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Article de revue

La hâte et la sortie

Pages 65 à 74

Notes

  • [1]
    Ce texte reprend une intervention prononcée le 5 juillet 2008 au Ve Rendez-vous international de l’IF-EPFCL à São Paulo (Brésil) sur « Le temps du sujet de l’inconscient ». Traduction de l’espagnol par Vicky Estevez, revu par l’auteur.
  • [2]
    Lacan J., Scilicet, n° 5, Paris, Seuil, 1975.
  • [3]
    Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966.
  • [4]
    Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 433.

Politique du temps

1Si l’inconscient ne connaît pas le temps, on peut déduire que l’orientation d’une analyse ne peut donc pas se limiter au déchiffrage de l’inconscient. Lacan le formule explicitement en 1972, dans le compte rendu de son séminaire « Ou pire… [2] » Dans ce texte, Lacan évoque la découverte freudienne de l’inconscient et en reprend l’essence en disant qu’il est structuré comme un langage. Mais Lacan ne met pas l’accent sur la découverte de Freud, il le met sur la création du dispositif analytique ; il parle d’un étage supérieur, une autre zone, « là où le réel touche au réel », et ajoute que c’est ce qu’il a articulé comme étant le discours analytique.

2Par conséquent, la perspective de l’analyse ne se soutient pas uniquement du fait que le symbolique permet de cerner le réel du sujet mais considère la manière dont, dans la pratique analytique, le couple analysant-analyste est pris par le réel. « Le réel touche au réel » indique non seulement la possibilité d’un effet analytique qui ne se limite pas à révéler le signifiant refoulé, mais aussi la possibilité que le réel de l’analysant soit susceptible d’être modifié sans passer par le symbolique.

3Cette proposition de Lacan montre que sa perspective de la cure analytique est liée à l’inconscient mais, plus essentiellement, au réel du symptôme, ce qui est déterminant pour le maniement du temps dans la cure. On pourrait effectivement appliquer à l’égard du temps le tripode avancé par Lacan dans « La direction de la cure [3] », c’est-à-dire qu’il s’agirait d’une question de tactique, de stratégie et de politique. Prenons, par exemple, le débat sur la durée de la séance que je trouve essentiel de placer sur la base de ces coordonnées. Il y a un niveau purement tactique dans lequel l’analyste est libre, comme c’est le cas dans toute intervention, et l’analyste est également libre de choisir le moment de la fin de la séance. Cette position constitue une objection à faire de la séance à durée variable ou des séances courtes une règle technique car, concernant la tactique, l’analyste est le seul maître à bord.

4Si l’analyste est moins libre quant à la stratégie du temps dans la cure, c’est parce que le temps dans l’analyse est lié à la logique imposée par la structure clinique, variable au cas par cas, mais avec des points constants selon les structures.

5Venons-en maintenant à ce que Lacan a appelé la politique de la psychanalyse, là où l’analyste est moins libre parce que sa politique est liée à son manque à être. On pourrait homologuer ce manque à être au manque d’inscription du temps dans l’inconscient. L’absence des deux à la fois, qui sont cependant en position d’ex-sister (exister en dehors), les situe à la place d’un réel qui guide l’expérience. Le temps, tout comme le manque à être de l’analyste, conditionne la politique de la cure. Et on pourrait postuler que la séance courte est, de ce point de vue politique, ce qui correspond à l’orientation du réel du symptôme et le temps de la cure, ce qui correspond à se faire à son symptôme.

6Je reformule afin de dissiper les malentendus. Il ne s’agit pas de situer une prééminence de la séance courte dans la technique analytique. Tout postulat technique relatif au temps implique une prescription et peut devenir un standard. Ainsi, il peut y avoir un standard de la séance courte et aussi un standard de la séance à durée variable. Il s’agit donc de considérer que, logiquement, la finalité de la séance courte correspond à la formulation lacanienne de la création d’un dispositif où « le réel touche au réel ». Cette perspective est relativisée si la séance analytique est conçue comme une séquence unitaire ponctuée par l’émergence de l’inconscient et dans le but de faire apparaître le sens ou la parole pleine.

7En réalité, au-delà de ce que l’inconscient dit, c’est le dire de l’inconscient qui est visé, cet indicible qui toutefois détermine l’ensemble des associations. Cela ne correspond ni à une technique active ni à une sacralisation de l’écoute. L’idée qu’un analyste se fait de la durée de la séance correspond, me semble-t-il, à l’idée qu’il se fait de l’inconscient. Et indépendamment de son usage, la séance courte est solidaire de l’option lacanienne qui conçoit un inconscient comme réel et vise l’os des élucubrations qui proviennent de l’inconscient. Cela se traduit par un effet analytique crucial relatif au fait que l’analyste sera plus susceptible d’être le temps, de l’incarner pour chaque analysant, au lieu de le penser.

L’angoisse est le temps

8Prenons la question du point de vue du transfert. Tout au long de l’analyse, il ne se limite pas au temps de la rencontre avec l’analyste : l’inconscient, travailleur infatigable, ne se limite pas au travail pendant la séance. Bien plus, l’inconscient, travailleur idéal, ne fait aucune pause et se manifeste lorsqu’on s’y attend le moins. Un temps est donc nécessaire pour le déploiement de la logique symbolique qui correspond aux différents mythes sécrétés par l’inconscient et qui ont conduit à l’impasse sexuelle du sujet.

9Mais alors, pourquoi supposer que la séance devrait être rythmée par l’émergence de l’inconscient ? Au contraire, la séance peut être considérée comme le moment où l’analysant conclut une séquence d’élaboration. Au-delà d’un pousse-à-associer, chaque séance devrait être considérée comme une préparation à la rencontre avec le réel de la fin de l’analyse.

10Toutefois, pourquoi Lacan, en formulant : « le réel qui touche au réel », se réfère-t-il au discours analytique ? On peut percevoir que ce dernier a une structure semblable à celle de l’angoisse. Il suffit de revenir à la ligne supérieure du discours analytique qui va de a à et indique que l’analyste se trouve à la place de la cause du désir pour le sujet qui est aussi le lieu de l’angoisse.

11C’est cette perspective que Lacan privilégie concernant le temps, il en parle déjà dans le séminaire L’angoisse où il montre que la fonction de l’angoisse est d’introduire le sujet dans la dimension du temps. Lacan évoque une relation temporelle d’antériorité par rapport au désir et considère que la dimension temporelle de l’angoisse équivaut à la dimension temporelle de l’analyse. En effet, l’angoisse prépare le rendez-vous avec le désir. Il n’est pas surprenant que Lacan ait utilisé la même formule concernant le « maniement de l’angoisse » et le « maniement du temps » : l’un est solidaire de l’autre.

12Le fait de situer le temps de l’analyse en fonction de l’angoisse est une perspective déjà signalée par Freud, faisant de l’angoisse un point nodal dans la représentation du temps. L’angoisse, dont l’omission est au cœur de la constitution du trauma, constitue une médiation face à l’urgence pulsionnelle ou face au désir de l’Autre. À cet égard, Freud, confronté à l’abstraction du temps de la conscience, favorise le temps de l’angoisse qui s’oppose au temps du symptôme. L’angoisse introduit une discontinuité là où le symptôme assure une permanence. Le symptôme ralentit le temps parce que sa temporalité est déterminée par sa propre constitution, à savoir celle d’un temps qui s’est arrêté.

13C’est ce que la clinique analytique démontre. Le sujet supplée, avec le fantasme, le manque de certitude de l’inconscient, et c’est dans la vacillation du fantasme qu’émerge une autre temporalité favorisée par l’angoisse. De fait, nous trouvons, d’une manière ou d’une autre, pour tout sujet à l’entrée de l’analyse et indépendamment de la structure clinique, l’idée d’un retard qui est propre au symptôme ainsi que le passage à une autre temporalité donnée par l’angoisse.

14Cette temporalité inclut le temps marqué par les battements de l’inconscient, c’est-à-dire ses formations et la répétition ; elle permet également de situer un au-delà, et c’est ce que Lacan a articulé avec la fonction de la hâte.

Fonction de la hâte

15La hâte n’est ni la rapidité résolutive, ni l’urgence, ni la précipitation.

16Commençons par la première, la rapidité résolutive. Il existe, depuis Freud, l’idée qu’un temps est nécessaire afin d’éviter la satisfaction immédiate et les risques que celle-ci peut impliquer, comme le fait d’escamoter la question de qui se satisfait. C’est la raison pour laquelle, s’il a suggéré de ne prendre aucune décision majeure avant le terme de l’analyse, c’est parce que, pour la psychanalyse, les satisfactions du surmoi, du moi, ou de l’inconscient ne sont pas équivalentes. Mais, qui oserait aujourd’hui proposer à un analysant de s’abstenir de prendre des décisions avant la fin de la cure ? La durée actuelle des analyses fait objection à ce principe d’abstinence. De plus, Freud a lui-même mis en garde contre les dangers d’une solution thérapeutique intervenant trop tôt. L’idée est que le temps de comprendre ne peut être compressé. Les effets thérapeutiques qui interviennent de façon prématurée peuvent faire obstacle à la poursuite de l’analyse et à une résolution plus consistante.

17L’anticipation résolutive du symptôme n’implique pas le consentement à la satisfaction. C’est pour cela que Lacan évoque, concernant la psychose, le terme de solution prématurée, cette dernière pouvant être généralisée aux autres structures cliniques. Dans la solution prématurée, le symptôme, bien que réduit, ne parvient pas à s’élever au rang de nom de jouissance du sujet.

18Prenez maintenant la question de l’urgence. Lacan s’y réfère souvent à propos de l’entrée en analyse où, en effet, il y a urgence à trouver le partenaire qui réponde au symptôme du sujet. Cela se confirme au moment de la demande analytique. Un symptôme peut être là depuis longtemps. Il suffit que celui-ci devienne un signe pour le sujet afin de demander une aide immédiate.

19Quant à la précipitation, il s’agit d’une accélération du temps qui néglige les coordonnées symboliques et c’est la raison pour laquelle sa meilleure illustration demeure le passage à l’acte. Le sujet conclut en omettant le temps pour comprendre. Lacan fait du passage à l’acte mélancolique le paradigme de cette équivalence dans laquelle le sujet se fait objet. D’où la nécessité d’introduire un semblant de temps, lorsque cela est possible, pour la psychose. Si la solution spontanée de Schreber se révèle efficace, c’est dans la mesure où elle résout une impasse subjective liée à une solution prématurée. Dans ce cas, il ne s’agissait pas de faire mûrir un fantasme mais d’introduire une solution asymptotique qui corresponde à une autre option du sujet dans son rapport au temps, solution qui extrait celui-ci de la précipitation puisqu’elle implique un rendez-vous dans un avenir indéterminé qui ne doit pas devenir réalité.

20Il convient de signaler ici qu’il existe un autre moyen de passer outre le temps pour comprendre, lorsque l’instant de voir et le temps de conclure sont collapsés. C’est le cas de l’expérience traumatique qui ne se cristallise pas en symptôme analytique. L’homme aux loups illustre ce que Lacan a appelé l’annulation du temps de comprendre. Le résultat est vérifiable : toute une vie consacrée à une éternelle tentative d’expliquer à la communauté analytique et à un public plus élargi ce qui est inguérissable dans la cure. Le sujet est fixé à une jouissance traumatique qui exclut la prise en compte du temps et qui, par conséquent, le conduit à un deuil impossible.

21Si le maniement du temps dans la clinique de la psychose implique un savoir-faire avec le semblant du temps, la réponse analytique sera différente dans les cas de névrose. Le temps qui passe, pour le dire de façon spontanée, ne favorise rien ; face à la division subjective, la réponse analytique diffère de la réponse psychothérapeutique. « Prenez un temps de réflexion » est le moyen de donner du temps en psychothérapie. Et la formule courante « le temps fait bien les choses » convient dans de nombreuses circonstances de la vie, à l’exception de la névrose. Si, aujourd’hui, la formule de Freud « une femme est inanalysable après 30 ans » paraît anachronique, ce qui reste en vigueur, c’est que la névrose, sans analyse, s’aggrave avec le temps.

La hâte et l’objet

22L’analyse introduit le temps autrement que dans un « prendre le temps de réfléchir ». C’est ce qui justifie la référence à la hâte, la spécificité de cette dernière étant basée sur son lien avec le symbolique qu’elle transcende néanmoins. Autrement dit, bien que le symbolique conditionne la hâte, ce n’est pas ce qui la cause. La cause de la hâte est l’objet a qui nous renvoie à la fois à l’angoisse et au discours analytique.

23Si j’utilise la distinction entre la hâte et l’urgence, c’est pour indiquer que ce qui rend possible la logique de la hâte c’est que l’analyste puisse octroyer le temps qu’il faut. En effet, il y a un temps nécessaire à la cure et cela est déjà indiqué chez Freud, dans son texte sur la question de l’analyse profane et la formidable définition de l’analyse qu’il y avance : une « magie lente ».

24Par définition, la magie se sert du semblant de la surprise et sa temporalité est celle de l’instant. C’est la raison pour laquelle le public demande qu’on répète le numéro mais, cette fois, plus lentement afin de comprendre le point de rupture avec l’illusion.

25On notera bien que Lacan se réfère à cette opposition lorsqu’il évoque la distinction entre les semblants de la magie et ceux du discours analytique. L’analyse exige du temps pour comprendre la scène qui a échappé, celle à laquelle l’inconscient a répondu en produisant l’embrouille. Un temps est nécessaire également pour le déploiement de la chaîne inconsciente ; mais le temps qu’il faut est par essence celui qui introduit le sujet dans la fonction de la hâte propre à la cause de son désir.

26C’est ce qui justifie que nous parlions de l’analyse comme d’une hâte lente où l’analysant se fait à son être, ce qui ne veut pas dire uniquement qu’il s’habitue à être ce qu’il est, mais qu’il opère un changement sur l’être. Car l’incidence du réel sur le réel du sujet (je reviens ici à la formule « le réel touche au réel ») a la prétention d’introduire un nouveau réel.

27L’inconscient n’est pas simplement une opération de révélation de ce qui est déjà là, de mise en lumière des énigmes cachées du sujet. Au-delà du déchiffrage de ce que l’inconscient a chiffré, il s’agit d’écrire ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.

28Logiquement, la question du temps dans la direction de la cure s’articule avec l’objet a, cause de désir et d’angoisse qui cible la rencontre avec un nouveau réel. Prenez la perspective du désir. Dans son essence, il est métonymique du manque à être. Et nous devons signaler que Lacan établit une distinction entre le désir inconscient et le désir centré sur le narcissisme qui peut être l’effet d’une analyse en réponse à l’éphémère de la vie. En ce sens, il y a un temps dans l’analyse pour produire un désir, un désir effet d’une énonciation singulière qui doit être distingué d’un désir centré sur le narcissisme. La temporalité de l’après-coup est essentielle car, comme effet d’élaboration, elle noue l’expérience passée et la connecte avec l’expérience à venir. Le désir forge un vecteur de direction là où le non-sens réduit le sujet à errer dans le temps. Plus le sujet accède à une position désirante, plus il s’éloigne du rapport au temps conçu comme la somme des instants. Et comme l’inconscient est évasif, il s’agit donc de capter la métonymie du désir. Cerner le désir, c’est le capter à la lettre. Le sujet entre dans le temps via le désir et, parallèlement, il cesse de penser. C’est ce que traduit la formule courante lorsqu’un sujet se situe en syntonie avec son désir : « Je n’ai pas vu le temps passer ». Être dans le temps et réfléchir au temps s’opposent autant qu’être et penser.

L’acte et le temps

29Maintenant, il convient de s’interroger sur la place de l’interprétation dans son rapport au temps. Dans la progression de l’enseignement de Lacan, on perçoit une réduction de l’interprétation jusqu’à ce que celle-ci devienne minimale et ce qui est ciblé, c’est la production de l’acte. La question qui ressort de façon nette n’est pas seulement de savoir comment obtenir le degré maximal de symbolisation mais de viser, au-delà, la béance entre le symbolique et le réel. Il s’en déduit alors que si la dernière perspective de Lacan est de définir l’inconscient comme un moyen de jouissance du symptôme, le but dernier de l’opération analytique ne consiste pas à interpréter le refoulé mais à modifier le programme de jouissance du sujet.

30Cela impose une révision de la conception du temps dans l’analyse. Il est vrai que l’analyse dure le temps nécessaire pour un sujet de s’approprier l’objet a qu’il avait auparavant placé du côté de l’analyste qui lui-même l’incarne pour le sujet.

31Interpréter ce qui est refoulé introduit déjà le sujet dans l’actualité du temps car le refoulé, avec son caractère immuable au temps qui passe et aux contingences qui l’accompagnent, le submerge dans un temps toujours passé. Le fait de pouvoir dépouiller la vivacité actuelle de la représentation était déjà pour Freud un objectif thérapeutique central. Si le névrosé est hors du temps, c’est parce qu’il est réglé par le temps du fantasme dont l’axiome est résistant à l’usure et situe le sujet à l’heure de l’Autre, avec pour effet une stéréotypie atemporelle. Freud indiquait déjà, avec précision, qu’après des décennies, les représentations refoulées se conduisaient avec la même vivacité qu’au début. Quelle meilleure illustration que celle de la réminiscence hystérique : les années se sont écoulées, les charmes se sont évanouis, mais elle continue à rêver au prince charmant comme lorsqu’elle était petite fille. En ce sens, l’orientation du réel et le désir de l’analyste qui est celui de réveiller, introduisent un changement dans la relation au temps. Cependant, l’analyse ne se limite pas au temps de la production d’un désir, elle implique l’intégration du temps du circuit pulsionnel et la modification de la jouissance de l’inconscient.

32La réalisation du circuit pulsionnel jusqu’à son dernier tour exige du temps. Il ne s’agit pas uniquement du temps du parcours de la pulsion entre le sujet et son objet sexuel, mais aussi du temps lié à la consommation — c’est le terme de Lacan — de l’analyste. Cette dimension de l’analyste comme étant un objet à consommer, présente tout au long de la cure, acquiert une valeur spécifique après la chute du sujet supposé savoir. C’est le temps d’un deuil interne à l’analyse. Je soulève que cette période de deuil est cruciale par rapport à l’expérience qu’un analysant peut faire de ce que l’analyste advient à la fin et que Lacan a qualifiée de « désêtre ». C’est dans cette zone où se conjugue la véritable issue de l’analyse lacanienne qui, comme toute élaboration de deuil, peut se traduire, à l’occasion, par une impossibilité à conclure.

33Cette zone qui s’ouvre dans l’analyse après la chute du sujet supposé savoir conditionne le désir de l’analyste ; car il y a une différence entre le « desêtre » de l’analyste comme effet de la chute de la supposition de savoir et comme effet de l’élaboration d’un deuil. Il y a, bien évidemment, des sorties d’analyse fulgurantes, mais ce n’est pas la fulgurance qui nous indique la justesse de la sortie. La zone finale de l’analyse correspond à la logique qui préside à l’ensemble : une magie lente et une instantanéité de l’acte qui impliquent une hâte dans la sortie comme effet de l’élaboration du deuil, sans laquelle on pourrait confondre la sortie avec l’illusionnisme de la magie. En d’autres termes, je soulève qu’il existe un bénéfice épistémique à faire durer cette zone finale que j’oppose à la sortie fulgurante qui serait l’effet de la rencontre avec l’inconsistance de l’Autre.

34Je reviens à la question de la hâte, présente à chaque séance et qui, cependant, ne peut être dissociée de la temporalité lente requise par l’analyse. La hâte est un pousse-à-dire ce qu’on n’a jamais été en mesure de dire, et ce, jusqu’à parvenir à la limite du dicible, mur derrière lequel se loge le dire propre au sujet, sa singularité intime, le support de l’ensemble des dires. La hâte est articulée à l’acte de l’analyste mais en lien avec l’acte du sujet, parce qu’il peut exister une hâte connectée à l’illusion, illusion dont, dit Lacan, la hâte peut être complice. En effet, le risque est de confondre la hâte conjuguée à l’acte et la hâte dans sa version imaginaire, cette dernière étant une hâte dissociée de l’acte au point où Lacan isole la fonction correcte de la hâte qui est celle de produire le moment de conclure [4]. Lacan nous avertit de ne pas en faire un usage imaginaire en se référant à une hâte qui se conclut par un départ arbitraire et qui conduirait à l’errance. Il donne comme exemple majeur la révolution. Il convient donc de distinguer différentes formes de hâte, et il est donc légitime d’affirmer qu’il existe plusieurs possibilités de hâtes à la sortie de l’analyse. Bien évidemment, j’exclus de la série, les solutions prématurées ou les sorties dépendantes d’une précipitation.

35Des sorties par la hâte, nous pouvons distinguer celle où le sujet se soutient de la déduction de l’inconscient. C’est une sortie qui passe par le savoir d’un déchiffrage. Toute autre est la sortie qui dépend du rapport du sujet avec un dire singulier. En fin de compte, je soutiens que la sortie fulgurante par la chute du sujet supposé savoir n’est pas équivalente à la sortie (fulgurante ou non) qui coïncide avec le deuil de l’objet terminé dans la cure. La hâte non imaginaire à la sortie dépend de la réalisation d’un tour de plus dans une analyse, ce qui exige également du temps.

Notes

  • [1]
    Ce texte reprend une intervention prononcée le 5 juillet 2008 au Ve Rendez-vous international de l’IF-EPFCL à São Paulo (Brésil) sur « Le temps du sujet de l’inconscient ». Traduction de l’espagnol par Vicky Estevez, revu par l’auteur.
  • [2]
    Lacan J., Scilicet, n° 5, Paris, Seuil, 1975.
  • [3]
    Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966.
  • [4]
    Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 433.
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