Che vuoi ? 2005/2 N° 24

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Article de revue

Le paiement en psychanalyse

Pages 37 à 60

Notes

  • [1]
    Dans cette veine du paisible, « propager », bouturer renvoient au travail. Une série de mots en apparence éloignés les uns des autres pour leur signification immédiate, mais qui font état du travail agricole, sont ainsi construits sur le latin: pax, pacis, d’où pagus, d’où viendront « paysan, païen », puisque la christianisation a initialement avancé dans les villes ; sur palus, pala, il y a la « pelle », le « pieu », divers outils qui servent aux champs, mais la série s’étend jusqu’aux instruments de torture : le tripalium (Lacan le rappelle), au-delà de l’instrument de torture qu’il est, est d’abord le « tourment », et donnera le « travail » (et la « peine » qui signifiait auparavant le travail est devenue le tourment : il y a là un chiasme).
  • [2]
    Lacan (J.), Le Séminaire, La logique du fantasme, Livre XIV, 15 février 1967, inédit.
  • [3]
    Je veux dire : s’il existait en soi.
  • [4]
    C’est comme je la lis, la « représentance » de Freud.
  • [5]
    C’est encore admissible, si l’on indice ledit signifiant de sa qualité de fonction distordue. (Pour « distordue », Quine aurait dit – je francise – : « falsidique », à ne pas confondre pour autant avec taux ou falsifié: il ne s’agit que d’inflexion, donc de modalisation.)
  • [6]
    Lacan (J.), Écrits., Paris, Seuil, 1966, p. 272-279.
  • [7]
    Benveniste (É.), « Le langage et l’expérience humaine », Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, t. II.
  • [8]
    Freud (S.), «L’inconscient », G. W. X., Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1948.
  • [9]
    La « pureté » étant ici aussi une restriction de la chaîne signifiante – qui en fait est un réseau multidimensionnel – sur sa fonction de concaténation, S1, linéaire par simplification. Le rapport de S1 à S2 induit sa structure de proche en proche pour donner la chaîne des S2, puisqu’il n’y a de signifiance que sous condition de produire effectivement du signifiant « proprement » dit. De là une double division du signifiant de unaire à binaire (S1 ? S2) et de premier à second (S2 ? S?2). La signifiance S1 est plus exactement la structure fonctionnelle comme telle (en intension, dit-on) du dit signifiant (S2), quand celui-ci n’est que la saisie extensionnelle de celle-ci.
  • [10]
    On peut aussi se référer à la doublure de la bande de Mœbius par pincement avec torsion du tore (cf. J. Lacan, « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Le champ freudien, 2001, p. 469-470).
  • [11]
    Ici toute la question du don mériterait un développement – trop long pour l’espace d’un article.
  • [12]
    Prise globalement comme unique, quand elle se dédouble localement sur chacun de ses versants selon l’interlocuteur qui s’en saisit pour lui donner un contenu spécifique au travers du discours qu’il tient.
  • [13]
    Voir note 5.
  • [14]
    Cf. Lew (R.), séminaire 1998-1999, La d’énonciation.
  • [15]
    Cf. Lew (R.), séminaire 1999-2000, L’effacement.
  • [16]
    Cf. Freud (S.), « Constructions dans la psychanalyse », G. W. XVI, trad. fr. in Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985. Cf. Lew (R.), séminaire 2003-2004, Construction dans/de la psychanalyse.
  • [17]
    C’est là ce que Freud pointait comme pulsion de mort : pas d’en-soi, la structure subjective (ou la structure de l’inconscient) ne procède que de rapports.
  • [18]
    Assurément, tout ce que je discute là se situe dans cet accès à l’objet et retour : car il y a involution de l’objet comme il y a involution signifiante.
  • [19]
    Cf. Lew (R.), « Le prix à payer », in Journées de l’ANPASE, 1988.
  • [20]
    Un tel schéma est notablement trop simple, mais encore utilisable. Ce qui ne serait plus le cas si on le démultipliait quant à ses postes.
  • [21]
    Mot dérivé du mot fonction au sens mathématique, désignant un opérateur logique (Le Robert). NDR.
  • [22]
    Cette conclusion est à peu près bien transcrite par J.-A. Miller, même s’il modifie toujours les phrases de Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 371.
  • [23]
    Freud (S.), « L’Homme aux rats », trad. fr. in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 238-239.
  • [24]
    Entre figure im3. figure im4 et figure im5. figure im6 où pour l’essentiel opère à mon sens la sublimation, qui met en jeu l’objet, quand bien même elle s’inscrit au poste du possible ; je différencie ainsi place et rôle, inscription et fonction.
  • [25]
    Éditions sociales.
  • [26]
    Frege (G.), Grundgesetze der Arithmetik. Iena, Verlag Hermann Pohle, 1893; réédité, Darmstadt, 1967.
  • [27]
    Cf. Lew (R.), « L’abandonnée », in Les démentis du réel, Lysimaque, p. 102 sqq.
  • [28]
    Lacan (J.), Le Séminaire. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Livre XI, Paris, Seuil, 1973, p. 165.
  • [29]
    Une unilatéralité des espaces considérés, tendus comme surfaces d’empan sur les cordes du nœud et telles que l’interlocution y est dépassée par une structure ternaire qui n’en annule pas la mœbianité tout en lui faisant effectuer un pas plus loin des rapports d’identification qui y opèrent quand l’objet choit.
  • [30]
    Cf. Lew (R.), L’interprétation est du sens et va contre la signification, Psypropos, 1992.
  • [31]
    Frege explique comment en intension, la fonction est insaisissable : on ne la saisit que transformée en extension, c’est-à-dire pour le moins au travers d’un objet qui est en fait le parcours des valeurs que prend cette fonction à chaque instant.
  • [32]
    Wertverlauf, parcours de valeur(s).
  • [33]
    Freud (S.) (1914), « Pour introduire le narcissisme », trad. fr. in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970. Le problème est de savoir comment opère plus spécialement cette Verliebtheit : définissons-la comme induisant le désir, mais aussi bien la « Père-version » (du contingent au nécessaire). Comment cette Verliebtheit induisant le désir se différencie-t-elle de l’amour d’objet de l’amour au sens le plus banal ?
  • [34]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’angoisse, Livre X, séance du 19 juin 1963, Paris, Seuil, 2004.
  • [35]
    Der Repräsentant est un quasi-hapax chez Freud (trois ou quatre fois tout au plus). Ce terme est synonyme de pulsion. Ensuite celle-ci demande à être représentée (repräsentieren, die Repräsentanz) en termes de représentance valant au travers de la représentation (Vorstellungsrepräsentanz). Dès lors, la fonction de la représentation est de repräsentieren.
  • [36]
    Au sens qu’on attribue à ce terme de Lacan qui n’est donc pas celui de Freud, chez lequel il est der Repräsentant du somatique dans le psychique.
  • [37]
    Ce ne sont que des façons de préciser sur un graphe les points-nœud (les points triples que sont les points de serrage des triskèles du nœud borroméen à trois ronds) qui organisent de façon borroméenne les différenciations de la fonction (prise à la fois comme pulsion, jouissance, désir) en termes extensionnels (souvent dénommés des mêmes vocables, ce qui fait confusion). En effet le lien borroméen se met à plat de deux façons « scalaires » (dextro-ou lévogyre) spécifiables au travers de deux tétraèdres opposés dans le cube reliant les huit positions de l’espace segmenté par le nœud armillaire à 3 ronds. À ne retenir qu’un seul de ces tétraèdres, en le mettant à plat on obtient le carré modal, auquel il s’agit d’ôter une arête, en particulier, pour rendre eulérien le parcours des éléments qui le constituent.
  • [38]
    Lacan (J.), Le Séminaire, R.S.I., Livre XXII, Ornicar ?, 1975.
  • [39]
    Si je le disais en termes uniquement signifiants, on se départirait d’imaginer quelqu’un comme support d’une fonction de sujet elle-même supportant des fonctions signifiantes, et le propos serait uniquement abstrait comme l’est la fonction symbolique en elle-même.
  • [40]
    Retour sur l’étymologie de « payer » : Friede en allemand, c’est la paix, mais « payer » se dit en allemand bezahlen, référence au nombre (Zahl), et de là au numéraire.
  • [41]
    Lacan (J.), Le Séminaire, La logique du fantasme, Livre XIV (1966-1967), inédit.
  • [42]
    Réversion : en rhétorique à propos d’une figure de style qui reprend en les inversant les termes d’une proposition pour former une nouvelle proposition de sens différent (Le Robert), NDR.
  • [43]
    Lacan (J.), « Proposition… », première version, Autres écrits, op. cit., p. 580.
  • [44]
    Cf. De Rouilhan (Ph.), Frege et les paradoxes de la représentation, Paris, Éd. de Minuit, 1988.
  • [45]
    Cf. Lacan (J.), « Séminaire sur La lettre volée », Écrits, op. cit.
  • [46]
    Lacan (J.), « Le dire, le dieu-re », Le Séminaire, R.S.I., Livre XII, 1975.
  • [47]
    Lacan (J.), Le Séminaire, Les quatre concepts, op. cit., p. 24-25.
  • [48]
    Lacan (J.), Le Séminaire, Encore, Livre XX, Paris, Seuil, 1975.
  • [49]
    Plus exactement je situe l’intension comme hors point de vue, et chaque extension n’en est qu’un point de vue.
  • [50]
    Comme on a évoqué l’écriture à propos du paiement, ce sera facilité : il s’agit d’écrire l’histoire, chemin faisant afin de pouvoir poursuivre ce chemin. À la suggestion qui lui est faite que l’histoire est constituée de tout ce que les hommes sont décidés à payer pour le trouver écrit en tant qu’histoire, Lacan opine favorablement (Scilicet 6-7, Paris, Seuil, 1976).
  • [51]
    Voir note 42.
  • [52]
    Cf. colloque Le prix du symptôme, ANPCMPPT, 23-24 septembre 2005.
  • [53]
    Avec le paiement est mis en jeu le (rapport au) rapport (second) de la fonction pulsionnelle, au fondement de l’économie politique.
  • [54]
    Lacan (J.), « Compte-rendu du séminaire L’acte psychanalytique », Autres écrits, op. cit., p. 381.
  • [55]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, livre VII, op. cit., p. 193.
  • [56]
    On passe ainsi de toute substantialité à ce que Spinoza a pointé comme « expression », où je lis le choix même des prédicats nécessaires à faire valoir le vide dans la Chose, tant en termes de dissimulation que de contingence. Ainsi toute la question de la référence est-elle subvertie (ou disons : sublimée) par cet évidement qu’on peut chercher à inscrire au cœur de tout prédicat, de tout attribut. La substance comme forclusive (le substantif : le pas, le point, la goutte, etc.) renvoie ainsi à la discordance comme simplement fonctionnelle.
  • [57]
    J’insiste : quel qu’il soit, y compris l’argent et ce qu’il métaphorise.
  • [58]
    Même « substance », divine, selon une autre « essence » signifiante et a fortiori une autre consistance expressive, mais je n’entre pas ici dans le débat scolastique et les solutions qui ont émergé avec le discours de la science et le capitalisme au XVIIe siècle (Descartes, Spinoza, Leibniz…).
  • [59]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, Livre VII, op. cit., p. 220.
  • [60]
    Lacan (J.), ibid., p. 225.

1Je vais soutenir qu’en psychanalyse le paiement est une affaire non pas de contrat stipulant le contenu d’un échange, mais de pacte éthique organisant l’échange lui-même. En effet, le « traitement » psychanalytique ne peut passer que par un « traité » impliquant à la fois une façon de faire « trait » entre les sujets parties prenantes et de laisser la destructivité du réel au vestiaire au profit de sa reprise uniquement symbolique.

2L’étymologie le dit bien qui articule fondamentalement « payer » avec la « paix ». La paix implique d’apaiser l’adversaire, même potentiel, de fixer l’accord avec lui : il s’agit de passer un « pacte », convenir de ne pas se meurtrir, de ne pas se frapper mutuellement (cf. « impact »). Par là, « payer » renvoie aussi étymologiquement à l’écriture via la page blanche : la page d’écriture carrée n’est que la métaphore de cette « page » où, dans la paix, on peut cultiver sa vigne tranquillement, le lopin carré ou la treille tirée au cordeau. Par cette verticalité, la métaphore s’organise aussi depuis la colonne d’écriture [1]. De tout cela je retiens surtout le pacte : il n’est question de payer qu’à l’intérieur du pacte de la parole.

L’acte de paiement

3Dans le Littré, il y a dix-sept définitions de « payer » : cela montre une certaine polysémie du mot. Si on veut s’entendre sur ce que signifie payer, il faut donc d’abord s’entendre sur ce que veut dire « parler », et au-delà « signifiant ».

4Lisons Lacan à cet égard, en évitant de le distordre : « L’acte est précisément par lui-même l’équivalent de la répétition. Il est cette répétition en un seul trait que désigne cette coupure qu’il est possible de faire au “centre” de la bande de Moebius. Il est lui-même double boucle du signifiant. On pourrait dire, mais ce serait se tromper, que, dans ce cas, le signifiant se signifie lui-même, car nous savons que c’est impossible. Il n’en est pas moins vrai que c’est aussi proche que possible de cette opération. »

5Cet « aussi proche », il faut en tenir compte : en effet on ne peut prendre comme argent comptant, si je puis dire, que le signifiant pourrait se signifier lui-même. Ce semblant ne tient qu’à la façon dont on se permet de restreindre le double tour sur l’unique trait de coupure : le signifiant ne peut pas se signifier lui-même. C’est de là que s’organise la structure de l’échange et la chaîne symbolique, tout autant que la chaîne sociale. Lacan précise : « Le sujet dans l’acte est équivalent à son signifiant : il n’en reste pas moins divisé. » [2]

L’acte et la division du sujet

6Le signifiant, même si on tend à le faire se signifier lui-même, ne se signifie pas lui-même. Plus exactement, il ne signifie rien du tout. Non seulement il ne se signifie pas lui-même, mais en soi [3] il ne signifie pas non plus quoi que ce soit d’autre. Le signifiant ne peut prendre de fonction signifiante qu’à la mesure de son renvoi sur un autre [4]. De là, vient la formule de Lacan où il dit que c’est à se représenter auprès d’un autre qu’un signifiant se fait valoir comme sujet, selon une structure d’anticipation qui lui est nécessaire. En cela, il n’existe pas de signifiant en soi, l’on n’a affaire qu’à une fonction de renvoi qui opère dès lors comme signifiante. Ainsi ledit signifiant, qu’on dit pour cette raison divisé entre deux, n’est en fait que fonctionnel. Et, comme toute fonction, il est insaisissable : impossible de le spécifier comme un signifiant sauf à en distordre la fonction [5]. Cette aporie attenante à la fonction est précisément au principe de l’acte, non seulement de ce qu’on appelle « acte de parole », mais aussi de l’acte de paiement. Il y a donc une conjonction entre ces deux abords, qu’il faut mettre au travail pour analyser le « aussi proche que possible » de Lacan. On ne peut dès lors parler de paiement sans revenir à l’acte de parole. Mais on ne peut pas aborder l’acte de la parole sans aborder la question de l’Autre et le pacte de la parole [6]. Assurément, cela concerne l’éthique de la psychanalyse.

7Qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce qu’on met en œuvre quand on parle ? Je dirai que parler, c’est se soutenir narcissiquement. Mais l’on ne va se produire qu’avec de l’Autre : il faut donc instaurer de l’Autre afin de se produire avec lui, afin plus exactement de s’en produire, on va se produire comme l’effet de cette instauration même de l’Autre, et ce qu’on est comme sujet, apparaît n’être que l’action en retour de l’Autre sur son instanciation même dont le sujet se fait porteur. Succinctement, le sujet produit l’Autre afin de s’en trouver produit de manière réversible, sans que ni l’un ni l’autre ne puisse être dit premier, même si la position du sujet dans cette structure est tributaire de sa manière de mettre l’Autre en place. Seule l’organisation grammaticale d’une phrase comme la phrase précédente implique une préséance propositionnelle. En fait, j’aurais pu dire : l’Autre produit le sujet afin que celui-ci le produise en retour. Ici le temps est le temps réversif de la parole [7] et non le temps linéaire chronique ou physique. Il n’y a d’acte que dans cette réversion de la parole qui fait de tout pacte un fondement du symbolique.

8Dans cette réversion, donc sur le même mode, opère du signifiant, sinon le signifiant. En effet, il n’y a de « signifiant » S que sous condition d’avoir déjà produit un autre S? qui dépend de lui mais auquel il se trouve lié de ce fait par une relation de représentance dont il est proprement tributaire pour sa constitution même. Cette relation est réversive. Il y a là une interconnexion, que Lacan a spécifiée comme S1, à mon avis à la suite de Freud qui l’a formulée comme Repräsentanz[8] dans sa description métapsychologique de ce qu’il a défini comme pulsion. Dès lors un signifiant, au sens standard, que, pour simplifier, je qualifie de linguistique (saussurien, pour être encore plus réducteur) est toujours binaire, S2, de renvoyer à un autre et chacun d’eux est tributaire de cette représentance que j’appellerai « signifiance » et, qu’à mon sens, Lacan indique être pur symbolique [9].

L’acte de paiement entre continuité et division

9La signifiance, comme rapport d’échange (entre soi-même et le signifiant proprement dit ou d’un S2 à l’autre), est ce lien de parole que je schématise par une bande de Mœbius; elle fait acte de redoubler cette structure, liant ce qu’elle est comme représentance aux représentations qui l’expriment alors comme proprement signifiante, par son autre raison d’être, permettant de passer d’un signifiant à l’autre.

10L’acte de paiement double le pacte de la parole, comme la double boucle signifiante peut être ramenée à l’unique trait de coupure dans la bande de Mœbius [10] : le paiement, surtout quand il est extériorisé en « espèces », souligne la parole, voire autorise la verbalisation. Car la parole n’est qu’échange : c’est un mode, des plus fondamentaux, de l’échange et le paiement la spécifie comme acte, quelle que soit la « nature » de ce paiement. Aussi ne peut-on entendre le paiement lui-même qu’en tant qu’acte, dès lors relatif à la parole [11].

11Le paiement a ainsi la même structure que la parole : mœbienne dans l’interlocution [12], littorale dans la structure de la tierce personne et du « trait » langagier (le trait, le mot d’esprit) que j’évoquerai plus loin.

Apaiser la pulsion de mort

12Dans le rapport S1 ? S2 se pose ainsi la question de renonciation comme production des énoncés. Qu’il n’y ait pas d’extensions (l’Autre, le sujet, le signifiant) sans intension (la signifiance, la parole) se saisit au travers d’un certain négativisme.

Le négativisme signifiant

13Ce négativisme tient au fait que rien ne vaut que relatif à sa fonction (donc en intension) et que c’est ce par quoi il s’agit d’indicer tout élément du monde. On retrouve, par là, la même falcidicité[13] qu’au sein du signifiant. Cela peut s’exprimer en termes de paternité, sinon d’origine. Ne pas rendre à Freud par exemple ce qui lui appartient, dans la complexité de son rapport à l’Autre que peut incarner Breuer, Fliess, etc., ou ne pas accorder à Lacan ce qui peut être de son fait, dans un certain nombre de rapports qu’il peut avoir avec Freud, implique que quelque chose qui ne passe pas soit refoulé. La cure va à l’encontre de cette censure. Émile Rafowicz a plaisanté, en disant que, dans ce cas, on n’est pas dans renonciation mais dans la d’énonciation[14]. La censure sur renonciation s’avère en effet être éminemment mortifère, cela suppose qu’on y soit attentif pour ne pas se méprendre sur ce qui est de l’ordre de la mort et de l’effacement [15] dans notre pratique. Si l’on ne revient pas à la raison signifiante pour rappeler en quoi elle est elle-même mortifère et en quoi on ne peut pas se départir de fonctions de jouissance mortifères, y compris au niveau de l’objet on ne sait plus ce qu’on fait, et l’on imagine qu’on peut éradiquer cela au travers de la demande de bonheur, comme le dit Lacan. Le corollaire de cette demande de bonheur est de risquer de verser dans une mort qui n’ait plus rien de symbolique. Le paiement joue à ce niveau à la fois comme colophon de la Mort symbolique et comme apaisement de l’angoisse qu’elle suscite, à distance de toute réalisation de la mort dont le départ est déjà donné par la d’énonciation.

14L’analyste peut toujours faire le bien, le problème reste de savoir comment on peut assumer le mortifère symbolique de l’affaire et comment on peut être radicalement dans le meurtre, ou plus exactement dans sa répétition, puisqu’au fond ce meurtre n’est pas celui de qui que ce soit, mais toujours celui du Père primordial. Freud l’évoquait en termes historiques [16], mais le fond en est logique : la parole renvoie à la mort, il n’y a de signifiant que sous la condition d’une signifiance qui en annule toute ontologie [17]. La raison de tout pacte est d’éviter la mort, ou de la prendre en compte comme productive, si l’on veut bien admettre que le signifiant ne procède que de rapports. Pas de S2 sans S1.

15Je tiens ainsi le réseau signifiant pour un réseau modal qui me permet de situer avec tant soit peu d’assurance sur le plan structural un certain nombre de choses que, dans les productions théoriques des uns et des autres, on organise diversement, mais qui ont à mon sens toujours valeur de réalisations : ce sont les montages nécessaires de la signifiance, laquelle n’existerait pas sans eux. Pas d’intension sans extensions pour l’établir ou, dit autrement, pas d’extension sans « retour » sur l’intension, ou sans être indicée de fonctionnalité. Qu’on ne puisse pas s’entendre et que la méprise soit patente quand on échange, est un fait de structure qui tient précisément à cette construction signifiante. Ce qui se situe au niveau du S1, au niveau de la structure du dire et de renonciation, se différencie de tout ce qui est de l’ordre des énoncés, des dits et de la vérité standard. Il n’est pas question d’autre chose en psychanalyse que d’une vérité qui parle, selon l’expression de Lacan, et qui est la vérité de la parole. Cette vérité met en place la mort comme fonction symbolique essentielle : c’est de ce qui n’était pas que procède ce qui advient comme auparavant en attente d’expression, dit d’une certaine façon Lacan.

16Et ces rapports signifiants ne tiennent leur fonction que de leurs raisons modales. Au niveau du S1, en effet, c’est-à-dire au niveau de la fonction du nécessaire, dite paternelle, cette structure de la parole se différencie de ce qu’elle produit, qui est de l’ordre de l’objet [18]. Il y a pulsation entre un mouvement inductif de construction, progrédient, et un autre, déconstructif, rétrogrédient, et les manœuvres afférentes à cette pulsation mettent en jeu la pulsion que Lacan donne comme un point de mire de la pratique dans l’acte analytique.

17Plus au fond que la pulsion, la jouissance est conçue comme la jouissance même du signifiant, du rapport simplex que souligne Lacan entre S1 et S2; elle est la mise en jeu de l’évidement, du vide opératoire qui est lui-même du S1 : dans ce rapport entre deux termes, le rapport est lui-même un des termes entre lesquels il opère comme lien. C’est cette fonction d’évidement, propre au S1 et à la fonction phallique dont le Père est dépositaire, que j’inscris au poste du nécessaire, comme jouissance phallique, et c’est entre ces deux jouissances qui sont la jouissance phallique et la jouissance de l’Autre que va se frayer ce cheminement de la cure où intervient notablement le paiement.

La fonction du paiement

18Une fois de plus [19] je parle de paiement et non d’argent. Ainsi je ne crois pas qu’on puisse se départir de paiement dans la cure, même si à mon avis l’argent n’y est que très contingent sous sa forme monétaire. C’est pourquoi je souligne la fonction du paiement et non pas sa réalisation. Car il s’agit bien de considérer la pulsion de mort à son niveau de nécessité symbolique, sans la confondre avec aucune effectuation de la mort. Faire jouer la mort au niveau symbolique du signifiant est essentiel (le signifiant représente la mort de la chose), quand toutes ses reprises réelles, allant jusqu’à la mise à mort du sujet, nous en éloignent. De même le Père primordial n’a-t-il d’existence historique que d’être une supposition nécessaire à la structuration subjective.

19Comme l’on prend communément l’Autre comme réel au niveau de sa jouissance, le risque est grand de se confronter à lui, cette confrontation se faisant au détriment du sujet. Pour ne pas se tromper dans l’approche du symbolique imaginarisé qu’est le S2 (puisque c’est la Vorstellungsrepräsentanz de Freud), il faut faire la part de l’imaginaire qui y entre en ligne de compte, en le différenciant d’un effet de signification propre à l’objet, mais en le situant au niveau d’un effet de sens, non sans coupure avec la position du sujet auquel ce sens renvoie.

20Je ne dis pas que le sujet tiendrait la place de cet imaginaire tout en tirant aux quatre coins le triptyque lacanien entre symbolique, réel et imaginaire: il est néanmoins dans un rapport préférentiel à l’imaginaire, comme l’est le symptôme, mais il opère à chaque poste de la structure qui n’est, comme telle, que structure subjective. Chaque poste est un point de condensation : il s’agit d’adapter la mise en place des concepts à un schéma à quatre places [20].

21C’est dire que le paiement est un foncteur[21] d’organisation de cette structure au même titre, dirai-je, que la pulsion ou toute fonction particularisée comme intensionnelle. Dès lors la question s’étend à tous les postes de la structure avec lesquels travailler en termes d’échange. De là, est uniquement requise une position éthique du sujet qui détermine par quelle voie cheminer entre ces postes, selon un certain choix des conséquences attendues. Apaiser la pulsion de mort consiste ainsi à cheminer au sein de cette structure, sans rester fixé à l’une quelconque de ses places, et le paiement est un facteur de mobilisation de cette structure.

Le pacte éthique

22Aussi nous faut-il reconsidérer comment le sujet dépend des échanges structuraux dont il participe pour leur organisation. Relisons pour cela toute la deuxième partie du séminaire sur L’éthique de la psychanalyse, même si Lacan ne parle pas constamment du paiement. Il y vient pourtant juste à la fin, autour de la question du désir, d’une manière que je dirais borroméenne, en évoquant le rapport du sujet, conçu du point de vue du narcissisme, c’est-à-dire depuis la place du nécessaire, à l’objet a en tenant compte des jouissances : sublimation de la jouissance phallique et paiement à l’Autre de cette jouissance servant de « monnaie » d’échange. La conclusion [22] est celle-ci : « Sublimez tout ce que vous voudrez, il faut le payer avec quelque chose: ce quelque chose s’appelle la jouissance. Cette opération mystique, je la paie avec une livre de chair. »

23C’est borroméen parce qu’il faut considérer un certain passage de la pulsion à l’objet s’effectuant au travers d’un changement d’objet, qui n’est au fond qu’un changement de but et qu’on va appeler sublimation. Je considère, en effet, que le paiement a trait à la sublimation : on ne baise pas dans la cure. Le sexe n’y apparaît qu’au travers de ce travail mettant en rapport ce qui est signifiant avec ce qui est extra-signifiant, même si un non-rapport intervient aussi comme faille.

24Quand Lacan distingue, dans une phrase complexe, sublimation et paiement, c’est pour souligner qu’il s’agit de payer cette sublimation avec de la jouissance et, secondairement, de payer cette opération de paiement avec une livre de chair qui n’est que l’espèce du paiement. Une telle phrase, aussi emberlificotée soit-elle, mérite d’être prise au pied de la lettre. Ainsi le rapport à la culpabilité de l’Homme aux rats, prenant sur soi les fautes de son père, peut-il être abordé et dépassé, sinon résolu, en termes imaginaires dérivés de leur usage signifiant (Rate/Ratte) que sont les fantasmes de supplice par les rats. Freud en souligne la valeur de paiement : 1 rat = 1 florin [23]. Le supplice est ici nécessaire à la mise en jeu du corps comme réel, en tant qu’assise du symbolique et de l’imaginaire. On voit bien qu’on a alors affaire à diverses modalités de ce que « payer » signifie. Le paiement est à la fois un changement de but et d’objet : on ne baise pas, mais on paye quand on parle. Il y a du paiement symbolique dans cette fonction de jouissance, qui est aussi ce avec quoi l’on paye, et cela n’apparaît pas de prime abord, puisqu’on sublime. C’est pourquoi il s’agit de passer au réel. L’ensemble de cette opération se paie donc avec la livre de chair. Quelque chose d’extérieur à la subjectivité comme telle va forcément y être en reste. Que le sujet se départisse de ce quelque chose correspond fondamentalement à ce que Freud appelle « castration » : la castration freudienne est aussi métaphorique que cette livre de chair du Marchand de Venise de Shakespeare ou même, bien qu’en plus réel, la circoncision. Cette fonction mortifère est de l’ordre du S1. Comme fonction phallique, elle ne se met en exercice qu’en termes de castration. La livre de chair vient là métaphoriser le vide signifiant dans son lien au réel. Je fais donc jouer à cet égard quelque chose qui est déjà de l’ordre d’une production, mais une production métaphorisée, pour insister sur le niveau que Lacan appelle existentiel [24]. La sublimation, sous l’angle fonctionnel persistant d’une transformation de la jouissance, s’inscrit au même poste structural que la castration, mais, d’autre part, son effet objectal implique le rappel de la saisie nécessaire de toute fonction en objet, ici donné au niveau corporel de la livre de chair. La livre de chair métaphorise ainsi l’objet comme objet de la castration.

25Encore faut-il définir plus avant le rapport de la pure fonction à l’objet. Cette fonction que désigne la flèche dans le rapport signifiant, c’est ce qu’on reconnaît chez Freud, ai-je avancé, comme la Repräsentanz. Elle existe chez Marx aussi, permettant de faire un saut structural de l’économie subjective à l’économie politique et vice versa. Ainsi, dès la première page de son livre La monnaie chez Marx, Suzanne de Brunhoff [25] assure que la monnaie est un rapport social. Chez Marx, ce n’est pas ça : la monnaie représente un rapport social. Le rapport social, le rapport d’échange, et donc le paiement sont déjà de la représentance. C’est en quoi on peut les confondre et à juste titre. Mais la monnaie elle-même vient encore représenter au second degré ce qu’il en serait de la représentance : on s’éloigne ainsi de ce qui serait objectif ; mais pour autant il ne s’agit pas ici d’objectivité, mais d’objectalité, au sens de Lacan, et donc du rapport second que la fonction entretient avec la structure objectale qui la transcrit.

26Ce que Lacan avance dans L’éthique du rapport du désir à la jouissance est résumé par un syntagme essentiel : « céder sur son désir ». Or il y a là quelque chose qui n’est pas évident. Ce qui n’est pas évident, c’est le rapport du désir comme encore fonctionnel (non réduit à son objet) à la jouissance : bien sûr il faut les séparer. Lacan, dans son séminaire sur L’angoisse, établit la distinction à maintenir entre désir et jouissance. Je les mets cependant en relation pour des raisons fonctionnelles : le désir est lui-même aussi insaisissable que la jouissance, la pulsion et bien d’autres fonctions. Par exemple, c’est bien parce que la pulsion est insaisissable que Freud précise qu’il faut la représenter par les moyens de la représentation. Il s’agit parallèlement et très généralement de passer de jouissance, pulsion, désir, comme fonctions, à de l’objet que Lacan définit comme objet a. J’utilise le terme de Vertretung que propose Frege [26] pour désigner l’opération par laquelle on saisit la fonction en objet, avec le sens de représentance. Or la fonction de départ étant par excellence en psychanalyse de la représentance, on se situe là dans une Vertretung de la Repräsentanz, c’est-à-dire dans une même fonction portant sur elle-même, qu’avant Lacan et la topologie mœbienne, on appelait une forme quadratique: quelque chose s’applique à soi-même pour produire du neuf, en l’occurrence un objet. C’est bien là la façon dont la jouissance, chez Marx la force de travail mise en exercice, produit, en se renouvelant, plus qu’elle-même : Marx parle là de plus-value, et Freud de gain de jouissance (Lustgewinn) que Lacan traduisait « plus-de-jouir ». Le désir, comme fonctionnel, se différencie ainsi de l’objet du désir. Or, quand il s’agit de céder sur son désir, il ne s’agit pas tant de laisser tomber son désir que de changer d’objet. C’est pour cela que je superpose la sublimation au désir, via la castration.

27Céder sur son désir, c’est d’une certaine façon se poser comme sujet sublimant. Sublimer est ainsi une manière de faire qu’on doit borroméaniser : on ne peut pas parler de sublimation sans l’intégrer dans une structure plus complexe où il s’agit de payer à différents niveaux : payer de sa livre de chair pour pouvoir payer de jouissance, pour pouvoir payer de sublimation, dans leurs connexions mutuelles, borroméennes. Aussi le paiement, comme fonction d’échange, prend-il structure borroméenne. Le paiement indique la raison d’évidement qui fait jonction (et dissolution) [27] entre les différents registres. Lacan le pointe par ailleurs en terme de « béance », parlant de «l’unité topologique des béances en jeu » [28].

28Le pacte éthique que souligne le paiement prend ainsi forme borroméenne et la structure du rapport à l’Autre implique une asphéricité [29].

Céder l’objet

29Le terme de « céder » est assurément ambigu : céder sur son désir en changeant d’objet, signifie se dessaisir de cet objet. Il s’agit de se dessaisir d’un objet qui a priori serait dans la correspondance la plus exacte avec la fonction de désir. Et pour s’en dessaisir, on prend le mouvement inverse de celui de la Vertretung. Ainsi retourne-t-on à la fonction du désir. Je dirai que, chez Lacan [30], céder sur son désir et ne pas céder sur son désir sont dans une continuité asphérique exactement comme saisir et se dessaisir. Céder sur son désir, permet ainsi de revenir au désir : en jouer souplement. La structure d’objet, y compris dans la sublimation, correspond au paiement, au sens où, bien sûr, pour accéder au désir, il faut bien produire un objet qui permette l’accès à ce désir : sans objet, il n’y a pas de désir accessible. Or dans la définition de l’objet comme parcours de valeurs, on ne peut accéder qu’à l’objet [31]. Le terme de valeur qui intervient est à souligner [32]. La vérité est d’abord une vérité énonciative chez Lacan et, dans la jonction que j’opère entre lui et Frege, je dirai que les valeurs de vérité sont des objets. En logique, ce sont en particulier le vrai et le faux qui sont des objets, deux valeurs que prend la vérité en logique.

30Cependant l’énonciation analytique implique de prendre en compte beaucoup plus de valeurs que simplement celles de vrai et de faux, mais sans jamais confondre la fonction en intension et ses valeurs en extension. Céder l’objet, s’en dessaisir, retourner à la fonction, c’est payer. De là, cela revient à ne pas céder sur son désir.

31L’extension qui définit l’objet est un parcours de valeurs. On peut bien sûr fixer les idées sur ce qui peut constituer matériellement ce parcours de valeurs, mais on peut aussi jouer de la fonction en elle-même. Ainsi, au niveau du nécessaire opère le narcissisme. C’est là que peut être atteint le vide signifiant propre au sujet en ce que celui-ci en est la métaphore, y compris au travers de son symptôme. Le décentrement dont parle Lacan est ainsi un rapport du pur symbolique au réel. La position masculine vise le maternel selon un amour que Freud appelle objectal. Inversement, du côté féminin, la Verliebtheit, l’énamoration, est un amour que Freud dit être narcissique, puisque précisément il pointe la position narcissique du sujet. Mais Freud le précise : si je m’inscris comme essentiellement féminin, je fais opérer l’ensemble de la structure au même titre que l’homme [33].

32Les différentes métaphores de l’objet nous donnent un parcours de valeurs qui vont s’appeler successivement orale, anale, phallique, scopique, vocale, mais sans précession véritable [34]. Il faut qu’il y ait de l’objet pour que la fonction se dépasse en une autre; mais le problème, pour atteindre un dessaisissement qui mette en jeu effectivement le « ne pas céder sur son désir », est de pouvoir, à chaque moment, revenir sur la fonction désirante, distincte de l’objet du désir. Autrement dit, on ne produit de l’objet, dans l’amour en l’occurrence, que pour le détruire. Et ce faisant, on ne cessera pas de le reproduire. C’est pourquoi Lacan parle de répétition à ce même poste de l’objet. L’acte dont il s’agit est un acte de passage au symbolique : Lacan le dit « passage de l’acte », pour éviter les confusions avec le passage à l’acte, comme on dit en psychiatrie. Le passage, c’est le rapport S1 ? S2.

33Céder l’objet revient à payer pour s’ouvrir au désir par-delà l’inanité de la jouissance phallique. Mais, dans le même mouvement réversif, ne pas céder sur son désir permet de construire un nouvel objet, tout autant objet d’amour que précédemment, objet transférentiel dont l’analysant peut se départir pour assurer sa raison d’être narcissique qui est jouissance, assurer son existence en dehors même des catégories qui la mettent en forme.

Le nœud du paiement

34On produit donc de l’objet afin de le détruire quasiment dans le même temps, pour se soutenir narcissiquement dans une structure renouvelée de passage au symbolique qui fasse acte à chaque fois et qui corresponde à la mise en exercice de la structure fonctionnelle. Et ce n’est que du vide : l’articulation en elle-même, le rapport, le renvoi est un vide actif, il s’agit toujours de la seule structure fonctionnelle de die Repräsentanz chez Freud. Lacan s’est battu pour faire entendre que le représentant n’était pas représentatif, et du coup il n’a pas insisté pour éviter le terme de « représentant » [35]. Le problème, si on objectalise la fonction elle-même au niveau de la place qu’elle tient comme telle, c’est qu’on l’oublie comme fonction et qu’on a tout de suite affaire à un objet (en faisant l’économie de la transcription), et ce représentant [36], on pourra toujours le pointer d’un mot ou d’un autre, mais la fonction sera toujours inaccessible. On ne peut accéder à la fonction que par sa transformation en quelque chose qui à la fois lui est hétérogène, parce que c’est de l’ordre de l’objet, et pourtant identique puisque c’est la même fonction, mais autrement considérée, c’est une simple manière de saisir la même chose mais autrement prise en compte. Intension et extension ou intrinsèque et extrinsèque sont, sous cet angle, du même ordre. Extrinsèquement, on peut saisir la fonction en objet alors qu’intrinsèquement, elle est insaisissable. Encore faut-il voir que ce que j’indique là au niveau de l’extension réelle présente la même problématique au niveau des extensions imaginaire et symbolique [37].

35Le paiement est fonctionnel, comme relation d’échange, mais il opère surtout comme fonction seconde dans des rapports spécifiables de fonctions à objets et autres extensions. Sous cet angle, le paiement présentifie donc bien le nouage lui-même, que Lacan situe comme Nom-du-Père. Il supporte à la fois la réalité psychique de Freud [38], la raison fonctionnelle de tous les appuis de même que les montages extrinsèques de celle-ci, ainsi rendue accessible. Le paiement est par excellence la mise en œuvre de l’acte.

Le paiement au nœud de la structure

36Pour désirer, il faut donc céder sur son désir, c’est-à-dire produire de l’objet qu’on se doit de distinguer de la fonction désirante elle-même, tout en en rappelant la raison symbolique. Pour désirer, il faut abolir le désir en visant l’objet, et, pour retrouver le désir, il faut détruire l’objet. Voilà donc la dialectique entre céder et ne pas céder sur son désir, saisir et se dessaisir de l’objet.

37Elle recoupe le discours freudien mettant en jeu le Verzicht, le renoncement. Pour les mêmes fonctions (jouissance, désir, pulsion), Freud parlera de renoncer à la jouissance donnée comme pulsionnelle (Triebverzicht) afin de gagner en jouissance à ce niveau objectai. Du point de vue du sujet, dans l’organisation symbolique croissante dont il dépend selon des modes négatifs, la structure lui impose de renoncer à sa jouissance, alors que du point de vue de l’Autre, ce qui semblait pouvoir être promis au sujet, c’est-à-dire que l’objet soit la panacée du désir, il y a une défaillance (Versagung) : l’Autre ne tient pas sa parole. Le sujet en est frustré, comme on dit. L’Autre ne tient pas sa place ni sa promesse de construction de l’objet, il rate. Le sujet en devenir va donc devoir quitter ce rapport à l’objet situé au champ de l’Autre pour en venir à une position narcissique, d’où il va pouvoir se soutenir comme sujet. Car il y a toujours un sujet pour faire valoir les fonctions signifiantes [39]. Il y a donc effectivement quelqu’un pour supporter l’imaginaire et devenir le faire-valoir du rapport signifiant qu’est le sujet comme signifié de la pure relation signifiante.

38Si je reviens à ces négations maintes fois maniées par Freud, mais le plus souvent confondues par les traductions, c’est parce qu’il y a là quelque chose d’essentiel. Les termes positifs venant en contrepartie de ces négations sont ceux sur lesquels Lacan va travailler (Triebbefriedigung, Lustgewinn), quand Freud en souligne plutôt l’organisation négative. En face de la structure négative de la Versagung joue la satisfaction pulsionnelle, l’apaisement [40]. En s’appuyant sur le ratage de l’Autre, le sujet va pouvoir se dégager de lui pour revenir sur le versant narcissique de la structure. Le paiement se situe au niveau de cette satisfaction, au niveau de cette Befriedigung, laquelle peut être négativée, en termes de renoncement, mais c’est pour en faire saillir la structure positive qu’est le Lustgewinn : c’est par là aussi que s’établit le lien à la question de la valeur. Si Lacan parle de plus-de-jouir, c’est qu’il traduit Lustgewinn sur le mode de la Mehrwert chez Marx : survaleur, plus-value. Lacan va même parler de Mehrlust pour calquer Freud sur Marx, jusqu’à évoquer une Marxlust [41]. Ainsi présentifie-t-il la question de la jouissance en la personnifiant.

39La structure de paiement ne va pas sans le sacrifice du fonctionnel jouissance-pulsion-désir vers l’objet et les autres extensions, mais pour en permettre le mouvement de retour qu’est la destruction de l’objet. Destruction est le terme de Lacan pour dire : sa mise à l’écart, son changement au profit d’un autre. Ce qui importe avec la structure signifiante, ce n’est pas ce qu’on appelle une symbolisation : car il n’y a pas quelque chose de préalable demandant à être symbolisé, mais c’est l’hypothèse d’une fonction de renvoi, de délégation, de représentance, qui crée en opérant quelque chose de plus qu’elle-même. Ce quelque chose de plus qu’elle crée et que Lacan appelle l’objet a n’est que le parcours de valeurs de cette fonction simplement mise en exercice. Là-dedans, il n’y a que de la structure d’hypothèse, il n’y a jamais rien de tangible en préalable. C’est la condensation, ou la métaphorisation de ces moments conjecturaux, s’ils sont mis en œuvre, qui va pouvoir leur donner un habillage imaginaire qui est quand même le mode d’accès préférentiel à l’objet et dès lors à la fonction. Je parle là d’un accès non pas directement symbolique, mais réel, qui n’est en fait qu’un mode d’accès plus difficile, mettant justement en jeu la question du paiement. L’objet a, c’est l’en-plus de la fonction mise en exercice, lequel, pour y insister, n’est jamais que sa saisie au travers de son parcours de valeurs. Payer donne ainsi accès à la réversion[42] entre les fonctions intensionnelles et les éléments extensionnels qui les retranscrivent, ouvrant sur les objets, les images, les mots, mais pour essentiellement en souligner la fonction. C’est en cela que le paiement est productif.

La productivité du paiement

40Le sujet, Lacan le dit « signifié de la pure relation signifiante » [43], sachant que la pure relation signifiante est à entendre comme S1. Dans le lien qu’il fait entre signifiant et signifié, S/s, si l’on différencie S1 et S2, un premier rapport s’organise entre S1 et figure im1, pour donner le sens (S1/figure im2) et un autre entre le signifiant proprement dit S2 et la signification via l’objet (S2/a), puisque cet en-plus, ce parcours de valeurs, chez Frege c’est la signification, Bedeutung[44]. Le sujet est l’effet du sens [45]. L’objet attenant à la signification, c’est la Bedeutung du phallus. Dans le discours, Lacan rapporte l’un à l’autre les deux modes signifiants ; ce n’est là qu’une sorte de complexification du rapport signifiant/signifié. Le sujet n’est donc pas seulement signifié de la pure relation signifiante, mais, je l’ai dit, aussi faire-valoir de cette relation signifiante.

41Le schéma du discours est aussi celui de l’aliénation. L’aliénation vient constituer du sujet depuis sa propre disparition (aphanisis) et selon des modes qui le donnent non seulement comme faire-valoir ou signifié, mais depuis la signifiance: du sujet opère au niveau des signifiants en termes de création. Je le dis ainsi en termes de production, parce qu’il y a une anticipation sur la suscitation du sujet dans le rapport signifiant, mais il y a aussi une anticipation à celle-ci : le signifiant, pour Lacan, est créationniste, il est à situer au niveau de Dieu. C’est au niveau du dire [46] que se joue cette création. Le paiement opère ainsi dans une création, dans une construction maintenue du sujet en psychanalyse. Quand on prend la cure elle-même comme catharsis, c’est-à-dire comme remémoration, voire purge, il y a quelque chose qui ne va pas : la cure est une création. Le sujet construit son histoire dans la cure en mettant en jeu les signifiants, non pas les signifiants qui le constitueraient déjà, mais ceux qui viennent à le constituer du fait qu’il les dise. On ne dispose pas en effet d’un pool de signifiants qu’on mettrait sur la table pour les trier, ou voir comment ils se déterminent, en les prenant comme les pièces d’un puzzle constitutif du sujet : on se les construit. C’est à tout instant qu’on construit du signifiant a minima et cela opère plus radicalement dans une cure. Dans la cure, le sujet est différent de ce qu’il était avant elle : il ne s’agit pas du même sujet à tout instant. De toute façon, très banalement, dès qu’on change d’interlocuteur, on n’est pas le même sujet : sinon, ce serait se prendre pour Moi, et ce n’est là que ce que ma carte d’identité spécifie. Mais, comme sujet, dès que je fais valoir des fonctions signifiantes qui ne peuvent jamais être identiques à elles-mêmes, je ne peux pas être un sujet identique à soi-même. Il n’y a pas non plus un Autre tout constitué auquel on ait affaire : on le constitue à chaque fois, dans sa différence d’avec ce qui a fait fonction d’Autre auparavant. C’est pourquoi Lacan barre le sujet qui n’existe pas, et l’Autre qui n’existe pas plus, et l’un pas sans l’autre.

42Le paiement entérine cette barre réversive sur le sujet et l’Autre, qui les constitue chacun. Et chacun, de l’Autre et du sujet, s’implique dans le paiement au travers de sa jouissance. Aussi en vient-on à payer pour produire. De là la solidité du capitalisme, où le producteur se voit soustraire son produit : malgré l’apparence, c’est lui qui paye pour la production, il y va de sa force de travail, simplement à peine reconstituée, après chaque usage, pour pérenniser le système. La force de travail dans l’économie politique tient la même place structurale que la jouissance dans l’économie subjective.

La loi du paiement : le paiement fait loi de la jouissance

43Lacan parle effectivement de jouissance dans L’éthique: il dit qu’elle est structurellement inaccessible, parce qu’il s’agit de la mettre en exercice et que sa mise en exercice ne va pas de soi. L’exercice de la jouissance la transforme en objet et donc la rend interdite, puisque, sur le versant de l’objet, ce n’est plus la fonction de la jouissance qui œuvre. Lacan dit qu’il y a une faille à ce niveau, organisant l’hétéros.

44Entre la partie masculine et la partie féminine, il y a une faille. Ce qu’on va trouver sexuellement, c’est ce qui vient se marquer de la faille, et qui opère entre le masculin et le féminin, pris comme tels dans des semblants de rapport sexuel. Il n’y a de fonction que mise en exercice, je l’ai dit. Mais alors qu’est-ce qui va s’opposer ou pour le moins faire contrepartie à cette jouissance dans son passage à l’objet ? C’est la loi. Tout le propos de Lacan sera d’opposer la loi et sa cause [47], en termes de jouissances [48]. Mais c’est une cause inaccessible, comme il ne cesse de le dire. En opposant la loi et sa cause, il fait jouer, au niveau de la loi, la fonction de la dette. La dette symbolique n’est a priori rien, sinon ce dont on doit être tributaire pour s’en trouver produit afin de, par ce fait, le produire à nouveau pour s’en soutenir encore, et accepter d’en être initié : c’est constamment réversible. On est toujours en dette d’un vide. C’est pourquoi l’objet en question ne sera pas un quelque chose, mais un rien. Lacan ira même jusqu’à dire qu’il faut payer un maximum pour justement bien démontrer que cela ne vaut guère. Il précise d’ailleurs que l’exercice de la jouissance la transforme en objet qui focalisera donc la structure de dette, mais il indique que, dans l’autre sens, le franchissement de cette faille ne va pas de soi : ce n’est pas équivalent à ce qui opère dans le sens de la fonction à l’objet. En parlant d’obstacle, Lacan discute de leurs différents types sous la forme du bien et des biens, du beau, etc. C’est une façon de désigner les éléments extensionnels en ce qu’ils ne sont que des praticables de la fonction. Mais il faut paradoxalement s’appuyer sur la loi pour pouvoir retourner à la structure fonctionnelle de la jouissance, pour la transgresser vers le pulsionnel, en même temps qu’on transgresse la loi. Simplement, cela ne s’obtient pas facilement : il faut payer de sa personne et de son discours. Le retour sur la fonction appelle un tel effort.

45Pour le dire en situant plus exactement l’Autre dans les termes de Lacan, cela suppose que le sujet transite par de l’Autre, se fasse reconnaître, au sens antinomique à celui de la Verleugnung, c’est-à-dire l’Anerkennung, pour qu’il n’y ait pas un démenti, mais une reconnaissance de ce qu’il est, dans ce qu’il est de plus intimement subjectif, c’est-à-dire le narcissisme, qui est de l’ordre de la castration. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement, comme dit Freud, de reconnaître la fonction de castration, ou plus exactement la fonction de la menace de castration, mais il s’agit de se faire reconnaître dans cette fonction de castration, à l’œuvre en tant que toujours hypothétique. Pour ce faire, le sujet doit reconnaître l’Autre. Cela le met dans une certaine équivalence avec cet Autre puisque, si l’Autre le reconnaît dans sa castration, lui-même doit, comme sujet castré dans son narcissisme, reconnaître la même barre sur l’Autre. Cette structure est asphérique. Si je parle de reconnaissance dans les termes de Lacan, c’est qu’il s’agit d’une reconnaissance de dette : l’un ne va pas sans l’autre, et le sujet est en dette de l’Autre, l’Autre est en dette du sujet, mais tout cela n’opère que du point de vue du sujet. Il n’y a aucun point de vue propre de l’Autre. On n’est jamais que dans un point de vue intensionnel[49], c’est-à-dire fonctionnel, et l’Autre n’a pas d’autre existence que celle qui lui est accordée par le sujet. S’il n’y a pas de sujet, il n’y a pas d’Autre. L’Autre est souvent dit maternel ; comme la mère est antérieure à l’enfant, l’Autre est de ce fait considéré préexister au sujet : sûrement pas. Mais si c’est bien une structure asphérique qui est là en jeu, les deux se suscitent dans le même mouvement, simultanément, sans rien d’originaire en sa raison signifiante.

L’écriture de la loi dans le paiement et son usage

46Lacan parle même de reconnaissance en terme de limite : la limite est un terme ambigu, puisque c’est à la fois ce qui fait barrage, obstacle, et ce vers quoi on va tendre. Je vais le dire en termes de littoralité [50]. Cette écriture de la limite (point d’arrivée et rebondissement) se présente communément en trois termes : une négation, une affirmation et une séparation figurée entre les deux, mais cela ne vaut pas exactement de cette façon. Lacan le présente différemment dans Lituraterre : il y a un champ d’affirmation, un champ de négation, mais rien entre eux, sinon le littoral que chaque champ constitue dans son rapport immédiat à l’autre. Ce qui fait obstacle, ce n’est pas un troisième terme, c’est la disparité entre les deux. Or ce qui vaut comme affirmation et négation s’entend aussi comme un passage du fonctionnel, parce que la négation est le moteur de l’affaire, vers ce qui est objectal, et qui se donne comme une affirmation : on dit que c’est positivement là, c’est en quoi on se trompe. Car un objet, un posé-là n’est qu’un mode de transformé de la fonction, elle-même négative. J’insiste sur le fait qu’on a affaire ici à du littoral. Du coup, c’est effectivement une affaire d’écriture : la lettre est, si on veut bien la prendre comme littorale, un mode de différenciation de champs différents. Si on prend donc la négation comme fonctionnelle, en soulignant sa raison d’abord discordantielle, ce n’est pas un troisième terme qui fera la barrière supposant la reconnaissance, c’est la reconnaissance elle-même qui est la limite, à la fois l’obstacle et ce vers quoi on tend, car c’est aussi un point d’accumulation de la fonction. Dès lors, ce point limite est aussi un point d’engendrement d’un espace à venir. La limite en devient une limite constituante et Lacan parlera alors de transfinis à propos du renvoi d’un espace à l’autre. C’est donc aussi à entendre au sein même de la négation, dans le passage du discordantiel au forclusif, de la fonction d’évidement au substantif qui la transcrit en y mettant un coup d’arrêt forclusif.

47Pour l’essentiel, Lacan insiste sur le paiement de l’analyste : c’est lui qui paye, de ses mots dans l’interprétation, de sa personne dans le transfert, de ce qu’il a de plus intime du côté de la jouissance dans la cure. Qu’il y ait une compensation monétaire, pourquoi pas. Je dis qu’elle n’est pas absolument nécessaire et que le psychanalyste peut supporter de payer aussi. Comme tout le monde paye, cela se fait selon les lois de l’espace du prochain. Ce que j’ai appelé loi jusqu’ici, c’est pour l’essentiel une « identité » entre l’analysant et l’analyste dans la réversivité. Dans cette réversivité[51], il y a effectivement destruction de l’objet, mais aussi destruction des positions subjectives : c’est là que la jouissance entre en ligne de compte. On recule devant la jouissance parce qu’on recule devant la destruction des positions subjectives. Mais dans l’analyse, il y a quelque chose d’absolument « sadique », destructeur : on ne peut pas y être comme sujet. On n’a pas affaire à deux sujets : on a affaire à du sujet dans la réversion entre les deux positions. L’espace du prochain y est destructeur pour les deux bonshommes qui sont là. Lacan insiste bien sur la différence entre le semblable et le prochain. Dans une cure, ce ne sont pas des semblables qui sont en présence. Par contre, c’est ce qu’il y a de plus intime en chacun qui fait opérer l’autre. Et chacun, d’une certaine façon, détruit l’autre. L’analyste est pourtant relativement protégé. Il fait opérer une destruction sur les valeurs de l’analysant pour amener celui-ci à une reconstruction de celles-ci. Ces valeurs n’étaient en fait pas « payantes » pour ce sujet, puisqu’il vient en analyse pour changer quelque chose. On va essayer de le déséquilibrer, au profit d’un autre équilibre, en faisant attention à ce qu’il ne se fiche pas en l’air pendant cette période de déséquilibre. L’agressivité correspond à ne pas maintenir les choses en l’état.

48C’est le paradoxe mœbien : si je mets les « sujets » en présence dans la cure en continuité, je dis qu’il y a du sujet dans la cure. Localement, on pourra distinguer celui qui est l’analysant et celui qui est l’analyste. Et la destitution subjective survenant en fin de cure touche à la fois l’analysant et l’analyste au travers du sujet qui les trame. Au fond, il s’agit de voir comment quelque chose peut se construire positivement, à condition d’assumer les limites, c’est-à-dire les points d’accumulation, de visée, qui sont de l’ordre de l’hétérogène par rapport à ce qui pourra jouer fonctionnellement de façon homogène. Car il n’y a pas que de l’homogénéité, qui existe bien entre les « sujets » comme entre les registres, tels que Lacan le dit à propos du nœud borroméen, et pourtant ceux-ci restent éminemment hétérogènes les uns aux autres. C’est ce qui fait le paradoxe du nœud, en plus de l’asphéricité des surfaces d’empan.

49Le paiement par la parole joue là aussi dans le lien d’un mode de parole à l’autre, et pour le moins en passant de l’interlocution mœbienne au schéma de tierce personne, tel qu’il prélude au nœud borroméen. Ce nœud se retrouve entre la jouissance, la livre de chair et la sublimation, et l’ensemble constitue, entre homogénéité et hétérogénéité, un paiement. Les trois sont homogènes sous un certain aspect, hétérogènes sous un autre. L’acte analytique, comme Lacan l’avance, comme étant l’acte d’une cure entière, se fonde de supposer qu’au bout du compte l’analysant pourra accepter de se faire réduire à rien quand il deviendra analyste. C’est un acte d’anticipation. La destruction est là aussi. Quand on s’offre à de l’Autre, comme analyste, et à un analysant, on s’offre d’emblée à être détruit, à être ramené à un déchet. Le paiement est de cet ordre et l’argent n’y a de raison que compensatrice.

50La sublimation est créationniste en ce que chaque fois que se produit un rapport signifiant neuf, un autre objet surgit. Autrement dit, chaque fois que du signifiant est mis en jeu, la sublimation se profile. C’est constamment créationniste. Pour cette raison, cela met en jeu la pulsion de mort. Non seulement parce que toute détermination se fonde d’une négation, mais Lacan dit même que de l’ex nihilo s’en produit, au-delà de la chaîne signifiante. Dans une cure, pour mettre en jeu la chaîne signifiante, il faut faire opérer de l’ex nihilo, c’est-à-dire de la pulsion de mort, comme sa limite.

51Les meurtriers sont des gens qui confondent la réalisation de la mort et la pulsion de mort, c’est-à-dire une fonction signifiante, destructrice d’objet, à laquelle il s’agit de revenir au détriment de l’objet. Pour eux, l’objet est tellement là, pénien, qu’il s’agit de le tuer, de couper le pénis, ce qui est une confusion avec la castration. Payer revient par contre, à mettre en jeu la castration comme éminemment symbolique.

Le pacte éthique

52Éviter de confondre le réel et le symbolique, sans pour autant en oublier le réel, passe par le paiement : payer permet au sujet de se situer au niveau de l’acte dans son incidence sur le réel. En concernant d’abord le sujet de l’énonciation, payer répercute cette énonciation sur l’Autre, afin de le constituer comme condition de l’échange. Le désir du psychanalyste s’éprouve dans ce mouvement. Le prix de la parole, comme celui du symptôme [52], s’attache au changement de position subjective opérant dans la cure dans ce rapport à l’Autre. C’est affaire de direction donnée à la cure par l’analyste. Ce n’est donc pas l’acte du psychanalyste qu’on paye, mais l’inscription dans l’interlocution et, au-delà, dans l’avancée que constitue la structure de tierce personne en ce qu’elle ouvre sur un extérieur toujours neuf.

53En effet, il s’agit moins là d’un rapport à l’argent (comme équivalent général) que d’un certain rapport à la production en général, passant du moins par le mode de production dominant, ce qui implique bien un lien de l’économie politique à la fonction signifiante [53]. La politique de l’analyse en dépend : c’est l’objet a qui règle le rapport de l’analyste à son désir, et non l’argent. Et c’est là qu’intervient le paiement La contingence de l’acte psychanalytique n’a trait qu’à l’impossibilité pour l’analyste de « régler » la jouissance de l’Autre, car assurément elle est cette autre jouissance sur laquelle il n’a pas prise (et non plus l’analysant). La seule prise qu’il ait, est le rapport de la jouissance phallique à la jouissance de l’Autre. De là, le « pacte » nécessaire, en tant qu’apaisement, satisfaction pulsionnelle appuyée sur l’objet, entre la jouissance phallique constamment localisée (comme S1) et la jouissance de l’Autre comme extensive (l’ensemble des S2 démultipliés), pacte dont l’analysant et l’analyste se font porteurs à tour de rôle. Mais, pour opérer comme telle dans le discours, la parole doit se départir de l’objet sexuel comme réel : c’est flagrant avec la tierce personne quand l’objet (d’intérêt sexuel ou meurtrier) est inaccessible et que le dépit est transcrit en « mot », trait d’esprit permettant au sujet de se soutenir de l’Autre auquel il s’identifie en l’identifiant à soi. En cela, la sublimation n’est pas uniquement changement d’objet, mais bien changement de but, permettant de passer du non-rapport (objectal, sexuel) au rapport (identificatoire). Elle a fonction littorale. Le paiement souligne l’intérêt de la solution. Le livre entier de Freud sur Le trait d’esprit ne parle que de ça. Ainsi la raison créationniste de la parole se définit-elle comme poétique. Le matérialisme de l’argent ne saurait même masquer l’inventivité à laquelle le paiement se rend. Ce n’est pas seulement d’un remboursement de dette qu’il s’agit, mais d’une mise, un En-Je[54], permettant de dépasser les conditions de la fonction vers un en-plus en fait toujours inattendu. Payer revient à produire l’objet à partir duquel fonder le narcissisme selon un « retour » de l’objet (qu’on laisse choir) à la fonction.

54Le paiement permet de dépasser ce que Lacan appelle la Chose, « dans son vide cruel » [55]. Il autorise le retour du manque réel sur le vide symbolique. Ce renversement de la Vertretung est proprement un dessaisissement qui ouvre au désêtre et à la destitution subjective comme façons de se départir de ces moments extensionnels. Aucun objet (argent, fèces, pénis, voire enfant, etc.) ne tient dans sa particularité devant un tel évidement. Seule la fonction de celui-ci donne existence à un quelconque objet. Le paiement permet le saut à la béance nécessaire de la supposition, inhérente à la signifiance, dont le sujet (supposé savoir) se fait porteur dans son rapport à l’objet [56]. Le sujet y trouve son assise narcissique. Voilà résumée la manœuvre du paiement dans la cure. Le dessaisissement de l’objet ou la désupposition de savoir, qui autorisent la lecture de cette manœuvre dans la sublimation comme mise à l’écart du sexe, ouvrent à la parole comme mise en jeu temporelle d’une logique signifiante dont le sujet est, à la fois, produit pour en être porteur et promoteur. Cette logique de la supposition, de la conjecture économique de l’inconscient, fait en retour du paiement l’émergent visible de ces transactions structurales dont l’aspect fiduciaire est excellemment indiqué dans tout ce qui se rattache à l’argent, même si celui-ci n’est pas nécessaire au paiement.

55Ce qui compte comme acte, souligné par le paiement (la livre de chair, la jouissance,…), est l’anticipation marquée sur l’assurance existentielle que le sujet tire paradoxalement du peu de fondement de son existence. C’est, depuis le vide spécifique de la signifiance, dans la production d’un en-plus, qui est plus-de-jouir, que les conditions mêmes du lien de création signifiante à la suscitation du sujet se confortent comme rapports d’échange. Ainsi le jeu métaphorique du signifiant comme production s’implique-t-il dans le jeu métonymique entre signifiants que la relation d’échange assoit. Production et échange sont liés, dans l’inconscient comme dans l’économie politique. Payer intervient comme cohésion de cette dualité minimale. De même « l’âme » donne-t-elle cohésion aux parties éparses du corps, ou le symbolique au réel, ce qui n’empêche nullement de maintenir une opposition entre l’âme et le corps.

56Payer pour le meurtre du Père primordial implique au fond bien plus rédemption que règlement d’une dette, la différence tient à cette littoralité de la jouissance qui est telle que le rachat de la faute renforce l’interdit de jouissance bien plus qu’il n’en autorise l’expression. En effet, la transformation de la jouissance en objet [57], en situant la dette, de fonctionnelle qu’elle pourrait être, en objet, loi,… renforce l’interdit, bien plus qu’il ne permet de s’en départir dans un mouvement de retour sur une cause évidée de son objet et avant tout fonctionnelle. Car, pour le souligner une fois de plus avec Lacan, le franchissement de la faille, dans l’autre sens que celui de la saisie de la vérité fonctionnelle de la parole en contingence de l’objet, ce franchissement n’est pas équivalent, comme mouvement de retour, à ce qu’a été la production de l’objet comme surnuméraire à la parole. La sublimation du paiement vise dès lors à faire sauter cet obstacle inhérent à l’asphéricité du saisir/dessaisir propre à céder sur son désir.

57Le paiement fait ainsi transgression de ce que, pour accéder à la jouissance phallique, il faille s’appuyer sur la loi. Celle-ci s’en trouve d’ailleurs motivée et le paiement participe dès lors du procès analytique au travers de ce qui fait loi objectalisée de la parole, moins comme cause de cette loi que conditionnée par elle en ce que cette parole est raison de la jouissance. Le paiement formalise ainsi le paradoxe de la jouissance.

58De même que le péché « originel », commis à l’égard de l’interdit édicté par Dieu (le Père), est excellemment racheté par la mort de Dieu (le Fils) incarné comme homme, de même, dit autrement, l’omission de la prise en compte de la raison énonciative du Verbe est excellemment rachetée par la prise en compte de l’énonciation comme pulsion de mort. De même, dans la psychanalyse, l’énonciation est mise en œuvre au travers du rachat ou de la valorisation des énoncés par leur mise en acte, ou encore, la mise en exercice du mi-dire donne tout son sens d’omission à la vérité de la parole. Ainsi la jouissance n’a-t-elle de raison d’être que de son interdit. Et personne, sauf grande naïveté, ne semble intéressé par sa béatitude future. Autrement dit le paiement n’a rien de transcendant.

La reconnaissance de dette

59Au même titre que le rachat de la faute commise à l’égard du Père par le don du Fils [58], payer d’une livre de chair est excellemment mis en œuvre pour payer de sa jouissance ; le dessaisissement phallique qui est sublimation est, comme tel, aussi paiement. L’excellence de la raison castrative, pour spécifier le dessaisissement de l’objet et la jouissance fonctionnelle qui en dépend, est bien vue par Lacan. Même si je retranscris en saisie/dessaisissement ce que Lacan donne comme franchissement de la barre posée à l’égard de la jouissance, il s’agit bien de ne pas oublier que c’est affaire de paiement, y compris en termes d’amour, qu’il s’agisse de résistance dans le transfert ou, au contraire, de sortie du transfert pour aller vers l’objet.

60À propos de ce rapport plus général au prochain où se joue « le peu de réalité de mon existence » [59], Lacan parle de « monnayer » son temps, temps personnel contre temps du prochain, échange qui permette la dialectique de l’amour avec la jouissance. Comme il n’y a de jouissance que de la Mort, c’est de celle-ci que parle le paiement ; ou plutôt, il fait parler la vérité de la Mort comme incontournable dans la raison signifiante. Le paiement vient à la place de cette « intime division » [60] entre l’amour et la jouissance.

61Cette division, depuis le point du sujet, doit être reconnue à la fois comme la sienne propre et celle de l’Autre : castration réversible que marque le paiement depuis ce qu’il « vaut » comme argent ou dans le corps, la pensée, le sexe. Quant au sujet, en reconnaissant la fonction phallique, c’est le vide, que recouvre la fonction de Dieu, qu’il cherche à assimiler. La loi du paiement fait médiation là où la littoralité de la faille n’opère pas, d’où la demande d’analyse. Car dans la littoralité entre amour et jouissance, le paradoxe du renforcement de l’interdit de jouissance opérant à la mesure même de son acceptation s’estompe : changement de registre, mais valant dans les deux sens.

62Pour le paiement qui y opère, paiement de mots pour le moins, la psychanalyse permet de ne pas prendre le prochain pour un semblable, mais l’on y dépasse le spéculaire du semblable vers la continuité de structure du prochain.

63Aussi le paiement a-t-il pour fonction de faire jouer l’entropie dans la cure. Tout le traitement de l’Homme aux rats n’a trait qu’à la dette.

Notes

  • [1]
    Dans cette veine du paisible, « propager », bouturer renvoient au travail. Une série de mots en apparence éloignés les uns des autres pour leur signification immédiate, mais qui font état du travail agricole, sont ainsi construits sur le latin: pax, pacis, d’où pagus, d’où viendront « paysan, païen », puisque la christianisation a initialement avancé dans les villes ; sur palus, pala, il y a la « pelle », le « pieu », divers outils qui servent aux champs, mais la série s’étend jusqu’aux instruments de torture : le tripalium (Lacan le rappelle), au-delà de l’instrument de torture qu’il est, est d’abord le « tourment », et donnera le « travail » (et la « peine » qui signifiait auparavant le travail est devenue le tourment : il y a là un chiasme).
  • [2]
    Lacan (J.), Le Séminaire, La logique du fantasme, Livre XIV, 15 février 1967, inédit.
  • [3]
    Je veux dire : s’il existait en soi.
  • [4]
    C’est comme je la lis, la « représentance » de Freud.
  • [5]
    C’est encore admissible, si l’on indice ledit signifiant de sa qualité de fonction distordue. (Pour « distordue », Quine aurait dit – je francise – : « falsidique », à ne pas confondre pour autant avec taux ou falsifié: il ne s’agit que d’inflexion, donc de modalisation.)
  • [6]
    Lacan (J.), Écrits., Paris, Seuil, 1966, p. 272-279.
  • [7]
    Benveniste (É.), « Le langage et l’expérience humaine », Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, t. II.
  • [8]
    Freud (S.), «L’inconscient », G. W. X., Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1948.
  • [9]
    La « pureté » étant ici aussi une restriction de la chaîne signifiante – qui en fait est un réseau multidimensionnel – sur sa fonction de concaténation, S1, linéaire par simplification. Le rapport de S1 à S2 induit sa structure de proche en proche pour donner la chaîne des S2, puisqu’il n’y a de signifiance que sous condition de produire effectivement du signifiant « proprement » dit. De là une double division du signifiant de unaire à binaire (S1 ? S2) et de premier à second (S2 ? S?2). La signifiance S1 est plus exactement la structure fonctionnelle comme telle (en intension, dit-on) du dit signifiant (S2), quand celui-ci n’est que la saisie extensionnelle de celle-ci.
  • [10]
    On peut aussi se référer à la doublure de la bande de Mœbius par pincement avec torsion du tore (cf. J. Lacan, « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Le champ freudien, 2001, p. 469-470).
  • [11]
    Ici toute la question du don mériterait un développement – trop long pour l’espace d’un article.
  • [12]
    Prise globalement comme unique, quand elle se dédouble localement sur chacun de ses versants selon l’interlocuteur qui s’en saisit pour lui donner un contenu spécifique au travers du discours qu’il tient.
  • [13]
    Voir note 5.
  • [14]
    Cf. Lew (R.), séminaire 1998-1999, La d’énonciation.
  • [15]
    Cf. Lew (R.), séminaire 1999-2000, L’effacement.
  • [16]
    Cf. Freud (S.), « Constructions dans la psychanalyse », G. W. XVI, trad. fr. in Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985. Cf. Lew (R.), séminaire 2003-2004, Construction dans/de la psychanalyse.
  • [17]
    C’est là ce que Freud pointait comme pulsion de mort : pas d’en-soi, la structure subjective (ou la structure de l’inconscient) ne procède que de rapports.
  • [18]
    Assurément, tout ce que je discute là se situe dans cet accès à l’objet et retour : car il y a involution de l’objet comme il y a involution signifiante.
  • [19]
    Cf. Lew (R.), « Le prix à payer », in Journées de l’ANPASE, 1988.
  • [20]
    Un tel schéma est notablement trop simple, mais encore utilisable. Ce qui ne serait plus le cas si on le démultipliait quant à ses postes.
  • [21]
    Mot dérivé du mot fonction au sens mathématique, désignant un opérateur logique (Le Robert). NDR.
  • [22]
    Cette conclusion est à peu près bien transcrite par J.-A. Miller, même s’il modifie toujours les phrases de Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 371.
  • [23]
    Freud (S.), « L’Homme aux rats », trad. fr. in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 238-239.
  • [24]
    Entre figure im3. figure im4 et figure im5. figure im6 où pour l’essentiel opère à mon sens la sublimation, qui met en jeu l’objet, quand bien même elle s’inscrit au poste du possible ; je différencie ainsi place et rôle, inscription et fonction.
  • [25]
    Éditions sociales.
  • [26]
    Frege (G.), Grundgesetze der Arithmetik. Iena, Verlag Hermann Pohle, 1893; réédité, Darmstadt, 1967.
  • [27]
    Cf. Lew (R.), « L’abandonnée », in Les démentis du réel, Lysimaque, p. 102 sqq.
  • [28]
    Lacan (J.), Le Séminaire. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Livre XI, Paris, Seuil, 1973, p. 165.
  • [29]
    Une unilatéralité des espaces considérés, tendus comme surfaces d’empan sur les cordes du nœud et telles que l’interlocution y est dépassée par une structure ternaire qui n’en annule pas la mœbianité tout en lui faisant effectuer un pas plus loin des rapports d’identification qui y opèrent quand l’objet choit.
  • [30]
    Cf. Lew (R.), L’interprétation est du sens et va contre la signification, Psypropos, 1992.
  • [31]
    Frege explique comment en intension, la fonction est insaisissable : on ne la saisit que transformée en extension, c’est-à-dire pour le moins au travers d’un objet qui est en fait le parcours des valeurs que prend cette fonction à chaque instant.
  • [32]
    Wertverlauf, parcours de valeur(s).
  • [33]
    Freud (S.) (1914), « Pour introduire le narcissisme », trad. fr. in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970. Le problème est de savoir comment opère plus spécialement cette Verliebtheit : définissons-la comme induisant le désir, mais aussi bien la « Père-version » (du contingent au nécessaire). Comment cette Verliebtheit induisant le désir se différencie-t-elle de l’amour d’objet de l’amour au sens le plus banal ?
  • [34]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’angoisse, Livre X, séance du 19 juin 1963, Paris, Seuil, 2004.
  • [35]
    Der Repräsentant est un quasi-hapax chez Freud (trois ou quatre fois tout au plus). Ce terme est synonyme de pulsion. Ensuite celle-ci demande à être représentée (repräsentieren, die Repräsentanz) en termes de représentance valant au travers de la représentation (Vorstellungsrepräsentanz). Dès lors, la fonction de la représentation est de repräsentieren.
  • [36]
    Au sens qu’on attribue à ce terme de Lacan qui n’est donc pas celui de Freud, chez lequel il est der Repräsentant du somatique dans le psychique.
  • [37]
    Ce ne sont que des façons de préciser sur un graphe les points-nœud (les points triples que sont les points de serrage des triskèles du nœud borroméen à trois ronds) qui organisent de façon borroméenne les différenciations de la fonction (prise à la fois comme pulsion, jouissance, désir) en termes extensionnels (souvent dénommés des mêmes vocables, ce qui fait confusion). En effet le lien borroméen se met à plat de deux façons « scalaires » (dextro-ou lévogyre) spécifiables au travers de deux tétraèdres opposés dans le cube reliant les huit positions de l’espace segmenté par le nœud armillaire à 3 ronds. À ne retenir qu’un seul de ces tétraèdres, en le mettant à plat on obtient le carré modal, auquel il s’agit d’ôter une arête, en particulier, pour rendre eulérien le parcours des éléments qui le constituent.
  • [38]
    Lacan (J.), Le Séminaire, R.S.I., Livre XXII, Ornicar ?, 1975.
  • [39]
    Si je le disais en termes uniquement signifiants, on se départirait d’imaginer quelqu’un comme support d’une fonction de sujet elle-même supportant des fonctions signifiantes, et le propos serait uniquement abstrait comme l’est la fonction symbolique en elle-même.
  • [40]
    Retour sur l’étymologie de « payer » : Friede en allemand, c’est la paix, mais « payer » se dit en allemand bezahlen, référence au nombre (Zahl), et de là au numéraire.
  • [41]
    Lacan (J.), Le Séminaire, La logique du fantasme, Livre XIV (1966-1967), inédit.
  • [42]
    Réversion : en rhétorique à propos d’une figure de style qui reprend en les inversant les termes d’une proposition pour former une nouvelle proposition de sens différent (Le Robert), NDR.
  • [43]
    Lacan (J.), « Proposition… », première version, Autres écrits, op. cit., p. 580.
  • [44]
    Cf. De Rouilhan (Ph.), Frege et les paradoxes de la représentation, Paris, Éd. de Minuit, 1988.
  • [45]
    Cf. Lacan (J.), « Séminaire sur La lettre volée », Écrits, op. cit.
  • [46]
    Lacan (J.), « Le dire, le dieu-re », Le Séminaire, R.S.I., Livre XII, 1975.
  • [47]
    Lacan (J.), Le Séminaire, Les quatre concepts, op. cit., p. 24-25.
  • [48]
    Lacan (J.), Le Séminaire, Encore, Livre XX, Paris, Seuil, 1975.
  • [49]
    Plus exactement je situe l’intension comme hors point de vue, et chaque extension n’en est qu’un point de vue.
  • [50]
    Comme on a évoqué l’écriture à propos du paiement, ce sera facilité : il s’agit d’écrire l’histoire, chemin faisant afin de pouvoir poursuivre ce chemin. À la suggestion qui lui est faite que l’histoire est constituée de tout ce que les hommes sont décidés à payer pour le trouver écrit en tant qu’histoire, Lacan opine favorablement (Scilicet 6-7, Paris, Seuil, 1976).
  • [51]
    Voir note 42.
  • [52]
    Cf. colloque Le prix du symptôme, ANPCMPPT, 23-24 septembre 2005.
  • [53]
    Avec le paiement est mis en jeu le (rapport au) rapport (second) de la fonction pulsionnelle, au fondement de l’économie politique.
  • [54]
    Lacan (J.), « Compte-rendu du séminaire L’acte psychanalytique », Autres écrits, op. cit., p. 381.
  • [55]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, livre VII, op. cit., p. 193.
  • [56]
    On passe ainsi de toute substantialité à ce que Spinoza a pointé comme « expression », où je lis le choix même des prédicats nécessaires à faire valoir le vide dans la Chose, tant en termes de dissimulation que de contingence. Ainsi toute la question de la référence est-elle subvertie (ou disons : sublimée) par cet évidement qu’on peut chercher à inscrire au cœur de tout prédicat, de tout attribut. La substance comme forclusive (le substantif : le pas, le point, la goutte, etc.) renvoie ainsi à la discordance comme simplement fonctionnelle.
  • [57]
    J’insiste : quel qu’il soit, y compris l’argent et ce qu’il métaphorise.
  • [58]
    Même « substance », divine, selon une autre « essence » signifiante et a fortiori une autre consistance expressive, mais je n’entre pas ici dans le débat scolastique et les solutions qui ont émergé avec le discours de la science et le capitalisme au XVIIe siècle (Descartes, Spinoza, Leibniz…).
  • [59]
    Lacan (J.), Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, Livre VII, op. cit., p. 220.
  • [60]
    Lacan (J.), ibid., p. 225.
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