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Article de revue

L'analyse de l'analyste : qu'exigeons-nous de sa fin ?

Pages 55 à 93

Notes

  • [*]
    traduction Graciela PRIETO, membre de l'EPFCL ; article relu par l'auteur.
  • [1]
    Balint M. "Analytic training and training analysis", Symposium sur les problèmes de la formation analytique, Londres 1953, dans le cadre du XVIIIe Congrès international de psychanalyse.
  • [2]
    Freud S., "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin", Résultats, idées, problèmes tome II, Paris ; PUF, 1985.
  • [3]
    Lacan J., "Discours à l'École Freudienne de Paris", in Autres écrits, Paris ; Seuil, 2001, p. 273.
  • [4]
    Id., "La direction de la cure et les principes de son pouvoir" Écrits, Paris ; Seuil, 1966, p. 636.
  • [5]
    Id., Autres écrits, op. cit., p. 229.
  • [6]
    Ibid, p. 261.
  • [*]
    traduction Célina Capriotti-Brisou, membre de l'EPFCL.
  • [1]
    Safouan M., Julien P., Hoffmann C., El malestar en el Psicoanalisis. El tercero en la institucion y el analisis de control, Ediciones Nueva Vision, Coleccion Freud-Lacan dirigida por Roberto Harari, Buenos Aires, paru en français sous le titre Malaise dans la psychanalyse, Arcanes Ed., 1995.
  • [2]
    Azouri, C., He triunfado donde el paranoico fracasa. Tiene un padre la teoria ?, Ediciones De la Flor, Buenos Aires, paru en français sous le titre l'ai réussi là où le paranoïaque échoue. La théorie a-t-elle un père ?, Denoël, 1991.
  • [3]
    Freud S., (1937) "Analyse avec fin et l'analyse sans fin" in Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1985.
  • [4]
    Freud, S., (1923) "Le moi et le ça", in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
  • [5]
    Sandler, J. and A.-M., "Psychoanalytic Technique and the Theory of Psychic Change", in Psychic structure and Psychic Change, Ed. M. Horowitz, O. Kernberg, E. Weinschel, International Universities Press, Madison, Connecticut, 1994.
  • [1]
    Lacan J., Séminaire 1968-69, "D'un Autre à l'autre", séance du 4 juin 1969, non publiée.
  • [2]
    Le mot "exigence" est maintes fois utilisé par Freud quant il parle de la formation des analystes, en particulier dans "La Question de l'analyse profane", NRF Gallimard p. 112,152 suite.
  • [3]
    idem p. 343.
  • [4]
    Lombardi G., "... de par la structure de l'acte, ce ne sera pas lui l'analyste qui pourra dire comment son patient est devenu analyste", Résultats des analyses et formation analytique dans l'I.P.A., Diagonales de l'option épistémique, publication de l'EPFCL.
  • [5]
    Lacan J., Le séminaire livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris ; Seuil ; 1973, p. 137.
  • [6]
    Freud S., "L'analyse sans fin et l'analyse avec fin", Résultats idées, problèmes, T. II, Paris ; PUF, 1985, p. 234.
  • [7]
    Id., "Considérations générales sur l'attaque hystérique", Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 160.
  • [8]
    Id., "L'analyse sans fin et l'analyse avec fin", Résultats, idées, problèmes, T. II, op.cit., p. 264.
  • [9]
    Ibid., p. 264.
  • [*]
    traduction Françoise CORVAZIER et Patricia ZAROWSKY, membres de l'EPFCL.
  • [1]
    Lacan J., "Comptes rendus", Ornicar ?, n° 29, été 1984, Paris ; Navarin, p. 19.
  • [*]
    Traduction et transcription établies par Vicky ESTEVEZ, membre de l'EPFCL.
  • [1]
    Je me risque à proposer ce néologisme, le terme d'infinité ayant plutôt des connotations quantitatives et temporelles.
  • [2]
    Freud, S. – 1937 – "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin". In Résultats, idées, problèmes, Tome II, Paris, Presses Universitaires de France, 1985.

Introduction par Colette Soler

1 L'École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL) reprend le projet d'une École de psychanalyse telle que l'a conçue Jacques Lacan, avec son dispositif de la passe qui met l'analyste lui-même sur la sellette.

2 La polémique lancée par Lacan sur la fin de l'analyse et sur la formation analytique est aujourd'hui en sourdine, mais le débat est loin d'être clos, et mérite plus que jamais d'être d'être repris.

3 Lors du Rendez-vous international de l'EPFCL à Buenos Aires, en juillet 2004, une table ronde s'est tenue sur le thème : L'analyste de l'analyste, qu'attend-on de sa fin ? Elle a réuni trois psychanalystes de l'EPFCL (d'Argentine, du Brésil et de France) avec deux collègues argentins, psychanalystes de l'IPA.

4 Les diverses contributions ainsi que la discussion de la table ronde de Buenos Aires sont ici réunies.

5 Ont participé à cette table :

6

  • Dr Abel FAINSTEIN, Président de l'Association Psychanalytique Argentine. Membre en fonction didactique ;
  • Dominique FINGERMANN, A. M.E. de l'EPFCL – Sao Paulo. Membre de la première commission de la garantie de l'EPFCL ;
  • Miguel LEIVI, Membre titulaire de l'Association Psychanalytique de Buenos Aires, dont il fut le secrétaire scientifique ;
  • Gabriel LOMBARDI, A. M.E. de l'EPFCL – Buenos Aires. Membre de l'actuel Collège international de la Garantie de l'EPFCL ;
  • Colette SOLER, A. M.E. et membre fondateur de l'EPFCL – France ; membre de l'EFP. Directrice de l'École de la Cause freudienne 1981-1983. A fait partie à plusieurs occasions des cartels de la passe. Membre du Collège international de la Garantie de l'EPFCL.

7 Deux autres psychanalystes français, l'un de l'APF et l'autre du Quatrième groupe, ont bien voulu contribuer à ce débat à l'occasion de la parution de ce numéro 2 de la revue Champ lacanien :

8

  • Gérard BAZALGETTE, vice-président du IV e groupe ;
  • Daniel WIDLÖCHER, membre de l'Association Psychanalytique de France, président de l'Association Psychanalytique Internationale.

Les premières réponses à la question  [*]

9 Gabriel LOMBARDI

10 La question "qu'exigeons-nous de la fin de l'analyse de l'analyste ?" a, en effet, son histoire, et depuis longtemps, même si on doit la réécrire. Avant la profonde révision lacanienne de la question, bien avant l'autocritique institutionnelle de l'IPA dirigée par Kernberg vers la fin du XXe siècle, Michel Balint traçait, en 1953, un compte rendu historique concernant les différentes périodes de l'histoire de la psychanalyse où déjà à ce moment-là il y avait division par rapport à ce qu'il est exigible du psychanalyste quant à sa propre analyse.

11 1) Dans un exposé intitulé Formation analytique et analyse didactique[1], Balint rappelle qu'avant 1918 l'analyse didactique n'était pas obligatoire, la psychanalyse s'apprenait purement et simplement en lisant les livres de Freud. Mais face à l'inaptitude à manier le transfert, l'interprétation sauvage et autres excès des praticiens, Freud pensa que les psychanalystes avaient besoin de quelque chose de plus que des études théoriques.

12 2) Dans la période suivante, que Balint a appelée période de démonstration, on commença à exiger de l'analyste un court traitement analytique. Max Eitingon fut un des premiers à le suivre avec Freud. Freud le raconte lui-même dans une lettre à Ferenczi : "Eitingon est à Vienne. Deux fois par semaine, après le déjeuner, il vient marcher avec moi. Pendant la promenade, il s'analyse." Cette analyse ne dure pas plus de trois semaines, ensuite Eitingon s'installe à Berlin et fonde l'Institut. Une description plus explicite est donnée par Freud dans un passage célèbre, extrait de Analyse finie et infinie [2], dans lequel il se demande : "où acquiert-il, le pauvre diable, cette attitude idéale qui lui est requise par sa profession ? Dans sa propre analyse", répond-il, et il ajoute :

13

"Pour des raisons pratiques, cette analyse ne peut être que courte et incomplète. Elle aura atteint son objectif si elle apporte à l'apprenti la ferme conviction de l'existence de l'inconscient, si elle lui fournit – à travers l'émergence du matériel refoulé – des perceptions autrement invraisemblables, et si elle lui permet une première approximation à la seule méthode garantie pour l'activité psychanalytique."

14 3) Sandor Ferenczi sera un des analystes qui donneront son essor à l'étape suivante, appelée par Balint "période de l'analyse personnelle". L'argument principal de Ferenczi était qu'il lui semblait insoutenable que les patients fussent mieux analysés que leurs analystes. L'Association Psychanalytique Internationale, fondée sur la proposition de Ferenczi à l'occasion du Congrès de Nuremberg en 1910, eut la chance de devenir la première réponse institutionnelle au fait, de plus en plus évident, que les personnes qui pratiquent la psychanalyse ne sont pas forcément des hommes parfaits – ainsi que le disait Freud.

15 4) L'opinion que l'analyse didactique doit aller au-delà de l'analyse thérapeutique s'impose rapidement. Pour Ferenczi l'analyse, menée jusqu'aux dernières conséquences qui lui semblent exigibles pour la formation de l'analyste, n'est pas nécessaire aux seules fins thérapeutiques. Balint propose d'appeler cette quatrième phase "période de la superthérapie". Pour le grand déplaisir de Freud, elle implique une prolongation démesurée des analyses. De plus, la superthérapie déborde les prévisions réglementaires des sociétés intégrées à l'IPA car beaucoup d'analystes en formation veulent continuer leur analyse au-delà de ce qui est prévu par l'Institut pour la durée du traitement. Comme c'est superflu du point de vue des exigences institutionnelles, ce n'est pas rendu public et c'est même occulté. La "superthérapie" a alors une conséquence imprévue, the post-training psychoanalysis : les analyses postérieures à la formation consacrée par les instituts sont poursuivies avec le didacticien officiel ou avec un autre analyste au-delà de la reconnaissance officielle. À la surprise de Balint lui-même, ces analyses sont protégées par les analysants de toute interférence d'une quelconque tierce personne de l'institution. Cela permet à Balint de suggérer que quelque chose n'est pas bien ajusté dans le système de l'analyse didactique car les analystes diplômés à l'IPA ont encore besoin de l'aide analytique, ce qui réveille des soupçons sur le mode de validation des analystes qu'elle soutient.

16 5) L'IPA recule face au problème posé et commence alors une cinquième période dont il est établi que l'objectif du training analytique n'est pas l'achèvement complet, la fin proprement dite, la "superthérapie", mais la recherche – tour de passe-passe qui dissimule le problème. Cette solution est proposée à plusieurs reprises dans les instituts de l'IPA. En tout cas, cette période déjà perceptible dans les années 50 est celle d'une recherche dont on ne trouvera pas l'objet, tout au moins quant aux effets didactiques de la psychanalyse, faute de bien formuler la question de la formation de l'analyste et faute de concevoir et d'articuler institutionnellement une méthode qui permettrait à une association psychanalytique fondée sur des fins didactiques de viser l'articulation entre la recherche et l'enseignement de la psychanalyse.

La superthérapie en tant que psychanalyse tout court

17 Le tableau brossé par Balint introduit l'état de la question qu'affronte Lacan dans les années 50 et qu'on pourrait synthétiser en disant que quelque chose d'essentiel est à exiger de l'analyste, qui n'est pourtant pas exigé. En revanche on exige de lui d'autres choses établies par des règlements qui ne répondent pas complètement à la mise au point du désir du psychanalyste. Par conséquent, sa véritable pratique, la psychanalytique, est une pratique hors de contrôle. Ou en tout cas, sans autre contrôle que celui imposé par les patients, définissables dans ce cas comme ceux qui subissent cette pratique ; sans autre contrôle donc que celui imposé par les coups de bâton des acting out des patients, suivant le principe que plus tard Lacan formulera en ces termes : "le psychanalyste n'est-il pas toujours en fin de compte à la merci du psychanalysant, et d'autant plus que le psychanalysant ne peut rien lui épargner s'il trébuche comme psychanalyste, et s'il ne trébuche pas, encore moins [3].".

18 Dans d'autres textes tels que "Situation de la psychanalyse en 1956" et "La direction de la cure..." les apories de l'institution analytique et de la direction de la cure sont considérées dans le virage qui mène de la valeur corrective de l'acting out à la nécessité d'un contrôle proprement psychanalytique qui ne vienne pas seulement des meilleurs patients, les plus résistants, ceux qui exigent avec plus de force que la direction de l'analyse se soutienne au-delà des effets de suggestion imposés par les exigences d'adéquation extérieures au discours analytique.

19 Ce virage proprement lacanien, à partir de la valeur corrective de l'acting out jusqu'à l'exigence d'un soutien et d'un contrôle institutionnel du désir de l'analyste, amènera à la proposition de la passe qui se laisse déjà entrevoir dans "La direction de la cure", quand Lacan explique l'importance de préserver le lieu du désir dans la cure. Nous trouvons ainsi ce paragraphe qui implique l'idée de la passe :

20

"Qui ne sait pas pousser ses analyses didactiques jusqu'à ce virage où s'avère avec tremblement que toutes les demandes qui se sont articulées dans l'analyse, et plus que toute autre celle qui fut à son principe, de devenir analyste, et qui vient alors à échéance, n'étaient que transferts destinés à maintenir en place un désir instable ou douteux en sa problématique, – celui-là ne sait rien de ce qu'il faut obtenir du sujet pour qu'il puisse assurer la direction d'une analyse, ou seulement y faire une interprétation à bon escient [4]."

21 La position de Lacan va dans ce sens : pour être analyste il est nécessaire d'être didacticien.

22 Dans n'importe quel cas, il est préférable qu'on conduise jusqu'à sa fin la "superthérapie" de Balint, qui est véritablement didactique, ce véritablement didactique qu'est la psychanalyse tout court quand on ne lui impose pas des adoucissements, atténuations, courts-circuits thérapeutiques, quand on lui permet de développer ses conséquences structurales, hors des conditions suggestives dans lesquelles il est possible de maintenir l'étouffement du symptôme.

23 En 1964 Lacan fonde sa propre École en dehors de l'IPA, et dans le "Préambule de l'Acte de Fondation [5]" de son École Freudienne de Paris, il note un "pacte de carence" de contrôle dont les autorités scientifiques sont l'otage. Il s'agit d'un pacte basé sur la méconnaissance de l'authentique ressort d'une pratique qui, plus que sur l'expérience préalable et sur les textes publiés, se fonde sur le désir du psychanalyste. Si les psychanalystes eux-mêmes et leurs propres institutions méconnaissent – verleugnen – le vrai point sur lequel s'appuie leur pratique, il n'y a pas de contrôle possible à l'intérieur du discours analytique et on pourra encore moins espérer un contrôle qui viendrait du dehors, comme c'est le cas dans toute autre discipline scientifique. Les psychiatres et les autres juges du discours psychanalytique sont profanes, mais les psychanalystes le sont aussi – ou tout au moins ils font semblänt d'être profanes – quand ils déguisent, par exemple, sous la notion et la pratique du contre-transfert leur désir authentique de psychanalystes, ce désir qu'ils peuvent rencontrer seulement au terme de leur propre analyse.

24 Cela mènera Lacan à distinguer la notion d'acte psychanalytique, "jamais vu ni entendu", avant qu'il ne le définisse – non pas comme acte médical, ni comme interprétation du psychanalyste, mais comme passe de l'analysant à l'analyste. En plus de découvrir la notion, Lacan la promeut à la considération scientifique au moyen d'un dispositif clinique nouveau qui permet peut-être de revoir le diagnostic ironique de la situation dans laquelle il trouve la question : finalement, le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même, un lui-même dont il serait, sans doute, mieux qu'il soit capable de s'en destituer, en tant qu'effet de l'analyse sur sa personne.

25 Cela veut dire qu'il était resté hors contrôle scientifique. Contrôle que l'institution psychanalytique devrait, nonobstant, non pas exiger, mais au moins promouvoir à qui veut sa formation et la garantie de formation qu'elle dispense. La "Proposition du 9 octobre sur le psychanalyste de l'École  [6]" inaugure une étape nouvelle concernant ce qui peut être exigé de la fin de l'analyse de l'analyste.

26 Dès lors, l'acting out pourra être réinterprété avec le sens suivant : c'est un représentant de la représentation déficiente de l'acte de l'analyste, et il montre l'étrange objet que l'analyste devrait incarner pour le sujet en analyse, ce qu'il ne fait pas, ou pas bien.

27 Qu'exigeons-nous de la fin de l'analyse de l'analyste ? La réponse varie donc selon ceux qui exigent et leurs moyens. Après moi, quatre psychanalystes vont nous dire leur point de vue concernant cette question cruciale pour la psychanalyse.

Fin de l'analyse de l'analyste  [*]

28 Abel FAINSTEIN

29 Je tiens à remercier pour cette invitation à la IIIe Rencontre Internationale des Forums du Champ lacanien et première Rencontre internationale de l'École de Psychanalyse du Champ lacanien.

30 Un de ses thèmes fondamentaux "Les interprétations de l'analyse finie", nous convoque à cette table ronde sous la consigne : "L'analyse de l'analyste : qu'exigeons-nous de sa fin ?"

31 C'est ainsi, qu'au-delà de l'attention portée à sa fin thérapeutique, ma présentation sera centrée sur sa fin comme processus de transmission. Je me référerai aussi à quelques aspects polémiques de la fin de l'analyse comme étape de séparation de la rencontre analyste-patient.

32 Mon remerciement est personnel puisque je fais partie des analystes concernés par le dépassement des cadres de la filiation institutionnelle, obstacles au développement de la psychanalyse et de sa transmission. Mais aussi comme Président de l'APA, première institution argentine et latino-américaine depuis 1942 faisant partie de l'IPA et mettant cette question au débat permanent, ma participation parmi vous a une signification particulière.

33 Par ailleurs, que les conditions de production théorique et de transmission de la psychanalyse de la part de Lacan n'aient pas été étrangères à ses relations avec l'IPA nous situe dans un rôle particulier en tant qu'interlocuteurs. L'influence de Lacan dans la formation de toute une génération d'analystes appartenant aux Sociétés psychanalytiques de Paris et de France a favorisé un développement critique dans une grande partie du monde psychanalytique. En ce sens, et par rapport à d'autres groupes d'analystes, nous maintenons des différences avec certaines de ses théorisations et modes de direction des analyses.

34 Quant au thème qui nous rassemble, nous savons qu'il est lié depuis ses origines à l'institutionnalisation de la psychanalyse et au débat Freud-Ferenczi. Nous sommes aujourd'hui convaincus que ce débat continue dans nos institutions et qu'il fait partie des effets de transmission de la psychanalyse. Aux dires de Safouan [1], en ce qui concerne la fin de l'analyse, nous sommes "prévenus" des implications de l'identification par rapport à la structure même des institutions et de la formation.

35 En ce sens, l'effet de transmission ne peut être évalué qu'après-coup dans les pratiques respectives des analystes ; et il en résulte en grande partie, aux dires d'Azouri [2], "des malentendus et des résidus transférentiels habituellement refoulés par l'institution".

36 Nous sommes de l'avis de Safouan pour qui "être analyste est un fait qui se vérifie dans le discours qui détermine la relation de l'analyste avec les questions que pose l'expérience de l'inconscient". Par contre nous ne sommes pas d'accord sur le fait que la seule raison qui justifie la constitution d'une société de psychanalyse soit qu'il s'agit d'y aborder "des interrogations auxquelles un analyste tout seul ne pourrait pas répondre".

37 Nous pensons l'institution comme lieu de formation continue et celle-ci en tant qu'expérience qui se soutient de la triade analyse-supervision-séminaires. Elle est basée sur la transmission mais elle la transcende, et elle ne peut pas faire abstraction des identifications avec la fonction analytique des analystes, des maîtres, des collègues.

38 Par ailleurs, nous savons depuis Freud  [3] que, en dehors de toute tentative normalisatrice, "l'analyse doit créer les conditions psychologiques les plus favorables aux fonctions du Moi", et que "ainsi sa tâche serait accomplie". Tout cela est en rapport avec des changements structuraux dans la dynamique psychique à partir du fait de rendre conscient l'inconscient, ou que "là où était le Ça, le Moi doit advenir  [4]".

39 Cependant, souvent l'intensité et la viscosité de la libido et/ou la structure du Moi frustrent les efforts thérapeutiques. Ces éléments génèrent fréquemment des phénomènes de transfert incontrôlables et inanalysables, qui contredisent l'expectative optimiste de Ferenczi sur une dissolution complète du transfert et une fin par épuisement. Les relations entre les analystes, et surtout nos institutions, en sont la preuve.

40 En outre, on connaît bien le scepticisme de Freud sur la fonction de l'analyse didactique ainsi que sur celle de l'action formatrice d'un training de plus en plus institutionnalisé. Il connaissait les limites de l'analyse. Pour lui l'analyse didactique était concevable en tant qu'essai pouvant démontrer l'existence de l'inconscient, objectif limité et réalisable dans une analyse brève.

41 Ferenczi fut le premier à donner l'alerte quant aux limites de l'analyste, quant à la nécessité de l'analyse de disposer des instruments pour sa pratique, et quant à la difficulté pour y parvenir dans un court laps de temps. L'expérience l'a confirmé par la suite.

42 Je pense que c'est important d'en passer par l'expérience personnelle, et d'être convaincu des objectifs thérapeutiques de l'analyse. En ce sens la modification des symptômes, de l'angoisse ou de la culpabilité ainsi que le fait d'acquérir la capacité d'aimer et de travailler ne peuvent pas nous être indifférents.

43 À ceci s'ajoute que, presque cent ans après, nous continuons à nous interroger sur les dispositifs nécessaires pour aboutir à un effet de transmission. Nous savons que celui-ci peut se perdre autant dans des formalités bureaucratiques que dans des traitements étrangers à l'institutionnel mais aussi du fait de la dynamique de l'inconscient.

44 Nous sommes d'accord avec Lacan sur la nécessité du franchissement du plan des identifications et de l'Autre barré. Mais loin de prétendre à l'unification, nous nous proposons une confrontation permanente des positions théoriques et pratiques, notre appartenance à l'IPA étant une façon de promouvoir ces débats ailleurs dans le monde.

45 C'est ce qui arrive très activement depuis 1974 avec la réforme promue dans l'APA par Willy Baranger, Madeleine Baranger et Jorge Mom en rapport avec la formation psychanalytique. Celle-ci est fondée sur une liberté de carrière, une liberté d'enseignement, une plus grande liberté dans le choix de l'analyste ainsi que sur l'absence d'ingérence de l'institution dans les cures analytiques. En tant que telle, l'institution garde encore aujourd'hui sa place pionnière dans le mouvement psychanalytique. Nous entendons soutenir ainsi un débat non exempt de polémiques concernant l'analyse, la deuxième analyse, ainsi que l'autoanalyse de l'analyste avec la volonté de hiérarchiser les effets de la pratique au-delà des règlements qui la déterminent.

46 Par ailleurs, et dans l'optique d'encourager des transferts de travail comme support de l'appartenance institutionnelle, nous nous proposons de faire de l'APA un espace ouvert pour le travail de la psychanalyse avec des analystes en dehors de l'APA et de l'IPA. Ainsi nous avons accepté en qualité de membres des analystes d'autres institutions de l'IPA, et aussi des analystes initialement formés dans l'APA et qui s'étaient éloignés d'elle pendant plusieurs décades pour continuer leur formation ailleurs. Dans le même sens, il faut souligner le nombre croissant des deuxièmes tranches d'analyse de membres avec des analystes n'appartenant pas à l'institution et le fait de promouvoir une formation de nos candidats qui inclut les débats institutionnels, ce qui comporte des effets de désidentification dans les analyses didactiques.

47 Je voudrais rappeler ici trois moments de ma propre trajectoire psychanalytique institutionnelle.

48 Le premier est lié à un entretien d'admission avec un maître chéri par plusieurs générations d'analystes qui très cordialement m'invita à raconter une histoire de ma vie et à associer librement. Pendant une heure, je me mis à associer avec peu de ponctuations de sa part, après quoi il mit fin à l'entretien. Avec plus de huit ans d'analyse à raison de quatre séances hebdomadaires, ce fut une expérience très significative pour ma propre condition d'analyste.

49 Le deuxième est en relation avec ma décision personnelle de reprendre une analyse cinq ou six ans après avoir fini mon analyse didactique, en cherchant pour cela – à l'instar d'un grand nombre de collègues – un analyste n'appartenant pas à l'APA, dans l'idée que ceci serait favorable à mon analyse, car depuis toujours j'étais intéressé à participer à la politique institutionnelle. Cette décision ne fut pas sans objection de la part de plusieurs collègues fortement identifiés avec l'APA.

50 Le troisième se rapporte à mon travail voici quelques années à la direction du Centre Racker, à savoir la Clinique psychanalytique de l'APA. Nous y avons développé avec Victoria Korin un schéma de travail destiné à faciliter la spécificité de la pratique psychanalytique. Nous avons constaté, à travers des post-entretiens et supervisions, la difficulté pour beaucoup de collègues, en formation et déjà formés par l'Institut et qui y travaillent, de soutenir leur pratique ainsi que d'en rendre compte. Aucun d'entre nous ne peut être sûr de la garantir, ce pour quoi il s'avère nécessaire d'avoir des dispositifs comme ceux esquissés pour la remettre sur la voie, sans y parvenir toujours.

51 Se limiter au seul contenu manifeste du discours et même des rêves, ou ne pas prendre en considération l'axe transfert/contre-transfert et l'angoisse comme pivot de la séance, ce ne serait qu'un des indicateurs de ce que nous diagnostiquons. Cependant, au-delà du bénéfice thérapeutique obtenu, là nous ne pouvons parler des effets d'une analyse.

52 Ceci nous amène à être d'accord avec Lacan pour dire que ce n'est qu'après-coup que nous pouvons dire qu'une analyse est didactique, puisque de l'avoir menée avec un didacticien ne l'assure pas nécessairement. Nous aspirons à ce qu'il la facilite, considérant qu'il s'agit d'un analyste plus expérimenté ; c'est ce qui est visé par notre proposition institutionnelle de formation continue.

53 Si j'apporte ces trois expériences c'est parce qu'elles illustrent à mon sens ce que nous pouvons exiger de la fin de l'analyse de l'analyste en termes de transmission. À savoir, faciliter la relation avec l'inconscient à travers ce que Sandler [5] a appelé une "structure d'insight", laisser ouvert l'accès à la perlaboration, à l'autoanalyse ou à une nouvelle analyse, et rendre ainsi possible la pratique de la psychanalyse. Ces objectifs vont au-delà du soutien d'une appartenance institutionnelle sur la base des identifications imaginaires, ce pourquoi il nous incombe de considérer la place qui revient à nos institutions pour les faciliter ou les empêcher.

54 Enfin, et à propos de la fin de l'analyse nous pouvons dire qu'il s'agit autant de l'objectif ou des objectifs de l'analyse que d'une étape.

55 Pour passer maintenant au moment de la fin et à son étape préalable, je voudrais reprendre la polémique Freud-Ferenczi et ses implications dans les développements ultérieurs, pour articuler quelques développements personnels. Je vais me référer pour cela au parcours de Fausta Ferraro et d'Alessandro Gazella dans leur article publié dans le numéro international de notre Revue de psychanalyse en 1994. Ils soulignent que du point de vue d'une perspective génétique et d'une temporalité linéaire, les Américains, à partir de Glover, posent la fin comme une tâche évolutive, avec des dynamismes particuliers et un point d'appui dans une expansion du moi ; Melanie Klein et ses partisans mettent l'accent sur la réussite de la position dépressive et le travail autour de la séparation-perte et du deuil.

56 En s'éloignant de la temporalité linéaire, ces auteurs situent le moment d'expérience décrit par Bion qui privilégie par contre la dimension synchronique de l'expérience se diluant dans l'atemporalité. Cela suppose d'avoir la capacité de vivre des expériences pouvant modifier la réalité, pouvoir vivre la plénitude du présent sans le poids du passé ni l'hypothèque du futur. Par ailleurs, et à partir d'une perspective qui s'écarte de la temporalité linéaire pour mettre l'accent sur l'après-coup, ils soulignent les contributions des Baranger en Argentine avec leur insistance sur l'interpersonnel, l'intuition et le contre-transfert, et de psychanalystes français. Parmi eux, Pontalis et plus particulièrement Laplanche remarquent la dimension historique du sujet et perçoivent le processus psychanalytique comme une succession sans fin des contenus inconscients. L'analyse prend fin quand les rencontres entre l'analyste et le patient s'arrêtent, mais la fin ne dépend pas de la dissolution du transfert mais du transfert lui-même.

57 Dans cette perspective le rôle de la régression reste relégué, thème que d'autres auteurs, plus particulièrement les Anglais et les nord-Américains, y compris Winnicott, hiérarchisent dans la cure, et qu'ils proposent d'élaborer et d'inverser vers la fin. Pour Ferraro et Gazella, ceci rapproche la perspective franco-barangerienne de Freud, qui en 1936 proposait, plutôt que d'étudier comment la psychanalyse guérit, d'étudier les obstacles qui se trouvent sur le chemin de la guérison. Ils voient cependant la présence de Ferenczi dans les références à la présence de l'analyste comme représentant de la réalité extérieure, au contre-transfert et aux modalités du setting et de l'interprétation à la fin de l'analyse.

58 Nous voyons que la manière détaillée dont ces auteurs suivent la discussion Freud-Ferenczi vise deux modèles alternatifs selon la temporalité qui les détermine : l'un fondé sur la temporalité linéaire génético-évolutive, et l'autre sur la temporalité rétroactive de l'après-coup.

59 Je m'inscris parmi ceux qui considèrent les deux positions comme freudiennes sans s'exclure forcément, même s'il faut reconnaître ces dernières années qu'il y a une prédominance de l'après-coup dans nos développements psychanalytiques.

60 Ma propre expérience m'a permis de voir la nécessité d'être attentif à la proposition freudienne de procurer plus de ressources au moi, ainsi qu'au travail autour des déficits, par exemple de symbolisation. Aussi de considérer la séparation de l'analyste comme une perte avec le corollaire du processus de deuil comme un des avatars de la fin de l'analyse, ainsi que la possibilité des réactions maniaques ou de négation et leurs conséquences préjudiciables.

61 La fin d'un processus comme travail d'ensemble "terminable" ouvre dans ce sens la temporalité à l'interminable de l'analyse, à l'infini de la transmission, au transfert du transfert.

62 Par ailleurs Ron Britton, parmi d'autres, conteste aujourd'hui par son insuffisance la réussite de la position dépressive comme objectif de l'analyse décrit par Melanie Klein, même si elle a relativisé cette réussite évolutive avec le concept de position. Parmi nous, Angel Garma, contestant aussi les idées kleiniennes, a décrit en 1972 les réactions de deuil accrues vers la fin, comme défensives face aux importantes réactions phobiques inconscientes devant l'amélioration.

63 Je suis d'accord avec lui sur la nécessité de prendre en considération lors de cette étape les aspects défensifs du deuil, mettant l'accent sur le travail interprétatif au sujet des anxiétés phobiques devant l'amélioration. Cela ouvre au champ du désir hors de la situation analytique, ou comme je l'ai rappelé, aux dires de Laplanche, au transfert du transfert au-delà de la relation avec l'analyste.

64 Pour finir, et en ce qui concerne ce que nous pouvons exiger de la fin de l'analyse de l'analyste, je pense qu'au-delà de l'accomplissement des objectifs thérapeutiques, il s'agit plus précisément d'obtenir des effets de transmission, et ceci ne peut être garanti par aucun dispositif institutionnel. Par contre ceux-ci peuvent être facilités ou entravés par le dispositif institutionnel.

65 À partir de la prémisse que nos institutions se fondent sur des idéaux communs et que nous avons besoin d'elles, être avertis du poids des identifications imaginaires et de la psychologie des foules sur les effets de transmission nécessairement singuliers suppose d'avoir à penser continuellement aux dispositifs essayant de les neutraliser.

La fin qui justifie les moyens

66 Dominique FINGERMANN

67 Depuis plus de cent ans qu'on en parle, on finit par "bien dire" de ci de là ce que c'est que la psychanalyse. Et ce, malgré la science qui fait fureur et la loi qui s'en mêle et ne cesse de prendre de l'ampleur. Malgré la science et la loi qui s'obstinent à réduire le réel à leur savoir. Depuis plus de cent ans qu'on en parle et qu'on pratique la psychanalyse, on devrait finir par savoir quelque chose sur ce que c'est qu'un psychanalyste qui vaille. Qui vaille assez pour ne pas conduire l'humain à la bêtise ou à la canaille, qui vaille assez pour ne pas conduire la psychanalyse où la précipiteraient la science et la loi, si par hasard, les psychanalystes ne s'avéraient pas à la hauteur du maintien de ses voies et de sa logique.

68 Alors, disons-le, un peu, parce quand même ce serait un malheur si c'était ineffable ! Essayons de le dire autant que faire se peut. Que dit Freud ? Que dit Lacan ? Que dit-on ?

69 Comme dans l'acte qui nous fait psychanalyste à l'occasion, nous sommes tout seul et dans la hâte pour sustenter ce qu'il en est de ce qui "fait l'analyste [1]" suite à l'expérience de son analyse, soit ce qui permet d'affirmer qu'au bout du compte elle s'atteste comme didactique. Quelle exigence [2] quant à l'analyse de l'analyste peut orienter notre clinique et nos dispositifs institutionnels pour que l'avenir de la psychanalyse ne soit pas une illusion, et limité de par l'effet de notre négligence ?

70 Ce qui balise une fois de plus notre intervention, c'est la clinique. Non par ce que nous savons de nos analysants qui se mettent à "faire le psychanalyste  [3]", car de notre place nous ne pouvons savoir, du fait de l'acte et de sa structure, comment ils opèrent, comment ils font le psychanalyste  [4]. Cependant, la pratique de contrôle nous éclaire souvent sur ce qui fait qu'un sujet fait avec la névrose alors qu'il se met en position de supporter la psychanalyse. Ce que les contrôles nous indiquent précisément, c'est comment certains s'embarrassent avec la pulsion et ses vicissitudes, avec le fantasme, soit avec ce qui s'en manifeste dans le dispositif par le transfert.

71 Si nous savons qu'en fin de compte, après de multiples détours et contours, l'analyse peut prendre fin, comment cerner ce qui se conclut en ce point qui fait passer l'analysant à l'analyste, soit lui permet de supporter la psychanalyse (des autres), soit lui permet de ne pas s'embarrasser avec la névrose ?

72 Supporter la psychanalyse, c'est à chaque fois la réinventer et cette déclaration n'est pas un effet rhétorique, c'est une position éthique. Il n'y a pas continuité entre le psychanalysant et le psychanalyste qu'il peut devenir, il n'y a pas répétition de l'expérience, ni prolongation, ni identification. Ce qui s'initie à chaque fois est un moment inaugural qui recommence la psychanalyse et commence par le transfert. Supporter la psychanalyse, c'est à chaque fois, de nouveau, encore, supporter le transfert. Nous devons exiger de l'analyse d'un analyste que sa fin possibilise et justifie ses moyens, que l'acte qu'elle produit soutienne la tâche, le travail et le transfert jusqu'au bout, jusqu'à pouvoir en tirer les conséquences qui font prendre fin à une psychanalyse.

73 Il nous faut donc en ce point préciser deux questions : qu'est-ce que le transfert ? Comment la possibilité de le supporter est-elle produite par la fin d'une analyse qui elle même met un terme à un transfert ?

74 Le transfert, c'est la transposition (Übersetzung) c'est le transfert de la structure, soit de "l'appareil psychique", dans le dispositif analytique du fait de la demande adressée à un analyste. C'est un travail, une dynamique, dit Freud : le déplacement des "représentations" et de leurs "investissements", soit le transfert des signifiants dont l'association libre témoigne.

75 Ce travail a comme effet un produit, effet "quantitatif" dirait Freud, qui prend forme du fait de la "régression topique". Comme dans le travail du rêve, ce qui n'a pas lieu (la jouissance) prend forme et figuration dans les représentations à portée de libido. Le transfert, précise Lacan c'est la "mise en acte de la réalité sexuelle de l'inconscient [5]". Il y a transposition, dans le dispositif freudien, de la satisfaction pulsionnelle telle que la névrose la fixe et en fait son destin noué par le fantasme qui hic et nunc implique l'analyste qui s'en mêle. Supporter le transfert, c'est donner un support au travail et au produit : c'est à dire supporter cette inclusion sans s'y emmêler en trébuchant sur son contre transfert. Il s'agit de savoir traiter cet enlacement par la satisfaction pulsionnelle, le manier, le manœuvrer, jusqu'à le vider du sens que lui donne la névrose. Il s'agit pour l'analyste de savoir profiter de cette occasion, en faire usage pour s'impliquer dans la structure du sujet en sachant y tenir sa place, ce qui va y produire une certaine place. L'expérience du transfert, c'est l'expérience – artifice mais aussi Erfahrung, traversée, et Erlebnis, vécu, que l'analyse de l'analyste lui permet de supporter dans la mesure où d'une manière tangible elle lui a donné accès, à une certaine place (un lieu vide qui permet l'acte).

Comment donc ?

76 Comment se produit la fin de l'expérience qui donne lieu à l'acte ? À la fin, l'analysant ne rencontre plus l'analyste [6], dit simplement Freud. Ce n'est pourtant pas si simple, il se passe quelque chose dans le transfert qui fait cela, qui le produit : il ne rencontre plus l'analyste au rendez-vous de son fantasme, et il n'y a plus rencontre avec celui supposé supporter le savoir de l'inconscient. En ce point de non rencontre, il se produit une modification profonde, un remaniement du destin pulsionnel qui fait passer de la "réalité sexuelle" de l'inconscient, actualisée dans le transfert où se rencontre l'analyste au pulsionnel mis en acte par le désir de l'analyste qui va permettre au sujet la rencontre sans atermoiement avec sa division subjective. A la place de la rencontre nécessaire avec l'analyste, il y a une rencontre avec le réel. À la place de la névrose de transfert (un symptôme qui ne cesse d'inscrire le rapport sexuel), un destin pulsionnel autre, un sinthome qui ne cesse d'écrire le non rapport. À la place où le transfert convoque l'analyste pour faire rapport, pour faire colle à la pulsion, collaborer avec le fantasme et colmater l'objet, là où le transfert rencontre l'analyste pour collaborer à la satisfaction pulsionnelle de substitution que la névrose s'est trouvée comme destin, la non réponse. C'est en effet en ce point qu'il s'agit de répondre avec ce que Freud nommait die Versagung, l'échec, l'empêchement de cette satisfaction. Au lieu de la satisfaction attendue, l'analyste fait silence, fait de la place, la place où se logera le destin pulsionnel appelé désir de l'analyste. Le désir de l'analyste, c'est le destin pulsionnel qui opère dans l'analyse en donnant support à son travail et peut éventuellement – hasard du destin et de la logique – en être le produit. Si le transfert c'est l'actualisation de la "pantomime  [7]" névrotique, le désir de l'analyste c'est la mise, et la mise en scène, de l'analyste dans le but d'un "remaniement possible du moi [8]" à cause de la pulsion et de son reste incurable. Le désir de l'analyste, c'est un destin pulsionnel qui permet de ne plus s'embarrasser de la névrose. L'analyse met la structure de la névrose à l'envers (figure im1 ◇ a) → (a → figure im2).

77 Avec Freud, nous pouvons exiger que l'analyse de l'analyste à la fin, produise "la ferme conviction de l'ex-sistence de l'inconscient [9]" soit, en fin de compte qu'il puisse conclure que l'inconscient c'est le réel. C'est alors que l'analysant ne rencontre plus le psychanalyste qui en soutenait le supposé savoir, mais, avec Freud toujours souhaitons "qu'il ne cesse jamais d'approfondir celle-ci", tandis qu'avec Lacan nous dirions qu'il ne cesse jamais de repasser la passe, soit de refaire l'épreuve de l'acte.

Fin d'analyse ?  [*]

78 B. Miguel LEIVI

79 Je désire avant tout remercier les organisateurs de cette Rencontre internationale de l'École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien de leur invitation à participer à cette table ronde. Par la qualité des participants ainsi que par l'importance du thème proposé, cette invitation a constitué pour moi un honneur.

80 Thème important, sans aucun doute, mais aussi extrêmement difficile. Même intimidant, si l'on tente de satisfaire à l'exigence contenue dans l'interrogation du titre. Si une question concrète demande des réponses concrètes elles aussi, je dois indiquer que je me suis trouvé, lors de ma première approche, dans une situation semblable à celle de Saint Augustin devant la question sur le temps : "Qu'est-ce donc que le temps alors ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si je veux l'expliquer à quelqu'un qui me le demande, je ne le sais pas." Question qui, si l'on y réfléchit bien, non seulement me laisse en illustre compagnie, mais n'est pas si égarée que ça, car la question sur la fin est aussi, en fin de compte et sous un certain aspect, une question sur le temps ; tout au moins, sur la finitude du temps d'une expérience.

81 Voici quelques réflexions et interrogations sur le thème, à partir de Freud et, en particulier, à partir de son texte "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin." Il y a dans ce texte une question qui guide ses considérations à propos de la fin de l'analyse qui m'a toujours interpellé : "Y a-t-il quelque chose qui soit la fin naturelle d'une analyse ?" Que pourrait vouloir dire cette interrogation sur la fin "naturelle" de quelque chose qui, comme l'analyse, n'a rien de naturel ? La réponse qui tout au long de l'article se construit est négative : non, il n'y a pas une fin naturelle de l'analyse. Mais je crois que cette interrogation éclaire un aspect important de la question.

82 Que serait une fin naturelle ? Celle dans laquelle, explique Freud, se joindrait à la disparition des symptômes la certitude de l'absence de répétition, la "vaccination" préventive contre l'apparition d'autres conflits symptomatiques possibles et la perspective que la poursuite du traitement ne produirait pas davantage de bénéfice pour le sujet qui aurait atteint un niveau d'absolue normalité et de stabilité psychique. Soit, un épuisement des facteurs causes de la pathologie selon le modèle que la médecine soutient et réalise dans les situations les plus favorables : extraction d'un corps étranger ou d'un tissu malade, élimination d'un agent pathogène, drainage d'un abcès, réduction d'une fracture traumatique, vaccination préventive contre une maladie infectieuse. Fins naturelles pour causes naturelles.

83 Je crois que c'est une erreur de penser que Freud a renoncé à cette perspective en 1937, comme conséquence d'une vision pessimiste propre à ses dernières années de vie. Ce changement est bien antérieur, et il est rigoureusement le produit de l'option théorique fondamentale de la psychanalyse : l'abandon de la théorie traumatique, théorie qui, elle par contre, répondait pleinement au modèle médical. Freud voyait déjà à cette époque que remplacer la catharsis de l'affect refoulé, la décharge du souvenir du trauma – point d'origine de la pathologie et point d'arrivée de son abord thérapeutique – par la libre association propre à la méthode psychanalytique, c'était renoncer à la possibilité supposée d'épuiser, d'évacuer ce qui conditionnait la pathologie. Le 16 avril 1900, il avait écrit à Fliess au sujet d'un patient qu'il suivait à ce moment-là : "Je commence à comprendre que la nature apparemment interminable du traitement est déterminée par une loi et dépend du transfert [...]. Il ne dépend que de moi de décider si le traitement peut être prolongé ultérieurement." Tous les éléments sont déjà présents là.

84 C'est pourquoi il me semble que la question sur la fin naturelle, c'est la question de l'objet perdu dans la constitution même de la psychanalyse : l'idéal thérapeutique médical, dont la nostalgie ne cesse de réapparaître même dans "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin", Freud y mentionne ces "cas au dénouement si heureux" qui sont, justement, ces pathologies dont l'étiologie est essentiellement traumatique, accidentelle, le trauma étant entendu aussi au sens médical comme un événement réel qui est à lui seul la cause effective de la pathologie ultérieure. La psychanalyse débouche, par contre, sur un point d'arrivée, un noyau causal, qui est bien loin de cet idéal : le "roc vif" de la castration, qui n'est ni accidentel, ni contingent, ni naturel ; il n'est ni épuisable, ni curable, il ne peut être dépassé comme le voulait Ferenczi qui, selon Freud, "exige trop". Au terme, la psychanalyse débouche, là où "nos activités arrivent à leur fin", à l'irrémédiable de la castration devant laquelle chaque sujet doit définir sa position singulière.

85 Si la question de la fin de l'analyse se pose, c'est précisément parce qu'il pourrait ne pas y avoir de fin, et c'est là la préoccupation centrale de Freud lorsqu'il écrit son article. Devenir de cette manière alliée de la névrose serait un destin assez paradoxal pour une méthode justement pensée pour affronter les alibis névrotiques.

86 La fin de la tâche est ainsi de l'ordre d'une décision singulière, incertaine – "question pratique", dit Freud – avec une vaste marge d'indétermination et sans indicateurs objectifs de certitude. Il en va de la responsabilité de l'analyste de prendre position à cet égard, dans chaque cas.

87 L'analyste, pour sa part, s'il doit travailler avec son propre inconscient, élevé à la catégorie d'être son principal instrument, reste inclus dans cette question sous un double aspect : il est là en tant qu'analyste, mais aussi en tant qu'analysant. Car s'il y a une chose sur laquelle toutes, absolument toutes, les orientations psychanalytiques concordent, quoique ce ne soit pas pour les mêmes raisons, c'est sur le fait qu'un analyste doit nécessairement avoir été analysé. Cette coïncidence est une chose si peu fréquente qu'elle mérite d'être soulignée. Et c'est ce point que la proposition thématique de la table ronde vise : qu'attend-on de l'analyse de l'analyste ?

88 Revenons à Freud. Qu'attendait-il de l'analyse de l'analyste, lui qui en a établi progressivement la nécessité ? Entre autres choses, le discernement et la maîtrise du contre-transfert ; le dépassement, à partir d'une "purification analytique", de ses propres complexes et résistances intérieures, car un "quelconque refoulement non résolu correspondra [...] à un point caché de la perception analytique". Mais, fondamentalement, c'est l'obtention, par la voie de sa propre analyse, de l'expérience et de la "ferme conviction de l'existence de l'inconscient" – qui se chercherait en vain "dans l'étude de livres et dans l'audition de conférences". Celle-ci serait l'attente spécifique déposée dans l'analyse de l'analyste, élément central de sa formation et ce qui uniquement le qualifierait pour l'être. Il n'exclut évidemment pas les fins thérapeutiques, mais il ne s'y limite pas. En général, dit Freud, "l'analyse ne conduit pas le névrosé plus loin que ce que la personne 'saine' obtient sans cette aide", ce qui me semble une excellente caractéristique des objectifs thérapeutiques : restituer la santé, quelque chose qui, chez la personne "saine" se donne de façon spontanée. On peut aussi obtenir de l'analyse la production d'un "état qui n'a jamais préexisté de façon spontanée", un "quelque chose" de plus que le purement thérapeutique. Je crois que c'est dans ce nouvel état – à propos duquel Freud ne dit pas beaucoup plus, et pour lequel toute question relative à une fin naturelle est écartée d'entrée de jeu, car il s'agit d'un état non naturel, authentique produit de l'analyse – qu'il est possible de chercher ce que l'on attend de l'analyse qui fasse de l'analysant un analyste, et ce nouvel état est sûrement articulable avec la fonction du désir de l'analyste de Lacan.

89 Quoi qu'il en soit, dans "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin" les choses sont établies en termes plus simples et pratiques, comme si dans l'analyse de l'analyste ce qui était cherché en réalité était "quelque chose en deçà" du thérapeutique : un traitement "bref et incomplet", qui ne se propose que d'évaluer les aptitudes pour poursuivre la tâche, produire l'expérience de l'inconscient mentionnée et fournir les éléments de la technique analytique qui servent pour le travail ultérieur. Une telle analyse devrait être recommencée avec une certaine périodicité, faisant de l'analyse de l'analyste "une tâche interminable". Quelque chose de semblable avait déjà été posé en 1913, mais à l'époque, au lieu de la répétition périodique, Freud avait recommandé que l'analyse se poursuive en une auto-analyse. C'est comme si sa préoccupation centrale à propos de ces questions avait été plus instrumentale que structurale : il ne s'agissait pas tant de préciser en quoi consiste le devenir analyste à partir de sa propre analyse que d'assurer la pratique continue de l'analyse au moyen de la périodique mise au point de son instrument, l'inconscient des analystes praticiens. Le psychanalyste autrichien Harald Leupold-Löwenthal a peut-être raison quand il dit "qu'il est évident que Freud ne valorise pas excessivement la formation analytique de l'époque, chaque fois plus institutionnalisée, et qu'il n'a pas trop confiance non plus dans les effets positifs de l'analyse didactique".

90 Au-delà du circonstanciel, la conclusion en ce qui concerne la fin de l'analyse de l'analyste pourrait sembler à première vue paradoxale : ce qui est exigible est que, d'une part, elle se termine rapidement sans épuiser le processus ; mais que, d'autre part, elle ne s'achève jamais du fait de la répétition périodique et indéfinie de ce même processus. Si l'analyse d'un analyste est fondamentale dans sa formation et cherche avant tout à assurer le passage par l'expérience de l'inconscient, comment celui qui n'est pas passé par l'expérience d'une fin, mais par celle d'une expérience répétée de "non fin" pourrait-il conduire une analyse à sa fin ? Mais il est néanmoins possible de rencontrer, dans cette apparente contradiction, une formulation qui rende compte d'une tension interne inhérente à la question : ce que l'on attendrait d'une fin d'analyse serait, d'une part, que cette fin existe, que cette analyse soit une expérience finie en son développement, qu'elle rende possible la propre expérience de la finitude ; mais que, d'autre part, elle soit infinie en tant qu'elle institue le désir de l'analyste qui fait un analyste.

91 Il y a une autre tension, certainement inévitable aussi, qui touche à ce thème : c'est celle que rencontre le singulier de toute expérience analytique, y compris celle de l'analyste, avec le domaine du collectif, de l'institutionnel, inévitablement présent dans cette analyse. Quelque chose que nous pourrions relever, me semble-t-il, dans le pluriel de la question posée "nous exigeons" ; celui qui exige pourrait impliquer depuis une institution réduite à sa plus simple expression, avec ses propres règles et perspectives, explicites ou non, jusqu'à la communauté analytique dans son ensemble, si tant est qu'elle existe comme telle. Après tout, nous devrions nous souvenir aussi que les préoccupations de Freud pour la formation analytique et l'analyse de l'analyste ont débuté à partir de 1910, quand la psychanalyse a commencé à s'étendre au-delà de sa propre pratique personnelle et de son cercle intime, ce qui a conduit dans le même temps à son institutionnalisation. Justement cette année-là, dans "L'analyse sauvage", il annonce la création quelques mois auparavant de l'Association Psychanalytique Internationale dont la finalité, considérant "les dangers pour les patients et pour la cause de la psychanalyse" inhérents à une pratique sans aucune régulation, était de donner des garanties à l'égard de celui qui se dirait "psychanalyste". Les années suivantes ont été marquées par la préoccupation de formaliser la technique et d'assurer la formation analytique ; c'est dans ce contexte que fut instituée l'analyse de l'analyste comme condition nécessaire à sa formation.

92 Cette institutionnalisation de l'analyse de l'analyste ne manque pas de produire ses propres conséquences et c'est, sans doute, source de toute une série de problèmes difficilement évitables. L'écrivain argentin Ricardo Piglia, parlant de "Littérature et Psychanalyse", compare la figure du psychanalyste à celle du détective du roman policier, en particulier du roman policier noir : Auguste Dupin et Sherlock Holmes, bien sûr, mais, plus particulièrement Philip Marlowe. Il dit quelque chose en lien avec cette question :

93

"Le détective est un sujet extraordinaire, destiné à établir la relation entre la loi et la vérité. Il est là pour interpréter ce qui est arrivé, les indices qui sont restés et il peut réaliser cette tâche parce qu'il est en dehors d'une quelconque institution [...]. Il n'appartient ni au monde du délit ni au monde de la loi ; il n'est ni un policier ni un criminel, même s'il en a les traits [...]. Le paradoxe qu'il rencontre est celui de comment parler d'une société qui nous détermine à son tour, de quel lieu extérieur la juger, alors que nous y sommes dedans aussi. Le genre policier donne une réponse qui est extrême : le détective, quoiqu'il fasse partie de l'univers qu'il analyse, peut l'interpréter parce qu'il n'a pas de relation avec aucune institution [...] pas même avec celle du mariage. Il est célibataire, marginal, il est isolé. Il ne peut s'inclure dans aucune institution sociale [...] parce que là où il serait inclus il ne pourrait dire ce qu'il a à dire [...]".

94 Les solutions extrêmes auxquelles peut recourir un personnage littéraire ne sont généralement pas accessibles aux êtres concrets ; elles permettent de localiser un problème plus que d'offrir une solution. La marginalité du psychanalyste n'est généralement pas factice, mais elle se traduit, dans ses insertions institutionnelles, en tensions, en malaises, qui sont supportés, affrontés et qui se résolvent peut-être de façon singulière aussi. D'un extrême à l'autre, de l'analyse sauvage, l'analyse d'un analyste sans analyse d'une part, et l'analyse institutionnellement régulée à outrance qui pourrait aboutir à une formalisation intégrale à la Procuste qui vide l'analyse de toute particularité d'autre part, la tension que l'analyse de l'analyste supporte inclut aussi ce qui touche aux attentes quant à sa fin. Attentes qui sûrement ne se posent pas de la même façon dans les divers contextes institutionnels et qui peuvent même ne pas se poser, du moins de manière explicite. Ce n'est pas pour autant qu'elles ne sont pas présentes.

95 Si je dois faire appel à ma propre expérience, je dirais que, dans le contexte institutionnel dans lequel je circule, la question de l'analyse de l'analyste répond à diverses régulations qui se réfèrent à ses conditions et à son déroulement, mais pas à sa fin. Sans entrer dans le processus même, que nous réservons à l'intimité de la relation transférentielle, les garanties sont déposées, d'une part dans l'analyste qui conduit cette analyse, reconnu par l'institution comme étant qualifié pour exercer cette fonction ; d'autre part, dans l'accomplissement de certaines conditions formelles auxquelles l'analyse doit répondre ; une fois celles-ci réunies, l'analyse "peut se conclure", du point de vue institutionnel. Ce qui implique, bien entendu, qu'il "puisse aussi ne pas conclure". Et il me semble qu'une telle alternative ne serait pas en elle-même nécessairement considérée comme un problème. Ce qui ne veut pas dire non plus que ce n'en soit pas un. De fait, l'analyse de quelques analystes paraît parfois s'étendre indéfiniment, jusqu'à devenir pratiquement interminable. Ceci n'est, bien évidement, qu'une description.

96 Ce n'est pas non plus une conclusion, mais devant le risque que mon exposé ne devienne aussi interminable, il me semble que c'est le moment de conclure.

L'analyse de l'analyste : qu'attend-on de sa fin ?

97 Colette SOLER

98 Puisque nous dialoguons ici entre courants analytique différents, je vais essayer de me situer au niveau des principes d'orientation qui se dégagent de l'enseignement de Lacan.

99 En raison du temps compté, je vais procéder par assertions, sans justifier.

100 1) De toute "analyse", je mets des guillemets, toutes celles qui se disent telles, on est en droit d'attendre des effets thérapeutiques. Sans eux, rien ne prouve que l'élaboration analytique ait eu la moindre conséquence réelle. La réciproque n'est pas vraie : tout effet thérapeutique n'est pas analytique.

101 2) D'aucune "analyse", toujours avec des guillemets, on ne peut attendre qu'elle produise un sujet sans symptôme et pas non plus sans inconscient. L'inconscient est irréductible (la thèse était déjà chez Freud), et il n'y a pas de sujet sans symptôme, dès lors que l'investissement libidinal n'est pas programmé par l'Autre, mais déterminé par l'inconscient. Ce que Lacan formule avec son ; "pas de rapport sexuel". On peut s'interroger, et chacun s'interroge en effet sur la configuration symptomatique finale d'une analyse, mais ce n'est pas à ce niveau que se joue l'analyse de l'analyste.

102 3) De l'analyste, on attend qu'il ait fait une analyse. Tous s'accordent sur ce point. Je dis une analyse, pas une thérapie... analytique comme on dit, une "analyse", qui l'ait rendu apte, je ne vais pas dire à diriger des cures analytique car l'expression me paraît avoir aujourd'hui perdu son tranchant, je vais dire, apte à rien de moins qu'à l'acte analytique. Aptitude désigne une compétence, pas une performance évidemment, laquelle reste toujours à la merci de la contingence.

103 4) Seule l'analyse qui a été jusqu'à son point de clôture peut produire ce résultat – j'enlève donc les guillemets. En ce sens, et en toute rigueur, il n'y a d'analyse d'analyste que finie. Lacan disait "La psychanalyse, virgule, didactique", pour dire qu'il n'y en avait pas d'autre. Et que serait en effet une psychanalyse d'où le sujet n'aurait rien appris ? Mais il y a des gradations dans l'effet didactique, et dire, sur le même modèle, "l'analyse, virgule, finie", va beaucoup plus loin. Là, il n'y a pas de gradation, quoique le processus puisse être recommencé.

104 5) S'il n'y avait que l'inconscient à interpréter, l'analyse serait un processus infini ; s'il n'y avait que la pulsion, nous disons plutôt la jouissance, elle ne commencerait même pas ; mais il y a le transfert, l'amour du savoir et du sujet qu'on lui suppose. C'est à ce niveau que la fin didactique se joue.

105 L'acte analytique suppose un changement à l'endroit du sujet supposé savoir, qui marque le terme du processus et qui ne peut s'instaurer, je cite le compte rendu du Séminaire sur l'acte, que de "la faille aperçue du sujet supposé savoir [1]", point dont "toute stratégie vacille", mais qui est néanmoins situable en terme de logique. Aperçu. Atisbo en espagnol. Le mot paraît modeste, mais il désigne bien un gain didactique, et qui change le rapport au sujet supposé savoir. Sans lui, sans ce gain et sans ce changement, pas d'analyste possible.

106 6) Reste cependant une question : cette condition nécessaire, est-elle suffisante ? Sûrement pas. En effet, l'aperçu pris, le changement de position à l'endroit du sujet supposé savoir, ne dit pas l'usage qui en sera fait, et il y en a plus d'un de possible. Le savoir de l'analyste existe, mais il ne suffit pas à tout, et il peut aussi bien produire ce que Lacan appelait "canaille", et même endurcie. Autrement dit, un sujet prêt à instrumenter le transfert à d'autres fins. L'une d'entre elle, la plus fréquente peut-être, étant celle du thérapeute rééducateur, qui suppose savoir ce qu'il faut au bonheur du sujet.

107 7) Comment nommer la condition supplémentaire, et surtout comment la reconnaître concrètement dans un témoignage de passant ? Elle n'est pas de l'ordre de la compétence ou de l'aptitude, elle est éthique ; rien de plus difficile à identifier. C'est pourtant ce que l'on attend, entre autres, du dispositif de la passe : que les "congénères" la reconnaissent, comme Lacan disait dans "La lettre aux italiens", cette condition supplémentaire qui ne relève pas du savoir. Les tentatives pour la nommer n'ont pas manqué : Lacan a dit successivement "désir de l'analyste", années 60, puis, "éthique du bien dire", années 70, puis "désir du savoir" 75. Hélas, aussitôt formulé aussitôt dégradé et parfois en thème quasi publicitaire dans les luttes entre analystes, toujours menées, comme on sait, au nom de la supposée éthique analytique.

108 8) Alors, pour nous qui avons un dispositif de la passe, ne serait-ce pas une raison pour que, à la différence de ce que nous voyons se faire ailleurs, nous maintenions un certain silence sur ce qui se dit dans le dispositif de la passe ? Non sans attendre de chacun évidemment, qu'il dise ce qu'il peut dire sur la psychanalyse, sur le savoir que son expérience dépose ? Ce sera peut-être la bonne façon de rendre compte, comme on dit.

109 16 juillet 2004.

Le débat de Buenos Aires  [*]

110 Nous en reproduisons ici de larges extraits, afin de respecter la vivacité des échanges :

111 Colette CHOURAQUI-SEPEL : L'analyse de l'analyste, à quoi sert-elle, au sens fort du terme ? Je dirais, à faire que cette rencontre singulière entre deux personnes un analyste et un analysant, qui a un sacré enjeu, ne devienne pas une mauvaise rencontre, aussi bien pour l'un que pour l'autre. Colette Soler a soulevé la question du côté terrible du transfert comme résistance à tout changement, comme Freud le signale, ainsi que celle des pleins pouvoirs du transfert. Finalement, ce qui serait exigé, peut-être, de l'analyse de analyste, c'est que soit reconnue l'idée qu'il n'y a pas de mot de la fin, ou mieux, qu'il n'y a pas de fin mot de la fin.

112 Gabriel LOMBARDI : Je reviens sur un point, nous avons des idéaux communs dans la psychanalyse : un idéal analytique d'après les listes de l'I.P.A., jusqu'aux listes que nous pourrions faire actuellement des idéaux à atteindre. Le problème est que ces idéaux peuvent être rapidement utilisés comme formules.

113 Colette SOLER : Tous les analystes, au moins au début, sont d'accord sur un point : l'analyste doit faire une analyse. Il me paraît cependant qu'à cette table, il y a un autre point commun – si j'utilise l'expression de Miguel Leivi, qui disait "un peu plus, au-delà du thérapeutique". Nous sommes tous d'accord, il y a le thérapeutique et quelque chose de plus, autre que le thérapeutique. Il s'agit de situer, de nommer ce "un peu plus". Si j'ai bien compris ce que disait Abel Fainstein, le "un peu plus" dans votre Association se situe sous le terme "effet de transmission" ; en dehors de ce qui s'est transformé pour l'analysant, il y a la question de la transmission. Pour nous aussi, les lacaniens, le problème de la transmission se pose. Simplement, serions-nous d'accord pour dire que la transmission à d'autres sujets, l'extension, suppose ce "un peu plus" dans l'analyse elle-même ? Cela pour dire que ce n'est pas une condition qui s'ajoute à l'analyse, un travail de transmission ajouté, postérieur, mais, déjà, une transformation interne qui rend la transmission possible.

114 Dominique FINGERMANN : Justement, dans l'École que nous mettons en place à la manière dont Lacan a pensé la formation du psychanalyste, ce n'est pas l'institution qui confirme, qui garantit, qui termine, qui produit le psychanalyste. Dans votre propos, Abel Fainstein, on avait l'impression que l'institution prenait le relais de ce qui manquait à la psychanalyse. Dans notre École, dans la logique de l'enseignement de Lacan et de notre pratique de la psychanalyse, c'est plutôt le psychanalyste qui fait l'École, c'est lui qui doit transmettre à l'École, à l'institution, ce qu'est un psychanalyste et non le contraire.

115 Miguel LEIVI : Je reprends la question de Gabriel Lombardi. Pouvons-nous nous reconnaître dans des idéaux communs ? Si c'est le cas, nous n'avons aucune échappatoire ! C'est un problème de parler en termes d'idéaux. Chaque fois qu'on essaie de définir de manière positive en quoi consiste ce "devenir analyste" – nous le faisons, en général, dans des termes théoriques, sur la base de certaines réussites concrètes, de certains indicateurs – nous tombons inévitablement dans des idéaux normalisateurs. Le plus ancien est celui de l'analyste comme personne "normale", idéal de normalité. C'est quelque chose que nous avons laissé derrière nous.

116 Il me semble que lorsque Freud veut définir cela, il le fait de façon négative : pas ceci, pas cela. C'est plutôt quelque chose de défini par l'exclusion d'autres questions. L'analyste ne doit pas éduquer le patient, ni le gouverner. Il ne dit pas ce qu'il faut faire, il dit ce qu'il ne faut pas faire. Ce que nous exigeons reste circonscrit dans un espace vide, par exclusion. Ce n'est pas très satisfaisant, mais c'est la manière que j'ai trouvée pour échapper aux définitions concrètes et positives qui rapidement deviennent des idéaux.

117 Abel FAINSTEIN : Par rapport à ce que nous pouvons exiger de la fin de l'analyse de l'analyste, je pense que, en plus des objectifs thérapeutiques, il s'agit d'obtenir, spécifiquement, des effets de transmission ; c'est implicite dans le processus de "l'analyse didactique" mais nous pouvons l'exiger parce que, parfois, on appelle "analyse didactique" ce qu'on fait avec un didacticien, mais cet effet n'est pas obtenu, c'est quelque chose qu'aucun dispositif ne peut garantir. C'est justement l'inverse, comme le proposait Dominique Fingerman. L'institution peut plutôt le faciliter mais aussi l'encombrer, par exemple, si elle s'immisce dans les analyses. L'institution peut même faire obstacle.

118 Si nous partons du fait que nos institutions se fondent sur des idéaux communs, je crois que nous avons besoin des institutions, mais nous devons être avertis de la façon dont sont construites les identifications. Car (et ceci a été à l'origine des discussions entre Freud et Ferenczi) l'idée qu'on pouvait obtenir une fin, épuiser l'analyse qui devait se résoudre à travers une identification pour former des institutions, bloquait la possibilité d'aboutir à une fin telle que nous la concevons aujourd'hui justement pour pouvoir sortir du modèle de l'identification. C'est un mouvement permanent que l'analyse de l'analyste se maintienne le plus possible hors d'un dispositif institutionnel fondé sur les identifications. Pour ce faire, les institutions ne doivent pas s'immiscer dans les analyses qui doivent être le plus libres possible parce que c'est la seule manière de préserver cette fonction de transmission.

119 Concernant l'autre point soulevé par Colette Soler, j'essayais de distinguer le processus de transmission qui est central dans le dispositif de l'analyse et qui n'est pas toujours réussi mais qu'on devrait pouvoir atteindre. Nous essayons de le définir de façon plus large que simplement "effet de transmission qui ne peut être obtenu qu'à travers une analyse". Il y a un effet d'identification que nous repérons plutôt dans la formation analytique, où il y a une part spécifique de ce qu'une analyse peut atteindre. Mais je sépare la formation analytique de la transmission comme effet d'une analyse.

120 Bernard LAPINALIE : Le titre "qu'exige-t-on d'une analyse de l'analyste", comporte un facteur... moral, je dirais. Au moins qu'on s'assure qu'il soit bien formé, l'analyste ! Il semble que Freud n'ait pas eu une exigence démesurée sur l'analyse de l'analyste, privilège sans doute du découvreur. Pour Lacan, c'est plutôt : "que l'analyste se déclare comme tel et je souscris". Cela non plus ne semble pas être une exigence démesurée au premier abord. Donc on ne peut mettre l'exigence ni côté de Freud ni du côté de Lacan, mais finalement du côté de l'institution qui attendrait une garantie sur la fin.

121 Qu'est-ce qui fait ce désir de l'analyste, quand quelqu'un vient le voir avec sa question, ses symptômes, cette exigence de ne pas se contenter de "ma foi, il va mieux, son moi s'est renforcé, il s'en sort mieux". Qu'est-ce qui fait tenir bon, ne pas laisser partir un patient qui, dans sa demande à l'endroit de l'analyste, a une exigence supplémentaire que celui-ci prend à son compte ? Lacan soutient davantage le désir de cet analyste-là, quelconque, dans sa rencontre, quelconque, au un par un, plutôt que la fin de l'analyse de l'analyste lui-même.

122 Je me demandais si, à l'I.P.A., vous aviez quelque chose à dire là-dessus : d'où vient ce désir qui touche, à la fin de l'analyse, quelqu'un qui n'aurait pas forcément demandé à être analyste au départ et qui peut-être le sera, dont l'analyste présent ne se préoccupe pas forcément de savoir si c'était une demande d'être analyste à la fin ?

123 Luis IZCOVICH : Je vais poser une question à Abel Fainstein et à Miguel Leivi. Cela a été pour moi une surprise très agréable d'écouter cette réactualisation des institutions analytiques argentines et le point d'accord entre les deux qui va, selon moi, dans le sens d'une ouverture : il s'agirait de privilégier l'expérience analytique avant l'expérience institutionnelle.

124 Fainstein a démontré de façon claire l'ouverture de l'APA : il n'y a pas d'obligation exigée par l'institution quant au choix de l'analyste. Il a présenté un témoignage personnel qu'une analyse peut se poursuivre avec un analyste qui ne fait pas partie de l'institution. Existe-t-il des moyens par lesquels il y aurait une incidence de l'institution sur les analyses de chacune des personnes en analyse didactique et qui ont à voir avec la doctrine privilégiée par l'institution ?

125 Plus particulièrement à Fainstein : vous avez parlé de la traversée des identifications. Jusqu'où va la doctrine actuelle de l'APA en ce qui concerne ce point-là ? L'APA soutient-elle que la traversée des identifications va jusqu'à traverser l'identification à l'analyste ?

126 Et au fond, plus radicalement, à tous les deux, comment savez-vous qu'une analyse didactique est finie ?

127 Jean-Pierre DRAPIER : Je voudrais tresser trois points en une question pour tous les intervenants sur ce que l'on peut attendre et exiger d'une institution analytique dans la formation de l'analyste, à partir de ce que Colette Soler a dit sur la façon de nommer, de reconnaître la condition, qui n'est ni une compétence ni une aptitude, de l'émergence du désir du psychanalyste.

128 Le désir de l'analyste, c'est le destin de la pulsion dans une analyse, dans certaines analyses. Cela fait écho avec ce que disait Abel Fainstein sur le fait que ce que ne peut garantir aucun dispositif institutionnel, il peut soit le faciliter soit y faire obstacle. En fin de compte, est-ce à la transmission que cela s'applique ou plutôt à ce destin de la pulsion dans une analyse qui serait "didactique" ?

129 Miguel LEIVI : Je parle à titre personnel et non pas institutionnel, c'est-à-dire que je ne sais pas si c'est représentatif de la position institutionnelle, je ne sais même pas s'il y a une position institutionnelle. Une analyse institutionnalisée telle qu'une analyse didactique n'est pas quelque chose de plus ; je crois que c'est quelque chose qui agit dans l'analyse et qui dérange. C'est pourquoi j'ai fait cette longue citation de Ricardo Piglia qui rend compte du conflit inéluctable entre la singularité de toute analyse et son aspect institutionnel.

130 Comment une analyse didactique finit-elle ? Ce sont les mêmes conditions que pour une analyse tout court, l'analyse didactique n'a pas un statut particulier. Ce qui doit finir, c'est l'analyse. Son caractère didactique du point de vue institutionnel n'est pas une qualité supplémentaire, mais quelque chose qu'il faut considérer comme une source possible d'obstacles, à laisser de côté. En ce sens, je crois qu'avec la question du désir de l'analyste nous nous trouvons face à une contradiction parce que l'analyse posée d'une manière institutionnelle présuppose qu'il y a déjà au départ un désir d'analyste, c'est pourquoi c'est une analyse institutionnelle. On ne pense pas à la constitution de ce désir lors de la traversée de l'analyse. Donc, je crois que l'analyse se fait au milieu des paramètres institutionnels et c'est la meilleure des choses que ces paramètres institutionnels ne fassent pas trop obstacle.

131 Abel FAINSTEIN : Pour nous, en ce moment, la partie formelle de l'analyse, l'exigence institutionnelle par rapport à l'analyse, est une exigence envers la personne en formation qui doit s'analyser pendant qu'elle suit les séminaires et ses contrôles. Voilà pourquoi je répondais à Colette Soler que, pour nous, l'analyse didactique est l'élément central de la formation, mais celle-ci inclut tout le processus et l'institution, à cette place-là (celle de la formation), est très importante. De même qu'elle peut être un obstacle à l'analyse quand l'institution s'immisce dans les analyses ; la société des analystes est nécessaire en ce qui concerne les interrogations, un seul analyste ne peut pas y répondre. Nous prétendons que l'analyse a un effet de transmission, qui ne peut pas être garanti, mais nous ne le savons que lorsque la pratique de l'analyste est en jeu. L'analyste, on le voit quand il travaille la théorie, la clinique ; l'institution est proposée comme un lieu où l'analyste peut montrer et mettre en acte sa théorie et sa clinique. Il participe à la circulation d'un débat institutionnel où on peut savoir s'il y a eu effet de transmission dans son analyse.

132 L'analyse est assez éloignée de l'institution, mais ce qu'elle est dans l'institution en tant que processus de formation, je l'ai présenté comme une expérience ; la formation, pour nous, c'est une expérience. Par exemple, il y a des gens qui sont en formation et qui viennent d'une analyse précédente. Pour eux, le fait de participer aux séminaires dans l'institution et d'avoir des contrôles de leur tâche clinique a des effets très intéressants par rapport à leur analyse didactique ; d'autre part, leur analyse didactique leur permet un travail par rapport à ce qui est généré dans ce contexte de la formation, il y a un aller-retour entre ce qui se passe dans l'analyse didactique et ce qui se passe dans l'ensemble de l'expérience de la formation.

133 En ce sens, nous pensons que l'institution doit proposer un espace où l'on peut voir l'effet de transmission ou, comme je disais auparavant, le non-effet de transmission, même si cette personne a fait son analyse didactique. La seule manière de le voir est dans l'après-coup : si chacun travaille chez soi et personne ne sait ce qui est fait, cela reste uniquement à la charge de cette personne.

134 Dans la plupart des cas, on pense qu'il y a quelque chose de l'ordre de la transmission qui s'est passé dans une analyse, mais parfois on pense que non. L'institution est alors, comme le dit Safouan, un lieu où mettre en acte ses interrogations et en rendre compte entre tous. Dans notre expérience, les personnes – comme Miguel Leivi l'a dit – arrivent déjà en voulant être analystes et quelques-uns avec plusieurs années d'analyse. Au contraire, il y a des gens qui au cours de leur analyse didactique cessent d'être analystes parce qu'ils s'aperçoivent qu'ils n'ont rien à voir avec le fait d'être analystes. Nous avons une population qui a déjà une ou deux analyses précédentes et qui arrive quand elle a déjà décidé sa participation institutionnelle parce que, comme le disait Izcovich, la population a vraiment beaucoup changé. Les gens venaient autrefois à l'APA pour se former. Aujourd'hui, je dirais qu'ils s'approchent de l'APA pour avoir l'occasion de s'insérer dans une institution, pour pouvoir échanger sur la pratique clinique, ou même la théorie.

135 Pour répondre à la question d'Izcovich, nous avons un débat dans l'APA où des analystes pensent qu'ils doivent s'analyser avec un analyste de l'APA pour renforcer l'identification à l'institution. Je pense qu'en ce moment, nous sommes une majorité à penser que si la plupart s'analysent en dehors de l'APA, c'est mieux encore. Nous ne recherchons pas nécessairement à ajouter des identifications à l'institution, nous prétendons produire des transferts de travail ; les identifications doivent être présentes mais pas pour abuser d'un transfert imaginaire à l'institution ou pour soutenir seulement une identification d'identité.

136 Colette SOLER : Je vous suis très bien quand vous dites que l'effet de transmission est interne à l'analyse. Il est produit, possiblement – pas nécessairement – dans l'analyse elle-même et il ne se vérifie qu'après-coup. Là, il y a un rôle positif de l'institution qui offre un lieu où chacun peut interroger, soumettre à l'épreuve des témoignages et des échanges avec les autres. Là précisément la question de savoir si cet effet de transmission interne – que nous appellerions, quant à nous, peut-être, de production de l'analyste (nous essayons de trouver des termes qui se rapprochent) – peut se mettre à l'épreuve.

137 À vrai dire, je suis plus en difficulté pour saisir la portée de ce que vous soulignez, ou la différence que vous marquez, entre effet de transmission et formation. Peut-être parce qu'il semble que vous donniez une définition de la formation plus pragmatique – les séminaires, les contrôles – et que nous avons tendance à donner à la formation un sens qui est plus du côté de l'orientation analytique elle-même. Bien sûr, il y a des identifications dans toutes les institutions, ça va de soi, mais j'aurais tendance à prendre "formation" en ce sens plus positif.

138 Ce qui me frappe, quand vous insistez sur le fait que c'est très bien que les membres de l'APA aillent faire leur analyse avec des analystes en dehors de l'Association, qui non seulement ne sont pas les didacticiens de l'Association mais qui sont en dehors, est-ce que ça ne veut pas dire que votre Association, ou l'idée que vous en avez, est dissociée de l'orientation analytique elle-même ? C'est-à-dire que l'Association n'est pas définie par une orientation du travail analytique. Alors on peut, en effet, aller s'analyser ailleurs.

139 Je crois que c'est assez net que, dans notre champ, nous avons plutôt l'idée – et la notion d'École l'implique, avec tous les avatars institutionnels que nous connaissons ainsi que les dangers de ré-identification, d'effet de groupe – que ce qui définit au mieux le noyau de l'institution analytique c'est une orientation à la fois théorique et pratique. Nous aurions plus de réserve à dire "on va aller s'analyser ailleurs, hors de cette orientation".

140 Gabriel LOMBARDI : Cela ramène au dispositif même de la passe parce que c'est une sorte de lien, de connecteur, de la marginalité ou de l'extraterritorialité de l'analyse personnelle dans une mise à l'épreuve face à la communauté qui exige de nous de dire, de rendre compte de la façon dont on s'autorise en tant qu'analyste. Les choses ont changé dans les institutions, à l'Institution Analytique Internationale en Argentine. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà questionnés sur la passe, sur les possibilités qu'elle existe dans l'Association fondée par Freud.

141 Jean-Jacques GOROG : Je vais paraître un petit peu rétrograde ici, mais seulement en apparence, pour vous remercier pour la référence précise au débat Freud-Ferenczi. Ce débat est extrêmement actuel. On pourrait faire dix films là-dessus parce que il y a des scénarios tout à fait extraordinaires, qui ne sont pas seulement anecdotiques et qui impliquent effectivement l'exigence de Ferenczi et le mode de la réponse de Freud. Les deux nous intéressent et ont énormément intéressé Lacan. La référence à Ferenczi sur cette question est toujours très présente. Il y a l'idée que Ferenczi, en quelque sorte, aurait raison ; fondamentalement, en effet, on n'imagine pas qu'il n'y ait pas d'analyse de l'analyste. Mais on peut se demander pourquoi Freud et même Lacan adoptent cette position.

142 Je reviens donc sur ce qui est exigible de l'analyste : la reconnaissance de l'inconscient. Qu'est-ce que Lacan dit d'autre ? Pas tellement plus. La question est : pourquoi ? Comme s'il n'avait pas compris l'histoire.

143 Tout d'un coup, dire "voilà ce qui serait exigible de l'analyste" renforcerait quelque chose qui précisément s'opposerait au passage à l'analyste. J'ai l'idée qu'il y a un moment où il faut en rabattre énormément sur nos prétentions pour qu'il y ait quelque chance de représentable du passage à l'analyste, qu'on puisse en dire quelque chose. Je crois que c'est un des problèmes que nous avons rencontrés, nous, par exemple avec la passe, dès lors qu'on a mis à la tribune les AE, les Analystes de l'École, dans notre expérience antérieure, pour qu'ils disent ; cela a un effet d'inflation extraordinaire qui fait que tout d'un coup la chose apparaît ridicule ! Tout d'un coup, on se dit "mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette passe ?" et la chose se dégonfle.

144 Ce n'est pas par hasard que Freud prend cette position qui me semble une position politique. Lacan aussi a une position de discrétion là-dessus.

145 Francisco ESTEVEZ : Je crois qu'il y a une question sur l'effet de l'analyse et de ce qu'on obtient à la fin : on a obtenu la santé, la réduction du symptôme, on a récupéré la capacité d'aimer et de travailler, ce sont tous des effets thérapeutiques. Mais un point crucial peut être non pas ce qu'on obtient à la fin d'une analyse, mais ce qu'on perd. Je crois que c'est le point qui fait la différence entre ce qui peut être une analyse "thérapeutique" et une psychanalyse qui arrive à sa fin : comment le sujet peut supporter ce qui se perd. Je me demande si ceci pourrait être un point de séparation entre une analyse lacanienne et une analyse non lacanienne.

146 Sonia ALBERTI : Un autre point commun entre mes collègues de l'IPA et notre orientation lacanienne, au-delà du fait que tout analyste doit être analysé, c'est ce que notre collègue de l'IPA nous a indiqué quand il parlait de la tension, ou même de la contradiction qu'il y a entre la singularité de l'analyste, quand il est produit par une analyse finie, et l'institution à laquelle il appartient. Nous trouvons aussi cette tension : comment conjuguer dans un même espace institutionnel tout un ensemble de singularités, l'ensemble des analystes ? La procédure de la passe telle que Lacan la propose dans l'École est une procédure qui va beaucoup plus dans le sens de forcer l'institution à supporter la singularité qu'en sens contraire. D'autres dispositifs institutionnels peuvent forcer les singularités à se soumettre à l'ensemble. Je pense que nous conservons le caractère expérimental de la procédure de la passe afin d'éviter une institutionnalisation et une normalisation : c'est une procédure qui force l'institution à supporter les singularités.

147 Dominique FINGERMANN : L'"exigence" qui figure dans le titre est effectivement un terme freudien, du moins dans la traduction française. Ce terme apparaît beaucoup : chaque fois que Freud parle de ce qu'est un analyste, de ce qu'il faut pour supporter la position de l'analyste, il utilise ce terme d'exigence. C'est très amusant, la liste des exigences que Freud détermine va en augmentant ! Il y a un moment où il dit : "oh là, là ! les pauvres analystes ! la liste que je suis en train de faire est interminable !". Que voit-on dans cette observation ? On voit que ce n'est pas une exigence politique a priori, c'est une exigence clinique a posteriori. A posteriori de quoi ? de la clinique et de l'expérience de Freud lorsqu'il constate comment les analystes s'embarrassent avec la névrose. C'était une exigence de Lacan aussi – ça n'a pas été un a priori, c'est pour cela qu'on ne peut pas le considérer comme un idéal – cela a été une conséquence de la pratique de l'analyse et de l'institution analytique. Lacan invente les remaniements de l'institution pour faire obstacle à cet embarras des analystes avec la névrose et avec l'analyse.

148 À propos de l'infinitude : je crois que nous avons tous repris cela à partir du texte de Freud, et on voit que dans le soi-disant testament de Freud sur la question de la formation de l'analyste ("Analyse infinie" de 1937) en vérité il n'y a pas de position, il y a une discussion de Freud avec les conséquences de la psychanalyse vues à partir de ses patients et une discussion avec Ferenczi qu'il reprend de manière posthume – puisque Ferenczi n'est plus là pour lui répondre. Au moment de ce débat clinique et éthique, il présente la question de l'infinitude. Bien sûr, il parle de la fin de l'analyse comme restauration des possibilités du moi, etc., mais essentiellement, il parle de ce point d'infini qui est le reste indomptable de la pulsion. Il y a donc ces deux points d'infini en perspective du message de Freud à ce moment-là : le reste indomptable de la pulsion, la castration et la façon dont le moi peut s'en débrouiller.

149 Gabriel LOMBARDI : Il y a une opposition entre "L'analyse infinie" de Freud et l'aptitude d'analyste obtenue par la passe, par laquelle quelqu'un peut arriver à dire et aussi à mettre en pratique ainsi que Lacan l'a fait. Il y a quelque chose de conclu, même si on pourrait faire la passe plus d'une fois, on pourrait passer sa vie à passer la passe !

150 Miguel LEIVI : J'apprécie le fait de présenter les choses en termes de perte et non pas de gain, c'est plus en continuité avec la via di levare freudienne. Dans l'analyse, on enlève et on enlève ! Voilà en réalité ce que je présentais avec les définitions négatives de Freud sur ce que l'on enlève des différentes prérogatives.

151 Sur la passe, je n'ai pas d'expérience personnelle : dans nos institutions, celle d'Abel Fainstein et la nôtre, on n'a pas expérimenté la passe. C'est une alternative intéressante. Ce serait assez compliqué aussi.

152 Ce que Colette Soler disait par rapport à une École marque une orientation claire : ce n'est pas le cas de nos institutions parce que, justement, il s'est produit une désidentification, elles ont renoncé à l'identification à une orientation théorique, elles ont une autre structure institutionnelle.

153 Pour répondre à Jean-Jacques Gorog : les prétentions ont diminué, elles étaient auparavant des prétentions majeures. Ce qu'on attendait d'un analyste était très clair en termes de réussites à obtenir sur le plan des idéaux. Là, je pense, on a perdu cela, les expectatives ont diminué.

154 Quand je disais que je parlais à titre personnel et non pas en tant que représentant de l'institution, c'est parce que je ne sais pas si, en réalité, quelqu'un pourrait le faire. Dans une institution comme la mienne, il y a des gens qui coexistent et qui pensent les choses tout autrement : ils pensent le fait de devenir analyste, de traverser la fin de l'analyse, d'une manière différente à la manière ancienne, l'identification à l'analyste. En plus, chaque fois qu'on parle d'obtenir des objectifs déterminés positifs, on tombe dans le thérapeutique. C'est soit l'un, soit l'autre : ou bien l'institution est centrée sur une orientation déterminée qui peut alors présenter des exigences plus consistantes, ou bien, autre modèle, l'institution ne se voit pas, en principe, comme identifiée à une orientation déterminée ; dans ce cas, l'exigence institutionnelle est réduite pour faire place à différentes manières de l'aborder, internes à l'institution.

155 Abel FAINSTEIN : Miguel Leivi a répondu à la question de Colette Soler de manière très précise, je crois. Nous fondons l'institution sur la pluralité, sur la singularité, c'est pour cela que j'ai conclu mon texte avec justement l'idée de chercher la façon d'accentuer les effets singuliers qu'implique la transmission. La transmission est singulière et l'institution doit chercher à tout moment à favoriser, à faciliter ces effets de singularité. C'est pourquoi nous ne sommes pas une École d'orientation. Nous n'avons aucune orientation. Nous ne sommes pas dissociés d'une orientation mais nous sommes un ensemble d'analystes qui échangent nos pratiques pour essayer de répondre aux interrogations que nous pose la relation avec l'inconscient, mais en dehors d'une orientation.

156 Par rapport à ce qu'un autre collègue a dit : je n'ai pas voulu dire "obtenir la santé", je ne suis pas d'accord avec cette idée. J'ai parlé d'une situation face aux symptômes, à l'angoisse, à la culpabilité, mais je n'ai jamais parlé d'obtenir la santé ! Je suis d'accord avec Miguel Leivi pour dire qu'il s'agit de ce qu'on perd, d'articuler l'impossible et je pense que c'est valable pour toute analyse.

157 Ferenczi dit que l'objectif de l'analyse est aussi de donner à l'analyste des outils pour la pratique et ceci va au-delà de la croyance, de la "conviction en l'inconscient", de la relation d'une personne avec l'inconscient. Le fait de donner des outils pour la pratique, est, pour nous, plus du côté de la formation. Quand l'analyse devient une identification à des instruments pour la pratique, ce n'est plus une analyse. C'est en ce sens que nous séparons la formation et la transmission. Il n'y a pas de formation sans effet de transmission et cela, j'insiste, on ne le voit qu'après. L'institution est utile pour le déceler.

158 Colette SOLER : Je trouve très intéressant que notre échange, spontanément puisque nous n'en avons pas discuté avant, se focalise finalement sur la relation ou l'intersection entre ce qu'est une analyse d'analyste au niveau de la cure et la place de l'institution, la relation de l'institution avec la cure elle-même.

159 En écho à ce que disait Dominique Fingermann, pour terminer, je voulais rappeler qu'on situe toujours le texte de 1937 sur "Analyse finie, analyse infinie" comme le testament de Freud, avec ses deux points, la butée de la castration et l'impérissable de la pulsion. Mais j'insiste sur le fait que Lacan, à la fin de "La direction de la cure" avance la thèse que c'est Freud qui a produit la solution de l'analyse infinie, il l'a produite juste avant sa mort, dans le texte sur le clivage du moi. Donc, là, il y a un petit bémol à l'idée que chez Freud, dans l'analyse, on tombe sur les butées de l'infini.

La fin de l'analyse du psychanalyste

160 Gérard BAZALGETTE

161 La problématique de la fin de l'analyse du psychanalyste doit d'abord être examinée au regard de la fin de l'analyse en général, c'est-à-dire pour tout sujet qui se sera mis en position d'expérimenter le processus psychanalytique dans le cadre qui lui est propre, celui du divan.

162 De ce point de vue, il nous apparaît immédiatement que la fin de l'analyse en général ne saurait correspondre à la terminaison effective du dispositif qui l'a caractérisée. La terminaison de la cure stricto sensu se constitue de fait sous la forme d'un acte posé dans une certaine urgence, comme si la saisie fugitive d'une certaine aliénation révélée par l'analyse devait, serrée au plus près, être immédiatement suivie d'un acte de dégagement et d'appropriation par le sujet de ce qui serait le juste et libre chemin de son propre désir.

163 C'est le processus élaboratif de ce dégagement et de cette appropriation maintenant actuelle qui, à mon sens, constitue le travail de fin d'analyse. Ce travail est donc consécutif à l'analyse bien qu'il soit référé à elle. Il est inscrit dans une certaine durée mais ne peut demeurer qu'asymptotique. Ainsi n'aboutit-il pas à établir une fin de l'analyse, mais seulement la première mise en place d'une problématique de fin marquée du sceau de l'inachevé et immédiatement appelée à être retraversée et à se redéployer. C'est la recherche d'une voie éthique, d'une position juste du sujet par rapport à lui-même et au monde qui guide ces processus.

164 Or, si cette question est bien en fait celle de toute analyse, il est vrai aussi que nous ne disposons que de très peu de matériel pour apprécier la façon dont elle se déploie pour un sujet en général. Nous ne savons guère comment un sujet non-analyste vient réaménager l'interrogation résultante de son analyse dans les nouveaux dispositifs sociaux, professionnels et affectifs dans lesquels il cherche à créer sa problématique de fin d'analyse, ni quelles phases il traverse pour cela. En revanche, la mise en fin de l'analyse de l'analyste nous permet d'en appréhender quelque peu le régime. Sur ce plan, le mouvement effectué par l'ancien analysant à partir du moment où il tente de s'approprier un "devenir analyste" laisse penser, avec une spécificité liée à l'objet singulier qui est le sien, que ce pourrait être de processus semblables ou superposables qu'il s'agirait dans la problématique de toute fin d'analyse. La problématique spécifique de la fin d'analyse du psychanalyste nous permettrait ainsi peut-être d'apercevoir, à fort grossissement, un processus général. Dans cette perspective, la fin de l'analyse du psychanalyste n'aurait pas, par exemple, à être particulièrement renvoyée à des réquisits comme celui d'avoir fait une analyse plus "pure" ou d'avoir à la "compléter", chose éthiquement suspecte quant à la façon dont on concevrait l'analyse d'un sujet quelconque. La fin de l'analyse de l'analyste répondrait seulement d'un destin particulier de l'analyse, propre cependant à nous éclairer sur les conditions générales du "pouvoir aimer, travailler" et transmettre.

165 Le processus de mise en fin de l'analyse de l'analyste débute au bord du divan avec l'appropriation en acte que le sujet tente de produire du côté des objets théorico-cliniques qui représentent maintenant la voie de son désir. Dans ce processus, il traverse des processus généraux, ceux de l'apprentissage critique, de la reconnaissance mutuelle et de la transmission. Ces processus renvoient à la question universelle de l'héritage et du dégagement appropriatif et fructifiant qu'un sujet est conduit à en faire. En ce sens, la question de la fin de l'analyse de l'analyste dépasse donc largement le cadre de l'analyse elle-même pour concerner tout un chacun, et l'on voit qu'il ne peut s'agir que d'un processus indéfiniment actif, la vie durant.

166 La fin de l'analyse de l'analyste précise toutefois cette généralité en nous montrant que ce processus sera orienté, phasé et spiralaire. On voit en effet que le sujet accomplira bien un trajet orienté qui, de l'apprentissage critique à la reconnaissance mutuelle, le mènera progressivement de la position de celui qui hérite à celle de celui dont on hérite. Pour autant cependant, on ne pourra pas parler d'un trajet cursif ni linéaire. Les diverses phases traversées, indissociables, constitueront des positionnements provisoires au regard de la question résultante de l'analyse et de l'héritage que cette dernière établirait, en même temps qu'elles reviendront mobiliser celles qui l'auront précédée, et l'analyse elle-même. Le sujet sera sans cesse celui qui peut analyser et qui est en position d'analysant, celui qui peut transmettre et celui auquel on transmet. Aussi, les phases de reconnaissance auxquelles il parvient ne pourront encore que le questionner sur la légitimité de ce qu'il se permettra cependant à partir de là. Ainsi, s'il existe bien un trajet et un déroulement de phases aboutissant à la constitution reconnue, inter pares, d'une problématique "juste" de fin de l'analyse, celle-ci ne représentera jamais qu'un premier tour de spire. Et il y aurait par exemple une illusion dangereuse à considérer que la position de "transmetteur" déjà engagé dans le simple fait de pratiquer une analyse constituerait réellement une fin d'analyse là où elle n'est que la relance à nouveaux frais de sa problématique.

167 Ce qui fait la difficulté de la question de la fin de l'analyse de l'analyste, mais qui en indique aussi l'intérêt heuristique pour ce qui serait d'une compréhension de la fin de l'analyse en général, c'est le fait qu'il s'agit là d'une problématique de fin en laquelle l'analysant sollicitera plus explicitement la question de l'identification et de la désidentification à un analyste dont il partagera finalement les intérêts. Ainsi obtenons-nous des indications sur la question générale de l'héritage maintenant techniquement spécifiée (comme peut-être sur la genèse des institutions sociales qui en résultent).

168 À partir de là, et c'est essentiel, on voit que ce n'est plus seulement le sujet qui est concerné par la fin de son analyse, mais aussi bien les analystes qui, au travers de sa quête de fin, auront encore et toujours à préciser la leur. Cette question, qui tente au fond de déterminer entre analystes et futurs analystes une éthique du devenir analyste, est celle que la communauté analytique a tenté d'explorer à travers le concept de "didactique", en définissant du même coup les formations institutionnelles susceptibles de favoriser la problématique de fin de l'analyse de l'analyste avec la "juste" appropriation de la place d'analyste à laquelle elle ouvrirait.

169 L'idée de "didactique" correspond à la nécessité de constituer ou de favoriser une position de savoir juste, partageable et transmissible à propos et au-delà de l'effet thérapeutique de la cure, de celle qu'il a faite et de celle qu'il pratiquera. La question posée est alors celle de la problématique de cette "didactique", chose que nous devons aborder déjà à partir des rapports du "didactique" et du "thérapeutique" dans la cure elle-même.

170 La cure psychanalytique ne peut pas ne pas être didactique, avec les deux sens opposés que ce terme comporte. Le caractère didactique de l'analyse personnelle de l'analysant n'intervient pas comme un en-plus de l'analyse, ni comme un à-côté, mais comme sa condition même dans la mesure où elle viserait idéalement à échapper à la suggestion. C'est parce que le sujet éprouve et connaît dans son analyse la justesse, l'éthique et l'efficacité d'un procédé et de l'interprétation elle-même, que son analyse existera à la fois comme thérapeutique et nécessairement didactique. C'est pour cette seule et unique raison du reste que l'on dira que l'analyse personnelle est la condition sine qua non pour devenir analyste. Il ne s'agit pas là uniquement de la nécessité d'avoir vécu une certaine souffrance pour être en mesure d'entendre celle d'un autre. Il n'est pas nécessaire, lorsque l'on est chirurgien, d'avoir eu une fracture de jambe pour être en mesure de réduire celle d'un autre. En revanche, il est indispensable d'avoir éprouvé et connu en tant que sujet le procédé analytique pour être déjà et un peu en mesure de le mettre en œuvre avec d'autres.

171 C'est donc là la première signification du "didactique". Cette transmission didactique a toutefois un second caractère qui en est l'envers immédiat, en ce que cette dimension didactique sera obligatoirement et inévitablement porteuse d'une aliénation du sujet, en phase avec ses aliénations antérieures, celle que transmettra l'analyste lui-même avec sa théorie, comme avec la psychanalyse en tant que théorie.

172 Voilà donc la problématique inaugurale de la didactique, et la cure nous montre qu'elle est en ce point indissociable du "thérapeutique". Elle le restera dans la problématique de fin de l'analyse, là où, au-delà peut-être du symptôme, il s'agira des structures moïques et surmoïques qui entravent encore et toujours le développement de cette problématique. Dans cette perspective, la fin de l'analyse ne pourra encore que s'inscrire dans un "thérapeutique", celui d'un deuil qui installerait asymptotiquement la désidéalisation au cœur des identifications savantes du sujet.

173 La théorie de la "didactique" serait ce qui tente de mettre en forme ces questions en proposant au sujet et à l'analyste ce qui conviendrait le mieux pour favoriser une fin d'analyse éthiquement soutenable par tous. Dans la logique de ce qui vient d'être énoncé, on comprend que, de la cure à sa problématique de fin, une "vraie" didactique serait celle qui, en transmettant et précisant les termes d'un savoir asymptotiquement partageable, transmettrait en même temps sa situation de ne pas pouvoir s'établir comme un savoir constitué du fait de l'aliénation individuelle et collective qui toujours ne peut que le hanter. Cette situation est très particulière au regard du savoir scientifique en général. Si ce dernier peut sans doute lui aussi se savoir incertain et provisoire, ce n'est pas néanmoins de sa déconstruction-reconstruction constamment nécessaire qu'il a à produire les termes et conditions, chose à laquelle le psychanalyste est convié en deçà d'une démarche hypothético-déductive qui sera toujours pour lui en suspens. La didactique serait donc "idéalement" ce qui permettrait de problématiser cette position particulière du savoir psychanalytique.

174 Nous savons tous à quel point cette problématisation, pas nécessairement vouée au paradoxe, est et a été difficile à poser et soutenir depuis 1910. Nous constatons historiquement, pas seulement en France sans doute, que deux polarités extrêmes se sont constituées, répondant chacune d'une certaine orientation du savoir psychanalytique et, dès lors, de sa transmission thérapeutico-didactique. Ces polarités existent en fait dans une tension dialectique et n'ont de réalisation effective qu'approximative au sein même des Sociétés ou groupement de Sociétés qui voudraient les soutenir.

175 D'une part, le savoir psychanalytique sera considéré comme un savoir constitué dont le sujet pourra prendre connaissance après avoir fait l'analyse personnelle et "titularisée" qui en ouvrirait l'accès. L'analyse didactique est ou devient alors une validation de l'analyse thérapeutique. Elle devient le préalable à une connaissance de l'inconscient qui ne serait plus "travaillée" par l'inconscient et qui, dès lors, pourrait s'appréhender sur un mode quasi-universitaire en un cursus qui le permettra.

176 D'autre part, et à partir d'une critique légitime de cette conception, d'autres analystes, à la suite de Lacan, mettront l'accent sur la question insistante de "l'analyse de l'analyste" qui vient sans cesse hanter le savoir constituable de l'analyste. Toutefois cette conception échouera, à mon sens, lorsqu'elle constituera la problématique du savoir dans l'analyse comme celle d'une Vérité détenue par un Maître. L'analyse didactique se constituera alors, avec et au-delà de l'analyse personnelle, comme une approche asymptotique de la théorie de la Vérité supposée détenue par ce Maître. Elle sera évidemment au-delà de l'analyse thérapeutique.

177 Dans les deux cas, on constate que ces deux polarités qui procèdent chacune à leur façon à une dissociation du "thérapeutique" et du "didactique", établissent une clôture institutionnelle préalable et/ou anticipée de la question de la fin de l'analyse du sujet. La fin de l'analyse correspondra à une adhésion anticipée aux idéaux de l'institution.

178 Est-il possible qu'il en soit autrement ? Assez relativement sans doute, mais en essayant peut-être de parer quelque peu à ces effets de clôture institutionnelle.

179 Le IV° Groupe, sur la base d'une critique des conceptions ci-dessus, a essayé de proposer une nouvelle structure institutionnelle susceptible peut-être de mieux favoriser l'accomplissement constant d'une mise en fin de l'analyse de l'analyste conforme à ce qui en serait l'éthique.

La psychanalyse du psychanalyste ?

180 Daniel WIDLÖCHER

181 Il s'agit peut-être d'une question piège. Piège, non pas pour celui à qui elle s'adresse mais pour celui qui se la pose. À en juger par les embarras de vocabulaire qui en ont jalonné le parcours depuis que les psychanalystes et leurs communautés se la sont posée, on mesure les difficultés que nous rencontrons tous, non seulement pour y répondre mais déjà pour la formuler.

182 Les institutions psychanalytiques qui ont, en principe, la tâche d'y répondre, ne se sont jamais réellement exposées à le faire. Dès l'origine, elle apparaît plus comme un idéal à proclamer que comme une procédure à définir : le psychanalyste parfaitement guéri de sa névrose serait le but recherché, et cet idéal a été, au début, naïvement énoncé.

183 Cette manière de définir un idéal de formation dénote déjà deux traits qui pèseront lourd dans les débats : le critère thérapeutique et l'accent mis sur le but ont permis d'éviter la question du processus et des critères de terminaison ; les institutions soucieuses de qualification et d'évaluation concentrant ainsi leurs efforts pour définir les critères formels de l'analyse, le cadre technique et les procédures d'évaluation. Il en résulte que lorsque des controverses se développent à propos de ces critères (pensons à la notion si contestée de "standards" et aux débats sur la durée et la fréquence des séances), on observe un affrontement de pratiques sans qu'il soit possible de confronter modèles théoriques et modes d'écoute qui donnent sens au processus.

184 On peut évidemment faire reproche à ces institutions de mal centrer le débat, voire de prôner une "désinstitutionnalisation" qui me paraît relever d'un déni plutôt que d'une mise en question de la question elle-même.

185 Le psychanalyste, par sa pratique personnelle, est-il mieux à même d'y répondre que l'institution ? C'est en tant qu'analysant lui-même que la question se pose à lui, au cours de son analyse personnelle évidemment mais aussi plus tard comme analyste thérapeute et éventuellement analyste formateur, c'est-à-dire impliqué d'une manière ou d'une autre dans la transmission de la psychanalyse. En fait, à toutes les étapes de sa pratique, c'est moins la fin que la légitimité qui le questionne.

186 La conclusion à laquelle m'a conduit mon expérience personnelle est que deux voies s'offrent au psychanalyste pour soutenir son engagement pratique et fonder son identité. L'une relève d'un processus d'identification endogamique, la seconde d'un processus exogamique. La première s'inscrit dans la filiation mais aussi dans les mécanismes collectifs qui légitiment cette filiation. Je ne pense pas que l'on puisse éviter, par quelque subtile méthode que l'on adopte, de recourir à cette pratique endogamique. Une institution a toujours des obligations vis-à-vis de la société à laquelle elle demande reconnaissance. Les institutions psychanalytiques n'échappent pas à la règle. Qu'elles le veuillent ou non, elles sont solidaires des pratiques de leurs membres. Le processus d'affiliation communautaire est une condition préalable pour que se mettent en place une reconnaissance mutuelle et une garantie éthique, mais l'écueil à éviter est moins l'emprise excessive de l'institution que l'abus d'endogamie. La transgresser conduit inévitablement à une forme d'errance de la pratique, comme je vais tenter de le montrer. Mais la filiation endogamique a des limites. C'est elle qui finalement risquerait de nous conduire à penser que l'analyse de l'analyste a bien une fin.

187 Or "vous êtes des nôtres" n'a de sens en définitive que si cette reconnaissance a pour contrepartie la nécessité de la confronter à l'expérience de la différence, c'est-à-dire à un processus exogamique. Les "petites différences" ne sont pas seulement un support narcissique, elles ouvrent au débat, à l'instance critique, à l'intériorisation de l'altérité. À la négativité de "Il/elle n'est pas des nôtres", ce qui souvent se dit "ce n'est pas de l'analyse", doit se substituer la disposition curieuse, critique, introjective de l'autre en tant que porteur d'une différence.

188 C'est en raison de l'infinitude [1] du processus analytique, c'est-à-dire du travail psychique qui se déroule entre le psychanalyste et l'analysant, que ce dernier, quand il se destine à la pratique de la psychanalyse, doit entretenir avec un tiers un travail permanent d'analyse avec ses propres analysants. L'analyste est ainsi confronté à l'infinitude d'un processus dans lequel il est engagé depuis son analyse personnelle.

189 J'aimerais discuter ici trois formes d'infinitude. La première était évidemment très présente dans la pensée de Freud ; il s'agit de l'infinitude du jeu pulsionnel et de sa dimension naturellement conflictuelle. La seconde me semble liée à toutes les problématiques centrées sur la question du sujet. La troisième, qui reprend les deux précédentes, me paraît mériter toute notre attention et concerne le statut de la réalité psychique inconsciente. Je l'appellerai l'infinitude topique.

190 Peut-on réellement parler d'une infinitude de l'analyse liée à la permanence du jeu pulsionnel ? On pense ici inévitablement à la métaphore du "roc d'origine" que Freud développe en 1937  [2].

191 Il s'agit plutôt ici d'un reste, d'un manque qui s'inscrit dans la différence des sexes et qui ne trouvera jamais à être littéralement compensé. C'est bien la théorie de la pulsion qui trouve ici sa limite pour autant que l'objet n'existe pas. Est-ce suffisant pour parler de l'analyse sans fin ? Que l'analyste prenne la mesure de ce que la fin de l'analyse laisse d'inaccompli, certes, mais reconnaître en soi, en "ça", la présence de ce reste est la marque d'un manque, une "révision de position" qu'il faut assumer.

192 Il en est de même pour la dimension identitaire. La question du sujet et du rapport à l'Autre reste toujours ouverte, béante dans le champ de la psyché et présente dans les formations de l'inconscient, et invite plus à la reconnaissance du manque, à un irréductible au-delà de l'analyse, peut-être même la fin de celle-ci. C'est ainsi que Lacan a substitué un roc ontologique au roc biologique de Freud.

193 Mais il me semble que tant la référence au roc du pulsionnel que celle à un manque à être nous conduisent aux limites de l'analysable, et donc autant à la fin de l'analyse qu'à celle d'une infinitude du travail analytique lui-même si l'on ne tient pas compte du statut de l'inconscient du ça, c'est-à-dire du statut de la réalité psychique.

194 Qu'apporte le concept de réalité psychique à notre théorie de l'inconscient ? Quelque chose de capital qui touche au mode "hallucinatoire" d'accomplissement du fantasme tenu pour une réalité à part entière. Qu'apporte-t-il à la théorie de la fin de l'analyse ? L'idée forte que le travail de l'analyse comme entendement de cette réalité psychique est sans fin pour autant que cette réalité se renouvelle comme une manière propre de penser le rapport à la réalité extérieure et de transformer désir et aversion en un accomplissement hallucinatoire.

195 Il est important ici de se rappeler que l'inconscient du ça n'est pas seulement un réservoir pulsionnel mais avant tout une machine à penser, un outil de création psychique ; cette permanence d'un mode de pensée primaire reprend toujours son bien dans l'excitation des effets de désir et de crainte pour forger de nouveaux fantasmes de vie ou de destruction. Comment expliquer sinon la permanence de l'activité onirique qui, chaque nuit, saisit les restes diurnes pour reconstruire l'illusion du rêve ? Cette permanence alimente non seulement le monde des rêves mais celui de la fantasmatique préconsciente et celui des activités de sublimation. Elle est la source endogène d'une créativité psychique inconsciente à laquelle s'adresse l'écoute de l'analyste.

196 L'écoute psychothérapique s'adresse à la subjectivité, mais s'applique plus spécifiquement aux rejetons de la réalité psychique.

197 Revenons maintenant à la question. Que dire de la fin de l'analyse pour l'analyste ? Je suis donc fortement tenté de répondre que la question ne se pose pas en ces termes parce que l'analyse n'a pas de fin pour autant que le travail psychique qui s'accomplit à partir de l'inconscient du ça est sans fin.

198 Mais une autre question se pose alors : comment l'analyste passe-t-il de sa propre expérience analytique à celle qu'il est appelé à poursuivre avec ses patients ? Question d'accommodement personnel ? Faut-il s'en tenir aux bénéfices thérapeutiques ? Dans la pratique, convenons-en, ces (mauvaises) raisons comptent.

199 Plus subtile et délicate est la question du transfert. Elle nous ramène indirectement à celles du pulsionnel et de l'identitaire. Nos institutions, du moins celles auxquelles j'appartiens, sont assez sourcilleuses sur ce point. Nous connaissons, nous avons connu le risque des emprises charismatiques, des filiations endogamiques jalouses. Jadis, Anna Freud avait montré comment tout, dans l'analyse de formation, rendait le transfert incurable. Serait-il d'ailleurs possible de soigner le transfert ? Et même de l'analyser ? D'ailleurs, s'agit-il d'analyser le transfert ? La question mériterait certes d'amples développements qui sont hors de propos ici. Il faudrait aussi reprendre celle des contre-transferts.

200 À une écoute malgré le transfert s'oppose ici une écoute comme élément du cadre du transfert. La permanence de l'activité psychique inconsciente, celle du ça, prête à une tâche analytique sans fin ; nous l'appliquons à nos analysants, eux nous l'appliquent et le travail psychique de la psychanalyse n'a pas de fin.

201 Mais l'analyse sans fin n'est pas une auto-analyse sans fin. C'est ici que prend tout son sens le principe d'exogamie. Car ce travail de l'analyse sans fin se poursuit non dans le secret d'une pratique qui, à ne s'autoriser que d'elle-même, se replierait sur elle-même. Nous retrouvons là les risques de l'errance qui est une fuite de l'endogamique mais ne s'en dégage pas. Confronter son expérience de l'analyse à un autre, un superviseur, un collègue, un groupe, entretient au contraire cette analyse sans fin. Le terme même d'institution prend ici tout son sens. Il ne s'agit pas nécessairement d'une structure administrative mais du principe que nous avons toujours besoin d'un tiers, d'un autre différent, avec qui partager le travail de pensée associatif qui se développe dans le cadre de la cure.

202 Dire que la psychanalyse du psychanalyste est donc sans fin ne signifie pas que le temps nécessairement passé par lui dans la position d'analysant auprès d'un psychanalyste, son analyse personnelle, stricto sensu, soit sans fin. Prolonger celle-ci de manière indéfinie aurait au contraire pour effet de "gommer" le passage à la position dans laquelle c'est dans la psychanalyse d'autrui que se poursuit le travail analytique ouvert à l'autre scène psychique. L'analyse personnelle du futur psychanalyste doit arriver à un point tel qu'elle lui permet de développer seul ce mode de pensée qui le laissera ouvert à l'écoute de l'inconscient. En termes simples, elle est la voie de passage à la supervision. Elle ouvre à ce mode de communication qui est la référence au tiers dans le processus de co-pensée. Telle est la dimension proprement "didactique" de l'analyse personnelle. Ceci nous conduit à nouveau à la question de l'évaluation du candidat. J'ai rappelé précédemment la nécessité éthique de sa pratique au regard de la société qui nous entoure et au nom de notre identité institutionnelle. Nous pouvons aussi maintenant en préciser la nécessité scientifique. Evaluer les capacités du candidat à pratiquer la psychanalyse, c'est d'une manière ou d'une autre évaluer son aptitude à ce travail de co-pensée associative, tant vis-à-vis de sa propre analyse personnelle que dans le dialogue avec les tiers.

203 Si l'on veut bien reprendre le terme proposé par Freud de transfert de pensée pour rendre compte de ce processus d'induction réciproque que constitue la co-pensée, le travail associatif commun, on peut dire que si l'analyse personnelle a permis de se dégager des éléments les plus contraignants du transfert pulsionnel, elle ouvre à une pratique continue de l'analyse des transferts de pensée.

204 Je conclurai par une anecdote. Devant accueillir, un jour, Anna Freud venue rejoindre un groupe de psychanalystes et lui expliquant que le thème du débat était la formation de l'identité du psychanalyste, elle fit le commentaire suivant : "Vieux débat, jamais résolu. L'identité du psychanalyste, c'est de continuer à pratiquer la psychanalyse.".

Notes

  • [*]
    traduction Graciela PRIETO, membre de l'EPFCL ; article relu par l'auteur.
  • [1]
    Balint M. "Analytic training and training analysis", Symposium sur les problèmes de la formation analytique, Londres 1953, dans le cadre du XVIIIe Congrès international de psychanalyse.
  • [2]
    Freud S., "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin", Résultats, idées, problèmes tome II, Paris ; PUF, 1985.
  • [3]
    Lacan J., "Discours à l'École Freudienne de Paris", in Autres écrits, Paris ; Seuil, 2001, p. 273.
  • [4]
    Id., "La direction de la cure et les principes de son pouvoir" Écrits, Paris ; Seuil, 1966, p. 636.
  • [5]
    Id., Autres écrits, op. cit., p. 229.
  • [6]
    Ibid, p. 261.
  • [*]
    traduction Célina Capriotti-Brisou, membre de l'EPFCL.
  • [1]
    Safouan M., Julien P., Hoffmann C., El malestar en el Psicoanalisis. El tercero en la institucion y el analisis de control, Ediciones Nueva Vision, Coleccion Freud-Lacan dirigida por Roberto Harari, Buenos Aires, paru en français sous le titre Malaise dans la psychanalyse, Arcanes Ed., 1995.
  • [2]
    Azouri, C., He triunfado donde el paranoico fracasa. Tiene un padre la teoria ?, Ediciones De la Flor, Buenos Aires, paru en français sous le titre l'ai réussi là où le paranoïaque échoue. La théorie a-t-elle un père ?, Denoël, 1991.
  • [3]
    Freud S., (1937) "Analyse avec fin et l'analyse sans fin" in Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1985.
  • [4]
    Freud, S., (1923) "Le moi et le ça", in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
  • [5]
    Sandler, J. and A.-M., "Psychoanalytic Technique and the Theory of Psychic Change", in Psychic structure and Psychic Change, Ed. M. Horowitz, O. Kernberg, E. Weinschel, International Universities Press, Madison, Connecticut, 1994.
  • [1]
    Lacan J., Séminaire 1968-69, "D'un Autre à l'autre", séance du 4 juin 1969, non publiée.
  • [2]
    Le mot "exigence" est maintes fois utilisé par Freud quant il parle de la formation des analystes, en particulier dans "La Question de l'analyse profane", NRF Gallimard p. 112,152 suite.
  • [3]
    idem p. 343.
  • [4]
    Lombardi G., "... de par la structure de l'acte, ce ne sera pas lui l'analyste qui pourra dire comment son patient est devenu analyste", Résultats des analyses et formation analytique dans l'I.P.A., Diagonales de l'option épistémique, publication de l'EPFCL.
  • [5]
    Lacan J., Le séminaire livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris ; Seuil ; 1973, p. 137.
  • [6]
    Freud S., "L'analyse sans fin et l'analyse avec fin", Résultats idées, problèmes, T. II, Paris ; PUF, 1985, p. 234.
  • [7]
    Id., "Considérations générales sur l'attaque hystérique", Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 160.
  • [8]
    Id., "L'analyse sans fin et l'analyse avec fin", Résultats, idées, problèmes, T. II, op.cit., p. 264.
  • [9]
    Ibid., p. 264.
  • [*]
    traduction Françoise CORVAZIER et Patricia ZAROWSKY, membres de l'EPFCL.
  • [1]
    Lacan J., "Comptes rendus", Ornicar ?, n° 29, été 1984, Paris ; Navarin, p. 19.
  • [*]
    Traduction et transcription établies par Vicky ESTEVEZ, membre de l'EPFCL.
  • [1]
    Je me risque à proposer ce néologisme, le terme d'infinité ayant plutôt des connotations quantitatives et temporelles.
  • [2]
    Freud, S. – 1937 – "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin". In Résultats, idées, problèmes, Tome II, Paris, Presses Universitaires de France, 1985.
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