Notes
-
[1]
Freud (S.), Lettres à Wûhelm Fliess, édition complète, Paris, PUF, 2006.
-
[2]
Ibid., lettre 63[23], p.165.
-
[3]
Le terme est de Freud. Cf. ibid. le Manuscrit C/2, p. 67.
-
[4]
Ibid., lettre 25 [13], p. 72.
-
[5]
Traduction parue en plusieurs livraisons jusqu’en 1894 chez Deuticke sous le titre Conférences policliniques.
-
[6]
Liste conservée dans la « Sigmund Freud Collection », à la bibliothèque du Congrès. Cf. Grubrich-Simitis (I.), Freud : retour aux manuscrits, Paris, PUF, 1997, p. 23-24.
-
[7]
Freud (S.), « Charcot » (1893), in Résultats, idées, problèmes, vol. I, Paris, PUF, 1984, p. 71.
-
[8]
Ibid., p. 69.
-
[9]
Ibidem.
-
[10]
Ibid., p. 70.
-
[11]
Ibid.,p.72.
-
[12]
Ibidem.
-
[13]
Freud (S.) (1893), « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques », in Résultats…, op. cit. p. 45-59.
-
[14]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op cit, lettre 25 [13], p. 72.
-
[15]
Freud (S.), « Quelques considérations… », op. cit., p. 55 (souligné par Freud).
-
[16]
Ibid., p. 54.
-
[17]
Ibid., p. 55.
-
[18]
Ibid., p. 56 (souligné par Freud).
-
[19]
Ibid., p. 57.
-
[20]
Ibid., p. 57 (souligné par Freud).
-
[21]
Ibidem.
-
[22]
Ibid., p. 58 (souligné par Freud).
-
[23]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op.cit, lettre 13 [9], p. 45.
-
[24]
Freud (S.), Breuer (J.?, Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1973, p. 1.
-
[25]
Ibid., p. 4.
-
[26]
Ibid., p. 5 (souligné par Freud et Breuer).
-
[27]
Dans la Poétique, la catharsis apparaît dans la définition de la tragédie « qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions » (Aristote, Poétique, 1449b 28, Paris, Belles Lettres, 1979, p. 36-37).
-
[28]
Feud (S.), Breuer (J.?, Études sur l’hystérie, op. cit., p. 4 (souligné par Freud et Breuer).
- [29]
-
[30]
Ibidem.
-
[31]
Ibid., p. 7.
-
[32]
Ibidem.
-
[33]
Ibid., p. 8 (souligné par Freud et Breuer).
-
[34]
Ibidem.
-
[35]
Ibid., p. 11.
-
[36]
Ibid., p. 12-13.
-
[37]
Ibid., p. 13.
-
[38]
Jones (E.), La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, vol. I, Paris, PUF, 1953, p. 247-248.
-
[39]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 56.
-
[40]
Ibid.,p.64.
-
[41]
Ibid.,p.67.
-
[42]
Ibid., p. 98, lettre 42[18] du 21 mai 1894.
-
[43]
Lettre de James Strachey à Ernest Jones, cité in Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 22.
-
[44]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 148, note 5.
-
[45]
Ibid., lettre 55 [22], p. 148.
-
[46]
Ibid., lettre 56, p. 152.
-
[47]
Ibid., p. 153.
-
[48]
Ibid., p. 154.
-
[49]
Ibid., lettre 57, p. 155.
-
[50]
Ibid., p. 158.
-
[51]
Ibidem., note 2.
-
[52]
Ibid., lettre 71 [27] du 16 août 1895, p. 176.
-
[53]
Ibid., lettre 63 [23], p. 165.
-
[54]
Ibid., lettre 64 [24], p. 167.
-
[55]
Ibid., lettre 74 [28], p. 181.
-
[56]
Ibid., lettre 75 [29], p. 184.
-
[57]
Ibid., lettre 82 [36], p. 197
-
[58]
Ibid., lettre 76 [30], p. 185-186 (souligné par Freud).
-
[59]
Ibid., p. 656 (souligné par Freud).
-
[60]
Ibid.,p.597.
-
[61]
Ibid., p. 657 (souligné par Freud).
-
[62]
Ibid., p. 658.
-
[63]
« Le faux argument provient d’une première erreur » (Aristote, Organon III, Les premiers analytiques, II 18, Paris, Vrin, 1992, p. 294).
-
[64]
Cf. l’introduction de F. Robert au « Projet d’une psychologie », in Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 597-598.
-
[65]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 660.
-
[66]
Ibid., lettre 123 [59], p. 297.
-
[67]
Ibid., p. 660.
-
[68]
Freud (S.), Breuer Q.), Études sur l’hystérie, op. cit., p. 53, en note.
-
[69]
Ibid., p. 143-144.
-
[70]
Ibid., p. 143-144.
-
[71]
Ibidem.
-
[72]
Ibid., p. 144-145.
-
[73]
Darwin (C), L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, Paris, Payot et Rivages, 2001.
-
[74]
Freud (S.), Breuer (J.), Études sur l’hystérie, op. cit. p. 145.
-
[75]
Ibidem.
1Les Lettres à Wilhelm Fliess [1], enfin parues en français dans une édition complète, montrent Freud au travail. On le voit suivre, en cette fin du XIXe siècle, plusieurs fils de travail à la fois qui aboutiront, dans la même année 1895, à deux écrits significatifs. L’un est publié, les Études sur l’hystérie, écrites avec Breuer. L’autre est réservé au seul public qui compte alors pour lui, son ami Fliess : l’Esquisse d’une psychologie. Celle-ci a de loin le plus d’importance à ses yeux. D’inspiration psychophysiologique, elle prend appui sur la notion de quantité d’excitation et sur le principe de constance. Cette tentative fiévreuse d’élaboration d’une « Psychologie à l’usage du neurologue » [2] a l’ambition de donner au champ des psychonévroses le caractère unifié de la scientificité, sur la base des « mésusages sexuels » [3] et de leur distribution dans les différents symptômes.
2Mais un autre fil court en sourdine dans ces lettres. Freud en sous-estime volontiers l’importance, il dit ne s’en occuper que quand il ne se sent pas assez en forme pour le précédent. Il s’agit du travail effectué avec Breuer sur l’hystérie, qualifié ici de façon un peu péjorative de spirituel : un Witz ! Il a tendance à s’en excuser auprès de l’ami du moment, son « seul autre », son « Messie » [4], comme il appelle Fliess, et à dévaloriser Breuer en conséquence, soulignant son inconstance, son ambivalence, ses défaillances, ses incohérences et autres revirements, dont de multiples exemples jalonnent ces lettres. C’est par ce fil-là que nous allons nous laisser guider. Un troisième fil enfin, celui du transfert, parcourt ces lettres : il ne sera évoqué ici qu’en filigrane, sa présence n’étant pas encore entièrement reconnue.
L’acte inaugural : Charcot et l’objectivité du symptôme
3Rappelons-nous : l’intérêt de Freud pour la grande névrose date des années passées à Paris, où il a été, de 1885 à 1886, en contact avec l’enseignement de Charcot à la Salpêtrière. Enseignement qu’il a tenu à faire connaître au public germanophone en traduisant les Leçons du mardi à la Salpêtrière [5]. En 1893, au moment de la mort du maître, il écrit un article nécrologique. Ce texte, intitulé simplement « Charcot », figure en tête de la « Chronologie », une sorte d’auto-bibliographie en six pages que Freud a rédigée de sa main [6]. Preuve qu’il considérait bien ce « Charcot » comme le premier de ses textes psychanalytiques. Il y parle en termes élogieux du personnage de Charcot ainsi que de l’impression qu’il lui a laissée. Mais c’est pour mieux critiquer in fine la position du maître sur l’étiologie de l’hystérie. On le sait : en posant l’hérédité comme sa cause unique, Charcot réduisait l’hystérie à une forme de dégénérescence, la situant comme un membre de la « famille névropathique » et ne laissant aux autres facteurs étiologiques qu’un rôle secondaire d’« agents provocateurs » [7].
4Freud choisit de porter l’accent sur un autre point, dont il fait l’apport essentiel de Charcot : avoir répété l’acte de libération des aliénés par Pinel en répondant « de toute son autorité […] de l’authenticité et de l’objectivité des phénomènes hystériques » [8]. Ce qui lui aurait permis de prendre en considération une question aux conséquences insoupçonnées : « D’où vient que l’hystérique est soumis à un affect dont il affirme ne rien savoir du motif ? » [9] Fondée sur les « je ne sais pas » répétés dont le sujet fait réponse aux interrogations portant sur ses symptômes, cette question ouvre la voie à la « théorie d’un clivage de la conscience comme solution à l’énigme de l’hystérie » [10]. Cette solution rejoint celle de la possession démoniaque, qui comportait elle aussi un clivage semblable.
5De l’enseignement de Charcot, Freud retiendra surtout les expériences menées à la Salpêtrière, lors desquelles le maître reproduisait artificiellement, chez des sujets mis au préalable dans un état de somnambulisme par le biais de l’hypnose, des paralysies hystériques survenues à la suite de traumatismes : « Par une démonstration sans faille, écrit Freud, il [Charcot] parvint à prouver que ces paralysies étaient le résultat de représentations qui dominaient le cerveau dans des moments de disposition particulière. Ainsi était pour la première fois élucidé le mécanisme d’un phénomène hystérique, et c’est de ce morceau de recherche clinique d’une incomparable beauté que partit son propre élève P. Janet, que partirent Breuer et d’autres [Freud lui-même !] pour jeter les bases d’une théorie de la névrose qui coïncide avec la conception du Moyen Âge, une fois remplacé le “démon” de l’imagination cléricale par une formule psychologique. » [11]
6C’est à Charcot que reviendrait ainsi le mérite d’avoir « pour la première fois, élucidé le mécanisme d’un phénomène hystérique », accomplissant « un pas qui lui assurera pour tous les temps la gloire » [12]. Le texte établit bien une filiation de Charcot à Freud via
7Breuer. Le ton est élogieux et il n’y a pas de raison de douter de l’estime de Freud pour Charcot, dont il a choisi à la même époque de donner le prénom, Martin, à l’un de ses enfants. La surprise du lecteur est par conséquent d’autant plus grande lorsque, la même année 1893, à propos d’un texte portant sur ce même sujet des paralysies hystériques, qui plus est écrit en français et répondant à une ancienne demande de Charcot lui-même, Freud s’exprime, dans une lettre à Fliess, sur un ton tout autre.
« À partir d’un seul trait d’esprit »
8Le texte s’intitule « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques » [13]. À son propos, le 10 juillet 1893, Freud écrit à Fliess : « Les paralysies hystériques devaient déjà être parues depuis longtemps […], c’est un article très court, écrit pour ainsi dire à partir d’un seul trait d’esprit. » [14] Le Witz en question paraît dans la proposition suivante du texte : « L’hystérie se comporte dans ses paralysies et autres manifestations comme si l’anatomie n’existait pas, ou comme si elle n’en avait nulle connaissance. » [15] Nous voyons que par ce qu’il considère négligemment comme un trait d’esprit, Freud fait passer une idée neuve, à vrai dire une révolution.
9En effet, il est à cet endroit en train de discuter d’une question qui était à l’honneur à la Salpêtrière : de quelle nature est la lésion cérébrale responsable de la paralysie hystérique ? La localisation de telles lésions dans les troubles organiques selon la méthode anatomoclinique, a été un des apports du Charcot à qui fut confiée la première Chaire de clinique des maladies nerveuses en 1882. Or, concernant l’hystérie, le maître prônait l’existence d’une « lésion corticale mais purement dynamique ou fonctionnelle » [16], du fait qu’aucune altération anatomique n’était décelable à l’autopsie. S’élevant à présent contre cet avis, Freud affirme que la lésion des paralysies hystériques doit être tout à fait indépendante de l’anatomie du système nerveux, et justifie sa position en rappelant les caractères de la paralysie hystérique. Celle-ci « prend les organes dans le sens vulgaire, populaire, du nom qu’ils portent : la jambe est la jambe jusqu’à l’insertion de la hanche, le bras est l’extrémité supérieure comme elle se dessine sous les vêtements » [17].
10Jusque-là, Freud ne fait que suivre les positions de Janet. Mais pour répondre à la question : « comment pourrait être la lésion qui est la cause des paralysies hystériques ? » [18], il propose - écoutons bien ! - de prendre Charcot au mot et d’entendre « lésion fonctionnelle ou dynamique » dans son sens propre : « altération de fonction ou de dynamisme ». Imitant ainsi l’hystérique, qui est, comme nous le verrons, bonne théoricienne, il demande au lecteur « la permission de passer sur le terrain de la psychologie » et franchit aussitôt un pas de plus : « La lésion de la paralysie hystérique sera donc une altération de la conception, de l’idée de bras par exemple. » [19] C’est la notion même de lésion qui se trouve ici subvertie.
11Surgit alors une de ces questions rhétoriques par lesquelles Freud ménage son lecteur, un peu abasourdi par ce qui précède : mais quelle sorte d’altération d’idée pourrait produire une paralysie ? Et il enfonce le clou : « La paralysie du bras consiste dans le fait que la conception du bras ne peut pas entrer en association avec les autres idées qui constituent le moi dont le corps de l’individu forme une partie importante ! » Essayons de ne pas entendre ces propositions comme un savoir qui fait maintenant partie de notre bain culturel, pour saisir l’audace que comporte ce pas : « La lésion serait donc l’abolition de l’accessibilité associative de la conception du bras. Le bras se comporte comme s’il n’existait pas pour le jeu des associations. » Ceci, bien entendu, « sans que son substratum matériel soit endommagé » [20]. Raisonnement d’une simplicité classique, de logicien.
12À l’appui de sa thèse, Freud raconte alors - quoi d’autre ? - des Witz ! Comme cette histoire comique d’un sujet loyal qui ne voulut pas laver sa main parce que son souverain l’avait touchée : « La relation de cette main avec l’idée du roi semble si importante à la vie psychique de l’individu qu’il se refuse à faire entrer cette main en d’autres relations » [21], commente-t-il. Pour ajouter : « Dans tous les cas […], on trouve que l’organe paralysé ou la fonction abolie est engagé dans une association subconsciente qui est munie d’une grande valeur affective et l’on peut montrer que le bras devient libre aussitôt que cette valeur affective est effacée. » [22] Allusion claire au procédé cathartique, dont Freud vient de publier un aperçu, en collaboration avec Breuer, dans leur « Communication préliminaire » (1893) aux Études sur l’hystérie.
13Nous voyons ainsi la place du Witz dans la démarche freudienne : celle d’un procédé heuristique, comme l’était le mythe pour Platon, capable d’emporter la mise là où l’argumentation aurait failli. Mais s’il n’accorde pas pour l’instant aux Witz leur fonction de vecteurs de vérité, il ne semble pas accorder non plus à ce travail sur les paralysies hystériques l’importance qu’il revêt pour nous après-coup. Freud ne disposait pas d’une théorie du langage adéquate. Il produit ce texte, qui introduit un fait nouveau : le mécanisme strictement langagier à l’œuvre dans la formation du symptôme, tout en le considérant comme un bon Witz, à inscrire dans la marge de son œuvre principale du moment, la « Psychologie à l’usage du neurologue », du nom qu’il donne à l’Esquisse dans ses lettres.
« Le langage, un équivalent de l’acte »
14Freud parle à Fliess des Études sur l’hystérie comme d’un Witz : « Breuer s’est déclaré prêt à ce que la théorie de l’abréaction et nos autres traits d’esprit communs sur l’hystérie fassent l’objet d’une publication détaillée, commune elle aussi. » [23] La « Communication préliminaire » voit le jour en 1893 et porte sur le mécanisme psychique des phénomènes hystériques. Breuer et Freud poursuivent ici le dialogue avec Charcot, prenant cette fois plus nettement le contre-pied de sa conception de l’hystérie. Ils affirment pour commencer que ce n’est pas l’hérédité mais le « facteur accidentel », « traumatique », qui est déterminant dans la formation du symptôme. L’hystérie est arrachée ainsi à la « famille névropathique » et à la dégénérescence [24].
15Faisant un pas de plus, ils posent que le symptôme répète le traumatisme, soit directement, comme dans les visions hallucinatoires lors des accès, soit à travers un lien symbolique semblable à celui du rêve. Cette conception met à mal la notion même d’« agent provocateur ». À la place, ils proposent de concevoir le traumatisme, qu’ils situent dans l’enfance (sans pour l’instant aller jusqu’à généraliser cette assertion), « à la manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue à jouer un rôle actif » [25]. Ce qui justifie la célèbre formule : « C’est de réminiscences surtout que souffre l’hystérique. » [26] Le fait nouveau ici consiste en la prise en compte de l’histoire du sujet dans l’approche du symptôme, concernant autant son origine que son interprétation.
16C’est à Breuer que Freud doit d’avoir apporté à l’approche de l’hystérie ce nouveau souffle, en réalité fruit de l’enseignement d’Anna O., sa patiente. C’est cette jeune femme, on le sait, qui a enseigné à Breuer la talking cure, cure par la parole, lui a appris à se taire pour écouter et l’a initié à l’effet dit (à la suite d’Aristote [27]) « cathartique » : celui de la suppression du symptôme par l’évacuation de l’affect via la remémoration de la scène traumatique. Breuer et Freud n’y étaient pas préparés et font part ici de leur surprise devant cet effet. On pourrait la comparer, mutatis mutandis, à la surprise de Newton devant la pomme qui lui est, dit-on, tombée sur la tête ! Comment, lourds ou légers les corps ne faisaient que tomber ? Ne supposait-on pas jusqu’alors que seul le lourd tombe, le « grave », alors que le léger s’élève ? De la même manière, pourrait-on dire, Charcot avait su reproduire des symptômes hystériques sous hypnose mais en supprimer dans une visée thérapeutique, l’idée n’était encore venue à personne (sauf à l’hérétique Bernheim à Nancy, resté en marge de la science expérimentale).
17« À notre très grande surprise, écrivent nos auteurs, nous découvrîmes en effet, que chacun des symptômes hystériques disparaissait immédiatement et sans retour quand on réussissait à mettre en pleine lumière le souvenir de l’incident déclenchant, à éveiller l’affect lié a ce dernier et quand, ensuite, le malade décrivait ce qui lui était arrivé de façon fort détaillée et en donnant à son émotion une expression verbale. » [28] Cette réaction, dite « cathartique », à savoir de nettoyage (purgation) de l’affect, se produirait la plupart du temps spontanément dans le quotidien ; elle consiste, par exemple, au fait de « se soulager par les larmes » ou encore de « décharger sa colère ». Cela permet aux souvenirs de s’effacer, que ce soit par des actes ou par des paroles. Ainsi, « l’être humain trouve dans le langage un équivalent de l’acte, équivalent grâce auquel l’affect peut être “abréagi” à peu près de la même façon » [29]. Ce n’est que lorsque cette réaction spontanée ne se produit pas que le souvenir garde sa charge affective. Mais celle-ci peut encore s’atténuer par intégration du souvenir « dans le grand complexe des associations » [30].
18Le traumatisme, dans cette conception, correspond à des souvenirs qui n’ont pas été suffisamment « abréagis » [31]. Selon les auteurs, deux motifs peuvent faire obstacle à l’abréaction : 1) le caractère pénible du contenu du souvenir, comme par exemple dans « les délires hystériques des saints et des religieuses, des femmes continentes, des enfants sévèrement éduqués » [32] ; 2) l’état du sujet au moment de la production du souvenir, comme la « rêverie », de « fortes émotions paralysantes, telles par exemple, qu’une frayeur », et autres. Les deux motifs ont en commun d’empêcher également la liquidation de l’affect par élaboration associative. De ce fait, « les représentations devenues pathogènes se maintiennent dans toute leur fraîcheur et toujours aussi chargées d’émotion » [33].
19Mais comment expliquer alors que ces souvenirs pourtant si vifs ne sont pas tenus à la disposition du sujet ? L’hypothèse de l’inconscient n’étant pas encore formulée, nos auteurs ont recours à la notion classique d’une « dissociation du conscient » (Binet, Janet) avec apparition d’« états de conscience anormaux » qu’ils rassemblent sous le nom d’« états hypnoïdes » et dont ils font un phénomène fondamental et permanent de l’hystérie, sa « condition nécessaire » [34]. Il s’ensuit que si le sujet hystérique est un aliéné, il l’est au même titre que « nous le sommes tous dans nos rêves ». À la différence que les états hypnoïdes pénètrent dans la vie éveillée sous la forme de phénomènes hystériques, accès et symptômes.
20Les états hypnoïdes de l’hystérie seraient donc à concevoir comme un « rudiment, plus ou moins organisé, d’un second conscient, d’une condition seconde. Ensuite, le symptôme hystérique permanent correspond à une infiltration de ce second état dans l’innervation corporelle » [35]. Le procédé psychothérapique découle logiquement de cette conception du symptôme ; il suit le chemin de sa formation en sens inverse : « Il supprime les effets de la représentation qui n’avait pas été primitivement abréagie, en permettant à l’affect coincé de celle-ci de se déverser verbalement ; il amène cette représentation à se modifier par voie associative en l’attirant dans le conscient normal (sous hypnose légère) ou en la supprimant par suggestion médicale. » [36]
21Nous voyons que ce procédé provient de l’hypnose, en préserve une bonne part et fait encore la part belle à la suggestion. Un pas de plus est fait par rapport à Charcot qui, après avoir « expliqué et reproduit expérimentalement les paralysies hystéro-traumatiques », n’était pas allé jusqu’à envisager un traitement adéquat. Mais les auteurs, à la fin du texte, laissent ouverte la question de la « cause interne de l’hystérie » [37]. C’est que celle-ci pose entre eux un sérieux problème. Leurs voies se séparent : la fin des Études est occupée par deux textes signés séparément. Breuer écrit des « Considérations théoriques » où il reprend les théories du moment sur le clivage de la conscience. Freud signe, de son côté, la « Psychothérapie de l’hystérie » où il est seul à avancer sa « formule étiologique » : l’origine sexuelle de la névrose. « Il serait injuste d’attribuer à mon vénéré ami, Joseph Breuer, une trop lourde part dans cette évolution », écrit-il mi-figue mi-raisin.
De Breuer à Fliess, ou du Witz au Wahnwitz…
22Après avoir occupé, aux côtés de Freud, une place de pionnier dans l’abord de l’hystérie, Breuer aurait reculé, comme le veut la légende propagée par Jones [38] et nuancée depuis, devant l’étiologie sexuelle ainsi que devant le transfert d’Anna O. Les accès de celle-ci ayant pris la forme de scènes d’accouchement, Breuer se serait éloigné de la question de l’hystérie ainsi que de la cure de la jeune femme, reprenant sa vie de médecin respectable et faisant un second voyage de noces avec sa femme à Venise… Mais plutôt que de jeter l’anathème sur Breuer, il serait plus juste de dire que la théorie traumatique, à laquelle il a largement contribué, ne faisait pas de place au phénomène transférentiel. Breuer ne pouvait donc pas reconnaître le transfert à l’œuvre dans la cure d’Anna O.
23La sortie de Breuer ne dissuade pas Freud quant à sa « formule étiologique », qu’il étendra progressivement aux autres névroses. Mais elle l’oblige à se chercher un nouveau public, d’où l’importance de Fliess. Ce dernier, tout absorbé par ses théories plus qu’originales sur les rapports entre le nez et les organes sexuels féminins (la « névrose nasale réflexe »), n’a pas été arrêté par l’origine sexuelle des névroses qui rebutait tant de contemporains, alors même qu’elle devenait aux yeux de Freud la pierre de touche de la psychanalyse. C’est par là en effet que Freud s’estime alors fondateur d’une discursivité nouvelle ; en témoigne le ton conquérant de certaines de ses assertions. Ainsi, en date du 8 février 1893, dans le Manuscrit B : « Avec Breuer […] nous avons dit : toute hystérie qui n’est pas héréditaire est traumatique. De même maintenant pour la neurasthénie ; on dira que toute neurasthénie est sexuelle. » [39] La prétention à l’universalité est inaugurale du nouveau discours. Ainsi encore, dans le Manuscrit C, haranguant un Fliess timoré : « Éviter de mentionner l’étiologie sexuelle des névroses […], ce serait arracher à la couronne sa plus belle feuille […], quelque chose de nouveau […], la clé qui ouvre tout » [40] ! Et à nouveau dans le Manuscrit C/2 : « Le mésusage sexuel a été de tout temps mentionné comme l’une des causes de la neurasthénie. Selon notre conception, ce facteur est l’étiologie spécifique de la névrose. » [41]
24Nous voyons sur quel ton se déroulent les échanges de Freud avec le très sérieux oto-rhino-laryngologiste berlinois Fliess. Contrairement à Freud, ce docte va vers l’anatomie chaque fois qu’une plainte lui est adressée, soumettant, en plus de ses patients, les membres de son entourage : sa femme, ses belles sœurs, son ami Freud et lui-même, à des opérations douloureuses au niveau du nez. Si Breuer était condamné à la méconnaissance du transfert, Fliess en représente la négation pure et simple. Les passages de la correspondance sont légion, où Freud expose à son ami son « cas », associant coups de fatigue, palpitations, mauvaise humeur et peur de mourir. Rien de tout cela n’est entendu : en réponse, Fliess le soumet invariablement à des cautérisations, cocaïnisations, et autres opérations plus invasives au niveau du nez ! Serait-ce, pour Freud, le prix à payer pour avoir son public, à cette époque de splendide isolement où, dans les cercles médicaux, on le considère, dit-il, « comme un monomane » [42] ?
25S’il y a une situation qui exemplifie cette sorte de « folie à deux » (le mot est de Strachey [43]) qui s’empare des deux amis à cette époque, c’est le « cas » Emma Eckstein. Cette patiente de Freud souffrait de symptômes comme : difficulté à la marche, dysménorrhée, gastralgies. A la demande de Freud, Fliess l’examina lors d’un de ses passages à Vienne, à la fin décembre 1894. « Sur la base de ses travaux, mettant en relation certains “points” de la muqueuse nasale et toute une série de troubles (névrose réflexe nasale), il proposa une opération qu’il n’avait encore jamais tentée : l’ablation du tiers antérieur du cornet moyen gauche. Freud accepta. L’opération eut lieu à Vienne le 20 ou 21 février 1895, au domicile d’Emma Eckstein. » [44]
26Les suites sont désastreuses. Dans sa lettre du 4 mars 1895, Freud parle de « gonflement encore persistant, et avec des hauts et des bas, “comme une avalanche”, des douleurs, si bien qu’on ne peut pas se passer de la morphine, mauvaises nuits » [45]. Suivent suppuration, saignement massif : « deux cuvettes pleines ». Le 8 mars, comme « cela saignait de nouveau […] du nez et de la bouche », il fait appel à un spécialiste viennois qui « nettoya le pourtour de l’ouverture, retira des caillots de sang qui adhéraient, et, brusquement, il tira sur quelque chose qui ressemblait à un fil, il continua à tirer ; avant que l’un de nous deux ait eu le temps de réfléchir, un morceau de gaze long d’un bon demi-mètre était extrait de la cavité » [46] !
27Suit à nouveau un saignement massif, la malade est blanche et sans pouls, les yeux exorbités, méconnaissable. À ce moment-là, « où tout devint clair », Freud a un malaise : « Je me suis enfui dans la pièce à côté, j’ai bu une bouteille d’eau et je me suis trouvé pitoyable […]. Lorsque je suis entré un peu chancelant dans la chambre, elle m’accueillit avec cette remarque hautaine : “Voilà le sexe fort !” » [47] Freud s’explique ce malaise en pensant avoir été injuste envers la jeune fille ainsi que par son appréhension d’avoir à annoncer tout cela à Fliess. Comme à son habitude, il s’adonne avec plus d’ardeur au travail : « Je ne produis curieusement jamais plus facilement que lorsque j’ai des troubles légers de ce genre. J’écris donc maintenant la thérapie de l’hystérie par feuillets entiers. » [48]
28« Cela a été pour moi une période horrible » [49], continue-t-il dans la lettre suivante, datée du 13 mars ; les nouvelles de « la pauvre Eckstein » ne sont pas bonnes : elle subit une seconde opération avec saignement massif « au point qu’elle faillit y rester […]. J’ai perdu tout espoir pour cette pauvre fille […] cela me désole beaucoup pour elle, elle m’était devenue très chère. » [50] J. M. Masson, l’éditeur des Lettres en anglais, rapporte en effet que selon le Dr Ada Elias, pédiatre et nièce d’Emma, « son visage a été défiguré […], l’os a été creusé et l’un des côtés s’est affaissé » [51]. Triste épilogue. Mais Freud ne perd pas encore sa confiance à Fliess. Au contraire, il lui proposera bientôt de prendre en charge son frère Alexander et lui-même : « Tant que nos nez le permettront » [52], dit-il avec son ironie douce-amère. Et son ardeur au travail reste intacte.
29En avril, il se dit « obnubilé par la psychologie à l’usage du neurologue » [53] et en mai il écrit : « Un homme comme moi ne peut vivre sans marotte, sans passion dominante, sans un tyran. » Il ajoute que le « Projet » absorbe « chaque minute que j’avais de libre, j’ai ainsi passé une partie de mes nuits, de onze heures à deux heures, à élaborer des fantaisies, traduire et deviner […] » [54]. En septembre, dans le train qui le ramène de Berlin, où il vient de partager avec son ami un de leurs « congrès » à deux, il commence à rédiger [55] et le 8 octobre, il peut enfin envoyer à Fliess « deux cahiers […] griffonnés d’un seul jet » [56] : c’est le texte connu comme l’Esquisse d’une psychologie scientifique, dont il dira en novembre que cela lui paraît déjà une élucubration, « une sorte d’insanité » (Wahnwitz) [57].
La formation de symbole
30La référence au Witz est toujours là mais, cette fois, il s’agit d’un trait d’esprit troublé, d’une insanité. Ce texte difficile, aride, abstrait, contient pourtant une autre approche d’Emma Eckstein, qui mériterait d’être citée comme une des premières analyses de Freud. Sa lecture nécessite deux présupposés : 1) la découverte du « grand secret clinique », annoncée à Fliess le 15 octobre 1895 : « L’hystérie est la conséquence d’un effroi sexuel présexuel. La névrose de contrainte est la conséquence d’un plaisir sexuel présexuel qui se transforme plus tard en reproche. » [58] 2) L’assertion que « le refoulement hystérique a lieu manifestement à l’aide de la formation de symbole, du déplacement » où, à la place d’une représentation B inconciliable, une représentation A surgit toujours dans le conscient. Ainsi, dans le symptôme, « le processus du refoulement reste le noyau de l’énigme » [59].
31François Robert, dans son introduction aux Lettres, propose de voir ici « une réponse théorique apportée à la grande scène traumatique de mars » [60]. En effet, la sortie de la folie à deux se fait par la voie de l’analyse : « Emma se trouve actuellement sous la contrainte de ne pas pouvoir aller seule dans un magasin. Pour justifier cela, un souvenir remontant à sa douzième année (peu après la puberté). Alors qu’elle faisait des courses dans un magasin, elle vit deux commis - elle se souvient de l’un d’eux - qui riaient ensemble, et saisie d’une sorte d’affect d’effroi, prit la fuite. À ce propos peuvent être éveillées les pensées suivantes : ils avaient tous les deux ri de sa robe et l’un d’eux lui avait plu sexuellement. » [61] L’énigme du symptôme reste entière : les associations qu’il suscite s’y rapportent, mais obscurément, sans l’expliquer.
32« Or une nouvelle recherche met à découvert un nouveau souvenir » : ce sera la scène II, le souvenir précédent étant du même coup décalé en scène I. « Enfant, à l’âge de huit ans, elle est allée deux fois seule dans le magasin d’un épicier pour acheter des friandises. Le patron lui agrippa les organes génitaux à travers ses vêtements » [62], et ce faisant, il accompagna son geste d’un rictus. Ce trait va permettre la liaison associative avec le rire des commis de la scène I. De nouveaux éléments significatifs apparaissent ici par rapport à la théorie du traumatisme des Études sur l’hystérie. Nous voyons que la scène II, de l’« attentat » sexuel, reste gravée à l’état de trace mnésique jusqu’à ce que le souvenir de cette scène provoque après-coup, à l’occasion d’une scène I plus anodine mais survenue après la puberté, la déliaison sexuelle qui se transforme en angoisse.
33Freud nomme ici, à la suite d’Aristote [63], prôton pseudos hystérique, la connexion fausse, la conséquence erronée établie par Emma « entre l’affect d’effroi et l’élément représentatif parvenu à la conscience » [64] (le rire, les vêtements, un vague émoi sexuel). Mais cette méprise se déroule en deux temps. Le symptôme est donc ici le fait d’un souvenir refoulé agissant après-coup comme un trauma par l’intermédiaire d’un symbole (vêtements) et à la suite de la « modification liée à la puberté [qui] a rendu possible une autre compréhension de ce qui est remémoré » [65]. Freud mettra encore deux ans avant d’entendre le Witz contenu dans cette proposition. Ce sera chose faite le 6 avril 1897, lorsqu’il écrira à Fliess : « Le trait d’esprit qui me manquait dans la solution de l’hystérie, c’est la découverte d’une nouvelle source d’où procède un nouvel élément de la production inconsciente. Je veux parler des fantaisies hystériques, qui remontent régulièrement, comme je le constate, aux choses que les enfants ont entendu très tôt et comprises seulement après coup. » [66] On le voit : c’est à nouveau un Witz qui ouvre la voie à une découverte, ici celle du fantasme, qui remet en question la théorie traumatique et rend cette fois possible la prise en compte du transfert.
34Pour l’instant, dans l’Esquisse, Freud constate à partir d’Emma que le réveil tardif de l’affect par rapport au vécu est caractéristique de la représentation sexuelle, et d’elle seule, du fait de l’« arrivée retardée de la puberté par rapport au reste du développement de l’individu ». C’est ce qui fait, ajoute-t-il, que « chaque personne devrait donc porter en soi le germe de l’hystérie » [67]. La prématurité de la déliaison sexuelle est donc l’élément qui donne ici au facteur sexuel sa signification étiologique dans l’origine des névroses.
Mésusage sexuel, mésusage spirituel ?
35Si l’analyse d’Emma Eckstein a permis de repérer le rôle de la formation de symbole dans le mécanisme de production du symptôme, c’est avec Cecilie M. que Freud dit être allé le plus loin sur cette voie. Elle, qu’il nomme dans une lettre « ma préceptrice », et dont le cas aurait été « le mieux étudié » [68] ! Il en tire plusieurs exemples qui « paraissent démontrer la formation possible des symptômes par simple symbolisation. L’un de mes plus beaux exemples est le suivant : il se rapporte, une fois encore, à Frau Cecilie. Alors âgée de 15 ans, elle gardait le lit, veillée par une grand-mère, fort sévère. Soudain l’enfant se mit à crier car elle éprouvait une douleur térébrante au front, entre les yeux, et cette douleur persista pendant plusieurs semaines. Dans l’analyse de cette douleur […], la malade déclara que sa grand-mère l’avait regardée de façon si “perçante” que ce regard avait pénétré profondément son cerveau ; elle avait craint que cette vielle dame ne l’eût considérée avec méfiance. En me faisant part de cette idée, elle éclata d’un rire sonore, et la douleur se dissipa alors de nouveau » [69] !
36Nous avons là une nouvelle situation qui fait ressortir le caractère spirituel du symptôme, le style spirituel (witzig) par lequel une représentation psychique vient à être représentée par une sensation corporelle. Dans ce symptôme, la sensation douloureuse « térébrante » au front devient le symbole du regard « perçant » traduisant la méfiance de la grand-mère sévère. Le texte se poursuit par « une vraie collection de ces sortes de symbolisations […] toute une série de sensations et de représentations parallèles » [70] chez Cecilie M., dans lesquelles des locutions communes comme « coup au cœur » ou « coup au visage » sont prises, écrit Freud, « dans leur sens littéral » et ressenties « comme un fait réel » [71]. À travers ces symptômes, ajoute-t-il, l’hystérique « n’en fait pas un mésusage spirituel, mais ne ranime que les impressions auxquelles la locution verbale doit sa justification » !
37Nous sommes devant un de ces pas audacieux qui caractérisent la pensée de Freud. Écoutons plutôt : « Comment en sommes-nous venus à dire, en parlant d’une personne offensée : “ça lui a donné un coup au cœur” si l’impression pénible n’a pas réellement été accompagnée d’une sensation précordiale qu’elle reconnaît et qui peut donc être reconnaissable ? N’est-il pas vraisemblable que l’expression “avaler quelque chose” utilisée pour parler d’une offense subie à laquelle on n’a pas répondu, émane vraiment de sensations d’innervation apparaissant dans la gorge, lorsque l’offensé s’est interdit de répondre et de réagir ? » [72]
38Pour fonder une telle affirmation, Darwin est appelé à la rescousse qui, en 1872, dans L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, enseignait que les mouvements émotionnels consistaient primitivement en actes adéquats, bien motivés [73]. Ceux-ci se trouvant à notre époque affaiblis, « leur expression verbale nous apparaît comme une traduction imagée, mais il semble probable que tout cela a eu jadis un sens littéral » [74] ! Cette prise des métaphores langagières dans la formation du symptôme donne à Freud l’occasion d’affirmer avec force que les hystériques ne se trompent pas : il ne sera plus dit désormais que les hystériques seraient inaccessibles à la dimension métaphorique autrement qu’à travers la conversion somatique. Nous sommes loin ici de la dégénérescence, comme de la folie iatrogène de Fliess.
39Nous n’avons pas à corriger l’hystérique mais à nous laisser enseigner, et pas seulement sur le symptôme : « L’hystérique a donc raison de redonner à ses innervations les plus fortes leur sens verbal primitif. Peut-être même a-t-on tort de dire qu’elle crée de pareilles sensations par symbolisation ; peut-être n’a-t-elle nullement pris le langage usuel comme modèle, mais a-t-elle puisé à la même source que lui. » [75] Ces quelques lignes contiennent comme une théorie du langage et de la lettre avant l’heure. C’est en même temps à un mythe, un peu comme à un Totem et tabou sur la naissance du langage que nous venons d’assister. Dans le texte des Études sur l’hystérie, ces lignes apparaissent comme un météore, ne donnant lieu à aucune reprise ultérieure, aucune systématisation, jusque et y compris dans la conclusion. A la manière d’un Witz, il s’agit d’une pensée incidente qui est, comme si souvent, à la base des théories de Freud et sa fonction se limite à ses effets : un souffle de fraîcheur surprend le lecteur et le transporte comme l’explosion du rire sonore de Frau Cecilie.
Notes
-
[1]
Freud (S.), Lettres à Wûhelm Fliess, édition complète, Paris, PUF, 2006.
-
[2]
Ibid., lettre 63[23], p.165.
-
[3]
Le terme est de Freud. Cf. ibid. le Manuscrit C/2, p. 67.
-
[4]
Ibid., lettre 25 [13], p. 72.
-
[5]
Traduction parue en plusieurs livraisons jusqu’en 1894 chez Deuticke sous le titre Conférences policliniques.
-
[6]
Liste conservée dans la « Sigmund Freud Collection », à la bibliothèque du Congrès. Cf. Grubrich-Simitis (I.), Freud : retour aux manuscrits, Paris, PUF, 1997, p. 23-24.
-
[7]
Freud (S.), « Charcot » (1893), in Résultats, idées, problèmes, vol. I, Paris, PUF, 1984, p. 71.
-
[8]
Ibid., p. 69.
-
[9]
Ibidem.
-
[10]
Ibid., p. 70.
-
[11]
Ibid.,p.72.
-
[12]
Ibidem.
-
[13]
Freud (S.) (1893), « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques », in Résultats…, op. cit. p. 45-59.
-
[14]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op cit, lettre 25 [13], p. 72.
-
[15]
Freud (S.), « Quelques considérations… », op. cit., p. 55 (souligné par Freud).
-
[16]
Ibid., p. 54.
-
[17]
Ibid., p. 55.
-
[18]
Ibid., p. 56 (souligné par Freud).
-
[19]
Ibid., p. 57.
-
[20]
Ibid., p. 57 (souligné par Freud).
-
[21]
Ibidem.
-
[22]
Ibid., p. 58 (souligné par Freud).
-
[23]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op.cit, lettre 13 [9], p. 45.
-
[24]
Freud (S.), Breuer (J.?, Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1973, p. 1.
-
[25]
Ibid., p. 4.
-
[26]
Ibid., p. 5 (souligné par Freud et Breuer).
-
[27]
Dans la Poétique, la catharsis apparaît dans la définition de la tragédie « qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions » (Aristote, Poétique, 1449b 28, Paris, Belles Lettres, 1979, p. 36-37).
-
[28]
Feud (S.), Breuer (J.?, Études sur l’hystérie, op. cit., p. 4 (souligné par Freud et Breuer).
- [29]
-
[30]
Ibidem.
-
[31]
Ibid., p. 7.
-
[32]
Ibidem.
-
[33]
Ibid., p. 8 (souligné par Freud et Breuer).
-
[34]
Ibidem.
-
[35]
Ibid., p. 11.
-
[36]
Ibid., p. 12-13.
-
[37]
Ibid., p. 13.
-
[38]
Jones (E.), La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, vol. I, Paris, PUF, 1953, p. 247-248.
-
[39]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 56.
-
[40]
Ibid.,p.64.
-
[41]
Ibid.,p.67.
-
[42]
Ibid., p. 98, lettre 42[18] du 21 mai 1894.
-
[43]
Lettre de James Strachey à Ernest Jones, cité in Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 22.
-
[44]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 148, note 5.
-
[45]
Ibid., lettre 55 [22], p. 148.
-
[46]
Ibid., lettre 56, p. 152.
-
[47]
Ibid., p. 153.
-
[48]
Ibid., p. 154.
-
[49]
Ibid., lettre 57, p. 155.
-
[50]
Ibid., p. 158.
-
[51]
Ibidem., note 2.
-
[52]
Ibid., lettre 71 [27] du 16 août 1895, p. 176.
-
[53]
Ibid., lettre 63 [23], p. 165.
-
[54]
Ibid., lettre 64 [24], p. 167.
-
[55]
Ibid., lettre 74 [28], p. 181.
-
[56]
Ibid., lettre 75 [29], p. 184.
-
[57]
Ibid., lettre 82 [36], p. 197
-
[58]
Ibid., lettre 76 [30], p. 185-186 (souligné par Freud).
-
[59]
Ibid., p. 656 (souligné par Freud).
-
[60]
Ibid.,p.597.
-
[61]
Ibid., p. 657 (souligné par Freud).
-
[62]
Ibid., p. 658.
-
[63]
« Le faux argument provient d’une première erreur » (Aristote, Organon III, Les premiers analytiques, II 18, Paris, Vrin, 1992, p. 294).
-
[64]
Cf. l’introduction de F. Robert au « Projet d’une psychologie », in Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 597-598.
-
[65]
Freud (S.), Lettres à Wilhelm Fliess, op. cit. p. 660.
-
[66]
Ibid., lettre 123 [59], p. 297.
-
[67]
Ibid., p. 660.
-
[68]
Freud (S.), Breuer Q.), Études sur l’hystérie, op. cit., p. 53, en note.
-
[69]
Ibid., p. 143-144.
-
[70]
Ibid., p. 143-144.
-
[71]
Ibidem.
-
[72]
Ibid., p. 144-145.
-
[73]
Darwin (C), L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, Paris, Payot et Rivages, 2001.
-
[74]
Freud (S.), Breuer (J.), Études sur l’hystérie, op. cit. p. 145.
-
[75]
Ibidem.