Couverture de CISL_1401

Article de revue

Compte rendu

Pages 173 à 175

Ottavi, Pascal (dir.), 2012, la langue corse dans le systeme educatif. enjeux sociaux, curriculaires et didactiques du bi/plurilinguisme, Ajaccio, Albiana - Universita di Corsica, 234 p. par Philippe Blanchet

1Comme le rappelle P. Ottavi dans son panorama historique introductif, la langue corse a fait l’objet depuis 1974 d’une politique linguistique et d’une politique éducative remarquablement actives, au moins par rapport au cadre français dans lequel elle s’inscrit et dont on sait les réticences idéologiques, voire les discriminations, qu’il oppose à toute prise en compte efficace d’autres langues que le français en France. De là découle le besoin, 40 ans plus tard, de faire le point sur l’ensemble de ce dispositif complexe, sur ses effets, ses difficultés, ses réussites, ses perspectives. C’est l’objectif de ce volume important, tant par son ampleur de vue que par la pertinence des enjeux qu’il soulève. Plus largement, on peut y comprendre en profondeur un exemple éventuellement transposable ailleurs et on peut analyser en ce sens les apports de l’action glottopolitique corse, sur le plan des principes et sur celui des modalités concrètes d’intervention. L’ensemble du volume est clairement inscrit dans un cadre théorique sociolinguistique et sociodidactique, ce qui lui confère une cohérence et une exigence intellectuelles de grande qualité.

2L’étude globale est organisée en trois parties : une perspective historique, une perspective didactique et une perspective sociale ou sociopolitique. L’ensemble des textes est fondé sur l’analyse interprétative sans concession de corpus institutionnels (notamment textes officiels et supports d’enseignement), d’enquêtes nombreuses, d’observations de terrain, de témoignages individuels parmi lesquels celui de L. de Zerbi, jeune enseignant de corse, longuement développé en un chapitre entier. Les textes font ressortir des contradictions qui montrent la prise en compte soigneuse de la complexité par les contributeurs et contributrices : ainsi par exemple chez B. Garnier dans l’analyse de la « mystification » de la question régionale prétendument valorisée sous la IIIe république ou chez R. Colonna des effets pervers du choix du corse à l’école comme moyen de distinction.

3A. Di Meglio montre bien, à travers une analyse sociohistorique serrée, comment la didactisation du corse a été réalisée en continuité d’une dynamique sociolinguistique, tant sur le plan théorique que dans les pratiques sociales, ce qui a fondé une démarche glottopolitique et sociodidactique très innovante fondée sur le concept de langue polynomique.

4C’est à cette question de la polynomie dans les représentations et les pratiques des formateurs et formatrices actuel-le-s d’enseignant-e-s de corse que J.-M. Comiti consacre une étude substantielle qui permet de confirmer la légitimité du concept dans et par la pratique didactique (exemple intéressant de scientificité par faisabilité, critère caractéristique d’une épistémologie qualitative). La dimension socioculturelle du passage d’une culture à référent pastoral pré-capitaliste à son enseignement dans l’école d’aujourd’hui à référent post-industriel capitaliste, est examinée avec acuité par V. Lari, qui n’élude pas et, au contraire, envisage clairement, la nécessaire inscription de cet enseignement dans une mutation sociétale. C. Cortier pointe les effets positifs de l’inclusion d’un plurilinguisme élargi dans les filières biplurlingues en Corse, où l’italien et le corse contribuent ensemble à une promotion mutuelle en termes à la fois sociolinguistiques (statuts) et didactiques (apprentissages). Pour clore ce point, P. Ottavi revient sur le mythe du « bilinguisme équilibré » en montrant que les objectifs en ce sens posés par l’institution éducative française sont à la fois absurdes sur le plan théorique et inenvisageables sur le plan pratique, évaluations d’élèves à l’appui, d’où une autre façon de poser les objectifs de l’éducation / enseignement bilingue.

5R. Colonna réaffirme la problématique dans sa dimension glottopolitique en soulignant les effets de marginalisation que le système éducatif français continue à provoquer par l’obligation d’un dispositif particulier qui fragilise la place de l’enseignement du corse en Corse. Il met en lumière toute une série de paradoxes qui freine l’orientation d’étudiant-e-s vers une spécialisation en langue corse, ainsi que les conséquences de ces obstacles, notamment le manque de candidats au concours de recrutement d’enseignants bilingues, concours qui, dès lors, fonctionne aussi comme une « opportunité » pour… opportunistes, peu motivés par les finalités et les fondements de cette mission. A la suite du témoignage un peu pessimiste de L. de Zerbi sur l’avenir de l’enseignement original du corse polynomique dans le carcan de l’idéologie éducative française qui tend à le conformer à son moule, S. Quenot rend compte d’un ensemble d’enquêtes détaillées sur les comportements sociolinguistiques et motivations éducatives de parents d’enfants inscrits en cours de langue corse qui en donne à voir la diversité, les tensions et les contradictions, en écho à la dynamique sociolinguistique globale. Enfin, dans l’étude de J.-M. Géa sur le rapport au corse de populations d’origines immigrées, on voit paraitre, là aussi sans complaisance, des tensions supplémentaires qui viennent constituer autant de paramètres complémentaires pour la compréhension globale de la question. J.-M. Géa souligne notamment les logiques majoritairement différentes de populations d’origine portugaise et marocaine, corrélées à des démarches, respectivement et tendanciellement, d’hospitalité ou d’inhospitalité de la part de la société d’accueil.

6Ce volume établit donc un véritable bilan d’étape, complet, bien informé, critique et pro-actif, de quarante ans de promotion politique et éducative de la langue corse en Corse (car le corse est également utilisé dans d’autres régions, et notamment enseigné dans les académies d’Aix-Marseille et de Nice). La conclusion de l’introduction de P. Ottavi invite à agir sur trois pistes : l’intégration claire des ressources linguistiques des personnes venues d’ailleurs dans le répertoire verbal collectif de la Corse, un travail des Corses quant à leur situation particulière au sein de l’Etat français, une action de l’Etat français pour redéfinir ses rapports à la Corse, le tout devant conduire à une Corse plurielle, exempte de discriminations. Beau programme sur lequel la Corse est engagée notamment à travers sa politique linguistique et éducative qui pourrait en inspirer d’autres, ailleurs…

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