Chimères 2008/3 n° 68

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Article de revue

Quelques mots pour Don Quichotte

Bonnes feuilles extraites d'un livre en cours de parution début 2009 : Nourritures anarchistes, Paris Hermann éditeur

Pages 21 à 39

Notes

  • [1]
    Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 242
  • [2]
    Tiziana Villani, « Gilles Deleuze et les sociétés du contrôle », Gilles Deleuze, Félix Guattari et le politique, Paris, éd. du Sandre, 2006, p.51
  • [3]
    « Désir et plaisir » (1994), Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2003, p. 112.
  • [4]
    Miguel Cervantès, Don Quijote de la Mancha, éd. espagnole, Barcelone, Instituto Cervantes, 1998, p. 897. Don Quichotte de la Manche, 2, traduction de Louis Viardot Paris, Flammarion 1981, p. 229.
  • [5]
    José Ortega y Gasset Meditaciones del Quijote (1914), Obras, t. I, p. 383.
  • [6]
    Cité par Jean Canavaggio, Don Quichotte, du livre au mythe, Paris, Fayard, 2005, p. 196
  • [7]
    Don Quichotte, I, ch. XXII.
  • [8]
    Michel Foucault, les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 62.
  • [9]
    Don Quichotte, I, ch 4
  • [10]
    Don Quichotte, I, ch. 4 et 31.
  • [11]
    Miguel de Unamuno, o.c.,p. 26

1On n’aura jamais fini d’épiloguer sur l’alliance, qui est un trait du libéralisme d’aujourd’hui, notre souci insidieux et l’objet d’analyses contradictoires, entre une idéologie du « risque » et les préoccupations de plus en plus tatillonnes de la « sécurité ».

2J’en lisais hier un excellent exposé critique dans un article du numéro 27 de Multitudes sous la plume de Valérie Marange : « L’intermittent et l’immuable ». Elle rappelait avec raison et commentait avec pertinence les cours de Michel Foucault au Collège de France, consacrés dès 1974 à la naissance de ces biopouvoirs qui caractérisent l’État moderne, à travers son système économique. Un texte qui plonge ses racines dans le libéralisme de l’âge classique et des Lumières, avec l’amorce des sociétés disciplinaires assurant, en même temps que la « production » du sujet moderne, son « assujettissement » ; et qui conduit jusqu’à l’esprit d’entreprise néolibéral, avec ses risques et la précarité du salaire, de l’emploi.

3Le risque, oui ; mais alors, la sécurité ? Ne s’inscrit-elle pas, au contraire, selon la classique thèse libérale, comme son envers, et non comme son complément ? Jetée aux poubelles avec la protection de l’État-providence ? C’est la vieille logique selon laquelle l’indépendance s’achète aux dépens de la sécurité. Qui veut être libre le paie de sa certitude du lendemain et la tranquillité d’âme que donne le repas et le gîte assurés se paie de la servitude ; n’est-ce pas la répétition de l’histoire éternelle de la cigale et de la fourmi, du loup et du chien ; comme de celle du savetier et du financier ; de l’inquiétude d’Harpagon pour sa cassette ? Car l’accumulation des richesses est aussi un risque. Nul, d’une certaine manière, n’est plus heureux que celui qui ne possède rien. Acquérir la chemise d’un homme heureux ? Mais seul est heureux qui n’a pas de chemise ! Sagesse du conte, celle des nations.

4Sagesse d’un certain libéralisme qui a été la raison de sa séduction au moment où le plus grand danger était les contraintes de la discipline collective présentées comme condition première de la production des richesses, du bonheur matériel.

5Ce serait voir pourtant un peu court, et mal comprendre ce qui se passe actuellement : justement, cette paradoxale alliance des opposés, une autre logique.

6Car, l’économie du risque, à condition qu’on la replace dans un contexte plus large, qu’on l’envisage comme ce « phénomène social total » cher au sociologue, ne se contente pas de ce simple balancement. Elle n’oppose pas exactement la liberté à la sécurité ; elle en déplace la répartition et la signification. Le risque est pour l’emploi et la réussite sociale. La sécurité se répartit sur l’ensemble de la société et pèse sur l’individu dans toutes les modalités de sa vie. Il lui est enjoint de se jeter dans une lutte concurrentielle et de se façonner selon ses normes. Le risque a pour corollaire la formation et la préparation, le rejet en cas d’échec. Et cette formation prescrit la sécurité des normes.

7Aussi tient-elle chacun au plus intime de lui-même : chacun sommé de se faire « l’entrepreneur de lui-même », d’inventer ses formes d’adaptation, de modulation de soi. La société de contrôle est avant tout d’auto-contrôle, le seul efficace, parce qu’il est intérieur ; une discipline intériorisée, en vue d’un risque calculé.

8Cette assurance, quelque illusoire qu’elle soit, édifie l’autre volet de la contrainte sociale qui ne tend à rien de moins qu’à une sécurité universelle. À ériger autour de chaque individu, de chaque groupe, une barrière de sécurité. Une sécurité de l’incertitude, celle de l’emploi restant, au centre, la case vide et donc motivant le mouvement. L’exigence universelle de sécurité entoure l’incertitude de l’emploi à son principe ; une sécurité qui tourne autour d’une incertitude comme son pivot. Et qui motive une suspicion, un contrôle généralisé. Tout doit être assuré, sinon rassuré autour de ce centre incertain qui attire tout. Un risque et une sécurité complémentaires grâce à ce troisième terme qui en assure l’articulation.

9Les sociétés, la jeunesse contemporaine ont donné à cœur joie dans un tel leurre, se sont jetées de propos délibéré dans ce piège. Au nom de la liberté ; au nom du rejet parfaitement légitime et respectable de la discipline et de son enfermement.

10Elles ont préféré le risque et le dehors. Mais sans prendre garde qu’elles donnaient tête baissée dans les filets du contrôle. À la place du risque aventuré d’une précarité dans la pauvreté, elles sont tombées dans l’indigence sordide et la misère surveillée.

11C’est Péguy le premier qui a vu cela, qui a opposé cette pauvreté et cette misère, l’ennoblissement par l’une, l’avilissement par l’autre. Et à une époque, toutefois, où le contrôle n’était pas encore en place, où les disciplines étaient encore limitées aux seuls lieux d’enfermement. Mais il y avait pourtant déjà les contrôles des réglementations administratives ; et c’est à propos, justement, d’un de ces dispositifs de contrôle, un des plus anciens et des pires, celui de la réglementation scolaire, qu’il a, dans De Jean Coste, établi ce parallèle fulgurant, valable pour nous plus que jamais : « la modernité avilit ».

12Il faut aller jusqu’à dénicher, faire ressortir, expulser cet avilissement qu’engendre, dans les comportements et dans les âmes, la société de contrôle.

13Un avilissement qui est plus encore qu’une servitude ; elle est celle-ci, mais autre chose, de surcroît : une acceptation, une soumission volontaire.

14Là aussi, il y en a un modèle ancien, archétypal ou paradigmatique, celui de La Boétie, celui de La servitude volontaire.

15C’est une répétition, mais sous une autre forme. Apparemment, sous la forme de son antithèse : non plus la soumission à l’Un monarchique, mais la revendication de l’individu ayant l’audace de risquer, de l’entrepreneur de lui-même. Et pourtant, c’est au cœur même de l’entrepreneur moderne, au sein du risque néolibéral se soumettant aux réquisitions de la norme que la soumission au contrôle normalisant va faire figure de l’Un.

16Lisons Deleuze, que Valérie Marange cite également dans l’article que j’ai mentionné, comme ayant répondu, plus nettement que Foucault peut-être, à la sollicitation fallacieuse d’une éthique du risque qui nous a conduits au plus lamentable asservissement. C’est dans ce bien connu « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », dans Pourparlers : « Contrôle, c’est le nom que Burroughs propose pour désigner le nouveau monstre, et que Foucault reconnaît comme notre proche avenir (publié en 1990 et nous y voici en plein) » [1] Dans un raccourci expressif d’une lumineuse vigueur, Deleuze élucide la logique qui va enchaîner au monstre l’individu ; et par le moyen, non d’une contrainte imposée, mais de ses plus chers désirs, ce à quoi il attache le plus de prix, sa liberté même. La liberté d’oser et d’entreprendre, le risque. Dans la logique du dernier style de ce libéralisme que, de son côté, Pasolini, en préfigurateur, avait nommé « société de consommation », débouchant sur le contrôle généralisé, devant assurer au risque les moyens apparents de la réussite.

17La discipline enfermante, explique Deleuze en substance, agissait comme un moule où se façonnait l’individu productivement efficace ; le contrôle à l’air libre étant une « modulation » continue suivant les fluctuations d’un changement identifié à la vie même. La substitution au cadre rigide d’une « géométrie variable » adaptée aux différents points de vue.

18De là sa séduction, de là son emprise. D’elle à l’entreprise (osons l’à-peu-près) la conséquence est bonne. « L’entreprise, écrivait Deleuze, est une âme, un gaz ». Elle nous pénètre, elle nous imprègne. Tout, dans la société contemporaine – et ne disons pas seulement les sociétés du capitalisme avancé, puisqu’il est devenu la planète entière, l’humanité dans son unité feinte – porte son empreinte : « L’entreprise ne cesse d’introduire une rivalité inexpiable comme saine émulation, excellente motivation qui oppose les individus entre eux et traverse chacun, le divisant en lui-même. » L’entreprise, c’est le mérite, l’entretien de la « motivation », la formation. « Beaucoup de jeunes, conclut Deleuze, réclament étrangement d’être « motivés », ils redemandent des stages et la formation permanente ; c’est à eux de découvrir ce à quoi on les fait servir, comme leurs aînés ont découvert non sans peine la finalité des disciplines ». Voilà pour le désir qui anime l’entreprise et son esprit. Son âme, disait Deleuze en ne dissimulant pas la répulsion qu’en lui cette association provoquait : « On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde ». Le désir, attraction-répulsion et tout ce qui s’ensuit de paradoxes, puisque si, incontestablement, le risque a de la grandeur, il est, normé, indexé à celui de l’entreprise, marqué du sceau trivial du gain, de l’abjection de devoir gagner en marchant sur le corps des autres.

19On évoquait la « logique ». Mais la logique sociale, pour parler comme Gabriel Tarde, a deux moteurs qui l’entraînent sans cesse sur son champ d’exercice et d’expansion, et qui, en l’occurrence, suivent les modulations de l’entreprise et de la société de contrôle : désir, certes, mais aussi croyance. Et quelle est-elle, que peut-elle être d’autre que, précisément, la sécurité, le cadre de croyance(s) et de certitude(s) qui entoure le risque, le rende possible et légitime, tout en lui conservant cette tonalité d’aléatoire qui le constitue. La certitude est déplacée hors de son champ, elle fige en lui-même un « social » où la course est d’autant plus libre que les barrières sont assurées et les lignes rigides. Plus le risque s’accroît, plus le travail est aléatoire, plus les prescriptions deviennent draconiennes, plus s’étend le domaine des juridictions. Une société de contrôle tend à quadriller tout ; par principe elle ignore le « vide juridique » et, là où elle le détecte, a tôt fait de le combler. Grâce à son langage numérique binaire, dont je vois reprises et complétées les propriétés dans une intervention d’un colloque de novembre 2005, récemment publié [2] elle couvre le champ entier du virtuel, ou de l’anticipation jusqu’au détail des comportements, des déplacements, des intentions menaçantes.

20C’est le règne universel de la police – qui a toujours signifié, avant tout, celle des conduites, des « mœurs ». Avec elle, plus d’ombre, plus de repli. Plus de pli du corps ou de l’âme qui ne soit à portée de connaissance. Avec elle, l’impulsion de croyance est comblée.

21On se demande souvent pourquoi, ce qui est l’objet d’ailleurs d’un constat général, l’expansion du nouveau capitalisme s’accompagne d’une législation des mœurs de plus en plus coercitive et minutieuse. On y a vu, à l’époque où dominait théoriquement l’École de Francfort, l’application d’un principe de « rendement » opposé au loisir délétère de l’Éros, idée illustrée par le fameux Éros et civilisation d’Herbert Marcuse, reprise de diverses manières dans toutes les analyses de tonalité marxo-freudienne opposant le principe de réalité à celui du plaisir. De telles relations de cause à conséquence pèchent sans doute par un peu trop de mécanisme. Elles ont le tort, également, d’opposer, en termes de classes, une censure s’appliquant unilatéralement à celle des travailleurs ; les capitalistes, selon une tradition fermement établie, étant supposés se livrer à toutes les licences. En quoi, cependant, la conception puritaine de Max Weber fondée sur l’ascétisme du travail, au cœur même du capital, n’est guère plus convaincante.

22Bien plus probante, si l’on renonce à toute recherche de causalité unilinéaire, à une dialectique causaliste de type marxiste, est le recours à la simultanéité d’une commune émergence ; ce qui ne signifie pas, au demeurant, une simple rencontre. Mais renvoie la réponse à une logique sociale, à l’articulation des pièces dans le fonctionnement d’une machine, un dispositif commun, pour employer le terme de Foucault. Il appartient au dispositif du contrôle que le risque et la sécurité aillent de pair, que l’un s’appuie sur l’autre, que le panoptique qui fut déjà au principe de la société disciplinaire de l’enfermement soit intériorisé et ainsi rendu mobile, modulé.

23Ainsi l’ordre des valeurs s’emboîte-t-il dans celui des faits. La réussite couronne la morale, la fortune récompense la vertu. Certes, cela, non plus, n’est pas nouveau et relève même de la plus vieille des rengaines catéchisantes. Mais aujourd’hui, s’insérant dans un autre contexte, l’accord de banques et de la morale trouve une justification plus raisonnable, apparemment, que celle de l’harmonie préétablie et de la finalité du Bien, puisqu’elle est gouvernée par les lois de la productivité, de la rentabilité, de la concurrence, de la croissance ou du développement. Le mystère des voies divines est dissipé ; leur impénétrabilité s’ouvre, étale ses ressorts sur l’écran transparent de l’estimation numérique des chances. Apocalypse dont l’acteur, l’opérateur, est un sujet équilibré, structuré par les efforts conjugués des sciences et thérapies, éthiques et diététiques de la personne.

24À la fin de son article, Deleuze, se hasardant, pour une fois, dans une lice politique qu’il ne fréquentait guère, osant se prononcer sur un « programme » ou, plus simplement peut-être, s’exprimant à la manière du sage antique, s’interrogeait sur les ripostes possibles à un tel état de choses : « Une des questions les plus importantes concernant l’inaptitude des syndicats : liés dans toute leur histoire à la lutte contre les disciplines ou dans les milieux d’enfermement, pourront-ils s’adapter ou laisseront-ils place à de nouvelles formes de résistance contre les sociétés de contrôle ? Peut-on déjà saisir des ébauches de ces formes à venir, capables de s’attaquer aux joies du marketing ? » Et c’est là qu’il faisait part de l’inquiétante propension des « jeunes gens » à se faire partie prenante dans un jeu dont les finalités ne peuvent que confirmer leur asservissement.

25Il n’est pas de mon propos, ici de suivre (c’est encore une expression deleuzienne) « les anneaux d’un serpent ». Mais il me semble clair que la résolution de la problématique ouverte se trouvait certainement, dans l’esprit du philosophe, du côté, non d’un renforcement syndical, mais de celui « des marges », d’initiatives ponctuelles ; se glissant, à l’occasion, dans la logique d’entreprise, usant de la fluidité, de la précarité, comme d’une arme.

26Aujourd’hui que souffle un renouveau de l’intérêt offert par la politique et que l’on peut questionner légitimement sur la forme qu’elle a adoptée chez Deleuze, je pense qu’il faut la chercher dans ces méandres, dans une appréciation juste de l’événement, une saisie de « l’occasion ». L’occasion, ce concept dont les sciences dites politiques, abusivement imbues de principes rigides, d’impératifs juridiques, ont rarement fait état, ce « kairon » de l’intelligence antique, l’opportunité source d’invention auquel seul, parmi les modernes, Kierkegaard a rendu justice.

27Saisir l’occasion aux cheveux, retourner contre un système (ou, en l’occurrence, un dispositif) sa propre logique, voilà une stratégie qui n’était pas étrangère au situationnisme et qui n’a pas manqué d’inspirer, à mon sens, les diverses initiatives dont les sociétés de contrôle nous offrent, depuis quelques années, des exemples. On peut comprendre aussi ces ripostes sectorielles sous un concept large de l’anarchisme ou de la « désobéissance civile », qui fut chère à Henry David Thoreau lorsqu’il s’agissait, dans les États-Unis esclavagistes, de protéger les fugitifs contre la répression. Elles vont, de la revendication d’un statut des intermittents à la défense largement partagée des sans papiers, à la protection des enfants expulsés, aux interventions sur le « front » écologique. Voilà autant de résistances permettant de définir, plus un style qu’une théorie organisée, mais dont l’orientation est bien déterminée, et le sens clair, bien inséré dans une biopolitique, s’il s’agit de garantir, sur tous les points, de garantir la vie contre des atteintes devenues intolérables. Déjà c’était l’esprit qui, dans les années 1970, avait animé le GIP, groupe d’information des prisons. Le contrôle social est maintenant en jeu avec ses dérives. Et, pour le déjouer, moins valent des oppositions frontales que des escarmouches sur des chemins de traverse.

28Je n’en prendrai qu’un exemple, qui a l’avantage de se situer au point de rencontre entre le risque et la sécurité, de se maintenir sur cette ligne de crête, instable, certes, mais caractéristique de la société actuelle où les deux manifestent, à la limite du système mais encore en lui, leur complémentarité paradoxale.

29Je veux parler des sans domicile fixe (SDF) et de leur hébergement. Question qui a soulevé l’opinion à la fin de l’année 2006, qui a remué les pouvoirs d’État, a reçu des réponses partielles et qui est d’ailleurs loin d’être résolue. Ne s’attaque-t-elle pas justement à cette jonction hautement contradictoire avec la logique libérale, où se heurtent risque et sécurité : le droit au logement ? Donc, d’autant plus intéressante à examiner.

30« Ça fuit de toutes parts », disait Deleuze à un moment où il pensait confronter son système du désir avec celui de Foucault reposant sur les postulats du plaisir et du pouvoir [3]. Lisons : « Une société, un champ social ne se contredit pas, mais ce qui est premier, c’est qu’il fuit, il fuit d’abord de partout, ce sont les lignes de fuite qui sont premières (même si « premier » n’est pas chronologique). Loin d’être hors du champ social ou d’en sortir, les lignes de fuite en constituent le rhizome ou la cartographie ». Donnant pour exemple – curieuse coïncidence, non recherchée comme on va le voir à l’instant – toutes ces déterritorialisations médiévales qui se produisirent entre les xe et xve siècles, alliant invasions, migrations paysannes, chevalerie et amour courtois. Et que le capitalisme retrouve, qui traversent le terrain sur lequel il se déploie. Elles sont hétérogènes à ses pouvoirs, affirment la primauté du désir. Mais sans sortir du « champ social ».

31Là est l’essentiel. Coïncidence, certes, mais peut-être pas totalement fortuite, si l’insoluble question du logement des SDF a trouvé sa fragile, temporaire, contestable réponse du côté, non du système du pouvoir lui-même, mais du désir et ce qui le symbolise au plus haut point dans ce qui reste d’âme au monde du contrôle, du côté de l’« entreprise », en son meilleur sens d’audace, de générosité, d’entreprise « noble » et « chevaleresque » : le nom de Don Quichotte. Puisque ce sont ceux qui se sont proclamés « enfants de Don Quichotte » qui, se faisant chevaliers errants (caballeros andantes) ont volé au secours des misérables sans abri, en posant leurs tentes le long du canal Saint-Martin. Une traversée de la logique sociale, mais non pas une rupture. Une éclaircie plutôt, qui desserre l’étau des pesanteurs et le carcan des fatalités.

32En d’autres mots, on parlerait de « lumière diffractée » ; et c’est le langage de Fourier ou de Benjamin : la promesse messianique de l’utopie qui se maintient toujours, au plus épais et obtus de la civilisation.

33Ce n’est pas toutefois, dans le contexte de ma digression sur un événement de l’actualité, de ce côté que je veux explorer, laissant à part le problème qui serait d’une autre ampleur, du rôle de l’utopie dans la politique. C’est seulement – qu’on ne lise toutefois pas, dans ce « seulement », une simple restriction – la présence, l’invocation ou le patronage, en cette circonstance, de Don Quichotte qui m’attire, ouvre des horizons, incitant à de multiples gloses.

34Don Quichotte comment et pourquoi ? Peut-être que, ainsi que dans bien des cas, le nom réveille des associations insoupçonnées, et plonge ses racines (en rhizome, à la manière dont Deleuze l’a proposé) plus diversifiées et plus variées qu’on ne pense, dans ce qu’on appelle la « modernité ». Provoque, en chaîne, en faisceaux rayonnants, des lignes de fuite.

35Quelques mots, donc, pour Don Quichotte.

36Ortega y Gasset a qualifié Don Quichotte de « Christ ridicule », de « héros oblique » ; il erre entre deux abîmes : celui de la sainteté (c’est Unamuno qui l’a invoqué en « Saint Don Quichotte ») et celui du grotesque, de la simple bouffonnerie ; à la limite odieuse. Il se tient en équilibre sur une ligne de crête : celle des moulins à vent dans les ailes desquels il s’empêtre et qui sont devenus son paradigme. Héros et fou ou imbécile tout à la fois : el héroe y el azote. Un mot pourrait lui être appliqué, s’il ne concernait surtout les propositions mathématiques, c’est indécidable. Mais la région que hante Don Quichotte, ce à quoi il porte intérêt précède les propositions. Ce sont les « thèmes » flottants de façon indéterminée entre le possible et l’impossible : le romanesque auquel Leibniz a donné place dans sa théorie de la connaissance, avant que se pose la question du vrai et du faux : « Il en est comme de ce qui se trouve dans les fictions du comte de Scandiano suivi par l’Arioste, et dans l’Amadis des Gaules (sic) ou autres vieux romans, dans les contes de fées… » Amadis de Gaule, justement, la référence constante de Don Quichotte, son critère d’une vérité qui se dégonfle ou éclate au moindre contact du réel. Mais qui décidera du réel ? Si les géants supposés se résolvent de près en moulins à vent, il est moins sûr que la figure idéale, l’objet par excellence du désir, l’illustre Dulcinée du Toboso puisse se dissiper de même ; ni que le chevalier à la triste figure admette une trop facile et prosaïque distinction entre les figures de l’imaginaire et une tout aussi hypothétique vérité objective. Sont-ce les lois du marché qui sont réelles, ou les besoins de l’individu et les impératifs qui en découlent ?

37« Dieu sait s’il y a ou non une Dulcinée en ce monde, répond Don Quichotte à la duchesse, si elle est fantastique ou réelle et ce sont des choses dont la vérification ne doit pas être portée à d’extrêmes limites », ce que je lis au sens de « on ne doit pas trop chercher à l’élucider » (son de las cosas cuya averiguación se ha de llevar hasta el cabo) [4]. Il est vrai qu’il s’agit de la seconde partie écrite « en abyme » sur la première, où le héros est confronté à sa propre légende, déjà écrite. Mais, justement, cette écriture « palimpsestueuse », selon un mot de Jean-Clet Martin à propos de la variation de Luis Borges sur ce Livre à l’inépuisable héritage, est celle qui est capable de maintenir en suspens le sens. Ainsi que le calcul des possibles, qu’ils soient ou non compatibles entre eux. Ortega y Gasset, encore, soumettant l’œuvre aux conditions de son contexte historique, l’interprétait justement à la charnière « d’un changement de monde » [5] le nouveau ne pouvant plus adopter qu’un espace de coordonnées galiléennes, excluant les aventures contradictoires aux lois naturelles et n’admettant plus que les « compossibles » leibniziens. Mais Don Quichotte, le donquichottisme, c’est l’affirmation simultanée d’incompossibles qui mutuellement s’excluent. L’inclusion disjonctive, lorsque le disjoint est, de part et d’autre, requis.

38On peut l’appeler utopie, mais aussi le plus haut réel et le plus authentique, dont il peut arriver qu’ils se rejoignent à la pointe extrême de l’événement. Même si celui-ci, comme l’aile du moulin à vent, est propre à faire se dissiper l’illusion, cette dernière n’en reste pas moins valable, porteuse et justificatrice de l’action. Telle « l’illusion créée » dont Fourier fera une des composantes essentielles du « ralliement » et de « l’entraînement passionnel », c’est-à-dire du mouvement social. En dehors d’elle tout reste immobile ou régresse. L’illusion est la condition du mouvement, et, il faut même ajouter : sa condition de lucidité. « Les enfants de Don Quichotte » de l’automne 2006 ont eu raison, quoi qu’il en soit, même si leur succès partiel, le très problématique « droit au logement opposable » se révèle devoir être plus fallacieux qu’effectif. Dans le frémissement qui, associant risque et sécurité, illumine un peu le réel, ouvre l’horizon bouché de l’actuel. « Je n’ai ni engendré ni mis au jour ma Dame, poursuivait Don Quichotte, mais je la vois et la contemple telle qu’il convient qu’elle soit une dame pour réunir en elle toutes les qualités qui puissent la rendre fameuse parmi toutes celles du monde ».

39« Don Quichotte, écrit Georg Lukacs dans Théorie du roman, se dresse au seuil de la période où le Dieu chrétien commence de délaisser le monde, où l’homme devient solitaire, où le monde est désormais livré à l’immanence de son propre non-sens » [6] ; le chevalier errant vient, dans ce monde, vivifier une problématique « démoniaque » alliant le sublime à l’humour. Fou assurément, mais pour un monde où c’est la folie qui maintient la raison. Il aurait pu trouver à se loger dans l’Éloge de la folie d’Érasme. En lui s’exprime ce qui, folie du monde, ne peut trouver place dans son organisation raisonnable. Rencontrant des galériens, des forçats, il s’exclame : « Est-il possible qu’une liberté puisse être contrainte, qu’un homme puisse être forcé ? ». (« ¿Cómo gente forzada ?-preguntó don Quijote- ¿Es posible que el rey haga fuerza a ninguna gente ? ») [7].

40Don Quichotte est l’oxymoron de l’errance hospitalière. À chaque rencontre, il offre à la victime de quelque tort (entuerto) l’hospitalité de sa lance et de sa rondache hospitalière. Une hospitalité qui n’a pas de demeure, à « géométrie variable » comme Deleuze le dit de l’entreprise, « modulable » à volonté. Avec, en arrière-fond, l’hospitalité sans bornes du Livre, le sien, celui de son histoire qui déjà court le monde, et celle des Amadis et autres chevaliers errants (caballeros andantes). Une hospitalité qui n’est pas définie par l’accueil dans une maison fixe et, paradoxalement, s’offre au dehors, même pas sous la tente du nomade, mais par monts et par vaux, en plein désert, au détour d’un bois.

41Le monde de Don Quichotte est un monde de déambulations et de rencontres, d’une terre parsemée d’embûches et d’asiles, en dehors des points fixes de la civilisation urbaine vouée à ces stratifications que sont la famille et le travail.

42Il n’est pas exactement la nostalgie d’un monde révolu, il se superpose à celui qui semble définitivement fixé sous nos yeux, il le double, entretenant avec lui un incessant dialogue. Allégorisme du double offert par Sancho Panza et de l’entretien infini qui se déroule avec lui.

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Dessin de René Schérer

43Certes, cette doublure marque aussi une rupture avec un certain mode de rapport au monde, de l’habiter et de s’orienter en lui. Michel Foucault a, pour nous, établi le constat de cette rupture apparemment irréversible : le douloureux passage, la douloureuse renonciation à une lecture limpide faisant place à la grinçante ironie des choses. Le chapitre III de Les mots et les choses, a pour titre, on le sait : « Représenter-I. Don Quichotte ». Il croit à la vérité des livres, il est le « héros du Même », cherche partout des signes, des similitudes, des analogies : « L’écriture et les choses ne se ressemblent plus. Entre elles, don Quichotte erre à l’aventure » [8].

44En un sens, il semblerait que Foucault, ici, prend parti pour les choses et sanctionne, comme l’a fait, pour sa part, Ortega y Gasser, le tournant historique de la révolution galiléenne qui a soigneusement quadrillé l’expérience possible et renvoyé tout le reste à la fantaisie. Mais ce n’est pas ce qu’il dit seulement ; il établit même exactement le contraire d’une soumission à la seule vision physicaliste et positiviste. Un peu comme Husserl qui, dans la Krisis opposait au physicalisme galiléen « le monde de la vie », Foucault célèbre en Don Quichotte la légitimité de la folie comme « fonction culturelle », et la puissance du livre et le rôle allégorique de la poésie. « Au bord extérieur de notre culture – posture marginale et silhouette profondément archaïque – où leurs paroles trouvent sans cesse leur pouvoir d’étrangeté et la ressource de leur contestation ». Rupture dans l’espace, sans quoi redoutablement clos, d’un réalisme transporté, de la physique aux sciences politiques et à celles de l’économie. Don Quichotte est la puissance, peut-être la seule, capable d’imposer un frein aux lois du marché, de redresser les torts qu’elles engendrent. Fragile ligne que celle où il se tient, mince ligne de crête dessinée par les signes ; mais qui érigent la barrière invincible d’une hospitalité et d’une justice au-delà des lois. Celle du Livre et de la sensibilité chevaleresque, précisément. Opposant aux valeurs du marché le renversement, l’Umwertung nietzschéenne, du noble, du beau, de l’équitable. Devenant plus vrais que la vérité enclose dans le simple possible. Celle de l’hyperbolique, de l’impossible.

45Je reviens à ce que j’écrivais au début de cet article, à propos de la référence de Valérie Marange aux analyses du libéralisme par Foucault. Elle soulevait très justement une interrogation sur le rôle incontestablement affirmatif qu’a pu jouer l’idée libérale du risque et même celle de l’entreprise, dans la pensée de Foucault comme dans celle de Deleuze, d’ailleurs. Mais jusqu’au point où leurs avantages se transforment en leur contraire. Où l’abondance se transforme en misère, où la réussite individuelle entraîne le détriment du collectif. Cette mince barrière, ce retournement, je crois que « Don Quichotte » peut servir à les allégoriser. Il est leur nom. Il est (tout ce qu’il implique) le nom qui permet de distinguer entre la liberté de la concurrence et de l’écrasement d’autrui, et celle prônée par l’association libre et le fédéralisme de l’anarchie fouriériste ou proudhonienne. La différence entre deux collectivismes : celui où la puissance individuelle s’accroît de son alliance aux autres, et celui qui soumet tout à la puissance de l’État. Et le chemin ainsi tracé n’entre dans aucune forme de représentation claire que définirait un simple langage informatisé, un binaire ou bien, ou bien. Il relève, « à la limite », de l’étrangeté du poétique, nécessairement plurivoque, en rupture avec toute rigidité, inconciliable, par principe contestataire.

46Et c’est par un retour au Livre que je termine.

47Je ne sais pas si les lecteurs de commentateurs de Don Quichotte ont porté assez attention à la première des aventures du héros de Cervantès, celle qui lui arrive immédiatement après qu’il a été, dans la grotesque cérémonie de l’auberge, armé chevalier. Entendant des plaintes dans un bois, il découvre un paysan qui fustige un jeune garçon, attaché à un arbre, nu jusqu’à la ceinture (« un muchacho desnudo de medio cuerpo arriba, hasta de edad de quinze años… le estaba dando con una pretina muchos azotes un labrador de buen talle ») [9]. Au dire de l’homme, celui-ci, son berger, lui a perdu des moutons. Selon le garçon, le méchant maître refuse de lui payer son salaire. Don Quichotte, défenseur de l’orphelin, redresseur de torts, intimide le fustigateur qu’il oblige à détacher sa victime et à promettre de lui verser ses gages. Tout satisfait de lui, il poursuit sa route. Mais, dès qu’il a le dos tourné, le paysan furieux rattache son berger et se venge sur lui de la honte de son humiliation en redoublant de coups, jusqu’à le laisser quasiment mort sur place. Humour noir de Cervantès, qui laisse le lecteur perplexe. Cette intervention finalement malencontreuse peut, tout autant que les moulins à vent qui suivront, servir de paradigme du donquichottisme. La générosité non suivie d’effet sombre dans le ridicule. Ou même, en l’occurrence, pour le jeune garçon prénommé Andrés, dans l’odieux. Aussi, un peu plus loin, André, retrouvé par hasard à sa sortie d’un hôpital où l’on conduit les bonnes intentions du chevalier, le conjure-t-il de ne plus jamais intervenir de façon aussi maladroite et jure de fuir désormais la vue des chevaliers errants [10].

48Que conclure, en effet ? Arrêtons-nous d’abord à l’image, à la scène, vrai « phantasme » aux sens freudien et klossowskien, vivant, plus encore que dans la représentation claire, dans l’inconscient, du « on bat un enfant », voire « on tue un enfant », avec le geste de la ceinture de cuir cinglant la peau délicate du dos nu. Concrétisation, si l’on admet qu’il s’agit toujours de la place du moi, d’un mélange d’horreur et de désir : l’enfant fouetté, la Sophie de la Comtesse de Ségur, le Torchonnet de la même, les orphelins de Dickens, le petit mendiant du Sans famille d’Hector Malot, pour ne mentionner qu’eux, hantent notre imaginaire. De même que le désir de nous porter à leur secours, traduit par l’impératif de la protection de l’enfance, devenu la seule valeur universelle, l’unique lien axiologique d’une humanité vouée à se déchirer.

49Mais, justement, est-ce bien « traduit » ou « trahi » ? Le passage au droit de la protection de l’enfance qui semble codifier le geste chevaleresque, fait disparaître ce qui unifiait dans une même scène l’intervention donquichottesque avec le phantasme. Tout en portant sur elle un nouvel éclairage qui dégage – en partie au moins – la leçon qu’elle contient. Le jeune André a perdu, finalement, à l’intervention de Don Quichotte, comme il n’est pas sûr que l’enfant vagabond ait gagné à prendre place sous l’arsenal des lois qui, depuis un siècle et demi au moins, l’encadrent et le garantissent contre « les torts » en même temps qu’ils l’enferment. Il y a une manière d’agir en sa faveur qui est pire, pour lui, que si on l’avait laissé à sa destinée. Et pourtant, le chevalier errant ne pouvait pas ne pas arrêter le bras levé pour frapper.

50C’est pourquoi, ayant appris le résultat final de ce haut fait, au lieu d’être fier de lui-même, il quitte André, la seconde fois, mécontent et mélancolique. Indigné des laideurs de ce monde, mais se rendant compte qu’il est parfois imprudent de vouloir en changer le cours. « Je me débrouillerai très bien moi-même », semble dire André. Et c’est peut-être aussi, la leçon que voulait nous faire entendre Miguel de Unamuno (« más le valieron y más le enseñaron »)[11] lorsque, dans la paraphrase de sa Vie de Don Quichotte et de Sancho, il écrivait, non sans mystère, que cette seconde correction que l’enfant a reçue après le départ du redresseur de torts, a été meilleure, lui a plus rendu service que la première. Apprendre à se tirer d’affaire par soi-même, peut-être. Et à lutter pour l’émancipation d’une enfance abusivement « protégée » ?

51En tout cas, on peut se servir de cela également, comme un bon usage du Livre aux mille bifurcations

Notes

  • [1]
    Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 242
  • [2]
    Tiziana Villani, « Gilles Deleuze et les sociétés du contrôle », Gilles Deleuze, Félix Guattari et le politique, Paris, éd. du Sandre, 2006, p.51
  • [3]
    « Désir et plaisir » (1994), Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2003, p. 112.
  • [4]
    Miguel Cervantès, Don Quijote de la Mancha, éd. espagnole, Barcelone, Instituto Cervantes, 1998, p. 897. Don Quichotte de la Manche, 2, traduction de Louis Viardot Paris, Flammarion 1981, p. 229.
  • [5]
    José Ortega y Gasset Meditaciones del Quijote (1914), Obras, t. I, p. 383.
  • [6]
    Cité par Jean Canavaggio, Don Quichotte, du livre au mythe, Paris, Fayard, 2005, p. 196
  • [7]
    Don Quichotte, I, ch. XXII.
  • [8]
    Michel Foucault, les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 62.
  • [9]
    Don Quichotte, I, ch 4
  • [10]
    Don Quichotte, I, ch. 4 et 31.
  • [11]
    Miguel de Unamuno, o.c.,p. 26
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