Notes
-
[1]
Matthias Kipping et Ludovic Cailluet, « Mintzberg’s Emergent and Deliberate Strategies : Tracking Alcan’s Activities in Europe, 1928-2007 », Business History Review, vol. 84, n° 1, 2010, p. 79-104 ; Yves Plourde, L’Influence de la division des activités d’Alcoa de 1928 sur l’internationalisation d’Alcan et d’Alcoa, thèse de maîtrise sous la direction d’Alain Noël, HEC Montréal, 2007 ; Georges David Smith, From Monopoly to Competition ; The Transformation of Alcoa 1888-1986, New York, Cambridge University Press, 1988 ; Kathryn Rudie Harrigan, « Matching Vertical Strategies to Competitive Conditions », Strategic Management Journal, 7, 1986, p. 535-555 ; J. A. Stuckley, Vertical Integration and Joint Ventures in the Aluminum Industry, Cambridge, Harvard University Press, 1983.
-
[2]
La consultation des sources premières a été possible grâce à l’aide de l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium, et de la Maison Alcan pour le cas de la Guinée, et de Public-Histoire pour ce qui est de ceux de Lucé, Pinon et Technal. Je tiens à exprimer ma reconnaissance au personnel de l’IHA qui m’a cordialement ouvert ses portes, et celui de la Maison Alcan pour avoir permis l’accès à ses archives. Je veux aussi manifester ma gratitude envers Félix Torres de Public-Histoire, sans qui l’accès aux archives d’Aluminium Alcan de France aurait été impossible, et à Dominique Barjot qui m’a reçu dans son laboratoire et fait profiter de ses conseils durant mon séjour recherche.
-
[3]
Archives Maison Alcan, Jean-Yves Eichenberger, Souvenirs de bauxite et de Guinée, mars 1984, p. 7.
-
[4]
Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France du 16 mai 1961, année 1960.
-
[5]
Sur les avantages de la bauxite trihydratée voir L’adaptation industrielle dans l’industrie de l’aluminium de première fusion, Paris, O.C.D.E., 1976, p. 10-11.
-
[6]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 25.
-
[7]
Archives Maison Alcan, Bauxites du Midi, 00130-08, Aluminium Limited interest in French West Africa Smelter, 1956.
-
[8]
Carmine Nappi, Changements structurels dans l’industrie internationale de l’aluminium : le cas du Canada, Montréal, HEC Montréal, 1984, p.17. Voir aussi René Lesclous « What bauxite strategy ? An overview of the different players and their behaviour from 1890 to the present », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°40, 2008, p. 11-30.
-
[9]
« L’Alumine ouvre la marche dans les projets de Guinée », Revue de l’Aluminium, décembre 1956, n°238, p. 1142-1143.
-
[10]
Archives Maison Alcan, Bauxites du Midi, 00039-09, Notes on a journey to French Africa, mars 1956.
-
[11]
Aluminium Limited, Annual Report, 1957, p. 12-13.
-
[12]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 27.
-
[13]
Sur l’engagement de Pechiney en Guinée voir notamment Jacques Larue, Fria en Guinée, Première usine d’alumine en terre d’Afrique, Paris, Karthala, 2000 ; René Lesclous, Les choix stratégiques de Pechiney, 1892-1992, Paris, Presse de l’École des Mines - IHA, 1999 ; Noëlle Blaison, Les investissements français en Guinée, Climat et régime juridique, Mémoire de DEA, Paris I, 1987 ; Claude Rivière, « L’économie guinéenne, les ressources minières », Revue française d’études politiques, 1975.
-
[14]
Aluminium Limited interest in French West Africa Smelter, op.cit., p. 13-14.
-
[15]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Projets industriels et évolution économique en Guinée, 19 septembre 1958.
-
[16]
Ibid., Lettre de Sékou Touré à Raoul de Vitry, 6 octobre 1958.
-
[17]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 33.
-
[18]
Bonnie Campbell, Les Enjeux de la bauxite ; La Guinée face aux multinationales de l’aluminium, Montréal, Presses universitaires de l’Université de Montréal, 1983, p. 84-85.
-
[19]
Aluminium Limited, Annual Report, 1961, p. 8-9.
-
[20]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, décembre 1961, n°293, p. 1412. Le gouvernement guinéen affirme vouloir restituer les actifs concernés si un accord était conclu avant le 24 février 1962. Alcan se verra plus tard créditer 10 millions de dollars sur sa participation dans Halco en considération des investissements consentis dans le passé et de la nationalisation de ses actifs.
-
[21]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, novembre 1963, n°314, p. 1105.
-
[22]
Merton Peck, Competition in the Aluminum Industry, 1945-1958, Cambridge, Harvard, 1961.
-
[23]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Boké ; Conseil d’administration de Halco, 5 avril 1967, p. 3.
-
[24]
René Lesclous, « Électricité et aluminium en Afrique subsaharienne : stratégies des producteurs d’aluminium », Outre-Mers, n°89, 2002, p. 172.
-
[25]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, novembre 1965, n°336, p. 1224
-
[26]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Conversation avec les représentants du gouvernement guinéen, 25 octobre 1966.
-
[27]
Aluminium Limited, Annual Report, 1973, p. 18.
-
[28]
« Guinée-Halco : mise en valeur des gisements de bauxite de Boké », Revue de l’Aluminium, octobre 1968, n°367, p.866-867.
-
[29]
Le rôle d’Alcan dans la stratégie d’Alcoa concernait la production d’aluminium primaire et l’approvisionnement en bauxite. Après le jugement Knox de 1950, les actionnaires ayant des actions dans les deux sociétés doivent se départir de leurs investissements dans l’une ou dans l’autre. L’indépendance d’Alcan la sépare des débouchés qu’elle trouvait auparavant pour ses lingots auprès des sociétés liées à Alcoa. Sur les procès accusant Alcoa de pratiques monopolistiques voir Georges David Smith, From Monopoly to
Competition ; The Transformation of Alcoa 1888-1986, New York, Cambridge University Press, 1988. -
[30]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon, Inauguration de l’usine de Lucé, Allocution prononcée par M. Paul Frétault.
-
[31]
Idem, Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1958.
-
[32]
Voir Georges Darnault et Raymond Segond, « Nuances du ciel de l’Île-de-France. Un défi pour l’aluminium : la Maison de la Radio (1957-1962) », et Pierre Vidal, « Le paquebot France. Une étape majeure pour l’aluminium dans l’industrie », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°14, 1994.
-
[33]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1963.
-
[34]
L’usine de la FACA, cliente de premier ordre, se trouve à quelques centaines de mètres, elle fournit des pièces pour la Simca 1 500 en 1966. On vendait aussi du matériel servant à la production de parapluies, de valises ou de machines à tricoter.
-
[35]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1965.
-
[36]
AAF, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du 21 mai 1968. Schwartz-Haumont offrait déjà au milieu des années 1950 des fenêtres basculantes en aluminium à double vitrage intégré haut de gamme. Sur le début des fenêtres en aluminium sur le marché français, voir Roger Lorgis et Jean Vinant, « Vendre en France des fenêtres en aluminium ? Souvenirs sur la conquête d’un marché récalcitrant », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°10, 1993, p. 63-84.
-
[37]
J. Patrie, « L’anodisation en France », Revue de l’Aluminium, septembre 1975, p. 265 à 274.
-
[38]
Le procédé, qui offrait un rapport qualité-prix intéressant permettait la coloration du métal avec différents degrés de saturation de marron se déclinant en une palette de « bronze ». Des difficultés surgissent au départ pour ce qui est de la reproduction standardisée de la même variété.
-
[39]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1967.
-
[40]
Idem, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du 2 juin 1978.
-
[41]
Idem, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du jeudi 17 juin 1982, p.6.
-
[42]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon, Projet de vente, Usine de Lucé, Exposé des motifs, 2 mai 1985.
-
[43]
Guy Arnoult,« Éditorial », Alliages, septembre 1985, p. 2.
-
[44]
Archives Public-Histoire, AAF – Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport de gestion présenté par le conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires. Exercice 1986.
-
[45]
Idem, Entretien avec Patrick Rich, 22 août 1991.
-
[46]
Aluminium Limited, Annual Report, 1986, p.6.
-
[47]
Archives Maison Alcan, 0265-02, Toulouse Business Center.
-
[48]
Aluminium Limited, Annual Report, 1978, p. 19.
-
[49]
Archives Public-Histoire, AAF Technal, Stratégies, Technal site toulousain, 1981.
-
[50]
Aluminium Limited, Annual Report, 1983, p. 6.
-
[51]
Archives Public-Histoire, AAF – Technal, Dossier notes André Bos, « Pourquoi cette première opération », p. 4 ; sur le choc entre les cultures des deux entreprises voir Jacques Ingalens, « Le mariage de la PME toulousaine et de la multinationale », Revue française de gestion, septembre-octobre 1984, p. 104-109.
-
[52]
Archives Public-Histoire, AAF – Technal,Stratégies, Rapport BCG, 1984, p. 2-5.
-
[53]
Idem, p. 16.
-
[54]
Idem, Situation du marché en 1984, p. 2.
-
[55]
Idem. Histoire du Groupe, étude image AAF, mai-juin 1986. 95 individus de différents domaines sont contactés, ils travaillent dans la presse, l’enseignement, les établissements financiers, la fonction publique, les syndicats professionnels ou sont de gros clients.
-
[56]
Voir notamment « Technal, ou le design avec peine », Sciences & Vie Économie, novembre 1991, p. 72-75. Pour Technal, le design va au-delà de l’esthétisme en accordant une place de choix à la technologie et à la fonctionnalité.
-
[57]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon,Table-ronde Lucé.
-
[58]
Guy Arnould, « Editorial », Alliages, mai 1986, p. 2.
-
[59]
Archives Public-Histoire, AAF - Entretiens Technal, Interview de Jean-Michel Martineau, 11 juin 1991.
-
[60]
Idem, Technal, stratégies, Planification Technal France 1986-1987, 24 septembre 1985, p. 2-4 ; Business outlook for 1986, p. 6.
-
[61]
Archives Public-Histoire, AAF - Histoire du groupe, Letter from G. Arnould and G. de Saint-Remy to P. Rich, Aluminium Alcan de France 1987 Annual Plan, 30 octobre 1986.
-
[62]
Sur l’évolution des procédés de coloration voir Jos Patrie, « L’architecture en couleur ; l’aluminium anodisé et coloré dans la seconde moitié du vingtième siècle », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°27, 2000-2001, p. 43-70.
-
[63]
« Juste-à –temps : le nouveau défi AAF/Technal », Alliages, mars 1989, p. 13.
-
[64]
« Rencontre avec Norsk Hydro », Alliages, janvier 1986, p. 18-19.
-
[65]
Aluminium Limited, Annual Report, 1995, p. 19.
-
[66]
Carmine Nappi, « L’industrie internationale de l’aluminium, 1980-2006 : changements structurels et perspectives », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°36, 2006, p. 27-34.
-
[67]
Aluminium Limited, Annual Report, 1999, p. 23.
1Fondée en 1928, Aluminium Limited of Canada avait été pensée par les dirigeants du producteur d’aluminium américain Alcoa comme une société tournée vers les activités internationales. Elle héritait alors de l’ensemble des avoirs d’Alcoa détenus à l’extérieur des États-Unis. Bien que séparées juridiquement, les deux entreprises demeuraient sous le contrôle des mêmes actionnaires. La stratégie développée par la multinationale canadienne s’est orientée, d’une manière de plus en plus réfléchie et autonome, vers un approfondissement de son intégration verticale [1]. Elle a d’abord porté son attention sur la question des matières premières et de la production d’alumine, en amont de l’électrolyse, puis a ensuite développé son intérêt pour la transformation des lingots en produits semi-finis, avant de se tourner vers le consommateur final.
2L’étude des filiales françaises d’Alcan, en France et dans son empire colonial, nous permet d’examiner l’évolution de sociétés associées à différents jalons de l’application de la stratégie d’Alcan. Ce choix est d’autant plus pertinent qu’il fournit des exemples précis permettant de saisir la dynamique des décisions d’investissement. Ceux-ci s’inscrivent dans des périodes-clés liées à de nouvelles orientations données par la direction d’Alcan à ses investissements en Europe et dans le monde. Ainsi, nous verrons la volonté de contrôler les approvisionnements en bauxite illustrée par l’exemple de la Société des Bauxites du Midi, celle de transformer davantage l’aluminium en Europe grâce aux cas des usines de Lucé et Pinon, et la recherche de la valeur ajoutée en se penchant sur l’entreprise Technal.
3Cet article entend contribuer d’une manière originale à la réflexion sur le destin de certaines filiales d’Alcan. En s’appuyant sur des sources liées à la problématique de l’application internationale de sa stratégie, nous nous pencherons sur les raisons des échecs, des succès et de revirements de la politique d’Alcan en Guinée et en France [2]. L’étude de la Société des Bauxites du Midi a profité de différents documents internes liés aux travaux et aux objectifs d’Alcan en Guinée. Les archives de Pechiney ont apporté des renseignements sur la dynamique des négociations entourant l’exploitation des gisements de bauxite à Boké. Ils proviennent surtout des comptesrendus et de la correspondance entourant les réunions entre les représentants des grandes entreprises de l’aluminium et ceux du gouvernement guinéen, entre 1956 et 1968. L’analyse du cas de Pinon et Lucé a tiré profit des archives de Public-Histoire, particulièrement des extraits des procès-verbaux du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France touchant à l’évolution de ses filiales. Pour le cas de Technal, les rapports du Boston Consulting Group et certains dossiers sur la réflexion entourant les orientations stratégiques ont fourni des renseignements particulièrement intéressants.
Une entreprise pionnière de la prospection et de l’extraction en Guinée
4Entièrement dépourvue de réserves de bauxite sur le sol canadien, Aluminium Limited comptait sur les importantes ressources se trouvant à l’étranger, dans les Caraïbes, en Australie et en Afrique occidentale. Lors de sa création en 1928, elle avait reçu d’Alcoa l’intégralité des actions de la Société des Bauxites du Midi, filiale intéressée par l’exploitation de la bauxite en France et la découverte de nouveaux gisements dans son empire colonial. Ses missions en Guinée, menées depuis les années 1930, lui avaient permis de s’assurer des permis de prospection et des droits d’exploitation, qui avaient été périodiquement renouvelés par la suite.
5Dès les années qui précédent la Seconde Guerre mondiale, la Société des Bauxites du Midi avait entrepris des travaux dans le but d’exploiter la bauxite des îles de Los, au large de Conakry. La construction de la jetée à Tamara, dont l’empierrement avait été réalisé par une main-d’œuvre carcérale provenant majoritairement du pénitencier de l’île, n’avait toutefois pas été achevée suite aux dommages provoqués par le passage d’une importante tornade durant l’été 1938 [3]. Après quelques livraisons de bauxite faites avec de grandes difficultés en 1949 et 1950, Tamara est délaissée au profit de l’île de Kassa où la filiale d’Alcan s’affaire à la construction d’un port et bientôt à celle d’installations de concassage, de lavage et de séchage. Rapprochée des côtes de la petite île, le gisement est facilement exploitable et, malgré l’importance des investissements engagés, la multinationale canadienne peut assumer seule le financement du projet.
6L’objectif est d’arriver à y extraire annuellement 250 000 tonnes de bauxite pour compléter l’approvisionnement en matières premières du complexe industriel d’Arvida au Québec, tout en profitant de l’expérience ainsi acquise pour planifier l’exploitation prometteuse des gisements de Boké, situés à l’intérieur du continent africain. Lancée officiellement à l’automne 1952, l’exploitation dépasse rapidement les prévisions et atteint un record avec 540 000 tonnes en 1960, dernière année d’opération menée par les Bauxites du Midi [4]. Toutefois, les réserves de bauxite y sont peu importantes, environ huit millions de tonnes, et l’opération vise surtout à sécuriser les intérêts d’Aluminium Limited dans le pays. Elle peut être vue comme un effort de relations publiques en direction du gouvernement guinéen, dont les nationaux obtiennent par la loi-cadre Defferre de 1956 le dernier mot pour les questions liées à l’attribution de contrats miniers, afin de positionner l’entreprise comme pionnière dans l’exploitation de la bauxite en Guinée.
7C’est surtout du côté de Boké que se concentrent les espoirs de la multinationale canadienne. Au lendemain de la guerre, les travaux d’exploration ont repris sur le continent africain afin que soient maintenus les droits acquis auparavant. Après des années de sondages, on évalue que les gisements de Boké représentent plus de deux milliards de tonnes de bauxite, dont environ le quart est d’une qualité exceptionnelle. On y trouve de la bauxite trihydratée, dite « tropicale », qui offre l’avantage considérable de pouvoir être affinée à faible coût, car traitée à basse température et à faible pression [5]. La découverte à Sangaredi d’une bauxite à haute teneur en oxyde d’aluminium - 59 % contre une teneur moyenne habituelle d’environ 50 % - suscite beaucoup d’enthousiasme. Aluminium Limited réussit à garder le secret sur l’ampleur et la richesse de cet « eldorado bauxitique [6] ». L’exploitation des ressources de Boké est considérée comme le facteur prépondérant orientant depuis 1947 la politique africaine de l’entreprise [7], qui souhaite s’assurer des ressources en bauxite pour les années à venir, et diversifier ses sources d’approvisionnement pour diminuer les risques d’une trop grande dépendance envers la production de la Guyane britannique [8].
8Dans son communiqué du 15 novembre 1956, Aluminium Limited annonce officiellement son intention d’investir 100 millions de dollars dans sa filiale Bauxites du Midi pour développer l’extraction de la bauxite à Boké, et construire une usine d’affinage d’une capacité annuelle de 230 000 tonnes pour produire de l’alumine dans la même région. Cinq années sont jugées nécessaires à la réalisation de ce projet de grande envergure qui, selon les prévisions, doit débuter en 1957, aboutir à l’extraction de la première tonne de bauxite en 1960 et à la production d’une première tonne d’alumine en 1961 [9]. Les principales dépenses concernent la construction d’un chemin de fer de 120 km et l’aménagement d’installations portuaires à l’embouchure du Rio Nunez.
9Les études préalables à l’accomplissement d’une tâche de cette ampleur ne sont pas aisées et ont représenté un défi important. Certains retards survenus en 1956 sont cependant imputables à l’impéritie de sous-traitants. La firme Christiani et Nelsen semble incapable d’effectuer les sondages hydrographiques souhaités, et doit être remplacée [10]. Le tracé de la voie ferrée et l’emplacement du port ont pu néanmoins être déterminés avant la fin de l’année. Ces progrès sont bien vus en Guinée et le gouvernement encourage le démarrage des travaux.
10Durant cette période, des investissements de l’ordre de 455 millions de dollars sont affectés au plan d’expansion d’Aluminium Limited qui développe fortement ses capacités d’électrolyse en Colombie-Britannique et au Québec. Jugeant que des approvisionnements supplémentaires en bauxite seront nécessaires vers 1963-1964 pour pourvoir à ses besoins grandissants, Aluminium Limited fait débuter les travaux en 1957 par sa filiale Aluminium Laboratories Limited, spécialisée dans les questions liées à l’aménagement, qui opère sous la tutelle de Bauxites du Midi. La manière dont doit être financée l’ensemble du projet de Boké n’est pour autant pas encore déterminée [11]. Suite à de longues et pénibles discussions avec le gouvernement guinéen, dans lequel le vice-président Sékou Touré détient l’autorité décisionnelle pour la conclusion de ce type d’entente, une convention est finalement conclue en juillet 1958. Aux termes de cet accord, la Société des Bauxites du Midi s’engage à créer avant juillet 1964 l’infrastructure nécessaire à l’extraction d’au moins 1,5 million de tonnes de bauxite et à la production d’un minimum de 220 000 tonnes d’alumine par an [12].
11Plusieurs grands projets industriels sont alors envisagés en Guinée, non seulement de la part d’Aluminium Limited, mais aussi de Pechiney [13]. On parle d’extraction de bauxite à Boké, Kindia et Dabola, mais aussi de la mise en place de capacités d’affinage et même d’électrolyse grâce à l’éventuelle construction d’installations hydroélectriques sur le fleuve Konkouré. Les autorités guinéennes rappellent à plusieurs reprises qu’elles n’accepteront pas que les activités se limitent à l’extraction de la bauxite, mais souhaitent la voir transformer en alumine, et idéalement en aluminium, avant qu’elle ne soit exportée. Sentant la pression exercée en ce sens, Aluminium Limited accepte d’investir dans Énergie électrique de Guinée, qui étudie le potentiel énergétique de la région en relation avec le développement de l’industrie de l’aluminium.
12Les études réalisées montrent que l’aluminium pourrait être produit à des prix intéressants. Toutefois, l’intérêt manifesté d’Aluminium Limited pour l’éventuel développement de capacités d’électrolyse en Guinée vise surtout à sécuriser ses droits sur les gisements de bauxite, en minimisant les risques d’obstruction de la part du gouvernement [14]. Si l’entreprise canadienne étudie conjointement avec Pechiney la construction d’un barrage à Souapiti sur le Konkouré, c’est bien davantage pour satisfaire la volonté des autorités guinéennes que par intérêt véritable pour ce projet, dont la rentabilité semble devoir être moyenne, dans le meilleur des cas [15].
L’indépendance de la Guinée et la question de Boké
13Avec l’arrivée au pouvoir de Sékou Touré comme premier président de la République de Guinée le 2 octobre 1958, les bouleversements politiques qui affectent le pays compliquent la poursuite des projets industriels en chantier. Les investisseurs étrangers, qui ne bénéficient plus du soutien du gouvernement français, sont encore fragilisés lorsque la Guinée indépendante décide de rompre toute relation diplomatique avec la France et de sortir de la zone franc. Durant les premiers jours de l’indépendance, Sékou Touré se montre pourtant rassurant quant aux projets touchant la bauxite. Il affirme que son gouvernement « apprécie hautement les réalisations déjà entreprises », particulièrement celles de Pechiney et de Bauxites du Midi, et qu’il « ne ménagera aucun de ses efforts pour continuer l’œuvre entreprise [16] ». Cependant, les démarches qu’il entreprend auprès des pays d’Europe de l’Est afin d’obtenir capitaux et soutiens techniques rendent de plus en plus improbable le maintien du leadership d’Aluminium Limited sur l’extraction et la transformation de la bauxite guinéenne.
14Face aux incertitudes politiques et à un certain ralentissement de la croissance du marché de l’aluminium, la multinationale canadienne tente de trouver des partenaires pour financer le projet de Boké, désormais évalué à 200 millions de dollars. En effet, elle n’est pas en mesure d’en assumer seule les risques politiques et d’offrir les garanties nécessaires à son financement. Des discussions se sont déroulées depuis le printemps 1959 entre Aluminium Limited et Alcoa, Kaiser, Olin Mathieson, Reynolds, Pechiney et Vereinigte Aluminium Werke. Elles buttent sur le coût initial jugé trop élevé, ainsi que sur la construction d’une usine d’alumine dans des délais considérés comme trop rapprochés [17]. La Guinée n’inspire pas confiance à la Banque Mondiale et lorsque les autorités américaines annoncent en août 1961 leur décision de ne pas donner leur garantie financière, elles font échouer cette première mouture du projet [18]. Il devient alors évident pour Nathanael V. Davis, président d’Aluminium Limited, que les fonds nécessaires à l’exploitation des gisements de Boké et à la construction d’une usine d’alumine ne peuvent être rassemblés dans l’immédiat [19].
15Les travaux d’aménagement sont suspendus en Guinée tandis qu’on tente de trouver un compromis qui permette une entente avec Sékou Touré. Celui-ci se montre cependant intraitable et n’entend pas modifier d’un iota la convention adoptée en juillet 1958. Il ne veut donc pas entendre parler de reporter la construction de l’usine d’alumine, croyant probablement pouvoir trouver auprès des pays communistes un soutien immédiat lui permettant d’atteindre ses objectifs. Les contre-propositions présentées sur la base d’un échéancier moins rapproché ne sont pas prises en considération. Par ailleurs, Aluminium Limited ne parvient pas à résoudre les difficultés liées au financement à long terme de ses projets guinéens. Elle fait savoir le 27 octobre 1961 qu’elle doit interrompre pour un temps l’extraction de la bauxite. Incapable de réaliser le programme établi dans la convention de 1958 avant juillet 1964, la filiale Bauxites du Midi se voit interdire toute activité en Guinée à partir du 23 novembre 1961. Le gouvernement annonce qu’il prend possession des actifs guinéens de la compagnie, estimés à environ 23 millions de dollars, « en compensation des pertes causées à la Guinée par l’impossibilité dans laquelle se trouve la société de poursuivre la réalisation du projet de Boké [20] ». Du côté d’Aluminium Limited on garde cependant toujours espoir qu’une nouvelle entente puisse être conclue pour le bénéfice mutuel des deux partenaires.
Harvey aux commandes, Alcan perd le premier rôle
16À l’automne 1963, le gouvernement guinéen annonce la conclusion d’une entente avec Harvey Aluminium pour l’exploitation de gisements de bauxite dans la région de Boké. La construction d’installations pour l’affinage de la bauxite et l’établissement éventuel d’une usine d’aluminium y sont encore mentionnés [21]. L’amertume est grande pour Aluminium Limited, qui voit la direction du projet lui échapper. Les efforts déployés depuis de nombreuses années dans l’espoir d’exploiter la bauxite découverte à Boké ne sont pas récompensés.
17Harvey Aluminium, basé dans l’État du Delaware aux États-Unis, a vu son expansion stimulée par l’appui du gouvernement américain. L’entreprise a profité notamment du Defence Productive Act, adopté le 8 septembre 1950, afin de favoriser la mobilisation industrielle du pays face aux défis de la Guerre Froide et aux besoins créés par la guerre de Corée. Le développement des capacités d’électrolyse de l’aluminium a été encouragé au moyen de prêts avantageux, de contrats d’achats et d’un soutien aux projets menés à l’étranger. La volonté des autorités américaines de lutter contre le monopole d’Alcoa a orienté l’aide vers une nouvelle société comme Harvey [22]. En 1963, elle est la seule productrice d’aluminium du pays qui profite toujours d’un contrat garantissant l’achat de son aluminium par les autorités fédérales. Très proche du Parti démocrate, Harvey tire avantage de l’arrivée au pouvoir de John F. Kennedy.
18Larry B. Harvey et Sékou Touré inaugurent en 1966 à Conakry une usine de production d’ustensiles, d’éléments de construction préfabriqués et de tôles ondulées en aluminium. Cette affaire semble bien avoir été créée pour satisfaire le gouvernement guinéen. L’entreprise américaine propose rapidement à Touré de lui céder gracieusement l’usine, en le laissant libre de s’approvisionner selon sa volonté, quelques mois seulement après le début de ses activités [23]. D’autre part, les projets concernant la production d’alumine et d’aluminium sur place ne sont plus évoqués. L’action d’un ancien diplomate, engagé par l’homme d’affaire américain et détaché auprès de Sékou Touré, semble avoir facilité l’obtention des droits d’exploitation à Boké sans que la construction d’une usine d’alumine y soit associée [24]. Harvey laisse néanmoins entrevoir la possibilité d’installer un laminoir qui transformerait des plaques importées [25].
19Cette même année 1966, Alcan, nom désormais officiellement utilisé par Aluminium Limited of Canada, prend une participation de 17,5 % dans Halco Mining, un consortium créé par Harvey qui regroupe Alcan, Alcoa, Pechiney, VAW et Montecatini Edison pour l’exploitation de la bauxite en Guinée. Elle le fait pour des raisons stratégiques qui lui font considérer l’importance de sécuriser des approvisionnements de bauxite pour les années à venir. Le stoïcisme de ses dirigeants est mis à rude épreuve lorsque le ministre du Développement guinéen se réjouit « que le groupe canadien, mal informé autrefois, ait maintenant compris la politique de la Guinée [26] ».
20Un prêt de 64,5 millions de dollars est accordé officiellement à la Guinée le 18 septembre 1968 par la Banque Mondiale pour réaliser le projet de Boké qui débute enfin en 1969. On estime alors qu’il demandera au total des investissements de 180 millions de dollars, mais ce chiffre est plusieurs fois revu à la hausse pour atteindre 350 millions en 1973 [27]. Les partenaires d’Halco font un apport financier proportionnel à leur participation et s’engagent pour vingt ans, à partir de 1972, à acquérir une quantité de bauxite équivalente à l’importance de leur investissement dans le consortium [28]. Alcan s’assure ainsi un approvisionnement annuel de 1,2 million de tonnes métriques pour les cinq premières années et de 1,4 million pour les quinze années suivantes. Elles sont destinées à approvisionner à partir de 1982 la nouvelle usine d’alumine du groupe en Irlande dès 1982 alors que la bauxite d’Amérique du Sud, principalement celle du Brésil, alimentera les installations canadiennes à partir de 1979.
21Alcan a rencontré des limites dans sa volonté initiale de réaliser d’une manière indépendante le projet d’exploitation des gisements de bauxite à Boké. Sa stratégie, comme celle des autres grandes entreprises de l’aluminium, s’orientera à l’avenir vers la formation de consortiums. Ceux-ci permettront de réunir les importantes sommes nécessaires à l’exploitation des gisements, tout en offrant de meilleures garanties aux bailleurs de fonds, en plus de diminuer les risques d’interruption des approvisionnements par la diversification des investissements.
Transformer l’aluminium en France
22Confrontée à une baisse du potentiel de croissance sur le marché de l’aluminium primaire durant les années 1950, et ayant encore gagnée en indépendance par rapport à la société Alcoa, Aluminium Limited souhaite développer ses positions sur le marché des produits transformés [29]. La mise en œuvre de cette nouvelle stratégie l’amène à augmenter ses moyens de production en Europe, pour y offrir des produits semi-transformés. Si le projet d’installation d’un laminoir s’oriente finalement vers Rogerstone en Angleterre, d’importantes capacités d’extrusion sont créées en France. L’objectif est d’ajouter de la valeur à l’aluminium en offrant aux consommateurs des produits plus facilement utilisables sur le marché de la construction.
23Une étude approfondie du marché a fait ressortir les possibilités intéressantes qu’offre la vente de profilés en France, où, comme dans le reste de l’Europe, ils sont encore peu utilisés. L’aluminium, dont le coût a diminué, peut dans certains cas concurrencer le fer et l’acier pour la fabrication d’éléments de construction. Le 26 novembre 1959 est inaugurée à Lucé, dans la banlieue de Chartres, la nouvelle usine d’Alcan. Les dirigeants d’Alcan en France ont établi « un programme de fabrication comportant la production de barres et profilés, massifs ou creux, et de tubes dans des qualités qui ont été choisies pour permettre d’offrir, non seulement à l’industrie du bâtiment en général, mais encore, notamment, aux industries de l’automobile, de la marine et des chemins de fer, un large éventail de produits de choix [30] ». L’usine est dotée d’un équipement moderne, dont une presse à filer de taille moyenne, qui fait espérer de beaux succès dans un secteur en croissance. Ce sont d’abord des lingots en provenance du Canada qui sont utilisés pour être transformés en billettes. Ces longs cylindres d’aluminium sont ensuite transformés par extrusion en différentes sortes de profilés.
24Dès le départ, la qualité des produits donne entière satisfaction aux clients et la direction constate que sa production peut rivaliser, dans sa gamme, avec ce qu’il y a de mieux sur le marché [31]. Par l’intermédiaire de ses clients, l’usine de Lucé participe en 1960 à la réalisation de projets prestigieux tels l’aérogare d’Orly, le paquebot France et la Maison de la Radio [32].
25Le développement des ventes se ralentit en 1963, alors que les limites de production de l’usine de Lucé sont atteintes. Un programme d’expansion est alors adopté visant à l’installation d’une deuxième presse à filer et d’un atelier de finition pour les tôles en aluminium, comportant des lignes de débitage, de refendage et de planage [33]. Des bobines d’aluminium de deux tonnes, en provenance de l’usine d’Alcan de Rogerstone en Angleterre, y sont aplanies et découpées selon les besoins des clients [34], qui les utilisent principalement dans la construction des toitures.
26Bénéficiant toujours d’abondantes commandes, l’usine tourne à plein régime en 1964. Elle ne parvient toutefois pas à satisfaire l’ensemble des demandes qu’elle reçoit. L’installation d’une presse Schloemann de 3 000 tonnes et d’une presse Farrel Watson Stillman de 1 130 tonnes permet de tripler les capacités de production du complexe industriel de Lucé et d’améliorer la variété des produits offerts. Un investissement de 12 500 000 francs a été nécessaire pour la réalisation du programme d’équipement [35]. Des innovations techniques importantes ont lieu au sein de l’usine, telle l’invention du puller breveté par Jean-Pierre Hardouin qui permet dès 1966 l’automatisation de la manipulation des profilés à leur sortie de la presse. C’est sur le plan commercial que se trouve cependant un défi considérable : placer une production grandissante de demi-produits en aluminium sur un marché devenant de plus en plus concurrentiel.
27Alcan poursuit le développement de ses activités de transformation de l’aluminium en France en s’associant en 1967 avec Schwartz-Haumont, une entreprise de fabrication de châssis de fenêtres en aluminium, et le deuxième plus important client de l’usine de Lucé [36]. L’usine de Pinon, dans l’Aisne, entre ainsi dans l’orbite de la société canadienne. On y produit des charpentes, des fenêtres et d’autres produits en aluminium destinés au marché de la construction. Alcan-Schwartz, Filage et Oxydation, est en charge de l’usine de Pinon à partir du 1er janvier 1968. Détenue à 51 % par Alcan, cette société a pour objet la fabrication et la vente de profilés et tubes en aluminium et s’occupe en plus d’anodisation, procédé électrolytique de coloration de l’aluminium [37]. Alcan a développé une variante de ce procédé, baptisé Anolok, qui est mis industriellement en application pour la première fois dans l’usine de Pinon, sur une deuxième ligne d’oxydation anodique [38]. Celle-ci permet d’anodiser les profilés à la sortie de la presse, sans qu’ils aient à être découpés préalablement. Alcan Systems, qui débute sur le marché des systèmes de menuiserie en aluminium, s’installe non loin pour profiter de la proximité des usines. Une nouvelle presse et de nouvelles capacités d’anodisation entrent en fonction, elles transforment et traitent des billettes produites à l’usine de Lucé.
28L’intégration en aval, vers l’anodisation et la menuiserie métallique, se poursuit par la prise de participation d’Alcan à hauteur de 15 % dans Sitraco, société spécialisée dans l’usinage et la vente de menuiserie métallique (fenêtre, chassis, etc.). Également située à Pinon, l’usine Sitraco constitue un débouché naturel pour les profilés en aluminium anodisé produit par Alcan-Schwartz.
29Aluminium Alcan de France (AAF), qui regroupe l’ensemble des filiales d’Alcan en France, contrôle en 1966 environ 13 % du marché français des profilés en aluminium. Elle y affronte notamment Cégédur et Tréfimétaux, deux filiales de Pechiney. Cependant, l’abolition des derniers droits de douane entre les pays de la Communauté économique européenne en 1968 et l’apparition de la concurrence d’Alcoa, Alusuisse et Atey Claeys, qui démarrent tous en même temps de nouvelles usines en France, affectent défavorablement les prix [39]. En 1971 un deuxième poste de débitage est en fonction et, s’il est impossible de répondre à l’ampleur de la demande durant l’année 1973, l’année 1974 donne des résultats très décevants.
30Dans la deuxième moitié des années 1970, alors que la conjoncture économique s’assombrit, les nouvelles installations de filage et d’anodisation financées à moyen terme font peser sur le bilan de Sitraco le poids de leur amortissement. Le conseil d’administration reconnaît que devant la progression irrégulière de la consommation, il a été impossible de trouver l’équilibre approprié entre les charges et un programme judicieux d’investissements [40]. La défaillance d’un important client arrive à un moment inopportun et crée de sérieux problèmes, alors qu’on n’arrive toujours pas à utiliser l’équipement à son plein potentiel.
31Les mécomptes éprouvés par Sitraco mettent en difficulté Schwartz-Haumont qui doit déposer son bilan en 1977. Alcan obtient des décisions de justice lui permettant de racheter, l’année suivante, les parts d’Alcan-Schwartz Filage et Oxydation détenues par son ancien partenaire. L’implication financière s’accentue ici par un investissement d’un peu plus de 6 500 000 francs dans une société, renommée Alcan Filage et Finition, n’ayant pas encore fait la preuve de sa rentabilité. L’ensemble des activités d’extrusion d’AAF est regroupé sous une seule direction en 1980 tandis qu’une nouvelle orientation incite Alcan à se départir de certains actifs en Europe.
Le désengagement d’Alcan de l’extrusion en Europe
32Le bilan consolidé de l’ensemble des activités d’Alcan en Europe laisse apparaître des pertes considérables au début des années 1980. L’exercice de 1981 est très douloureux pour AAF qui est en déficit de près de trente millions de francs [41]. Des efforts de modernisation se poursuivent au début de la décennie mais une baisse des prix et un niveau d’activité insuffisant entraînent des coûts de production élevés.
33La direction ne paraît pas saisir l’importance vitale de diminuer les coûts avant les résultats désastreux de 1981 et 1982. Dans un contexte économique très difficile sur le marché de l’aluminium, elle renonce finalement à redresser rapidement les résultats de l’usine de Lucé [42]. Des capacités d’extrusion, désuètes par rapport aux nouvelles normes de l’industrie, y sont mises hors service. Malgré l’excellence de ses procédés techniques, son manque de flexibilité ne lui permet pas de rivaliser efficacement avec les méthodes de ses concurrents. Les lourds investissements consentis n’auront finalement pas été rentables dans une industrie évoluant rapidement.
34Pour redresser la situation, une nouvelle stratégie de restructuration est adoptée. Elle vise à concentrer les opérations européennes sur le laminage et à effectuer un désengagement dans le secteur de l’extrusion qui supporte mal la concurrence. Il apparaît alors évident que les activités n’offrant pas une rentabilité suffisante seront abandonnées, celles touchant au filage et à l’anodisation sont les premières concernées [43].
35Il a été impossible de maintenir durablement la rentabilité de l’extrusion à un niveau satisfaisant [44]. L’instabilité des prix et des menaces de substitution par d’autres matériaux que l’aluminium se font sentir depuis l’arrivée à maturité de l’industrie à la fin des années 1970. C’est toutefois un développement trop rapide et dispendieux des capacités productives, trop rigides et anticipant mal l’évolution des nécessités du marché, qui a mené à une situation délicate.
36Malgré la compétence de ses gestionnaires et son excellence technique, Alcan n’a finalement obtenu que des succès médiocres sur le marché de l’extrusion en Europe. Patrick Rich considère qu’une ancienne culture technicienne n’a pu être amendée pour faire face aux défis de l’heure. L’arrivée de nouveaux concurrents a fait réaliser qu’un surinvestissement dans l’extrusion s’était produit et ne permettait pas de générer des marges bénéficiaires intéressantes. Dans un secteur où les produits étaient peu différentiables, la volonté de pousser le développement de la technologie n’a pas permis d’obtenir des résultats avantageux [45].
37L’extrusion ne paraissant pas pouvoir améliorer ses résultats à moyen terme, la direction prend la décision de se départir des actifs concernés pour mettre fin à une agonie inutile. Éprouvant alors des difficultés financières, Alcan cherche à réduire ses coûts et à se concentrer sur des activités immédiatement rentables. La mauvaise conjoncture sur le marché de l’aluminium conduit à une réorientation de la stratégie de l’entreprise. Elle concentre son action sur les secteurs dans lesquels elle dégage des bénéfices intéressants.
38En restructurant ses opérations en Europe pour se centrer sur les produits laminés et tréfilés, Alcan prend la décision de vendre l’ensemble de ses actifs français dans l’extrusion, les usines de Lucé et Pinon, au norvégien Norsk Hydro, spécialiste du secteur, en 1986. Ce désinvestissement majeur concerne cinq entreprises établies en France, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et en Italie [46].
39Le début des années 1980 est marqué par une conjoncture difficile et inquiétante pour l’industrie de l’aluminium. Faisant face à une baisse des prix généralisée, Alcan cherche à ajouter de la valeur à ses produits pour rentabiliser ses opérations. C’est dans cette intention qu’elle fait l’acquisition d’une entreprise prospère et dynamique dont la croissance s’est fondée sur une approche commerciale nouvelle, visant les petits consommateurs.
Technal : à la conquête de la valeur ajoutée
40Fondée en 1961 dans la région toulousaine par André Bos, l’entreprise Alusud, rebaptisée Technal, commercialise des systèmes de profilés en aluminium pour le bâtiment dotés d’un système novateur permettant d’assembler simplement les modules, sans clou, rivet ou soudure, grâce à une rainure standardisée. Ainsi peuvent être créés de nombreux produits comme des fenêtres, des portes ou des vitrines, à partir d’éléments identiques ou similaires. L’entreprise s’affirme rapidement comme un leader dans le domaine de la gamme aluminium - c’est à dire des systèmes d’éléments standardisés pour le bâtiment -par la diversité de ses produits et le grand nombre de ses clients.
41Technal s’intéresse d’abord à un marché, la maison individuelle, et non essentiellement à une production. À la fin des années 1970, André Bos souhaite vendre l’entreprise qui a atteint une dimension requérant une professionnalisation plus poussée de sa gestion. Le dynamisme commercial de Technal et sa volonté d’ajouter beaucoup de valeur à l’aluminium lui ont longtemps assuré une rentabilité très intéressante. Elle a toutefois clairement besoin de plus de rigueur administrative. Dans le cadre de sa stratégie d’investissements en aval, Alcan acquiert, en 1978, 75 % des parts de Technal, un client de longue date avec lequel elle entretient de bonnes relations. La société toulousaine consomme environ le quart de la production de profilés du groupe canadien en France et a une part de marché d’environ 25 % pour les systèmes de menuiserie en aluminium [47].
42Dès 1980, les profits d’Aluminium Alcan de France sont en hausse grâce aux bons résultats de Technal. Les trois quarts des actions de Métodécor, la plus importante entreprise d’anodisation en France, entrent dans le portefeuille de la multinationale canadienne à la même époque [48]. Métodécor et sa filiale Extralco, qui s’occupe d’extrusion, soutiennent industriellement l’activité de Technal.
À droite, balcons Secural (à gauche à barreaudage, à droite à panneaux) ; à droite, porte et cloisons vitrées système Technal. Éléments en duralinox.
43En 1981, la stratégie de Technal vise l’amélioration constante du service donné aux clients et est orientée vers deux axes principaux : créer des liens de partenariat avec des professionnels acheteurs de ses produits – pour l’essentiel des artisans intervenant auprès des particuliers – et accroître la consommation de produits en aluminium par l’utilisateur final [49]. Un effort marketing se structure pour faire connaître au public la marque Technal, qu’on veut présenter comme synonyme de qualité et de constante innovation. L’introduction de la véranda sur le marché s’avère rapidement un succès auprès des particuliers, succès qui ne se démentira pas durant de nombreuses années. C’est aussi à ce moment que la volonté de Technal de s’associer étroitement avec des techniciens compétents aboutit sur la création du corps des « aluminiers ». Il regroupe des artisans qui partagent les convictions du groupe et se font le relais de ses produits auprès des particuliers qu’ils conseillent et supportent en offrant un suivi technique et commercial.
44Dans son rapport annuel de 1983, Alcan se félicitait d’innover pour offrir de nouvelles possibilités dans le domaine de la construction en proposant des produits sur mesures aux propriétaires de maisons. En anticipant les besoins des clients, elle veut les orienter vers de nouveaux modes de construction plutôt que suivre la demande des consommateurs [50]. En 1984, un ralentissement de la progression du chiffre d’affaires et une contraction de ses bénéfices pousse la direction d’Alcan à demander un audit par le Boston Consulting Group. Il était devenu primordial d’exposer la nature des nouveaux défis auxquels Technal faisait face, en précisant sa mission. La motivation et l’efficacité de ses employés avaient souffert de la transition suivant le rachat par Alcan [51].
Une orientation accentuée vers le consommateur final
45La firme de conseil du Massachussetts conseille un positionnement accentué vers l’utilisateur final, dans l’optique de développer un avantage comparatif à long terme sur la concurrence. Pour ce faire, la rapidité d’action est présentée comme un élément décisif. La filière longue, préoccupée par l’élaboration consciencieuse de nouveaux produits finis, se présente comme la seule alternative permettant de développer une offre sur mesure de haute qualité, adaptée aux besoins individuels de chaque consommateur [52]. Elle devrait permettre de faire accepter des prix relativement plus élevés que ceux proposés par la concurrence.
46Schüco, principal concurrent de Technal, a rapidement vu l’utilité d’un marketing sophistiqué pour atteindre les acheteurs potentiels. Il visait à l’origine les gros clients mais réoriente à l’époque son action pour affronter Technal sur le segment des particuliers. C’est dans ce but que l’entreprise allemande forme le corps des « vérandaliers » pour l’opposer aux « aluminiers ». La filiale d’Alcan peut cependant compter sur plusieurs atouts, dont sa taille plus importante, son intérêt de longue date pour les petits clients et son solide réseau d’installateurs.
47Le plan d’action proposé par le Boston Consulting Group incite à agir en priorité pour la commercialisation de nouveaux produits offrant une rentabilité attrayante. Il suggère aussi d’établir solidement l’image de qualité de Technal auprès du grand public et des architectes, et de restructurer le réseau des « aluminiers », les troupes de choc de sa nouvelle politique, pour améliorer leur expertise dans le marketing et la vente [53]. Technal doit rapidement faire preuve d’initiative si elle veut éviter de perdre ses parts de marché et voir sa rentabilité décroître.
48La société toulousaine oriente donc ses efforts vers la vente aux particuliers, segment clé du marché par son potentiel de croissance et les marges de profit intéressantes qu’elle représente par l’élimination des intermédiaires. Elle veut se positionner vers le haut de la gamme et viser les consommateurs aux revenus moyens et élevés. Pour les atteindre, la société souhaite désormais être davantage à l’écoute de leurs idées dans l’élaboration de nouveaux produits, et non plus les orienter vers ses propres choix [54]. Elle mise sur le développement d’un service à la clientèle des plus attentionnés pour obtenir un avantage stratégique et différenciateur. Un nouveau départ s’amorce pour Technal après un sérieux effort de réflexion. La remise en question des anciennes méthodes lui permet de s’adapter aux nouvelles réalités d’un marché de plus en plus concurrentiel. Il apparaît nécessaire de mettre en œuvre davantage de rigueur administrative et une planification plus systématique.
49Se questionnant sur la perception de son image auprès de différentes institutions, AAF commissionne une étude en 1986 [55]. Il en ressort que le groupe, du fait du peu de publicité dont il entoure ses réalisations, laisse souvent une fausse impression sur son expérience, sur son importance au niveau international et sur le haut niveau de sa technologie. L’ignorance du grand public quant aux fabricants de fenêtres pousse Technal à une importante campagne de publicité pour mieux se faire connaître. Elle investit des sommes élevées dans la publicité diffusée à la télévision et dans les revues spécialisées. Au début des années 1990, la société est fortement associée au design et à la technologie de pointe [56].
Technal dans le groupe Alcan et face à la concurrence
50La forte rentabilité de Technal était atténuée par la ponction fiscale de 50% s’appliquant sur ses bénéfices. Sa transformation en société en nom collectif, décidée en 1985, donne l’occasion d’intègrer ses comptes au sein de la comptabilité générale d’AAF [57]de manière à ce que ses résultats permettent « d’assainir le bilan du groupe français et d’éponger les pertes accumulées par AAF [58] ». Cette situation nuit toutefois au développement de ses investissements, notamment vers l’étranger. Indépendante, Technal aurait eu une capacité d’auto-financement beaucoup plus élevée et largement supérieure à celle de Schüco [59]. En 1986, le pôle toulousain demeure le seul actif industriel d’Alcan en France après la cession des autres usines.
51Les efforts déployés par Schüco et les filiales de Pechiney (Tréfimétaux et Cegedur), gagnent en intensité au milieu de la décennie. Ils font pression sur le champion français des systèmes de menuiserie en aluminium avec de coûteuses campagnes de communication visant les particuliers. La direction de Technal réagit rapidement : celle-ci redresse la situation par une diminution de ses coûts et un accroissement régulier de son chiffre d’affaires. Sa stratégie d’orientation vers les propriétaires intéressés à payer un peu plus cher pour obtenir des produits et un service supérieurs porte ses fruits [60]. Pour la soutenir, cent cinquante personnes sont recrutées en trois ans à partir de 1985. Ces nouveaux employés ne travaillent pas dans les usines mais sont engagés pour ajouter de la valeur aux produits, développer les ventes et le service à la clientèle. On embauche donc des « aluminiers », des chefs de marchés et des designers, en plus de fournir un effort de formation constant.
52Soucieuse d’obtenir des gains de productivité, la direction adapte sa logistique pour lui donner plus de cohérence en simplifiant sa structure en 1987 [61]. Grâce au thermolaquage, une nouvelle gamme de couleurs est proposée sur les conseils de spécialistes [62]. L’intérêt de Technal pour l’utilisateur final se manifeste de nouveau en 1989, lorsqu’elle offre une solution clé en main d’aménagement de l’espace intérieur avec des produits Technal. À la fin des années 1980, sous l’influence du management japonais, l’entreprise se donne un objectif nouveau de « juste à temps », dans le but de diminuer de manière sensible les stocks. Des innovations majeures dans les domaines de l’anodisation, du laquage et de la logistique viennent appuyer cette stratégie [63].
53Alcan possède avec Technal le plus grand producteur et distributeur de systèmes de construction en aluminium d’Europe avec quatorze centres en activité en 1988. Son chiffre d’affaires connaît une hausse régulière après 1984, tandis que ses bénéfices s’accroissent de manière encore plus prononcée. La stratégie de valorisation des produits a été couronnée de succès. Le marché de la rénovation et de la construction domiciliaire et commerciale s’avère être le débouché privilégié pour les produits pensés et créés par la société, elle profite de l’utilisation grandissante de l’aluminium dans ces secteurs. De plus, il ne semble pas qu’elle soit affectée par le désengagement d’Alcan dans l’extrusion en Europe, son succès n’y étant pas étroitement lié puisque l’essentiel de la valeur des produits est ajoutée par la suite. Norsk Hydro devient un partenaire d’Alcan et ne lui fait d’abord pas de concurrence dans le domaine de la gamme, alors nouveau et risqué pour la société norvégienne [64].
54La formule élaborée sur le marché français est exportée et des entreprises licenciées Technal International opérant au Canada, à Bahreïn, en Inde, en Égypte, au Vénézuela, au Liban, au Chili, au Koweït, en Grèce, en Côte d’Ivoire, et aux États-Unis font toujours l’objet de contrats en 1991. Les résultats à l’étranger sont décevants et dégagent difficilement des bénéfices. Les tentatives d’implantation en Inde, au Mexique, au Sénégal, au Brésil, au Cameroun, en Colombie et en Afrique du Sud ne rencontrent pas le succès et sont abandonnées. La direction entend maintenant se consacrer essentiellement aux marchés les plus prometteurs. Les produits trouvent un large débouché en France mais la recette du succès ne s’exporte pas si facilement sur d’autres marchés qui ne bénéficient pas d’un noyau d’employés compétents et expérimentés comparable à celui opérant dans l’Hexagone.
55Après avoir attentivement examiné sa position concurrentielle sur le marché de l’aluminium en 1993, la direction d’Alcan prend la décision de réduire ses investissements. Elle souhaite rester impliquée uniquement dans des filiales qui représentent de la valeur à long terme, et dont les activités coïncident avec sa stratégie globale qui limite désormais ses investissements en aval [65].
56Technal tire toujours son épingle du jeu grâce aux résultats obtenus par la réduction des coûts et un marketing efficace. Le marché des systèmes de menuiserie métallique demeure néanmoins très concurrentiel. Au tournant du XXIe siècle, la tendance à la concentration industrielle dans le secteur de l’aluminium réduit l’importance stratégique de l’intégration verticale [66]. Malgré ses bonnes performances, Technal est cédée en 1999, au même moment que d’autres avoirs dans des sociétés transformant l’aluminium au Japon et en Allemagne [67]. La filiale est ainsi victime de la volonté d’Alcan de se désengager mondialement de nombreuses activités n’étant plus jugées essentielles. Achetée par le fond d’investissement américain Monitor Clipper Partners en 1999, la société a ensuite été cédée à Norsk Hydro en 2002.
Conclusion
57Les difficultés éprouvées par Alcan dans son projet de voir la bauxite de Boké exploitée sous son leadership ont pu faire regretter que l’affaire n’ait pas été menée plus rondement. Au moment où les travaux devaient être impérativement poursuivis pour que l’entente conclue puisse être honorée, la situation politique du pays et la conjoncture propre à l’industrie de l’aluminium ont rendu impossible son aboutissement. Pour réussir dans cette entreprise, elle aurait eu besoin du support bienveillant des États-Unis et d’importantes institutions internationales qu’a obtenu Harvey, en plus d’atténuer les exigences de Sékou Touré, pour arriver à concrétiser ses ambitions… une dizaine d’années plus tard.
58La stratégie d’intégration verticale appliquée n’a pas procuré tous les bénéfices attendus. Alcan a longtemps hésité entre le fait de fournir ses propres lingots pour fabriquer ses profilés ou de laisser ses filiales s’approvisionner elles-mêmes sur le marché. Placer une société dans les mêmes conditions que la concurrence permet souvent de la rendre plus dynamique dans sa recherche de productivité. Ainsi, il n’est pas évident que l’acquisition en aval de sociétés consommatrices d’aluminium primaire représente toujours un avantage considérable. Les objectifs poursuivis par le groupe ne coïncident pas toujours avec l’intérêt des filiales considéré indépendamment. La part du prix de l’aluminium représente peu de chose par rapport au coût final du produit pour une société à haute valeur ajoutée comme Technal. Sa séparation des usines de Pinon et Lucé après leur vente ne paraît pas avoir eu un impact significatif sur ses résultats. L’utilité de l’intégration verticale de la société est relativement illusoire et l’approvisionnement du site toulousain en lingots provenant de l’usine Pechiney de Noguères, située à 150 km, pouvait difficilement représenter un désavantage.
59Si les réalisations des usines de Lucé et Pinon ont bien représenté un succès technique remarquable, leur développement a été poussé trop loin. L’importance des investissements consentis pour la mise en place d’une structure lourde, au moment où le marché était en forte croissance, n’a pas pour autant permis d’assurer une rentabilité des opérations à moyen terme dans un secteur où la technologie s’améliorait rapidement. Les performances médiocres dans l’extrusion pour Alcan en Europe sont peut-être dues à la structure fortement hiérarchisée de sa direction. Celle-ci pouvait inhiber l’initiative et affecter négativement la réactivité des usines, par une structure trop centralisée et l’éloignement des postes de décision. Les efforts de diversification d’Alcan n’ont pas donné les résultats attendus et les difficultés commerciales ont mis en relief les carences de l’organisation industrielle.
60Alcan a abandonné un secteur entier dont certains pôles étaient rentables, comme le site de Pinon qui avait vu ses ventes s’accroître sérieusement avant sa vente. Hydro a pour sa part obtenu du succès avec sa stratégie commerciale et ses efforts constants de modernisation de l’équipement. L’amélioration de la rapidité des opérations a été rendue possible par la mécanisation d’une grande partie de l’extrusion et de l’anodisation. C’est aussi la flexibilité des usines qui apparaît comme essentielle à la réussite lorsqu’on considère les milliers de profilés faisant partie du catalogue présenté aux clients.
61L’acquisition de Technal, une société fondée sur des succès commerciaux, a donné de meilleurs résultats. En mettant l’accent sur le recrutement de ressources humaines orientées vers la conception et la vente de produits à forte valeur ajoutée, l’entreprise a pu prospérer dans le créneau de la gamme de qualité supérieure. Cependant, les produits offerts par Technal suivaient les tendances et ont dû inclure progressivement une quantité grandissante de bois et de plastique dans ses produits. Cet éloignement de l’aluminium, qui n’était plus le matériau obligé, a certainement pesé sur le choix d’Alcan de se départir de la société, qui, d’autre part, voulait se concentrer sur les activités où elle excellait : l’électrolyse, le laminage et l’emballage.
Notes
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[1]
Matthias Kipping et Ludovic Cailluet, « Mintzberg’s Emergent and Deliberate Strategies : Tracking Alcan’s Activities in Europe, 1928-2007 », Business History Review, vol. 84, n° 1, 2010, p. 79-104 ; Yves Plourde, L’Influence de la division des activités d’Alcoa de 1928 sur l’internationalisation d’Alcan et d’Alcoa, thèse de maîtrise sous la direction d’Alain Noël, HEC Montréal, 2007 ; Georges David Smith, From Monopoly to Competition ; The Transformation of Alcoa 1888-1986, New York, Cambridge University Press, 1988 ; Kathryn Rudie Harrigan, « Matching Vertical Strategies to Competitive Conditions », Strategic Management Journal, 7, 1986, p. 535-555 ; J. A. Stuckley, Vertical Integration and Joint Ventures in the Aluminum Industry, Cambridge, Harvard University Press, 1983.
-
[2]
La consultation des sources premières a été possible grâce à l’aide de l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium, et de la Maison Alcan pour le cas de la Guinée, et de Public-Histoire pour ce qui est de ceux de Lucé, Pinon et Technal. Je tiens à exprimer ma reconnaissance au personnel de l’IHA qui m’a cordialement ouvert ses portes, et celui de la Maison Alcan pour avoir permis l’accès à ses archives. Je veux aussi manifester ma gratitude envers Félix Torres de Public-Histoire, sans qui l’accès aux archives d’Aluminium Alcan de France aurait été impossible, et à Dominique Barjot qui m’a reçu dans son laboratoire et fait profiter de ses conseils durant mon séjour recherche.
-
[3]
Archives Maison Alcan, Jean-Yves Eichenberger, Souvenirs de bauxite et de Guinée, mars 1984, p. 7.
-
[4]
Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France du 16 mai 1961, année 1960.
-
[5]
Sur les avantages de la bauxite trihydratée voir L’adaptation industrielle dans l’industrie de l’aluminium de première fusion, Paris, O.C.D.E., 1976, p. 10-11.
-
[6]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 25.
-
[7]
Archives Maison Alcan, Bauxites du Midi, 00130-08, Aluminium Limited interest in French West Africa Smelter, 1956.
-
[8]
Carmine Nappi, Changements structurels dans l’industrie internationale de l’aluminium : le cas du Canada, Montréal, HEC Montréal, 1984, p.17. Voir aussi René Lesclous « What bauxite strategy ? An overview of the different players and their behaviour from 1890 to the present », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°40, 2008, p. 11-30.
-
[9]
« L’Alumine ouvre la marche dans les projets de Guinée », Revue de l’Aluminium, décembre 1956, n°238, p. 1142-1143.
-
[10]
Archives Maison Alcan, Bauxites du Midi, 00039-09, Notes on a journey to French Africa, mars 1956.
-
[11]
Aluminium Limited, Annual Report, 1957, p. 12-13.
-
[12]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 27.
-
[13]
Sur l’engagement de Pechiney en Guinée voir notamment Jacques Larue, Fria en Guinée, Première usine d’alumine en terre d’Afrique, Paris, Karthala, 2000 ; René Lesclous, Les choix stratégiques de Pechiney, 1892-1992, Paris, Presse de l’École des Mines - IHA, 1999 ; Noëlle Blaison, Les investissements français en Guinée, Climat et régime juridique, Mémoire de DEA, Paris I, 1987 ; Claude Rivière, « L’économie guinéenne, les ressources minières », Revue française d’études politiques, 1975.
-
[14]
Aluminium Limited interest in French West Africa Smelter, op.cit., p. 13-14.
-
[15]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Projets industriels et évolution économique en Guinée, 19 septembre 1958.
-
[16]
Ibid., Lettre de Sékou Touré à Raoul de Vitry, 6 octobre 1958.
-
[17]
Souvenirs de bauxite et de Guinée, op. cit., p. 33.
-
[18]
Bonnie Campbell, Les Enjeux de la bauxite ; La Guinée face aux multinationales de l’aluminium, Montréal, Presses universitaires de l’Université de Montréal, 1983, p. 84-85.
-
[19]
Aluminium Limited, Annual Report, 1961, p. 8-9.
-
[20]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, décembre 1961, n°293, p. 1412. Le gouvernement guinéen affirme vouloir restituer les actifs concernés si un accord était conclu avant le 24 février 1962. Alcan se verra plus tard créditer 10 millions de dollars sur sa participation dans Halco en considération des investissements consentis dans le passé et de la nationalisation de ses actifs.
-
[21]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, novembre 1963, n°314, p. 1105.
-
[22]
Merton Peck, Competition in the Aluminum Industry, 1945-1958, Cambridge, Harvard, 1961.
-
[23]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Boké ; Conseil d’administration de Halco, 5 avril 1967, p. 3.
-
[24]
René Lesclous, « Électricité et aluminium en Afrique subsaharienne : stratégies des producteurs d’aluminium », Outre-Mers, n°89, 2002, p. 172.
-
[25]
« Guinée », Revue de l’Aluminium, novembre 1965, n°336, p. 1224
-
[26]
Archives Pechiney, Guinée 9502966, Conversation avec les représentants du gouvernement guinéen, 25 octobre 1966.
-
[27]
Aluminium Limited, Annual Report, 1973, p. 18.
-
[28]
« Guinée-Halco : mise en valeur des gisements de bauxite de Boké », Revue de l’Aluminium, octobre 1968, n°367, p.866-867.
-
[29]
Le rôle d’Alcan dans la stratégie d’Alcoa concernait la production d’aluminium primaire et l’approvisionnement en bauxite. Après le jugement Knox de 1950, les actionnaires ayant des actions dans les deux sociétés doivent se départir de leurs investissements dans l’une ou dans l’autre. L’indépendance d’Alcan la sépare des débouchés qu’elle trouvait auparavant pour ses lingots auprès des sociétés liées à Alcoa. Sur les procès accusant Alcoa de pratiques monopolistiques voir Georges David Smith, From Monopoly to
Competition ; The Transformation of Alcoa 1888-1986, New York, Cambridge University Press, 1988. -
[30]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon, Inauguration de l’usine de Lucé, Allocution prononcée par M. Paul Frétault.
-
[31]
Idem, Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1958.
-
[32]
Voir Georges Darnault et Raymond Segond, « Nuances du ciel de l’Île-de-France. Un défi pour l’aluminium : la Maison de la Radio (1957-1962) », et Pierre Vidal, « Le paquebot France. Une étape majeure pour l’aluminium dans l’industrie », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°14, 1994.
-
[33]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1963.
-
[34]
L’usine de la FACA, cliente de premier ordre, se trouve à quelques centaines de mètres, elle fournit des pièces pour la Simca 1 500 en 1966. On vendait aussi du matériel servant à la production de parapluies, de valises ou de machines à tricoter.
-
[35]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1965.
-
[36]
AAF, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du 21 mai 1968. Schwartz-Haumont offrait déjà au milieu des années 1950 des fenêtres basculantes en aluminium à double vitrage intégré haut de gamme. Sur le début des fenêtres en aluminium sur le marché français, voir Roger Lorgis et Jean Vinant, « Vendre en France des fenêtres en aluminium ? Souvenirs sur la conquête d’un marché récalcitrant », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°10, 1993, p. 63-84.
-
[37]
J. Patrie, « L’anodisation en France », Revue de l’Aluminium, septembre 1975, p. 265 à 274.
-
[38]
Le procédé, qui offrait un rapport qualité-prix intéressant permettait la coloration du métal avec différents degrés de saturation de marron se déclinant en une palette de « bronze ». Des difficultés surgissent au départ pour ce qui est de la reproduction standardisée de la même variété.
-
[39]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport annuel du conseil d’administration d’Aluminium Alcan de France, année 1967.
-
[40]
Idem, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du 2 juin 1978.
-
[41]
Idem, Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires du jeudi 17 juin 1982, p.6.
-
[42]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon, Projet de vente, Usine de Lucé, Exposé des motifs, 2 mai 1985.
-
[43]
Guy Arnoult,« Éditorial », Alliages, septembre 1985, p. 2.
-
[44]
Archives Public-Histoire, AAF – Sites et filières ; Lucé-Pinon. Rapport de gestion présenté par le conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire annuelle des actionnaires. Exercice 1986.
-
[45]
Idem, Entretien avec Patrick Rich, 22 août 1991.
-
[46]
Aluminium Limited, Annual Report, 1986, p.6.
-
[47]
Archives Maison Alcan, 0265-02, Toulouse Business Center.
-
[48]
Aluminium Limited, Annual Report, 1978, p. 19.
-
[49]
Archives Public-Histoire, AAF Technal, Stratégies, Technal site toulousain, 1981.
-
[50]
Aluminium Limited, Annual Report, 1983, p. 6.
-
[51]
Archives Public-Histoire, AAF – Technal, Dossier notes André Bos, « Pourquoi cette première opération », p. 4 ; sur le choc entre les cultures des deux entreprises voir Jacques Ingalens, « Le mariage de la PME toulousaine et de la multinationale », Revue française de gestion, septembre-octobre 1984, p. 104-109.
-
[52]
Archives Public-Histoire, AAF – Technal,Stratégies, Rapport BCG, 1984, p. 2-5.
-
[53]
Idem, p. 16.
-
[54]
Idem, Situation du marché en 1984, p. 2.
-
[55]
Idem. Histoire du Groupe, étude image AAF, mai-juin 1986. 95 individus de différents domaines sont contactés, ils travaillent dans la presse, l’enseignement, les établissements financiers, la fonction publique, les syndicats professionnels ou sont de gros clients.
-
[56]
Voir notamment « Technal, ou le design avec peine », Sciences & Vie Économie, novembre 1991, p. 72-75. Pour Technal, le design va au-delà de l’esthétisme en accordant une place de choix à la technologie et à la fonctionnalité.
-
[57]
Archives Public-Histoire, AAF - Sites et filières ; Lucé-Pinon,Table-ronde Lucé.
-
[58]
Guy Arnould, « Editorial », Alliages, mai 1986, p. 2.
-
[59]
Archives Public-Histoire, AAF - Entretiens Technal, Interview de Jean-Michel Martineau, 11 juin 1991.
-
[60]
Idem, Technal, stratégies, Planification Technal France 1986-1987, 24 septembre 1985, p. 2-4 ; Business outlook for 1986, p. 6.
-
[61]
Archives Public-Histoire, AAF - Histoire du groupe, Letter from G. Arnould and G. de Saint-Remy to P. Rich, Aluminium Alcan de France 1987 Annual Plan, 30 octobre 1986.
-
[62]
Sur l’évolution des procédés de coloration voir Jos Patrie, « L’architecture en couleur ; l’aluminium anodisé et coloré dans la seconde moitié du vingtième siècle », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°27, 2000-2001, p. 43-70.
-
[63]
« Juste-à –temps : le nouveau défi AAF/Technal », Alliages, mars 1989, p. 13.
-
[64]
« Rencontre avec Norsk Hydro », Alliages, janvier 1986, p. 18-19.
-
[65]
Aluminium Limited, Annual Report, 1995, p. 19.
-
[66]
Carmine Nappi, « L’industrie internationale de l’aluminium, 1980-2006 : changements structurels et perspectives », Cahiers d’histoire de l’aluminium, n°36, 2006, p. 27-34.
-
[67]
Aluminium Limited, Annual Report, 1999, p. 23.