoupent pas. Plutôt qu’une catégorie de l’expérience, que l’on pourrait par exemple confronter à celle d’intérêt, ou qu’un cadre d’interrogation des pratiques, le risque définit souvent une classe d’objets qui sert à construire des analyses diverses (et souvent riches) mais sur laquelle on s’interroge peu. On n’échappe pas alors au piège de cette fragmentation de l’expertise évoquée plus haut. En effet, la généralité du concept oblige à développer des instruments spécifiques pour analyser les différents types de risques. Si on le fait en se centrant sur la manière dont le risque est construit, les démarches transversales sont relativement faciles, si l’on privilégie le traitement des risques et l’analyse des dispositifs qui y contribuent, l’expertise ne peut que se spécialiser et c’est ce qui se produit le plus souvent. Bien qu’elle traite le risque comme une catégorie de l’expérience, il n’est pas sûr que la théorie de la modernité réflexive offre les instruments pertinents pour sortir de ce piège.

35Une autre difficulté s’attache tout particulièrement aux débats sur l’expertise et la science. En effet, entre l’expert et le citoyen (non expert), le sociologue prend facilement la position de l’arbitre et l’on a parfois l’impression qu’une seule expertise échappe aux difficultés communes : celle du sociologue réflexif... S’interroger également sur la place de l’expertise sociologique dans ces dispositifs suppose le recours à tout un appareillage et la tentation reste forte de s’en tenir à la livraison d’une bonne parole au succès duquel il est difficile de rester insensible, même si l’on connaît son ambiguïté [46].

36Mais c’est au cœur même de la théorie que se trouve sa principale fragilité. Jean de Munck [47], qui reconnaît que la sociologie de la modernité réflexive possède, contrairement au courant postmoderne, l’avantage d’être opérationnalisable pour l’analyse du mouvement des sociétés contemporaines, et celui d’éviter l’irrationalisme, émet cependant une critique assez sévère. Pour lui, « La réflexivité est un concept trop large pour rendre compte du temps, puisqu’en un sens fort, c’est la modernité tout entière qui est réflexive (c’est-à-dire rationnelle)... On rétorquera que ce que veulent probablement dire ces auteurs, c’est que le “régime de réflexivité” est en train de changer... Mais alors, première question, pourquoi ne pas identifier ce nouveau régime de réflexivité, le nommer et commencer à en construire critiquement le concept ? » (p. 118). Et plus loin : « D’un autre côté, le concept de réflexivité apparaît trop abstrait et trop univoque pour rendre compte de la polémique des rationalités au sein de la société réflexive. La “modernité réflexive” d’Anthony Giddens et consorts se préoccupe beaucoup de la lutte contre ce qui n’est pas elle, soit la tradition ou la modernité orthodoxe, mais non de la pluralité agonistique des significations données à la réflexivité dans les sociétés mondialisées... » [48] (p. 118). Cette critique, forte sur le fond, permet également de bien comprendre les dangers « sociaux » de la position adoptée par le courant de la « modernité réflexive ». Celui-ci émet un discours général convaincant qui semble pouvoir s’appliquer facilement, et qui, sans adopter les points de vue radicaux de la sociologie postmoderne, ne construit pas de barrières entre la connaissance et l’action, entre le quotidien et le politique. Du coup, il risque de refléter une opinion commune des milieux éclairés qui ne sera pas autre chose que le point de rencontre des idéologies en vogue dans l’intelligentsia des pays ou il est puissant, des idées reçues par leurs milieux dirigeants et des préoccupations de la strate intellectuelle de leurs médias. De tels lieux ne sont pas forcément inutiles et peuvent s’inscrire dans une dynamique de réflexivité. Mais la posture très surplombante qu’adoptent volontiers les théoriciens de la modernité réflexive peut entraîner la constitution d’une sorte de grand récit, nouvel avatar du prophétisme en sociologie. La mythification du 11 Septembre, devenu sujet quasi obligatoire pour nombre de sociologues, est un piège typique. Ce qu’en disent les théoriciens de la modernité réflexive [49] stimule la réflexion et ne manque pas de poids sociologique. Mais ils ne se défont pas pour autant de la posture de l’oracle qui déchiffre le message universel que nous envoient les dieux par la catastrophe qui s’abat sur la ville. Sans doute est-ce là une caricature, mais au-delà de la réaction épidermique que provoque la masse d’articles « scientifiques » consacrés au 11 Septembre et qui laissent le sentiment que leurs auteurs s’inscrivent dans une course quasi commerciale à l’interprétation, l’interrogation demeure. Le danger final, qui concerne l’ensemble de la sociologie du risque, tient dans une simplification radicale du social. Est-ce le meilleur moyen pour lutter contre une sociologie hyperparticularisante et localisante, dont le succès inquiète à juste titre ?

LA POSITION AMBIGUË DE LA SOCIOLOGIE DU RISQUE

37La sociologie du risque présente plusieurs visages. Certains travaux prennent le risque comme prétexte pour développer des analyses qui concernent aussi bien les processus de réponse au risque que les comportements des acteurs qui subissent, craignent ou gèrent le risque. Mais ils ne s’interrogent pas sur la nature ou la construction de ce dernier. Le risque devient alors une sorte de « boîte noire ». Souvent, cela permet de renouveler l’interrogation de branches traditionnelles de la sociologie. L’exemple de la santé semble particulièrement net à cet égard. D’autres fois, cela facilite l’établissement de ponts entre des domaines qui s’ignoraient (l’étude de l’industrie et celle de l’environnement), voire la structuration de domaines transversaux nouveaux (les « comportements à risque » [50]).

38D’autres au contraire s’efforcent d’élaborer une théorie du risque. Celle-ci doit rendre compte de la manière dont le risque est défini et mesuré par les acteurs et de l’usage qu’ils en font pour organiser leur comportement. De ce point de vue, elle interfère fortement et nécessairement avec les théories de la rationalité. Elle doit également rendre compte de la progression de la lecture du monde à partir de la catégorie de risque. Elle doit enfin expliquer ce qu’est la définition sociale des risques, dans l’imaginaire collectif comme dans l’action organisée.

39La théorie de la modernité réflexive offre un cadre pour cela. Associer fortement le risque et la réflexivité permet de former un noyau théorique puissant. Cependant, parce qu’elle s’intéresse surtout à la progression de la catégorie de risque et à la définition sociale des risques, cette théorie ne donne pas tous les moyens d’une articulation forte avec celle de l’action rationnelle. En outre, en raison du type de démarche privilégié par ses principaux auteurs, elle est plus apte à stimuler et à ouvrir des perspectives qu’à structurer véritablement un ensemble de travaux sociologiques.

40La sociologie du risque reste donc un ensemble relativement disparate et dont les cohérences sont un peu fragiles. Cela n’empêche pas qu’elle constitue certainement un secteur majeur pour les années qui viennent.


Mots-clés éditeurs : Expertise, Méthode, Risque, Société du risque, Modernité réflexive, Théorie sociologique, Rationalité, Peur

Mise en ligne 03/10/2007

https://doi.org/10.3917/cis.114.0005

Notes

  • [1]
    Je remercie François Ascher, Karel Dobbelare, Marie-Pierre Lefeuvre et Liliane Voyé, dont les lectures attentives et les conseils m’ont été précieux.
  • [2]
    Cf. les travaux de François Ewald.
  • [3]
    Représentée en particulier par trois livres : Ulrich Beck, Risikogesellchaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1986 (trad. franç., La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, traduit de l’allemand par Laure Bernardi, préface de Bruno Latour, Paris, Aubier, 2001) ; Anthony Giddens, The Consequences of Modernity, Cambridge, Polity Press, 1990 (trad. franç., Les conséquences de la modernité, traduit par O. Meyer, Paris, L’Harmattan, 1994) ; U. Beck, A. Giddens, S. Lash, Reflexive Modernization. Politics, Tradition and Aesthetics in the Modern Social Order, Cambridge, Polity Press, 1994.
  • [4]
    La théorie des sociétés du risque s’inscrit dans celle de la modernité réflexive, bien que les apports importants de Niklas Luhmann (notamment Soziologie des Risikos, Berlin, de Gruyter, 1991) ne puissent pas être rattachés à ce courant.
  • [5]
    Sans parler de la littérature (écrite et filmée) consacrée aux effets d’une erreur dans le fonctionnement des dispositifs de surveillance.
  • [6]
    Le 28 mars, un accident majeur se produisit sur le réacteur no 2 de la centrale de Three Miles Island, près de Harrisburg en Pennsylvanie. La catastrophe fut évitée de peu et les effets médiatiques furent considérables.
  • [7]
    Durant la nuit du 2 décembre, 42 t d’isocyanate de méthyle se sont échappées de la cuve 106, entre 16 000 et 30 000 personnes du bidonville sont mortes d’asphyxie. Environ 500 000 habitants ont été contaminés.
  • [8]
    À quoi l’on peut opposer l’impact relativement limité sur l’opinion de l’éruption du Pinatubo, sans doute pour une part en raison de sa localisation géographique, mais également parce qu’il ne s’agit pas d’un événement procédant de l’action humaine.
  • [9]
    La prise en considération des risques technologiques par la sociologie est, en France, largement redevable aux ingénieurs praticiens des sciences sociales. Elle se développe à l’ombre des grandes écoles d’ingénieurs, comme en témoigne avec éloquence le cas d’un des pionniers de la sociologie du risque en France, Patrick Lagadec. (Cf. Lagadec, La civilisation du risque. Catastrophes technologiques et responsabilité sociale, Paris, Le Seuil, 1981.)
  • [10]
    La société du risque, une chance pour la démocratie, Le débat, no 109, mars-avril 2000, p. 39-54.
  • [11]
    Cf. notamment F. Dubet et D. Martuccelli, Dans quelle société vivons-nous ?, Paris, Le Seuil, 1998.
  • [12]
    On pourrait donc le rattacher à la tradition à travers la référence à Max Weber.
  • [13]
    On en trouve une excellente description dans Patrick Peretti-Watel, La sociologie du risque, Paris, Armand Colin, « U », 2000.
  • [14]
    Voir ci-après l’article de Patrick Peretti-Watel.
  • [15]
    Encore que le seul choix délibéré de comportements à risque dans la conduite automobile fasse beaucoup de morts chaque année.
  • [16]
    Cela n’a rien de spécifique à la France.
  • [17]
    La critique radicale du discours sécuritaire n’est pas non plus toujours au-dessus de tout soupçon d’idéologie. Pour une synthèse bien informée et rigoureuse, en particulier sur toutes les difficultés de construction des faits d’insécurité, voir Laurent Mucchielli, Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2001.
  • [18]
    Celle-ci est mesurée à partir de l’activité des forces répressives, ce qui est un premier défaut. Les enquêtes de victimation, apparues dans plusieurs pays, prennent en compte – à partir du témoignage des personnes – tous les événements, qu’ils aient ou non été enregistrés. Mais les unes et les autres traitent sur le même plan des faits très différents dans des contextes très différents et donnant lieu à des interprétations différentes. Le vol de téléphones portables a fortement contribué à faire monter les statistiques de criminalité en France et cela était en partie dû à des formules d’abonnement offertes par les distributeurs qui rendaient ce vol très attrayant : exemple simple de l’énorme travail d’interprétation dont toutes les données « objectives » sur l’insécurité doivent faire l’objet.
  • [19]
    Particulièrement popularisé en France en 2002, puisque inscrit dans les grandes priorités du président de la République.
  • [20]
    Cf. l’article ci-après de Claudine Pérez-Diaz.
  • [21]
    Le risque, probabilité plus que réalité (mais réellement probable...), est construit, contextuel, objet d’interprétations et de transformations par la gestion, en ce sens il échappe fortement à sa construction comme fait objectif universel.
  • [22]
    Cf. l’article ci-après de Rémi Baudouï.
  • [23]
    Cf. l’article ci-après de Marie-Pierre Lefeuvre.
  • [24]
    Elles constituent en outre un espace de coopération particulièrement facile entre les sciences sociales et au-delà.
  • [25]
    Dans la mesure notamment où ce type d’évaluations suppose une approche « clinique » qui exige une grande familiarité avec les pratiques que l’on étudie.
  • [26]
    Voir notammment R. Laufer, M. Orillard (éd.), La confiance en question, Paris, L’Harmattan, « Logiques sociales », 2000 ; C. Thuderoz, V. Mangematin, D. Harrison (éd.), La confiance. Approches économiques et sociologiques, Paris-Montréal, Gaëtan Morin, 1999 ; et l’on rappellera G. Simmel, Secret et sociétés secrètes (trad. S. Muller), Paris, Circé, 1991.
  • [27]
    J. Remy, L. Voyé, E. Servais, Produire ou reproduire ? Une sociologie de la vie quotidienne, Bruxelles, Éditions Vie ouvrière, 1978, t. 1 : Conflits et transactions sociales.
  • [28]
    Cf. M. Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002.
  • [29]
    Et de la « sécurité ontologique » chère à Giddens.
  • [30]
    Dans la mesure où il veut mettre en place des dispositifs à court terme qui « libèrent » la construction lente de vérité scientifique, ce qui selon les versions s’énonce (version négative) : « En interdisant toute action dont une vérité scientifique ultérieurement élaborée pourrait faire apparaître la nocivité » ou bien (version positive) « en définissant les limites dans lesquelles l’action peut s’exercer avec une faible probabilité de tomber sous le coup de risques que des vérités scientifiques ultérieures mettraient en évidence. ».
  • [31]
    Prométhéennes aurait-on dit il y a quelques décennies.
  • [32]
    Comme le dit Beck dans la préface de La société du risque, op. cit.
  • [33]
    Du moins marxistes, car Julien Freund (cf. Études sur Max Weber, Genève, Droz, 1990) a démontré que la rationalisation weberienne n’avait rien à voir avec la progression vers une société plus « rationnelle », mais les utilisateurs ont parfois confondu.
  • [34]
    Une étude plus fine conduirait sans doute à nuancer le propos. On n’en voudra pour preuve que la différence de tonalité entre l’expression politique de la démarche de Giddens (The third Way, Cambridge, Polity press, 1998) et la fin de l’article ci-après d’Ulrich Beck.
  • [35]
    « C’est l’examen et la révision constante des pratiques sociales à la lumière des informations concernant ces pratiques mêmes, ce qui altère constitutivement leur caractère » (Giddens, op. cit.).
  • [36]
    Et l’actuel président des États-Unis ne se prive pas de le faire.
  • [37]
    F. Ewald, D. Kessler, Risque et politique, Le débat, no 109, mars-avril 2000, p. 55-72.
  • [38]
    À quoi il faut ajouter un raisonnement que l’on trouve notamment chez Giddens ou chez Beck et qui concerne l’évolution même des structures de la connaissance : les systèmes experts sont de plus en plus complexes et dépendants, cela fait que se développe une véritable question des « coûts de transaction » entre ces différents domaines. Cela fait écrire à Beck (Democracy without Enemies, Cambridge, Polity Press, 1998) que le véritable problème devient celui de la connaissance des conséquences non voulues de la connaissance.
  • [39]
    Scott Lash commence sa préface à Individualization (U. Beck and E. Beck-Gernsheim, Individualization. Institutionalized Individualism and its Social and Political Consequences, London, Sage, 2002) par la phrase suivante : « Ulrich Beck’s Risk Society, and indeed the theory of “reflexive modernization” is characterized by two theses : an environmental thesis or the “risk thesis” and an “individualization thesis”. »
  • [40]
    Dans la préface de La société du risque, op. cit.
  • [41]
    John Urry remarque avec humour (dans Sociology Beyond Societies. Mobilities for the twenty-first century, London, Routledge, 2000) que la phrase de Margaret Thatcher « There is not such a thing as society » directement héritée d’Hayek) méritait cependant d’être prise au sérieux.
  • [42]
    Celle de Bourdieu par exemple.
  • [43]
    Représentées notamment par les travaux de R. Boudon. Voir notamment R. Boudon, Le sens des valeurs, Paris, PUF, 1999.
  • [44]
    Certaines évaluations de la pensée de Beck à l’occasion de la traduction tardive de son livre en France paraissent singulièrement schématiques.
  • [45]
    On ne présentera qu’un aspect limité du débat, mais il en existe d’autres. C’est ainsi, par exemple, que l’auteur d’un article récent (A. Elliott, Beck’s sociology of risk : A critical assessment, Sociology-the-journal-of-the-British-sociological-association, mai 2002, 36 (2), p. 293-315) estime que Beck reste trop dépendant d’une conception objectiviste et instrumentale de la construction du risque et de l’incertitude dans les relations sociales et qu’il ne parvient pas à définir les relations entre la dynamique institutionnelle et l’autoréférence.
  • [46]
    Cela vaut plus encore pour certains sociologues de la science dont le succès médiatique donne parfois l’impression de reposer moins sur leurs apports que sur un côté iconoclaste, voire démagogique.
  • [47]
    Pour une critique de la raison procédurale, in D. Mercure (éd.), Une société-monde. Les dynamiques sociales de la mondialisation, Québec, Presses de l’Université Laval - De Boeck, 2001.
  • [48]
    On pourrait également parler de la pluralité agonistique des rationalités et des processus de rationalisation.
  • [49]
    Cf. l’article, ci-après, d’Ulrich Beck.
  • [50]
    Mais l’étude des comportements à risque entraîne très souvent une théorisation du risque.
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