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Article de revue

État émotionnel négatif et organisation des représentations sociales du travail et du chômage de jeunes adultes en recherche d'emploi

Pages 417 à 437

Notes

  • [*]
    La correspondance pour cet article doit être adressée à Jeremy Methivier, Université Paul Valéry - Montpellier III, Mission locale de Chaumont, 46 rue Victoire de la Marne, 52000 Chaumont, France ou par courriel <jeremy.methivier@laposte.net>.

1 – Introduction

1.1 – Représentations sociales et affectivité

1La présence de liens entre la pensée sociale et l’affectivité était déjà soulignée par Moscovici (1961) dès ses premières présentations de la théorie des représentations sociales. Il aura fallu attendre plusieurs décennies avant de voir apparaître quelques recherches s’intéressant aux relations entre les émotions et les représentations sociales. Ces premiers travaux se sont intéressés à rechercher dans le contenu des représentations des éléments à caractère affectif : Campos et Rouquette (2000) parlant même de dimension affective. Dans cette direction, à partir d’une étude des représentations sociales de l’insécurité, Deschamps et Guimelli (2002), recueillaient des associations verbales à partir de différents inducteurs (attentat, violence, délinquance) et observaient dans les associations produites des termes exprimant des émotions notamment la peur. Dans la même recherche, une autre étude montrait que l’émotion associée à un terme inducteur était également associée aux termes induits. Selon Guimelli et Rimé (2009), ces associations peuvent s’expliquer par un effet de congruence émotionnelle (Bower, 1981), une association entre un état émotionnel et des informations congruentes à cet état. Les individus auraient tendance à privilégier et rechercher les informations congruentes émotionnellement.

2Par la suite d’autres travaux se sont intéressés au rôle des émotions dans la formation des représentations sociales. Le phénomène du partage social des émotions (Rimé, 2005) permet d’expliquer ce rôle pour Guimelli et Rimé (2009). Quand un individu fait une expérience émotionnelle, il communique cette expérience à ses proches (familles, amis, collègues…). La communication d’une expérience émotionnelle active les émotions qui y sont liées chez le récepteur. Cette activation conduit le récepteur, à son tour, à diffuser l’information et les émotions associées. C’est un phénomène de partage secondaire (Christophe & Rimé, 1997), qui permet à l’émotion d’être diffusée largement dans le groupe social. Les émotions peuvent être comprises comme une motivation aux échanges. Ce partage des émotions au sein d’un groupe permet la construction de nouveaux éléments de savoir. Lors de processus représentationnels, les émotions contribueraient à la construction et à la propagation d’éléments d’information.

3Mais il y a des cas où les émotions ressenties lorsque les individus sont confrontés à une même situation sont différentes. Ces états émotionnels relativement stables peuvent être liés à des fonctionnements psychologiques particuliers. Les états émotionnels négatifs jouent un rôle important dans la régulation des rapports sociaux (Belzung, 2007). La peur conduit à une réduction des échanges, à des évitements situationnels. Une étude récente a pu montrer qu‘il existe des liens entre la peur et la structure d‘une représentation sociale du travail (Methivier, 2010). La structure de la représentation du travail de jeunes adultes en recherche d‘emploi apparaissait liée aux niveaux de peur. Les sujets présentant un niveau de peur élevé avait une représentation structurée autour de la capacité du travail à apporter de l‘argent, à favoriser les projets (l‘avenir) et de son caractère dynamisant. Alors que les sujets présentant un niveau de peur faible avait une représentation structurée autour de l‘apport de l‘argent, des caractères favorisant l‘autonomie et l‘insertion sociale du travail. Nous pouvons bien comprendre qu‘une réduction des échanges ou des évitements de situations liés à une émotion négative stable, comme la peur, conduise à ce qu‘une représentation puisse être différente, mais cela ne dit pas comment fonctionne cette différentiation. Qu‘est ce qui fait que tel élément d‘information prendra une place plus ou moins importante en fonction du niveau de peur ? Pourquoi tel élément et non tel autre, et au détriment duquel ? Ceci va constituer l‘objectif de notre étude. Pour cela nous nous intéresserons au rôle de la peur dans l‘organisation du champ des représentations sociales du travail et du chômage.

1.2 – Représentations sociales du travail et du chômage

4Nous entendrons les représentations sociales comme des ensembles organisés et hiérarchisés des informations, des jugements et des attitudes qu’un groupe social donné élabore à propos d’objets (Abric, 2003). Elles sont constituées de cognitions (Abric, 1994 ; Moliner, 2001), des connaissances élémentaires, relatives à un objet et proviennent des expériences et observations du sujet, des communications auxquelles celui-ci est exposé et des croyances qu’il a élaborées (Moliner, 1996). Les représentations sociales sont destinées à organiser les conduites et à orienter les communications (Moscovici, 1961). Le champ d’une représentation se compose de plusieurs éléments d’information, plus ou moins importants, organisés entre eux.

5Le travail est un objet très ancien de représentation. Le chômage est un objet beaucoup plus récent lié au travail. Le développement de ces deux objets de représentation apparaît lié (Flament, 2003 ; Milland, 2001, 2002). Le chômage est souvent envisagé en référence au travail (Flament, 2003). De jeunes adultes en insertion professionnelle sont des chômeurs. Le chômeur, selon le bureau international du travail, est une personne en âge de travailler, de plus de 15 ans, sans emploi, disponible pour prendre un emploi et qui en recherche. Ces jeunes adultes vont être amenés à avoir des échanges à propos de ces deux objets avec leurs pairs, avec différents acteurs de l’insertion, des conseillers en insertion sociale et professionnelle, des employeurs ou encore des formateurs. Ils auront un enjeu particulier à élaborer des représentations du travail et du chômage, deux objets auxquels ils sont confrontés.

6Le travail est un objet de représentation sociale ancien, sa valeur serait en modification, passant d’une valeur sociale, avec la notion d’intégration sociale, à une valeur plus individuelle, avec celle de l’épanouissement personnel (Marquez & Friemel, 2005). Les différentes représentations du travail bien que différenciées selon les groupes sociaux, semblent s’organiser de manière générale autour de thématiques économiques (l’argent, le salaire, la rémunération, les finances) au premier plan et au second plan autour de thématiques liées à l’épanouissement personnel (le bien-être, le plaisir).

7Les thèmes de la rémunération et du plaisir apparaissaient majeurs dans la représentation sociale du travail chez des cadres diplômés (Flament, 1994a, 1994b). La rémunération apparaît nécessaire et le plaisir très souhaitable. Cette configuration a pu se retrouver chez de jeunes diplômés au chômage (Milland, 2001). Les thèmes nécessaires de leur représentation étaient, en plus de celui de l’argent, ceux de l’avenir, de l’investissement personnel et du dynamisme. Les items de l’insertion sociale, de la confiance et du bien-être occupaient une place importante. Les trois thématiques de l’argent, de l’insertion sociale et du plaisir occupent des places importantes au sein de la représentation du travail dans la plupart des populations. Néanmoins, la thématique de l’insertion sociale semblerait perdre de son poids auprès de populations jeunes non-diplômées.

8Le chômage quant à lui est un objet de représentation beaucoup plus récent que celui du travail. Il est envisagé en référence au travail, de manière négative et privative. Le chômage est perçu comme une absence de travail, une absence d’identité sociale (Flament, 2003). La représentation sociale du chômage semble s’étayer, en partie, sur celle du travail. Les rapports entre ces deux objets peuvent se situer dans les thématiques qui les composent, en assurant un rôle d’étayage (Milland, 2002). La thématique de l’argent présente au sein des champs des représentations du travail et du chômage, prendra une signification différente en fonction de l’objet. Dans le cas de la représentation du chômage, elle prendrait une signification négative, renvoyant à des « problèmes financiers ».

9Les représentations du chômage semblent s’articuler autour de trois dimensions organisatrices : économique, sociale et individuelle (Marquez & Friemel, 2005). La dimension économique présente dans le noyau de la représentation renvoie aux problèmes financiers. Les problèmes financiers entrainent d’une part des problèmes sociaux, une exclusion sociale et la marginalisation et d’autre part des problèmes individuels, la perte de confiance en soi, le mal-être et le manque de qualification.

10Des représentations du chômage centrées sur les problèmes financiers ont pu se retrouver auprès de populations de jeunes adultes et d’adultes travailleurs, étudiants ou chômeurs. Les principales thématiques de ces représentations peuvent se regrouper sous deux catégories : les problèmes (Inquiétude pour l’avenir et problèmes financiers) et un drame (Privation matérielle, conséquence pour le moral, frustration, marginalisation et perte de confiance en soi). L’aspect dramatique peut renvoyer aux problèmes individuels et aux problèmes sociaux. Les chômeurs reconnaissent comme éléments nécessaire dans la représentation, l’aspect des problèmes mais n’y voient pas un drame, comme peuvent le faire des non-chômeurs (Flament, 1994b). Les chômeurs, confrontés directement à cette absence de travail, voient bien dans leur situation des problèmes relatifs à l’argent et à l’avenir, mais n’y voient pas là une situation dramatique. Il existerait un « vide social » pour les jeunes non-diplômés (Flament, 2003, p. 125), qui pourraient trouver une forme de sociabilité autrement que par le travail. Cette notion de vide social peut être mise en perspective avec le perte d’importance de la notion d’intégration sociale au sein de la représentation du travail à l’avantage d’une notion plus individuelle de plaisir. L’intégration sociale n’étant plus l’apanage du travail, le chômage ne serait plus une source d’exclusion sociale.

11Les trois thématiques de l’argent, de l’insertion sociale et du bien-être sont des items qui occupent des places importantes au sein de la représentation du chômage dans la plupart des populations.

1.3 – La peur

12La peur est une émotion primaire, caractérisée par des modifications physiologiques, accélération du rythme cardiaque, augmentation de la pression artérielle, modifications de la résistance cutanée et des réactions cérébrales, dont les activations de l’amygdale (liée à l’apprentissage de la peur et à sa reconnaissance) et du cortex préfrontal (lié à l’analyse fine des situations et à leur contrôle), et des réactions comportementales, la fuite ou l’immobilisation (Belzung, 2007). La peur est garante de la réalisation de jugements et de comportements sociaux adéquats. Le niveau de peur régule la capacité à évaluer les situations sociales et module les interactions sociales. En l’absence de peur, les individus sont très avenants, ne limitent pas leurs échanges sociaux et ne différencient pas les situations sociales à risque de celles qui ne le sont pas. A l’inverse, en présence d’un haut niveau de peur, les individus vont limiter leurs échanges sociaux, surestimer les risques dans les situations sociales. Certains fonctionnements psychiques sont associés à une augmentation de l’activation d’états émotionnels négatifs. Ainsi, la peur est sur représentée dans les fonctionnements anxieux (Thomas et al., 2001), dépressifs (Drevets, 1999) et phobiques (phobie sociale (Birbaumer et al., 1998) et agoraphobie (Belzung, 2007)). Ainsi, l’émotion de la peur est sous-jacente à ces fonctionnements psychologiques. Autrement dit, à situations sociales identiques des personnes soumises à des niveaux importants de ces types de fonctionnement psychologique seront plus souvent confrontées à la peur et le seront de manière plus intense.

13La peur induit des évitements cognitifs, comportementaux et situationnels (André, 2006 ; Belzung, 2007). Au niveau cognitif, elle conduit à une focalisation de l’attention sur les éléments de l’environnement liés à l’émotion, une mobilisation de l’attention sur des éléments à caractère affectif ou sur des pensées rassurantes, irréalistes et distrayantes, à des évitements des pensées suscitant des émotions pénibles et à une surévaluation du danger. La peur conduit à un traitement superficiel de l’information sociale (Baron, Inman, Kao & Logan, 1992 ; Baron, Logan, Lilly, Inman & Brennam, 1994). L’état affectif facilite le traitement perceptif des informations liées à cet état (Niedenthal et al., 1997). Cette congruence affective s’observe au niveau du traitement de l’information, des processus de jugement ou encore au niveau du rappel en mémoire. Elle est liée à la manière dont l’information est encodée, interprétée et rappelée. Dans le cadre du traitement de l’information, selon Fiedler (1988), le « relâchement » serait le propre des états positifs. Il se caractérise par l’approche globale, intuitive, créative, ouverte. Par contre, le « resserrement » serait caractéristique des états négatifs, avec une démarche cognitive marquée par l’approche analytique, la systématique et l’effort. Le resserrement conduirait à la mise en place de recherche d’attribution causale plus fréquente. Au niveau comportemental et situationnel, la peur conduit à des évitements directs ou subtils des situations sociales relationnelles associées à un risque potentiel. Les évitements dits subtils consistent à se confronter à la situation déclenchant la peur, mais à l’écourter. La peur conduit aussi à une réduction des échanges et des comportements liés à l’ouverture sociale (aller vers les autres, ouvrir une conversation, prendre la parole devant d’autres personnes).

14Les stratégies d’adaptation, ou coping, vont corroborer les liens étroits entre émotions et processus d’évitements (Graziani & Swendsen, 2004). Confronté à une situation stressante, l’individu va opérer un traitement cognitif de la perception qu’il a de la situation (le stress perçu), s’en suivra une analyse de sa capacité à y faire face (contrôle perçu) et la mise en place des stratégies de coping (analyse des ressources). Le coping désigne « les stratégies adaptatives, les efforts cognitifs et comportementaux du sujet pour aménager (réduire, minimiser, contrôler, dominer ou tolérer) la demande (interne ou externe) provoquée par son interaction avec l’environnement, évaluée par le sujet comme dépassant ses limites » (Lazarus & Folkman, 1984 cité dans Graziani & Swenden, 2004, p. 48). Les stratégies de coping peuvent se regrouper en deux catégories, soit elles sont centrées sur le problème (aménager le problème à la source du stress), soit sur les émotions (réguler les émotions pénibles). Le coping centré sur le problème permet de modifier l’interaction sujet - environnement. Celui centré sur l’émotion permet de modifier l’attention et la signification de l’interaction sujet – environnement.

15Les sujets anxieux utilisent plus facilement un coping centré sur l’émotion pour faire face aux situations stressantes et amplifient la menace perçue (Graziani & Swenden, 2004 ; Billing & Moos, 1981). Les personnes souffrant d’anxiété ou de dépression ont plus de difficultés à mettre en place des stratégies d’adaptation que les personnes sans trouble face à des événements stressants répétitifs et prolongés. Les sujets anxieux auraient tendance à observer et gérer leurs réactions émotionnelles et psychologiques (stress perçu), et se focaliseraient moins sur le problème, la source du stress. La focalisation sur les réactions émotionnelles et psychologiques conduirait au maintien et au renforcement des émotions pénibles.

16Ainsi les personnes soumises régulièrement à la peur, comme celle via des fonctionnements psychologiques anxieux (anxiété généralisée, phobie sociale ou agoraphobie) ou dépressifs, mettront en place de fréquents évitements comportementaux, situationnels ou cognitifs (André, 2006 ; Belzung, 2007). Ces évitements conduisent à des réductions importantes des échanges, des communications et des situations sociales. Ces situations sociales et communications sont à l’œuvre dans les processus d’élaboration des représentations sociales (Guimelli & Rimé, 2009 ; Moliner, 1996).

2 – Hypothèses générale

17Pour les raisons que nous venons d’évoquer, l’hypothèse générale qui sous-tend la présente étude est donc que le sentiment de peur, en tant qu’état émotionnel, pourrait avoir un impact sur l’organisation des représentations sociales. Cet impact pourrait influencer l’organisation des représentations sociales dans le sens d’une plus grande importance accordée à des items se rapportant à des « préoccupations individuelles » associées à de hauts niveaux de peur et une plus grande importance à des items se rapportant à des « préoccupations sociales » associées à de faibles niveaux de peur.

3 – Méthodologie

18D’après ce que nous venons de dire, il apparaît que notre problématique nécessite la prise en compte d’une variable indépendante et d’une variable dépendante. La variable indépendante correspond à l’intensité de la peur et comprend quatre niveaux (de peur très faible à très élevée). La variable dépendante correspond à l’importance des items des représentations sociales. Les sujets ont été sollicités pour répondre, individuellement, à deux échelles et deux questionnaires de caractérisation. Les échelles sont pour la première d’anxiété et de dépression (la HAD (Zigmond & Snaith, 1983)) et pour la deuxième de phobie (le questionnaire de peurs (Marks & Mathews, 1979)). Les questionnaires de caractérisation (Flament, 1981 ; Milland, 2001) sont relatifs pour le premier à l’objet travail et le second à l’objet chômage.

3.1 – Variable indépendante : la peur

19L’échelle d’anxiété et de dépression (HAD), est un auto-questionnaire bref (Lépine et al., 1985) de 14 items (7 pour l’anxiété, 7 pour la dépression). Ce questionnaire permet d’évaluer les dimensions d’anxiété et de dépression dans les populations non-psychiatriques (Lépine, 1993). Les scores vont de 0 à 21. L’échelle des peurs est une échelle de phobie. Seules les évaluations de l’agoraphobie et de la phobie sociale ont été retenues (Cottraux, J., Bouvard, M. & Messy, P., 1987). L’échelle est brève (10 items), auto-administrée et contrôlée sur des populations non-psychiatriques (Mizes & Crawford, 1986). L’échelle d’agoraphobie différencie les sujets agoraphobes d’autres sujets anxieux. De même l’échelle de phobie sociale différencie les sujets phobiques sociaux d’autres sujets anxieux. Les scores vont de 0 à 40. Pour ces deux questionnaires, plus les scores aux échelles augmentent et plus les niveaux de troubles sont estimés forts. Nous verrons plus loin comment les réponses à ces questionnaires ont été traitées afin de diviser la population selon les modalités de notre variable indépendante.

20Variables dépendantes : organisation des représentations du travail et du chômage. Les items de ces questionnaires sont ceux utilisés par Methivier (2010). Le questionnaire « travail » utilisé présentait les 15 aspects du travail suivants : le travail augmente la confiance, apporte du dynamisme, favorise l’insertion sociale, apporte de l’argent, favorise les contacts (relations), favorise l’autonomie, augmente le stress, augmente l’estime personnelle, a un lien avec les activités annexes (loisirs), augmente le moral, favorise le temps (rythme), favorise l’investissement personnel, favorise l’avenir (projets), a un lien avec la formation (les études), apporte du bien-être.

21Le questionnaire « chômage » utilisé présentait les 15 aspects du chômage suivants : le chômage diminue la confiance, réduit le dynamisme, défavorise l’insertion sociale, réduit l’argent, défavorise les contacts (relations), défavorise l’autonomie, augmente le stress, diminue l’estime personnelle, a un lien avec les activités annexes (loisirs), réduit le moral, défavorise le temps (rythme), défavorise l’investissement personnel, défavorise l’avenir (projets), a un lien avec la formation (les études) et diminue le bien-être.

22Pour chacun des deux questionnaires, les sujets devaient ordonner les items par ordre d’importance en désignant les 5 plus importants et les 5 moins importants. Les items les plus importants étaient cotés 1, les moins importants -1 et les items restant 0. En mettant en « concurrence » les différentes thématiques, ce type de questionnaire permet de mettre à jour la manière dont les items vont pouvoir s’organiser entre eux. Les scores d’importance des items à ces deux questionnaires constituent notre variable dépendante. L’ordre de présentation des questionnaires de caractérisation a été pris en compte. La moitié des sujets recevait le questionnaire de caractérisation de l’objet travail en premier et l’autre moitié celui de l’objet chômage en premier.

3.2 – Population

23Les sujets ayant participé à cette expérimentation sont de jeunes adultes, non scolarisés, en recherche d’emploi et inscrits en mission locale (établissement d’aide à l’insertion professionnelle) des départements de la Marne (Vitry-le-François) et de la Haute-Marne (Saint Dizier). La population est composée de 76 personnes (dont 52 femmes) avec un âge moyen de 20 ans et 5 mois. Le niveau scolaire médian est le niveau 5 (niveau CAP, BEP) et s’étale des niveaux 6 (sans diplôme) à 3 (niveau BAC+2).

4 – Hypothèses

24Compte tenu des éléments évoqués plus haut, nous retenons les hypothèses suivantes :

H1 :On s’attend à observer des différences dans l’organisation de la représentation sociale du travail selon le niveau de peur. Sachant que la peur contribue à orienter l’attention, notamment en direction d’éléments perçus comme liés à l’état émotionnel, on s’attend à observer une importance accrue en direction d’éléments se rapportant à des préoccupations psychologiques (items liés aux effets de l’objet de représentation sur des composantes psychologiques, ici, le moral, le bien-être ou le stress par exemple) dans le champ représentationnel avec l’augmentation du niveau de peur.
H2 :On s’attend, également, à observer des différences dans l’organisation de la représentation sociale du chômage selon le niveau de peur. On s’attend à observer une importance accrue en direction d’éléments se rapportant à des préoccupations psychologiques dans le champ représentationnel avec l’augmentation du niveau de peur.

5 – Résultats

5.1 – Niveaux de peur

25Recherchant une dimension sous-jacente aux fonctionnements psychologiques pouvant correspondre à un état émotionnel négatif comme la peur, nous avons choisi d’effectuer une analyse en composantes principales (ACP) destinée à identifier un « facteur de peur », à partir des réponses des sujets à l’ensemble des items des deux échelles (HAD et questionnaire de peur). Le tableau 1 présente les principaux résultats de cette analyse pour le premier facteur extrait. On constate que pour le questionnaire HAD, les items AD3, AD5, AD9 et AD13, qui font directement ou indirectement référence à la peur ont des corrélations fortes avec ce facteur. Pour le questionnaire des peurs, les items P1, P2, P3 et P5 corrèlent eux aussi, quoique plus faiblement avec ce facteur. Les scores moyens (n=76) pour les échelles sont de 9,34 pour l’anxiété (écart-type 3,81), de 4,89 (écart-type 3,07) pour la dépression, de 10,08 (écart-type 8,64) pour l’agoraphobie et de 11,21 (écart-type 7,39) pour la phobie sociale. Ce facteur est corrélé aux niveaux d’anxiété (0,79 à p<.00), aux niveaux de dépression (0,71 à p<.00) ainsi qu’aux niveaux de d’agoraphobie (0,27 à p<.02). Nous avons donc utilisé les scores factoriels des sujets à ce facteur pour diviser la population en quatre sous-groupes de « niveau de peur » (n=19 pour chaque groupe). Le groupe GP1 (-1,21 (0,35) en moyenne et écart-type au score de facteur de peur) : peur très faible, GP2 (-0,38 (0,25)) : peur faible, GP3 (0,28 (0,17)) : peur élevée et GP4 (1,31 (0,62)) : peur très élevée. Nous verrons par la suite la raison d’un tel découpage.

Tableau 1

Poids factoriels des items1 de la HAD et du questionnaire des peurs sur le premier facteur extrait de l’analyse en composantes principales (*)

Tableau 1
Cote items Items des deux échelles Poids Factoriels facteur 1 AD1 Je suis tendu ou énervé 0,49 * AD2 Je prends plaisir aux mêmes choses qu’avant 0,65 * AD3 J‘ai une sensation de peur comme si quelque chose d‘horrible allait arriver 0,52 * AD4 Je ris facilement et vois le bon côté des choses 0,35 * AD5 Je me fais du souci 0,68 * AD6 Je suis de bonne humeur 0,38 * AD7 Je peux rester tranquillement assis à ne rien faire et me sentir décontracté 0,27 * AD8 J‘ai l‘impression de fonctionner au ralenti 0,60 * AD9 J‘éprouve des sensations de peurs et j‘ai l‘estomac noué 0,69 * AD10 Je ne m‘intéresse plus à mon apparence 0,23 * AD11 J‘ai la bougeotte et n‘arrive pas à tenir en place 0,09 AD12 Je me réjouis d‘avance à l‘idée de faire certaines choses 0,60 * AD13 J‘éprouve des sensations soudaines de panique 0,63 * AD14 Je peux prendre plaisir à un bon livre ou à une émission de radio ou de télévision -0,05 P1 Manger et boire avec les autres 0,33 * P2 Faire seul(e) des trajets en bus ou en car 0,24 * P3 Se promener seul(e) dans des rues où il y a foule 0,29 * P4 Être regardé(e) ou dévisagé(e) 0,10 P5 Aller dans des magasins remplis de monde 0,48 * P6 Parler à des supérieurs hiérarchiques ou à toute personne 0,04 P7 Être critiqué(e) -0,20 P8 Partir seul(e) loin de chez vous 0,01 P9 Parler ou agir en public 0,14 P10 Les grands espaces vides -0,09 Variance 16%

Poids factoriels des items1 de la HAD et du questionnaire des peurs sur le premier facteur extrait de l’analyse en composantes principales (*)

(*) Corrélations significatives marquées à p < .05
Pour la HAD, les items pairs servent à coter les niveaux de dépression et pour le questionnaire des peurs, les items P1, P4, P6, P7 et P9 servent à coter les niveaux de phobie sociale.

5.2 – Représentations sociales

26Nous préciserons tout d’abord qu’aucune moyenne aux items des questionnaires de caractérisation des représentations du travail et du chômage ne diffère (à p<.05) selon le lieu (Vitry vs Saint Dizier). La moyenne des scores factoriels de chaque sujet sur le facteur de peur ne diffère pas (à p<.05) non plus selon le lieu.

27De plus, les comparaisons de moyennes montrent qu’il n’y a pas de différence significative selon l’ordre de passation pour les réponses aux items de l’objet travail. En revanche, les comparaisons de moyennes mettent en avant que trois moyennes aux items de l’objet chômage se différencient significativement selon l’ordre de passation (les principaux résultats pour les comparaisons de moyennes de ces trois items sont présentés dans le tableau 2). Les moyennes aux items de l’insertion sociale et de l’investissement personnel sont plus basses lorsque ceux-ci ont été présentés en second et celle obtenue à l’item du bien-être est plus élevée dans le même temps.

Tableau 2

Résultats des comparaisons de moyennes aux 3 items des représentations du chômage se différenciant selon l’ordre de passation

Tableau 2
Moyenne (Écart-type) dl (73) Items du chômage Chômage Premier (N=38) Travail Premier (N=37) Valeur t P Insertion sociale 0,55 (0,72) 0,05 (0,85) 2,74 0,01 Investissement personnel 0,13 (0,70) -0,27 (0,65) 2,56 0,01 Bien-être -0,26 (0,79) 0,14 (0,79) -2,18 0,03

Résultats des comparaisons de moyennes aux 3 items des représentations du chômage se différenciant selon l’ordre de passation

28La recherche d’un effet Guttman en ACP dans les représentations sociales (Flament & Milland, 2003) nous semble adapté à notre problématique. Le type de méthode de traitement de données qui y est associé permet de mettre à jour, quand elle existe, une composante diagonale témoignant d’une structure unidimensionnelle. Ce type de structure nous permet de visualiser dans les données issues des questionnaires de caractérisation les éléments d’information en interaction selon notre variable indépendante. La mise à jour d’une telle structure requiert que la somme du pourcentage de variance expliquée aux deux premiers facteurs de cette ACP approche ou dépasse 90 % (Flament, Guimelli & Abric, 2006). La somme de ce pourcentage pour l’ACP des scores moyens selon les groupes de facteur de peur aux items de l’objet travail rassemble plus de 88% et celle pour l’objet chômage plus de 90%. Nous approchons bien, dans les deux cas les 90% requis. Les tableaux 3 et 4 fournissent les moyennes aux items pour chacun des deux objets de représentation, respectivement pour l’objet travail et ensuite pour l’objet chômage, selon les quatre groupes de facteur de peur (GP1 à GP4). Ils fournissent également les vecteurs des moyennes, les nouveaux scores factoriels (G1 et G2) et les nouvelles saturations (G1 et G2). Dans ces tableaux les items sont classés selon leur score aux nouveaux scores factoriels G2 et les groupes de facteur de peur sont ordonnés selon les nouvelles saturations G2. Ces scores et saturations G2 permettent de rendre compte de la composante diagonale. Les scores factoriels sur G1 rendent compte de la composante de taille, les items les plus importants pour l’ensemble de la population. Précisons que le classement des groupes selon les nouvelles saturations G2 ne respecte pas exactement l’ordre de progression des scores de facteur de peur pour la représentation du travail. Les profils GP3 et GP4 se retrouvent inversés, le profil GP3 est en quatrième position et le profil GP4 en troisième. Malgré cela, notons que les valeurs des nouvelles saturations G2 opposent les groupes GP1 et GP2 aux groupes GP3 et GP4. Ces deux premiers groupes obtiennent des valeurs négatives, alors que ces deux derniers groupes obtiennent des valeurs positives. Cette opposition se retrouve avec les valeurs des saturations G2 de la représentation du chômage. Le classement des profils selon les nouvelles saturations G2 respecte exactement l’ordre de progression des groupes de score au facteur de peur, de GP1 à GP4.

Tableau 3

Moyennes aux items de la représentation du travail et les nouvelles saturations pour les groupes de niveau de peur

Tableau 3
Items/Profils GP1 GP2 GP4 GP3 vecteur G1 G2 Moral -0,26 -0,05 0,32 0,42 0,11 0,35 1,77 Bien-être -0,47 -0,32 0 0,11 -0,17 -0,4 1,4 Inser. Soc. 0,11 -0,16 0,26 0,42 0,16 0,46 1,2 Estime -0,32 0 -0,53 0,26 -0,14 -0,4 0,74 Argent 0,58 0,63 0,58 0,74 0,63 1,69 0,53 Activités -0,74 -0,84 -0,58 -0,58 -0,68 -1,81 0,29 Formation -0,32 -0,16 -0,21 -0,16 -0,21 -0,56 0,13 Stress -0,63 -0,63 -0,21 -0,63 -0,53 -1,38 0,04 Confiance 0,42 0,21 0,21 0,26 0,28 0,72 -0,19 Avenir 0,74 0,68 0,53 0,53 0,62 1,62 -0,36 Invest. Perso. 0 0,05 -0,58 -0,16 -0,17 -0,53 -0,94 Autonomie 0,16 0,63 0,21 -0,05 0,24 0,59 -0,97 Temps -0,11 -0,42 -0,32 -0,58 -0,36 -0,98 -1,06 Dynamisme 0,32 0 0,32 -0,37 0,07 0,15 -1,24 Contacts 0,42 0,42 0 -0,05 0,2 0,46 -1,36 Saturations G1 0,89 0,91 0,86 0,84 Saturations G2 -0,41 -0,27 0,12 0,48

Moyennes aux items de la représentation du travail et les nouvelles saturations pour les groupes de niveau de peur

Tableau 4

Moyennes aux items de la représentation du chômage et les nouvelles saturations pour les groupes de niveau de peur

Tableau 4
Items/Profils GP1 GP2 GP3 GP4 vecteur G1 G2 Moral 0,05 0,05 0,42 0,44 0,24 0,88 -1,77 Autonomie -0,16 -0,26 0,11 0,11 -0,05 -0,2 -1,48 Dynamisme -0,16 0 -0,11 0,28 0 -0,03 -0,76 Confiance -0,21 0,11 0,21 -0,11 0 0,01 -0,64 Estime 0 0,16 0,21 0,11 0,12 0,44 -0,45 Temps -0,16 -0,53 -0,21 -0,28 -0,29 -1,09 -0,39 Stress -0,11 -0,21 -0,16 -0,06 -0,13 -0,51 -0,21 Bien-être -0,16 0,05 -0,26 0,11 -0,06 -0,29 0,1 Inser. Soc. 0,37 0,26 0,37 0,22 0,31 1,13 0,12 Invest. Perso. -0,16 0,11 -0,21 0 -0,07 -0,28 0,31 Formation -0,21 -0,37 -0,26 -0,56 -0,35 -1,29 0,52 Activités -0,37 -0,42 -0,42 -0,67 -0,47 -1,73 0,62 Argent 0,58 0,37 0,32 0,39 0,41 1,5 0,67 Avenir 0,63 0,58 0,32 0,39 0,48 1,75 1,25 Contacts 0,16 0,16 -0,26 -0,33 -0,07 -0,27 2,11 Saturations G1 0,87 0,89 0,88 0,88 Saturations G2 0,39 0,31 -0,33 -0,34

Moyennes aux items de la représentation du chômage et les nouvelles saturations pour les groupes de niveau de peur

29Pour les deux représentations se sont les deux mêmes thématiques qui occupent les places extrêmes des composantes diagonales, à savoir celles du moral et des contacts. Rappelons que pour la représentation du travail, ces items sont liés positivement à l’objet et négativement à l’objet dans le cas de la représentation du chômage. Les illustrations 1 et 2 présentent les trajectoires des deux principaux items de cette composante diagonale, du moral et des contacts pour les représentations du travail et du chômage selon les profils de score de peur. La composante diagonale montre que ces items se rejettent entre eux, que l’accroissement de la moyenne de l’un se fait un détriment de celle de l’autre et cela pour les deux représentations sociales.

Illustration 1

Trajectoire diagonale pour la RS Travail des items moral et contacts à travers l’enchaînement des quatre profils de score de facteur de peur

Illustration 1

Trajectoire diagonale pour la RS Travail des items moral et contacts à travers l’enchaînement des quatre profils de score de facteur de peur

Illustration 2

Trajectoire diagonale pour la RS Chômage des items moral et contacts à travers l’enchaînement des quatre profils de score de facteur de peur

Illustration 2

Trajectoire diagonale pour la RS Chômage des items moral et contacts à travers l’enchaînement des quatre profils de score de facteur de peur

30L’item du bien-être pour la représentation du travail et les items de l’autonomie et de l’avenir occupent secondairement des places importantes dans cette composante diagonale. Même si le classement des profils selon les saturations G2 pour la représentation du travail ne respecte pas exactement l’ordre des groupes de score de facteur de peur, les variations des moyennes aux items moral, bien-être et contacts montrent une forte tendance de la composante diagonale à suivre les niveaux de peur. Les moyennes des items du moral et du bien-être augmentent avec l’augmentation des niveaux de peur et inversement pour l’item des contacts. Pour la représentation du chômage, les moyennes aux items de moral et de l’autonomie augmentent avec l’augmentation des profils de scores de facteur de peur alors que celles des items des contacts et de l’avenir diminuent dans le même temps.

31Pour l’ensemble des groupes de facteur de peur les items de l’argent et de l’avenir obtiennent les poids les plus important dans le champ de la représentation du travail. Les items des contacts et de la confiance arrivent au troisième rang pour le premier groupe (GP1). Ils arrivent au quatrième rang pour le deuxième groupe (GP2), après l’item de l’autonomie. En revanche, pour les deux autres groupes de facteur de peur (GP3 et GP4) l’item du moral arrive au troisième rang pour les groupes de peur élevée (GP3) et très élevée (GP4). Nous voyons que l’item des contacts figure parmi les plus importants avec de faibles niveaux de peur et celui du moral avec de hauts niveaux de peur.

32Concernant le champ de la représentation du chômage, les items de l’avenir, de l’argent et de l’insertion sociale figurent respectivement au premier, deuxième et troisième rang pour les deux premiers groupes de facteur de peur (GP1 et GP2). Les items de l’avenir et de l’argent sont classés conjointement au troisième rang pour le troisième groupe de facteur de peur (GP3) et deuxième rang pour le dernier groupe (GP4). C’est l’item du moral qui occupe dans ce temps le premier rang pour ces deux groupes (peur élevée et très élevée). Nous retrouvons parmi les items les plus importants ceux des contacts pour les niveaux de peur faible et du moral pour les niveaux de peur élevée.

33En résumé, il apparaît que les hypothèses H1 et H2 sont partiellement vérifiées. Les sujets éprouvant des niveaux de peur faible ont tendance à accorder beaucoup d’importance au lien entre le travail et sa capacité à favoriser les contacts au détriment de celui à apporter du moral, alors que les sujets éprouvant des niveaux de peur élevée ont tendance à accorder une importance soutenue au lien entre le travail et sa capacité à apporter du moral au détriment de celui à favoriser les contacts. Cet importance accrue pour l’item des contacts au détriment de celui du moral chez les sujets éprouvant des niveaux de peur faible et inversement chez ceux éprouvant des niveaux de peur élevée se retrouve également dans le cas de la représentation du chômage. Ces différences ne peuvent pas s’expliquer par le lieu de réponse, ni par l’ordre de passation.

6 – Discussion

6.1 – Peur et facteur de peur

34Le facteur extrait des items des échelles d’évaluation des fonctionnements anxieux, dépressifs et phobiques nous semble bien rendre compte de la présence d’un état émotionnel négatif et pourrait, comme nous le pensons, renvoyer plus spécifiquement à la peur. L’item apportant la plus grande contribution à ce facteur est d’ailleurs un des items où la sensation de peur (AD9) est expressément citée. Les deux autres items faisant directement référence à la problématique de la peur (AD3 et AD13) font partie de ceux qui apportent la plus grande contribution au facteur.

35Les items du questionnaire des peurs apportent des contributions plus faibles à ce facteur. Parmi ces items, c’est celui des évitements des magasins bondés (P5) qui apporte la plus grande contribution. Se faire du souci (AD5), la difficulté à prendre du plaisir (AD2) ou l’impression de fonctionner au ralenti apportent aussi leur contribution. Ces deux derniers items sont associés à l’évaluation de la dépression dans laquelle la tristesse tient une place importante. Ce facteur de peur ne semble pas, pour autant, se confondre avec une dimension de tristesse. La bonne humeur (AD6), la positivité (AD4) et l’intérêt pour l’apparence (AD10), qui ont des contributions plus modérées sur ce facteur, sembleraient tout à fait appropriés pour rendre compte spécifiquement de la tristesse. Ce facteur de peur entretient de fortes relations avec les niveaux d’anxiété et de dépression, une relation plus modérée avec le niveau d’agoraphobie. Si nous pouvons voir dans ce facteur la présence de la peur, nous retiendrons qu’il semble, au moins déjà, renvoyer à un état émotionnel négatif.

6.2 – Peur et organisation des représentations du travail et du chômage

36Nous observons bien des différences selon le niveau de peur dans l’organisation des éléments d’informations composants les champs représentationnels des objets travail (H1) et chômage (H2). Les thèmes du moral et des contacts semblent interagir en fonction du niveau de peur et cela pour les deux objets de représentation. La capacité du travail à agir positivement sur le moral prendra d’autant plus d’importance que le niveau de peur augmente, alors que dans le même temps la capacité du travail à favoriser les contacts et les relations perdra de son importance. Un phénomène similaire apparaît au sein du champ représentationnel de l’objet chômage. La capacité du chômage à agir négativement, cette fois, sur le moral prendra, elle aussi plus d’importance au détriment de celle du chômage à défavoriser les contacts à mesure que le niveau de peur augmente. Toutefois, dans le cas de la représentation du travail, ce phénomène d’interaction ne respecte pas exactement un accroissement des profils du niveau de peur.

37Plusieurs processus liés à l’impact des émotions sur les cognitions peuvent nous servir à comprendre les variations observées dans l’organisation des représentations du travail et du chômage selon les niveaux de peur.

6.3 – Traitement de l’information, coping et organisation des représentations

38Sachant que les émotions orientent l’attention plus spécifiquement vers certains éléments de l’environnement et peut en cela modifier la perception de certains éléments de l’environnement, l’état affectif pourrait ainsi orienter l’attention vers certains éléments d’informations spécifiques présents dans le champ des représentations, contribuant à un phénomène de focalisation. En effet, les liens entre les représentations sociales du travail et du chômage et la peur semblent correspondre à certains effets du traitement de l’information selon l’état affectif. Tout d’abord souvenons-nous que la peur induirait un traitement superficiel de l’information sociale et un accroissement attentionnel en direction des informations à caractère psychologique – émotionnel en lien avec un processus d’attribution de causes de l’état affectif. L’impact de l’émotion sur le poids accordé à certains items dans l’organisation des représentations sociales semble s’effectuer sur des cognitions renvoyant à des éléments d’information relatifs à des aspects psychologiques (le moral) et sociaux (les contacts).

39Alors, selon l’état affectif, la représentation pourrait traduire certains effets liés aux stratégies de coping. Ces stratégies d’adaptation aux situations stressantes peuvent se centrer principalement sur le problème ou sur les émotions. Les variations dans l’organisation des représentations sociales pourraient correspondre à une centration vers les émotions avec des niveaux élevés de peur et à une centration en direction du problème avec des niveaux faibles de peur. L’accroissement de l’importance des thèmes liés au moral avec l’augmentation des niveaux de peur pourrait s’apparenter à une centration sur les émotions via les conséquences psychologiques positives du travail et négatives du chômage. Alors que l’accroissement de l’importance des thèmes liés aux contacts pourrait quant à elle s’apparenter à une centration sur le problème via des aspects liés aux causes des situations stressantes.

40Dans un contexte d’insertion professionnelle, une centration sur les émotions conduirait à privilégier dans l’organisation du champ des représentations sociales du travail ou du chômage, des éléments liés aux conséquences psychologiques : l’augmentation du moral ou du bien-être (deuxième item de la composante diagonale de l’organisation de la représentation du travail) lié au travail ou la diminution du moral lié au chômage jusqu’à la possibilité de devenir l’item le plus important dans le champ de cette représentation. Dans ce même contexte, une centration sur les problèmes conduirait à privilégier dans l’organisation du champ de ces représentations, des éléments liés à la recherche d’explications des causes et de solutions : la réduction des contacts et des projets d’avenir (deuxième item de la composante diagonale dans l’organisation de la représentation du chômage) dans le chômage peuvent contribuer à expliquer pourquoi la situation est difficile et donc l’augmentation des contacts lié au travail pourrait constituer une solution.

7 – Pour conclure

41Malgré la petite taille de l’échantillon, ces résultats nous paraissent d’autant plus pertinents que ni l’ordre de passation, ni le lieu de passation n’ont pu expliquer, ici, les différences observées selon l’état affectif. De même que les items qui sont apparus liés à l’ordre de passation pour la représentation du chômage ne concernent pas les principaux items de la composante diagonale. Même s’il reste beaucoup à faire, ces résultats nous semblent permettre de mieux comprendre la manière dont les émotions peuvent interagir avec les représentations sociales.

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Notes

  • [*]
    La correspondance pour cet article doit être adressée à Jeremy Methivier, Université Paul Valéry - Montpellier III, Mission locale de Chaumont, 46 rue Victoire de la Marne, 52000 Chaumont, France ou par courriel <jeremy.methivier@laposte.net>.
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