Notes
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[1]
Gilles Deleuze & Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ? Paris, Éditions de minuit, 1991.
Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de minuit, 1990. -
[2]
On pourra se reporter par exemple à l’article La sombre réalité du phénomène Tanguy (Libération, 4 juillet 2006).
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[3]
Voir par exemple le livre de Dominique Miller, La psychanalyse et la vie, Paris, Odile Jacob, 2005, ou encore, dans un autre style, l’article de Gilles Catoire, Les vicissitudes des identifications chez l’adolescent Tanguy, dans Les cahiers de Gestalt-thérapie, « D’un regard à l’autre », Cahier numéro 18, Paris, automne 2005.
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[4]
On peut trouver un article sur ce terme dans Wikipédia, l’encyclopédie sur internet.
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[5]
Chez Finkielkraut par exemple (dans ses livres de la fin des années 1980 comme La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1989).
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[6]
Nous faisons ici référence à la réforme engagée l’hiver dernier qui se nomme LRU. Pour connaître l’actualité du SLU, on se reportera au site : http://www.sauvonsluniversite.com/
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[7]
Nous invitons le lecteur à se reporter, sur la toile, au site de la SLU qui dresse un bilan de la situation.
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[8]
Voir l’article du New York Times du 13 octobre 2007 (http://www.nytimes.com/).
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[9]
On peut se reporter, entre autre, à l’émouvant article, Violences à Tolbiac, de Judith Revel, maître de conférences à la Sorbonne, qui fait état de la violence policière à la Sorbonne (article du 26 novembre 2007, Jourdan en lutte, Normal sup, EHESS, EEP consultable sur http://jourdanenlutte.blogspot.com/2007/11/violences-tolbiac-suite-le-rcit-dune.html).
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[10]
Plus exactement le locataire de l’Elysée parle de « politique de civilisation ». Cette expression fut employée lors de ses vœux de 2008, puis elle fut reprise dans le discours du 8 janvier 2008 où elle fut martelée plus d’une quarantaine de fois. Il s’agit d’une récupération du titre du livre d’Edgar Morin (Pour une politique de civilisation, Paris, Arléa, 2002).
-
[11]
Nous pensons bien sûr ici au texte de Kant qui dès son ouverture présente les Lumières comme le moyen pour sortir de l’état de minorité dans lequel se trouve l’homme. Kant, Qu’est-ce que les lumières ? Paris, Gallimard, 1992.
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[12]
Article republié dans le numéro 64/65 de la revue Chimères (Anti, printemps/été 2007).
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[13]
Ça ressemble à un canular mais n’en n’est a priori pas un. Il suffit d’aller sur la toile et de taper « détecteur de mensonges » (il s’agit d’un documentaire diffusé dans le journal télévisé).
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[14]
Citons, en vrac : la sécurité sociale, les retraites généralisées, l’ordonnance de 45, etc. Nous nous référons au projet politique du Conseil National de la Résistance, fondé par Louis Saillant, qui fut à la source de nombreuses transformations politiques et sociales dans la France d’après-guerre, qui était alors pourtant ruinée. Le lecteur curieux pourra aller sur Internet voir « L’appel des résistants » où ses anciens combattants appellent la jeunesse d’aujourd’hui à résister encore contre la tyrannie contemporaine des marchés. Il a été signé par Stéphane Hessel, Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Pierre Vernant, Germaine Tillion, Lise London et quelques autres. On peut se reporter au film : http://www.dailymotion.com/video/x1irg4_lappel-des-resistants_events. Nous pensons ici également à tous les dispositifs qui s’articulent autour de 68 (ou qui en sont peu ou prou des effets) et qui s’inscrivent dans la droite ligne de cette continuité de résistance : citons ici en vrac les CMP, les CMPP, l’assistance sociale, les maisons vertes, la CMU, etc. Autant d’institutions et de lois impensables qui tentent d’articuler le désir à des formes sociales concrètes. C’est la raison pour laquelle on peut les taxer d’irréalistes ou de foncièrement utopistes et pourquoi, de surcroît, elles sont vouées au déficit puisque leur logique n’est pas économique.
-
[15]
Rappelons que c’est dans les années soixante seulement que les départements de psychologie, de sociologie d’ethnologie, et tous les autres furent fondés. Époque dans laquelle la psychanalyse put nourrir la psychiatrie, l’anti-psychiatrie, et qu’ainsi purent se développer des approches différentes de la folie, de l’exclusion, des minorités, etc.
-
[16]
Parole forte issue d’un discours de la course à la présidentielle de 2007.
- [17]
-
[18]
Où le gouvernement donne une cérémonie on ne peut plus médiatisée sur un des lieux de la résistance de la Seconde guerre mondiale, le Plateau de Glières.
-
[19]
C’était l’objet de l’article 4 de la Loi du 23 février 2005 et de son deuxième alinéa où il s’agissait de reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
-
[20]
Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Éditions de minuit, 1986, p. 123 (note 45).
-
[21]
C’est le cas de Pascal Bruckner qui fait passer la critique tiers-mondiste pour une farce. Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 2002.
-
[22]
Rappelons ici l’aphorisme de Charles le Téméraire que Guillaume le Taciturne reprit à son compte : « Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
-
[23]
A l’image de nos années sombres, une revue anti-utopique a été effectivement créée fort récemment, intitulée « Le meilleur des mondes », par où se révèle l’émergence de la droite intellectuelle et universitaire (où l’on retrouve l’ancien camarade Bruckner) et dont le titre même indique bien l’entreprise : participer à créer et à diffuser la novlangue du pouvoir à venir. On peut notamment se reporter au site internet : http://www.lemeilleurdesmondes.org/ (cette revue est publiée par Denoël).
-
[24]
C’est ce que proposait déjà à la fin des années 1990 l’ancien anarcho-maoïste Glucksmann que l’on retrouve dans la fameuse revue. Il propose de partir d’une appréhension du Mal (avec un M majuscule s’il vous plaît !) pour pouvoir définir un bien relatif. Auteur pour lequel (la formule mérite d’être méditée pour se faire une idée de ce qu’il veut) « tenir le langage est pour le gouvernement nécessité » (André Glucksmann, Le bien et le mal, Paris, Robert Laffont, 1997). Personne ne s’étonnera en vertu de telles prémices qu’il ait personnellement soutenu notre actuel président.
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[25]
François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978.
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[26]
Ce n’est pas un hasard si lors de la parution de son livre, Le juif de savoir, Jean-Claude Milner dans une émission sur France-Culture du 13 janvier 2007 déclara : « J’ai ma thèse sur ce que veut dire “héritiers” chez Bourdieu. Les héritiers, c’est les juifs. Je crois que c’est un livre antisémite » (Jean-Claude Milner, Le juif de savoir, Paris, Grasset, 2006). On notera aussi ce commentaire d’un article de Libération du 1er décembre 2006 sur le livre de Milner, qui résume la position de l’auteur : « Comme lui, ils ont eu 20 ans dans les années 1960 et ont été d’extrême gauche. Comme lui, ils sont d’une génération où la théorie fit rêver la pratique. Milner est l’histoire de leur regret : avoir cru que les idées pouvaient déterminer la politique ».
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[27]
On pense ici à la commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali à laquelle certains chercheurs en sciences humaines de renom se sont associés. On se reportera au livre de Jacques Attali, 300 décisions pour changer la France, Paris, XO éditions, 2007.
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[28]
Nous pensons ici par exemple à Indymèdia constamment remis en question et critiqué par les médias installés. En effet, sur ces médias ce sont les acteurs sociaux qui produisent eux-mêmes et en temps réel de l’information. On se reportera à l’adresse suivante : http://www.indymedia.org/fr/
« Et la honte d’être un homme nous ne l’éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Lévi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d’existence qui hantent les démocraties, devant la propagation de ces modes d’existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. L’ignominie des possibilités de vie qui nous sont offertes apparaît du dedans. Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. Nous ne sommes pas responsables des victimes, mais devant les victimes. Et il n’y a pas d’autre moyen que de faire l’animal (grogner, fouir, ricaner, se convulser) pour échapper à l’ignoble : la pensée même est parfois plus proche d’un animal qui meurt que d’un homme vivant, même démocrate. »
« Je crois que Guattari et moi, nous sommes restés marxistes. [1] ».
La danse de Tanguy ou Tanguy et la loi d’autonomie sur les universités
1Au début des années 2000, les « journalistes » ne tardèrent pas à voir en la sortie du film Tanguy un phénomène de société [2]. Le personnage principal, une espèce de grand adolescent attardé et sympathique, n’était certes pas sans provoquer un certain attendrissement amusé. Le film met en effet en scène la vie d’un jeune homme poursuivant inlassablement ses études au crochet de ses parents. Agrégé de philosophie, donnant ponctuellement des cours à l’université, Tanguy prépare une thèse sur l’émergence de la subjectivité en Chine. Mais, bien que brillant, il vit toujours chez ses parents. Fort de ce tableau, certains psychanalystes renchérirent à la suite de la critique journalistique et n’hésitèrent pas à élever Tanguy au rang de nouveau symptôme [3] : la clinique nouvelle témoignait de pareils cas... C’est également à la même période, et dans l’esprit de cette vulgate, qu’un mauvais néologisme est créé : on parle d’« adulescent », terme censé décrire ce phénomène des adultes qui refusent de grandir [4]. Bientôt il ne fut plus question de Tanguy mais du « phénomène Tanguy », formule par laquelle on prétendait élever le film au rang d’un objet propre à établir un diagnostic social. Le film fut en quelque sorte promu au rang de « signifiant », fut-il éphémère, pour le champ « médiatico-intellectuel » de l’époque. Il n’est bien sûr pas systématique qu’un film fasse l’objet de commentaires sociologisants de la part des médias. Mais lorsque cela arrive, il est intéressant de se demander pourquoi. Car bien souvent, l’analyse médiatique vise de tous autres buts que l’objectivité à laquelle elle prétend (elle-même sous-tendue par un soi-disant diagnostic). On peut se souvenir par exemple qu’un film comme La Haine provoqua un engouement analytique encore plus important. Dans un cas comme dans l’autre, on peut facilement repérer comment ces films entrent en collusion tout autant avec d’autres discours déjà constitués qu’avec divers préjugés. Malgré leurs différences essentielles, ces deux films servirent de prétextes pour exemplifier – notamment en s’articulant au discours journalistique commun de « l’absence de repères » ou à la « critique du jeunisme » (comme on la trouve par exemple chez les nouveaux philosophes [5]).
2Si les commentaires autour de La Haine donnèrent lieu, on s’en souvient, à nombres polémiques, ce ne fut guère le cas de Tanguy. Était-ce parce que le personnage principal était un « fils de bonne famille » et non un « jeune des banlieues » qu’aucune discussion de fond n’eut lieu et que la critique fut unanime ? Les effets du film La Haine sont de ce point de vue sans précédent : il n’est pas exagéré de dire qu’il donna lieu à un véritable « retour dans le réel ». On ne se disputa pas seulement sur l’interprétation à lui donner : le film déclencha des rixes bien réelles et de réelles « émeutes » chez ceux qu’il prétendait mettre en scène. À l’inverse, pour Tanguy donc, il n’y eut aucun débat. On nous martela que Tanguy témoignait en fait d’une inquiétante difficulté à s’insérer… On moralisa… Malgré le caractère douteux et sulfureux de cette interprétation, elle fit consensus et fut reprise en chœur. Le « phénomène Tanguy » fut en effet analysé comme relevant d’une « immaturité » caractéristique – voire d’une irresponsabilité de la « jeunesse » – de ce début de siècle. En renfort de cette interprétation, certains arguments forts savants furent même déployés : Freud n’avait-il pas diagnostiqué l’impossibilité de travailler comme relevant de l’impuissance ? Au fond, Tanguy n’était-il pas impuissant ? Et il est vrai que Tanguy, apparemment et malgré le fait que, dans le film, il « couche » beaucoup, n’est pas très sexe comme on dit…
3Pourtant, au-delà de son apparente bonhomie, il se pourrait que si Tanguy fit tant parler et, en même temps, fut tant décrié, ce fut parce qu’il se jouait dans la position subjective de ce personnage bien autre chose que ce que la critique voulut en dire. L’épanchement consensuel de la critique médiatico-journalistique est en lui-même plus que suspect. Pourquoi une telle unanimité ? Pourquoi une telle précipitation à vouloir interpréter et boucher (comme on bouche une vue) la question que vient poser ce personnage ? Car le vrai problème n’est certainement pas « l’irresponsabilité » de Tanguy, ou sa volonté de ne pas quitter le confort du domicile parental et les avantages divers qu’il en retire (« piller » la cave de son père, avoir ses lessives toutes faites, ou s’exempter des tâches ménagères quotidiennes). Le scandale est peut-être plus simplement qu’il veut, à l’encontre du sens commun, continuer sa thèse universitaire sur un sujet abscons. En d’autres termes, non seulement Tanguy ne veut pas travailler au sens classique du terme et, en même temps, Tanguy veut étudier. N’y a-t-il pas là des noces contre-nature ? Le sens commun voudrait, en effet, soit qu’on étudie pour travailler un jour, soit, a minima, que l’étude et le travail soient de même nature. Or, la proposition que formule Tanguy est précisément qu’en même temps il ne veut pas travailler et il veut étudier. On le voit bien : ce film appelle, du coup, une toute autre interprétation que celle qui, à l’époque, fut donnée. Et n’est-ce pas précisément cette même formule problématique et paradoxale proposée par ce personnage (formule qui désunit fondamentalement le travail et l’étude des humanités) que l’on retrouve aujourd’hui dans toute son acuité avec le cours des réformes actuelles concernant l’université ?
4L’actualité la plus récente vient en effet rétrospectivement éclairer cette interprétation. On remarquera que la réforme des universités a été adoptée cet hiver en France dans un silence médiatique assourdissant [6]. Le collectif des personnels universitaires pour tenter d’y parer, le SLU (« Sauvons l’université »), est d’ailleurs toujours actif. L’enjeu est de taille et le risque bien grand. La bien mal nommée loi sur l’autonomie de l’université consiste en sa privatisation. Il faut dire que, déjà un peu partout en Europe, le système est mis en place : ainsi en Autriche, à Vienne, l’université est rebaptisée université-Nestlé et depuis quelques années à l’université Toulouse Le Mirail, un master II de « développement durable » est financé par Total [7]. L’Allemagne n’est pas en reste : l’hiver dernier des conflits éclataient, les coûts d’inscription pour les étudiants ayant significativement augmenté. Mais comment pourrait-il en être autrement ? L’autonomie financière des universités, puisque c’est de cela qu’il s’agit, ne pourra que s’indexer aux contraintes du marché. Si l’on pensait que les idées pouvaient changer le monde et que l’université, jouissant d’une relative liberté matérielle, pouvait influer sur le cours de la société démocratique, c’est raté ; car aujourd’hui c’est bien le monde de la mondialisation et de la société marchande qui met au pas le monde des idées et de l’université. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans son récent discours d’investiture, la nouvelle présidente de Harvard rappelait l’impérieuse nécessité de défendre les valeurs de l’enseignement supérieur menacées par les exigences d’évaluation des enseignements et l’obligation de former la main-d’œuvre destinée à une économie mondialisée. L’université, disait-elle, est par tradition avant tout « l’organisatrice d’une tradition vivante », où l’enseignement et la connaissance sont valorisés en partie « parce qu’ils définissent ce qui, à travers les siècles, a fait de nous des humains et non parce qu’ils peuvent améliorer notre compétitivité mondiale » [8].
5Il y a en vérité toutes les raisons du monde pour que certaines des idées qui sont encore produites et divulguées dans les universités actuellement y demeurent cantonnées et que l’on cherche à diminuer le nombre de personnes pouvant y accéder ou vivre de leur diffusion. Il y a même toutes les raisons du monde, qui ne sont autres que celles de la mondialisation marchande, pour qu’on accroisse aujourd’hui la concurrence à l’intérieur des universités tout autant qu’entre elles (et donc entre les membres qui les constituent) et que, dans le même temps, on dissuade le plus grand nombre de vouloir faire des « Humanités critiques » que l’on stigmatisera en raison de leur « nullité oiseuse » ou de leur « inutilité » (ce qui sera bien entendu ici un pléonasme). Il se pourrait en fin de compte que le personnage douceâtre de Tanguy, tout comme le consensus médiatique dont il fut l’objet, ne faisaient que masquer la violence des enjeux en cours. Quel sens peut avoir ce personnage de grand étudiant en apparence un peu benêt en ce début de siècle ? Que l’on y réfléchisse à deux fois : qu’y a-t-il dans le fait de vouloir prolonger ses Humanités sans fin, de vouloir faire de l’histoire de l’Art, ou de l’ethnologie, ou des études aussi « nulles » que sont la philosophie ou l’archéologie égyptologique, sinon un certain désir de s’arracher à sa minorité et le refus de collaborer à la condition sociale de travail contemporaine imposée ? Qu’y a-t-il dans cette insistance massive envers et contre tout (c’est-à-dire malgré la menace de l’incertitude de l’avenir que l’on fait peser), sinon l’expression d’une résistance à l’aliénation sociale par le travail dont ils savent (les « jeunes ») qu’elle leur pend au nez, puisque certains en ont décidé ainsi à leur place et « pour leur bien » ? La démocratie ne vaut que pour l’excellence des destins qu’elle peut offrir à tous : la « tanguysation » ne serait donc pas un signe (mauvais, forcément mauvais) de décadence, mais plutôt un signe de bonne santé. Il est en effet plus que manifeste que le travail salarié actuel va de plus en plus à l’encontre de l’étude des Humanités. Et, finalement, il se pourrait que ce soit ce problème qu’il s’est agi de taire, que la critique a mis tout son effort, à l’époque, à conjurer. En tout état de cause, pour un Tanguy si doux et policé dans le film, de nombreux Tanguy, cet hiver, ont manifesté contre la réforme de privatisation de l’université. Manifestations que les journaux se sont bien gardés de relayer : de nombreux Tanguy se sont pris des gaz lacrymaux et des coups par les policiers [9].
Le XXIe siècle aura-t-il lieu ? Le projet de civilisation…
6Le fait que le phénomène de prolétarisation s’étende aujourd’hui au point d’atteindre les classes intellectuelles, jusqu’à se généraliser au plus grand nombre, n’est peut-être pas une situation nouvelle et se révèle même somme toute assez « classique » - elle renvoie au pouvoir du Prince, tel qu’on peut la rencontrer décrite par Machiavel. Il n’y a donc pas à être si étonné face aux gouvernants actuels qui nous parlent de « projet civilisateur » [10] et il y a même peut-être à prendre l’affaire très au sérieux. Que cherchent-ils au fond, ces princes ? Que veulent-ils ? Quel est le fantasme ou le désir inconscient qui les animent sinon celui de vouloir rétablir une « situation de minorité » [11] pour le plus grand nombre (condition dont on pensait avoir pu s’extraire sous les coups conjugués des Lumières, de la critique moderne et postmoderne), le renvoyant à cette situation comme à la condition sociale « naturelle » ?
7Dans un article de 1984 de Deleuze et Guattari, mai 1968 n’a pas eu lieu [12], les auteurs réfléchissent sur le rapport du désir singulier aux institutions. Attribuant à mai 1968 le statut d’événement pur (en ce qu’il ne s’inscrit pas dans une causalité simple et qu’il relève d’une véritable poiésis), ils diagnostiquent un hiatus entre le désir qui émergea à ce moment-là et l’absence de réformes institutionnelles véritables capables de porter ou de réaliser concrètement ce dont celui-ci était porteur. Le constat est simple : en 1984, les enfants de 68 existent bel et bien, mais ils sont en déshérence, « bien plus cultivés que le premier venu qui pourrait les faire travailler dans un boulot minable ». Ce que soulignent Deleuze et Guattari, c’est qu’il existe un rapport problématique et constituant entre le désir subjectif et micropolitique d’une part, et les institutions sociales qui doivent s’y articuler d’autre part. À l’aune de cette hypothèse, que peut signifier aujourd’hui en 2008, les réformes des institutions promues par le gouvernement, et quel désir traverse ces réformes ?
8On ne peut en effet passer sous silence ces réformes qui visent à « moderniser » la société française pour la mettre à la page de l’Europe. Car ce n’est pas seulement de la loi d’autonomie des universités dont il est question, mais d’une mise au pas de la société : on réforme ainsi toutes les institutions sociales en même temps : de l’« assurantialisme » médical s’insinuant par les « franchises », à la privatisation totale de la santé en cours, sans parler du contrôle des sans papiers (ce qui est symptomatique de la société de contrôle généralisé prédite par Foucault), des rafles d’enfants et surtout d’adultes dans le Xe arrondissement de Paris et ailleurs, des prolongements de peine de « sûreté » pour les « criminels dangereux », des fermetures de centres pour réfugiés au profit de camps d’internement en attente de déportation, de la remise en cause du principe d’irresponsabilité pénale des fous, des tests ADN judiciaires, de la constitution d’un ministère de l’identité et de l’immigration, ou plus récemment encore du fichier Edvige… Mais la France n’est-elle pas encore en retard ? L’Angleterre n’a-t-elle pas déjà mis en place un détecteur de mensonges pour les chômeurs [13] ? Il est vrai qu’à ce rythme effréné de réformes, on n’est pas loin de se dire qu’il ne manque à cette série infernale de « mesures modernes » que le rétablissement de la peine de mort, réforme dont, il n’y a pas à en douter, certains doivent rêver la nuit, à défaut de ne pas pouvoir, pour le moment, la souhaiter en plein jour.
9Si, donc, on soutient aujourd’hui encore l’hypothèse deleuzo-guattarienne développée dans mai 1968 n’a pas eu lieu, force est de constater que la situation s’est terriblement aggravée. Le discours médiatico-politique et les mesures politiques en cours ne visent plus 68 mais s’attaquent à une couche archéologique bien en deçà de 68. Ce n’est plus seulement mai 1968 qu’il s’agirait de liquider, ni même les Humanités critiques qu’il faudrait, institutionnellement, dompter, mais c’est bien toute la subjectivité et les institutions héritées de l’après-guerre (espace dans lequel mai 1968 éclôt) qu’il s’agit d’éradiquer. Le mot de « civilisation », apparemment si incongru dans la bouche de ces princes, n’est donc pas à prendre à la légère : il ne relève pas d’un populisme de communicant, pas plus qu’il n’est une preuve supplémentaire de la foncière incohérence de la politique en cours. Au contraire : la politique institutionnelle actuelle prend l’exact contre-pied du projet politique du Conseil National de la Résistance qui promulgua une myriade de lois et créa nombre d’institutions sociales dont on peut dire que la valeur commune fut bien une certaine idée de la solidarité [14]. Il n’est peut-être pas exagéré de dire que ce projet politique constitua l’armature ou la structure institutionnelle de toute la deuxième moitié du xxe siècle, qu’il fut l’impulsion essentielle qui se poursuivit jusque dans les années 1970, qui fit fleurir les sciences humaines critiques [15], qui irradia le tissu socio-politique qu’il put ainsi nourrir.
10Nous soutenons, du point de vue de l’Histoire, que la période relative à la vie de l’esprit et à la vie des hommes de la seconde moitié du xxe siècle que nous venons de traverser, et dont nous sommes les héritiers, fut bien, en fait, d’une richesse inégalée en avancées socio-politico-institutionalo-idéologiques (ne serait-ce que par la possibilité inédite pour un nombre incroyable d’individus d’accéder aux études supérieures sans capital financier) et nous soutenons de plus que ce mouvement toucha la plupart des pays européens. Aujourd’hui, la « civilisation » promise par les gouvernants de France et d’Europe va clairement à l’encontre de ce que nous avons connu jusqu’alors, d’où la violence du choc et l’étrange sentiment d’un retour en arrière pour bon nombre d’entre nous. Ce n’est donc pas un hasard si les réformes actuelles se font toutes en bloc et si elles s’effectuent sur tous les fronts en même temps. L’actuelle réforme des institutions relève bien d’un « projet de civilisation » et ce dernier est mené de manière méthodique. C’est bien toute une géographie qui change, c’est bien à tout un déplacement historico-subjectif auquel on assiste aujourd’hui : c’est un monde qui meurt.
11C’est ainsi que les forces en mouvement sur la scène française (et européenne) sont essentiellement réactives. Elles sont réactives parce qu’elles sont d’abord dirigées, comme nous l’avons dit, contre toutes les institutions sociales héritées de l’après-guerre ; mais elles sont réactives également, et de manière plus insidieuse et moins visible (et peut-être plus fondamentale) encore, au sens où elles cherchent à corroder toute possibilité d’émancipation en général. Cela se repère dans la forme et la nature du discours dont elles se soutiennent, car c’est l’histoire même du mouvement d’émancipation du xxe siècle qu’elles visent. Ainsi, tout en fustigeant « 68 » [16], ce discours aura tout à gagner à s’accaparer d’autres prestiges comme celui du nom de Guy Môquet [17]. À défaut de pouvoir être d’accord avec « Mai », on clamera par monts et par vaux son accord avec « Guy » et la Libération [18]. Car on aura tout à gagner à brouiller la lecture de l’histoire jusqu’à la rendre impossible, jusqu’à la disloquer. Il est dans la nature du discours réactif de chercher à faire perdre de vue les preuves que le désir a pu produire à travers toute une série d’événements : c’est sa nature d’être révisionniste et de chercher à reconstruire l’Histoire. C’est ainsi que nombreux sont ceux qui la réécrivent au point de pouvoir faire douter, voire de convaincre, qu’une histoire de l’émancipation ait pu vraiment exister. Car que font-ils d’autre, ceux qui, pour parler de l’abomination de la colonisation, osent émettre et soutenir l’idée de ses « effets positifs » [19] ? On ne dira jamais assez combien il faut de cynisme, de rouerie ou d’hypocrisie pour soutenir de telles assertions. La tentative, il est vrai, fut ici grossière et elle échoua. Mais il faut noter que lorsqu’elle s’avance plus finement, alors elle peut tout aussi bien réussir. Ce révisionnisme insidieux et latent, véritable poison pour les esprits, est la condition préalable pour toute véritable obéissance à venir. Mais si, tout de même, peu de monde fut dupe sur la nature de cette alliance entre le gouvernement actuel et la Résistance (elle fut bien trop exhibée pour pouvoir tromper quiconque sur sa sincérité) ou sur la positivité de la colonisation, cela aura eu cependant pour effet d’entretenir la confusion et de nous plonger dans la désagréable sensation qu’il s’agissait d’une hallucination ou d’un mauvais rêve que l’on aurait pu chasser. C’est à mesure que les preuves du discours réactif sont écoutées (voire crues), que les preuves mêmes du désir tendent à s’amenuiser et l’impuissance à proliférer : la première aliénation est toujours imaginaire. Et c’est ainsi que « tous n’en mourraient pas, mais tous en étaient frappés ». Deleuze rappelait déjà en 1986 qu’à lire certaines analyses, on croyait que 1968 s’était passée dans la tête d’intellectuels parisiens [20]. De la même manière, la portée de la communication contemporaine des mass media, tout à fait inédite, n’a fait qu’amplifier ce phénomène de déréalisation et d’édulcoration. Elle a investi aujourd’hui le corps de l’histoire et de la langue, elle travaille pour effacer peu à peu le visage de l’homme non pas, comme le fait Foucault, pour le libérer de son image, mais pour mieux le discipliner aux images.
12Il est évident que la novlangue en cours d’élaboration et l’inflation sémantique autour de termes aussi vides que « terrorisme », « assistanat », « galère », « irresponsabilité », « prise d’otage », « manque de repères », « risque », « sécurité », mots qui sont appliqués à tous les phénomènes sociaux, ont fini par payer, au profit de ceux qui les ont conçus et distribués en les martelant à qui mieux mieux. L’imaginaire social est désormais finement ciselé par la rhétorique réactionnaire qui l’a monopolisé et qui diffuse des affects spécialement rétrogrades, dont le principal est la peur, levier opératoire du pouvoir politique contemporain (ce que pourrait nous montrer l’analyse spinoziste des affects). S’ils sont grands, c’est parce qu’ils nous ont mis à genoux, disait déjà La Boétie : à l’aphonie du monde des idées répond le bavardage incessant du nouvel esprit du capitalisme.
13On comprend les raisons pour lesquelles Marx était contre l’Europe : il y voyait, à juste titre, la version bourgeoise de son « Internationale ». Il faut donc rire au nez de ceux qui pensent que l’on pourrait moraliser le marché sans lever le petit doigt. Tout comme il faut dénoncer l’ignominie de ceux qui affirment qu’une révolte ou qu’une grève se produit « parce qu’on aurait mal communiqué ». L’hypocrisie du « consensus universel » masque bien, en fait, la volonté d’une domination universelle larvée. Toute libération ne peut avoir lieu que dans la violence (symbolique ou réelle) qui s’exprime dans des combats dont l’exigence impérieuse et indomptable peut faire plier, au moins pour un temps, la violence des pouvoirs et des formes d’oppression qui prétendent parler au nom du bien.
Marx désirant et la violence de l’histoire
14Cependant, à se tourner plus loin dans le passé, on verra aussi bien que l’histoire des hommes en général se fait plus à coup de guerres entre les peuples pour des intérêts qui ne sont jamais les siens, et que les civilisations, rivalisant en barbarie, se fondent bien souvent à partir de l’écrasement des minorités qu’elles décrètent barbares, le plus souvent sans les connaître, afin de s’exempter de l’épreuve de la rencontre de leurs différences (que l’on se souvienne à ce sujet que la « conquête de l’ouest », c’est d’abord le génocide du peuple indien ou que la puissance de l’Europe résultait avant tout de ses colonies). Mais c’est justement en connaissance de cause que nous pouvons dire, en fin de compte, que la période dans laquelle nous avons grandi et qui nous a nourris, qui nous a fait être, nous qui nous tenons là debout aujourd’hui dans ce vacarme, époque dont nous disons aussi qu’elle ne fut pas intrinsèquement rose, ni vierge ni exemptée de sang, nous affirmons donc que cette période se révèle malgré tout, au regard de l’histoire en général et de ce qui s’y passe « classiquement », un moment relativement généreux au vu des combats d’émancipations qui s’y sont menés et de leurs fruits qui furent relativement partagés. En d’autres termes, nous savons à la fois que nous avons connu une certaine opulence dont nous reconnaissons la valeur désirante, et en même temps, nous savons que cette opulence n’est pas la condition la plus fréquente de la vie de l’esprit et de la vie des hommes en société dans l’Histoire, mais bien son exception. Nous sommes donc marxistes au moins au sens où plus la domination est grande dans l’histoire sociale et plus Marx a raison ; au sens où le marxisme, c’est avant tout une histoire de Désir car Marx est désirant.
15Loin de nous donc le diagnostic réducteur de la décadence généralisée, l’idée du « sanglot de l’homme blanc » qui s’apitoie dans l’intériorité de sa mauvaise conscience, et dont certains se plaisent à dénoncer l’inanité, pour mieux faire l’impasse sur la cruauté bien réelle des faits qui pourtant se produisirent, se produisent et se produiront encore de façon effective [21]. Le lecteur l’aura compris, il ne s’agit pas d’échouer sur l’écueil de l’idéalisation d’un temps passé et dans la feinte nostalgie d’un paradis perdu qui serait celui de notre époque qui semble finir, d’un monde qui meurt. Il s’agit même de l’inverse. Prendre acte du fait que ce « retour en arrière » qui est bien le nôtre n’implique ni que l’on désespère [22] ni qu’on l’essentialise, mais plutôt qu’on s’y affronte, car ce temps est le nôtre, ce temps c’est nous-mêmes. Et s’il s’y manifeste une certaine violence (violence qui est de la plupart des époques), c’est aussi bien nous-mêmes qui sommes violents. La possibilité que peut-être les temps à venir continueront à s’assombrir (peut-être même jusqu’à l’obscurité de la guerre), nous convoque : il s’agit et il s’agira bien peut-être de se montrer à la hauteur de la situation, comme d’autres, en d’autres circonstances, en donnèrent l’exemple.
16De ce point de vue, on ne peut que s’interroger sur les véritables motifs de ceux qui, a contrario, s’autoproclament « anti-utopistes » [23] et prétendent aborder l’homme à partir de son « fond mauvais », ou de ses « mauvais actes » pour en tirer des enseignements politiques. Forts du « mal » dans l’histoire, ils prétendent en tirer un bien relatif [24]. Cette soi-disant nature mauvaise de l’homme, qu’ils exhibent comme leur trouvaille, leur distinction et en fin de compte comme un misérable épouvantail, n’est-elle pas simplement l’expression de leur mauvaise conscience ? Deleuze nous avait déjà mis en garde : constater que les révolutions tournent mal [25] non seulement n’indique rien sur la révolution, mais empêche surtout tout devenir révolutionnaire. De même aujourd’hui, exploiter sans vergogne l’horreur de la Shoah et du goulag en les agitant comme l’abomination absolue n’est rien d’autre que le moyen pour ne pas voir les horreurs qui chaque jour se produisent. Cette métaphysique de la barbarie [26] a, en fait, des buts politiques : affirmer que « les bonnes intentions conduisent toujours au goulag » permet de rendre impossible toute critique du temps présent. Il s’agit de tuer dans l’œuf toute possibilité de remise en cause de l’ordre existant. Mais n’est-ce pas là une morale du renoncement qui s’exprime ? Car s’autoriser à parler au nom d’un mal absolu, n’est-ce pas dénier sa propre cruauté, sa propre violence ? Et n’est-ce pas la condition du prêtre, telle que la décrit Nietzsche, d’être bien trop coupable pour reconnaître à la violence des vertus ?
17C’est de ce savoir cruel qui les insupporte et qu’ils rejettent, que nous avons justement le goût car c’est à partir de lui que nous désirons l’opulence, que nous réclamons encore aujourd’hui, et plus que jamais, la surabondance. En ce sens toute véritable utopie est au contraire toujours du côté d’une certaine virilité (au sens nietzschéen du terme) : elle assume cette part d’ombre de l’époque, et faisant l’épreuve de la pulsion de mort, s’affronte à son destin. S’exposer à la puissance du désir c’est s’exposer à un certain danger propre à toute vie. Et si le désir relève d’une certaine cruauté, sa force n’est jamais dans le pouvoir qui n’est toujours qu’une puissance ratée, une puissance de raté.
18Aussi, a contrario de ceux qui tentent de fermer ce moment désirant que fut la période où nous grandîmes, comme une vulgaire parenthèse de l’histoire, il se peut fort bien que nous soyons plus nombreux qu’il n’y semble à ne pas céder sur notre désir, à persévérer pour que la brèche entrouverte le reste. Il se pourrait que nous soyons plus nombreux qu’il n’y paraît à poursuivre les traces de cette piste incertaine et ancienne en train de s’effacer dans la tourmente de la tempête de neige du grand hiver contemporain ; barbares qui, inspirés par un esprit aventurier ou furieux (tel l’esprit du peuple qui manque), soutiennent sans relâche l’impérieuse exigence de l’idée du printemps à venir. Car c’est dans la mesure même où l’on peut se soutenir de l’inactualité de quelque chose comme un printemps et de sa surabondance (dans la mesure de la patience du germe rhizomique), que toute réelle floraison se prépare et peut advenir. Et que vouloir d’autre d’ailleurs que le printemps, en ces temps d’austérité où l’impuissance semble généralisée au point d’atteindre aujourd’hui la matérialité même du tissu d’une université dont la décrépitude avancée va croissant avec la montée de l’injustice sociale et de la violence que l’on cherche à criminaliser ? Ce n’est pas un hasard si l’on crée massivement des prisons et si l’on privatise dans le même temps les universités, c’est-à-dire si on les ferme de facto au plus grand nombre (conformément au vaste projet nihiliste de libérer-déchaîner contre l’individu une croissance anonyme [27]). Et si Hugo est à nouveau d’actualité, la révolte de Spartacus l’est certainement tout autant : lui qui, partit seul, « revint des millions ». Car, les hordes nomades qui paraissent désunies ne le sont peut-être pas, tant elles semblent guidées par une intelligence animale commune qui les conduit à entraver les chemins, à saboter les voies du grand Commerce, à prendre possession des rues par des émeutes ou à mettre le feu aux villages voisins des grandes cités, non pas pour piller ou violer mais pour le plaisir même de brûler et de détruire.
19C’est peut-être d’avoir oublié cela, c’est-à-dire d’avoir oublié en quoi le désir s’exprime dans des moments de l’Histoire pour faire irruption dans une poussée libidinale, que peut se comprendre avant tout le malaise contemporain dans la civilisation. Tout malaise est d’abord le signe symptomatique d’une impuissance. Et ce n’est certainement pas un hasard si les « intellectuels-de-la-lamentation » et le discours politique contemporain se recoupent dans leur condamnation des événements de « 68 » ou de ceux de « Villiers-le-Bel » ou dans leur tentative de mainmise sur des médias contestataires [28]. En vérité ils ne les comprennent pas : le désir qui s’y exprime est trop immoral pour pouvoir être digéré ; il est en vérité bien trop sexuel, comme l’est toute véritable parole de l’histoire, et visiblement, compte tenu des cracks boursiers actuels, l’histoire n’a pas dit son dernier mot.
Notes
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[1]
Gilles Deleuze & Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ? Paris, Éditions de minuit, 1991.
Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de minuit, 1990. -
[2]
On pourra se reporter par exemple à l’article La sombre réalité du phénomène Tanguy (Libération, 4 juillet 2006).
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[3]
Voir par exemple le livre de Dominique Miller, La psychanalyse et la vie, Paris, Odile Jacob, 2005, ou encore, dans un autre style, l’article de Gilles Catoire, Les vicissitudes des identifications chez l’adolescent Tanguy, dans Les cahiers de Gestalt-thérapie, « D’un regard à l’autre », Cahier numéro 18, Paris, automne 2005.
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[4]
On peut trouver un article sur ce terme dans Wikipédia, l’encyclopédie sur internet.
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[5]
Chez Finkielkraut par exemple (dans ses livres de la fin des années 1980 comme La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1989).
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[6]
Nous faisons ici référence à la réforme engagée l’hiver dernier qui se nomme LRU. Pour connaître l’actualité du SLU, on se reportera au site : http://www.sauvonsluniversite.com/
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[7]
Nous invitons le lecteur à se reporter, sur la toile, au site de la SLU qui dresse un bilan de la situation.
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[8]
Voir l’article du New York Times du 13 octobre 2007 (http://www.nytimes.com/).
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[9]
On peut se reporter, entre autre, à l’émouvant article, Violences à Tolbiac, de Judith Revel, maître de conférences à la Sorbonne, qui fait état de la violence policière à la Sorbonne (article du 26 novembre 2007, Jourdan en lutte, Normal sup, EHESS, EEP consultable sur http://jourdanenlutte.blogspot.com/2007/11/violences-tolbiac-suite-le-rcit-dune.html).
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[10]
Plus exactement le locataire de l’Elysée parle de « politique de civilisation ». Cette expression fut employée lors de ses vœux de 2008, puis elle fut reprise dans le discours du 8 janvier 2008 où elle fut martelée plus d’une quarantaine de fois. Il s’agit d’une récupération du titre du livre d’Edgar Morin (Pour une politique de civilisation, Paris, Arléa, 2002).
-
[11]
Nous pensons bien sûr ici au texte de Kant qui dès son ouverture présente les Lumières comme le moyen pour sortir de l’état de minorité dans lequel se trouve l’homme. Kant, Qu’est-ce que les lumières ? Paris, Gallimard, 1992.
-
[12]
Article republié dans le numéro 64/65 de la revue Chimères (Anti, printemps/été 2007).
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[13]
Ça ressemble à un canular mais n’en n’est a priori pas un. Il suffit d’aller sur la toile et de taper « détecteur de mensonges » (il s’agit d’un documentaire diffusé dans le journal télévisé).
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[14]
Citons, en vrac : la sécurité sociale, les retraites généralisées, l’ordonnance de 45, etc. Nous nous référons au projet politique du Conseil National de la Résistance, fondé par Louis Saillant, qui fut à la source de nombreuses transformations politiques et sociales dans la France d’après-guerre, qui était alors pourtant ruinée. Le lecteur curieux pourra aller sur Internet voir « L’appel des résistants » où ses anciens combattants appellent la jeunesse d’aujourd’hui à résister encore contre la tyrannie contemporaine des marchés. Il a été signé par Stéphane Hessel, Lucie et Raymond Aubrac, Jean-Pierre Vernant, Germaine Tillion, Lise London et quelques autres. On peut se reporter au film : http://www.dailymotion.com/video/x1irg4_lappel-des-resistants_events. Nous pensons ici également à tous les dispositifs qui s’articulent autour de 68 (ou qui en sont peu ou prou des effets) et qui s’inscrivent dans la droite ligne de cette continuité de résistance : citons ici en vrac les CMP, les CMPP, l’assistance sociale, les maisons vertes, la CMU, etc. Autant d’institutions et de lois impensables qui tentent d’articuler le désir à des formes sociales concrètes. C’est la raison pour laquelle on peut les taxer d’irréalistes ou de foncièrement utopistes et pourquoi, de surcroît, elles sont vouées au déficit puisque leur logique n’est pas économique.
-
[15]
Rappelons que c’est dans les années soixante seulement que les départements de psychologie, de sociologie d’ethnologie, et tous les autres furent fondés. Époque dans laquelle la psychanalyse put nourrir la psychiatrie, l’anti-psychiatrie, et qu’ainsi purent se développer des approches différentes de la folie, de l’exclusion, des minorités, etc.
-
[16]
Parole forte issue d’un discours de la course à la présidentielle de 2007.
- [17]
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[18]
Où le gouvernement donne une cérémonie on ne peut plus médiatisée sur un des lieux de la résistance de la Seconde guerre mondiale, le Plateau de Glières.
-
[19]
C’était l’objet de l’article 4 de la Loi du 23 février 2005 et de son deuxième alinéa où il s’agissait de reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
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[20]
Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Éditions de minuit, 1986, p. 123 (note 45).
-
[21]
C’est le cas de Pascal Bruckner qui fait passer la critique tiers-mondiste pour une farce. Pascal Bruckner, Le sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 2002.
-
[22]
Rappelons ici l’aphorisme de Charles le Téméraire que Guillaume le Taciturne reprit à son compte : « Il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
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[23]
A l’image de nos années sombres, une revue anti-utopique a été effectivement créée fort récemment, intitulée « Le meilleur des mondes », par où se révèle l’émergence de la droite intellectuelle et universitaire (où l’on retrouve l’ancien camarade Bruckner) et dont le titre même indique bien l’entreprise : participer à créer et à diffuser la novlangue du pouvoir à venir. On peut notamment se reporter au site internet : http://www.lemeilleurdesmondes.org/ (cette revue est publiée par Denoël).
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[24]
C’est ce que proposait déjà à la fin des années 1990 l’ancien anarcho-maoïste Glucksmann que l’on retrouve dans la fameuse revue. Il propose de partir d’une appréhension du Mal (avec un M majuscule s’il vous plaît !) pour pouvoir définir un bien relatif. Auteur pour lequel (la formule mérite d’être méditée pour se faire une idée de ce qu’il veut) « tenir le langage est pour le gouvernement nécessité » (André Glucksmann, Le bien et le mal, Paris, Robert Laffont, 1997). Personne ne s’étonnera en vertu de telles prémices qu’il ait personnellement soutenu notre actuel président.
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[25]
François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978.
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[26]
Ce n’est pas un hasard si lors de la parution de son livre, Le juif de savoir, Jean-Claude Milner dans une émission sur France-Culture du 13 janvier 2007 déclara : « J’ai ma thèse sur ce que veut dire “héritiers” chez Bourdieu. Les héritiers, c’est les juifs. Je crois que c’est un livre antisémite » (Jean-Claude Milner, Le juif de savoir, Paris, Grasset, 2006). On notera aussi ce commentaire d’un article de Libération du 1er décembre 2006 sur le livre de Milner, qui résume la position de l’auteur : « Comme lui, ils ont eu 20 ans dans les années 1960 et ont été d’extrême gauche. Comme lui, ils sont d’une génération où la théorie fit rêver la pratique. Milner est l’histoire de leur regret : avoir cru que les idées pouvaient déterminer la politique ».
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[27]
On pense ici à la commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali à laquelle certains chercheurs en sciences humaines de renom se sont associés. On se reportera au livre de Jacques Attali, 300 décisions pour changer la France, Paris, XO éditions, 2007.
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[28]
Nous pensons ici par exemple à Indymèdia constamment remis en question et critiqué par les médias installés. En effet, sur ces médias ce sont les acteurs sociaux qui produisent eux-mêmes et en temps réel de l’information. On se reportera à l’adresse suivante : http://www.indymedia.org/fr/