Notes
-
[1]
A. Hofmann., lsd, mon enfant terrible, (1979), Paris, Editions du Lézard, 1995.
-
[2]
S. Grof., L’ultime voyage : la conscience et le mystère de la mort (The Ultimate Journey : Consciousness and the Mystery of Death, (2006)), Ed. Guy Trédaniel, 2009, p. 476.
-
[3]
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000,
http://www.cirddalsace.fr/docs/revue_toxibase/pdf/dossier_halluci.pdf
http://www.cirddalsace.fr/docs/revue_toxibase/pdf/dossier_halluc2.pdf -
[4]
O. Chambon, La médecine psychédélique. Le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes, Editions les Arènes, Paris, 2009.
-
[5]
J. Delay, P. Benda, L’expérience lysergique, L’Encéphale, 1958, XL VIII, 3, p. 169-209, et 4, p. 309-344.
J. Delay, P. Pichot, P. Nicolas-Charles. : « Premiers essais de la psilocybine en psychiatrie », in Neuro-psychopharmacology, Eds Elsevier, Amsterdam, 1959, p. 528-531. -
[6]
C. Olievenstein, Contribution à l’étude du lsd-25 en Clinique psychiatrique, Thèse pour le Doctorat de Médecine, Paris, 1967.
-
[7]
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000,
-
[8]
Le premier travail d’envergure en français sur la phénoménologie des expériences psychodysleptiques, dans la suite du travail de Georges Lanteri Laura sur les « Hallucinations », est l’ouvrage de Jean Pierre Valla, L’expérience Hallucinogène, Masson, 1983.
-
[9]
R. Metzner, States of consciousness and transpersonnal psychology, in R. Vallee & S. Halling Ed., Existential and phenomenological perspectives in psychology, New York, Plenum Press, 1989.
-
[10]
T. Leary., G. Litwin., R. Metzner, « Reactions to psilocybin administered in a supportive environment », in Journal of Nervous and Mental Diseases, 1963, p. 137, p. 561-573.
-
[11]
R. Metzner, « Hallucinogens in psychotherapy and shamanism », Journal of Psychoactive Drugs, 1998, 30, 4, p. 335-336.
Gnoli A., Volpi F. : Le lsd et les années psychédéliques. Entretiens avec Albert Hofmann, Rivage Poche, Payot, Petite Bibliothèque, Paris, 2006. -
[12]
mdma = méthyl-dioxy-meth-amphétamine, substance entactogène (ou empathogène) de la famille des phényléthylamines ;
B. Eisner, Ecstasy : the mdma story, Ronin, Berkeley, CA, 1989
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000, C. Sueur, R. Cammas, B. Lebeau : « L’ecstasy au sein de la famille des substances psychédéliques : effets et dangerosité », Psychotropes, 2000, vol.6, 2, p. 9-71.
C. Sueur, Trip, speed and Taz, Psychotropes, 2004, vol.10, 1 61-97. https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2004-1-page-61.htm -
[13]
J. Arveiller, C. Sueur, « Iatrogénèse et production du savoir sur les toxicomanies », L’Evolution Psychiatrique, 1989, n° 54, 2, p.338-339.
-
[14]
La kétamine est un anesthésique, qui a la particularité de pouvoir être utilisé chez les sujets « fragiles » (enfants, personnes âgées), ou sur les champs de bataille, lorsque l’on n’a pas à disposition de matériel de réanimation, car il ne provoque pas de dépression respiratoire ou de risque sur le plan cardiaque ; par contre, les « réveils de kétamine » se caractérisent par des sensations de rêves éveillés, avec des éléments de délire ou d’hallucination ; à des doses infra-anesthésiques, elle produit des impressions de « sortie hors du corps », et elle a été utilisée à partir des années quatre-vingt comme une alternative aux drogues psychédéliques du type lsd, particulièrement par les membres des premières « tribus » techno (travellers).
-
[15]
La mescaline est le principal alcaloïde psychédélique présent dans deux espèces de cactus, poussant en zone aride d’Amérique du Sud, les Peyotl (Lophophora Willliamsii), et les San Pedro (Trichocereus Pachanoi ou Echinopsis pachanoi) du Pérou.
-
[16]
la psilocybine, avec la psilocine, sont les principaux alcaloïdes psychédéliques présents dans une espèce de champignons, les psilocybes.
-
[17]
La dmt (dimethyltryptamine), est présente dans l’ayahuasca qui est une infusion composée de Psychotria viridis, contenant la dmt et de la liane Banisteriopsi caapi, qui contient des enzymes (imao) ; ces deux substances entrent en interaction synergique permettant l’assimilation orale et digestive de la dmt, normalement détruite dans l’estomac par les sucs digestifs.
- [18]
- [19]
- [20]
-
[21]
O. Gollnhofer, R. Sillans : L’Iboga, psychotrope africain, Psychotropes, 1983, I, 1, 11-27.
J. W. Fernandez : Tabernanthe iboga : l’expérience psychédélique et le travail des ancêtres, in Furst P. T., « La chair des dieux. L’usage rituel des psychédéliques », Paris, Seuil, 1974, 219-248.
P. Barabe : La religion d’Eboga ou le Bwiti des Fanges, Médecine Tropicale, 1982, 12, 3, 251-257.
J. M. Janzen : De l’ancienneté de l’usage des psychotropes en Afrique Centrale, Psychotropes, 1983, I, 2, 105-107. -
[22]
R. Goutarel et coll., Pharmacodynamique et applications thérapeutiques de l’Iboga et de l’ibogaïne, cnrs, Gif-sur-Yvette, France, 1992.
-
[23]
Erika Dyck, Ph. D, est professeure et titulaire de la Chaire d’Histoire de la Médecine à l’Université du Saskatchewan au Canada. Elle est l’auteur de Psychedelic Psychiatry : lsd from Clinic to Campus, Johns Hopkins University Press, 2008, et :
E. Dyck, « Flashback : psychiatric experimentation with lsd in historical perspective », Canadian Journal of Psychiatry, 2005, 50, 7, p. 381-388. -
[24]
Editorial, « End the Ban on Psychoactive Drug Research », Scientific American (2014) 310 (2), p. 1-2,
http://www.scientificamerican.com/article/end-the-ban-on-psychoactive-drug-research -
[25]
C. Cooper, « Professor David Nutt : Why I think the terminally ill should take lsd », Independent, 2015 http://www.independent.co.uk/news/people/professor-david-nutt-why-i-think-the-terminally-ill-should-take-lsd-10092213.html
-
[26]
Takiwasi, http://takiwasi.com/fra/qs03.php
-
[27]
J. Mabit, « L’alternative des savoirs autochtones au « tout ou rien » thérapeutique », Psychotropes, Eds De Boeck, 2001, 7, 1, p. 7-18.
J. Mabit : Apport thérapeutique de l’ayahuasca dans le cas d’addictions, in Baud S. et Ghasarian C. : « Des plantes psychotropes. Initiations, thérapies et quêtes de soi », Editions Imago, Paris, 2010. -
[28]
J. PCh, « Nouvelle étape dans l’enquête sur les méthodes du centre péruvien TAKIWASI », SUD-OUEST, 15 mai 2004 http://www.psyvig.com/doc/doc_84.pdf
- [29]
-
[30]
Blog Hors les murs, La neuroimagerie du lsd : une première mondiale aux frontières de la science, republié sur Mediapart, 2017 https://blogs.mediapart.fr/horslesmurs/blog/260217/la-neuroimagerie-du-lsd-une-premiere-mondiale-aux-frontieres-de-la-science.
-
[31]
R. Doblin, « A clinical plan for mdma (ecstasy) in the treatment of post-traumatic stress disorder (ptsd) : partering with the fda », Bulletin du maps, 2002, XII, 3, p 5-17.
http://www.maps.org/news-letters/v12n3/12305dob.pdf
http://www.maps.org/research/mdma -
[32]
L. Grinspoon, J. Bakalar, Marihuana, the forbidden medicine. New Haven, Yale University Press, 1993, 184 p., traduction : Cannabis : la médecine interdite, Editions du Lezard, Paris, 1998.
-
[33]
Michka et coll., Cannabis médical. Du chanvre indien au thc de synthèse, Mama Editions, Paris, 2009, réed. 2015.
http://psypressuk.com/2015/02/03/rise-cannabis-modern-medicine
Ingold F.R., Sueur C., Kaplan C. D. : Contribution à une exploration des propriétés thérapeutiques du cannabis, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 2015, Volume 173, Issue 5, 453-459. -
[34]
Le blog de Jean-Yves Nau, journaliste et docteur en médecine, Champignons hallucinogènes et thérapeutiques : les nouveaux espoirs psychédéliques, 2016.
https://jeanyvesnau.com/2016/05/17/champignons-hallucinogenes-et-therapeutiques-les-nouveaux-espoirs-psychedeliques/
Franck Daninos, « lsd, champignons hallucinogènes, les promesses ambiguës de la médecine psychédélique », Sciences et Avenir Hors-série automne 2014.
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-promesses-ambigues-de-la-medecine-psychedelique_15615
Véronique Marsollier, « Des champignons hallucinogènes pour lutter contre la dépression ? », scienceactualités.fr, 2016.
http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/science-actualites/detail/news/deschampignons-hallucinogenes-pour-lutter-contre-la-depression/?tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=0b446ea41c50cbea912f9c7d5ead5263
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-le-pouvoir-therapeutique-des-drogues-psychedeliques-18861.php
Documentaire – Reportage sur les hallucinogènes thérapeutiques,
https://www.psychoactif.org/forum/t22413-p1-Reportage-sur-les-hallucinogenes-therapeutiques.html
J. W. Jesso, « The Science Of Treating Depression With Ketamine », Psychedelic Bookc Review, 2016.
http://psypressuk.com/2016/02/08/the-science-of-treating-depression-with-ketamine/ -
[35]
J. Fadiman, The Psychedelic Explorer’s Guide, Park Street Press, 2011.
-
[36]
A. Gnoli, F. Volpi, Le L.S.D. et les années psychédéliques. Entretiens avec Albert Hofmann, Paris, Payot, 2004.
1Les travaux médico-psycho-pharmacologiques sur les hallucinogènes ont véritablement débuté dans l’immédiat après-guerre, avec les premières expérimentations sur le lsd par Albert Hofmann, son « inventeur » [1], puis, par la suite, avec les premières observations faites sur les effets de la mescaline et de la psilocybine en Suisse, en Angleterre, aux USA, au Canada, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Italie, et en Hollande.
2Les « thérapies psychédéliques » étaient très répandues durant les années cinquante et soixante, et considérées comme des traitements sûrs, en dépit de la description de quelques effets indésirables considérés comme n’affectant qu’une proportion négligeable des sujets traités.
3Les différentes expériences thérapeutiques, au siècle dernier se sont principalement développées avec des équipes travaillant autour des personnalités suivantes :
4- Stanislas Grof [2] (en Tchécoslovaquie puis aux USA), qui pratiquait des « thérapies psychédéliques », avec de relativement fortes doses de lsd. Stanislav Grof avait commencé ses recherches en 1956 à l’Institut de Recherches psychiatriques de Prague, et les poursuivit jusqu’en 1967. Il émigra alors aux USA, et s’établit à Baltimore (Maryland) pour devenir chercheur et professeur de psychiatrie à l’université Johns-Hopkins, où, de 1967 à 1973, il poursuivit ses travaux sur le potentiel psychothérapeutique des états de conscience produits par l’utilisation du lsd. Son travail portait en particulier sur certains types de population (toxicomanes, personnes en phase terminale, etc.). Son travail a toujours été en lien avec les théories psychodynamiques, non seulement de Sigmund Freud, mais également en relation avec le domaine périnatal (découvert par Otto Rank en 1924), rattaché aux expériences de naissance et de mort, et le domaine transpersonnel concernant les états non ordinaires de conscience, et l’inconscient collectif dans la lignée de Carl Gustav Jung.
5- Oscar Janiger (à Los Angeles, USA) ; ce psychiatre a été également un des premiers à diffuser largement les thérapies avec le lsd et il eut, entre autres, comme patients, Alan Watts, Aldous Huxley, Anaïs Nin, Cary Grant et Jack Nicholson.
6- Timothy Leary, avec Richard Alpert et Richard Metzner (aux USA), utilisèrent très tôt le lsd, la mescaline, et la psilocybine. Leary avait eu l’occasion, au Mexique, de consommer des champignons hallucinogènes contenant de la psilocybine. À partir de 1959, avec Allen Ginsberg et Richard Alpert (connu plus tard sous le nom de Ram Dass), il entreprit avec ses étudiants des recherches sur les effets de la psilocybine, puis sur le lsd, psychotrope qui était alors fourni librement par les laboratoires Sandoz (sous le nom de Délysid). Plusieurs participants à ses recherches disent avoir vécu des expériences mystiques et spirituelles profondes et très positives.
7- Sydney Cohen, qui, après avoir lui-même pratiqué des thérapies psychédéliques, devint un des principaux détracteurs de cette méthode, dénonçant particulièrement les « dérives mystiques » de certains de ses anciens collègues.
8- Abraham Hoffer et Humphry Osmond, travaillèrent, eux, au Canada, dès le début des années cinquante, particulièrement avec les alcooliques.
9- Hanscarl Leuner (à partir de 1955, en Allemagne), pratiquait, lui, des « thérapies psycholytiques » avec de relativement petites doses de lsd qui conduisaient à des états de rêve-éveillé, facilitant les processus de catharsis émotionnelle.
10Les différentes indications des substances hallucinogènes, ainsi que l’histoire des pratiques en la matière, ont fait l’objet en 1999, de deux numéros de la Revue Toxibase dans la rubrique documentaire Théma, rédigés par notre équipe de la Mission Rave de Médecins du Monde, et intitulés : « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. Revue de la littérature » [3]. Dix ans plus tard, un ouvrage intitulé La médecine psychédélique [4] a été publié par un psychiatre lyonnais, Olivier Chambon. Cet ouvrage fait écho à deux ouvrages publiés à la même époque aux USA intitulés Psychedelic Medicine in the 21th century, et Neuropsychedelia : The Revival of Hallucinogen Research since the Decade of the Brain. Ces travaux puisent abondamment dans les écrits, principalement américains, réalisés par les pionniers du monde psychédélique, qu’ils soient pharmacologues, botanistes ou historiens des plantes médicinales, ethnologues, ou psychothérapeutes. En France, rien n’a été expérimenté sur le sujet depuis les années soixante, à l’époque ou la France comptait quelques pionniers et découvreurs, en particulier des « champignons hallucinogènes », et quelques expérimentateurs (Jean Delay [5], et Claude Olievenstein [6]).
11Toutes les expérimentations cliniques des différentes plantes et composés chimiques de synthèse présentant des effets psychédéliques, hallucinogènes ou « psycholytiques » qui ont persisté au-delà de la promulgation des Conventions de New York sur les stupéfiants de 1961 qui en interdisaient l’usage même médical, se sont produites essentiellement aux USA, en Israël, et dans certains pays d’Europe (Suisse, Pays Bas, Angleterre …).
12La famille de substances regroupées sous les termes « d’hallucinogènes », est désormais désignée sous le terme générique de « substance psychédélique ».
13Mais, d’autres termes (psycholytique, psychodysleptique, psychomimétique, délirogène, entactogène …) ont été utilisés au cours de l’histoire, et se réfèrent à un angle particulier d’observation des effets de ces substances dites « hallucinogènes » [7].
Les « vertus » thérapeutiques des hallucinogènes
14Les « vertus » ou capacités thérapeutiques des hallucinogènes sont connues de longue date, et apparaissent dans de nombreuses « mythologies » de civilisations disparues, dans le champ de ce qui est appelé aujourd’hui la « médecine shamanique ».
15Ce n’est qu’au milieu du xxe siècle, à la fin des années quarante, à partir de la découverte du « Lysergique Säure di-ethylamid », le diéthylamide de l’acide lysergique (lsd) par le Dr Hofmann, le chimiste suisse des laboratoires Sandoz, que la psychiatrie s’est mise à utiliser ces substances dites « psychédéliques », « psycholytiques », entheogènes et entactogènes, pour « faciliter » les psychothérapies en « ouvrant le champ de la conscience », de par leurs effets neurobiologiques et psychopharmacologiques spécifiques, au travers de leurs interactions avec les différents systèmes de neuromédiateurs cérébraux (récepteurs de la dopamine, de la sérotonine, de l’adrénaline, des anandamides et autres cannabinoides, des enképhalines et endorphines et autres opioïdes endogènes, de la nmda …).
16Selon le dosage, les circonstances de la consommation, la structure de la personnalité et la « disposition psychique » du moment (ce qu’on appelle le « set and setting »), les substances psychédéliques peuvent causer des modifications profondes de la conscience et de la perception de l’espace et du temps. Elles peuvent également provoquer un « dérèglement positif du moi » (expériences mystiques) : loquacité accrue, franchise ; expérience de transe et expérience religieuse/mystique, expérience de l’extase ; concentration méditative.
17Les psychédéliques ont la capacité de dissocier l’ego de la personnalité, ainsi que de stimuler les perceptions. Ce sont des substances qui permettent un élargissement et un approfondissement de la conscience humaine. Ils agissent en favorisant le fonctionnement de certains circuits cérébraux, qui normalement sont inhibés. Les paramètres fondamentaux des « psychothérapies assistées par les psychédéliques », différencient nettement l’usage de ces substances de celles des autres drogues psychotropes, comme les antidépresseurs, les psychostimulants, les anesthésiques, les narcotiques et les tranquillisants par exemple [8].
191. « Il est reconnu que les psychothérapies avec hallucinogènes provoquent une expérience contenant une profonde expansion de la conscience (“état modifié de conscience”), au travers de laquelle l’individu ne gagne pas seulement en termes d’insight thérapeutique vis-à-vis de sa dynamique émotionnelle et névrotique, et en termes de modifications comportementales, mais aussi, que cette expérience provoque un questionnement sur sa propre vision de la nature de la réalité, en transcendant ses propres conceptions existentielles. »
202. « Il est couramment accepté dans ce champ, que le concept de “set and setting” [10] est le déterminant le plus important de l’expérience psychédélique, au cours de laquelle la drogue joue le rôle de catalyseur ou de gâchette.
21L’hypothèse du “set and setting” consiste à penser que les déterminants les plus importants sont le positionnement psychique interne (motivation, attente, intentionnalité, projet …), et l’environnement externe, le contexte, y compris la présence d’un (ou de deux) thérapeute, d’un “guide”, ou d’un “passeur”. Cette hypothèse peut d’ailleurs être étendue à l’ensemble des autres expériences entraînant des états modifiés de conscience sans drogue (hypnose, méditation, transes, isolation sensorielle …). »
223. « Deux analogies ou métaphores pour ce type d’expérience ont été évoquées de manière répétitive, par les différents auteurs du paradigme psychédélique.
23La première est “l’analogie de l’amplificateur”, qui accorde à la drogue la fonction d’un amplificateur non spécifique des contenus psychiques […].
24La deuxième analogie est la “métaphore du microscope” qui suppose que les psychédéliques pourraient jouer le même rôle que celui que le microscope joue en biologie, à savoir ouvrir directement sur des observations reproductibles et vérifiables concernant des contenus et des processus psychiques qui sont habituellement inaccessibles ».
254. « Toujours en rupture vis-à-vis de l’usage habituel des autres substances psychoactives en psychiatrie, il est généralement reconnu que l’expérience personnelle du thérapeute ou du “guide” est le prérequis essentiel d’une psychothérapie psychédélique effective. Sans cette expérience préalable, la communication entre le thérapeute et le sujet dans un état psychédélique est sévèrement limitée. Ce principe entraîne par voie de conséquence, que l’un des paramètres importants de l’expérience psychédélique est l’expertise du thérapeute. La grande majorité des thérapeutes psycholytiques ou psychédéliques ne consomment bien sûr pas la drogue en même temps que le patient ».
265. « Un accès à une dimension transcendantale, religieuse ou transpersonnelle de la conscience peut ainsi être atteint. Cette expérience mystique et spirituelle se produit très souvent avec l’usage des psychédéliques.
27Albert Hofmann a indiqué que cette capacité à reconnaître les propriétés psycholytiques de l’expérience du lsd était basée sur sa similarité avec la famille des expériences mystiques naturelles [11] ».
28Dans la dernière décennie du siècle dernier, dans plusieurs pays, des expérimentations cliniques se sont discrètement poursuivies. Ces expériences se sont intéressées à l’usage d’ecstasy (mdma [12]), de cannabis [13], de kétamine [14], de mescaline [15], de tryptamines (psilocybine [16], ibogaïne, ayahuasca [17]), et de lsd, retrouvant progressivement les usages courant dans les années cinquante et soixante, interrompus au début des années soixante, et qui pour certaines, avaient persisté en Suisse dans les années quatre-vingt.
29La plupart de ces expérimentations cliniques ont reçu le soutien d’une association internationale, la maps ou Multidisciplinary Association on Psychedelic Studies [18] basée en Californie, puis celui du Heffter Research Institut [19] (fondé en 1993 par le Professeur David E. Nichols et Dennis J. McKenna au Nouveau Mexique), ou encore, celui de la fondation anglaise The Beckley Foundation [20].
30À partir de 1985, les expérimentations autorisées d’Howard Lotsof consistent à utiliser l’ibogaïne pour les désintoxications des toxicomanies à l’héroïne et autres opiacés. L’ibogaïne avait été interdite aux USA en 1968.
31L’ibogaïne (12-methoxyibogamine, C20H26N2O) est l’un des douze alcaloïdes détectés dans les racines du Tabernanthe Iboga, ou eboka, un arbuste hallucinogène d’Afrique équatoriale. Elle est utilisée en particulier au Gabon, à haute dose pendant la cérémonie d’admission à la société initiatique du Bwiti, ainsi que lors de rites religieux, et au cours de pratiques de médecine traditionnelle [21].
32Il s’agit donc d’une tryptamine, proche de la psilocine et de la psilocybine (présentes dans les différentes espèces de champignons hallucinogènes connus sous le terme générique de psilocybes), et de la diméthyltryptamine (dmt), que l’on retrouve également dans l’ayahuasca.
33C’est un hallucinogène à forte dose (onirophrénique), et plutôt un psychostimulant à faible dose, dont l’utilisation courante est plus proche de celle de la coca ou du khat. Ce fut, à la veille de la première guerre mondiale, un médicament antifatigue, stimulant et antidépresseur en vogue, connu sous l’appellation de « tablettes de Lambarèné ». Il fut même largement utilisé comme dopant chez les alpinistes, les cyclistes et les coureurs de fond jusqu’en 1966. Les premières études pharmacodynamiques sur cette plante ont été menées en France, au Muséum d’Histoire Naturelle, entre 1864 et 1905 pour la première période, puis entre 1950 et 1970 lorsque Robert Goutarel l’a « redécouverte » et étudiée au laboratoire de physiologie végétale du cnrs à Gif-sur-Yvette.
34On se retrouve avec l’ibogaïne, dans une situation proche de celle qui prévalait dans les années soixante aux USA avec la mescaline de synthèse, par ailleurs le principe actif du peyotl.
35Une des différences consiste dans le fait que les propositions d’usage thérapeutique [22] s’appuient moins sur les travaux des ethnologues décrivant les usages traditionnels, que sur des données neurophysiologiques et pharmacologiques les plus récentes, pouvant expliquer, si ce n’est justifier, la dimension biologique des capacités thérapeutiques de la substance.
36Dzoljic et coll. (1988), aux Pays-Bas, furent les premiers chercheurs à publier sur les capacités de l’ibogaïne à atténuer le syndrome de sevrage des opiacés. Puis ce fut au tour de l’équipe de Stanley D. Glick (1992), de l’Albany Medical Collège aux USA, de publier une recherche originale et un état des lieux concernant l’atténuation du syndrome de sevrage par l’ibogaïne. Sur le plan neurobiologique, l’ibogaïne bloque la stimulation de la dopamine mésolimbique et striatale, induite entre autres par la morphine et la cocaïne. Le récepteur cérébral à nmda (N-methyl-D-aspartate) semble être impliqué dans cette base biologique des phénomènes addictifs, et ce, en ce qui concerne une grande variété de substances, y compris l’alcool, les opiacés et la cocaïne.
37Au vu de ces recherches, le National Institut of Drug Abuse américain a ajouté l’ibogaïne à la liste des substances dont l’activité, dans le traitement de la dépendance aux stupéfiants, doit être examinée. Il participe au financement de telles recherches par ailleurs soutenues par le maps.
38Après les premières expérimentations par Howard S. Lotsof sur lui-même en 1962 et 1963, et le dépôt de brevets par le même Lotsof dans les indications de sevrage des différentes substances addictives, d’autres recherches ont été menées chez l’humain, afin de vérifier l’efficacité de cette substance dans le cadre de la prise en charge des toxicomanies « lourdes », à la fois en Hollande (Simon G. Sheppard, à partir de 1989) et aux USA (études de phase I, sur des volontaires sains, à l’Université de Médecine de Miami, Mash et coll.).
39Sheppard observe pour sa part des résultats mitigés : il ne pense pas que l’emploi de l’ibogaïne améliore fondamentalement la prise en charge des cocaïnomanes (quant à la permanence d’une interruption des pratiques addictives), mais il pense que ces effets sont intéressants dans le cadre de la prise en charge médicale du sevrage des opiacés, et que son utilisation facilite le travail psychothérapeutique lors du sevrage. L’expérimentation a été interrompue en Hollande, alors que trois des patientes sont mortes en cours de traitement, sans que la cause du décès ne soit imputée à l’ibogaïne.
40Les études de phase II, avec des toxicomanes, ont débuté au début des années quatre-vingt-dix, aux USA à l’Université de Miami. Une étude semblable était également en cours à l’Université Ben Gourion du Négev (Dr Moshe Kotler) à la fin des années quatre-vingt-dix.
41À la même époque, à partir de 1988, des psychothérapeutes suisses de pratique privée, autour de Peter Gasser, bénéficièrent d’une autorisation de l’Office Fédéral Suisse de la Santé Publique, pour poursuivre, après l’interdiction de la mdma en 1986, des thérapies assistées avec de la mdma et du lsd. Mais ce ne fut qu’à partir de 1994, que l’utilisation de substances psychédéliques et entactogènes de synthèse a véritablement repris : l’équipe de Charles Grob (ucla) démarra en effet cette année-là l’utilisation de substances psychédéliques avec de la mdma dans le cadre universitaire, et dans la prise en charge thérapeutique des troubles psychiques post-traumatiques (ptsd), ainsi que dans l’accompagnement « à la fin de vie » ; suivirent ensuite les travaux de l’équipe de Michael Mithofer en Floride, puis les essais cliniques de Jordi Cami en Espagne, et de Moshe Kotler en Israël, sponsorisés par le maps.
42En Russie également, les substances hallucinogènes ont été à nouveau utilisées au cours des années quatre-vingt-dix : il s’agissait essentiellement des traitements avec la kétamine, mis en place par Evgueni Krupitsky à Saint Petersburg, dans le cadre de la prise en charge des addictions (alcool et héroïne).
La recherche reprend aujourd’hui
43Erika Dyck [23], Ph.D., décrit très bien, dans le dernier numéro de la Revue du maps, ce « revival » : « En février 2014, le Scientific American a choqué ses lecteurs avec un éditorial intitulé « Pour en finir avec l’interdiction de la recherche sur les drogues psychédéliques » [24].
44L’article critiquait la faillite de l’industrie chimique en psychiatrie biologique, incapable de produire de nouveaux traitements, pratiquement depuis « l’âge d’or » des années cinquante, et étrillait les politiciens chargés de la régulation de l’usage des drogues, pour avoir interdit les drogues psychédéliques comme le lsd, l’ecstasy et la psilocybine, drogues qui avaient pourtant très tôt été considérées comme recelant des capacités thérapeutiques indéniables, mais qui avaient été désignées comme « drogues d’abus » et interdites. L’éditorial de cette revue pointait le fait que cette situation avait produit un paradoxe : « ces drogues sont interdites parce qu’elles n’ont pas de « vertus thérapeutiques » officiellement reconnues, mais les chercheurs ne peuvent justement pas explorer leurs éventuelles potentialités thérapeutiques du fait de cette interdiction … Ce hiatus de plusieurs décennies a « coûté très cher » (The decades-long research hiatus has taken its toll.) »
45Comme l’écrit le psychopharmacologue anglais David J. Nutt, « nombre de ces drogues psychédéliques ont des potentialités thérapeutiques inexplorées, du fait que, aussi bien les laboratoires, que les services de recherche clinique ont été de ce fait empêchés de prendre des mesures pour explorer leur potentiel scientifique ».
46Le même professeur David Nutt, psychiatre et neuropsychopharmacologiste, expert mondialement reconnu en addictologie – qui avait été « débarqué » en 2009 de la direction de la Commission anglaise de réflexion sur l’Abus des drogues (The Advisory Council on the Misuse of Drugs, équivalent anglais de notre dgldt, devenue mildt puis mildeca), pour avoir déclaré dans une conférence que « prendre un comprimé d’ecstasy lors d’un week-end, était moins dangereux que de faire de l’équitation » – s’est ainsi récemment exprimé publiquement dans l’Independent : « Lorsque je serai au stade terminal de la maladie, je prendrai du lsd [25] ».
47En France, il convient de citer les tentatives d’utilisation de l’Ayahuasca dans des pratiques inspirées des guérisseurs shamaniques sud-américains par une Association dénommée La Maison qui chante (reprenant les traitements pour les pathologies addictives mises en œuvre au Centre Takiwasi [26] au Pérou, par le Dr Jacques Mabit [27], depuis les années 1990).
48Mais cette association a dû faire face dès ses « premiers pas » en 2002 à des poursuites judiciaires pour infraction à la législation sur les stupéfiants et pratique sectaire [28]. Les thérapeutes de l’association, suite à une mobilisation médicale internationale, ont été relaxés en 2005.
49Ces dernières années, à notre connaissance, les seules publications évoquant en France l’usage thérapeutique des « hallucinogènes », concernaient l’usage shamanique des substances psychédéliques, et ont été rédigées par Olivier Chambon, médecin spécialisé, et par des chercheurs en ethno-botanique.
Les dernières avancées de la recherche
50Mais, les recherches et expérimentations sur l’ensemble des substances psychédéliques se poursuivent de façon croissante [29] et resituent l’intérêt de ces produits en psychiatrie, poursuivant en cela les travaux des pionniers des années soixante, et le travail du maps depuis les années quatre-vingt :
51Des travaux de neurobiologie sont menés par l’équipe de Franz Vollenweider et M.E. Liechti en Suisse, à l’Université de Bale. Une nouvelle dynamique existe en Angleterre, tant sur le plan de la recherche fondamentale en neurobiologie et en neuro-imagerie, que sur celui des applications thérapeutiques, autour de Ben Sessa, David Nutt et Robin L. Carhart-Harris. Il convient de citer également les travaux de l’équipe de Torsten Passie et John Halpern aux USA, et ceux de Richard Yensen à Vancouver au Canada, ceux de l’équipe d’Euphrosyne Gouzoulis-Mayfrank, de l’Université de Cologne en Allemagne, ceux de Jordi Riba en Espagne, à l’Université de Barcelone, sur les effets neurophysiologiques de l’ayahuasca, ainsi que les travaux de Rick Strassman aux USA sur les tryptamines.
52Albert Garcia-Romeu (John Hopkins University School of Medecine) et Peter Addy (Yale University School of Medecine), avec le financement du Heffter Research Institute, ont récemment réalisé, pour l’American Psychological Association, un nouvel état de l’art, une recension des applications cliniques des hallucinogènes.
53Trois études ont été menées il y a quelques années afin d’évaluer les résultats à long terme des thérapies au lsd menées en Hollande (1950-1980) par Jan Bastiaans (à l’époque Président de l’Association des psychanalystes néerlandais), avec des survivants des camps de concentrations, et par Timothy Leary et Oscar Janiger, à Los Angeles (1954-1962). Ces études montrent l’intérêt indéniable à long terme de ces traitements, pour une fraction significative des sujets interviewés (qui ont aujourd’hui pour la plupart plus de soixante-dix ans), et l’absence quasi-totale d’effets secondaires indésirables, même chez des patients ayant présenté des troubles sévères.
54D’après Robin Carhart-Harris, leader de l’étude de neuro-imagerie fonctionnelle qui initie clairement le renouveau des études scientifiques sur les substances psychédéliques, « Avec le lsd, les réseaux neuronaux perdent en partie leur intégrité. Les systèmes cérébraux deviennent moins ségrégés, et les différents réseaux commencent à se fondre les uns dans les autres. Globalement, le cerveau devient plus connecté, et il opère de manière plus flexible ». Ces expériences extrêmement intimes, aboutissent souvent à une appréhension plus sereine de la mort, ce qui rend le lsd utile pour soulager certains patients en fin de vie, et ce sont elles qui justifient l’emploi du terme « entheogène », (qui « rapproche du divin ») pour qualifier l’action des psychédéliques, là où des drogues plus superficielles comme la mdma sont simplement qualifiées d’empathogènes (qui « rapproche d’autrui ») [30].
55Différentes études cliniques sont menées actuellement par l’équipe de Ben Sessa et David Nutt en Angleterre, l’équipe de Charles Grob à l’ucla en Californie, l’équipe de John Halpern et Michael Mithoefer à Charleston (Caroline du Sud), depuis la fin des années quatre-vingt-dix, sur la prise en charge des troubles psychotraumatiques (ptsd). Elles sont pour plusieurs d’entre elles subventionnées par la maps [31].
56Il existe beaucoup d’indications conseillées du cannabis à des fins thérapeutiques, en particulier en psychiatrie, pour ses propriétés myorelaxantes, antispasmodiques, anxiolytiques, et antidépressives. Rares, il est vrai, sont les études contrôlées qui permettent de valider scientifiquement ces indications. Mais, comme le notaient déjà Grinspoon et Bakalar en 1993 [32] : « la situation est paradoxale. On en sait plus sur les effets indésirables et sur les vertus thérapeutiques de la marijuana que sur la plupart des médicaments vendus sur ordonnance. Le cannabis a été testé par des millions de gens depuis des milliers d’années, il a été étudié à l’occasion de centaines d’expériences commanditées par notre propre gouvernement au cours des trente dernières années. C’est l’une des substances à usage médical les plus anciennes que l’humanité ait connue, l’une des plus sûres et des plus efficaces. Et pourtant, la fda (Food and Drug Administration) est tenue par la loi de la considérer comme un « nouveau médicament » et exige les mêmes essais que s’il s’agissait d’une substance absolument inconnue de tous ».
57Le fait marquant de ce siècle, a été le développement, dans la plupart des pays développés, des thérapeutiques avec des cannabinoïdes naturels (phytocannabinoides) ou de synthèse. Celles-ci se sont développées de façon de plus en plus importantes à partir des années deux-mille dix partout … sauf en France [33].
58En ce qui concerne l’utilisation du Cannabis thérapeutique (en dehors de ses applications en médecine somatique), les travaux les plus importants ont été entrepris par différentes équipes américaines dans le cadre de la prise en charge thérapeutique des ptsd des vétérans des guerres américaines au Moyen Orient. Ces études ont débuté officiellement en novembre 2009 : Rick Doblin, président de la mpas, les Dr Julie Holland et Michael Mithoefer, et les Dr Sue Sisley et Marcel Bonn-Miller du Scottsdale Research Institute de Phoenix, dans l’Arizona, ont travaillé, avec l’accord de la Food and Drugs Administration (fda), sur un protocole de recherche pour utiliser de la marijuana pour traiter les troubles chroniques du ptsd chez des anciens soldats des Guerres du Golfe. En 2016, le premier programme de traitement officiel a pu démarrer avec de la marijuana fournie par le National Institute on Drug Abuse (nida). Les premiers participants à cette étude ont été « enrôlés » à partir de février 2017 ; dix-huit des soixante-seize participants prévus dans cette étude étaient inclus dans le programme de traitement au 1er juin 2017.
59Sur le plan de la recherche, ces dernières années ont également vu une recrudescence de travaux publiés dans des revues scientifiques sur l’usage de la kétamine et de la psilocybine dans les dépressions « résistantes ». Cela a fait l’objet de nombreux articles de presse, y compris en France [34]. D’autres programmes d’études cliniques ont pour objectif les migraines, en ciblant essentiellement le cannabis et les dérivés de l’ergot de seigle (lsd et lsa).
60D’autres universités développent des essais cliniques en direction de l’anxiété et plus particulièrement, dans le cadre des protocoles compassionnels (aide à la fin de vie). Des études sur l’utilisation thérapeutique du lsd aux USA tentent d’obtenir de la fda la permission d’administrer du lsd dans une approche psychodynamique du traitement des cancéreux en fin de vie. Une équipe de Baltimore aux USA conduit également des travaux sur l’utilisation de la psilocybine en fin de vie. Peter Gasser, en Suisse, a également utilisé le lsd comme « adjuvant » au travail psychothérapique avec des patients atteints de maladies graves.
61Une dimension importante du retour des substances psychédéliques en thérapeutique est à noter concernant la prise en charge des addictions : d’une part, l’alcoolisme, qui fit l’objet de prises en charge dès les années cinquante avec le lsd, et dans les années quatre-vingt-dix avec la kétamine (cf. les travaux de Krupitski et collègues à Saint Petersburg), et les toxicodépendances (alcool et opiacés) avec l’Ibogaïne depuis les années soixante-dix (cf. plus haut) ; de nouvelles expérimentations sont relatées dans des publications de 2017, par l’équipe de G. Noller en Nouvelle Zélande (où l’ibogaïne est légale pour des usages thérapeutiques comme au Brésil et en Afrique du Sud), et par K. Alper (de l’Université de médecine de New York), et T. K. Brown (de l’Université de San Diego en Californie).
62Une récente revue des essais cliniques (151) menés ces vingt-cinq dernières années (1990 à 2015) avec l’ayahuasca, la psilocybine et le lsd, recensés dans des revues à « Comité de Lecture », montre l’efficacité bien réelle de ces thérapeutiques et leurs capacités antidépressives, anxiolytiques et anti-addictives, l’absence d’effets indésirables inquiétants, et une bonne tolérance par les patients.
63Enfin, les psychoses sont elles aussi concernées par ces recherches : non seulement, dans la perspective d’une meilleure compréhension neurobiologique des phénomènes psychotiques, délires et hallucinations (« psychose models »), mais aussi dans le cadre du traitement des formes de maladies mentales résistantes aux traitements actuels.
64Dès les années soixante, plusieurs équipes de chercheurs avaient tenté de soigner avec le lsd des enfants présentant des troubles autistiques majeurs, à défaut de tout autre traitement efficace ; plusieurs rapports de recherches cliniques avaient fait état, sous une forme narrative et « d’études de cas », de résultats positifs ; puis la recherche s’est arrêtée dans ce domaine, durant un demi-siècle pour reprendre ponctuellement ces dernières années, avec la mdma. Dans le champ des schizophrénies, les travaux menés par le Pr Antonio Zuardi au Brésil, utilisant le cannabidiol dans le traitement des « schizophrénies résistantes », sont riches d’avenir.
Une recherche active sur fonds plutôt privés
65Depuis quelques années les « blocages » psychologiques empêchant la crédibilisation des recherches sur les substances psychédéliques sont enfin levés, ce qui permet à des équipes universitaires de bénéficier de fonds, la plupart du temps privés, délivrés par de grandes fondations internationales, et représentant de fortes sommes (1,3 million de Livres pour l’équipe du Dr Ben Sessa en Angleterre, par exemple), à même de pouvoir financer des recherches conformes aux critères scientifiques modernes. On assiste également à la reprise d’une certaine vulgarisation autour des drogues psychédéliques. Ce retour de l’intérêt pour les substances hallucinogènes semble avoir plusieurs sources : d’une part, les avancées des neurosciences, et le fait que les chercheurs redécouvrent l’intérêt des substances psychédéliques pour « explorer le psychisme », parallèlement au « désintérêt » de l’industrie pharmaceutique pour les médicaments psychiatriques, rendant encore plus nécessaires les avancées en chimiothérapie psychédélique, et, d’autre part, un large intérêt dans la société pour le shamanisme, et les états modifiés de conscience.
66Les trois grands axes de développement que l’on peut désormais attendre pour les années qui viennent, sont :
- le développement d’une prise en charge plus efficace et plus large des situations post-traumatiques et des addictions, dans un cadre médico-psychologique spécifique, avec, pour les ptsd, le cannabis et la mdma, et pour les addictions, les tryptamines (ayahuasca, ibogaïne et psilocybine), ainsi qu’une amélioration des conditions de l’accompagnement à la fin de vie, avec le lsd, la mescaline, et la psilocybine.
- dans le champ de la psychiatrie, on devrait assister, pour les dépressions dites « résistantes », à un développement de l’utilisation médicale de la psilocybine, de la kétamine, des cannabinoïdes, et de nouveaux composés issus de la recherche pharmacologique.
- dans un champ plus « sauvage », ou démocratique, il est clair que le retour vers des pratiques « chamaniques », la consommation de cannabis thérapeutique, et le micro-dosing de lsd, se développent de façon importante. La diffusion des vidéos et de l’ouvrage de James Fadiman [35] sur le « micro-dosing » en 2011-2012 a entraîné une consommation plus ou moins quotidienne de micro-doses de lsd (environ quinze μg de lsd), ou de kétamine, aux USA et en Europe, dans certains milieux « branchés », comme « agent de bien être » ou anxiolytique. Mais, depuis l’interdiction du 1Propionyl-lsd, précurseur légal du lsd, cette méthode de « mieux-être » se confronte invariablement au marché illicite.
67Pour conclure, rappelons les propos d’Albert Hofmann, dans ses Entretiens avec Antonio Gnoli [36] : « Huxley estimait que le lsd méritait une diffusion plus ample, mais que, avant d’en faire usage, on devait absolument être soumis à une préparation appropriée, acquérir un certain savoir, à travers ce qu’il appelait une authentique « science de l’expérience mystique ». C’est selon moi, ce qui peut se produire si les expériences à base de lsd sont intégrées dans une perspective de psychologie transpersonnelle ».
Notes
-
[1]
A. Hofmann., lsd, mon enfant terrible, (1979), Paris, Editions du Lézard, 1995.
-
[2]
S. Grof., L’ultime voyage : la conscience et le mystère de la mort (The Ultimate Journey : Consciousness and the Mystery of Death, (2006)), Ed. Guy Trédaniel, 2009, p. 476.
-
[3]
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000,
http://www.cirddalsace.fr/docs/revue_toxibase/pdf/dossier_halluci.pdf
http://www.cirddalsace.fr/docs/revue_toxibase/pdf/dossier_halluc2.pdf -
[4]
O. Chambon, La médecine psychédélique. Le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes, Editions les Arènes, Paris, 2009.
-
[5]
J. Delay, P. Benda, L’expérience lysergique, L’Encéphale, 1958, XL VIII, 3, p. 169-209, et 4, p. 309-344.
J. Delay, P. Pichot, P. Nicolas-Charles. : « Premiers essais de la psilocybine en psychiatrie », in Neuro-psychopharmacology, Eds Elsevier, Amsterdam, 1959, p. 528-531. -
[6]
C. Olievenstein, Contribution à l’étude du lsd-25 en Clinique psychiatrique, Thèse pour le Doctorat de Médecine, Paris, 1967.
-
[7]
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000,
-
[8]
Le premier travail d’envergure en français sur la phénoménologie des expériences psychodysleptiques, dans la suite du travail de Georges Lanteri Laura sur les « Hallucinations », est l’ouvrage de Jean Pierre Valla, L’expérience Hallucinogène, Masson, 1983.
-
[9]
R. Metzner, States of consciousness and transpersonnal psychology, in R. Vallee & S. Halling Ed., Existential and phenomenological perspectives in psychology, New York, Plenum Press, 1989.
-
[10]
T. Leary., G. Litwin., R. Metzner, « Reactions to psilocybin administered in a supportive environment », in Journal of Nervous and Mental Diseases, 1963, p. 137, p. 561-573.
-
[11]
R. Metzner, « Hallucinogens in psychotherapy and shamanism », Journal of Psychoactive Drugs, 1998, 30, 4, p. 335-336.
Gnoli A., Volpi F. : Le lsd et les années psychédéliques. Entretiens avec Albert Hofmann, Rivage Poche, Payot, Petite Bibliothèque, Paris, 2006. -
[12]
mdma = méthyl-dioxy-meth-amphétamine, substance entactogène (ou empathogène) de la famille des phényléthylamines ;
B. Eisner, Ecstasy : the mdma story, Ronin, Berkeley, CA, 1989
C. Sueur et al, « Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. », Revue Toxibase, partie i, 1999, et partie ii, 2000, C. Sueur, R. Cammas, B. Lebeau : « L’ecstasy au sein de la famille des substances psychédéliques : effets et dangerosité », Psychotropes, 2000, vol.6, 2, p. 9-71.
C. Sueur, Trip, speed and Taz, Psychotropes, 2004, vol.10, 1 61-97. https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2004-1-page-61.htm -
[13]
J. Arveiller, C. Sueur, « Iatrogénèse et production du savoir sur les toxicomanies », L’Evolution Psychiatrique, 1989, n° 54, 2, p.338-339.
-
[14]
La kétamine est un anesthésique, qui a la particularité de pouvoir être utilisé chez les sujets « fragiles » (enfants, personnes âgées), ou sur les champs de bataille, lorsque l’on n’a pas à disposition de matériel de réanimation, car il ne provoque pas de dépression respiratoire ou de risque sur le plan cardiaque ; par contre, les « réveils de kétamine » se caractérisent par des sensations de rêves éveillés, avec des éléments de délire ou d’hallucination ; à des doses infra-anesthésiques, elle produit des impressions de « sortie hors du corps », et elle a été utilisée à partir des années quatre-vingt comme une alternative aux drogues psychédéliques du type lsd, particulièrement par les membres des premières « tribus » techno (travellers).
-
[15]
La mescaline est le principal alcaloïde psychédélique présent dans deux espèces de cactus, poussant en zone aride d’Amérique du Sud, les Peyotl (Lophophora Willliamsii), et les San Pedro (Trichocereus Pachanoi ou Echinopsis pachanoi) du Pérou.
-
[16]
la psilocybine, avec la psilocine, sont les principaux alcaloïdes psychédéliques présents dans une espèce de champignons, les psilocybes.
-
[17]
La dmt (dimethyltryptamine), est présente dans l’ayahuasca qui est une infusion composée de Psychotria viridis, contenant la dmt et de la liane Banisteriopsi caapi, qui contient des enzymes (imao) ; ces deux substances entrent en interaction synergique permettant l’assimilation orale et digestive de la dmt, normalement détruite dans l’estomac par les sucs digestifs.
- [18]
- [19]
- [20]
-
[21]
O. Gollnhofer, R. Sillans : L’Iboga, psychotrope africain, Psychotropes, 1983, I, 1, 11-27.
J. W. Fernandez : Tabernanthe iboga : l’expérience psychédélique et le travail des ancêtres, in Furst P. T., « La chair des dieux. L’usage rituel des psychédéliques », Paris, Seuil, 1974, 219-248.
P. Barabe : La religion d’Eboga ou le Bwiti des Fanges, Médecine Tropicale, 1982, 12, 3, 251-257.
J. M. Janzen : De l’ancienneté de l’usage des psychotropes en Afrique Centrale, Psychotropes, 1983, I, 2, 105-107. -
[22]
R. Goutarel et coll., Pharmacodynamique et applications thérapeutiques de l’Iboga et de l’ibogaïne, cnrs, Gif-sur-Yvette, France, 1992.
-
[23]
Erika Dyck, Ph. D, est professeure et titulaire de la Chaire d’Histoire de la Médecine à l’Université du Saskatchewan au Canada. Elle est l’auteur de Psychedelic Psychiatry : lsd from Clinic to Campus, Johns Hopkins University Press, 2008, et :
E. Dyck, « Flashback : psychiatric experimentation with lsd in historical perspective », Canadian Journal of Psychiatry, 2005, 50, 7, p. 381-388. -
[24]
Editorial, « End the Ban on Psychoactive Drug Research », Scientific American (2014) 310 (2), p. 1-2,
http://www.scientificamerican.com/article/end-the-ban-on-psychoactive-drug-research -
[25]
C. Cooper, « Professor David Nutt : Why I think the terminally ill should take lsd », Independent, 2015 http://www.independent.co.uk/news/people/professor-david-nutt-why-i-think-the-terminally-ill-should-take-lsd-10092213.html
-
[26]
Takiwasi, http://takiwasi.com/fra/qs03.php
-
[27]
J. Mabit, « L’alternative des savoirs autochtones au « tout ou rien » thérapeutique », Psychotropes, Eds De Boeck, 2001, 7, 1, p. 7-18.
J. Mabit : Apport thérapeutique de l’ayahuasca dans le cas d’addictions, in Baud S. et Ghasarian C. : « Des plantes psychotropes. Initiations, thérapies et quêtes de soi », Editions Imago, Paris, 2010. -
[28]
J. PCh, « Nouvelle étape dans l’enquête sur les méthodes du centre péruvien TAKIWASI », SUD-OUEST, 15 mai 2004 http://www.psyvig.com/doc/doc_84.pdf
- [29]
-
[30]
Blog Hors les murs, La neuroimagerie du lsd : une première mondiale aux frontières de la science, republié sur Mediapart, 2017 https://blogs.mediapart.fr/horslesmurs/blog/260217/la-neuroimagerie-du-lsd-une-premiere-mondiale-aux-frontieres-de-la-science.
-
[31]
R. Doblin, « A clinical plan for mdma (ecstasy) in the treatment of post-traumatic stress disorder (ptsd) : partering with the fda », Bulletin du maps, 2002, XII, 3, p 5-17.
http://www.maps.org/news-letters/v12n3/12305dob.pdf
http://www.maps.org/research/mdma -
[32]
L. Grinspoon, J. Bakalar, Marihuana, the forbidden medicine. New Haven, Yale University Press, 1993, 184 p., traduction : Cannabis : la médecine interdite, Editions du Lezard, Paris, 1998.
-
[33]
Michka et coll., Cannabis médical. Du chanvre indien au thc de synthèse, Mama Editions, Paris, 2009, réed. 2015.
http://psypressuk.com/2015/02/03/rise-cannabis-modern-medicine
Ingold F.R., Sueur C., Kaplan C. D. : Contribution à une exploration des propriétés thérapeutiques du cannabis, Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 2015, Volume 173, Issue 5, 453-459. -
[34]
Le blog de Jean-Yves Nau, journaliste et docteur en médecine, Champignons hallucinogènes et thérapeutiques : les nouveaux espoirs psychédéliques, 2016.
https://jeanyvesnau.com/2016/05/17/champignons-hallucinogenes-et-therapeutiques-les-nouveaux-espoirs-psychedeliques/
Franck Daninos, « lsd, champignons hallucinogènes, les promesses ambiguës de la médecine psychédélique », Sciences et Avenir Hors-série automne 2014.
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-promesses-ambigues-de-la-medecine-psychedelique_15615
Véronique Marsollier, « Des champignons hallucinogènes pour lutter contre la dépression ? », scienceactualités.fr, 2016.
http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/science-actualites/detail/news/deschampignons-hallucinogenes-pour-lutter-contre-la-depression/?tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=0b446ea41c50cbea912f9c7d5ead5263
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-le-pouvoir-therapeutique-des-drogues-psychedeliques-18861.php
Documentaire – Reportage sur les hallucinogènes thérapeutiques,
https://www.psychoactif.org/forum/t22413-p1-Reportage-sur-les-hallucinogenes-therapeutiques.html
J. W. Jesso, « The Science Of Treating Depression With Ketamine », Psychedelic Bookc Review, 2016.
http://psypressuk.com/2016/02/08/the-science-of-treating-depression-with-ketamine/ -
[35]
J. Fadiman, The Psychedelic Explorer’s Guide, Park Street Press, 2011.
-
[36]
A. Gnoli, F. Volpi, Le L.S.D. et les années psychédéliques. Entretiens avec Albert Hofmann, Paris, Payot, 2004.