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Article de revue

Représentations sociales de la violence envers les enfants

Pages 21 à 34

Notes

  • [*]
    La correspondance relative à ce travail peut être adressée à Gabrielle Poeschl, Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação, Universidade do Porto, Rua do Campo Alegre 1055, 4169-004 Porto, Portugal ou par courriel <gpoeschl@psi.up.pt>.
  • [1]
    Traduction de bairro social : quartier constitué par un ensemble de logements construits par la ville et destinés aux populations nécessiteuses.

1La violence à l’égard des enfants est une réalité complexe, difficile à saisir, en raison des résistances, encore fortes dans notre société contemporaine, d’associer le phénomène de la violence au contexte de la famille. Pendant longtemps en effet, la maison et la famille ont été considérées comme formant un système auto-régulé, sans problèmes de dysfonctionnement, alors que le crime et la violence sévissaient dans des contextes extérieurs à la dynamique familiale. Les législations adoptées plus récemment, malgré leur nombre toujours plus élevé, ont peu contribué à donner de la visibilité à ce problème, puisqu’elles continuent à se heurter à l’ensemble des croyances et des opinions véhiculées par la pensée quotidienne, qui rendent difficile l’association de la violence et des actes violents à la sphère familiale.

2Néanmoins, le rapport de l’Institut de Médecine Légale de Porto (Magalhães, Carneiro de Sousa, Grams et Pinto da Costa, 1996) révèle que 221 victimes de violence de moins 16 ans ont été assistées par l’Institut médico-légal de Porto entre 1992 et 1995. 57% des victimes sont de sexe masculin, dont 51.3% ont moins de 13 ans. Les lésions présentées sont, le plus souvent, des ecchymoses, des hématomes et des blessures superficielles. Dans les cas graves, il s’agit de brûlures (provoquées par de l’acide sulfurique, de l’eau bouillante, des sprays irritants, un contact avec un four ou une cigarette), des fractures des os, des traumatismes crâniens et une perforation oculaire. Dans 78.9% des cas, les lésions ont été provoquées par des coups de poing, des coups de pied ou des armes à feu.

3Dans 43% des cas, les crimes sont commis pour des motifs apparemment futiles, comme des discussions entre adultes pour des problèmes de voisinage dans lesquels les enfants finissent par être impliqués. Dans 12.3% des cas, ils résultent d’actes de vengeance prémédités, et dirigés, la plupart du temps, contre les parents. Le divorce ou l’alcoolisme des parents, à l’origine de l’instabilité ou du stress familial, sont la cause de 44.7% des agressions contre les enfants. Les agresseurs sont, dans 26% des cas, le père, la mère, des membres de la famille ou des éducateurs et, dans 36.2% des cas, des voisins. Il y a ainsi la plupart du temps un lien de parenté, par alliance ou de fait, ou un lien affectif entre l’agresseur et la victime.

4Il existe aussi des homicides qui résultent de la violence conjugale, dont la femme et les enfants mineurs de l’agresseur sont les principales victimes (Grams, Magalhães, Carneiro de Sousa et Pinto da Costa, 1996). La violence contre les enfants est, en effet, fréquente dans les familles où sévit la violence conjugale, un problème aujourd’hui bien documenté (Edleson, Eisikovits, Guttmann et Sela-Amit, 1991). La violence conjugale a des conséquences physiques, psychiques et sociales, à court ou à long terme, qui se répercutent sur la femme, l’agresseur, les enfants et la société en général. L’alcoolisme, la dépression, l’anxiété, la diminution de l’auto-estime, l’absentéisme au travail et l’appauvrissement économique de la famille sont quelques-uns des facteurs qui lui sont associés. Dans les situations de violence conjugale, les enfants présentent souvent des problèmes de comportement ou des difficultés d’intégration sociale et scolaire. Certains finissent par s’enfuir du domicile des parents pour éviter le cercle vicieux de la violence familiale, mais ils se retrouvent fréquemment associés à d’autres problèmes sociaux, comme la délinquance et la criminalité juvénile (Grams et al., 1996).

5Les statistiques portugaises, similaires à celles d’autres pays occidentaux (Hoff, 1997 ; Gelles, 1987 ; Straus, 1990) montrent donc que la famille, loin d’être un havre de sécurité comme on l’a longtemps pensé, est souvent, au contraire, un lieu de danger (Muncie et McLaughlin, 1996). À la fin du XIXe siècle, la violence à l’égard des enfants était définie en termes de cruauté, alors que la gravité des punitions était réglée par les pratiques existantes. À partir du milieu du XXe siècle, et plus précisément aux environs des années 1960, on a peu à peu mis à jour différentes formes de violence parentale, et on reconnaît aujourd’hui publiquement qu’il existe des actes de violence et d’abus à l’intérieur du noyau familial (Muncie et McLaughlin, 1996).

6Au Portugal, le problème des mauvais traitements infligés aux enfants est devenu public au cours des années 1980, grâce aux efforts des médecins pédiatres, agissant en étroite collaboration avec d’autres professionnels, notamment des magistrats, des juristes, des psychiatres, des assistants sociaux, des jardinières d’enfants, des sociologues et des psychologues (Almeida, André et Almeida, 1999). On trouve des références à ce problème antérieures, mais elles sont brèves et ponctuelles et se rencontrent dans des revues dédiées à l’enfance. Parmi celles-ci, les premiers articles médicaux qui décrivent des cas cliniques concrets de “battered child syndrome” au Portugal datent de 1972 et 1976. Ils sont destinés à attirer l’attention des médecins pédiatres sur ce problème afin qu’ils le prennent en considération dans l’établissement de leur diagnostique.

7C’est avec la commémoration de l’Année Internationale de l’Enfant, en 1979, qu’on commence à prêter une attention sérieuse au problème de la violence à l’égard des enfants, pratiquée à l’intérieur et à l’extérieur de la famille (Almeida et al., 1999). La concertation entre la Section de Pédiatrie Sociale de la Société Portugaise de Pédiatrie, le Centre d’Études Judiciaires (CEJ) et l’Institut d’Appui à l’Enfant (IAC) aura une importance prépondérante dans la dénonciation et l’étude des situations d’abus et de négligence. Ainsi, depuis 1980, le thème des enfants maltraités est intégré, parallèlement à une formation de base à la magistrature, dans le programme de sessions dirigées aux élèves du CEJ. À partir de 1984, il est inclus dans les actions de formation permanente, réalisées annuellement et de façon inter-disciplinaire, à l’attention des magistrats. Les premiers groupes de réflexion et d’action réunissant des représentants d’institutions publiques et privées sont créés, des actions-pilotes visant à organiser dans les hôpitaux des centres d’appui aux enfants maltraités sont entreprises. Une collaboration étroite s’instaure entre ces centres et les tribunaux, et des centres d’accueil temporaires pour les victimes sont créés. En 1987, le IAC inaugure une ligne téléphonique d’appui aux enfants et aux familles à risque – le SOS Enfant (Leandro, 1986). Enfin, en 1991, des Commissions de Protection des Mineurs sont créées, institutions non judiciaires dont le fonctionnement est assuré par les mairies et la composition est multidisciplinaire.

8Parallèlement aux actions menées sur le terrain, on observe un intérêt croissant, dans les milieux scientifiques, pour comprendre et prévenir le phénomène de la violence familiale. Les explications fournies par la littérature sur la violence envers les enfants peuvent se résumer à quatre modèles explicatifs prédominants (Chamberland et Fortin, 1995). Le modèle psychologique/psychiatrique se centre plus particulièrement sur le profil des parents abusifs, le modèle relationnel prend en compte les interactions parents-enfants et la relation entre les conjoints, le modèle sociologique se focalise sur les facteurs environnementaux, alors que le modèle écologique propose une approche multifactorielle des causes de la violence familiale. Ainsi, selon Pransky (1991), cinq types de facteurs de risque sont susceptibles de se combiner pour engendrer la violence : les attentes culturelles, le manque d’opportunités, le stress, les facteurs organiques et les dysfonctions familiales (cf. Chamberland et Fortin, 1995). Les facteurs culturels font principalement référence à l’influence des médias, à l’idée que les enfants sont la propriété des parents ou à la valorisation de la punition physique. Les facteurs socio-environnementaux de stress et le manque d’opportunités soulignent le rôle des conditions de vie dans le déclenchement de la violence. Par exemple, une situation financière précaire, l’instabilité de l’emploi ou le chômage, le manque de scolarisation ou de formation professionnelle sont susceptibles d’engendrer un haut niveau de stress qui affecte les relations entre parents et enfants. Enfin, les facteurs intra-familiaux, personnels, inter-personnels et biologiques, révèlent plus particulièrement l’importance du phénomène de la transmission inter-générationnelle de la violence, du stress familial en relation non seulement avec les conditions de vie de la famille, mais aussi avec les problèmes psychologiques des parents (alcoolisme, maladie mentale), les problèmes des enfants (handicaps physiques ou mentaux), et les conceptions du rôle parental. À cet égard, il faut rappeler que les femmes peuvent aussi faire preuve de violence envers les enfants lorsqu’elles se sentent menacées dans leur auto-estime et leur identité maternelle (Gelles, 1987).

9Les efforts entrepris pour expliquer la violence à l’égard des enfants s’accompagnent de tentatives visant à la prévenir. Ainsi, en partant de l’idée selon laquelle un facteur susceptible d’expliquer la violence envers les enfants est la justification de cette violence, qui l’excuse, la rend acceptable et considère les enfants comme, en partie au moins, responsables des actes violents, Fortin (1995) a construit un instrument, la Mesure de la Justification de la Violence envers l’Enfant (MJVE). Cet instrument évalue trois composantes de la justification : une composante cognitive, qui reflète les croyances que certains comportements ne sont pas violents (conception restreinte de la violence) ; une composante évaluative, qui traduit l’adhésion aux mythes qui banalisent la violence (tolérance envers la violence) et une composante d’attribution qui regroupe des explications qui nient la responsabilité du parent ou l’innocentent (Fortin et Lachance, 1996). Les composantes du MJVE ont été développées à partir de la littérature sur la violence envers l’enfant, qui indique, notamment, que de nombreuses définitions de la violence prennent uniquement en compte les agressions physiques graves et visibles, en ignorant ses manifestations plus subtiles ; que la tolérance envers la violence est associée à des croyances présentant l’enfant comme un être asocial et mauvais que les parents sont chargés de socialiser et de bonifier ; que des conduites abusives envers l’enfant sont souvent attribuées à des comportements négatifs de l’enfant, considérés comme une attaque contre le parent (voir Fortin et Lachance, 1996).

10En examinant la relation entre la justification de la violence envers l’enfant et certaines caractéristiques sociodémographiques des parents, Fortin et Lachance (1996) observent que les hommes sont plus disposés à justifier la violence que les femmes, comme d’ailleurs les parents plus jeunes, moins scolarisés ou disposant d’un moindre revenu familial. Ces résultats sont consistants avec les conclusions d’autres auteurs qui montrent que les femmes considèrent la violence envers les enfants comme un problème plus grave que ne le font les hommes et qu’elles rapportent un plus grand nombre de situations de violence familiale, ce qui suggère qu’elles ont une conception de la violence parentale moins restreinte que les hommes.

11Dans la mesure où il existe une relation entre façons de penser et appartenances sociales, il nous a paru important, pour tenter de comprendre et de prévenir la violence familiale, de chercher à capter les représentations sociales de la violence envers les enfants de différents groupes sociaux. En accord avec l’École de Provence, nous définissons une représentation sociale comme une vision fonctionnelle du monde, qui intègre les caractéristiques de l’objet et les expériences, les normes et les valeurs des groupes sociaux (Abric, 1996). Toutefois, en accord avec la perspective de l’École de Genève (Clémence, Doise et Lorenzi-Cioldi, 1994), notre démarche a eu pour objectif de montrer que des différences dans les expériences, les normes et les valeurs des groupes se traduisent par des variations dans les représentations qu’ils élaborent à propos de la violence envers les enfants.

12D’autres auteurs, avant nous, ont étudié le phénomène de la violence dans le cadre théorique des représentations sociales, notamment au Portugal (Vala, 1981 ; 1984 ; Monteiro, 1984 ; Lourenço et Lisboa, 1992 ; Almeida et al., 1999). Parmi ces auteurs, Lourenço et Lisboa (1992) ont vérifié l’existence de valeurs tendant à légitimer les comportements violents. Ils estiment que, de façon générale, la violence est vécue et représentée comme quelque chose d’acceptable et qu’il existe une permissivité excessive face aux punitions corporelles que les hommes infligent aux enfants ou aux femmes, qui ne se plaignent pas d’être battues. Bien qu’ayant relevé des signes de violence familiale dans toutes les couches sociales, ils considèrent légitime d’affirmer que la violence est plus fréquente dans les familles les plus défavorisées (voir aussi Amaro, 1986). On peut ainsi constater que le phénomène de la violence et de ses conceptions a donné lieu à des travaux bien documentés qui ont permis de mieux comprendre les divers aspects de ce problème social. Il semble cependant que l’attention des auteurs n’a pas porté sur l’opinion des enfants à propos de la violence dont ils peuvent faire l’objet. Dans ce sens, notre recherche se propose d’apporter une contribution originale aux travaux développés sur la violence envers les enfants.

13Pour capter les représentations de la violence envers les enfants, nous avons suivi une démarche couramment adoptée dans les études sur les représentations sociales (Poeschl, 1992). Celle-ci consiste, tout d’abord, à recueillir et à organiser les idées qui circulent à propos du phénomène étudié (étude de l’objectivation) et, par la suite, à examiner plus systématiquement l’existence de variations en fonction, par exemple, de divers groupes sociaux (étude de l’ancrage sociologique). Ainsi, les deux études que nous avons réalisées ont été effectuées auprès d’adultes et d’enfants des deux groupes sexuels provenant de deux zones de résidence contrastées.

Étude 1

14Pour recueillir l’information qui circule au sujet de la violence envers les enfants, en général, nous avons eu recours à la technique de l’association libre, en utilisant deux stimuli relatifs, respectivement, aux conceptions de la violence et aux situations dans lesquelles elle s’exerce.

Méthode

Participants

15Quatre-vingt adultes et 80 enfants des deux groupes sexuels ont participé à cette étude. Ils proviennent, pour la moitié, d’un quartier social [1] et, pour l’autre moitié, d’une zone résidentielle de la ville de Porto. Les enfants sont âgés, en moyenne, de 9 ans et les adultes de 58 ans. Les adultes et les parents des enfants du quartier social ont des emplois non spécialisés (ouvriers de la construction civile, employées domestiques, entre autres) ou n’exercent aucune activité professionnelle, alors que les adultes et les parents des enfants de la zone résidentielle sont des cadres d’entreprise ou exercent des professions libérales (ingénieurs, médecins, professeurs, architectes, entre autres).

Questionnaire et procédure

16Nous avons utilisé deux versions du même questionnaire. Dans la première version, les répondants devaient énumérer dix mots qui leur viennent à l’esprit quand ils pensent à la violence envers les enfants, et, dans la seconde version, vingt mots au maximum évoquant des situations où ils considèrent qu’il y a violence à l’égard des enfants. La tâche était présentée sous deux formes différentes, selon qu’elle s’adresse à des adultes ou à des enfants.

17Les questionnaires ont été administrés aux enfants dans les salles de classe, avec l’aide des professeurs, après avoir obtenu l’autorisation des institutions participantes. Chaque enfant a répondu à un seul questionnaire, les deux versions étant distribuées aléatoirement. Les adultes ayant accepté de participer à la recherche ont reçu une enveloppe qui leur a été remise par des éducateurs ou des professeurs (qui n’étaient pas les enseignants des enfants). Chaque enveloppe ne contenait qu’un questionnaire.

18Les deux versions du questionnaire ayant été distribuées dans des proportions équivalentes aux deux générations de participants, 40 enfants et 40 adultes ont répondu à chacun des stimuli.

Résultats

19Le dictionnaire global des conceptions de la violence envers les enfants (premier stimulus) est constitué par 1 395 mots. Parmi ceux-ci, 356 sont des mots différents dont la fréquence d’évocation varie entre 1 et 37. Le dictionnaire global des situations de violence à l’égard des enfants (second stimulus) comprend 2 480 mots. Parmi ceux-ci, 462 sont des mots différents ayant une fréquence d’évocation comprise entre 1 et 39.

20Dans la mesure où les réponses associées aux deux stimuli sont très semblables (près de 80% des mots sont communs), nous avons regroupé les deux dictionnaires. En retenant les mots évoqués par au moins 10% des répondants, nous avons obtenu un dictionnaire réduit de 117 mots, dont la fréquence est égale ou supérieure à 16 (dans l’ensemble) ou égale ou supérieure à 8 (pour chacun des groupes constitués en fonction du sexe, de la génération ou du lieu de résidence).

21Etant donné la dimension du dictionnaire réduit, les 117 termes retenus ont été soumis à une analyse de contenu. Les deux juges qui ont effectué cette analyse ont tout d’abord cherché à intégrer les réponses dans des catégories qui traduisent la structure factorielle du MJVE (Fortin, 1995), comme les actes de violence psychologique ou de violence physique, ou les explications données à la violence, attribuant, par exemple, la violence envers les enfants à la personnalité des parents ou aux comportements des enfants). Les mots qui ne pouvaient pas s’insérer dans ces catégories ont été classés dans des catégories supplémentaires. Nous avons ainsi obtenu trois grandes dimensions des représentations de la violence envers les enfants, qui regroupent diverses catégories. Il s’agit des causes de violence, des actes de violence et des scénarios de violence.

Causes de violence

22Les causes de la violence envers les enfants incluent les explications désignant (a) des facteurs socio-environnementaux (faim, pauvreté, guerre, par exemple), (b) des facteurs personnels (tels que manque d’éducation, manque de références familiales, agressivité), (c) des facteurs relationnels (mauvaise entente entre les parents, manque d’amour, manque de dialogue), et (d) des facteurs liés aux comportements des enfants (violents, handicapés, toxicodépendants). Il s’agit de la dimension la plus souvent évoquée (1 203 mots).

Actes de violence

23Les actes de violence comprennent (a) des actes de violence physique (notamment tuer, battre, violer), (b) des actes de violence psychologique (enfermer dans la maison, mentir, culpabiliser, par exemple), (c) la négligence (par exemple, abandonner, ne pas donner de nourriture, de médicaments) et (d) l’atteinte à la propriété (deux items : voler, détruire). C’est la seconde dimension en termes de fréquence d’évocation (957 mots).

Scénarios de violence

24Les scénarios de violence réunissent (a) des formes de violence (blesser, torturer, avorter, par exemple), (b) des affects et l’expression des affects (notamment tristesse, peur, douleur), (c) des victimes de violence (trois items : les enfants (en général), les fils (filles), les pauvres), (d) des instruments de violence utilisés contre les enfants (comme les armes, les mines, les bombes), (e) des lieux de violence (quatre items : la maison, la famille, l’école, la rue), (f) des cadres de violence (un item : la violence envers les enfants étant située dans le cadre de la violence en général) et (g) des initiateurs de violence (un item : les voleurs). Cette dimension est celle qui est la moins souvent évoquée (616 mots).

25Ainsi qu’on peut le constater, les stimuli utilisés, qui ne faisaient pas explicitement référence à la famille, ont mis en évidence des dimensions de la violence envers les enfants qui peuvent s’appliquer à la violence familiale, mais ne se limitent pas à ce contexte. En particulier, les réponses classées dans les « scénarios de violence » comprennent des lieux, des agresseurs et des instruments qui n’ont guère de liens avec la violence familiale.

26Afin de savoir si les différents groupes sociaux auxquels nous nous intéressons (sexe, génération, lieu de résidence) varient dans la fréquence d’évocation des catégories constituées, nous avons effectué des tests séparés du ?2 pour comparer séparément les trois paires de groupes contrastés (hommes vs. femmes ; enfants vs. adultes ; zone résidentielle vs. quartier social). Le Tableau 1 (cf. ci-contre) présente les fréquences d’évocation des catégories, au total et en fonction de ces groupes, ainsi que les résultats du test du ?2.

27L’observation du Tableau 1 révèle qu’il n’existe que peu de différences entre les répondants des deux groupes sexuels. Cependant, les différences qui surgissent sont celles qu’on pouvait espérer. Les participants de sexe masculin évoquent plus souvent les facteurs socio-environnementaux, qui font rejaillir la responsabilité de la violence envers les enfants sur la société, les actes physiques et les instruments à travers lesquels la violence peut s’exercer. Les participants de sexe féminin mentionnent davantage la violence psychologique, les victimes et les lieux de violence.

Tableau 1

Fréquence d’évocation des trois dimensions de la violence envers les enfants, en fonction du sexe, de la génération et du lieu de résidence des répondants. Différences entre les groupes selon le test du khi carré.(*),(**),(***)

Tableau 1
SEXE GÉNÉRATION LIEU ?2 Mas (1) Fem (2) Adu (3) Enf (4) QS (5) ZR (6) Catégories otal 1 vs. 2 3 vs. 4 5 vs. 6 Causes de violence Facteurs socio-environnementaux 735 393 342 273 462 233 502 4.00* 48.60*** 98.40*** Facteurs personnels 216 106 110 95 121 79 137 0.01 4.00* 15.60*** Facteurs relationnels 166 76 90 92 74 55 111 0.02 0.02 18.80*** Comportements des enfants 86 45 41 14 72 26 60 0.01 40.00*** 13.40*** otal 1203 620 583 474 729 393 810 0.00 54.06*** 144.54*** Actes de violence Violence physique 538 313 225 38 500 233 305 14.40*** 397.00*** 9.64** Violence psychologique 211 83 128 65 146 74 137 9.60** 32.00*** 18.80*** Négligence 144 66 78 45 99 56 88 0.02 20.00*** 7.00** Atteinte à la propriété 64 34 30 11 53 30 34 0.01 28.00*** 0.01 otal 957 496 461 159 798 393 564 0.00 426.66*** 30.56*** Scénarios de violence Formes de violence 166 78 88 27 139 60 106 0.01 75.60*** 12.80*** Affects et expression des affects 113 50 63 35 78 40 73 0.02 16.00*** 9.60** Victimes de violence 106 42 64 14 92 40 66 4.60* 57.40*** 6.40** Instruments de violence 97 63 34 3 94 23 74 8.60** 85.40*** 26.80** Lieux de violence 80 31 49 47 33 39 41 4.00* 0.08 0.00 Cadres de la violence 42 18 24 13 29 32 10 0.04 6.00* 12.00*** Initiateurs de violence 12 6 6 0 12 5 7 0.00 12.00*** 0.06 otal 616 288 328 139 477 239 377 0.02 185.46*** 30.92***

Fréquence d’évocation des trois dimensions de la violence envers les enfants, en fonction du sexe, de la génération et du lieu de résidence des répondants. Différences entre les groupes selon le test du khi carré.(*),(**),(***)

*: p?.05;
**: p?.01;
***:p?.001.

28Une comparaison entre les deux zones de résidence indique que les habitants du quartier social ont donné moins de réponses que ceux de la zone résidentielle, ce qui pourrait s’expliquer davantage par des difficultés d’expression que par un manque d’opinion à propos du thème étudié. Si les habitants du quartier social évoquent moins souvent la violence physique et psychologique ainsi que les différentes formes de violence, les plus fortes différences ont trait toutefois aux causes de la violence, les facteurs personnels, relationnels et surtout socio-environnementaux étant beaucoup plus souvent mentionnés par les habitants de la zone résidentielle.

29Enfin, les enfants s’expriment plus que les adultes par rapport à presque toutes les catégories, ce qui suggère qu’ils ont moins de réticence à parler du problème, ou qu’ils ont une vision plus ample de la violence envers les enfants. Les enfants, notamment, désignent plus fréquemment des facteurs socio-environnementaux et personnels comme causes de la violence, et ils font davantage référence à la violence physique et psychologique, à la négligence, aux formes, aux victimes et aux instruments de violence.

Discussion

30Deux conclusions peuvent être retirées de cette première étude. Tout d’abord, les stimuli utilisés, à savoir la violence envers les enfants et les situations de violence à l’égard des enfants, ont amené les participants à évoquer des éléments qui se réfèrent aussi bien à la violence familiale qu’à la violence en général, ce qui montre que le problème de la violence familiale est aujourd’hui largement reconnu. Par ailleurs, les groupes auxquels nous nous sommes intéressés présentent des variations dans leurs conceptions de la violence à l’égard des enfants, les habitants de la zone résidentielle et les enfants en général paraissant avoir une vision plus ample du problème que les habitants du quartier social et les adultes. On peut donc estimer que si la violence envers les enfants est un problème social aujourd’hui amplement reconnu, il est encore suffisamment incompréhensible pour susciter différentes attitudes, explications et justifications, à savoir des représentations marquées par les expériences, les normes et les valeurs des différents groupes sociaux auxquels appartiennent les individus.

31Dans une seconde étude, nous avons donc cherché à examiner plus systématiquement les différences entre les groupes auxquels nous nous intéressons. Dans la mesure où nous avions pour objectif d’étudier les représentations de la violence envers les enfants dans la famille, nous avons toutefois choisi de recourir principalement à un instrument validé, la Mesure de la Justification de la Violence envers l’Enfant (Fortin, 1995 ; Fortin et Lachance, 1996). En effet, les réponses recueillies par associations libres recoupent la plupart des dimensions prises en considération par ce questionnaire, qui intègre, par ailleurs, des aspects qui n’ont pas été mentionnés par nos répondants mais qui nous paraissent importants, tels que certaines explications susceptibles de justifier l’usage de la violence dans la famille. Nous avons par ailleurs complété ce questionnaire par des réponses que nous avons recueillies dans notre première étude et que l’instrument ne prend pas en considération.

Étude 2

32Pour vérifier l’existence de différences dans les représentations de la violence envers les enfants en fonction des différents groupes sélectionnés (sexe, génération et lieu de résidence), nous avons utilisé, dans notre seconde étude, un questionnaire à questions fermées. Dans la mesure où les manifestations de violence semblent plus fréquentes dans les familles défavorisées (Lourenço et Lisboa, 1992 ; Amaro, 1986), où les femmes semblent considérer la violence comme un problème plus grave que ne le font les hommes (Fortin et Lachance, 1996), et où le discours sur la violence à l’égard des enfants devrait amener ceux-ci à s’identifier aux victimes (innocentes ou non) des mauvais traitements, nous avons posé les trois hypothèses suivantes :

33Hypothèse 1 : il existe des variations entre les représentations de la violence des habitants des quartiers sociaux et celles des habitants des zones résidentielles : (a) les habitants des quartiers sociaux donnent de la violence une définition plus restreinte, (b) ils la tolèrent et (c) ils la justifient davantage que les habitants des zones résidentielles ; (d) ils attribuent aux facteurs socio-environnementaux une plus grande importance dans le déclenchement de comportements violents que les habitants des zones résidentielles.

34Hypothèse 2 : il existe des variations entre les représentations de la violence des hommes et celles des femmes : (a) les hommes donnent de la violence une définition plus restreinte, (b) ils la tolèrent et (c) ils la justifient davantage que les femmes. Cependant, dans la mesure où elles assurent dans une large mesure le rôle parental, (d) les femmes justifient davantage les comportements violents que les hommes quand ils sont provoqués par des comportements de l’enfant socialement réprouvés.

35Hypothèse 3 : il existe des variations entre les représentations de la violence des adultes et celles des enfants : (a) les adultes donnent de la violence une définition plus restreinte, (b) ils la tolèrent et (c) ils la justifient davantage que les enfants.

Méthode

Participants

36Quatre-vingt répondants de nationalité portugaise et des deux groupes sexuels ont participé à cette étude. Il s’agit de 40 enfants et de 40 adultes qui, comme dans la première étude, ne sont pas les parents des enfants. Ils proviennent, pour la moitié, d’un quartier social et, pour l’autre moitié, d’une zone résidentielle de la ville de Porto. Les enfants sont âgés, en moyenne, de 10 ans, et les adultes de 45 ans. 47% des adultes et des parents de la zone résidentielle sont des cadres supérieurs de l’industrie et du commerce, alors que 50% des adultes et des parents des enfants du quartier social n’exercent aucune activité professionnelle.

Questionnaire

37Notre questionnaire était divisé en quatre parties, dont les trois premières étaient constituées par les différentes échelles de la Mesure de la Justification de la Violence envers l’Enfant (MJVE, cf. Fortin et Lachance, 1996), qui avait été soumise à une double traduction de la part des auteurs. Ainsi, la première partie contenait les huit items de l’échelle de Tolérance, qui mesurent la tolérance envers la violence à l’égard des enfants. L’échelle intègre des propositions relatives à l’adhésion (1=tout à fait en désaccord ; 7=tout à fait en accord) à des mythes qui valorisent l’autorité parentale, le recours à la punition physique ou qui dénigrent l’enfant. La seconde partie était composée des 16 items qui évaluent le degré d’acceptabilité (1=tout à fait inacceptable ; 7=tout à fait acceptable) des explications relatives à une situation où les parents battent les enfants. Celles-ci correspondent à deux échelles d’attribution. L’échelle de Blâme de l’enfant regroupe les explications qui blâment les enfants, présentant les parents comme innocents bien que responsables d’un acte volontaire. L’échelle de Non-responsabilisation du parent rassemble les explications qui attribuent l’origine de la violence à des réactions incontrôlables, pour lesquelles les parents ne peuvent être tenus responsables. La troisième partie était constituée par les 20 items des conceptions de la violence, qui décrivent un comportement qui doit être évalué (1=pas du tout violent ; 7=extrêmement violent). Les items forment trois échelles : les échelles de Rejet et d’Isolement traduisent des comportements de violence psychologique et l’échelle d’Intimidation reflète des comportements de violence physique ou psychologique. La quatrième partie du questionnaire était formée de 15 items sélectionnés aléatoirement dans les trois catégories relatives aux causes de la violence non inclues dans le MJVE. Ils mesurent la probabilité (1=tout à fait improbable ; 7=tout à fait probable) que des facteurs socio-environnementaux ou intra-familiaux (personnels et relationnels) contribuent à ce que les parents adoptent des comportements violents à l’égard des enfants.

38Deux versions du questionnaire ont été élaborées, l’une étant destinée aux adultes et l’autre aux enfants. Les différences entre les deux versions portent sur le type de langage utilisé et la forme graphique des échelles, qui ont été adaptées aux deux groupes d’âge.

Procédure

39Les enfants ont rempli le questionnaire dans les salles de classe. Les objectifs de la recherche leur ont été exposés verbalement et l’anonymat des réponses leur a été expliqué. Les adultes ayant accepté de participer à l’étude ont reçu le questionnaire dans une enveloppe qui leur a été remise par des éducateurs et des professeurs. Une lettre d’accompagnement exposait les objectifs de l’étude et certifiait l’anonymat des réponses. Les répondants étaient invités à restituer le questionnaire complété dans une enveloppe fermée.

Résultats

40Nous commençons par présenter les dimensions qui structurent les représentations de la violence envers les enfants dans la famille, avant d’examiner dans quelle mesure les appartenances sociales des répondants entraînent des différences de position sur ces dimensions.

Dimensions des représentations

41Pour mettre en évidence les dimensions des représentations de la violence envers les enfants, nous avons appliqué une analyse factorielle en composantes principales sur les réponses des sujets, en analysant séparément chaque partie du questionnaire (ce procédé diffère de celui adopté par Fortin et Lachance, 1996, dans la mesure où ces auteurs n’appliquent qu’une seule analyse à l’ensemble des réponses). Nous avons retenu les facteurs ayant une valeur propre supérieure à 1 et appliqué une rotation varimax sur les facteurs conservés. Pour des raisons de clarté, nous présentons les résultats dans la formulation utilisée dans le questionnaire destiné aux adultes.

Tolérance envers la violence

42L’analyse appliquée sur les réponses relatives à la tolérance envers la violence a extrait trois facteurs principaux, qui expliquent, respectivement, 33.9%, 15.1% et 13.2% de la variance totale. Ainsi qu’on peut le voir dans le tableau 2, ces facteurs se réfèrent, respectivement, aux mythes qui dénigrent l’enfant, au rôle éducatif des parents et à la valorisation de la punition physique. On peut constater que ce sont les items rassemblés sur les deuxième et troisième facteurs qui recueillent les moyennes les plus élevées. Les répondants se montrent d’accord, notamment, avec le fait que “les enfants ont besoin d’une bonne poigne d’autorité pour se sentir en sécurité” (M=5.63) et avec l’idée qu’“une tape sur les fesses n’a jamais fait de tort à personne” (M=5.61). De façon générale, ils semblent moins enclins à dénigrer l’enfant.

Tableau 2

Tolérance envers la violence. Solution factorielle, saturations, moyennes et écarts-type

Tableau 2
Saturation M ? Facteur 1. Dénigrement de l’enfant (? : .70) Les enfants mentent facilement .81 4.46 1.84 Les enfants pleurent souvent pour rien .76 4.39 1.89 Aujourd’hui, les enfants ne respectent plus leurs parents .70 4.05 1.93 Les enfants n’ont pas de limites .51 4.28 1.75 Facteur 2. Rôle éducatif des parents (? : .69) Les enfants ont besoin d’une bonne poigne d’autorité pour se sentir en sécurité .85 5.63 1.75 Si l’on est sévère envers l’enfant, il nous remerciera plus tard .82 5.04 1.96 Facteur 3. Valorisation de la punition physique (? : .41) Une tape sur les fesses n’a jamais fait de tort à personne .85 5.61 1.50 Il y a des enfants qui ont besoin de se faire secouer de temps en temps .61 5.30 1.50

Tolérance envers la violence. Solution factorielle, saturations, moyennes et écarts-type

Les moyennes peuvent varier entre 1 (tout à fait en désaccord) et 7 (tout à fait d’accord).

Justification de la violence

43Les raisons qui peuvent entraîner les parents à battre leurs enfants sont distribuées par la seconde analyse sur trois facteurs principaux, qui expliquent, respectivement, 39.8%, 9.3% et 8.3% de la variance totale. L’analyse met en évidence trois types de justifications, qui attribuent la responsabilité des manifestations de violence, respectivement, à l’enfant, au parent, et au rôle parental (voir le tableau 3 ci-dessus). On peut observer que la plupart des explications sont jugées peu acceptables. Cependant, les répondants se montrent plus disposés à admettre que l’on s’en prenne à l’enfant lorsque celui-ci est désobéissant (M=4.93), quand le parent agit dans l’intérêt de l’enfant (M=4.79) ou si le comportement est adopté parce que le parent aime l’enfant (M=4.79).

Tableau 3

Justification de la violence. Solution factorielle, saturations, moyennes et écarts-type

Tableau 3
Saturation M ? Facteur 1. Causes inhérentes aux caractéristiques de l’enfant (? : .87) L’enfant est violent .83 3.60 2.20 L’enfant est colérique .71 3.70 2.04 L’enfant a provoqué le parent .66 4.12 2.05 L’enfant est désobéissant .66 4.93 1.87 L’enfant mérite qu’on le batte .63 3.48 2.13 Le parent ne veut plus se faire marcher sur les pieds .60 3.58 1.85 L’enfant ne comprend pas autrement .55 3.29 1.80 L’enfant est particulièrement difficile .51 4.00 2.11 Facteur 2. Causes inhérentes aux caractéristiques du parent (? : .79) Le parent est malade mentalement .80 2.63 1.94 Le parent est saoul .75 2.15 1.94 Le parent est violent .71 2.39 2.03 Le parent a été battu dans son enfance .66 3.34 2.32 Facteur 3. Causes inhérentes au rôle parental (? : .66) Le parent aime l’enfant .78 4.79 2.45 Le parent a perdu le contrôle .63 3.66 2.03 Le parent agit dans l’intérêt de l’enfant .62 4.79 2.14 Le parent n’a pas d’autre choix .39 2.90 1.85

Justification de la violence. Solution factorielle, saturations, moyennes et écarts-type

Les moyennes peuvent varier entre 1 (tout à fait inacceptable) et 7 (tout à fait acceptable).

Conceptions de la violence

44L’analyse appliquée aux évaluations du degré de violence de différents comportements à l’égard des enfants a extrait trois facteurs, qui expliquent, respectivement, 64.2%, 7.0% et 5.0% de la variance totale. Les facteurs font référence à des comportements qui ont des conséquences psychologiques, des conséquences physiques, ou qui sont susceptibles de détériorer la relation de l’enfant avec autrui et avec lui-même (voir tableau 4 ci-dessus). On peut constater que le premier facteur, qui inclut des comportements de rejet (“dire à l’enfant qu’on aimerait s’en débarrasser”) et d’isolement (“interdire à l’enfant toute activité en dehors de l’école”) recueille une moyenne élevée (supérieure à 5), ce qui suggère que les répondants considèrent les actes d’intimidation psychologiques parmi les plus violents. De façon générale, les second et troisième facteurs sont considérés comme moins violents, à l’exception de “donner une tape à l’enfant” (M=5.61) et “pousser ou secouer l’enfant” (M=5.34).

Tableau 4

Conceptions de la violence. Solution factorielle, moyennes et écarts-type

Tableau 4
Saturation M ? Facteur 1. Intimidation psychologique (? : .98) Empêcher l’enfant de parler aux voisins .85 5.04 1.99 Donner à l’enfant un surnom négatif .85 5.15 2.08 Critiquer tous les amis de l’enfant .82 5.11 2.04 Pincer l’enfant .79 5.46 1.94 Faire peur à l’enfant en lançant ou en fracassant un objet .78 5.65 1.96 Interdire à l’enfant toute activité en dehors de l’école .77 5.35 1.98 Dire à l’enfant qu’on aimerait s’en débarrasser .77 5.68 2.10 Dire à l’enfant qu’on regrette de l’avoir mis au monde .77 5.50 2.24 Minimiser les succès scolaires de l’enfant .76 5.55 2.02 Briser, détruire ou jeter les jouets préférés de l’enfant .76 5.60 2.11 Critiquer l’enfant pour tout ce qu’il fait .73 5.31 1.92 Menacer l’enfant de lui faire mal .73 5.48 2.03 Dire à l’enfant qu’il ne fera jamais rien de bon dans la vie .70 5.61 2.07 Donner des ordres à l’enfant en criant .51 5.24 1.67 Facteur 2. Intimidation physique (? : .86) Se mettre en colère contre l’enfant .88 4.90 1.98 Gifler l’enfant .85 4.96 1.93 Pousser ou secouer l’enfant .68 5.34 1.97 Facteur 3. Humiliation de l’enfant (? : .57) Donner une tape à l’enfant .83 5.61 1.50 Interdire en tout temps à l’enfant d’amener des amis à la maison .67 4.53 2.19 Rire de l’apparence physique de l’enfant .66 4.31 2.23

Conceptions de la violence. Solution factorielle, moyennes et écarts-type

Les moyennes peuvent varier entre 1 (pas du tout violent) et 7 (extrêmement violent)

Facteurs facilitateurs de la violence

45Les problèmes susceptibles de faciliter le recours à la violence ont été regroupés sur quatre facteurs, qui expliquent, respectivement, 37.6%, 9.8%, 8.6% et 8.2% de la variance totale. Les quatre sources potentielles de violence suggérées par l’analyse distinguent les problèmes personnels ou relationnels, les problèmes circonstanciels, les problèmes socio-environnementaux, et, plus précisément, la pauvreté (voir tableau 5 ci-dessus). Les moyennes recueillies par les items indiquent que, de façon générale, les répondants considèrent peu probable que ces facteurs facilitent le déclenchement de la violence. On peut toutefois remarquer que ce sont les problèmes personnels qui semblent être le plus à même d’occasionner des comportements violents, puisque ce sont eux qui recueillent les plus fortes moyennes : “le parent a reçu une mauvaise éducation” (M=4.69) et “le parent est agressif” (M=4.56).

Tableau 5

Facteurs facilitateurs de la violence. Solution factorielle, moyennes et écarts-type

Tableau 5
Saturation M ? Facteur 1. Problèmes personnels et relationnels (? : .90) Le parent a reçu une mauvaise éducation .85 4.69 1.91 Le parent est agressif .84 4.56 2.13 Le parent est mauvais .83 4.30 2.33 Le parent n’aime pas l’enfant .79 3.76 2.31 Le père et la mère ne s’entendent pas .69 4.33 2.04 Les parents sont divorcés .69 3.59 2.07 Le parent est influencé par la télévision .65 3.48 2.10 Le parent n’a jamais eu de famille .41 3.55 2.08 Facteur 2. Problèmes circonstanciels (? : .56) Le parent exige beaucoup de l’enfant .64 4.44 1.61 Le parent est fatigué .60 4.18 1.82 Le parent se sent seul .59 3.63 1.90 Facteur 3. Problèmes socio-environnementaux (? : .56) La famille n’a pas de bonnes conditions de logement .80 4.49 1.86 Le parent a des horaires de travail excessifs .67 4.61 1.63 Le parent est au chômage .57 3.95 2.00 Facteur 4. Pauvreté La famille est pauvre .79 4.03 1.65

Facteurs facilitateurs de la violence. Solution factorielle, moyennes et écarts-type

Les moyennes peuvent varier entre 1 (tout à fait improbable) et 7 (tout à fait probable).

Différences entre groupes

46Dans la mesure où la consistance interne des facteurs est généralement satisfaisante, comme le montrent les valeurs de l’alpha de Cronbach présentées dans les tableaux 2 à 5, nous avons construit treize échelles en calculant la moyenne des items regroupés par les analyses factorielles. Nous avons ensuite effectué une analyse de variance 2 (Lieu de résidence : quartier social vs. zone résidentielle) x 2 (Sexe du répondant : masculin vs. féminin) x 2 (Génération : adulte vs. enfant) pour chacune des échelles. Le tableau 6 (cf. page suivante) présente les moyennes recueillies par les treize dimensions en fonction des groupes étudiés, tandis que le tableau 7 (cf. page suivante) rapporte les résultats de l’analyse de variance appliquée sur ces moyennes.

Tableau 6

Représentations de la violence envers les enfants. Moyennes recueillies par les treize dimensions en fonction de la Génération, du Lieu de résidence et du Sexe d’appartenance des répondants

Tableau 6
ENFANTS ADULTES Quartier social Zone résidentielle Quartier social Zone résidentielle Masculin Femin Masculin Femin Masculin Femin Masculin Femin Tolérance envers la violence Dénigrement des enfants 3.93 5.50 4.80 4.35 4.53 4.53 3.30 3.43 Rôle éducatif des parents 6.30 5.90 5.75 5.50 4.40 5.80 3.75 5.25 Valorisation de la punition physique 5.25 5.35 4.80 5.35 5.80 5.60 5.55 5.95 Justification de la violence Causes inhérentes aux caractéristiques de l’enfant 4.72 5.15 4.26 4.64 2.33 3.39 2.79 3.43 Causes inhérentes aux caractéristiques du parent 3.13 4.22 3.83 3.43 1.83 1.83 1.30 1.45 Causes inhérentes au rôle parental 5.03 4.47 4.95 4.47 3.43 4.53 2.73 2.68 Conceptions de la violence Intimidation psychologique 5.16 5.54 4.88 6.03 3.70 4.80 6.54 6.59 Intimidation physique 4.73 4.77 5.47 5.43 3.90 4.10 6.10 6.03 Humiliation de l’enfant 4.50 4.23 3.57 4.93 2.93 3.17 5.33 5.37 Facteurs facilitateurs de la violence Problèmes personnels et relationnels 3.05 4.84 4.49 4.28 2.40 3.31 5.01 4.89 Problèmes circonstanciels 4.17 3.47 4.53 4.53 2.57 3.90 4.87 4.60 Problèmes socio-environnementaux 3.70 4.93 4.63 4.17 3.97 4.37 4.53 4.50 Pauvreté 2.70 3.40 4.80 4.30 3.90 4.70 3.60 4.80

Représentations de la violence envers les enfants. Moyennes recueillies par les treize dimensions en fonction de la Génération, du Lieu de résidence et du Sexe d’appartenance des répondants

Tableau 7

Représentations de la violence envers les enfants. Analyse de variance(*),(**),(***)

Tableau 7
Génération Sexe Lieu Génération x Sexe Génération x Lieu Sexe x Lieu Génération xSexe x Lieu F(1,72) F(1,72) F(1,72) F(1,72) F(1,72) F(1,72) F(1,72) Tolérance envers la violence Dénigrement des enfants 6.61* 1.32 5.70* 0.84 3.54 3.04 3.90 Rôle éducatif des parents 10.43** 2.92 2.67 7.20** 0.04 0.04 0.00 Valorisation de la punition physique 4.21* 0.66 0.11 0.19 0.28 1.01 0.02 Justification de la violence Causes inhérentes aux caractéristiques de l’enfant 43.30*** 5.77* 0.21 0.75 2.01 0.21 0.13 Causes inhérentes aux caractéristiques du parent 54.80*** 0.60 0.82 0.25 0.52 1.50 2.22 Causes inhérentes au rôle parental 25.72*** 0.00 5.70* 3.56 5.07* 0.96 1.24 Conceptions de la violence Intimidation psychologique 0.00 3.71 12.02*** 0.07 10.11** 0.04 1.72 Intimidation physique 0.03 0.00 14.37*** 0.00 3.51 0.05 0.02 Humiliation de l’enfant 0.13 1.32 13.49*** 0.49 16.52*** 1.45 2.37 Facteurs facilitateurs de la violence Problèmes personnels et relationnels 0.71 3.69 16.96*** 0.41 7.26** 6.11* 0.61 Problèmes circonstanciels 0.57 0.13 19.05*** 3.02 2.38 0.79 5.13* Problèmes socio-environnementaux 0.00 0.89 0.52 0.11 0.20 3.16 1.11 Pauvreté 1.66 2.49 4.03* 1.66 5.26* 0.33 1.32

Représentations de la violence envers les enfants. Analyse de variance(*),(**),(***)

*: p?.05;
**: p?.01;
***: p?.001

47L’observation du tableau 7 révèle des différences en fonction du Sexe, de la Génération ou du Lieu de résidence des répondants sur presque toutes les dimensions de la représentation.

Tolérance envers la violence

48En ce qui concerne les mythes qui pourraient permettre de tolérer la violence envers les enfants, on peut observer un effet significatif de Génération sur les trois dimensions. Ainsi, les enfants présentent un plus haut degré d’accord que les adultes avec la “mauvaise nature” des enfants (adultes : 3.94 ; enfants : 4.64) et avec l’idée selon laquelle le rôle parental implique une certaine autorité (adultes : 4.80 ; enfants : 5.86). Au contraire, les adultes sont davantage d’accord avec les vertus de la punition physique que les enfants (adultes : 5.73 ; enfants : 5.19).

49Par ailleurs, l’effet significatif du Lieu de résidence pour le dénigrement des enfants indique que les habitants de la zone résidentielle ont une vision moins négative de la nature des enfants que ceux du quartier social (zone résidentielle : 3.97 ; quartier social : 4.62). Enfin, l’interaction significative entre Génération et Sexe révèle que les adultes de sexe masculin sont moins d’accord que le rôle éducatif nécessite de recourir à des comportements autoritaires que les enfants de sexe masculin (adultes : 4.08 ; enfants : 6.03 ; t(24,60)=3.71 ; p=.001) et que les adultes de sexe féminin (5.53 ; t(32,68)=2.48 ; p=.018).

50En d’autres termes, les enfants paraissent adhérer plus que les adultes à des mythes qui pourraient rendre “normal et naturel” le recours à la violence, bien qu’ils soient plus en désaccord que les adultes avec la punition physique ; les hommes adultes s’opposent plus particulièrement à inclure la violence dans l’exercice du rôle éducatif des parents et, dans la zone résidentielle, on accorde moins de crédibilité aux mythes qui dénigrent les enfants.

Justification de la violence

51Dans l’attribution de blâme pour la violence exercée à l’égard des enfants, on observe aussi un effet significatif de Génération sur les trois dimensions. Les enfants considèrent plus acceptables que les adultes les trois types d’explication, à savoir les explications qui font reposer la violence sur les caractéristiques des enfants (adultes : 2.98 ; enfants : 4.69), sur celles des parents (adultes : 1.60 ; enfants : 3.65), ou encore sur le rôle parental (adultes : 3.34 ; enfants : 4.73).

52Par ailleurs, l’effet significatif de Sexe révèle que les répondants de sexe féminin considèrent plus acceptables les explications qui renvoient aux caractéristiques des enfants que les répondants de sexe masculin (sexe féminin : 4.15 ; sexe masculin : 3.53). L’effet significatif de Lieu indique en outre que les répondants de la zone résidentielle jugent moins acceptables les explications basées sur le rôle parental que les répondants du quartier social (zone résidentielle : 3.71 ; quartier social : 4.36). Cependant, l’interaction significative entre Lieu et Génération révèle que ce sont les adultes de la zone résidentielle qui estiment moins acceptables que les adultes du quartier social les explications fondées sur le rôle parental (adultes : zone résidentielle : 2.70 ; quartier social : 3.98 ; t(38)=3.04, p=.004), se différenciant simultanément des enfants de la zone résidentielle (4.71 ; t(38)= 5.52 ; p<.001).

53En résumé, les enfants se montrent plus enclins à légitimer la violence, considérant plus acceptable que les adultes les différentes explications proposées. Les faibles moyennes octroyées par les adultes aux trois dimensions nous permettent aussi de conclure que, pour ceux-ci, et surtout pour ceux de la zone résidentielle, aucune explication (ou, pour le moins, aucune de celles présentées) ne permet de justifier la violence envers les enfants.

Conceptions de la violence

54En ce qui concerne les conceptions de la violence envers les enfants, on peut observer un effet significatif du Lieu de résidence sur toutes les dimensions considérées. Celui-ci révèle que les répondants de la zone résidentielle considèrent plus violents que ceux du quartier social les différents types de comportements décrits (intimidation psychologique : zone résidentielle : 6.01 ; quartier social : 4.80 ; intimidation physique : zone résidentielle : 5.76 ; quartier social : 4.37 ; humiliation de l’enfant : zone résidentielle : 4.80 ; quartier social : 3.71).

55L’interaction significative entre Lieu et Génération sur deux dimensions (intimidation psychologique et humiliation de l’enfant) indique, cependant, que les différences proviennent surtout des réponses des adultes. Les adultes de la zone résidentielle considèrent en effet l’intimidation psychologique plus violente que ne le font les enfants de la zone résidentielle (adultes : 6.56 ; enfants : 5.45 ; t(22,13)=3.57 ; p=.002) et que les adultes du quartier social (4.25 ; t(19,95)=4.21 ; p=<.001). Ils estiment aussi que les actes qui humilient les enfants sont plus violents que ne le font les enfants de la zone résidentielle (adultes : 5.35 ; enfants : 4.25 ; t(24,74)=2.92 ; p=.007) et les adultes du quartier social (3.05 ; t(23,83)=5.65 ; p<.001). À cet égard, on peut relever que les adultes du quartier social ont une position particulière par rapport à ces actes, puisqu’ils les considèrent aussi moins violents que ne le font les enfants du quartier social (4.37 ; t(38)=2.81 ; p=.008).

56En d’autres termes, les habitants du quartier social, et en particulier les adultes, se détachent dans leurs réponses, en considérant les différents comportements décrits comme moins violents que ne font les habitants, notamment les adultes, de la zone résidentielle.

Facteurs facilitateurs de la violence

57Relativement aux facteurs facilitateurs de la violence, on observe également un effet significatif du Lieu de résidence sur toutes les dimensions, à l’exception des problèmes socio-environnementaux, qui présentent un fort consensus. Ainsi, les habitants du quartier social considèrent moins probable que les répondants de la zone résidentielle que l’ensemble des problèmes considérés puissent favoriser la manifestation de comportements violents à l’égard des enfants (problèmes personnels et relationnels : zone résidentielle : 4.67, quartier social : 3.40 ; problèmes circonstanciels : zone résidentielle : 4.63, quartier social : 3.53 ; pauvreté : zone résidentielle : 4.38, quartier social : 3.68).

58L’analyse des diverses interactions significatives met en évidence quelques variations dans cette tendance générale. Ainsi, l’interaction significative entre Lieu de résidence et Génération révèle que les adultes du quartier social estiment moins probable que les autres répondants que les problèmes personnels et relationnels puissent déclencher la violence envers les enfants (adultes : quartier social : 2.86 ; zone résidentielle : 4.95 ; t(31,33)=4.67 ; p<.001 ; enfants : quartier social : 3.94 ; t(38)=2.14 ; p=.038). Par ailleurs, l’interaction significative entre Sexe et Lieu indique que les hommes du quartier social présentent, sur cette dimension, des moyennes significativement inférieures aux autres répondants (hommes : quartier social : 2.73 ; zone résidentielle : 4.75 ; t(38)=4.33 ; p<.001 ; femmes : quartier social : 4.08 ; t(38)=2.75 ; p=.009).

59En ce qui concerne les problèmes circonstanciels, l’interaction entre Lieu, Génération et Sexe révèle que ce sont aussi les hommes adultes du quartier social qui se différencient des autres répondants : ils nient davantage l’importance de ces facteurs que les hommes adultes de la zone résidentielle (hommes adultes : quartier social : 2.57 ; zone résidentielle : 4.87 ; t(11,00)=3.91 ; p=.002), que les enfants de sexe masculin du quartier social (4.17 ; t(18)=2.48 ; p=.023) et tendent, en outre, à se différencier des femmes adultes du quartier social (3.90 ; t(18)=1.91 ; p=.072).

60Enfin, l’interaction significative entre Lieu et Génération met en évidence que les enfants du quartier social nient plus que ne le font les autres répondants l’importance de la pauvreté comme facteur facilitateur de la violence. Ils se différencient ainsi des enfants de la zone résidentielle (enfants : quartier social : 3.05 ; zone résidentielle : 4.55 ; t(38)=3.45 ; p=.001) et des adultes du quartier social : 4.30 ; t(38)=2.81 ; p=.008).

61En d’autres termes, à l’exception des problèmes socio-environnementaux, considérés comme de semblables potentiels déclencheurs de violence par l’ensemble des répondants, les habitants du quartier social se distinguent des habitants de la zone résidentielle par rapport à tous les autres problèmes : les adultes masculins du quartier social rejettent, en particulier, l’importance des problèmes personnels, relationnels et circonstanciels, alors que les enfants du quartier social nient l’importance de la pauvreté dans le déclenchement de comportements violents à l’égard des enfants.

Discussion

62De façon générale, nos résultats suggèrent que les différentes insertions sociales étudiées sont à l’origine de nombreuses variations dans les représentations sociales de la violence envers les enfants. Ces variations peuvent être discutées en fonction des hypothèses posées.

Influence du lieu de résidence

63Conformément à nos attentes, il existe des variations entre les représentations de la violence des habitants des quartiers sociaux et celles des habitants des zones résidentielles, dans la mesure où les habitants des quartiers sociaux paraissent avoir une représentation plus restreinte de la violence que les habitants des zones résidentielles (Hypothèse 1a). Cependant, les habitants du quartier social ne semblent tolérer davantage la violence que les habitants des zones résidentielles (Hypothèse 1b) que dans la mesure où ils adhèrent davantage aux mythes qui dénigrent les enfants, puisqu’ils ne valorisent pas plus l’autorité dans le rôle parental et ne sont pas plus d’accord avec la punition physique que les autres répondants. Ils ne justifient davantage le recours à la violence (Hypothèse 1c) que dans le cas où leur rôle de parent « exige » qu’ils fassent preuve d’autorité.

64Si, contrairement à notre Hypothèse 1d, les habitants du quartier social n’attribuent pas aux facteurs socio-environnementaux une plus grande influence dans le déclenchement de comportements violents, les hommes du quartier social minimisent la responsabilité des individus dans l’exercice de la violence, en rejetant davantage que les autres répondants l’influence des problèmes personnels, relationnels et circonstanciels. Au contraire, l’unique différence entre les enfants du quartier social et ceux de la zone résidentielle concerne la relation possible entre pauvreté et violence, relation surtout minimisée par les enfants du quartier le plus pauvre.

Influence du groupe sexuel d’appartenance

65Les différences entre les deux groupes sexuels sont peu nombreuses. Contrairement à nos attentes, les répondants masculins n’ont pas, de façon générale, une conception de la violence plus restreinte que celle des répondants féminins (Hypothèse 2a), ils ne la tolèrent (Hypothèse 2b), ni ne la justifient davantage (Hypothèse 2c). Par contre, et en accord avec notre Hypothèse 2d, les répondants féminins blâment davantage les enfants pour les manifestations de violence que les répondants masculins. Les adultes de sexe féminin considèrent également plus que les adultes de sexe masculin que le rôle parental nécessite de recourir à des comportements autoritaires.

Influence de la génération d’appartenance

66Les variations observées entre les représentations des enfants et des adultes ne vont pas dans le sens attendu. En effet, notre prédiction selon laquelle les adultes ont une représentation plus restreinte de la violence envers les enfants (Hypothèse 3a) n’est vérifiée que pour les répondants du quartier social, alors que, dans la zone résidentielle, les conceptions des adultes sont moins restreintes que celles des enfants. Contrairement à nos attentes, les enfants semblent tolérer la violence davantage que les adultes (Hypothèse 3b) puisqu’ils adhèrent davantage aux mythes qui valorisent le recours à l’autorité parentale et qui dénigrent les enfants. Enfin, ils justifient aussi la violence davantage que les adultes (Hypothèse 3c) puisqu’ils expriment un plus grand degré d’accord avec les différentes explications qui légitiment la violence à l’égard des enfants.

67Une explication possible pour ce résultat pourrait résider dans la croyance selon laquelle les enfants sont la propriété des parents, qui impliquerait, tout naturellement, que les parents protègent cette « propriété ». Une telle croyance pourrait dès lors amener les enfants à nier la violence de certains comportements parentaux et à chercher des explications à la violence en accord avec ces fondements culturels.

Conclusion

68Les données recueillies au moyen du questionnaire sur la violence envers les enfants dans la famille appuient les résultats obtenus avec la technique d’association libre : il existe un ensemble d’opinions socialement partagées à propos de la violence envers les enfants, mais faisant l’objet de nombreuses variations pouvant être associées aux insertions sociales des individus. Ainsi, il n’existe pas, à première vue, de grandes différences entre les conceptions de la violence des hommes et celles des femmes, mais les comportements de violence physique sont plus facilement évoqués par les hommes et les comportements de violence psychologique plus souvent mentionnés par les femmes. Les femmes justifient aussi davantage la violence provoquée par le comportement des enfants et, lorsqu’elles sont adultes, elles estiment plus acceptables que les hommes le recours à des comportements autoritaires dans l’exercice du rôle parental.

69Les habitants des deux zones d’habitation montrent des représentations plus clairement différenciées, qui suggèrent une moindre visibilité de la violence envers les enfants dans le quartier social. Les habitants de cette zone d’habitation donnent, en effet, moins de réponses lorsqu’ils doivent s’exprimer librement sur cette question et font, en particulier, beaucoup moins de références aux causes de la violence que les habitants de la zone résidentielle. Ce résultat se retrouve dans les comparaisons effectuées à partir du questionnaire d’opinion qui révèlent que les adultes du quartier social estiment moins violents que les adultes de la zone résidentielle tous les actes de violence qui leur sont présentés. En outre, les hommes adultes du quartier social refusent tout particulièrement d’admettre que des problèmes personnels, relationnels ou circonstanciels puissent jouer un rôle dans le déclenchement de la violence envers les enfants dans la famille.

70On peut ainsi observer que les représentations captées sont modulées par les expériences, les normes et les valeurs des groupes étudiés, qui produisent des variations aussi bien dans la définition des comportements violents, que dans les explications sur leur légitimité ou sur leur origine. En outre, puisque les représentations sont formées pour légitimer les comportements des individus (Mugny et Carugati, 1985), on peut aussi estimer que les différences relevées dans les représentations des adultes traduisent et prédisent des différences dans les comportements qu’ils adoptent envers les enfants.

71En ce qui concerne les enfants, nos résultats suggèrent qu’ils ont une représentation de la violence relativement différente de celle des adultes mais qu’ils montrent par contre une grande uniformité dans leur façon de conceptualiser la violence dont ils peuvent être victimes dans la famille. Si les enfants sont capables d’évoquer un nombre impressionnant de comportements violents et de façons d’exercer la violence, aussi bien physique que psychologique, leur estimation du degré de violence de tels comportements se situe entre celle des adultes de la zone résidentielle et celle des adultes du quartier social. De façon surprenante, les enfants évoquent fréquemment le comportement de leurs pairs lorsqu’ils s’expriment sur la violence envers les enfants, ce qui va de pair avec le fait qu’ils adhèrent davantage que les adultes aux mythes qui dénigrent l’enfant et qui valorisent le rôle éducatif du parent. Ceci explique probablement pourquoi ils tolèrent et justifient la violence, même quand elle est liée à des problèmes spécifiques aux parents. À ce propos, on peut noter que les enfants estiment moins probable que les adultes de la zone résidentielle (mais plus probable que les adultes du quartier social) que les problèmes des parents puissent déclencher des comportements violents à l’égard des enfants.

72En accord avec les auteurs de la cognition sociale (Crick et Dodge, 1994), on peut inférer que les interactions entre adultes et enfants influencent la façon dont les enfants structurent progressivement leur connaissance sur les causes et les effets de certains comportements, sur eux-mêmes et sur les interactions sociales. Une fois formées, ces représentations mentales contribueront à orienter la façon dont les enfants décoderont plus tard les situations sociales et sélectionneront le comportement qu’ils adopteront dans ces situations. En mettant en évidence les modes de penser de différents groupes sociaux, l’étude des représentations sociales de la violence permet de mieux comprendre quels modèles de comportements sont transmis d’une génération à l’autre dans ces différents groupes. Ainsi, malgré leur portée limitée, nos résultats suggèrent que les actions entreprises dans le but de prévenir et d’intervenir sur la violence familiale doivent prendre en compte les représentations de la violence véhiculées par les populations dans lesquelles celle-ci se manifeste et qu’elles doivent, pour être efficaces, agir simultanément sur les pratiques et les représentations des groupes concernés.

73Reçu le 10 septembre 2003

74Version modifiée reçue le 4 août 2004

75Accepté le 5 octobre 2004

Bibliographie

Références

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Notes

  • [*]
    La correspondance relative à ce travail peut être adressée à Gabrielle Poeschl, Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação, Universidade do Porto, Rua do Campo Alegre 1055, 4169-004 Porto, Portugal ou par courriel <gpoeschl@psi.up.pt>.
  • [1]
    Traduction de bairro social : quartier constitué par un ensemble de logements construits par la ville et destinés aux populations nécessiteuses.
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