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Article de revue

La pensée résiliente

Pages 79 à 94

Notes

  • [*]
    Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Christèle Fraïssé, Centre de Recherches en Psychologie JE 2455 (CRPSY), Université de Bretagne occidentale, Faculté des Lettres et Sciences sociales, 20 rue Duquesne, CS 93837, 29238 Brest cedex 3, France ou par courriel à <christele.fraisse@univ-brest.fr>.
  • [1]
    Shakespeare, W. The tempest. London : Penguin, 2000, Coll. Penguin popular classics, p. 112.
  • [2]
    Dictionnaire historique de la langue française, Édition en coffret de 3 tomes, Le Robert, 1998.
  • [3]
    Hugo, V. Les misérables. Livre 14. Paris, Laffont, 1995, Coll. Bouquins.
  • [4]
    Cité par Chauvier, E. (2006) Anthropologie. Paris, Allia.
  • [5]
    Emprunté à la belle écriture Billeter, J.-F. (2002) Leçons sur Tchouang-tseu. Paris : Allia.
  • [6]
    Florenski, P. A. (2006) Hamlet. Paris, Allia.
  • [7]
    Lewis Henri Morgan (1818 – 1881), malgré la linéarité de sa vision historique, apporta une vision positive du développement social : celle d’un développement humain au cours des âges non pas opposé aux idées de déchéance et de dégradation de l’humanité mais inscrit dans un développement culturel.
  • [8]
    Bourdieu, P. (1994) Raisons pratiques : sur la théorie de l’action. Paris, Seuil.
  • [9]
    Marx E. Letter from Marx to Pavel Vasilyevich Annenkov. In Marx E. Collected Works. New York, International Publishers, 1975, Vol. 38, p. 95.
  • [10]
    Giddens, A. (1994) Les conséquences de la modernité. Paris, L’Harmattan, p. 192.
  • [11]
    Op. cit.
  • [12]
    Arendt H. Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Paris, Gallimard, 2002.
  • [13]
    Chauvier, E. (2006). Anthropologie. Paris, Allia.
  • [14]
    Littell J. (2006) Les bienveillantes. Paris, Gallimard.
  • [15]
    Rilke, R. M. Requiem. Paris, Verdier, Août 2007, Coll. Verdier poche. Ed. Bilingue.
  • [16]
    Il s’agit ici de perception des risques et non de représentation des risques, ouvrant une vision sociétale en plus de celle sociale et individuelle précédemment développée. Le point de vue est résolument holistique.
  • [17]
    Veyne, P. (1976) Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique. Paris, Seuil, Coll. Folio, p. 689.
  • [18]
    Cité par Compagnon, A. (2007) Les antimodernes : De Joseph de Maistre à Roland Barthes. Paris, Gallimard.
  • [19]
    Nous faisons référence ici au travail de Rochereau, H. (Sous la direction de Specht, M.) Analyse des mécanismes de l’amplification sociale des risques : l’incertitude comme cause principale du changement de comportement du public. Mémoire de Master, Institut de Psychologie, Université Paris Descartes.
  • [20]
    Nous remercions le groupement scientifque REXAO, de l’École des Mines de Paris, qui en la personne du Professeur Jean-Luc Wybo, nous a invité à participer à ces simulations en tant qu’observateur. Les rapports REXAO produits dans le cadre de ces simulations sont confidentiels DDSC (Direction de la Défense et de la Sécurité Civile).
  • [21]
    Baudelaire C. Le spleen de Paris : petits poèmes en prose. In Baudelaire, C. Œuvres complètes. Paris : Gallimard., 1975-1976, Coll. Bibliothèque de la Pléiade.
Hell is empty, all the devils are here.
William Shakespeare [1]

1Que faire, lorsque l’enfer est vide et tous les démons sont sortis ? Un vaste champ d’étude en Psychologie des risques et des crises se développe aujourd’hui et apporte de nouvelles clefs pour accompagner les être humains, professionnels tout autant qu’impliqués, dans leurs inévitables traversées des situations de risque et de crise. La pensée résiliente est l’une de ces clefs. Dévoiler ses dynamiques est un premier pas vers l’accompagnement des acteurs, celui de la connaissance.

Management des risques et gestion des crises : la recherche de résilience

Vers un accompagnement des acteurs en danger

2Cet article propose une lecture de la pensée résiliente, une description de la pensée et de ses mouvements de résilience. La pensée résiliente plutôt que la résilience de la pensée, est un choix terminologique qui a pour objectif d’éviter une description clivée de divers processus psychiques de résilience, envisagés comme autonomes, au profit d’une description d’ensemble d’une dynamique de la pensée.

3Cette distinction, bien que très mince, correspond à l’origine étymologique de l’adjectif « résilient » (1932) et du nom « résilience » (1906). D’après Alain Rey [2], ces mots sont empruntés au vocabulaire en langue anglaise de la physique. « Resilient » apparaîtrait en anglais dès 1674 au sens de « rejaillissant, rebondissant » et spécialement « qui présente une résistance aux chocs élevés ». La « résilience » caractériserait la résistance aux chocs d’un matériau (1824). Mais, cette résistance ne se définit pas comme la conservation de la structure. Ainsi, si l’on prend l’exemple des gobelets de plastiques thermoformés – conçus à partir de galettes de plastiques rondes et plates transformées en gobelets par échauffement et moulage, si on écrase ces gobelets, ils ne résistent que faiblement, mais quelque soit la déformation subie, ils retrouveront leur forme de galette si on les chauffe. La matière plastique thermoformée est dite résiliente. Sa résilience désigne son potentiel de récupération.

4La résilience de la pensée nous apparaît (Specht, Poumadère, 2006) comme un potentiel de plasticité qui permet l’adaptation, tandis que la pensée résiliente correspondrait à une dynamique d’auto-organisation au sens d’Herbert Spencer (Spencer, 1857). Vanistendael (1998) propose une définition psychologique de la résilience : comme une capacité à se développer positivement, à s’épanouir, à vivre de manière socialement acceptable, en dépit d’une adversité qui comporte une probabilité forte d’une issue négative grave. La pensée résiliente recouvrirait l’ensemble des processus psychiques de développement qui procèdent malgré l’adversité, tels des processus de guérison. L’adversité, telle que définie par la probabilité d’une issue négative, est proche de la définition classique des situations à risque, le risque étant la possibilité qu’un événement dommageable (Hale, Glendon, 1987 ; Villemeur, 1988). Plus redoutées sont les situations de crise. Si l’on commence comme Lucien Morin et Danielle Blondeau (1984) par l’origine étymologique du mot crise,

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« Crise, critique, crime et critère ont comme origine grecque commune le verbe krino dont tous les sens se rapportent à l’idée soit d’un maintien, soit d’une rupture d’équilibre : trier et séparer, distinguer et choisir, juger et accuser, être en lutte, combattre, mettre en question, etc. »

6Ainsi, les situations de crise renvoient à l’ébranlement avéré des structures fondamentales d’une situation qui impose des réactions rapides alors même que les conditions sont incertaines (Rosenthal, 1986). D’autres analyses mettent plutôt en avant le cours des événements (Reason, 1994) où la rupture des structures fondamentales (Jacques et Specht, 2006).

7La résilience est donc un enjeu majeur du management des risques et de la gestion des crises (Woods, Hollnagel, 2005). L’objectif est, malgré l’adversité, le risque avéré, la crise, de favoriser la résilience. Les priorités sont, certes, prévenir et protéger, mais aussi guérir ou tout au moins rendre la guérison possible.

8Les outils actuels du management des risques et de la gestion des crises sont :

  • Pour la prévention : les études de dangers et l’évaluation des risques ; l’information et la formation des populations, l’adoption de mesures techniques de prévention ;
  • Pour la protection : l’adoption des mesures techniques de protection ; la mobilisation et l’organisation des moyens de secours ;
  • Pour la « guérison » : la définition d’un cadre de réparation et de sanction.
Mais la « guérison », la résilience, ne sont pas une simple question de réparation et de sanction. Ce sont des processus de reconstruction, synchroniques et diachroniques, qui se fondent sur l’articulation entre forces psychiques et contexte social dans un mouvement de recherche d’une réponse sensée face à deux questions : Pourquoi devons-nous tant souffrir ? Comment faire pour être heureux quand même ? (Cyrulnik, 1999).

9La gestion des crises se préoccupe la première de ces questions. Elle étudie, dès leurs origines, les catastrophes, naturelles ou technologiques, dont l’occurrence engendre l’ébranlement de l’équilibre vital des populations et de l’environnement. Mais la crise n’est pas la catastrophe. La loi du 13 juillet 1982 instaure la publication d’arrêtés pour les événements d’intensité anormale et non assurable. Les catastrophes sont caractérisées sur deux axes. L’axe de la gravité des dommages correspond aux dommages humains, en nombre de blessés et de morts, et aux dommages matériels, en Euros. Six classes sont ainsi distinguées : les incidents, les accidents, les accidents graves, les accidents très graves, les catastrophes et les catastrophes majeures. L’axe de l’intensité correspond à l’intensité physique, en termes de sollicitations physiques et à l’intensité destructrice en termes d’éléments exposés et endommagés. À ces deux axes, s’ajoutent la typologie des phénomènes dont on peut décrire l’emprise spatiale et temporelle. La crise représente quant à elle les caractéristiques événementielles de la catastrophe (Jacques et Specht, 2006). Dans sa composante descriptive, la crise est sans doute le plus sensiblement définie par la rupture, le coup d’arrêt porté au déroulement normal de la vie des populations et à la continuité des cycles de vie environnementaux. Dans sa composante causale, la crise est liée à l’extrême vulnérabilité des populations et de l’environnement ainsi qu’aux sous-dimensionnements des ressources préventives et protectrices. La crise concerne alors les victimes comme les intervenants. Dans sa composante cinétique, la crise déroule une succession de phases, phase initiatrice, phase de crise elle-même, phase de sortie de crise. Les phases ne représentent pas des enchaînements d’événements univoques et totalement déterminés. Elles s’articulent au cheminement d’événements qui acquièrent des valeurs d’instabilité. Rupture, vulnérabilité, instabilité submergent tous les impliqués, les gestionnaires de crise eux-mêmes. Au plus fort de la crise, elles induisent une situation de chaos, système instable et non périodique, au sens d’Edward Lorenz (Lorenz, 1963), passage entre l’ordre et le désordre selon Michel Serres (Serres, 1986).

10Comment rester vivant, et agir, quand toute la scène ébranlée conduit au chaos, comment en réchapper alors que, lorsque notre regard se porte sur des catastrophes majeures, la chute, le chaos nous ferment les yeux. Il faut noter ici que tout comme la population, les services de secours sont concernés et éventuellement désorganisés. Le risque est celui du trauma pouvant annihiler les uns comme les autres. L’objectif que nous fixons ici au management des risques et à la gestion des crises est le dépassement des traumatismes. L’objectif de notre travail et l’objet du présent article est la découverte des clefs de la pensée résiliente pour une meilleure gestion des crises ; pour mieux accompagner les êtres humains dans leurs inévitables traversées des situations de crises ; parce que beaucoup peut encore être réalisé pour les êtres humains en danger.

Ce qu’il faut prévoir, c’est l’imprévu [3]

11Il ne faudrait pas nous même fonder notre recherche seulement sur une considération littérale des risques et des crises. Jean-Pierre Dupuy (2002) nous l’a écrit déjà. Tout ce qui menace la vie humaine est trop souvent rabattu au rang de problème qu’une technique permettra tôt ou tard de résoudre. On aboutit ainsi à des recherches conventionnelles amenant à user des mêmes conventions et à produire les mêmes conventions. Nous fermons les yeux nous-mêmes en rejetant les risques comme maîtrisables, nous projetons de contrôler les crises. Doubles illusions, celle de corpuscules humains simplement bousculés par des événements violents et celle de développements techniques annihilant ces événements. Ce qu’il faut dénoncer, c’est la prévision du passé ; Ce qu’il faut prévoir, c’est l’imprévu ; Ce qu’il faut saisir, c’est l’insaisissable. La difficulté n’est pas comme l’écrit Wittgenstein [4] de trouver la solution mais de reconnaître la solution dans de ce qui a l’air d’en être seulement la prémisse.

12Aussi cherchons-nous quelle physique élémentaire de la subjectivité [5] pourrait orienter l’élaboration d’une organisation humaine capable d’affronter les catastrophes et de traverser les situations de crises. Une physique qui permettrait de déceler les dynamiques organisationnelles qui s’ancrent dans le fonctionnement psychique des individus. C’est la question à laquelle la Psychologie des risques et des crises tente de répondre.

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« Something new has to be built to abolish the previous narrowness, because no reform by itself can destroy a system which, in spite of its shortcomings, can fulfil given requirements - or else it would not exist – in the absence of any system above it which could do better ».
Pavel Florenski [6]

14La société a donc un devoir de décision et d’action performante face aux crises. Ses organisations en possèdent-elles les clefs ?

15On a déjà pensé les structures organisationnelles comme des contraintes plus ou moins oppressives affectant les comportements des individus. On a aussi considéré les organisations comme des ensembles amplifant les comportements individuels. On a encore décrit les organisations comme des systèmes autonomes combinant des procédures parfois jusqu’à l’explosion combinatoire. En regard de la définition de Simon (Simon, 1976), une organisation est

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« une configuration complexe de communications et de relations […]. Pour le sociologue il s’agit d’un système de rôles ; pour la plupart des gens, il s’agit d’une organisation. »

17Pour un ensemble de théoriciens des organisations (Peters, 1987 ; Wheatley, 2001 ; Farazmand, 2003 ; Sullivan, 2004 ; McClure, 2005), il s’agit d’un système non linéaire et imprédictible d’interactions, qu’on peut dire proche d’un système chaotique, dont il faut soutenir les capacités d’auto-organisation plutôt que de régulation. Si elles sont humaines, que peuvent être les organisations ? Sont-elles des théâtres, des scènes ou des spectacles ? Aucune analogie n’est facile, toutes les analogies sont déformantes. Est-ce nécessaire de les multiplier ? Ne suffit-il pas de reconnaître que les organisations sont traversées par des dynamiques de multiples natures : nature symbolique, leurs drapeaux ; nature normative, leurs lois ; nature fonctionnelle et technique, leur performance et leurs moyens ; mais surtout nature humaine, leurs hommes et leurs femmes. Il s’agirait de reconnaître la nature organique des organisations, de concevoir un corps d’actions réciproques. Une organisation, n’importe quelle organisation, recèle de correspondances, d’interactions croisées, entre individus, créateurs de leurs organisations et à la fois acteurs investis d’un rôle. Il s’agit donc de découvrir les résonances humaines constitutives des organisations.

18L’enjeu est ici de dévoiler les dynamiques de vulnérabilité et de résilience. Mais la difficulté est d’accéder à une réalité abstraite et insaisissable.

Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas d’accession immédiate au réel que le réel n’existe pas

19Paul Slovic pose une question éclairante en écrivant « Psychic numbing and genocide » (Slovic, 2007), Pourquoi, au cours du dernier siècle, avons-nous été capables des plus belles actions et des plus dangereuses pour aider notre prochain et à la fois, ignorants, malgré leurs répétitions, des massacres et des génocides ? Est-ce une question de déficience fondamentale de notre humanité ? Ce n’est pas parce que nous sommes insensibles à la souffrance de nos pairs humains si l’on considère les extraordinaires efforts que nous faisons pour sauver une personne en détresse. Ce n’est pas parce que nous ne nous soucions que des victimes proches de nous, de la même couleur que nous, qui vivent près de nous, puisque nous pouvons constater le flot des aides aux victimes du Tsunami de Décembre 2004. Nous ne pouvons pas simplement blâmer nos leaders politiques. Derrière chaque président qui ignora un massacre existaient des millions de citoyens indifférents. Ce n’est pas la crainte de perdre des vies proches (celles de compatriotes) puisque nous ne mettons même pas en œuvre des actions sans risques telle que le simple avertissement ou l’expression de notre désaccord. À l’inverse nous restons silencieux en nous détournant. S’agit-il d’un manque d’imagination, comme face au mal moral qui, passé certains seuils, devient trop grand pour que l’être humain, même s’il en est responsable, ne puisse le concevoir ? Une infirmité psychologique qui serait celle de tous les humains, un écart Prométhéen ? Sommes-nous incapables de nous représenter une humanité entière en proie à la destruction ? Nos émotions entraveraient-elles toute éthique, toute compassion et finalement toute action ? Ne devenons-nous pas simplement banals dans notre considération littérale des risques et des crises dont il est plus facile de ne retenir qu’un nombre de victimes face à un événement ?

20En parcourant différents travaux, nous allons découvrir que si la dimension symbolique est souvent à prendre en considération pour toute analyse humaine d’une organisation, en même temps, la dimension du banal, du littéral, révèle un abîme, une absence totale de symbolisation, et cet abîme est à la fois source de résilience parce qu’elle absorbe toute symbolisation déstructurante telle que l’épouvante et la déraison, et à la fois, source de vulnérabilité parce qu’elle se substitue à toute dynamique d’action. Malgré cette dualité, l’objectif reste le même, celui d’accompagner les êtres humains en danger, professionnels tout autant qu’impliqués en leur donnant les clefs d’une pensée résiliente.

21Ainsi, nos travaux nous ont conduits à découvrir l’importance de la pensée banale, une pensée à haut risque, et à considérer avec la plus grande attention deux dimensions d’élaboration possible : les dynamiques individuelles et les dynamiques sociales. Cet article se présente donc en trois temps :

  • La pensée banale : échec ou réussite face à l’épouvante et à la déraison.
  • Les dynamiques individuelles face aux crises comme phénomènes d’épouvante.
  • La société humaine face aux risques et ses déraisons.
Notre conclusion tentera de montrer les multiples facettes de la pensée résiliente.

La pensée banale : échec ou réussite face à l’épouvante et à la déraison

La pensée sociale : approche culturelle de la représentation des risques

22Les processus culturels de construction de représentations sociales des risques nous paraissent incontournables comme dynamique de la pensée des individus dans les contextes à risque (Specht et al., 2006). Ils sont les résonances d’une communication – est-il nécessaire de préciser sociale ? Ils dissimulent les possibilités, ces temporalités mêlées, conscientes et inconscientes, et les suggèrent, révélant ainsi ce que la surface ne pourrait tolérer. À la fois familiers et secrets, les processus culturels précèdent les interactions. Ils leurs sont, dans le champ social, ce que l’intention est à l’action dans le champ psychologique. En quoi s’agit-il d’une pensée sociale ?

23Willem Doise (2007) résume l’ambiguïté sous-jacente de la psychologie sociale dans son oscillation entre une vision individualiste et une vision collectiviste.

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« D’un côté, nous étudions les individus comme raisonneurs, preneurs de décisions, planifiant leurs actions, parfois même, exprimant leurs émotions et, d’un autre côté, nous les considérons comme des sortes d’agents passifs, par lesquels des dynamiques, qui viennent d’ailleurs, s’expriment. »

25Il nous semble que ces deux visions opposent pensée individuelle et pensée sociétale. L’approche culturelle des représentations sociales tente de tisser les liens entre ces deux visions. Elle met en avant une pensée sociale, en tant qu’ensemble de processus culturels, à l’interstice de la pensée individuelle et de la pensée sociétale.

26Parlant de culture, il est naturel de retrouver, ne fut ce qu’un passage, le champ de l’anthropologie. Ainsi, Morgan (1871) considérait-il que les systèmes de parenté reflètent les formes de développement des sociétés [7]. En identifiant l’existence des mêmes structures de parentés chez les Dravidiens du Sud de l’Inde et chez les Iroquois, il révéla des lois sous jacentes. Il mit l’accent sur les similarités des systèmes de parenté qui renvoyaient aux effets des temps historiques et économiques. Pourtant, Morgan s’est arrêté aux liens directs entre la parenté biologique et les conditions sociales. Il aurait pu faire aboutir son intuition et constater ainsi que la parenté, structurant les interactions, relève aussi de processus culturels. Ainsi, l’attribution d’un même nom au père et au frère ne traduit elle pas seulement un héritage social mais le respect égal envers les deux parentés. Aussi peut-on considérer, à la suite de Tylor (1871), fondateur de l’ethnologie, que la culture renvoie à l’ensemble des normes, valeurs et croyances partagées par un groupe social. Dans cette acception, la culture traduit un espace sociale (attaché à un groupe socialement défini) et symbolique (porteur de symboles signifiants) dans lequel s’inscrivent les représentations des individus. À travers les processus de construction des représentations, on peut donc cerner l’impact des processus culturels. Moscovici (1961) définit deux processus fondamentaux dans la construction des représentations sociales : l’objectivation et l’ancrage. Dans quelle mesure et comment retrouve t’on ces processus dans les représentations du risque ?

27Janis et Mann (1977) mettent en avant la « pensée de groupe » qui découle de l’homogénéité des représentations du risque au sein d’un groupe. Ces auteurs montrent le développement potentiel d’un optimisme excessif face au danger au sein d’un groupe qui favorise la cohésion et l’amiabilité entre les membres du groupe. On peut attribuer l’optimisme excessif à une construction sélective des représentations en fonction de l’univers culturel et des valeurs du groupe ; la cohésion et l’amiabilité résultant de la valeur fonctionnelle et interprétative des représentations ; chaque individu adoptant ainsi l’identité de son groupe.

28Bandura (1986) relève que l’impact des facteurs psychosociaux s’établit surtout par imitation. Derrière cette terminologie, on retrouve le critère normatif du processus d’objectivation de la représentation : il faut penser et agir selon la norme du groupe. Cialdini (1989) retrouve cette hypothèse en précisant que les individus déterminent la pertinence de leurs comportements en les comparant avec ceux des autres. Pour Perretti-Wattel (2003), citant Douglas et Wildawsky (1982),

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« en choisissant un mode de vie, nous choisissons également de courir certains risques. Chaque forme de vie sociale a son propre portefeuilles de risques. Partager les mêmes valeurs, c’est aussi partager les mêmes craintes, et inversement les mêmes certitudes ».

30Autrement dit, les représentations du risque sont déterminées, en partie au moins, en fonction des valeurs d’un groupe, au sens social du terme. Ces valeurs portent implicitement une hiérarchie des risques valable pour l’ensemble du groupe.

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« Nos valeurs nous fournissent des critères pour hiérarchiser le risque […] Chaque groupe assure sa cohésion en procédant par régulation : focalisation ou détournement des individus sur certains risques ».

32Il nous apparaît ainsi que les représentations sociales du risque sont le fruit de processus culturels qui s’articulent autour de l’objectivation et de l’ancrage des représentations. Le risque se construit culturellement à travers ces deux processus. « Le risque est d’abord culturel parce que la perception que nous en avons est culturellement définie » Peretti-Watel (2003). Il s’agit d’un biais culturel dans les représentations du risque par objectivation et ancrage dans un système de valeurs et de croyances propres à un groupe socialement structuré. Quant à l’action résultante face au danger, la pression sociale s’exerce en poussant à prendre ou non des risques en fonction des croyances sur les conséquences du comportement et sur l’évaluation de ces conséquences (Fishbein et Ajzen, 1974). Il s’agit de normes sociales subjectives qui déterminent les attitudes et les actions consécutivement privilégiées par les individus face au danger. Par exemple Kogan et Wallach (1964), montrent que les décisions de groupe aboutissent à des prises de risques plus élevées (donc différentes) des prises de risques individuelles. Suivant la même approche culturelle du risque, Douglas et Calvez (1990) ont également étudié les opinions et représentations à l’égard du Sida. Ils ont établi que la prise de risque était liée aux représentations du risque en lien avec les représentations du corps et les connaissances sur le Sida. Ainsi, l’ensemble des travaux susmentionnés ouvre la voie d’une conception des représentations des risques comme le produit de processus culturels fondés sur l’objectivation et l’ancrage social.

33En 1994, Bourdieu formalise cet ancrage culturel des représentations. Au sein d’un espace social et symbolique propre à une culture donnée – positionnement social des individus qui découle directement du capital culturel et du capital économique, les individus suivent des « habitus » et adoptent en conséquence des « pratiques » cohérentes. Les habitus sont des dispositions sociales qui unifient les pratiques individuelles. Les pratiques sont des « styles ou manières » relevant de prises de positions ou choix individuelles.

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« L’habitus est ce principe générateur et unificateur qui retraduit les caractéristiques intrinsèques et relationnelles d’une position en un style de vie unitaire, c’est-à-dire un ensemble unitaire de choix de personnes, de biens, de pratiques. […] Une des fonctions de l’habitus est de rendre compte de l’unité de style qui unit les pratiques et les biens d’un agent singulier ou d’une classe d’agents ».
Pierre Bourdieu [8]

35Dans cette définition des habitus et des pratiques, Bourdieu (1994) rejoint le « Conatus » de Spinoza, c’est-à-dire la tendance pour les individus à perpétuer leur « être social » avec tous ses pouvoirs et ses privilèges à travers des stratégies de reproduction sociale : stratégie de fécondité, stratégie matrimoniale, successorales économiques et surtout éducatives. Les habitus constituent les principes générateurs du « conatus ». Elles rendent compte de l’unité intra groupe et des différenciations inter groupes s’exprimant en particulier à travers des symboles et langages communs aux individus d’un même groupe et distinctifs des autres groupes.

36Ainsi concrètement, « le golf » aura pour un groupe social valeur de prétention et de vulgarité tandis qu’il sera un gage d’élégance et de raffinement pour un autre groupe social. S’en suivront l’identification d’un individu comme appartenant ou se différenciant de l’un ou l’autre groupe en fonction de sa prise de position individuelle. Marx dans ces lettres à Annenkov (1846)[9] nous indique que

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« les hommes produisent aussi les relations sociales dans lesquelles ils produisent le drap et la toile […] Les hommes produisent les relations sociales conformément à leur productivité, produisent aussi les idées, les catégories, c’est-à-dire les expressions abstraites, idéelles de ces mêmes relations sociales »

38Ce modèle culturel privilégie une vision sociale fonctionnelle et relationnelle de l’individu à une vision substantielle. Le mode substantiel consisterait à traiter les activités et les préférences propres de chaque individu et de son groupe comme des propriétés substantielles, inscrites définitivement dans le biologisme ou l’hérédité. Ce mode est considéré par Bourdieu comme celui du sens commun et du « racisme ». Par opposition, le mode relationnel met en avant l’espace sociale comme l’ensemble « de positions distinctes et coexistantes, extérieures les unes aux autres, définies les unes par rapport aux autres, par leur extériorité mutuelle et par des relations d’ordre ».

39Si ce système est universel, chaque instanciation est disséminée. Concernant le risque, il serait donc possible d’identifier les habitus et les pratiques de groupes sociaux et d’individus. Moatti et al. (1990) concluant dix ans de travaux sur les réactions des individus face au sida, mettent en avant l’existence de processus culturels dans les jugements et les conduites face au risque. À partir de ses travaux sur les risques technologiques, Anthony Giddens (1991) définit ces processus culturels comme un mode de représentation des risques, mobilisé au quotidien. Ce mode mobilise ce que Giddens appelle « gage symbolique ». Il s’agit d’un instrument d’échange qui définit « une valeur standard valable quel que soit le contexte, et qui peut circuler partout, en tout instant, entre des individus ou des groupes quelconques ». Le gage symbolique est la valeur donnée par les individus au risque technologique en terme de confiance ou sentiment de sécurité justifié ou non en fonction de la fiabilité du système dans un cadre donné. À propos des risques technologiques, cette confiance reste toujours ambivalente :

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« Beaucoup de gens, en fait, font un pacte avec la modernité en faisant confiance aux gages symboliques et aux systèmes experts. Ce pacte est placé sous le signe d’un mélange de déférence et de scepticisme, de confort et de crainte. »
Anthony Giddens [10]

41Avec les travaux de Giddens, nous rejoignons finalement les travaux déjà évoqués de Janis et Mann (1977) sur l’homogénéité des représentations du risque au sein d’un groupe ; comme ceux de Bandura (1986) sur l’imitation ; ou ceux de Cialdini (1989) sur la recherche de conformité au groupe et d’identité sociale.

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« Dans le contexte moderne […] les différents théâtres sociaux sont complètement pénétrés et façonnés par les influences sociales très lointaines. Le site n’est plus seulement structuré par ce qui est présent sur scène ; la forme visible de la scène dissimule les relations à distance qui déterminent sa nature. »
Anthony Giddens [11]

La pensée banale : une pensée sociale à élaborer

43La pensée banale représente une forme de pensée sociale extrême. Lorsqu’Hannah Arendt eut recours au concept de banalité [12], elle associa définitivement réductionnisme intellectuelle et moral – excluant tout supplément d’âme ou de mystique (Bergson, 1932). Cette analyse de la banalité, pour la finesse de l’articulation, du sociétale au psychologique et pour son extrême justesse dans l’explicitation des événements historiques et politiques, n’a cessée d’être reprise jusqu’à nos jours. Ainsi, récemment, Nicolas Grimaldi (2005) associe banalité, platitude et totalitarisme. Dans un contexte de crise, porteur de ruptures profondes, en quoi peut-on parler de pensée banale en regard de la pensée sociale ? En quoi cette approche peut-elle éclairer des situations de risques plus ordinaires ? Est-ce en vertu d’une articulation de la pensée banale de l’individuelle au sociale ou en vertu de la nature de la pensée en situation de crise ou même de risque ?

De l’articulation entre représentations sociales et mentales

44Face aux dangers qu’elle rencontre, la société comme l’individu, élabore des représentations associées aux risques encourus : représentations sociales et mentales des risques dont découlent les cadres et les formes des activités sociales et individuelles (Moscovici, 1961). Une représentation porte sur un objet : c’est toujours une représentation de quelque chose. Elle implique des processus tels que des formes de symbolisation, d’interprétation ou d’attribution de signification. Elle est avant tout un savoir pratique en lien avec l’expérience sociale et de son objet, orientant les conduites, en tant qu’instrument de régulation et de planification. Nous nous inscrivons à la croisée de deux paradigmes classiques en Psychologie : celui de la psychologie cognitive et celui de la psychologie sociale. Aussi, articulons-nous les notions de représentation mentale et sociale.

45Une représentation mentale est une entité de nature cognitive reflétant dans le système mental d’un individu une fraction de l’univers extérieur et servant d’instrument de régulation et de planification de ses conduites ; Une représentation sociale est une forme de connaissance courante, dite de « sens commun » caractérisée par un développement partagé socialement, une visée pratique d’orientation des conduites et une appartenance à un univers socialement et culturellement délimité.

46Nos recherches se sont ainsi focalisées autour de deux pôles : celui des représentations et celui des activités. D’un côté, nous tentons de savoir qu’est-ce que le risque pour l’être humain, de l’autre, nous en recherchons les conséquences dans ses activités (Leplat, 1992).

47Le lien entre activités et représentations est dual. Des représentations aux activités, nous reprenons la position philosophique de Bourdieu (1982) qui inscrit les actions humaines comme les résultantes des dispositions données par les caractéristiques internes des agents confrontées et amendées par les caractéristiques externes des situations avec lesquelles ils sont en relation. Il s’agit d’une philosophie de l’action dispositionnelle c’est-à-dire prenant « acte des potentialités inscrites dans le corps des agents et dans la structure des situations où ils agissent ou, plus exactement dans leur relation » (Bourdieu, 1994). Des activités aux représentations, nous avons adopté un point de vue constructiviste qui considère le développement humain, psychologique ou social, comme la construction progressive de structures psychologiques corrélativement stables. Il en découle une approche des activités comme les matrices de ce développement en même temps que les produits des représentations. Nos recherches intègrent donc dans une même perspective la modélisation des représentations des risques dont disposent les individus, et l’analyse de leurs activités en tant que conduites planifiées comme improvisées. Nous inscrivons les représentations des risques dans une articulation entre :

  • les processus ou fonctionnements psychologiques et sociaux qui en régissent l’élaboration et l’évocation,
  • leur objet, un ou pluriel, qui renvoie à leurs contenus (idéatifs, imaginaires ou symboliques)
  • et les « créations » associées, selon la terminologie de Vygotsky (1985) comme de Meyerson (1987), qui renvoient à leurs supports (productions individuelles ou collectives, dispositifs matériels, etc.) et médias (conversationnels, médiatiques, institutionnels par exemples).
Nous recroisons ici l’approche culturelle et la définition, plus étendue, de la culture, donnée par Kroeber et Kluckhohn (1952) :

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« Culture consists of patterns, explicit and implicit, of and for behavior acquired and transmitted by symbols, constituting the distinctive achievements of human groups, including their embodiments in artifacts; the essential core of culture consists of traditional (i.e. historically derived and selected) ideas and especially their attached values; culture systems may, on the one hand, be considered as products of action, and on the other as conditioning elements of further action. »

49Aussi les représentations des risques sont elles les formes de connaissances portant sur l’objet risque et nos recherches tentent d’élaborer des hypothèses crédibles sur la structure et la dynamique de leurs contenus, de leurs processus et de leurs véhicules. Cette analyse nous permet de rattacher nos travaux à la longue tradition d’études de l’herméneutique structuraliste. Sans prétendre au développement d’une théorie d’interprétation des éléments symboliques d’une culture des risques, il s’agit pour nous de découvrir les principes d’une construction représentationnelle de l’objet risque qui détermine les correspondances entre le risque, l’être humain et la société.

De la nature réductrice de la pensée

50Au-delà du fonctionnement affectif et émotionnel individuel et des dynamiques organisationnelles, nos travaux indiquent qu’il existe un processus de pensée sociale permettant d’agir mais risqué et souvent néfaste : la pensée banale. Ce que nous appelons banal est la réponse malheureuse à une nécessité dans laquelle se trouve une organisation en situation de crise, nécessité d’évacuer l’affectif et l’émotionnel, nécessité de lutter contre les dynamiques organisationnelles, nécessité d’élaborer un raisonnement désincarné. Ce raisonnement, comme l’exprimerait Gille Deleuze (1962), ne se résume pas à une erreur ou même à un tissu d’erreurs, mais à une manière de se tromper fondée sur le non sens de la pensée, c’est-à-dire sur une analyse littérale faîte de certitudes. On rejoint ici le point de vue de Christian Godin (2007), le lieu commun ne se discute pas, il est performatif. Aussi, une organisation en crise aura t’elle recourt instinctivement à ce type de raisonnement. Il ne s’agit pas de faire un « éloge de la folie » comme Erasme, ni, non plus, un « éloge de la bêtise » comme Jean-Paul Richter, mais plutôt de référer au trop humain de Nietzsche. Les caractéristiques de la pensée banale seraient : l’évacuation des symboliques affectives et émotionnelles, l’élimination des incertitudes, le raisonnement par association d’idées, le recours systématique aux idées reçues, une sémantique univoque et prédéterminée.

51La pensée banale permet de prendre des décisions et d’agir collectivement mais elle augmente les risques. Nous avons procédé à une analyse d’une organisation industrielle implantée en Chine (Jacques, Specht, 2006). L’ensemble des données concernait 1500 ouvriers environ et montre une banalisation de la perception des risques. Les ouvriers se montrent « sur confiants », peu sensibles aux risques et dépourvus d’esprit critique. Leurs raisonnements reposent sur quelques certitudes vides : « travailler, c’est comme ça ; un opérateur valeureux n’a pas peur de faire certaines opérations ; sur ces machines, le travail n’est pas dangereux ; la production est la priorité ». Ces banalités autorisent ou motivent même des comportements d’une extrême dangerosité et conduisent à de nombreux et graves accidents - membres et bustes écrasés, brûlures intenses, coupures profondes – mais « cela fait partie du métier ».

52Nous disposons également d’un ensemble de données de situations accidentogènes sur des chantiers de construction, recueillies en situation d’autocon-frontation par l’équipe du Professeur Philippe Lorino en collaboration avec l’équipe du Professeur Yves Clot. Dans ces situations accidentogènes, les arguments avancés lors des réunions observées révèlent la banalisation de la pensée. Ainsi, peut-on citer quelques certitudes édifiantes relevées par Benoît Tricard dans son travail de doctorat : « les intempéries sont imprévisibles donc on ne les prévoit pas ; les experts techniques ne sont pas d’accord donc on n’en tient pas compte ; personne ne respecte les procédures donc elles ne servent à rien ». Une liste plus longue ne serait pas plus édifiante.

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« Nous apprenons en nous soutenant mutuellement par un ensemble d’habitudes, non pas inconscientes, mais négligentes et expertes, à ne pas faire exister ce dont nous ne parlons pas. »
Eric Chauvier [13]

54Nous faisons sans doute bien plus qu’apprendre mais penser le monde à travers cet ensemble d’habitudes en nous soutenant mutuellement de façon subconsciente pour que n’existent pas les risques dont nous ne pouvons parler, nous lui substituons une pensée banale, une pensée pourtant à haut risque. De quels moyens dispose-t-on pour contourner une pensée trop banale ? Sur quels processus s’appuyer pour développer une pensée résiliente. La pensée doit élaborer, élaborer pour prévenir les risques et dépasser les crises. Nous en proposons deux voies : celle des dynamiques individuelles ; celle des dynamiques sociales.

Les dynamiques individuelles face aux crises comme phénomènes d’épouvante

Affects, émotions, décisions, actions

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« S’il souffraient, comme j’avais souffert devant la grande action, ce n’était pas seulement à cause de la terreur et de la vue du sang, mais à cause de la terreur et de la douleur des condamnés ; et de même, ceux que l’on fusillait souffraient souvent plus de la douleur et de la mort devant leurs yeux, de ceux qu’ils aimaient, femmes, parents, enfants chéris, que de leur propre mort, qui venait à la fin comme une délivrance. L’inaltérable solidarité de l’humanité. L’autre existe en tant qu’autre, en tant qu’être humain et aucune volonté, aucune idéologie, aucune quantité de bêtise et d’alcool ne peut rompre ce lien, ténu mais indestructible. »

56Au-delà de cette citation troublante de Jonathan Littell [14], une ample littérature en Psychologie documente l’importance de l’affect comme support de la signification d’une information et motivation du comportement (Mowrer, 1960 ; Tomkins, 1962, 1963 ; Zajonc, 1980 ; Clark, Fiske, 1982 ; Le Doux, 1996 ; Forgas, 2000 ; Barret, Salovey, 2002). Sans affect une information n’aura aucun sens et ne sera pas utilisée dans les jugements et les processus de décision. Citons également Lowenstein, Weber, Hsei, Welch (2001) ; Slovic, Finucane, Peters, McGregor (2002). En plus des affects élémentaires positifs et négatifs, des émotions plus nuancées telles que l’empathie, la sympathie, la compassion, la tristesse, la pitié et l’inquiétude sont considérées comme essentielles pour motiver les personnes à en aider d’autres (Coke, Batson, McDavis, 1978 ; Eisenberg, Miller, 1987).

57En situation de crise, les impliqués comme les intervenants subissent ce que nous appelons à la suite de Batson (1972) une injonction paradoxale mais cette injonction est interne : ressentir et ne pas ressentir pour agir. Affects et émotions sont nécessaires à l’action et à la décision mais ils sont aussi la source d’une épouvante, d’un saisissement pétrifiant. Ce phénomène de rupture et de chaos existe au plan social, ainsi qu’Aharon Appelfeld (2006) l’écrit

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« Dans une génération où la solidité des convenances a été détruite, les émotions sont venues au premier plan […] Pour nos parents, ce fut la perte d’un monde, tout ce à quoi ils croyaient fut balayé en un seul jour. Il ne resta rien que leur judaïté nue. »

59Ce phénomène existe également au plan individuel. Ainsi l’exprime Rainer Maria Rilke [15]

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« On se retrouve là comme désintégré, toute volonté, toute conscience, tout désir, toute défense est perdue. On se retrouve là comme un emplacement vide. »

61Dans le cas des intervenants, l’événement source peut être, comme pour les victimes, la confrontation à une violence directe et objective ou celle à une violence indirecte et subjective. Un schéma d’action mobilisateur pour l’activité, le sauvetage des victimes et le contrôle de l’événement dangereux peuvent naître à partir d’affects et d’émotions positives. Tandis qu’un schéma d’action inhibiteur, l’échec du sauvetage et l’amplification de l’événement, s’ancre dans des affects et des émotions négatives ; ces derniers peuvent submerger les intervenants et envahir de façon intrusive l’ensemble de l’organisation et ses processus de décision et d’action.

L’enjeu des affects chez les intervenants

62Au cours d’une simulation d’intervention impliquant 400 intervenants dans le sauvetage de victimes d’une inondation, nous avons recueilli les témoignages les plus marquants des sujets (Specht, 2007 ; Specht, Planchette 2008). Ainsi un pompier volontaire de 30 ans, célibataire et sans enfants, nous raconte qu’il s’est engagé dans cette profession depuis 2 ans. Il intervient dans une situation d’accident de la route impliquant un groupe d’enfants de maternelle et leurs encadrants. Quelques enfants se sont faits fauchés par une voiture sur le côté de la route. Les encadrants et les autres enfants sont indemnes. Ces derniers se sont éparpillés dans un champ à proximité. Les encadrants s’occupent tant bien que mal des enfants blessés. Lorsqu’il arrive sur le site, il est d’abord frappé par le bruit qui contraste avec le silence habituel qui régnait sur les sites de ses précédentes interventions. En tant que jeune recru, il est chargé d’aller chercher les enfants indemnes. Devant l’absence totale de réaction de ces derniers et leur prostration, il se trouve dans l’incapacité d’intervenir. Toute parole est inefficace et donc exclue. Il ne pensera pas à porter les enfants, même petits, jusqu’au camion. Il retournera au camion seul. Un autre prendra en charge l’intervention. Au moment de son témoignage, environ un an plus tard, il affirme ne pas savoir s’il serait capable d’intervenir si la même situation se reproduisait.

63Un autre cas éclaire un peu plus le processus. Il s’agit du déterrement de deux jeunes femmes. L’équipe utilise un tractopelle dont le meurtrier s’est servi pour enterrer ses victimes. Un agent de la protection civile est chargé de diriger la manœuvre depuis le sol tandis qu’un autre pilote le tractopelle.

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« Le trou commençait à être assez large et profond. Et on voyait toujours rien. Le conducteur lui il voyait plus rien. Alors je suis descendu dans le trou pour diriger le tractopelle par radio. Bon, il y avait mon collègue en haut au cas où mais bon tu vois j’étais dans le trou. Et puis, on continue à creuser et à la fin je le voyais plus mon collègue. Il commençait à faire sombre. Et puis j’étais plein de terre de la tête au pied [silence] Et là, je sais pas comment il a fait, il les a récupérées d’un coup, les deux d’un coup [silence] pleine de terre dessus. On les voyait pas bien mais elles pendaient, tu vois allongées [silence] c’était bizarre de les avoir récupérées comme ça entières toutes les deux d’un coup, allongées [silence] Moi je les regardais parce qu’elles étaient dans la pelle comme çà, c’était … [silence] Et bon je dirigeais le tractopelle alors il fallait faire attention à pas les abîmer. Tu vois ces engins là ça fait des dégâts, c’est pas délicat une pelle … [silence] Et c’est là j’ai vu un pied qui pendait. Il était sale, c’était un pied mais il était si petit. Alors c’est là [silence] j’ai pensé à ma fille qui a 8 ans et je me suis dis, c’est pas possible, c’est des petites filles [silence] c’était pas des jeunes femmes. Tu vois elles avaient le même âge que ma fille. Tu vois c’étaient des petites filles. C’était la même taille de pied [silence] Alors là il a quand même fallu finir le boulot et je suis sorti du trou et puis après on a fait notre boulot parce qu’on est des professionnels. »

65L’intervenant a souhaité, après relecture de son témoignage, ajouter une information supplémentaire :

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« Suite à la remontée de ces deux corps, l’attente des légistes fut longue et, pendant ce temps, la froideur de la juge d’instruction vis à vis des dépouilles m’a profondément heurté. »

67Au-delà des affects élémentaires : bruits perçus négativement, absence de réaction des enfants paralysante, ou vision terrifante des corps allongés, les émotions se développent autour d’un champ sémantique : un pied d’enfant, une enfant chérie, des petites filles. C’est ainsi que lorsqu’il s’agit d’enfants victimes leurs réalités (corps, paroles ou actes) éveillent un ensemble de significations, de symboles (individuels et collectifs) qui envahissent peu à peu la pensée des sujets. L’angoisse se propage handicapant alors gravement voir définitivement l’action des intervenants.

68Gunter Anders (2002) évoque le fait qu’une fois certains seuils dépassés, notre pouvoir d’agir excède infiniment notre capacité de sentir et d’imaginer. Il appelle cet écart irréductible, un écart Prométhéen. Hannah Arendt a diagnostiqué un manque d’imagination (Roviello et Weyembergh, 1992). Ce qui s’appliquerait pour les intervenants est le concept d’une infirmité non pas d’un homme en particulier mais de tous les hommes lorsque leur capacité de détruire ou la destruction en elle-même, devient disproportionnée à la condition humaine. De la même façon, un ensemble de travaux montrent que la compassion et l’action qu’elle motive n’est suscitée qu’en deçà d’un nombre de victimes relativement faible tel que 8 ou même 2 dans certaines études. Par exemple, les sujets sont plus volontaires pour aider des individus identifiables et moins pour un nombre de victimes plus important. Citons Kogut et Ritov (2005) ; Shelling (1968) ; Small, Lowenstein (2003, 2005) ; Jenni, Lowenstein (1997) ; Small, Loewenstein, Slovic (2006). Ainsi, en réagissant selon les normes ordinaires à une situation qui excède toutes nos ressources affectives et émotionnelles, donc morale, toute personne se montre simplement saine d’esprit et responsable de ses actes en tant qu’être humain.

69Il faut bien noter la conclusion du deuxième témoignage : « on a fait notre boulot parce qu’on est des professionnels ». Lorsque l’intervenant recentre ses affects et émotions sur son statut de professionnel, son savoir-faire, sa profession, son éthique, il lui devient possible d’intervenir. Ainsi répond-il à notre questionnement initial. Lorsque notre regard se porte sur des catastrophes majeures, comment expliquer que le chaos nous ferme les yeux ? Quelle physique élémentaire de la subjectivité pourrait orienter l’élaboration d’une organisation humaine capable d’affronter les catastrophes et de traverser les situations de crise ? Affects et émotions tissent le pouvoir ou l’incapacité d’action.

La société humaine face aux risques et ses déraisons

L’approche psychosociale des organisations

70Si l’on fait nôtre, comme Bruno Chauvin et Danièle Hermand (2006), la définition de Slovic (2000, 1976) « étudier la perception des risques consiste à examiner les opinions que les individus expriment lorsqu’ils doivent évaluer des technologies, substances ou activités, plus ou moins risquées. », trois approches sont possibles [16].

71L’approche psychométrique, approche de la psychologie expérimentale, répond à deux questions : Pourquoi certaines activités, substances ou technologies sont-elles perçues plus risquées que d’autres ? Pourquoi certains individus perçoivent ils un ensemble d’activités, substances ou technologies plus risquées que d’autres individus ? Cette approche éclaire la construction subjective du risque la différenciant de l’évaluation objective. Elle a notamment mis l’accent sur les biais ou heuristiques d’évaluation (e.g. Tversky, Kahneman, 1973 ; Harris, Middleton, 1994).

72Selon l’approche culturelle, approche de l’ethnologie, dont le modèle de Marie Douglas est le représentant, la perception des risques est étroitement liée aux structures et caractéristiques des différents groupes sociaux. Avec Wildawsky, elle propose un modèle type en deux dimensions (grid-group) et quatre groupes sociaux. Dans ses travaux sur les mouvements écologiques américains des années soixante, Marie Douglas (Douglas et Wildavsky, 1982) a clairement établi les liens entre culture, représentations du risque et action. Elle structure les processus culturels autour de deux axes : un axe de limitation externe (Group) qui marque le processus de différenciation des individus du groupe vis-à-vis des autres groupes (différenciation fortes ou faibles) et un axe de limitation interne (Grid) qui marque le processus de régulation des relations entre les membres du groupe (fortement hiérarchique ou faiblement hiérarchique). En fonction de la position de chaque individu sur ces deux axes, Marie Douglas définit quatre catégories de représentations du risque :

  • Celles des bureaucrates (différenciation et hiérarchie fortes) : aversifs et aveugles aux risques ;
  • Celles des exclus (différenciation faible et hiérarchie forte) : subissant les risques ;
  • Celles des sectaires (différenciation forte et hiérarchie faible) : associant les risques à des catastrophes pour l’humanité ;
  • Celles des indépendants (différenciation et hiérarchie faibles) : valorisant les risques.
Pour Marie Douglas, différents comportements des individus face aux institutions peuvent être associés à ces représentations. Les bureaucrates seront plutôt confiants envers les informations données par les institutions scientifiques et politiques. Les exclus prêterons plus d’attention aux sens communs et aux savoirs obsolètes. Les sectaires ne feront confiance qu’à leurs propres experts. Enfin, les indépendants feront confiance aux autorités légitimées et à l’innovation.

73Kohlberg (1973) propose une réflexion sur le fonctionnement des systèmes organisationnels de gouvernance en termes de développement moral. Suivant son approche, plusieurs niveaux de raisonnement peuvent être à la source des décisions d’un système et des négociations entre institutions, groupes et individus. Ces niveaux de raisonnement correspondent à plusieurs niveaux de développement moral. Un niveau pré conventionnel mettant en avant les intérêts performatifs de chacun, un niveau conventionnel qui articule législation et respect des usages, un niveau post-conventionnel qui se fonde sur les croyances et valeurs sociales. Kohlberg explique par ce modèle les conflits internes, intra institutionnels ou intra individuels, liés à une tension entre intérêts et attention à autrui ou entre règlement et loyauté. Suivant une généralisation du modèle de Kohlberg dans une perspective relationnelle, interinstitutionnelle ou inter individuelle, on peut faire l’hypothèse que les interactions post conventionnelles seraient plus conflictuelles que les interactions conventionnelles, celles-ci étant elles-mêmes plus conflictuelles que les interactions pré-conventionnelles. Mais elles pourraient aussi se répartir en différentes modalités en fonction de deux dimensions : intégrative (différents niveaux de raisonnement sont intégrés dans un système plus ou moins cohérent) versus exclusive (les différents niveaux de raisonnement sont hiérarchisés et un niveau est privilégié) ; opportuniste (le raisonnement est avancé en fonction de son efficacité pour l’institution, le groupe ou l’individu) versus systématique (le raisonnement est avancé de façon constante et répétitive). Les interactions seraient alors plus ou moins conflictuelles en fonction de la modalité de discussion choisie par les acteurs : les raisonnements intégrateurs et opportunistes (plusieurs niveaux mais pas toujours les mêmes) susciteraient le plus de conflits tandis que les raisonnements exclusifs et systématiques (un seul niveau et toujours le même) susciteraient le moins de confits ; les raisonnements exclusifs/opportunistes (un seul niveau mais pas toujours le même) et ceux intégrateurs/systématiques (plusieurs niveaux et toujours les mêmes) étant intermédiaires. Ainsi, une organisation devrait-elle se penser avant de raisonner.

74Les remarques pessimistes de Paul Veyne (1976) font certes ressortir l’optimisme un peu naïf de Kohlberg :

75

« La politique est prise en charge d’intérêts, collectifs ou non, par la collectivité, et elle a pour idéal la justice ; la politique est conservation en bon état de marche de la collectivité et de l’État et elle a pour idéal que la machine continue à fonctionner. Ces deux idéaux ne se recouvrent que rarement (…) Tout cela est tragique, c’est-à-dire insoluble en dernière instance. » [17]

76Mais, si on relève, certaines évolutions règlementaires majeures, il est légitime de penser que la recherche d’équilibre entre ces idéaux n’est pas vaine, irrémédiablement.

77Ainsi, en France, la loi du 22 juillet 1987 (article 7), portant sur la prévention des risques de toute nature ainsi que sur la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes, a permis la création du plan ORSEC national (ORganisation des SECours) et du COGIC (Centre Opérationnel de Gestion Interministérielle des Crises). Elle sera renforcée par la Loi n°2004-811 de Modernisation de la Sécurité Civile du 13 Août 2004.

78La situation juridique française quant aux catastrophes naturelles découle de la loi du 13 Juillet 1982 ainsi que de celle du 2 Février 1995. La première instaure la publication d’arrêtés pour les événements d’intensité anormale et non assurable. La seconde loi, préconise l’instauration de mesures sur l’urbanisme, la construction et la gestion des territoires à partir d’un Plan de Prévention des Risques naturels obligatoire.

79Concernant les risques technologiques, les directives européennes SEVESO I, du 21 Décembre 1982, et SEVESO II, du 9 Décembre 1996, régissent les accidents dits majeurs. Elles ont pour objet la prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses et la limitation de leurs conséquences pour l’homme et son environnement, afin d’assurer de façon cohérente et efficace dans toute la communauté européenne des niveaux élevés de protection. En France, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, relative à la prévention des risques technologiques et naturels, et à la réparation des dommages, ajoute de nombreuses obligations et établit une responsabilité pénale en cas d’infraction.

80La dernière approche, l’approche de la psychologie sociale, est une approche constructiviste mettant en avant les dynamiques humaines qui se développent en situation de danger, les résonances, entrecroisements d’influences entre phénomènes concomitants, les relations transactionnelles de l’humain impliqué dans une situation. S’agissant pour nous de comprendre comment une organisation peut être capable d’affronter une catastrophe et de traverser les situations de crise, cette approche est la plus à même de dévoiler les correspondances et interactions croisées entre individus face au danger. Joseph de Maistre [18] l’écrit : Qu’est-ce qu’une bataille perdue ? C’est une bataille qu’on croit avoir perdue. Ainsi, pourrait s’ouvrir le débat sur les qualités organisationnelles nécessaires à la maîtrise des risques et à la gestion de crise. Il ne suffit pas de développer haute technologie et expertise pour faire face au danger. Un tissage d’humanité transcende les organisations. Et c’est de lui, de ses peurs et de ses égarements que dépendent leur robustesse et leur résilience. De quelles matières, de quelles dynamiques, ce tissage est-il fait ?

81Les approches, portant plus directement sur le management des risques et la gestion de crises, mettent en avant les caractéristiques qualitatives des systèmes organisationnels qui en augmentent ou en diminuent la fiabilité. La fiabilité organisationnelle est considérée comme la capacité de l’organisation à agir de façon performante. Koch (1993) met en avant les qualités de réactivité et d’adaptation, l’ouverture sur les autres organisations, la confiance et l’attitude interrogative, la clarté des rôles et responsabilités, ainsi que la maturité. Weick (2001) quant à lui analyse les phénomènes de construction collective des significations situationnelles comme fondement des capacités de décision et d’action organisationnelles.

82La prise en compte des dynamiques sociales invoque, en même temps, comme la psychologie des risques et des crises, l’approche psychologique, l’approche sociologique et celle culturelle. Deux modèles cadres ou paradigmatiques pour l’analyse des crises héritent de l’entrecroisement de ces perspectives. Le premier propose une analyse des dynamiques organisationnelles de crises : structurelles, relationnelles et symboliques. Le fonctionnement des organisations révèle en situation de crise une diversité de mécanismes classables en trois groupes : structurels, relationnels et symboliques. Les mécanismes structurels sont le fait des aspects formels d’une organisation (organigramme, nature commerciale ou associative, raison d’être, …). Ils réfèrent directement aux théories sociales qui lient structures sociales et situations de crise. Les mécanismes relationnels et symboliques renvoient quant à eux aux aspects psychologiques et culturels. Lors d’une analyse de terrain, nous avons dévoilé les défaillances et déséquilibres de ces trois axes et fait émerger une situation organisationnelle explicative des accidents (Jacques et Specht, 2006). Le second modèle cadre décrit la dynamique sociétale de crise en termes d’amplification (Kasperson et al. 1988). Tout deux permettent d’aborder une situation de crise et d’en éclairer les processus fondateurs. Au-delà de ces approches, un regard moral et éthique s’impose pour une réflexion sur les pratiques organisationnelles.

La prévention de l’amplification sociale

83Nous avons appliqué à une situation de crise réelle [19], le modèle de l’amplification sociale du risque développé par Kasperson et al. (1988) modèle réutilisé par nombre d’auteurs parmi lesquels Pidgeon (1999) et Renn et al. (1992). Le cas étudié est celui de Moirans en Montagne, dont une belle analyse a déjà été menée par Marc Poumadère et Claire Mays (Poumadère et Mays, 2003). Rappelons les événements, L’action se passe dans le village de Moirans, 2300 habitants, une série d’incendies spontanés frappent le village. On peut compter au moins 14 incendies entre Novembre 1995 et Février 1996. Les feux prennent naissance à l’intérieur de maisons situées dans une même rue, la rue des Carmes, sans qu’aucune cause évidente n’émerge. Le 20 Janvier 1996, un feu tue deux personnes. Dès lors, cette série d’incendies devient de plus en plus médiatisée. Bien que les dommages soient sans commune mesure avec ceux d’une catastrophe naturelle ou technologique, les mesures prises pour trouver les causes et prévenir de nouveaux incendies s’amplifient. La vie du village est entièrement recomposée. Nous avons étudié, sur la base d’une analyse de contenu, l’ensemble des journaux télévisés couvrant l’événement. L’amplification, la crise vécue par le village, s’articule autour de trois dimensions. 1/ L’amplification du signal repose sur la multiplication des parties prenantes (pompiers, gendarmes, maire, populations, experts, badauds, … sans oublier les médias, les experts du paranormal, et le prêtre) ; la mise en avant de l’aspect mystérieux de l’événement, de différents experts tour à tour (le maire, les gendarmes, les pompiers, les experts techniques et du paranormal, le prêtre ou la population touchée, etc.) et la répétition de ces informations par toutes les parties prenantes. 2/ L’amplification se renforce d’autant que les caractéristiques subjectives de l’information, l’inquiétude liée au mystère, la peur des incendies, l’incertitude des parties prenantes, sont soutenues par un vocabulaire spécifique. On parle de village maudit, d’autopsie, de risque d’incendie, de feux spontanés par exemples. 3/ Les mécanismes de la transmission de l’information - l’exagération d’un émetteur à l’autre de certains faits comme la chaleur des feux, les ricochets des conclusions des expertises, la scénarisation co-construite tragique de la mort des victimes - accentuent à leur tour l’amplification. On assiste à une articulation collective des rôles de chacun formant une mécanique sociale d’emballement. Si on rapproche ces résultats avec l’épouvante de chacun, on aperçoit à la fois l’impact des affects de chacun et de leurs entrecroisements structurant le phénomène social dans son ensemble.

84Le même phénomène peut être constaté dans les centres de gestion de crise, dans les postes de commandement fixes ou opérationnels. Nous avons observé trois simulations de crise [20], chacune a révélé des phénomènes d’amplification concernant le comptage des victimes. Au cours de l’intervention des secours, l’évaluation du nombre des victimes peut varier du simple au double, voire au triple, mobilisant les forces, perturbant les décisions, malgré des incohérences facilement détectables. Ainsi par exemple, dans le cas d’un accident impliquant un camion et trois véhicules légers, le nombre des victimes est allé jusqu’à plus de 40 alors que le maximum possible voisine les 17 personnes.

85Qu’est-ce qu’une organisation défaillante ? Comment l’améliorer ? Dans une perspective de contraintes organisationnelles, il s’agirait de limiter les contraintes. Dans une perspective de défaillances individuelles, il suffirait d’éviter ces défaillances. Dans une perspective d’inadéquation structurelle des organisations, il s’agirait de changer les procédures. Mais dans le cadre de l’amplification sociale et plus largement dans le cadre d’un maillage humain susceptible de dériver, la description des dynamiques devrait permettre leur détection dès l’origine et un ensemble d’actions ciblées les entravant, par exemple, la délimitation des parties prenantes, le maintien de l’équilibre des acteurs mis en avant, la limitation des répétitions, et peut-être le plus crucial, l’attention portée à la subjectivation de l’information. Mais en situation de crise, encore faut-il y penser.

La pensée résiliente : une lutte aux multiples facettes

86La pensée résiliente s’articule à la pensée banale, dimension du littéral absolu, de l’absence abyssale de symbolisation, à son extrême ; lieux communs, idées reçus, stéréotypes à la sémantique prédéterminée, univoque, voire tautologique, dans ses moindres mesures. Du point de vue du raisonnement, le banal désincarne, associe les énoncés. La résilience peut s’appuyer sur cette capacité du banal à être performatif. Il élimine les incertitudes, il évacue l’affectif et l’émotionnel, il désenlace les dynamiques organisationnelles. Sans articulation entre structures, symboles et relations, le référent, l’énoncé, est seul loi pour la décision et l’action. Toute information devenue minimale voire neutre, les phénomènes d’amplification sociale s’étiolent. L’esprit du juge d’instruction est froid. Les politiques conservent la collectivité en état de marche. Mais la pensée banale, véhicule des vérités établies par le discours social, s’ancre dans le déni de la complexité, de l’ambivalence des réalités. Inévitablement, la pensée résiliente doit affronter ses démons : le surgissement imprévu de l’épouvante ou du chaos social.

87L’enjeu des affects pour les intervenants est celui d’un équilibre entre la nécessaire empathie vis-à-vis des victimes et l’exigence de professionnalisme, une forme de neutralité bienveillante. Cet équilibre est le fruit de mécanismes de défense qui ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais mais qui conduisent à une pensée dégradée ou résiliente. Le mythe du héro, représenté par le professionnel, est un atout. Mais la symbolisation ne doit pas s’ancrer sur le déni. Elle doit s’appuyer sur le réel pour susciter d’autres mythes, telle, la délicatesse à porter à un corps fragile, comme endormi.

88L’enjeu social est celui des dynamiques sociales. En 1993, Weick, décrivit comment des pompiers surpris par un mouvement inattendu du feu décidèrent, sur l’ordre de leur commandant, d’abandonner leur matériel d’intervention et de se réfugier dans le brûlé où ils périront. En 2003, Roglaski, cite et développe ces premiers travaux en démontrant les relations étroites entre dimensions organisationnelles et dimensions cognitives. Dans un précédent article (Specht et Poumadère 2006), nous avons proposé trois voies de résilience organisationnelle, la première structurelle, la seconde relationnelle et la troisième symbolique. Nous proposons ici de fonder la pensée résiliente sur des modalités organisationnelles modérant l’amplification sociale : la délimitation des parties prenantes, le maintien de l’équilibre entre les acteurs, la limitation des répétitions et l’attention portée à subjectivation de l’information. Il ne s’agit plus de réduire et neutraliser l’information, mais de libérer des espaces pour penser et agir.

89Tous les acteurs sont concernés, chacun, en particulier et vis-à-vis de son groupe d’appartenance. Il faut organiser les secours mais il ne s’agit pas simplement de conduire des opérations. Il peut s’agir de mettre en péril des hommes et des femmes pour en sauver d’autres. Il faut prendre en charge les victimes, informer les populations mais cela ne se réduit pas simplement à la mise en place de procédures de prise en charge et d’information. Chaque personne demande à connaître son destin. Les événements imprévisibles doivent être prévus. Les ambiguïtés doivent laisser place à des certitudes. Les complexités ne doivent pas masquer les axes simples de l’action. Et pourtant, l’analyse littérale ne peut suffire.

90Comment accompagner les intervenants ? Par un travail d’exploration de la pensée dans des actions pratiques : retours d’expériences, formations, information et sensibilisation, débriefings. Ces techniques d’accompagnement se fondent sur la transmission et l’appropriation par les acteurs d’une analyse de leur pensée, sur le développement d’une éthique de la prise en compte des réalités masquées dans leurs actions. Cet apprentissage est pour nous la clef de la pensée résiliente, le support de l’action immédiate réussie et l’origine de l’élaboration de la pensée nécessaire à tout travail de deuil ultérieur, à toute tentative de réparation et de reconstruction.

91Reprenons l’affirmation introductive. Ce n’est pas par ce qu’il n’existe pas d’accession immédiate au réel que le réel n’existe pas. Ainsi, comme le souligne Alain Finkielkraut dans un récent article du journal Le Monde (2006),

92

« La littérature nous a habitués à lire les visages humains comme des hiéroglyphes à travers les émotions qui les traversent et à déceler le secret des âmes dans les expressions de cette partie toujours émergé du corps. Pour le roman, le visage est un aveu. Le roman éthique que Levinas écrit et réécrit inlassablement nous entraîne au-delà de l’enchevêtrement de la vérité et des apparences. »

93La transparence est son masque, nous content les milles-et-une nuits.

94Il faut apprendre à voir derrière les apparences l’émotion, les dynamiques croisées comme leurs absences. Boris Cyrulnik (1999) cite Baudelaire « Les chemins bourbeux rendent plus désirable l’aube spirituelle et plus tenace l’exigence d’un idéal » [21]. La pensée résiliente est une nécessité fondamentale en situation de crise. Elle doit permettre de dépasser les vulnérabilités momentanées. Le premier pas est celui de la réappropriation des symboliques affectives et émotionnelles par les acteurs, de l’acceptation des incertitudes, du recours au raisonnement logique et de l’évacuation des idées reçues au profit d’analyses des risques. L’ampleur de la tâche est bien réelle. Sa complexité n’est pas moindre. Pour, non pas anéantir toutes dynamiques mais comprendre toutes les affections, en situation de crise, l’urgence c’est la pensée.

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Date de mise en ligne : 28/02/2012.

https://doi.org/10.3917/cips.078.0079

Notes

  • [*]
    Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Christèle Fraïssé, Centre de Recherches en Psychologie JE 2455 (CRPSY), Université de Bretagne occidentale, Faculté des Lettres et Sciences sociales, 20 rue Duquesne, CS 93837, 29238 Brest cedex 3, France ou par courriel à <christele.fraisse@univ-brest.fr>.
  • [1]
    Shakespeare, W. The tempest. London : Penguin, 2000, Coll. Penguin popular classics, p. 112.
  • [2]
    Dictionnaire historique de la langue française, Édition en coffret de 3 tomes, Le Robert, 1998.
  • [3]
    Hugo, V. Les misérables. Livre 14. Paris, Laffont, 1995, Coll. Bouquins.
  • [4]
    Cité par Chauvier, E. (2006) Anthropologie. Paris, Allia.
  • [5]
    Emprunté à la belle écriture Billeter, J.-F. (2002) Leçons sur Tchouang-tseu. Paris : Allia.
  • [6]
    Florenski, P. A. (2006) Hamlet. Paris, Allia.
  • [7]
    Lewis Henri Morgan (1818 – 1881), malgré la linéarité de sa vision historique, apporta une vision positive du développement social : celle d’un développement humain au cours des âges non pas opposé aux idées de déchéance et de dégradation de l’humanité mais inscrit dans un développement culturel.
  • [8]
    Bourdieu, P. (1994) Raisons pratiques : sur la théorie de l’action. Paris, Seuil.
  • [9]
    Marx E. Letter from Marx to Pavel Vasilyevich Annenkov. In Marx E. Collected Works. New York, International Publishers, 1975, Vol. 38, p. 95.
  • [10]
    Giddens, A. (1994) Les conséquences de la modernité. Paris, L’Harmattan, p. 192.
  • [11]
    Op. cit.
  • [12]
    Arendt H. Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Paris, Gallimard, 2002.
  • [13]
    Chauvier, E. (2006). Anthropologie. Paris, Allia.
  • [14]
    Littell J. (2006) Les bienveillantes. Paris, Gallimard.
  • [15]
    Rilke, R. M. Requiem. Paris, Verdier, Août 2007, Coll. Verdier poche. Ed. Bilingue.
  • [16]
    Il s’agit ici de perception des risques et non de représentation des risques, ouvrant une vision sociétale en plus de celle sociale et individuelle précédemment développée. Le point de vue est résolument holistique.
  • [17]
    Veyne, P. (1976) Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique. Paris, Seuil, Coll. Folio, p. 689.
  • [18]
    Cité par Compagnon, A. (2007) Les antimodernes : De Joseph de Maistre à Roland Barthes. Paris, Gallimard.
  • [19]
    Nous faisons référence ici au travail de Rochereau, H. (Sous la direction de Specht, M.) Analyse des mécanismes de l’amplification sociale des risques : l’incertitude comme cause principale du changement de comportement du public. Mémoire de Master, Institut de Psychologie, Université Paris Descartes.
  • [20]
    Nous remercions le groupement scientifque REXAO, de l’École des Mines de Paris, qui en la personne du Professeur Jean-Luc Wybo, nous a invité à participer à ces simulations en tant qu’observateur. Les rapports REXAO produits dans le cadre de ces simulations sont confidentiels DDSC (Direction de la Défense et de la Sécurité Civile).
  • [21]
    Baudelaire C. Le spleen de Paris : petits poèmes en prose. In Baudelaire, C. Œuvres complètes. Paris : Gallimard., 1975-1976, Coll. Bibliothèque de la Pléiade.
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