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Article de revue

Structure dimensionnelle de la représentation mentale des visages Données pour un échantillon de visages et de participants de type européen

Pages 137 à 157

1 Cette étude propose une contribution à l’élucidation de la structure de la représentation mentale des visages. Une recension de la littérature nous conduit à privilégier quatre dimensions qui organiseraient, pour l’essentiel, la représentation mentale de visages. Nous les désignons à l’aide des termes suivants : attractivité, distinctivité, familiarité et santé apparente. Ces dimensions émergent d’environnements théoriques distincts. Une des origines de nos hypothèses concerne des travaux à propos de la mémoire et de la reconnaissance des visages et une seconde est relative à la perception des visages envisagée sous l’angle de la psychologie évolutionniste, sachant que ces deux orientations semblent entretenir peu de communication entre elles.

2L’aptitude à reconnaître et distinguer une personne des autres est une habileté fondamentale, engagée en particulier dans les interactions sociales de la vie quotidienne. La littérature concernant le traitement cognitif de ce type de stimulus est extrêmement riche et volumineuse, mais elle traite relativement peu de la structure de la représentation mentale des visages. Des dimensions susceptibles d’organiser cette représentation sont cependant bien proposées dans la littérature. Elles n’associent toutefois, et dans le meilleur des cas, que des éléments assez indirects de validation ou ne considèrent qu’une dimension donnée de façon isolée. C’est le cas par exemple avec les dimensions d’attractivité et de distinctivité (Potter, Corneille, Ruys et Rhodes, 2007) ou de distinctivité (Valentine, 1991). Le plus souvent, des dimensions ou des critères d’évaluation des visages sont posés, qu’on présume isomorphes à la représentation mentale des individus. Sur cette base, la recherche tente, en particulier, d’expliquer quels peuvent être les composants explicatifs du degré auquel un visage se situe sur une dimension donnée. C’est le cas par exemple avec l’attractivité et la symétrie des visages (Sacco, Hugenberg et Sefcek, 2009 ; Komori, Kawamura et Ishihara, 2009), leur familiarité et leur expression émotionnelle (Dobel, Geiger, Bruchmann, Putsche, Schweinberger et Junghofer, 2008), la santé apparente et la symétrie (Fink, Neave, Manning et Grammer, 2006), leur typicité, (Rhodes, Yoshikawa, Palermo, Simmons, Peters, Lee, Halberstadt et Crawford 2007) ou le caractère plus ou moins homogène de leur couleur (Fink, Grammer et Matts, 2006), la distinctivité et la féminité-masculinité des visages (Baudouin et Gallay, 2006), ou encore la typicité de visages et certaines caractéristiques des expressions émotionnelles (Neth et Martinez, 2009).

3Dans le cadre de travaux à propos de la reconnaissance et de la mémoire de visages, on observe une relation entre des aspects de la reconnaissance et la distinctivité des visages. L’opérationnalisation la plus classique de la distinctivité consiste en une évaluation subjective du degré de facilité auquel un visage donné pourrait être distingué de nombreux autres visages. Les observations montrent que la probabilité de reconnaître correctement un visage est fonction de sa distinctivité (Busey et Tunnicliff, 1999) et que les visages les plus distinctifs génèrent moins de fausses reconnaissances (Bartlett, Hurry et Thorley, 1984 ; Valentine, 1991 ; Valentine et Bruce, 1986 ; Winograd, 1981). Wickham, Morris et Ftritz (2000) trouvent des corrélations de 0,29 et 0,33 (ceci suivant la procédure d’évaluation du caractère distinctif des visages) entre des scores de distinctivité et ceux de reconnaissances correctes, ceci dans le cadre d’un paradigme de rappel immédiat. Le modèle de Valentine (1991) tente de rendre compte des effets de la distinctivité à l’aide d’une théorie présentée suivant une analogie spatiale. Selon le modèle, les visages sont représentés en mémoire par des points dans un espace multidimensionnel. Une des idées fondamentales de Valentine est que, dans le quotidien, nous rencontrons davantage de visages communs que de visages distinctifs. L’auteur suppose que c’est cette connaissance de la population des visages qui nous permet de décider dans quelle mesure un visage est distinctif. Les points sont supposés se répartir dans l’espace des visages conformément à la loi de Gauss en raison d’une fréquence élevée des visages moyens (typiques) et de fréquences s’affaiblissant à mesure de l’élévation de leur distinctivité. L’effet de distinctivité est alors expliqué à partir des variations de la densité des points dans l’espace. Les visages très distinctifs sont plus facilement reconnus car, dans l’espace ils sont distants les uns des autres, ce qui limite les confusions, au contraire des visages moyens qui forment une région dense de points. Une conception alternative suppose que des traits inhabituels d’un visage entraînent une élévation de l’attention. Ce serait dans ce cas, le gain d’attention qui serait explicatif des effets de la distinctivité. Toutefois la validité de cette hypothèse reste discutée car elle apparaît peu compatible avec le fait que les visages typiques sont classés comme visages plus rapidement que ce n’est le cas des visages distinctifs (Valentine et Bruce, 1986).

4Le lien entre la distinctivité et la reconnaissance est expliqué à l’aide de facteurs proches que sont en particuliers les variations de distances inter-points, mais le modèle ne précise pas, par exemple, pourquoi un tel mécanisme existe. En quoi cela peut t-il contribuer aux réponses adaptatives de l’organisme qui s’en trouve doté? Traditionnellement, la psychologie tente d’expliquer les conduites des individus à partir de causes qui se manifestent dans le cours de la vie de ceux-ci. Il s’agit de causes dites prochaines qui sont celles qui déterminent la conduite de l’individu en réponse à des facteurs immédiats de son environnement. Une perspective de psychologie évolutionniste dissocie ces causes prochaines de causes dites ultimes qui renvoient à l’histoire de la lignée dans laquelle l’organisme s’inscrit (Mayr, 1961). Dans ce cadre, on suppose que des schémas comportementaux se sont établis par sélection en réponse à des problèmes que l’environnement a posé aux individus au cours d’une période comprise entre -126 000 et -10 000 ans. On présume que la sélection naturelle nous a dotés d’unités de traitement qui se sont constituées en modules mentaux innés permettant de répondre à des problèmes spécifiques (Cosmides et Tooby, 1994). Un module serait ainsi dévolu au traitement d’un type particulier de données (le langage, les visages,…). Une des idées générales est que pour savoir comment l’esprit fonctionne, il faut connaître les problèmes qu’il a eu à résoudre. Les êtres humains, comme d’autres animaux sociaux, ont avantage, par exemple, à être capables d’identifier et à différencier les membres de leurs espèces afin d’ajuster leurs réponses selon les cas. La sélection naturelle implique qu’il y ait des variations héritables et qu’en raison de celles-ci certains individus donnent naissance à une progéniture plus nombreuse que celle d’autres individus. La référence à des variations héritables n’implique pas un déterminisme génétique, car ces variations héritables peuvent être conçues en termes de prédispositions plutôt qu’en termes de causes. La sélection naturelle est fondée sur le succès reproductif (Workman et Reader, 2007). Les caractéristiques qui affectent positivement ce succès peuvent se répandre dans une population, même si elles apparaissent désavantageuses sur un autre aspect. Par ailleurs, si les comportements résultent d’une pression sélective, on peut s’attendre à ce que les ressemblances entre les individus soient plus importantes que les différences. La psychologie évolutionniste s’intéresse prioritairement aux communautés entre les individus, mais sans que cela implique de négliger les différences interindividuelles (Buss, 2009).

5Lorsque la thématique de la perception des visages humains est envisagée sous l’angle de la psychologie évolutionniste, des dimensions telles celles d’attractivité, de santé perçue et de familiarité sont fréquemment mobilisées. La distinctivité est également considérée mais en terme de typicalité qui serait le pôle inverse de la dimension. On suppose que les mécanismes psychologiques sous-tendant les jugements d’attractivité résultent d’adaptations ayant évoluées en contraignant le choix d’un partenaire sexuel de telle façon qu’il maximise la propagation de gènes (Thornhill et Gangestad, 1999). Une des hypothèses est que les jugements à propos de l’attractivité reflèteraient des informations concernant en particulier la résistance aux pathologies. Des caractéristiques physiques comme la symétrie du visage et du corps sont prises comme de bons indicateurs de la résistance aux parasites (Hamilton et Zuk, 1982). On suppose qu’une pression sélective naturelle exerce un effet stabilisateur sur les caractéristiques des visages, ceux moyens devenant les plus nombreux. Les visages moyens seraient alors associés aux conditions phénotypiques les plus favorables. Les visages les plus attractifs seraient ainsi les plus proches d’une moyenne. Sur la base d’une approche par échelonnement multidimensionnel, Potter, Corneille, Ruys et Rhodes (2007) montrent que dans l’espace psychologique des visages, ceux qui sont attractifs constituent une région plus dense de points que ce n’est le cas pour les visages non attractifs.

6À partir du postulat selon lequel l’attractivité est une dimension pertinente de la représentation des visages, diverses études visent à élucider les déterminants du jugement d’attractivité. Ainsi une propriété de symétrie, qui apparaît comme un attracteur sexuel chez plusieurs espèces animales (Møller, 1992 ; Thornhill, 1992a, 1992b), est fréquemment proposée. La symétrie des visages humains est corrélée avec des évaluations de l’attractivité (Grammer et Thornhill, 1994 ; Zebrowitz, Voinescu et Collins, 1996 ; MØller et Swaddle, 1997 ; Rhodes et al., 2007) et son rôle serait équivalent selon le sexe des participants. On évoque aussi des caractéristiques telles que les yeux clairs ou la peau lisse. L’attractivité et l’âge sont liés négativement (Wickham et Morris, 2005). L’évaluation de l’attractivité serait une adaptation qui permettrait d’identifier les partenaires pouvant offrir les meilleurs bénéfices en terme de succès reproductif parce que l’attractivité serait fondée sur divers indices de bonne santé (Fink et Penton-Voak, 2002 ; Gangestad et Scheyd, 2005 ; Grammer et al., 2003 ; Rhodes, 2006 ; Rhodes et Simmons, 2007 ; Thornhill et Gangestad, 1993, 1999 ; Thornhill et MØller, 1997). Des partenaires en bonne santé offrent des bénéfices directs sous la forme de ressources ou de soin parental et des bénéfices génétiques indirects pour la descendance, comme la résistance héritable à la maladie (Andersson,1994). Ceci suppose que les traits attractifs soient des indicateurs pertinents de la santé. Plusieurs études montrent un lien, bien que faible, entre l’attractivité et la santé réelle (Feingold, 1992 ; Langlois et al. 2000 ; Rhodes, 2006). Des associations positives ont de même été obtenues entre la santé réelle et le caractère moyen des visages (Hoyme, 1994 ; Zebrowitz et Rhodes, 2004). L’attractivité est associée à des marqueurs hormonaux de la santé reproductive chez la femme (Law Smith et al 2006) et de la qualité du sperme chez les hommes (Soler et al., 2003). John et al. (2001) montrent que la corrélation entre la symétrie faciale et l’attractivité disparaît ou se réduit significativement (Rhodes et al., 2007) lorsque la corrélation est contrôlée par les différences de santé perçue. Il en est de même avec le caractère moyen des visages. La santé perçue contribuerait à l’attrait de la symétrie et à celui du caractère moyen des visages sauf ceux masculins. En dépit de la diversité des études, de façon assez régulière toutefois, des effets similaires sont observés qu’il s’agisse de visages masculins ou féminins. Le lien entre la santé perçue et la santé objectivement constatée n’est toutefois pas systématiquement trouvé dans les études. C’est le cas avec celle de Kalick, Zebrowitz, Langlois et Johnson (1998). L’idée selon laquelle, un visage moyen représenterait les conditions phénotypiques les plus favorables laisse supposer une relation négative entre l’attractivité et la distinctivité, sans toutefois que ces dimensions puissent se confondre, car si la distinctivité de visages apparaît comme un prédicteur robuste de la reconnaissance, les études concernant les effets de l’attractivité sur la reconnaissance ont par contre produit des résultats contradictoires. A l’instar des travaux de Sarno et Alley (1997), la tendance semble toutefois indiquer que l’attractivité est un piètre prédicteur de la reconnaissance des visages. La reconnaissance des visages impliquerait des processus métacognitifs et selon Knapp, Nosofsky et Busey (2006), différentes expressions émotionnelles capturent différents degrés d’attention et ce sont les variations de l’attention qui seraient explicatives des variations de la force des traces mnésiques. Dans cet ordre d’idées, Monin (2003) propose une heuristique du type « ce qui est beau est familier ». Les visages attractifs induiraient une familiarité plus élevée et, selon l’auteur, ils suscitent à ce titre plus de fausses reconnaissances. La liaison positive entre l’attractivité et la familiarité peut être considérée comme un cas particulier de la disposition à prendre des décisions en congruence avec un attribut de départ (attractif->familier vs non attractif->non familier). Ce point est examiné par Corneille, Monin et Pleyers (2005) qui concluent en défaveur de cette possibilité. Les visages attractifs, parce qu’ils sont moins distinctifs seraient encodés plus pauvrement et ainsi font davantage l’objet de fausse reconnaissance et donc de décision de familiarité.

7Les études qui considèrent simultanément les critères d’attractivité et de distinctivité ne sont pas très nombreuses et tendent effectivement à montrer une relation négative entre les mesures pour ces deux dimensions (Light, Kayra-Stuart et Hollander, 1979 ; Wickham et Morris, 2005). Brigman (1990) donne une corrélation de -.30 entre l’attractivité et la distinctivité et suppose, en fait, une relation plutôt curvilinéaire. De façon similaire, selon Sheperd et Ellis (1973), les visages attractifs peuvent être distinctifs ou non distinctifs. Pour une autre étude la corrélation trouvée atteint -0,89 (Little et Hancock, 2002). Une part des fluctuations des corrélations peut s’expliquer par des différences de conceptualisation et d’opérationnalisation de la distinctivité, parfois conçue en terme de typicalité (Dewhurst, Hay et Wickham, 2005). Rhodes et al. (2007) trouvent pour différents échantillons de visages et de participants des corrélations variant de 0,28 à 0,89 entre des scores d’attractivité de visages et ceux concernant leur caractère moyen. Les auteurs trouvent des corrélations variant entre 0,72 et 0,89 entre l’attractivité et la santé perçue et des corrélations entre 0,19 et 0,79 entre le caractère moyen des visages et la santé perçue.

8Dans les études, des dimensions évaluatives des visages sont le plus souvent provoquées et ne sont guère considérées simultanément, mais surtout, on ne dispose pas d’arguments empiriques qui montreraient qu’elles sont mobilisées spontanément par les individus et structurent effectivement la représentation mentale des visages telle qu’elle peut se construire dans un cadre de vie ordinaire. La capacité à identifier un visage implique celle à les différencier. On suppose que la différenciation des visages se fonde sur une sélection de dimensions évaluatives en lien avec le succès reproductif. Dans cette perspective, la santé perçue, l’attractivité, la familiarité et la distinctivité constitueraient des sources de différenciations utiles en particulier à la prise de décisions rapides. On suppose qu’une capacité à estimer la résistance d’un individu à des agents pathogènes augmente de façon directe et indirecte le succès reproductif de celui qui se trouve doté de cette capacité. Il en est de même avec un jugement de familiarité car cela informe qu’un stimulus donné n’est pas dangereux parce qu’une rencontre précédente n’a pas eu de conséquences létales. De façon similaire, la distinctivité, parce qu’elle représente une faible diffusion dans la population peut être interprétée comme la manifestation d’un moindre succès reproductif et est donc une caractéristique à éviter. Selon Cosmides et Tooby (1994), il est très probable que la sélection naturelle nous ait dotés de mécanismes destinés à nous permettre de mémoriser et de reconnaître les visages humains. On suppose que l’impact de la distinctivité sur la mémorisation résulte d’évolutions avec lesquelles la mémoire contribue au processus de décision (Klein, Cosmides, Tooby et Chance, 2002) avec des sous-sytèmes utilisant une information résumée ou partielle, mais permettant une décision rapide, comme ce peut être le cas lorsqu’il s’agit d’éviter un danger. Au contraire de la distinctivité, le caractère moyen ou la typicalité, la familiarité et ainsi divers traits physiques interprétés comme des traces de résistance aux agents pathogènes contribuent à l’attractivité de visages qui constituerait la dimension la plus synthétique.

1 – Méthode

9Le test des hypothèses repose sur la relation entre deux types de données. Il s’agit d’une part de données de proximité entre des visages. Elles engagent implicitement des sources de différenciations selon lesquelles la représentation mentale s’organise. Ce sont, d’autre part, des données renseignant sur la position des visages sur des dimensions définies a priori. Il s’agit alors d’évaluer dans quelle mesure une donnée dont la signification est connue (l’évaluation suivant un critère donné) explique celle dont la signification est initialement indéterminée (les similarités perçues entre les visages). Des données de proximité sont obtenues à partir de jugements de similarité entre les visages, ceci sans impliquer de critères particuliers. Les participants sont invités à produire une réponse spontanée. Par ailleurs, les stimuli font ensuite l’objet d’une évaluation subjective sur des dimensions déterminées. On met en relation les deux types de données à l’aide de régressions linéaires. Les principes de ce type de démarche sont mis en œuvre, par exemple par Tournois (1990) à propos de valeurs morales et par Einarsdottir et Rounds (2000) pour expliquer, à l’aide de dimensions, l’organisation sphérique de scores d’intérêt pour des activités.

1.1 – Echantillonnage des visages

10Pour l’étude, l’unité d’analyse est le visage. Les photos de visages retenus pour l’étude ne visent pas la représentativité de l’univers des visages humains. Ne s’agissant pas d’une étude interculturelle, une première restriction est posée en ne retenant que des visages de type européen afin d’éviter la gestion a posteriori d’effets d’interactions entre les caractéristiques des stimuli et celles culturelles ou ethniques des participants. A l’intérieur de ce cadre, la logique est celle d’une extraction aléatoire, car l’étude ne vise pas à expliquer des variations de la position d’un visage sur une dimension évaluative donnée. On pose toutefois quelques contraintes en équilibrant les différences entre les stimuli selon un plan factoriel ayant pour variables l’âge apparent, le genre et les expressions faciales avec pour cette dernière deux modalités : souriant versus neutre. On élimine les photos de visages offrant des éléments nettement distinctifs (lunettes, moustache, etc.). Des photos de visages sont extraites d’une banque de données (The Productive Aging Lab Face Database) ouverte à la recherche et créée par Minear et Park (2004). Cette banque de données est accessible via l’adresse URL suivante : https://pal.utdallas.edu/facedb/. On retient pour l’étude un échantillon de 16 photographies de visages homogènes quant au format (du type photo d’identité). Les visages sont représentés de face et en couleur.

1.2 – Matériel et procédure

11Deux questionnaires sont successivement proposés aux mêmes participants. Les réponses à un premier questionnaire sont utilisées pour représenter un espace des visages où les distances inter points résultent de la façon dont ils sont implicitement différenciés. Le questionnaire invite à des jugements de similarité pour toutes les combinaisons deux à deux des 16 photographies de visages (120 items). Les participants répondent sur des échelles composées de six échelons ordonnés, dont les étiquettes aux extrémités sont « semblable » -« différent ».

12Un second questionnaire propose d’évaluer les 16 visages sur les quatre dimensions hypothétiques (attractivité, familiarité, santé perçue et distinctivité). Les réponses se font sur des échelles en six degrés. On utilise des étiquettes telles que « peu familier (1) – familier (6)», « peu attirant (1) – attirant (6)», « en mauvaise forme ou mauvaise santé (1) -en pleine forme ou en bonne santé (6)». Pour la distinctivité qui est évaluée selon la modalité la plus traditionnelle et non, par exemple, en terme de « typicalité », on demande au sujet d’indiquer avec quel degré de facilité un visage donné pourrait être distingué dans une foule. Les réponses se font sur des échelles en six degrés avec les étiquettes suivantes « très facilement distinguable (1) – très difficilement distinguable (6) ». Les évaluations subjectives sont utilisées pour expliquer l’espace des visages.

1.3 – Participants

13L’étude se fonde sur les réponses d’un échantillon tout-venant de 123 participants de langue et de culture française de tous niveaux d’études (45 hommes et 78 femmes ; âge moyen de l’échantillon : 28 ans ½ et un écart-type de 11 ans). Il s’agit de participants recrutés parmi l’entourage des auteurs et, pour approximativement un tiers de l’échantillon, d’étudiants inscrits dans une filière sciences humaines et sociales.

2 – Résultats

14L’analyse corrélationnelle porte sur les coordonnées des visages dans un espace euclidien et leurs scores moyens sur quatre dimensions. S’agissant de données agrégées, les corrélations tendent à être plus élevées que les corrélations calculées à un niveau individuel (Ostroff, 1993 ; Jackson et Corr, 1998). De plus il n’y a pas de raison a priori de supposer qu’une corrélation sur des données agrégées soit transférable à un niveau individuel (Freedman, 2001). Ces difficultés apparaissent plus particulièrement lorsque l’agrégation est réalisée suivant différents groupes indépendants de sujets (Ostroff, 1993). Pour la présente étude, il n’y a qu’un seul groupe de participants. Dans ce cas, les corrélations ne peuvent pas représenter un effet provenant de variations entre des groupes indépendants. Ceci n’élimine toutefois qu’une part des difficultés. Si les covariations entre les scores moyens sont relativement isomorphes à celles d’un niveau individuel, on doit observer des corrélations élevées entre les réponses aux différents items. Les corrélations traduisent le degré de parallélisme entre les profils individuels de réponses. Dans la mesure où ces derniers sont parallèles, à des erreurs aléatoires de mesure près, le niveau agrégé est représentatif du niveau individuel et minimise les erreurs de mesure. La corrélation sur les données agrégées est dans ce cas désatténuée. Celle-ci est nécessairement plus élevée que les corrélations d’un niveau individuel avec des mesures faillibles. Pour estimer les convergences entre les profils individuels de réponse, on calcule un coefficient de corrélation intra-classe (Shrout et Fleiss, 1979) suivant un modèle à deux facteurs aléatoires (ICC(2,1)), les mêmes items étant évalués par les mêmes participants que l’on considère comme un échantillon aléatoire d’une population. On obtient respectivement, pour les coefficients simples qui expriment la concordance d’un participant typique et les coefficients moyens qui représentent l’homogénéité sur l’ensemble des participants, les valeurs suivantes : 0,20 et 0,97 (similarité) ; 0,37 et 0,98 (attractivité) ; 0,13 et 0,95 (familiarité) ; 0,45 et 0,99 (santé apparente) ; 0,26 et 0,98 (distinctivité). Chacun de ces coefficients diffère significativement de 0 à un seuil de probabilité inférieur à 0,0001. La concordance d’un participant typique avec l’échantillon se montre faible à modérée, mais néanmoins significative, et c’est cette portion partagée au travers des participants qui est prise pour objet d’étude. Les données offrant des régularités, leur agrégation en une moyenne réduit les redondances tout autant que les différences interindividuelles, et potentiellement des erreurs aléatoires de mesure. Par ailleurs, des décalages systématiques de niveau peuvent exister entre des profils individuels de réponse, qui résultent de tendances de réponse ou d’un effet d’ancrage par exemple, avec une évaluation pour un premier item servant de point de repère aux évaluations produites par un même participant pour les items suivants. Une valeur moyenne écarte ces variations non pertinentes pour l’étude.

2.1 – Modèle d’analyse

15Les données de similarité (les réponses au premier questionnaire) sont soumises au modèle de base de l’échelonnement multidimensionnel (Borg et Groenen, 1997 ; Tournois et Dickes, 1993). Les modèles d’échelonnements multidimensionnels sont autant des modèles de représentation géométrique que des modèles de mesure. Les techniques résument l’information en la présentant sous un format spatial (une donnée de proximité est transformée en une distance spatiale) et métrique ce qui facilite l’appréhension globale de l’organisation d’un ensemble de points, contrairement à une information similaire mais disponible sous un format numérique (une matrice de corrélations par exemple). L’adéquation entre les données de départ et les distances spatiales est classiquement représentée par deux indices qui n’associent toutefois pas d’inférence statistique. Le stress formule 1 de Kruskal quantifie un résidu entre les distances spatiales finales inter points et des distances qui représenteraient parfaitement les données de départ (l’ordre des proximités). L’indice RSQ exprime, sous une forme normalisée, la proportion de variance commune entre les deux types de distances. On recherche une valeur de stress proche de zéro et une valeur RSQ proche de 1, sans le plus souvent les atteindre, car la technique se propose de résumer des données au sens d’un condensé susceptible de réduire les erreurs entachant les données. L’échelonnement multidimensionnel est d’utilisation souple et propose des solutions dimensionnelles sensiblement plus stables et parcimonieuses que ne le sont les solutions issues d’analyses en composantes principales ou d’analyses factorielles.

16Pour l’étude, l’analyse se fonde sur les moyennes des distances euclidiennes entre les couples de visages issues des jugements de similarité. Les indices d’ajustement pour des solutions dimensionnelles (de 1 à 6 axes orthogonaux entre eux) sont donnés dans le Tableau 1.

17La dimensionnalité des données est vraisemblablement élevée puisque quatre dimensions seraient nécessaires pour obtenir un ajustement satisfaisant. Toutefois on retient pour l’étude une solution tridimensionnelle plus simple mais aussi moins représentative des données et ceci parce qu’elle apparaît suffisante pour le test des hypothèses. On n’observe aucune relation significative pour l’une ou l’autre des quatre dimensions hypothétiques et l’échelonnement des visages sur un quatrième axe d’un espace euclidien. Si ce quatrième axe n’est pas utile à nos hypothèses, il véhicule néanmoins une information, quoique de moindre importance, comparativement aux axes un à trois. Une dimension de masculinité-féminité s’exprime vraisemblablement en fonction d’un quatrième axe car six des huit visages masculins sont regroupés à un pôle et six des huit visages féminins apparaissent sur le pôle opposé. Le choix d’une dimensionnalité réduite implique que les quatre dimensions hypothétiques n’épuisent pas toutes les différenciations qui organisent la représentation mentale des visages, mais en expliquent potentiellement l’essentiel. Dans l’espace cubique des visages, trois axes orthogonaux sont posés qui ne servent qu’à définir un système de coordonnées (tel un axe nord-sud ou est-ouest) pour représenter n’importe quel point dans l’espace.

Tableau 1

Echelonnement multidimensionnel fondé sur les moyennes des distances euclidiennes entre les 16 visages -Indice d’ajustement suivant la dimensionnalité

Tableau 1
Dimensions Stress R.S.Q 6 0,03 0,96 5 0,06 0,93 4 0,09 0,88 3 0,14 0,79 2 0,23 0,68 1 0,44 0,45

Echelonnement multidimensionnel fondé sur les moyennes des distances euclidiennes entre les 16 visages -Indice d’ajustement suivant la dimensionnalité

2.2 – Régression multiple

18L’explication du positionnement des visages dans l’espace cubique utilise des régressions multiples. Les coordonnées des visages sur les trois axes orthogonaux sont introduites sous le statut technique de variables indépendantes et le score des visages sur une dimension évaluative prend le statut technique de variable dépendante. On utilise les propriétés statistiques du modèle et non la directionnalité de la causalité qu’il suppose, car pour l’étude, la conception de la directionnalité de la causalité est inverse. Pour l’analyse, on satisfait une contrainte technique, mais pour l’interprétation, on suppose que c’est la position des visages sur les dimensions évaluatives qui est explicative des coordonnées des visages dans l’espace cubique.

19Au niveau des résultats, on observe tout d’abord que toutes les dimensions évaluatives sont corrélées (Tableau 2). Les scores moyens des visages sur les quatre dimensions évaluatives sont pour quelques cas très fortement corrélés entre eux avec une grappe constituée de l’attractivité, de la familiarité et de la santé perçue. Dans cet ensemble l’attractivité semble capturer la part de variance la plus importante. La corrélation entre familiarité et santé perçue devient nulle une fois contrôlée pour les différences d’attractivité alors que la corrélation entre attractivité et familiarité contrôlée par la santé perçue, bien que moins élevée, reste significative (0,65). Il en est de même pour la corrélation entre attractivité et santé perçue contrôlée par la familiarité (0,68). La relation entre la familiarité et la santé perçue passe par un médiateur qui est l’attractivité. Les variables, bien que fortement corrélées entre elles, offrent des statuts différents.

Tableau 2

Corrélations entre les scores moyens des 16 visages sur les quatre dimensions évaluatives

Tableau 2
Attractivité Familiarité Santé perçue Familiarité ,91 ** Santé perçue ,92 ** ,84 ** Distinctivité -,54 * -,55 * -,59 * La corrélation est significative à un seuil inférieur à 0,01. La corrélation est significative à un seuil inférieur à 0,05.

Corrélations entre les scores moyens des 16 visages sur les quatre dimensions évaluatives

Tableau 3

Liens entre les dimensions évaluatives et la structure des proximités entre les visages dans un espace euclidien à trois dimensions

Tableau 3
Variables B SE B ? T Sig. Mesure d’angle correspondant au ? Attractivité R² = 0,71 Axe 1 0,32 0,10 0,48 3,08 0,009 56° Axe 2 0,57 0,13 0,71 4,54 <0,001 34° Axe 3 -0,07 0,14 -0,08 -0,51 0,619 n.s. Distinctivité R² = 0,61 Axe 1 0,01 0,12 0,01 0,07 0,942 n.s. Axe 2 -0,46 0,15 -0,57 -3,14 0,009 139° Axe 3 0,43 0,16 0,50 2,75 0,018 49° Familiarité R² = 0,41 Axe 1 0,12 0,08 0,32 1,44 0,177 n.s. Axe 2 0,24 0,10 0,55 2,47 0,029 30° Axe 3 -0,05 0,11 -0,11 -0,51 0,622 n.s. Santé perçue R² = 0,86 Axe 1 0,52 0,09 0,64 5,80 <0,001 45° Axe 2 0,64 0,11 0,65 5,88 <0,001 45° Axe 3 -0,27 0,12 -0,26 -2,34 0,038 Axe 1/3 : 22° & 112°

Liens entre les dimensions évaluatives et la structure des proximités entre les visages dans un espace euclidien à trois dimensions

20Par ailleurs la hauteur des corrélations entre les dimensions évaluatives est dépendante de l’échantillon de visages. Si l’on peut raisonnablement penser que les dimensions évaluatives pourraient être retrouvées par une nouvelle étude indépendante, par contre cela est moins vraisemblable pour ce qui concerne le niveau des corrélations entre les dimensions évaluatives. Les résultats de régressions linéaires multiples concernant les liens entre les dimensions évaluatives et la position des visages dans l’espace cubique sont présentés dans le Tableau 3 et les Figures 1 et 2. Aux coefficients classiques des résultats de régressions linéaires, on ajoute une mesure d’angle. Il s’agit de l’angle entre une droite de régression qui représente une dimension évaluative donnée et un axe de l’espace cubique des visages, ceci lorsque la relation entre les deux est significative.

21Afin de faciliter l’appréhension des résultats, ceux-ci sont présentés de façon figurative (Figures 1 et 2) où les dimensions qui organisent l’espace cubique des visages sont représentées par des droites traversant le nuage des visages dans un espace tridimensionnel. La conversion des coefficients de régression en mesure d’angle met en œuvre les modalités techniques telles qu’exposées par Tournois (1988-89). La régression multiple a une interprétation géométrique pour laquelle à tout coefficient ? est associé une direction de l’espace pour laquelle les cosinus satisfont l’expression : cosinus = ?/(?²D1+?²D2)1/2. Ces cosinus permettent par leur simple transformation en mesure d’angle (avec la calculette : INV et cos) de situer géométriquement la droite de régression dans l’espace déterminé par les variables indépendantes.

22La configuration des distances entre les visages dans un espace cubique est donnée plan par plan (Figures 1 et 2) à défaut d’une représentation mobile en 3 dimensions qui permettrait d’appréhender plus facilement l’organisation d’ensemble. Sur les plans, les différentes dimensions évaluatives qui structurent le positionnement des visages sont représentées par des droites de régression. Aux dimensions testées, on ajoute par induction une dimension que l’on positionne approximativement (en pointillé) et qui concerne de façon plausible des différences d’âge apparent entre les visages. De façon similaire une dimension supplémentaire pourrait être envisagée qui se superposerait vraisemblablement à celles d’attractivité, de familiarité et de santé perçue et qui concerne les émotions apparentes, les visages les plus attractifs apparaissant aussi les plus souriants. Suivant les plans 1 et 2, l’âge apparent n’est guère lié à la santé perçue. Ceci suggère que cette dernière ne serait pas une dimension uniquement utile à la prise de décision quant au choix d’un partenaire sexuel.

Figure 1

Configuration des visages selon les plans 1 et 2 de l’espace euclidien

Figure 1

Configuration des visages selon les plans 1 et 2 de l’espace euclidien

Figure 2

Configuration des visages selon les plans 2 et 3 de l’espace euclidien

Figure 2

Configuration des visages selon les plans 2 et 3 de l’espace euclidien

23Suivant les valeurs du carré de la corrélation multiple qui indique le pourcentage de variance commune entre les variables (explicative et expliquée), il apparaît que la santé perçue est la dimension la plus essentielle, la proportion de variance expliquée par les coordonnés des visages dans l’espace cubique atteignant 86%, sachant que l’on suppose une directionnalité de la causalité inverse. L’attractivité est techniquement expliquée à hauteur de 71% mais significativement par les deux premiers axes et la distinctivité (61%) suivant les axes 2 et 3, la familiarité (41%) n’entretenant de relations avec les coordonnées des visages que pour l’axe 2. Les proportions de variance indiquée ne peuvent pas être cumulées en raison des corrélations entre ces variables. Afin de déterminer dans quelle mesure les quatre dimensions permettent de rendre compte de l’espace cubique des visages, on renouvelle l’analyse par régressions linéaires mais en prenant cette fois pour prédicteurs les dimensions évaluatives des visages et pour variable à expliquer les coordonnées des stimuli successivement sur chacun des trois axes de l’espace cubique. Ces derniers étant orthogonaux entre eux, les pourcentages de variance expliquée peuvent être cumulés mais en les pondérant par le poids des axes (différences entre les coefficients RSQ selon la dimensionnalité). Si 100% des distances entre les points est dans l’espace cubique des visages, le premier axe en représente 57%, le second 29% et le troisième 14%. Ainsi les quatre dimensions évaluatives expliquent 72% des différences de coordonnées sur l’axe 1 (?0,57), 62% des différences sur l’axe 2 (?0,29) et 42% de la variance sur l’axe 3 (?0,14). Ainsi, les quatre dimensions évaluatives permettent de rendre compte de 65% de l’espace cubique des visages.

24Pour un espace euclidien des visages à 4 axes orthogonaux et en ajoutant une dimension relative au type sexuel et une autre à l’âge apparent avec pour ces deux variables une notation dichotomique à défaut de disposer d’évaluation plus fines, l’ensemble des dimensions impliquées permet de rendre compte de 73% d’un espace quadratique des visages. Comme il est peu plausible que les 27% restant ne soient que de l’erreur de mesure, l’élucidation de la structure de la représentation mentale des visages reste donc incomplète.

3 – Discussion

25Les sources de différenciations entre des visages peuvent être extrêmement nombreuses. Face à un visage, nous ne considérons pas toutes les différenciations possibles sachant que des décisions adaptées doivent être prises rapidement. En conséquence, seules quelques dimensions seront considérées parmi celles qui semblent les plus utiles à une réponse adaptée. La littérature propose une sélection de ces dimensions. Il s’agit en particulier de la distinctivité, de l’attractivité, de la familiarité et de la santé perçue. Supposant que de telles dimensions structurent effectivement la représentation mentale des visages, les études tentent d’élucider quels sont par exemple les attributs d’un visage qui conditionnent son attractivité. Toutefois, en amont, des incertitudes subsistent quant à la validité de ces dimensions. On a tenté ici de répondre à ce problème en suivant une démarche confirmatoire.

26À partir d’un petit échantillon de visages, les données de jugement de similarité nous permettent de construire un espace cubique des visages qui porte une information sur la façon dont les visages sont différenciés. Ces derniers sont par ailleurs évalués sur les quatre dimensions hypothétiques et on constate que ces dernières sont liées parfois étroitement au positionnement des visages dans cet espace. Toutefois, le modèle cubique retenu pour l’étude est vraisemblablement insuffisant pour représenter toute l’organisation des relations entre les visages. Une information analogue est proposée par Potter et al. (2007), avec des valeurs de stress de 0,13 et de 0,11 (avec 40 et 30 visages) et de 0,62 et de 0,78 pour l’indice RSQ et ceci pour des solutions en six axes euclidiens. Ces données résultent d’un échelonnement multidimensionnel fondé sur le produit de jugements de similarité entre des visages et engageant de petits échantillons de participants. Les résultats convergent pour indiquer que la dimensionnalité de la représentation mentale des visages est élevée et complexe. Outre les dimensions d’attractivité, de familiarité, de santé perçue et de distinctivité, on propose a posteriori et de façon inductive à partir de nos données, des dimensions supplémentaires d’âge perçu, d’expression émotionnelle et assez secondairement vraisemblablement du dimorphisme sexuel.

27Parmi les dimensions testées, toutes ne présentent pas la même importance et ne partageraient pas un même statut. La santé perçue traverse l’espace cubique des visages et partage 86% de sa variance avec les différences de coordonnées des visages sur les trois axes. En raison de cette valeur, la santé perçue apparaît comme la dimension évaluative ayant le poids le plus important. L’attractivité covarie avec les différences de positionnement des visages en fonction d’une surface de l’espace cubique et la familiarité n’entretient qu’un lien modéré avec un seul des axes de l’espace euclidien des visages. La distinctivité partage 61% de sa variance avec les différences de positionnement des visages selon les axes 2 et 3 de l’espace euclidien. Les dimensions d’attractivité, de familiarité et de santé perçue apparaissent fortement corrélées entre elles et sont donc largement redondantes. Toutefois, on suppose qu’elles sont de statuts différents et restent donc qualitativement distinctes. Les droites de régression qui représentent les dimensions évaluatives dans l’espace cubique des visages (Figure 1 et 2) montrent que la santé perçue se détache sensiblement (Figure 2) de l’attractivité et de la familiarité et n’est donc pas totalement redondante de l’attractivité, alors que ceci est moins claire concernant la familiarité et l’attractivité. Dans cet ensemble, l’attractivité semble capturer la part de variance la plus importante. L’approche à l’aide de corrélations partielles suggère que la santé perçue est un facteur de l’attractivité alors que la familiarité peut être un effet de l’attractivité. La familiarité apparaît comme une source de différenciation mineure.

28L’importance de la santé perçue sur la représentation mentale des visages est un élément qui favorise une lecture évolutionniste et une interprétation en terme de cause ultime en raison d’un lien avec le succès reproductif. La relation négative trouvée entre l’attractivité, la santé perçue et la distinctivité est compatible avec des observations rapportées dans la littérature. L’explication de la relation entre la distinctivité et la reconnaissance des visages apparaît dans le cadre du modèle de Valentine (1991) en terme de cause prochaine qui ne renseigne pas sur le pourquoi de la mise en place d’un tel mécanisme affectant la mémorisation.

29Les sources de différenciation entre les visages proposées par l’étude entretiennent potentiellement une connexion avec une large dimension bipolaire des relations interpersonnelles telle que hostilité versus attitude amicale (Acton et Revelle, 2002). Une décision d’évitement ou au contraire de recherche de contacts peut impliquer une évaluation de la santé apparente. Cependant, les pôles opposés de la décision peuvent engager une diversification avec dans un cas, une référence plus particulière à l’attractivité et la familiarité et dans un autre, à la distinctivité ceci en raison de propriétés distinctes qu’appellent les réponses d’évitement ou de recherche de contact.

30Sous l’angle évolutionniste et en terme de cause ultime, on va supposer que la mémoire a évoluée pour contribuer au processus de décision. La distinctivité est associée à des caractéristiques défavorables et il devient donc important de pouvoir y réagir rapidement. Avec la typicité, l’opposé supposé de la distinctivité, les arguments en terme de cause ultime sont par contre davantage présents dans la littérature. La « typicité » est un facteur important de l’attractivité. Un visage est d’autant plus attractif qu’il est proche d’une tendance centrale des visages et l’absence de trait distinctif est perçue comme la trace d’une bonne santé développementale, de résistance à la maladie ou de qualité génétique. L’attractivité, bien que cela paraisse sensiblement tautologique, est le meilleur prédicteur du choix d’un partenaire (Walster, Aronson, Abrahams et Rottman, 1966). La distinctivité/typicité est ainsi liée au succès reproductif. Toutefois, la distinctivité semble étendre ses effets à d’autres conduites que celle du choix d’un partenaire.

31Le point de vue évolutionniste éclaire des causes ultimes du phénomène de stigmatisation, par exemple, et qui engage la distinctivité. La socialité contribue au succès reproductif direct et indirect des individus mais comporte aussi un coût avec des conflits directs pouvant être violents. Il s’agit aussi de la compétition pour les ressources et de la transmission d’agents pathogènes et de parasites. L’adaptation humaine à la socialité contraint les individus à être sélectifs dans leurs interactions sociales. On suppose que des mécanismes cognitifs sont dévolus à cette sélection. Kurzban et Leavy (2001) proposent qu’il existe un système cognitif spécifique dévolu à la détection de corrélats d’une infestation par des parasites qui conduit l’individu à se mettre à distance d’interactions physiques qui présentent un risque potentiel de contagion et ceci plus particulièrement dans les situations dans lesquelles le risque d’infestation parasitaire est particulièrement élevé (Schaller, 2006). Les signaux d’une infestation par des parasites incluent des déviations par rapport à la forme et l’apparence physique typique d’une espèce. Les systèmes de détection, pour permettre des réponses rapides utilisent des simplifications et peuvent ainsi comporter des biais avec des fausses reconnaissances. Toutefois, les fausses reconnaissances constitueraient un moindre coût par rapport à celui potentiellement élevé d’une erreur (la non reconnaissance d’un danger). Ainsi la stigmatisation peut concerner des individus indemnes de parasites, ceci sur la base de quelques traits superficiels qui apparaissent comme posant un risque de transmission parasitaire. Les individus distants d’un prototype sont stigmatisés et cela plus particulièrement par les personnes qui se sentent les plus vulnérables à la maladie. C’est l’hypothèse centrale de Faulkner, Schaller et Park (2004) qui indiquent que le sentiment de vulnérabilité à la maladie et les craintes de maladies chroniques permettent de prédire des réactions négatives à l’égard de personnes étrangères (non familières).

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Mots-clés éditeurs : perception visage jugement

Mise en ligne 28/02/2012

https://doi.org/10.3917/cips.085.0137

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