Notes
-
[1]
Lacan J., « La Signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 691.
-
[2]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, Paris, Seuil, 1973, p. 16 ; Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449-495.
-
[3]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 116.
-
[4]
Lacan J., « Postface », Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 252.
-
[5]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 36.
-
[6]
Ibid., p. 25.
-
[7]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 23 ; Autres Écrits, op. cit., p. 466.
-
[8]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 75.
-
[9]
Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, 1973, p. 58 ; Autres Écrits, op. cit., p. 509-545.
-
[10]
Lacan J., « La Méprise du sujet supposé savoir », Scilicet, no 1, Paris, Seuil, 1968, p. 39 ; Autres Écrits, op. cit., p. 329-339.
-
[11]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 9.
-
[12]
Cf. mon texte « Les Commandements de la jouissance », 1997, qui fut censuré du temps de l’ECF, ou plus exactement retiré de chez l’éditeur par un Conseil obéissant à la voix de son maître, au nom d’un supposé plagiat.
-
[13]
Lacan J., « Compte rendu sur L’Acte analytique », Ornicar ?, no 29, Paris, Navarin, 1984, p. 21.
-
[14]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 75.
Vers la question
1Le réel hors symbolique n’advient jamais tout seul, il arrive qu’il se rencontre, catastrophiquement parfois, par exemple dans lesdites catastrophes naturelles, mais il n’advient que par fusion, indissoluble mariage, avec un élément langagier qui le transforme. Les avènements du réel sont donc divers et fonction des discours en exercice. Ainsi, l’alunissage que Télévision prend comme exemple-type, advient-il par la coalescence du réel du nombre avec le réel hors symbolique de la matière, et il diffère de beaucoup du moindre avènement de symptôme de corps. C’est pourtant la même structure, l’émergence conjointe d’une présence réelle inédite, ici celle de l’événement de jouissance et d’un signifiant de l’inconscient. Tout avènement est donc témoin de l’opérativité du langage et il est le contraire d’une forclusion, si on la définit bien comme défaut d’un signifiant pour un réel rencontré.
2Alors, quand Freud dit à la fin, « Que veut la femme ? », c’est une formule de reconnaissance de la différence de cette moitié des êtres sexués, mais ce n’est pas une formule d’avènement de La femme comme Autre. Lacan au contraire, en posant la conjonction de sa jouissance autre, réelle, – connue d’ailleurs depuis toujours, confer Tirésias – avec la logique langagière du pastout, a bien produit l’avènement de la « surmoitié » dans la psychanalyse. C’est d’ailleurs ce qu’il lui fait dire dans « L’Étourdit » : quand il la fait parler, elle le remercie en quelque sorte d’avoir, je cite, « fait l’Autre ».
3Je rappelle, fait marquant, que cette nouveauté lacanienne, pourtant des plus sophistiquée dans son style et complexe par sa construction, a immédiatement été enregistrée dans la civilisation par des femmes, les féministes, – elles ont même fait son succès aux USA. J’y vois quant à moi la preuve que là où il y a rejet ou indifférence à l’égard de l’écriture lacanienne, ça ne vient pas de la difficulté de lecture, comme on nous l’explique si souvent.
4Par le recours à la logique des ensembles, Lacan a produit l’avènement de ce qui n’advient pas dans le discours par le seul signifiant, de ce qui en est exclu par la nature… des mots, à savoir La femme dont il peut dire qu’elle n’existe pas, car manque pour elle dans le langage, non pas son signifiant, ce La de La femme qui ne manque dans aucune langue, Lacan y insiste dans Encore, mais le signifiant de sa jouissance, cette absence laissant sans pair l’autre signifiant, celui de l’homme qui ex-siste par le phallus majuscule, grand phi, signifiant de sa jouissance non négativable. En tant qu’être sexué, elle est donc… la différente. C’est une autre énigme que celle de la Sphynge d’Œdipe.
5Ce qui ne veut pas dire que toutes les femmes sont différentes, elles demandent même aujourd’hui à être des égales, et ce n’est pas un paradoxe contrairement aux apparences. En tant qu’être parlant, une femme est un sujet comme un autre, aussi universalisable que tout autre sujet de la science, et qui peut légitimement lutter pour l’égalité de ses droits sociaux, professionnels, artistiques et politiques, mais la psychanalyse, de Freud à Lacan, traite spécifiquement des symptômes générés par l’inconscient dans le « champ clos du désir [1] » sexuel. C’est à ce niveau qu’elle est l’Autre, la différente. On ne demande pas que « veut l’homme » ? Certains s’en sont étonnés, mais n’est-ce pas parce qu’on le sait ? Je regrette vraiment de ne pas pouvoir développer ce point, mais dans les termes de « L’Étourdit », l’homme advient quand l’a priori du phallus, qui vaut pour tous les parlants, se conjoint à l’exception du dire-Père qui lui faisant limite, lui donne consistance. C’est pourquoi cet homme, Lacan l’écrit « l’hommoinsun », le moins-un étant ici celui de l’exception qui fonde le tout phallique de l’homme. Encore faut-il ne pas omettre de noter que pour cet homme, ce qui semblait bon heur du fait des « largesses de l’héritage biologique [2] » devient mal heur, un malheur qui a pour nom : castration.
6L’avènement de la pastoute dans la psychanalyse ouvre évidemment bien des questions, celle-ci notamment sur laquelle je m’arrête aujourd’hui : qu’en est-il dans chaque psychanalyse ? Comment l’exclue de tout discours peut-elle se révéler dans une pratique de discours – qui n’est pas l’acte sexuel où sa jouissance a été reconnue, mais une pratique… de blabla. Comment peut-elle hanter le discours avec son hors-discours ?
L’Un-en-moins
7Lacan s’est posé la question. Sa réponse se situe du côté de la structure du langage qui opère en tout discours et à laquelle il n’est pas de blabla qui puisse échapper. Cette structure étant faite de signifiants qui sont autant d’éléments discrets, unaires, homogènes au Un phallique, dès lors, le signifiant de sa jouissance autre, ne peut s’y loger que comme celui qui y manque, comme « l’Un-en-moins [3] », l’Un toujours en moins. C’est Un en moins dans la multiplicité de tous les uns de signifiants qui s’énoncent. C’est le signifiant toujours encore à venir dans le vecteur de l’articulation langagière. La femme est un non-avènement qui se répète jusqu’à l’infinitude, car le lieu du langage, le savoir inconscient, ne sait rien de cette incarnation distincte du sexe qu’est la femme. Il y a plus, là où Cantor résout cette autre infinitude qui est celle de la série des nombres entiers par l’invention de ses alephs, eh bien, pas d’Aleph de La femme. Elle advient, certes, mais comme… l’inaccessible du deux du sexe. C’est aussi ce qui me permet de comprendre le temps qu’il a fallu à Freud pour affirmer la différence de la femme, lui qui lui avait d’abord appliqué la même toise qu’à l’homme. Pas besoin de recourir à ses supposés préjugés, car dans la psychanalyse, ce qu’il suivait, Freud, c’était « le dit de l’inconscient », ce dit où justement elle manque, elle est l’Une-en-moins, tout comme manque ce qui serait le dernier mot de la vérité, toujours mi-dite. Freud, avec ce que Lacan a nommé « ses amours avec la vérité » (« Lettre aux italiens »), ne pouvait l’y rencontrer que comme l’éternelle absente. D’où son temps pour conclure sur ce que l’on sait pourtant depuis toujours, car dans une psychanalyse pas moyen de prendre idée de la différence de la femme par la seule interprétation de « ce qui se dit [4] ». L’inconscient parlêtre qui produit « le texte même dont se formulent les symptômes » de la névrose, l’expression est de Lacan dans « L’Étourdit », relève de la « norme mâle [5] » écrite en deux mots. Autre façon de le dire plus provoquante : La femme n’a pas d’inconscient, cf. Encore, elle est la radicalement Autre.
8Je précise là que, selon moi, la différence « radicale » n’est pas la « différence absolue » qui a fait beaucoup gloser. Celle-ci est sans pair, sans comparaison. La différence radicale, elle, ne va « pas sans », pas sans le phallique langagier dont elle se distingue radicalement. Ce pourquoi les femmes qui sont des êtres parlants, elles, ont un inconscient. L’exemple du « pas sans » de la pastoute, c’est Antigone. Antigone, dont Lacan dit qu’il Sphynge sa pastoute [6], eh bien, elle n’affirme son éthique radicale que par rapport à Créon ; les mystiques, même les béguines, manient une poésie d’amour qui ne va pas sans s’étayer sur le texte du dogme de l’amour chrétien sur le fond duquel elle se détache. On voit bien là que les exclus d’un discours n’en sont pas les rebuts. Plutôt en seraient-ils le poil à gratter, comme le montrent les siècles d’hésitation de l’Église romaine pour les placer entre sanctification ou hérésie, donc, entre inclusion idéalisante ou diabolisation excluante.
9Avec cet Un-en-moins, l’essence de La femme est une question sans réponse, mais sa place est marquée dans la structure, soit dans le réel du langage, place sans laquelle nous ne pourrions pas même l’évoquer. Et Lacan de dire, dans la « Préface à L’Éveil du printemps », c’est une « place de vide ».
10Cette place permet-elle d’évoquer l’analyse de la part pastoute des analysant(e)s ? Comment se manifeste cliniquement la métonymie de l’Un-en-moins, et les négations spécifiques qu’elle génère à l’endroit du phallique sur lequel elle s’étaye ? Ne se manifeste-t-elle pas comme suspens de la consistance, et même relance du suspens de la consistance, ce qui veut dire indétermination, infinitude, incomplétude, indémontrabilité, indécidabilité. Autrement dit, défaut répété des points de capiton susceptibles de faire conclusion, soit limite au vecteur du discours. On en forme l’hypothèse. Mais problème : la pastoute est Une-en-moins, toujours, mais elle n’est pas la seule. Un examen détaillé de ce point serait nécessaire.
11Quand il s’agit du pastout d’une femme, je cite, « la puissance logique du pastout s’habite[r] du recès de la jouissance que la féminité dérobe [7][…] » Une jouissance bien réelle, hors symbolique, donc, peut remplir la place de vide ménagée par le langage qui agite les corps, comme dit Lacan, mais ce n’est qu’un cas particulier de pastout, car la logique ignore tout des jouissances et tout ce qui relève du pastout n’est pas femme pour autant, ne s’anime pas nécessairement de la jouissance autre. La preuve, s’il en fallait une, par l’analyste, qui lui aussi, selon Lacan, relève du pastout, mais seulement par son « autre désir », si je peux le dire par homologie à « autre jouissance ».
12On constate d’ailleurs combien la consistance en suspens propre au pastout prête cliniquement à confusion avec l’égarement de la névrose, avec le doute obsessionnel, et les incertitudes du sans foi hystérique. Plus structuralement, la vérité mi-dite elle-même n’est pastoute, elle métonymise du Un-en-moins. Elle « balbutie [8] », dit Lacan, et il nous avertit de faire attention au terme, ce qui signifie justement qu’elle ne conclut pas, mirage du dernier mot. Or, la vérité dans l’analyse, ce n’est pas seulement pour la pastoute, c’est la voie de chaque analysant qui, invité à dire sa vérité, mot à mot, séance après séance, ne peut faire moins que d’aller vers le mirage du dernier mot qui, de manquer, empêchera de la dire toute.
13D’où justement la question de la fin de l’analyse. Qu’est-ce qui peut finalement boucher cette béance structurale du mi-dire de la vérité pastoute et y mettre un point d’arrêt ? La réponse déjà élaborée dit : l’objet a substantifié du fantasme pour ce qui est du désir, et la lettre du symptôme pour ce qui est de la jouissance, et tous deux, objet a et lettre, sont des avatars du registre phallique. L’objet l’est par sa fuite et le symptôme par sa fixion. Autrement dit, concernant la confusion avec la névrose que je viens d’évoquer, c’est seulement quand une névrose est soignée, à savoir quand ce qui obturait la béance de sa vérité est cerné, que l’on sait que la réticence du sujet à conclure, relevait du « je n’en veux rien savoir » névrotique et non de l’inaccessibilité logique du pastout qui, elle est l’un des réels de la logique, et qui est donc un incurable. Ça s’écrit S(Ⱥ), Lacan le précise.
14Encore une parenthèse avant de conclure : pour les parlants, avant de s’appeler La femme, l’un des noms du pastout, c’est dieu. Pas le dieu du dire magistral de Moïse, l’un des trois dio-logues que Lacan a distingué, mais le dieu des mystiques dites de l’essence, le dieu imprédicable de la théologie négative, celui que Maître Eckhart convoque par et dans le langage. Il le fait par la négation de tous les attributs possibles, faisant de son dieu l’Un-en-moins de tout ce qui peut se formuler. Le « fond sans fond », soit là où manque justement la pierre du nom sur laquelle fonder une église. Et l’intérêt de Lacan pour les deux scientifiques découvrant la face autre de l’Autre – Swedenborg, qui a aperçu ce qu’Emmanuel Kant ne voulait pas savoir, et Newton avec ses commentaires du livre de Daniel – n’est pas le fait du hasard. À lire dans Télévision [9]. Quant à Joyce, il en est comme la combinaison, lui qui allie le seul « avoir » du dire magistral, tel Moïse, au rejet de tout sens articulé et qui, tel Maître Eckhart, cultive l’ab-sens, ab-sexe, mais sans fascination pour le gouffre, au profit au contraire des lettres-fixion.
15Dans les trois cas, le lieu du langage est exploré et on comprend pourquoi Lacan a pu affirmer que dieu est inconscient, inhérent, en effet, à l’in conscient-langage. La multiplicité de ces trois Pères de la « Dio-logie [10] », qui semble loin de notre question sur le sexe autre, indique en tout cas, à elle seule, que l’être de la signifiance laisse des choix possibles. C’est ainsi que sans penser le moins du monde à dieu, un simple sujet, tout en appartenant à la moitié à laquelle le phallus n’a pas été attribué a priori par le dire parental, ce sujet peut soit, je cite, « se proposer d’être dite femme », soit Autre radical, ou au contraire se proposer d’opérer comme objet a, « cause du désir », soit pas Autre mais le contraire, hystérique « hors sexe ». Ce sont deux positions par rapport à un réel de la signifiance.
16Du coup, pas besoin de la religion, ni même des mystiques qui ne font que confirmer, pour saisir que cette « incarnation distincte du sexe », distincte du phallique, suffit à manifester la place de vide inhérente à l’ensemble des signifiants que les logiques de l’infinitude explorent. D’où l’intérêt que nous devons avoir pour l’Autre, selon Lacan. Mais ne peut-on pas trouver plus substantiel que la place de vide ? Le dire par exemple que « L’Étourdit » promeut.
Son dire
17Le dire « vient d’où le réel commande à la vérité [11] ». Autrement dit, le réel du pas de rapport sexuel et avec lui de la logique toute ou pastoute de la jouissance, commande aux dits de vérité toujours singuliers. Le dire ne peut donc manquer, lui aussi, « d’être sexué [12] », distinct selon qu’il sera un dire du tout phallique ou du pastout phallique. Je relève deux indications de Lacan sur le dire propre au pastout phallique. L’une le place dans la civilisation, l’autre dans l’analyse. Dans la civilisation, elle ne se surmoite pas aussi facilement que la « conscience universelle », dit-il. C’est la thèse freudienne. La conscience universelle comme son nom l’indique, c’est celle qui marche aux ordres de la voix surmoïque de la civilisation, laquelle dit au fond « encore un effort », toujours un effort, ce que Lacan traduit à juste titre par « jouis ». En effet, comment l’homme pourrait-il s’efforcer pour se faire homme, pour se loméliser, sinon en mobilisant la jouissance phallique qui soutient toutes les entreprises, mais qui ne peut éviter les coupures castratrices du langage. Impératif sardonique.
18Mais quand Lacan ajoute « Ses dits ne sauraient se compléter, se réfuter, s’inconsister, s’indémontrer, s’indécider qu’à partir de ce qui ex-siste des voies de son dire », il ne s’agit plus seulement de la civilisation mais de l’analyse, puisque c’est le seul discours qui vise à faire ex-sister un dire par la voie des dits. J’ai mis du temps à saisir que cette phrase s’applique en fait à tout analysant et pas seulement à la pastoute. En effet, à tout analysant, l’analyse accomplie révélera le dire de la sphère de son petit univers dit privé, en complétant ses dits de vérité mi-dite par l’objet a, ou par la jouissance du symptôme, ce qui n’empêchera pas que l’Autre reste barré, pas de consistance ou de complétude qui ne suppose son contraire, l’asphère avec une apostrophe, de l’inconsistance, de l’indémontrable, de l’indécidable, ce que la logique des ensembles a établi parallèlement à la psychanalyse et pas seulement pour les femmes. Cette phrase nous dit que dans l’analyse, les pastoutes sont soumises au même régime unique de l’analyse, avec la même visée : avérer les modes de jouissance qui capitonnent la béance de l’Autre, tout en la révélant irrémédiablement.
19Alors pour la différente, permettez un néologisme, la di(re)fférente, si sa spécificité dans l’analyse ne peut être qu’au niveau du dire à inférer, voyons ce qui spécifie en général le dire analysant. Dans l’analyse, pour tout analysant, le dire est demande, couplée au supposé savoir, et savoir quoi ?, sinon les signifiants qui rendraient compte des embrouilles de la jouissance et des souffrances qu’elles produisent. C’est ce que l’on appelle l’amour de transfert, et sa demande s’engendre de l’objet a en tant qu’il manque, « l’analyste se fait de l’objet a [13] », car, c’est à partir de ce manque que le savoir sur la jouissance peut être questionné. La thèse vaut pour tous les parlants. Sauf que la jouissance ne passe pastoute au savoir, que seule la phallique est coalescente au savoir et qu’un être qui n’est pastout dans le signifiant ne peut pas avoir le même rapport au sujet supposé savoir et à son traitement en fin d’analyse. Résultat, le troumatisme, qui est de structure et pour tout parlant, et qui n’est d’ailleurs pas forcément traumatique, est redoublé pour les êtres qui relèvent du pastout.
Son amour
20De ces êtres là, Lacan dit : ils ont plus rapport à l’Autre. Ce qui veut dire deux choses possiblement : d’abord, peut-être qu’ils sont plus portés au transfert qui interpelle l’Autre sur son savoir quant à la jouissance, on le constate, et sans eux, sans elles, la psychanalyse n’aurait pas été inventée. Mais ensuite qu’ils ont rapport à un Autre autre que le sujet supposé savoir. La jouissance autre, c’est la jouissance retranchée du signifiant, pas causée par un objet a, qui implique un Autre « pas savant du tout », expression de Lacan, lieu vide de signifiants, Ⱥ. C’est ce dont parlent les mystiques justement, un dieu où il n’y a plus ni figures, ni distinctions, et ni nom, n o m, – ce sont autant de citations – le gouffre, les ténèbres, l’absence, mais un dieu auquel la créature se fera peut-être identique par une ascèse anéantissante. Maître Eckhart. On sent bien que ça frôle l’hérésie quoique ça suive la logique des inconsistances du langage. Ce fil logique explique d’ailleurs, selon moi, qu’au fond, à les relire, on constate qu’ils disent tous la même chose, et répétitivement, et de façon lassante, le lieu vide, évoqué par la négation de toutes les distinctions. Alors, le pastout en analyse, quels en sont les « témoignages sporadiques [14] » ? Je dirais, en bonne logique, une possible destitution de l’Autre qui ne soit pas sa réduction à l’objet a fondant le deuil final, selon Lacan, et qui serait plutôt une minoration de toute valeur signifiante – très sensible dans les écrits mystiques, c’est leur paradoxe. Pour les femmes, je crois que c’est ce que Lacan nomme leur liberté plus grande. Liberté à l’égard du signifiant justement. De là, on pourrait ajouter pour le pastout quelque chose à nos formules sur la phase finale de l’analyse, celle que Balint avait bien située comme étant au-delà des bénéfices de l’élaboration. Cette phase, dont on constate qu’elle ne fait que s’allonger avec le temps, s’éclaire, selon Lacan, d’une double façon : dans « L’Étourdit » en 1972, il la situe comme temps du deuil de l’objet a dans la relation à l’analyste ; dans la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » de 1976, c’est le temps qu’il faut aussi pour s’identifier à la lettre de jouissance hors sens, en tant qu’être parlant. Pourquoi ne pas y ajouter le temps qu’il faut ou faudrait pour une identification éventuelle du pastout à l’innommable ? Mais question : l’innommable, qui fait déchoir la valeur de la lettre dans l’acmé d’une vérité silencieuse, d’où toute articulation est soustraite, se prête-t-il à une identification finale ? Chez les mystiques, l’indicible vide ne se convoque que dans l’adresse à l’Autre divin, un Autre radicalement barré qu’il sustente en tant que tel. L’analyse de la pastoute qui destitue assurément le supposé savoir, peut-elle destituer, au-delà, l’Autre radicalement barré par une identification au silence de l’innommable ?
Notes
-
[1]
Lacan J., « La Signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 691.
-
[2]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, Paris, Seuil, 1973, p. 16 ; Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449-495.
-
[3]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 116.
-
[4]
Lacan J., « Postface », Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 252.
-
[5]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 36.
-
[6]
Ibid., p. 25.
-
[7]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 23 ; Autres Écrits, op. cit., p. 466.
-
[8]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 75.
-
[9]
Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, 1973, p. 58 ; Autres Écrits, op. cit., p. 509-545.
-
[10]
Lacan J., « La Méprise du sujet supposé savoir », Scilicet, no 1, Paris, Seuil, 1968, p. 39 ; Autres Écrits, op. cit., p. 329-339.
-
[11]
Lacan J., « L’Étourdit », Scilicet, no 4, op. cit., p. 9.
-
[12]
Cf. mon texte « Les Commandements de la jouissance », 1997, qui fut censuré du temps de l’ECF, ou plus exactement retiré de chez l’éditeur par un Conseil obéissant à la voix de son maître, au nom d’un supposé plagiat.
-
[13]
Lacan J., « Compte rendu sur L’Acte analytique », Ornicar ?, no 29, Paris, Navarin, 1984, p. 21.
-
[14]
Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 75.