Notes
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[1]
Texte repris d’une intervention lors des Journées nationales de l’EPFCL, « Les Symptômes de l’inconscient », 24 et 25 novembre 2018.
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[2]
Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 15.
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[3]
Bohler S., Le Bug humain, Paris, Robert Laffont, 2019.
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[4]
Lacan J., Le Séminaire « RSI », inédit, leçon du 21 janvier 1975.
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[5]
Lacan J., « Sur le plaisir et la règle fondamentale », Lettres de l’École Freudienne, n° 24, 1977, texte prononcé en juin 1975.
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[6]
Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 51.
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[7]
Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243.
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[8]
Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 339.
1Il peut paraître étonnant d’avoir mis au travail, comme nous l’avons fait lors des Journées nationales 2018 de l’EPFCL, ce qui est au fondement même de la psychanalyse, soit d’une part les symptômes à l’origine des élaborations de Freud, d’autre part l’inconscient qu’il a inventé et que Lacan a ré-inventé. Nous étonner car, plus d’un siècle plus tard et après de nombreux travaux sur ces sujets, tout n’a-t-il pas déjà été dit ?
2Les symptômes ont cette caractéristique d’être bien visibles mais celle de l’inconscient est au contraire de se faire oublier. Peut-être ne sommes-nous pas exempts de ce risque, d’autant que le signifiant inconscient n’a plus la résonance des premiers temps de son invention.
3Faisons alors ce pari de la répétition pour n’en pas rester à la seule assimilation de ce qui nous a été transmis et consentir à du nouveau, même infinitésimal. Revenir aux fondements n’empêche pas les inventions. Lacan l’a prouvé, faisant à cette occasion la démonstration également de ce qu’est le désir de savoir.
4Revenir aux fondements, c’est la leçon qu’il nous a donnée avec son retour à Freud. C’est nécessaire, toujours, pour saisir l’actuel, être au plus près du discours contemporain, voire anticiper, sans pour autant collé à son époque. Voilà d’ailleurs une question supplémentaire pour les psychanalystes : comment ne pas correspondre à l’époque à tout prix tout en se situant dans sa conjoncture ? Et quid des symptômes de l’inconscient ? En quoi le regard de la psychanalyse vient-il faire différence ?
…de l’inconscient
5Dire « Les symptômes de l’inconscient » suggère plusieurs développements. Cela suppose en premier lieu l’hypothèse de l’inconscient pour en développer la thèse, ce dont les psychanalystes ont la charge a minima.
6Passionnant, mais pas si facile. Qu’il y ait des symptômes, c’est généralement admis dans le discours commun, même s’il y a un décalage entre ce discours et la lecture que nous en faisons. Qu’il y ait de l’inconscient, même si le signifiant est connu de tout le monde, ça l’est moins.
7Lacan pensait en 1967 que l’hypothèse de l’inconscient était admise de tous. Il le disait ainsi : « Tout le monde sait maintenant qu’il y a un inconscient. Il n’y a plus d’objections, il n’y a plus d’obstacles [2]. » Est-ce si sûr encore aujourd’hui ? L’hypothèse de l’inconscient n’est-elle pas en sursis ? À quoi assiste-t-on ?
8On assiste à des transformations du langage dont nous savons qu’elles peuvent avoir des effets d’annulation. Remarquons par exemple que le signifiant « hystérie » est de plus en plus évacué du vocabulaire médical, au profit de « Personnalité histrionique », ce qui n’est pas sans effet. Parler d’hystérie devient old school, donc dépassé, comme cela pourrait le devenir pour l’inconscient.
9Lacan a tenté de renommer l’inconscient – le signifiant étant dépassé du fait même de sa traduction impropre à le décrire – non pas dans une intention d’annulation, bien sûr, mais au contraire pour le ré-inventer, lui donner la place qui lui revient. Notons que le signifiant est resté dans le vocabulaire commun, d’où peut-être son ravalement.
10Si la langue, pharmakon, peut être manipulée pour annuler ou déplacer une pensée, elle peut au contraire être travaillée, interprétée pour faire ouverture. Les artistes et les écrivains en sont la preuve dans leur domaine par leurs inventions, et les ruptures ou les sauts en avant qu’ils nous proposent. Lacan en a, de son côté et dans notre champ, maintes fois donné l’exemple avec ses rapprochements inhabituels, voire provocateurs, ses télescopages de mots ou encore les ruptures de rythme dans l’énonciation ; autant d’inventions qui ont contribué à faire vivre la psychanalyse. Pensons ne serait-ce qu’au néologisme de parlêtre qu’il substitue au terme d’inconscient et qui ne cesse de nous mettre au travail encore aujourd’hui. S’il n’y a pas à l’imiter, nous pouvons prendre exemple.
11On assiste – après avoir désigné les parents bien souvent et plus généralement ceux qui nous ont entourés comme fautifs du malheur des uns et des autres – à une prépondérance de plus en plus grande de la place donnée au cerveau comme responsable de ce qui nous arrive. Il est tentant de mettre les manifestations de l’inconscient non pas sur son propre compte mais sur celui de ses neurones, de telle partie du cerveau (c’est la faute du striatum, petite structure nerveuse sous le cortex cérébral, affirme Sébastien Bohler dans Le Bug humain [3]).
12Certes, certains avancent que les neurosciences démontrent l’inconscient mais notons qu’ils font partie de ceux qui en admettent l’hypothèse et sont donc convaincus par avance.
13Cela dit, les théories visant à faire de nous des sujets non pas de l’inconscient mais du cerveau sont peut-être en passe d’être également supplantées. De nouvelles thèses se développent, qui nous affublent d’un deuxième cerveau, qui deviendra peut-être le premier, à savoir le ventre. Les purges intestinales auraient les vertus de nous purger de nos symptômes, avec en prime une jouissance corporelle. Double effet donc, dès lors nettement préférable à l’hypothèse de l’inconscient.
14Plutôt que l’inconscient, c’est la pleine conscience qui est prônée, et au symptôme est substitué le trouble. Au fond, si l’idéal est d’atteindre la pleine conscience, c’est peut-être bien, justement et comme l’aurait remarqué Lapalisse, parce qu’elle n’est pas pleine. Quel est donc son vide, son trou qu’il faudrait boucher ? Quelle est cette énigme ?
15L’insu qu’il faudrait éradiquer pour arriver à la pleine conscience ne prouve-t-il pas par là même son existence ?
16Les projets transhumanistes visent aussi à éliminer l’inconscient et les symptômes, renforçant la preuve de leur existence. Leur tâche, bien qu’évidemment très problématique au regard de l’annulation du sujet qu’elle implique, n’est pas si étonnante : qui voudrait de la peste ? Qui peut espérer que son moi soit détrôné ? Comment admettre que des pensées construites, et non pas confuses même si elles engendrent quelques confusions, nous guident à notre insu ?
Les symptômes de…
17Dire « Les symptômes de l’inconscient », c’est mettre le curseur sur les symptômes qui intéressent la psychanalyse, soit ceux de l’inconscient. C’est particulariser le champ de l’analyse qui n’est pas d’éradiquer tous les symptômes. Restons modestes, la psychanalyse n’a pas pour vocation de sauver le monde. C’est, contrairement à l’idée des TCC (thérapies cognitivo-comportementales), affirmer que l’un ne va pas sans l’autre. Si le sujet n’est pas maître à bord de son propre navire, nous le savons, la biologie ou la science – jusqu’à maintenant tout au moins – ne sont pas maîtres à bord du sujet. Les symptômes qui se bécotent [4] avec l’inconscient en attestent.
18Au commencement d’un travail, que nous prenions en charge l’inconscient, rares sont celles et ceux qui nous le demandent. Que nous prenions en charge les symptômes, la demande des sujets est au contraire beaucoup plus fréquente et affirmée. Si l’hypothèse de l’inconscient est en sursis, si sa prise en compte baisse, l’offre de prise en charge des symptômes avec la multiplication des thérapies, est en forte hausse.
19Passionnant encore mais pas facile non plus.
20D’abord parce que, comme le dit Lacan en 1975 à propos de ce qui est visé dans la règle fondamentale de la psychanalyse : « la chose dont le sujet quelconque est le moins disposé à parler […], c’est de son symptôme, c’est de sa particularité [5]. » Autre complexité : la seule arme dont nous disposions pour en faire autre chose est l’équivoque. Autant dire que c’est David contre Goliath. Comment, avec le symbolique, agir sur le réel ? Comment agir avec l’équivoque sur l’asémantique ? Cela dit, David réussit bien à terrasser Goliath. Le caillou, arme bien légère en apparence mais utilisée avec justesse pour faire entaille dans le tout-puissant Goliath, voilà une métaphore de l’interprétation par l’équivoque, grain de sable dans le flot de parole qui fait hystoriole.
21Le symptôme est au point de départ des demandes des sujets et, s’il n’y est pas, il nous revient de l’y mettre. On sait que Lacan éconduisait les demandes d’analyse visant à mieux se connaître, il le disait dans une conférence dans les universités nord américaines. Et on lui connaît cette question à celles et ceux qui lui demandaient une analyse : « Quel est votre symptôme ? »
22Le symptôme est au point de départ donc, et chaque fois, avec chaque patient, avec chaque analysant, il s’agit de recommencer, ou plutôt de réinventer puisque, quand nous disons « Symptômes de l’inconscient », nous affirmons le singulier – il n’y a pas d’inconscient collectif – et par conséquent le pluriel des parlêtres. Pas de recette miracle pour tous, si bien qu’il nous revient d’établir la pertinence du discours analytique pour chacun.
23En dépend, je crois, l’avenir de la psychanalyse, car, sans le travail des analystes qui doivent en mettre un coup, il deviendra difficile pour les analysants d’en faire autant pour arriver à la fin d’une cure. Comment en effet pourraient-ils faire face à ce travailleur infatigable qu’est l’inconscient et ce bricoleur inlassable [6] qu’est le symptôme ? Il y a là de quoi épuiser le sujet qui, lui, est fatigable et peut se lasser. D’ailleurs, il ne se gêne pas pour le dire, pour régulièrement interroger la poursuite de son analyse dont il espère ou pense espérer la fin.
24Il faut dire que d’autres solutions se présentent pour ne pas affronter le symptôme et donc l’inconscient. La religion, par exemple. Dans « La Troisième », Lacan disait qu’à force de le noyer dans le sens, dans le sens du religieux, on arriverait à le refouler.
25À supposer que la religion échoue, il n’y a toutefois pas beaucoup de doute : les discours du maître, de l’université, de l’hystérique, auxquels nous pouvons ajouter ceux dits capitaliste ou de la science, garderont leur prépondérance, ou bien ils seront, si ce n’est déjà le cas, supplantés par les processus de ségrégation.
26Notons que refouler le symptôme n’équivaut pas à le faire disparaître et que le discours analytique, par son dire que non, garde sa pertinence pour quelques-uns tout au moins, au un par un.
27Alors quelle est cette pertinence ? Quelle est sa portée thérapeutique sur le symptôme ?
28La psychanalyse n’a pas qu’un effet d’élucidation – il s’agit de tirer au clair l’inconscient – mais aussi, et probablement faudrait-il dire surtout de changement. La fin de l’analyse ne met de toute façon pas fin à l’inconscient.
29L’inconscient se révèle par l’échec, par ce qui rate, par le symptôme, lequel est à l’entrée en analyse. Qui plus est, à la fin les attentes du début sont déçues. Pas de positivisme, donc, dans le discours analytique, et pourtant nous parlons bien de satisfaction, d’enthousiasme à la fin. N’est-ce pas un point sur lequel le désir du psychanalyste a à s’appuyer pour se situer dans la conjoncture de l’époque ? L’analyste ne s’autorise que de lui-même, soit de son désir, mais il n’y a pour autant pas de pur désir déconnecté du monde, de l’époque, et encore moins d’une École qui compose les quelques autres que Lacan ajoute au « lui-même [7] ». Et si le désir d’analyse est parfois un pari pour l’analysant, souvent un défi pour l’analyste, il n’est tenable ni pour l’un ni pour l’autre sans la visée de la fin quand il s’agit de faire désirer parler de ce dont le sujet ne veut pas : les symptômes de l’inconscient.
30Dire « Les symptômes de l’inconscient », c’est faire orientation pour les analysants comme pour les analystes. C’est prendre les choses « par le bon bout [8] ». Dans cette formulation est condensé ce qui est au cœur de la psychanalyse, l’inconscient certes mais aussi ses manifestations qui ne sont pas le produit d’une logique dont la science pourrait tirer des petites équations, mais d’un nœud, ce dont nous pouvons continuer à apprendre.
Seul ailleurs à explorer ?
31Nous disons du symptôme qu’il est une solution. Soit, mais la psychanalyse n’est plus la seule à le dire.
32La différence porte sur la qualification de cette solution. Considérée comme mauvaise, voire interdite dans le discours commun, l’analyse lui accorde une valeur. Non pas une valeur qui autorise mais qui parle de l’inconscient dont il faut alors être dupe pour y voir plus clair.
33À notre époque où nous pouvons voyager à moindre coût avec les compagnies low cost, où la moindre question trouve sur internet des milliers de réponses, où la connaissance semble être à notre portée, à tous, qu’en est-il de l’aventure ? Existe-t-il encore un ailleurs ?
34Dire « Les Symptômes de l’inconscient », c’est doublement parler de l’ailleurs, l’ailleurs comme ce qu’on ne sait pas, c’est proposer de s’y confronter.
35Quoi de plus ailleurs aujourd’hui que l’inconscient, que les symptômes ? C’est l’offre de la psychanalyse que de s’y pencher. C’est peut-être le seul ailleurs qui nous reste, un extime qui n’est pas sans demander un certain courage, qui n’est pas sans découvertes inattendues, jusqu’à satisfaction.
Notes
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[1]
Texte repris d’une intervention lors des Journées nationales de l’EPFCL, « Les Symptômes de l’inconscient », 24 et 25 novembre 2018.
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[2]
Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 15.
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[3]
Bohler S., Le Bug humain, Paris, Robert Laffont, 2019.
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[4]
Lacan J., Le Séminaire « RSI », inédit, leçon du 21 janvier 1975.
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[5]
Lacan J., « Sur le plaisir et la règle fondamentale », Lettres de l’École Freudienne, n° 24, 1977, texte prononcé en juin 1975.
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[6]
Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil, 2011, p. 51.
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[7]
Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243.
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[8]
Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 339.