Voilà « une porte à deux battants qui ne servait ni pour entrer ni pour sortir »
1 – Une quête du « petit » groupe...
1Bien des auteurs ont défini la dynamique des groupes comme science des « petits » groupes, se référant à l’usage anglais « small groups » proposé par certains psychologues des années 1950. Même de nos jours, un des principaux périodiques consacrés à la psychologie sociale des groupes s’intitule toujours Small Group Research.
2Pitirim Sorokin, sociologue dont l’immense culture avait abordé des groupes sociaux de tous types à travers l’histoire, contesta à l’époque l’existence d’un genre spécial dit « des petits groupes » :
« Il n’y a ni logiquement ni empiriquement de raison sérieuse pour ériger les « petits groupes » en genres distincts de groupes sociaux (…) Que diraient les botanistes si quelques novateurs plus aventureux que compétents imaginaient une classe de « petites plantes de deux à vingt cinq pouces de haut, considérée en tant qu’espèce distincte »
4Une définition particulièrement courue à l’époque, et spécifiquement contestée par Sorokin, était celle proposée par Bales
« Un petit groupe consiste en un nombre de personnes qui subissent des interactions réciproques, soit au cours d’une réunion’face à face’, soit au cours de plusieurs réunions successives, au cours desquelles chaque participant a des impressions ou des perceptions des autres participants suffisamment claires pour qu’il puisse, soit sur le champ, soit lorsqu’il sera interrogé plus tard à ce sujet, faire état de quelques réactions envers les autres personnes, même si ces réactions consistent simplement en un souvenir de présence des autres (…) Selon cette définition, un nombre quelconque de personnes qui n’ont jamais agi les une sur les autres, ne constitue pas un petit groupe »
6Si l’on se penche sur le cas d’une vingtaine de personnes participant à un cocktail, certaines risquent fort (éméchées) de n’avoir pas de perception nette et discernable de la présence des vingt autres. Par contre, d’après Sorokin, la Convention des Républicains aux Etats-Unis, comptant plus de mille membres, et la Chambre des Lords anglais, seraient des « petits » groupes, chacun connaissant chacun et ayant tenu à l’occasion des séances face-à-face !
7Ainsi, en vertu de la définition en cause, des groupes parfois considérables de viennent des « petits groupes » et vice-versa, terminologie qui ne contribue guère à élucider la notion de « petit groupe ».
8En réalité, Bales cherchait surtout à répertorier ces seuls groupes dont les membres ont la possibilité matérielle d’une perception réciproque et d’une inter- action effective directe. Sa maladroite définition semble bien avoir trouvé son origine dans la difficulté de traiter efficacement l’interpersonnel au sein d’une population trop nombreuse.
2 – De toute manière, qu’est ce qu’un « petit » groupe ?
9Dès les premières utilisations du mot (Xème siècle) l’adjectif « petit » est appliqué à un être animé, de taille inférieure à la moyenne et, par extension (la taille indiquant un degré de croissance), à un individu jeune.
10Appliqué au groupe, « petit » qualifierait un ensemble dont la taille est inférieure à la moyenne, taille calculée à partir du nombre d’individus. Pourtant un groupe peut naître petit et au fil des temps grossir ou grandir, chose fréquente dans les groupes sociaux. De surcroît quelle est la taille « moyenne » d’un groupe social ? Quelles données sociologiques possède-t-on relatives à la dimension des groupes sociaux ?
11Notons que les psychologues sociaux ne sont pas les seuls à investir des groupes de dimension restreinte : ethnologues et anthropologues socio-culturels, même combat ! Ces derniers investissent des petites communautés, voire des tribus de taille réduite, pour autant qu’elles puissent être soumises à une investigation globale. Lorsque Mead s’intéresse aux Mundugumurs, Malinowski aux Trobriandais, les Llynd aux citoyens de Middletown, ils font de l’observation participante au sein d’une entité d’une, deux ou trois centaines, voire de quelques dizaines de personnes.
12Alors, que fera le psychologue social ? On se trouve apparemment en pleine subjectivité quand on tente de circonscrire ce qu’est un ‘petit’ nombre. Beaucoup d’auteurs délimitent le nombre de personnes, dont s’occupera la dynamique des groupes, par ukase, encore qu’il soit éclairant de relever le sens symbolique de nombres fréquemment avancés : trois comme limite inférieure, douze comme limite supérieure, sept comme nombre idéal ! Or ces situations sont culturellement figées.
13Trois évoque facilement le triangle œdipien : papa, maman et moi ou encore le couple et l’amant.
14Sept symbolise un cycle complet : les sept jours de la semaine, les sept couleurs de l’arc-en-ciel, les sept merveilles du monde, les sept péchés capitaux et les sept sacrements. Ils sont nombreux à aller par sept dans la mythologie grecques mais aussi dans les contes populaires : songeons aux sept nains de Blanche-Neige.
15La symbolique de douze est analogue, renvoyant à l’univers : les douze mois de l’année mais aussi les douze signes du zodiaque. Appliqué aux personnes, le symbolisme n’est pas sans nuance élitiste : le roi Arthur et les douze chevaliers de la Table ronde ou bien Jésus et les douze apôtres.
16Il n’est d’ailleurs pas évident qu’étudier des groupes plutôt de petite que de grande dimension soit une mesure de facilité :
« Les petites communautés sont fréquemment (mais point toujours) plus complexes par leurs propriétés et par leurs fonctions ou activités que les associations de grande envergure
18Nonobstant des psychologues sociaux expérimentaux ont nuançé ce point de vue :
« Lorsque la taille du groupe augmente, les ressources du groupe tendent aussi à augmenter, mais leur maximum potentiel n’es pas utilisable pour la résolution de problèmes à moins qu’il ne se produise une augmentation correspondante dans certains types d’interaction (…). Les effets de la taille du groupe (…) jouent donc à travers les types et la quantité d’interaction qui sont facilités ou entravés… »
3 – Point trop n’en faut…
20Contrairement au sociologue, le psychologue social s’intéresse moins à la spécificité des différents groupes sociaux qu’à ce qui se passe à l’intérieur du groupe.
21Or s’il y a lieu de se centrer sur les relations interindividuelles au sein d’un groupe, on ne peut se contenter des interactions d’individu à individu. Il importe de considérer également les sous-parties susceptibles de se constituer au sein d’un groupe : les agglutinements spontanés ou non, les alliances, les prises de position communes entre paires, trios, quatuors ou davantage. Cette prise en compte accroît considérablement le nombre d’interactions potentielles eu égard aux échanges paire-paires, paires-trios, trios-quatuors, etc.
22Examinons concrètement le cas d’un trio et celui d’un quatuor.
23Dans un trio, l’ensemble des interactions potentielles s’appréhende de façon quasi intuitive.
24Prenons de cas d’Albert, Béatrice et Charles. Albert et Charles sont deux amis d’enfance ; Béatrice épouse Albert ; bientôt elle devient la maîtresse de Charles – ni vu ni connu, le mardi de cinq à sept.
25Voici trois interactions d’individu à individu : A-C, A-B, B-C
26Le couple Albert-Béatrice reçoit à dîner l’ami du ménage ; Béatrice décrit à une copine son mode de relation avec « ses » hommes ; Albert tombe à l’improviste, ô drame, sur le couple d’amants.
27Voilà trois interactions entre un individu et une sous-partie AB-C B-AC, A-BC.
28Lorsque nous avons à faire à un quatuor la situation se complexifie.
29Tout jeune ménage apprend, à ses dépens, qu’avoir un second enfant fait plus que doubler les problèmes. Supposons les enfants, un garçon, une fille, adolescents :
- Au sein de cette famille, il y a d’abord six relations de personne à personne.
- Chacun des membres de la famille peut avoir des relations, voire des conflits, avec chacune des trois paires qui peuvent se constituer face à lui.
30Multiplions 4 x 3 = 12 interactions d’individus à l’égard de dyades. – Chacun des quatre membres de la famille peut aussi se heurter à une coalition des trois autres membres.
31Par exemple, le père seul est amateur de vacances en montagne, la mère est l’unique passionnée de Claude François, la fille est seule à détester le football, le fils est l’unique chanteur à-tue-tête de la famille.
32– Enfin il existe trois interactions dyade versus dyade :
33parents versus enfants : ah ! la jeunesse d’aujourd’hui !,
34hommes versus femmes : haro sur les machos,
35père - fille versus mère - fils : le chouchou de sa mémère et la fifille de son papa !
36Totalisons : 6 + 12 + 4 + 3 = 25 relations intra groupales, dont seulement six sont strictement interindividuelles.
37Cette patiente arithmétique a amené certains auteurs à fixer à quatre la borne inférieure des ensembles de personnes qu’ils acceptent de dénommer groupe. Ils basent leur décision sur la donnée suivante : à partir de quatre, le nombre de relations intra-groupales s’avère supérieur au nombre de personnes réunies, les relations interpersonnelles devenant largement minoritaires.
4 – Inter personnel n’est pas intra groupal
38Le nombre d’interrelations se calcule à partir des formules suivantes :
- Le nombre potentiel d’interactions d’individu à individu =
- Le nombre potentiel d’interactions intra-groupales (entre toutes les sous-parties de groupe possibles) =
39Le tableau illustre à quel point se différencient les seuils de complexité d’une approche strictement sociométrique (choix de personne à personne) d’une part, du niveau d’analyse intra groupal d’autre part.
40On comprend alors mieux l’intérêt de s’en tenir à des groupes de dimension restreinte. Cette restriction méthodologique éventuelle porte non pas sur l’étendue des groupes abordés mais, pour des raisons de praticabilité, sur la quantité des interrelations envisageables.
41En conséquence peuvent se situer, à proprement parler, hors du champ d’investigation de la dynamique des groupes : la dyade et la triade. Celles-ci sont abordables, de façon quasi intuitive, sous l’angle strictement interpersonnel.
42La tétrade (du grec tetra : quatre) peut être traitée de la même manière, les relations avec les sous-parties étant facilement repérées. D’ailleurs la plupart des psychologues cliniciens et/ou systémiciens, notamment les thérapeutes familiaux (familles nombreuses s’abstenir), abordent sans difficulté des ensembles de quatre individus, et ce sans qu’ils se soient initiés à la dynamique des groupes.
43N’utiliser l’expression « dynamique des groupes » qu’à partir d’un minimum de cinq personnes, eu égard à l’impact grandissant des constituants sub-groupaux, libère d’une approche primordialement inter- et intra- individuelle.
44Il n’empêche : fixer des limites inférieures ou supérieures reste problématique. Nous avons affaire à des « ensembles flous ».
45Avec l’accroissement du nombre des membres, augmente bien souvent la tendance au fractionnement, à la formation de cliques, au repli sur de trios, des quatuors, ainsi que l’indifférence à l’égard d’un nombre croissant de membres du groupe. A contrario, le petit nombre facilite souvent la formation de liens affectifs, la centration sur des relations interpersonnelles jusqu’à rejoindre en certains cas les descriptions idéales qu’ont faite des groupes dits ‘primaires’ certains sociologues ; il est vrai que quand l’effectif du groupe devient très important, on retrouve une mosaïque de liens affectifs dyadiques et triadiques … et le groupe sera constitué d’un patchwork d’isolats interpersonnels.
46En outre, selon la nature de l’activité, de ses intentions et objectifs, les relations entre sous-parties sont susceptibles de prendre le pas sur les relations interindividuelles. Le dynamicien de groupe se trouve souvent face à deux ou trois coalitions, trios, quatuors ou quintettes, au sein desquels positions, attitudes, comportements peuvent s’identifier. La situation se cristallise parfois en un conflit avéré, confrontant deux ou trois petits ensembles cohérents, dont les membres parlent chacun d’une seule voix. Tout se passe comme si on avait affaire à un microgroupe d’entités distinctes ! Raison de plus pour éviter l’usage de l’expression vague : « petits » groupes.
47Bien entendu, si la notion de « petit » groupe est taxinomiquement dénuée de toute signification précise, elle reste d’utilisation prudente en pratique. En effet, le problème « dimension » se doit d’être sérieusement pris en compte dans le construct « groupal ».
5 – Lewin, réticent à employer « petit » !
48Dans la bibliographie exhaustive reprise par Marrow, dans sa biographie de Kurt Lewin, sa vie et son œuvre, aucun des 101 articles ou ouvrages répertoriés de Lewin ne comprend en son titre l’expression small groups, en quelque langue que ce soit. Dans ses écrits, Lewin parle toujours de « groupe », tantôt de « groupe social », jamais de « petits » groupes ni de groupes « primaires ».
49Sur les 111 publications des débuts, à Boston, du Research Center for Group Dynamics, seul un article de Festinger et Thibaut reprend l’expression de small groups. Durant les très jeunes années de la dynamique de groupes, l’accent n’était pas mis sur la notion « petits » groupes.
50Nonobstant, dans la pratique des recherches et/ou interventions de l’équipe lewinienne, pendant la dizaine d’années de la période « groupale » de la vie de Kurt Lewin, les ensembles effectivement abordés étaient de dimension restreinte.
6 – L’utilisation initiale de la notion de groupe « restreint »
51Dans un certain nombre d’ouvrages et d’articles, écrits en langue française, restreint et petit sont utilisés comme s’ils étaient des synonymes. Le premier emploi de l’expression « groupe restreint » que j’ai repéré dans la littérature psychosociale francophone, date de 1955 : elle apparaît dans un article de J. Dubost (1955). L’expression francophone « groupe restreint » (qui n’a pas de pendant exact en langue anglaise) a largement supplanté depuis le vocable « petit groupe ». Elle doit vraisemblablement sa popularité au succès de la première édition (1968) du manuel d’Anzieu et Martin. Page 8, la couleur est annoncée :
« Dynamique des groupes restreints est synonyme, dans le présent ouvrage, de psychologie des petits groupes »
53et quelques pages plus loin :
« En parlant de groupes restreints, on met l’accent sur une dimension numérique qui permet à chaque membre de percevoir chaque membre, de réagir à lui, et d’être perçu par lui, sans préjuger de la qualité affective de leurs relations ; une question est de savoir à quelles conditions un groupe restreint devient un groupe primaire ».
55Pour Anzieu et Martin ce groupe présenterait les conditions suivantes :
- perception individualisée et réciproque de chacun, induisant des échanges interindividuels ;
- poursuite en commun des mêmes buts, valorisés de ce fait ;
- relations affectives pouvant devenir intenses et constitution de sous-groupes d’affinités ;
- interdépendance morale des membres et sentiments de solidarité ;
- différenciation des rôles ;
- constitution de signaux, normes, rites, code propre au groupe
7 – Pas si restrictif que ça !
56Au Québec apparaît en 1999 une définition du groupe restreint balayant toute limitation du nombre de participants:
« Nous optons pour une définition du groupe restreint qui se démarque de la perspective consensuelle ayant guidé plusieurs tentatives de définition. Le groupe est un champ social dynamique constitué d’un ensemble repérable de personnes dont l’unité résulte d’une certaine communauté de sort collectif et de l’interdépendance des sorts individuels. Ces personnes, liées volontairement ou non, sont conscientes les unes des autres interagissent et s’inter influencent directement. (…) Quant aux présumés critères de durée, de nombre maximal de personnes ou de proximité physique des membres, ils sont moins des conditions sine qua non de l’existence d’un groupe que des indices qui permettent d’insister sur l’importance de ces interactions directes. »
58L’insistance est mise sur l’appartenance à une entité repérable et à une communauté de sort collectif d’où découleraient interdépendance, interaction et inter influence. Cependant je m’interroge sur une méthodologie dynamico groupale portant sur des individus éloignés l’un de l’autre. Doit-on balayer l’ « ici et maintenant » pour le remplacer par le « un peu partout à la fois et n’importe quand », cher à certains fans du groupware ? A vrai dire l’auteur a commencé par « opter pour une définition du groupe restreint » pour n’offrir in fine qu’une définition du « groupe ».
59En définitive au départ de quel construct méthodologique qualifiant, dit-on du groupe qu’il est « restreint » ?
8 – Pourquoi restreindre ?
60« Restreindre » équivaut à « ramener à des limites plus étroites ». « Se restreindre » signifie se limiter et ce n’est pas uniquement ni nécessairement au niveau de la taille. Si le groupe, en « dynamique de groupes », est dit « restreint » c’est moins pour insister sur le petit nombre de personnes qui y participent, que pour se référer aux seuls groupes circonscrits spatio-temporellement, ensemble de personnes réunies en un même lieu et en même temps (hic et nunc).
61Dans cet « ici et maintenant », les participants ont la double possibilité d’une perception réciproque et d’une interaction effective directe avec chacun des autres. A partir de ce sort commun expériencié, les échanges interindividuels induisent des relations tant cognitives qu’affectives, une interdépendance des membres, une solidarité, la constitution de normes et croyances spécifiques, de signaux, de rites et codes propres.
62Par contre, ce « groupe restreint » n’est caractérisé ni par une histoire commune des membres, ni par l’unité intégrée et la stabilité d’une longue existence, non plus que par les modèles uniformisants qui peuvent caractériser les groupes sociaux.
63Il faut se rappeler que, pour Lewin, « la science est un univers de constructs », édifices conceptuels structurés, circonscrivant des isolats abordables selon une méthodologie appropriée soigneusement définie. La « dynamique des « groupes restreints », telle que l’ont pratiquée Lippitt et les praticiens de groupe collaborateurs et/ou disciples de Lewin, est un de ces constructs. Elle s’attache aux seuls groupes qualifiables de « restreints ». Pour ce faire il y a lieu de décanter le groupe psychosocial (tout groupe social étant par définition psychosocial, puisque composé d’êtres humains), afin de contrôler avec une certaine efficience un quota satisfaisant d’interactions et de processus repérables.
64En anglais se dessine une difficulté linguistique : le choix d’un exact équivalent de « restreint » y semble malaisé. Restricted, restraining ou limited ne paraissent pas être d’utilisation suffisamment courante pour bouter dehors « small groups » ? Comment sauver la masse des psychologues sociaux américains d’un inévitable malentendu linguistique ? Hélas, actuellement les auteurs Américains restent scotchés à l’utilisation du sempiternel « small group », faute d’une analyse taxinomique quelque peu sérieuse. Dans la quatrième édition, parue en 1999, du traité de psychologie sociale initié par Lindzey, le chapitre 26, rédigé par J. Levine et R. Moreland reste toujours intitulé « Small Groups ». Il en est toujours de même du manuel des mêmes auteurs paru en 2006.
9 – Avatars restrictifs dimensionnels
65Quand un animateur se trouve au sein d’un groupe, il fait face au comportement spécifique et variable, voire aux idiosyncrasies de chacun des participants. Benne allait jusqu’à prescrire d’observer à chaque instant tout mouvement de chaque muscle de chacun des participants (sic). On comprend son souci de limiter le nombre de participants à huit personnes !
66De surcroît, la simple observation de chaque individu présent ne suffit pas.
67Il importe de tenir compte des relations de personne à personne et aussi des relations avec et entre paires, trios, quatuors et autres agglomérats intra-groupaux. Même si les paires et les « microgroupes » (trios et quatuors) ne sont pas l’objet premier des préoccupations du dynamicien de groupes, ils ne s’excluent pas pour autant de son souci. En effet, tout groupe connaît des choix préférentiels, des coalitions, parfois des sous-ensembles de plus ou moins grande dimension.
68Une étude déjà ancienne (J. James, 1951) s’intéresse aux phénomènes d’agglutinement spontanés dans les activités quotidiennes : 92 % des groupements spontanés se feraient à deux ou à trois, 6 % à quatre, 2 % à cinq ou plus. Un quart de siècle plus tard, deux auteurs (L. Wheler, J. Nezleck, 1977) ont soutenu que, dans les situations journalières, 48 % des interactions d’une personne le sont avec une seule autre, 19 % avec deux, 11 % avec trois, 22 % avec quatre ou plus. Une comparaison est possible entre ces fréquences d’agglutinement spontané et les fréquences théoriques de former des paires ou des trios au sein de groupe de différentes dimensions. Il est mathématiquement possible de délimiter, au sein de n’importe quelle dimension, la possibilité théorique d’agglutinement de dimensions autres que les dyades ou triades. De telles données sont susceptibles d’induire les interactions effectives au sein d’un groupe et partant l’interdépendance groupale.
69L’importance respective de chaque type de relations peut faciliter ou handicaper l’animation, vu la quantité de processus à percevoir et noter. Il s’avère indiqué de répertorier des niveaux de complexité et de difficulté d’animation des groupes, à partir du mode de relations intra-groupales.
70Déjà dans un quatuor, nous relevons quatre types de relations : de personne à personne, de personne à paire, de paire à paire, de personne à trio.
71Dans le cas d’une relation personne à paire, peu importe la nature de cette relation (simple prise de conscience, contact formel, coalition, collaboration, méfiance, opposition, etc.) l’animateur y perçoit l’existence d’une triade. En ce qui concerne une relation personne-trio ou bien paires-à-paires, l’animateur se trouve face à une tétrade.
72Dans un quintette, il y a six types de relations : d’individu à individu, à paire, à trio, à quatuor, de paire à paire, de paire à trio.
73Le nombre de types de relations est respectivement :
74dans un sextette : neuf ; si N = 7 : douze ; si N = 8 : seize ; si N = 9 : vingt ; si N = 10 : vingt-trois ;
75si N = 11 : vingt-huit ; si N = 13 : trente-trois.
76La tâche du dynamicien de groupes se complique de plus en plus : en effet, chaque type de relations se subdivise en un éventail de possibilités, fonction des personnes présentes.
77Distinguons à ce propos, au-delà des « microgroupes », trois types de relations intragroupales, elles-même fonction de la dimension du groupe : je propose de les dénommer respectivement : « minigroupes », « mésogroupes », « maxigroupes ».
78Dénommons quintettes et sextettes : minigroupes.
79Dans les deux cas, le nombre théorique de triades ou tétrades intuitivement perceptibles par l’animateur est plus important que le nombre d’agglomérats de dimension supérieure, théoriquement repérables
80Si N = 5, le nombre de relations intra-groupales possible étant de 90, 15 seulement aboutiraient à constituer des agglomérats supérieurs à la tétrade.
81Si N = 6, le nombre de relations intra-groupales possible étant de 301, 121 seulement aboutiraient à constituer des agglomérats supérieurs à la tétrade.
82Dénommons les groupes de sept, huit, neuf personnes : mésogroupes.
83À partir de N = 7, le nombre théorique de relations intra-groupales conduisant à des agglomérats supérieurs à quatre dépasse l’ensemble des paires, trios, tétrades théoriquement perceptibles.
84Par contre, eu égard aux travaux existant sur les agglutinements spontanés, on peut sans craindre l’erreur, affirmer que, dans les groupes restreints, la survenance d’agglomérats supérieurs à la tétrade ne dépasse jamais 10 % des cas
85À partir de dix personnes, nous proposons de parler de maxigroupes.
86Lorsque N = 10, un saut « quantique » se produit. Face à 1 875 relations individuindividu, individu-paire, individu-trio, paire-paire, nous trouvons 27 031 relations intragroupales supérieures à la tétrade.
87Dans la pratique, l’animateur a infiniment plus de facilité à se focaliser de façon intuitive sur des entités immédiatement perceptibles, lorsqu’il s’agit d’un microgroupe, d’un minigroupe, et même d’un mésogroupe. A partir de N = 10, et au-delà, la complexité des relations intragroupales impose des choix, parfois hasardeux, au dynamicien de groupe quant aux processus intra-groupaux qu’il privilégie.
10 – Au-delà du groupe restreint
88Anzieu et Martin ont proposé un schéma de classification des groupes d’après la taille (Anzieu et Martin, 1994, p. 44). Ils proposent de parler de « groupes étendus » (14 à 24 personne), de « groupes larges » (25 à 50), d’assemblée (au-delà de 50).
89Pour Béjarano (1974), un groupe « large » varie de 16 à 50 personnes. Il se base, pour ce faire, sur le seul calcul des intercommunications nécessaires pour que chacun entre en relation avec chacun. Les relations intra-groupales autres que les relations interpersonnelles ne sont pas prises en compte. Les processus, pourtant courants dans tout groupe, de coalitions, d’agglutinements, de constitution de sous-groupes (les sub-parts de Lewin) sont oblitérés. Quand Anzieu situe le seuil entre vingt et vingt-cinq, c’est à partir de l’identification réciproques de chaque personne et du risque d’indifférence éventuel :
« Le groupe large commence quand ses membres pourraient être répartis en deux groupes restreints de dimension normale (…) Jusqu’à vingt, il et possible à chacun d’arriver rapidement à identifier chacun des autres, de s’en faire une représentation distincte et d’établir avec eux un plus grand nombre de relations de sympathie ou d’antipathie que d’indifférence. Au-delà de trente, on ne peut arriver que lentement à cette identification et à ces représentations distinctes ».
91Une telle justification est marquée du « bon sens clinique » : elle rencontrerait l’expérience des praticiens du groupe de diagnostic. Il reste que, tant chez Anzieu que chez Béjarano, les choix demeurent arbitraires et prioritairement conditionnés par l’ancrage méthodologique des auteurs.
11 – Restreignons notre cible
92Pouvoir se focaliser sur ce qui se passe effectivement dans un groupe psychosocial, contrôler avec efficience un maximum d’interactions repérables dans la totalité du groupe, conduit inévitablement le construct sur les voies de la restriction, d’une décantation de l’objet « matériel » abordé.
93Nous avons développé extensivement ailleurs (De Visscher, 2001, p. 134-205) les caractéristiques restrictives nécessaires, qualifiant un groupe psychosocial de sorte qu’on puisse l’admettre comme objet d’une démarche « dynamique », et l’aborder avec un maximum de rigueur. Nous y proposons (p. 178) la présente définition du « groupe restreint », au-delà du microgroupe (trio ou quatuor) :
94un ensemble de personne en nombre au moins égal ou supérieur à cinq, effectivement assemblées en même temps en un même lieu, ayant la possibilité de se percevoir, d’établir une reliance, de communiquer et d’interagir effectivement aux niveaux interpersonnel et intragroupal, de façon directe et réciproque, partageant quelque expérience suffisamment significative et durable, au départ d’une intention ciblable, réalisant une certaine entitativité et susceptible d’entamer un éventuel processus instituant et structurant.
95Le « groupe restreint » constitue ainsi l’objet matériel du construct méthodologique de la dynamique des groupes. La « dynamique » en constitue l’objet formel, centré sur le changement. Lorsque Lewin baptisa la discipline naissante « dynamique des groupes », il ne s’est agi aucunement d’une étiquette hasardée que l’usage a conservé, mais d’une dénomination lourde de sens en tant que modalité privilégiée de la science de l’action. Lewin essayait de
« susciter des changements dans la conduite des individus, des groupes, des organisations … pionnier de la recherche-action (…) il a montré (..) que si l’on voulait vérifier la compréhension d’un phénomène, l’un des procédés les plus rigoureux consistait à le modifier systématiquement »
97La dynamique des groupes ne prétend aucunement recouvrir l’entièreté des approches possibles des groupes humains. Elle ne se substitue ni à la psychologie sociale expérimentale des groupes, ni à la psychanalyse groupale, ni à l’étude différentielle des relations entre groupes sociaux, encore que ces disciplines constituent un élément important de la boîte à outils de la formation du dynamicien de groupes. La dynamique des groupes est une discipline scientifique parmi d’autres, fondée sur des constructs spécifiques, qui, circonscrivant un isolat à des fins opérationnelles, décantent le groupe psychosocial tout en y privilégiant une pratique d’action.
C’est un peu comme ces musiques qu’on entend sans écouter
Ces choses qui n’existent jamais tant que le manque qu’elles ont laissé
Bibliographie
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