Notes
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[1]
Guérineau-Jomelli (A.), Doublier (D.), Jomelli (A.), Peindre et psychanalyser, Paris, L’Harmattan, Penta collection Art et psychanalyse, 2006, p. 35 : « Dans le cas de la forme fermée, il y a donc des coupures sur la surface, des séparations. Je ne sens pas le monde ainsi, ou plutôt je n’aime pas cette conception. Elle me fascine, m’attire, me met dans un état passif (c’est ce que j’ai voulu faire quand j’ai travaillé d’après Le Nain de Velázquez), un état d’admiration. »
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[2]
Guérineau-Jomelli (A.), Doublier (D.), Jomelli (A.), Peindre et psychanalyser, op. cit., p. 35 et 36 : « Je m’aperçois que je n’ai toujours pas parlé du Chaînon Manquant, de son lien avec Rembrandt. L’un des aspects du chaînon, c’est, je crois, le lien qui relie puissamment la forme au support […]. Si l’on remarque que les fonds de Rembrandt sont des parois sombres […], en émergent aussi des formes lumineuses, claires, gardant le lien avec les fonds […]. Autrement dit, les parois sombres (les ténèbres) portent en elles la lumière. »
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[3]
Ibid., p. 49.
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[4]
Ibid., p. 13. Freud (S.), Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1977, p. 181.
1Annie Guérineau-Jomelli, psychanalyste, membre du Cercle freudien, son mari André Jomelli, et leur ami Daniel Doublier, peintres tous les deux, nous proposent un essai.
2Un lien profond d’amour et d’amitié, présent tout au long de l’ouvrage, lie les trois personnages. Ils se sont lancé un défi. C’est un jeu, une escapade, le saisissement soudain de l’insaisissable. Deux d’entre eux le nomment l’infigurable. Il leur échappe toujours, mais ils tournent autour. Comment, à quel moment un être humain produit-il de l’art, frôlant la transcendance, l’inspiration, l’âme, le génie, le souffle créateur, l’idée qui vient soudainement à l’esprit ? D’où ces phrases hachées, courtes, qui laissent passer le vent de l’inspiration. Le parallèle avec le travail analytique émerge comme une certitude : un mot, un souffle, un geste de trop, une respiration apporte enfin une part de la vérité du sujet, le signifiant, écrit Annie Guérineau.
3Expliquer comment l’on peint, comment l’on crée, le livre tente de mettre en valeur ce mystère. Pour l’un, c’est la forme, la courbe, la ligne ; pour l’autre, c’est l’amour, la lumière. Pourtant ce n’est pas ça. Juste un trait, et c’est la révélation soudain, mystique pour l’un, à genoux face à la transcendance, surgissement de la beauté. Pour l’autre, ce sera la terre nature, le vrai, ce qui respire. Ce que l’homme peut faire de ces instants volés ne se résout dans aucune explication logique. Bien sûr, l’art ce sont toutes les expériences passées, la forme, la couleur, l’amour, la mystique, la technique, mais aucune de ces expériences ne décidera jamais de la création. Il y a cependant la dette des fous, les créateurs qui nous ont précédés. Van Gogh nous aurait-il donné ce bonheur s’il avait été moins fou ? Picasso nous transmet sa force, sa puissance phénoménale. Velázquez ébranle notre monde du sensible avec notamment son Nain [1]. Rembrandt nous enseigne la puissance du lien qui relie la forme au support [2], Le Caravage nous offre sa théâtralité [3]. Mais il n’y a pas que les artistes ; Freud s’invite à la table des anciens avec les philosophes, Sartre, Lévi-Strauss, d’autres. Nous sommes la somme des Bonnard, des de Staël, des architectes, de tous les penseurs et créateurs du monde. Ils nous ont appris à penser, à voir, à ressentir. Ils nous ont enseigné la beauté, aussi capricieuse que le temps. Peindre, pour l’un c’est la vie, pour l’autre l’amour ; c’est aussi tout un héritage. Et comme nous le dit Freud, citant Goethe dans Totem et Tabou [4] : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder. » C’est un fonds que les anciens nous ont légué, à nous de l’exploiter, de le respecter et de le faire fructifier.
4Ces lettres que les trois s’adressent au fil du temps sont une ode au génie créateur. Une mystique se dévoile peu à peu. Comment expliquer la beauté ? Celle qui apparaît à un moment d’une histoire humaine sera-t-elle encore beauté à un autre moment. Comment saisir l’harmonie ? La pensée ?
5Le parallèle avec la psychanalyse s’imprime peu à peu. Un souvenir fondateur marque indélébilement le sujet, Lacan nommera le processus qui s’en suit « subversion du sujet dialectique du désir ». La question de la dette n’est jamais totalement résolue : le signifiant demeure et comme l’écrit Annie Guérineau, le mi-dire, l’approche de la vérité qui s’éloigne toujours. Impossible de définir ce trou noir présent et fondamental. Pour un peintre, disent-ils, les résistances sont la pensée, l’intelligence, le savoir. Pour la psychanalyse, comment faire la part entre ce que l’on doit savoir et ce qui empêche d’aller au-delà ? Le signifiant en psychanalyse ouvre la voie. Serait-il aussi la voie juste de l’artiste ? C’est une des questions que le livre pose. Sujet sans fin, aller en soi dans son moi ! La pensée tue-t-elle l’inspiration ? le cérébral peut-il entraîner la création ?
6Reste le travail, la source des pères, essentielle.
7Les auteurs se sont imposé une gageure. Tournant autour de l’inexplicable, ils le font apparaître par son absence. La psychanalyse s’y révèle dans sa réalité quotidienne. Le peintre devant sa toile blanche pose sa technique par l’intermédiaire de l’outil, aidé de son œil averti. Il attend que vienne cette autre chose, à force de travail, cette autre chose dont le surgissement produit aussi une connaissance, comme l’analysant dont l’âme voilée espère que le mot ou le souvenir le détachera enfin de ses envoûtements personnels.
Notes
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[1]
Guérineau-Jomelli (A.), Doublier (D.), Jomelli (A.), Peindre et psychanalyser, Paris, L’Harmattan, Penta collection Art et psychanalyse, 2006, p. 35 : « Dans le cas de la forme fermée, il y a donc des coupures sur la surface, des séparations. Je ne sens pas le monde ainsi, ou plutôt je n’aime pas cette conception. Elle me fascine, m’attire, me met dans un état passif (c’est ce que j’ai voulu faire quand j’ai travaillé d’après Le Nain de Velázquez), un état d’admiration. »
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[2]
Guérineau-Jomelli (A.), Doublier (D.), Jomelli (A.), Peindre et psychanalyser, op. cit., p. 35 et 36 : « Je m’aperçois que je n’ai toujours pas parlé du Chaînon Manquant, de son lien avec Rembrandt. L’un des aspects du chaînon, c’est, je crois, le lien qui relie puissamment la forme au support […]. Si l’on remarque que les fonds de Rembrandt sont des parois sombres […], en émergent aussi des formes lumineuses, claires, gardant le lien avec les fonds […]. Autrement dit, les parois sombres (les ténèbres) portent en elles la lumière. »
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[3]
Ibid., p. 49.
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[4]
Ibid., p. 13. Freud (S.), Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1977, p. 181.