Che vuoi ? 2005/1 N° 23

Couverture de CHEV_023

Article de revue

Sur trois mots, comme on dit sur deux notes

Pages 77 à 81

Notes

  • [1]
    Blévis (J.-J.), texte publié dans Figures de la psychanalyse, n° 6., Érès.
  • [2]
    Maillard (Cl.), texte à paraître dans la revue Insistance, n° 1, Érès, septembre 2005.
  • [3]
    Lœb (J.-P.), texte publié dans Les Cahiers d’Antigone à Grambois, juillet 2003.

1Grave est le temps, pluvieuse la mémoire. Dans l’inconfortable d’un social perclus d’horreurs, se retrouver à quelques-uns vers l’incontournable d’un dire de langue à quatre.

2Deux titres d’articles : « Reste à transmettre » [1] et « Du souffle au cri, l’art de la moravie » [2] me tiennent lieu de préface.

3De moravie, ce reste porte trois mots apparemment inintelligibles, surtout sans le contexte. Donc par là même en voie de trouvaille.

4Le premier mot : Mass-klo.

5Un mot d’avant le sens. Mais est-ce un mot. Ou est-ce un mot « sensé » qui, refoulé, resurge en gribouillis polyphonique de sens. Une trace de mots ou un mot en vol de trace. Ou encore le tracé polyphonique d’un mot ayant perdu sens dans l’enfoncé de la langue. Trace en sus et sous d’une polyphonie qui folle la langue. Trace mnésique inconsciente… pour qui, pourquoi - pour quoi en deux mots. Comment et d’où.

6Le deuxième mot : Matisklo.

7Des molécules de sons en traces imberbes non de mots écrits mais de mots voix, sans nouage dans la langue. Sons particules, poudre de sons sonores de diverses langues. D’une pluralité possible de langues inconnues de sens. Ou plutôt non connues du sens.

8Le troisième mot : Urbinek.

9Un mot en place de nom. Mais ce n’est pas un nom… Au fait, qu’est-ce qu’un nom. Comment entendre le propre d’un nom et de par où. Gravure dans du gravide ? Gravé en voie de lecture ? Dans une attente d’un là où il y aurait mouvement, glissement de place d’un nom vers l’inconnu (l’Un connu) d’un autre nom. Dans un déplacement outre-père, un quelque chose de la Chose se transcriptant du désir de femme en devenir de mère. Passant un nom, passeuse de nom. Du reste, le ça d’un nom commence à s’écrire bien avant la naissance. Dans les feuillets mnésiques du palimpseste des dieux. Comme un avant-propos ouvrant sur l’inconnue du temps de l’utérine alliance ou mésalliance d’un désir de femme mère ?

10L’infans porte traces de ces traces d’alliance ; laquelle tout à la fois scellée même si transhumée, semble être perdue ou se perdre. Chance et malchance inscrites dans le même temps d’histoire, se jouent en tours de dé ou de roulette russe pointant du destin les inexorables voies.

11Le troisième mot : Bis.

12Mot dans le tissage d’une femme pour appeler un enfant mais ne pouvant l’enfanter dans sa symbolique imagine. Mot sans famille. Sans père ni lois du sens. Mot chu d’avance dans la béance d’un sans-retour. Sans retournement possible, sauf à faire le saut de l’ange dans l’abyssale Absence.

13

Alors, l’enfant sans nom d’une histoire sans paroles mais peut-être pas sans écriture s’était tu dans un suicide sans précédent s’opposant au crime. Qu’avait-il pu lire en lui des écrits palimpsestes pour qu’il ne puisse que faire silence au sus et vu d’ondes généalogiques de meurtre et de disparition.

14Reprise du premier et du deuxième mot.

15Mots comme des pierres rejetées d’une langue clouée d’avance et ne pouvant devenir un parlé de langue. Mots de lave refroidie sans souffle de transhumance. Cris refroidis d’une langue morte plurielle. Pierres de cris tombées d’un lointain du langage. Traces mnésiques sonores de mots désossés de langue, en résonances de chutes de mots brisés sortis de bouches assassinées. Yiddish or not yiddish, de bien plus loin encore.

16Comme des jumeaux de langue d’un temps interrompu. De la cédille du ça d’avant la Chose ; d’avant même le souffle qui sonorise les sons.

17Reprise du troisième mot.

18Mot-nom d’un innommé nommant un prénom impensé impensable se noyant à tout instant dans le sable mouvant d’un inconnu de lettre. Il est et serait le « il » (hile ?) impersonnel de l’étranger en habit de Personne. Plus encore, en crise d’un prénom un-prononçable, il tutoierait le vide, non seulement déplaçant ou dépassant l’énigme, mais la brisant.

19Alors… reprendre ces trois mots qui n’ont de sens ni propre ni commun. Ni abstrait, ni figuré. Les sortir de leurs cendres et les porter sur un colloque. Col, voulant dire voix en hébreu, m’a-t-il été conté un jour. En toute absence de larmes et d’appels, faire de ces mots qui ne sont ni perdus ni en quête d’auteur et qui sont dans les trois mille lieues sous la mère cet entre-lieu inconsummable. Y mettre les points de suspension d’un tu-je-il d’une avancée langagière infiniment balbutiante.

20Alors… reprendre ces mots d’une terrifiante histoire. Ces mots laissés pour compte. Instaurer à leur endroit une écoute pour qu’ils s’entendent et non pour qu’ils se voient - les voir est impossible ; comme il est impossible de leur donner un sens.

21Une écoute ; la voix d’oreille a parlé d’eux à mes lèvres. Mais les mots pour le dire ne sont pas encore nés. Car la langue n’est pas celle dont on croit être né. Elle est de l’arrière-pays qui n’a de lieu que le temps de moravie.

22Le temps du flux et reflux des chances et des malchances qui a joué et se joue. Pour ces trois mots, s’est joué. Ce qui apparemment n’avait nulle raison d’être. Et qui pourrait se nommer le destin. En effet, quelle cause en son vide se fait-il entendre, à qui, en quelque sorte, prend la relève de la répétition passant de bouche en bouche, et d’oreille à oreille, et de mains en mains d’écriture et de lecture dans une traversée chambre morte d’un enfant à paraître.

23

« Ce n’est pas vrai que la chambre de notre enfance reste ensoleillée et lumineuse dans notre mémoire. Ce n’est que dans les maniérismes de la convention littéraire qu’elle se présente ainsi. Il s’agit d’une chambre morte
et d’une chambre des morts.
Cependant, si nous arrivons à en extraire des fragments, fussent-ils infimes […]
il est possible alors que notre véritable chambre d’enfant commence à se mettre en place, et peut-être qu’arriverons-nous ainsi à accumuler des éléments pour construire notre spectacle. »
Fragment du texte de Tadeusz Kantor intitulé La Chambre, se rapportant à Wielopole-Wielopole, Théâtre Cricot 2 de Cracovie

24Texte lu, comme une coupure. Et puis, reprendre à écrire. S’y essayer… Toucher à quelque chose de la langue, à ce qui afflige et protège à la fois le quatre-un impossible. Impossibilité n’ayant d’égal que ce qui risque à se perdre dans le perdu d’une autre langue. Celle du fin fond blanc-seing d’un amont-en-aval de l’enjeu inconnu de la terre d’écriture.

25L’enjeu de parole est dans l’écriture. Celle du dessous la langue. Celle qui se lit les yeux fermés et qui pousse la parole à dire. Celle des hauts et des bas-fonds à la fois. Celle qui se délie à émerger de la matière, à souffler l’entre des radicelles de langues. Celle des glyphes de son propre royaume.

26Écriture d’un dire inexpugnable, qui prend si souvent sa retraite dans les profondeurs du rhizome de langue. Dans le silence muet des vingt mille lieues sous la mère.

27Écriture qui, en s’écrivant, devient l’écriture du dessus et meurt, fanée sur la page. En un sac et ressac ; mais d’où le désir surfe la langue des entre-langues, là d’où souffle le sonore du désir fou de vivre.

28Alors, un autre texte se mit à circuler. Un long fragment d’article intitulé : « […] à même la cendre, elle, la langue, restait. » [3] II y avait à rapprocher le trouble de travail existant dans les diagonales et vectorisations du quatre-un impossible rappelant le tremblement de mémoire sur l’Acropole, de ce fragment qui, ici maintenant, lignait en majuscule l’être exilé de la langue d’outre-terre.

29La langue du ça parle d’avant la langue et les langages de langue venant à se poser re-poser, non en soutenance de thèse, voire de théorie, mais en emprises de semblant dans un champ de méconnaissance. Écriture de parole dans la temporalité signifiante, voilà l’échangeur de passe, là d’où vie et mort se confrontent et s’absurdent.

30C’était ça le point du ça parle et ne parle d’avant la langue. Point d’appui tour/trou tournant d’entre les langues mutiques d’un toujours même royaume palimpseste des dieux de l’Olympe utérine.

31C’est là où le grand Autre voit pousser ses racines, sous la chute placentaire où l’incipit s’est écrit à la coupe radicale du cordon de la mère morte.

32Sur les parois de l’utérine alliance restent inscrits en inversé les lignes, les lettres, les mouvements des illisibles traits, ponctus d’une langue inconnue et qui le restera. Langue que personne ne peut ni lire, ni entendre, ni même déchiffrer et que Persona, la voix, fait résonner en traces du souffle sonore sonorisé.

33Juin revenait-revient dans un printemps de pluie et d’orages. Avec des exigences nouvelles quant à la langue des trouvailles. Langue d’une phrase, que dire. Langue d’un mot, d’une syllabe, d’une lettre. D’une seule lettre, celle au bord d’un bord qui majuscule un point de mot. Suspendu à un fil qui, s’il se rompt, laisse la lettre tournoyer à se perdre.

34Serions-nous des trouvères de mots. Des souffleurs d’invention. Y a-t-il encore des mots ?

35

Apostille : blanc de lettre, l’écoulement s’échappe en traces amnésiques effaçant les refoulés du reste et les hiéroglyphes illisibles de la stèle imprenable. Il est trop tard, n’est-ce pas. Le point d’appui sur la langue n’arrive à se distraire qu’en points de suspension.

Notes

  • [1]
    Blévis (J.-J.), texte publié dans Figures de la psychanalyse, n° 6., Érès.
  • [2]
    Maillard (Cl.), texte à paraître dans la revue Insistance, n° 1, Érès, septembre 2005.
  • [3]
    Lœb (J.-P.), texte publié dans Les Cahiers d’Antigone à Grambois, juillet 2003.
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