Notes
-
[1]
Avenier M-J. & al. 2007, Barbier J-M. 1996, Bucheton D. 2009, Jorro A. 2006, Perrenoud P. & al. 2008.
-
[2]
Bucheton D. & Dezutter O. 2008, Bucheton D. 2009.
-
[3]
Tradif J. 1996.
-
[4]
F. Brissaud 2012, 2016.
-
[5]
Psynodique: « cheminer avec l’esprit » de psychè « esprit, âme », syn «avec» et odos « chemin », cf. F. Brissaud 2016.
-
[6]
C. Rogers 1951.
-
[7]
Cf. journal PRAXIQUES: n° 1, janvier 2014, n° 2, janvier 2016, n° 3, mars 2018.
-
[8]
Dans les séances je suis d’abord présent continûment dans mon identité de praticien et ensuite, par moments, dans mon identité de chercheur, mobilisée volontairement afin d’approcher ma pratique réelle dans le vif de son déroulement. Cette co-identité s’est développée ces vingt dernières années passées à approcher ma pratique en 1ère personne, c’est-à-dire du point de vue du praticien qui la conduit et non d’un point de vue extérieur, en 3e personne.
-
[9]
Groupe de recherche visant à documenter la pratique de gestalt-thérapeutes.
-
[10]
Institut de formation à la pratique de la gestalt-thérapie selon la posture psynodique.
-
[11]
Association visant à faire connaître la posture psynodique.
-
[12]
M. Paul 2016.
-
[13]
M. Paul 2016, p. 92.
-
[14]
Enjeux habituellement qualifiés de phénomènes transférentiels.
-
[15]
M-J. Del Volgo & R. Gori 2010 ; R. Gori 2009.
-
[16]
Le terme finaliste est entendu dans ce texte au sens de : viser un objectif final ou intermédiaire atteignable.
-
[17]
Notamment les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), les approches orientées solutions et les traitements visant explicitement la réduction ou la disparition d’un symptôme.
-
[18]
Il conviendrait sans doute de distinguer les praticiens expérimentés qui se sont petit à petit installés à leur insu dans une pratique répondant aux caractéristiques de cette posture, et les jeunes praticiens formés dans des écoles mettant explicitement au travail la notion de posture et véhiculant une posture psynodique. Lorsque ces derniers font le choix d’adopter une posture psynodique, ils ont à faire sciemment et volontairement le chemin souvent escarpé et difficile d’intégration de cette posture.
-
[19]
Le terme d’incommensurabilité a été introduit par Thomas Kuhn en épistémologie dans l’ouvrage « La Structure des révolutions scientifiques ». Deux paradigmes sont incommensurables lorsque, alors qu’ils concernent une même science, leur comparaison est impossible en raison de différences fondamentales dans leurs structures et les schèmes de pensée qu’ils mobilisent.
-
[20]
P. Grauer & Y. Lefebvre 2018.
Introduction
1Dans les travaux scientifiques récents réalisés en ergonomie, en psychologie du travail et surtout en sciences de l’éducation [1], l’exercice professionnel est abordé comme la mobilisation d’un système intégré de savoirs professionnels [2] incorporés – l’acteur fait corps avec eux –, tacites – ils sont peu conscients et peu verbalisables – et d’action – ils permettent à l’action d’être opératoire –. Le caractère intégré du système de savoirs permettant l’activité ne permet pas de le penser comme morcelé, mais sa description peut être organisée en compétences [3].
2L’observation méthodique de ma pratique et de celle de quelques collègues de l’Institut Grefor, nos nombreuses co-animations de séminaires thérapeutiques ou didactiques et les travaux du groupe de recherche Pragma ont permis de décrire notre pratique de gestalt-thérapeute comme la mobilisation de plusieurs compétences [4] dans une posture qualifiée de psynodique [5] qui oriente leur mise en œuvre. Cette description ne prétend pas dire LA gestalt-thérapie, ni dans une visée prescriptive – qui peut prétendre dire quelles pratiques sont gestaltistes ? –, ni dans une visée descriptive – tant les pratiques et les postures sont variées parmi les gestalt-thérapeutes –.
3La découverte de la définition de l’ACP formulée par Carl Rogers en 1951 [6] comme la mise en œuvre de trois attitudes nécessaires et suffisantes m’a mobilisé pour tenter d’identifier les caractéristiques essentielles de la posture psynodique.
4Ce texte présente ces caractéristiques dans une forme assertive employée comme une invitation à dialoguer et à débattre à partir d’un énoncé aussi clair que possible de la posture que nous mobilisons. Il n’est pas à considérer comme l’affirmation de principes dogmatiques qui définiraient LA pratique de la gestalt-thérapie.
I – Méthodologie
5Ce texte, à la fois dans son contenu et dans sa forme, est le fruit d’une élaboration à la fois individuelle et collective conduite à partir de la pratique réelle.
6« À partir de la pratique réelle » : ce texte est issu de travaux du groupe de recherche Pragma menés sur des verbatim de séances réelles [7] et de la mobilisation d’une co-identité [8] de chercheur dans le direct du déroulement de ma pratique de gestalt-thérapeute.
7« Individuelle et collective » : il a été longuement mis au travail, dans son contenu et dans sa forme, dans trois collectifs de gestalt-thérapeutes familiers de l’élaboration à partir de la pratique réelle : le groupe de recherche Pragma [9], l’Institut Grefor [10] et l’association Psynodie [11].
8Ce processus d’élaboration n’a pas la rigueur que nous tentons de donner à nos travaux de recherche dans le cadre de Pragma, mais pour autant il est profondément ancré dans l’observation méthodique de la pratique réelle et soumis à la confrontation d’autres praticiens.
9Ce texte est aussi le fruit de plus de 15 ans de transmission de la pratique de la gestalt-thérapie dans une posture psynodique et d’échanges au sein de l’équipe pédagogique de l’Institut Grefor.
II – La posture psynodique
1 – Une posture d’accompagnement [12] :
10La posture psynodique est une attitude de travail, une visée adoptée par un professionnel de la relation d’aide. Elle est opérante pour répondre à une personne qui sollicite un accompagnement dans l’épreuve qu’elle traverse. Il peut s’agir d’une demande de changement (personnel, interpersonnel, familial, professionnel…) ou d’aide (face à un choix, une impasse, une difficulté, une crise, une souffrance…). Par ses effets constatés, elle est également une réponse aux demandes de connaissance de soi ou de cheminement existentiel.
11La posture psynodique oriente l’accompagnement de la personne dans un chemin de transformation.
12Transformation de la personne elle-même, de son rapport à ses désirs, son corps, ses émotions, son histoire, son futur ; transformation de sa façon de voir le monde, de l’éprouver, de le penser, de s’y orienter, d’agir dans ce monde ; transformation de sa façon d’aller vers l’autre, de le rencontrer et d’être en relation, familialement, socialement ou professionnellement.
13Cette transformation de la personne modifie dans le même mouvement ses environnements sociaux, professionnels, familiaux.
2 – Six caractéristiques :
14La posture psynodique consiste à accueillir la personne dans sa singularité, à écouter ses motivations, ses attentes, ses projets, l’épreuve que souvent elle affronte, et à cheminer avec elle en choisissant de viser continûment de mettre en œuvre un accompagnement présentant six caractéristiques essentielles suivantes.
151e — Imprévisibilité : le praticien reconnaît :
- l’imprévisibilité de la vie et de l’avenir,
- l’imprévisibilité de la transformation de la personne et du monde au fil du temps,
- l’imprévisibilité de la destination de l’accompagnement, de ses étapes à venir et du pas suivant sur ce chemin,
- l’imprévisibilité de ce qui va émerger dans la rencontre entre la personne et le praticien et des liens qui vont se tisser dans leur relation.
162e — Ouverture: le praticien adopte une attitude d’ouverture à la situation présente, il est disposé à découvrir et inventer pas à pas avec la personne le déroulement de la rencontre et le cheminement de la personne. Il est attentif à considérer l’avenir de la personne comme libre et ouvert en renonçant à fixer un objectif atteignable à l’accompagnement, à viser une étape définie, à rechercher un effet précis. La personne peut elle-même se fixer des objectifs ou en fixer à l’accompagnement, le praticien est alors attentif à ne pas les faire siens.
173e — Respect: dans la rencontre avec la personne, le praticien reconnaît la souveraineté de la personne sur sa vie et il est attentif à lui laisser la responsabilité de son chemin : c’est à la personne que reviennent les décisions d’entamer un accompagnement, de le poursuivre ou d’y mettre fin et, plus généralement, c’est à elle que revient toute décision au sujet de sa vie présente ou future.
18Le praticien se tient en alerte sur ses tentations d’ingérence, de savoir pour l’autre et de pouvoir sur l’autre (substitution, subordination, manipulation, séduction, infantilisation) [13], qui constituent autant d’atteinte à sa souveraineté sur son existence et de restrictions des possibles de son futur.
194e — Doute: le praticien vise continûment à pratiquer selon les trois caractéristiques précédentes d’imprévisibilité, d’ouverture et de respect. Cependant, comme tout être humain, il est agi à son insu par la situation présente et sa pratique peut présenter des écarts involontaires avec ces trois premières caractéristiques :
- moments peu ou non conscients d’ingérence, de savoir pour l’autre et de pouvoir sur l’autre (substitution, subordination, manipulation, séduction, infantilisation),
- orientation peu ou non consciente de la pratique par les intentions et les motivations personnelles qui ont conduit le praticien à occuper cette place d’accompagnant,
- visée durable ou insistante d’une direction, de recherche d’un effet constatable, de définition d’une étape franchissable ou de détermination d’un objectif atteignable.
20De tels écarts involontaires, voire inconscients, sont inhérents à la rencontre humaine. Ils sont inéluctables, importants et signifiants dans l’accompagnement de la personne.
21Le praticien se tient disposé à être interpellé par la personne qu’il accompagne ou par un tiers sur des phénomènes relevant de possibles écarts aux trois premières caractéristiques.
225e — Humilité: le praticien sait que ses qualités humaines et ses compétences professionnelles comportent des limites qu’il connaît seulement partiellement. Il est attentif à les reconnaître quand elles se présentent, à les mettre au travail dans un espace d’analyse de la pratique, à étudier la pertinence d’en ouvrir les effets dans la rencontre avec la personne afin d’en travailler avec elle les effets dans l’accompagnement.
23Si ces limites se révèlent trop importantes, il se tient disposé à engager avec la personne un processus de clôture de l’accompagnement.
246e — Asymétrie: le praticien reconnaît et accepte l’asymétrie irréductible et constitutive de la relation qui se tisse au fil des rencontres avec la personne qu’il accompagne : l’une sollicite l’aide professionnelle de l’autre et cette dernière se propose comme autre à l’occasion duquel la personne va cheminer et se transformer.
25Cette asymétrie est source de responsabilité professionnelle pour le praticien et favorise le déploiement d’attachements forts et d’enjeux relationnels fantasmatiques largement non conscients [14] et propices à des écarts aux trois caractéristiques d’imprévisibilité, d’ouverture et de respect.
3 – Engagement éthique :
26Adopter une posture psynodique c’est choisir continûment de mettre en œuvre une pratique présentant les six caractéristiques essentielles : imprévisibilité, ouverture, respect, doute, humilité et asymétrie.
27Douter, 4e caractéristique, c’est s’engager à prendre en compte les écarts aux trois premières caractéristiques, imprévisibilité, ouverture et respect. D’abord en travaillant à les identifier, dans le direct ou l’après-coup de la rencontre, en construisant du sens à leur sujet au regard de la situation, en mesurant leurs effets et impacts. Ensuite en réintégrant dans l’accompagnement selon une perspective psynodique les effets de ces écarts. Une mise au travail régulière de la pratique, et pas seulement face à une difficulté, est donc indispensable afin de mettre à jour ces écarts.
28Choisir d’accompagner dans une posture psynodique constitue donc un engagement éthique fort, fruit d’un choix mûrement réfléchi.
4 – Posture finaliste et posture psynodique :
29La plupart des activités humaines sont orientées vers un but à atteindre : construire des objets, rendre des services, chercher des solutions aux difficultés, restaurer la santé des malades… Il est dès lors légitime de conduire ces activités en cherchant les moyens les plus appropriés et les méthodes les plus efficaces pour atteindre leurs finalités. Les dernières décennies sont caractérisées par une recherche d’optimisation des moyens mobilisés, induisant notamment la construction de critères quantifiables d’évaluation de la progression et des résultats d’une activité. On assiste à une normalisation des pratiques professionnelles et sociales par la multiplication des normes, des règlements et des manuels de bonnes pratiques résultant des exigences de standardisation et de contrôle [15].
30Cette recherche d’efficacité s’est installée dans le champ de la psychothérapie : la recherche évaluative des effets des méthodes psychothérapiques s’est considérablement développée et de nouvelles méthodes psychothérapiques se réclamant clairement de cette perspective finaliste [16] ont vu le jour [17]. Leur objectif est de prendre en charge le plus efficacement possible une catégorie de pathologie psychique, de souffrance ou de difficulté en vue d’une guérison du patient ou d’un aménagement des symptômes.
31En visant à considérer l’avenir de la personne comme libre et ouvert, à renoncer à fixer un objectif atteignable à l’accompagnement, à respecter la souveraineté de la personne sur sa vie, dans le contexte d’une transformation imprévisible, le praticien choisissant une posture psynodique se situe dans une perspective tout autre que celle retenue par le praticien finaliste.
5 – Incompatibilité des postures :
32Se placer dans la posture psynodique consiste à s’engager continûment à mettre en œuvre une pratique présentant les six caractéristiques essentielles et à mettre au travail les écarts à ces caractéristiques.
33Une pratique dans laquelle le praticien alternerait sciemment et délibérément des moments présentant ces six principes avec des moments de mise en œuvre volontaire et consciente d’un savoir pour l’autre, d’un choisir pour l’autre, même avec l’accord de la personne, voire à sa demande, ne relèverait donc pas d’une posture psynodique.
34L’expérience semble montrer que mettre en œuvre momentanément un temps de pratique présentant les six caractéristiques entre des temps de pratique finaliste revient à considérer que, dans ce moment-là, le praticien estime que mettre en œuvre ces six caractéristiques est le meilleur moyen pour atteindre l’objectif fixé. Ces caractéristiques ne forment alors qu’un « outil » mobilisé temporairement dans une perspective globalement finaliste. Il ne s’agit pas d’une alternance de postures.
35Si le praticien ne peut pas se placer simultanément ni alternativement dans une posture psynodique et dans une posture finaliste, le patient lui est en revanche libre de recourir à un accompagnement psynodique tout en recourant par ailleurs une pratique finaliste, médicale par exemple.
36La posture psynodique ne vise en aucun cas à se substituer à la posture finaliste : les praticiens psynodistes co-habitent avec les praticiens finalistes.
6 – Mobilité et liberté :
37La présente description de la posture psynodique peut donner l’impression qu’une pratique présentant ces caractéristiques est austère, contrainte, rigide, voire enfermante. L’expérience des praticiens qui la mettent en œuvre de longue date est, à l’inverse, un sentiment de grande liberté de mobilité et de créativité [18].
38Il est courant que le praticien débutant dans cette posture soit occupé à retenir ces élans afin d’en interroger la visée puis qu’il décide, dans le doute, de les laisser de côté restreignant par là ses possibilités d’interventions et conduisant à un sentiment d’appauvrissement, voire de blocage. Dans les premiers temps de pratique, une telle contention est probablement nécessaire :
- pour permettre au praticien de prendre conscience de son imprégnation par le paradigme finaliste dans lequel nous baignons depuis notre naissance, et des réponses spontanées qu’elle induit,
- pour mesurer la diversité de ses manifestations en fonction des différentes situations rencontrées,
- pour faire appui face au manque de sécurité intérieure et tolérer l’angoisse générée par la suspension de la réaction spontanée et « naturelle » d’aide, de soulagement et plus généralement de réponse directe à la demande,
- pour construire la capacité de passer de la mise en actes d’un désir d’orienter le futur de la personne à l’utilisation de ce désir pour éclairer la situation présente.
39Avec le temps et l’expérience, la posture psynodique devient plus familière au praticien. Il en intègre les différents aspects et construit une sécurité intérieure appuyée à la confiance dans la situation présente plutôt qu’à la confiance dans des outils visant à orienter l’avenir de la personne. Dès lors, il lui devient possible d’accueillir les différentes manifestations et les différents mouvements de son vécu pendant la rencontre et de les mobiliser dans la situation présente de façon créative et dans une perspective psynodique.
7 – Posture, compétences et style :
40La posture psynodique caractérise une attitude adoptée par un praticien de l’accompagnement. Ces caractéristiques ne sont cependant pas directement opératoires et sont insuffisantes pour décrire et définir la pratique réelle des praticiens de cette famille.
41Dans la rencontre réelle avec la personne, les praticiens incarnent concrètement cette posture en mobilisant un ensemble intégré de savoirs professionnels au sens large (savoirs, savoir-faire, savoir-être) descriptible comme un ensemble de compétences professionnelles. Ces compétences se sont construites au cours de son existence, de son travail psychothérapique personnel, d’une formation à une pratique d’accompagnement spécifique et de la mise au travail de sa pratique en supervision.
42Les pratiques réelles de praticiens psynodistes formés à une même approche et mobilisant des compétences similaires diffèrent, chaque praticien ayant son style, façon propre et singulière de mobiliser ces compétences dans une perspective psynodique.
III – Considérations
1 – Désir que la personne aille mieux :
43Ayant fait le choix d’adopter une posture psynodique, le praticien peut cependant constater que, par moments, il souhaite que la personne qu’il accompagne soit satisfaite de son cheminement, qu’elle aille vers un mieux-être, qu’elle souffre moins, qu’elle se sente guérie, qu’elle opère un changement particulier dans sa vie ou qu’elle atteigne tel ou tel objectif. Il accueille ces souhaits comme des aspects importants de la situation et il les travaille afin d’être en mesure de les mobiliser dans des interventions cohérentes avec son choix de posture. Pour cela, il doit travailler à passer d’un moment où il les regarde comme des faits disant quelque chose d’un futur souhaitable pour la personne, conduisant à intervenir dans le but de réaliser ces souhaits et ce futur, à un moment où il les regarde comme des faits témoignant de la situation présente, conduisant à intervenir de façon créative en fonction de sa compréhension de la rencontre en cours.
44Adopter une posture psynodique c’est être ouvert à l’autre, à soi, à la rencontre en cours, à la situation présente, à l’avenir sans présumer du cours de la vie. C’est se voir désirer aider, conseiller, orienter, diriger la personne sans vouloir que ces désirs aboutissent, en étant ouvert et intéressé par ce qu’ils disent de la situation, en étant capable de les mobiliser de façon inventive, en étant attentif aux impacts de cette mobilisation sur la personne, sur l’interaction et sur la situation.
2 – Incommensurabilité des postures :
45La posture psynodique engage à mettre en œuvre une pratique présentant les six caractéristiques d’imprévisibilité, d’ouverture, de respect, de doute, d’humilité et d’asymétrie. Dans la posture finaliste, le praticien définit un objectif, recherche le meilleur moyen de l’atteindre, organise les étapes de l’intervention, la met en œuvre, évalue ses effets et décide de sa poursuite ou de sa fin. Ces deux perspectives constituent des réponses possibles à une demande de transformation d’une personne traversant une épreuve.
46Cependant, ces deux postures diffèrent fondamentalement dans les schèmes de pensée et d’action qu’elles mobilisent. En particulier, la préoccupation d’efficacité, caractéristique de la posture finaliste, est sans objet dans la posture psynodique. Et inversement, le souci de ne fixer aucun objectif au travail est sans objet dans la posture finaliste. Ces deux postures sont incommensurables [19].
47Choisir de mettre en œuvre la posture psynodique ce n’est pas choisir une posture plus performante qu’une autre posture, ni plus éthique qu’une autre. C’est seulement choisir d’offrir à la personne que l’on accompagne un espace et un temps permettant à la vie qui l’anime de se déployer selon son mouvement propre et non selon l’intention du praticien ou les désirs conscients de la personne elle-même.
48La posture psynodique est porteuse de valeurs de respect, d’ouverture, de liberté, de confiance et d’incertitude. Elle se situe à contre-courant des valeurs de contrôle, d’efficacité, de planification et de normalisation qui pénètrent et orientent progressivement la plupart des activités de notre société et nos modes de pensée.
3 – Psychopathologie :
49Le praticien adoptant une posture psynodique reconnaît les nosologies psychiatriques et les psychopathologies, travaux de description, de classification et d’études des troubles psychiques s’accompagnant ou non de souffrance, comme des descriptions de possibilités et de variations de l’expérience d’être au monde.
50Il les considère comme des connaissances, au sujet de l’humain et de son existence, mobilisables dans la pratique, tout en tenant à conserver l’avenir des personnes ouvert et libre de tout objectif, y compris celui de réduire les phénomènes pouvant être jugés comme pathologiques.
4 – Légitimité :
51Pour les personnes accompagnées dans une posture psynodique, on constate de puissants effets de mutation affectant la personne et son existence dans sa globalité, en profondeur et durablement. Ces transformations sont une manifestation de la puissance transformatrice de la vie elle-même, dont le déploiement est favorisé par l’accompagnement. Bien que ces transformations soient imprévisibles et souvent inattendues, elles se révèlent généralement satisfaisantes pour les personnes accompagnées.
52La posture psynodique tire sa pertinence et sa légitimité :
- de l’intérêt que la plupart des personnes qui y ont recours y trouvent et de la profonde satisfaction qu’elles éprouvent de leurs cheminements et de leurs transformations,
- de la liberté laissée aux personnes de recourir à un praticien psynodiste et, à tout moment, d’y renoncer,
- du profond respect de la personne accompagnée et de son devenir qui ne se cantonne pas à la prise en compte de sa personnalité et de ses désirs explicites et conscients. En renonçant à prendre position sur la vie et sur le futur de la personne ce respect concerne plus profondément les pans non encore conscients de la personne et leurs transformations imprévisibles.
5 – Richesse :
53En mettant en œuvre une posture psynodique, le praticien ne dispose d’aucun protocole ni d’aucun plan pour déployer son art de l’accompagnement. Il mobilise des compétences professionnelles et des axes de travail spécifiques à son approche ou courant de ralliement, sur fond d’engagement continu à mettre en œuvre une pratique présentant les six caractéristiques essentielles.
54La richesse de cette posture tient :
- à sa détermination à assumer l’imprévisibilité de la vie plutôt que de la contraindre dans des normes ou des désirs ;
- à sa reconnaissance et son respect de la spécificité de chaque être humain et de son cheminement et de sa souveraineté sur sa vie ;
- à son choix d’accepter que le chemin se découvre et s’invente à chaque pas, plutôt que de chercher à le contrôler, à le maîtriser, à le protocoliser,
- à la liberté dont dispose le praticien pour travailler en prenant en compte tous les aspects apparaissant dans son vécu et dans la situation.
6 – Fondement :
55Les pratiques mettant en œuvre une posture psynodique sont d’abord des faits du monde, des activités humaines qui existaient et existent avant d’être documentées. Elles trouvent leur fondement dans leur existence même. Les descriptions et les théorisations que l’on peut établir à leur sujet sont autant de tentatives d’approche de cette posture, mais en aucun cas elles ne peuvent être considérées comme fondatrices de cette posture. Elles se contentent de tenter d’en rendre compte.
56Les accompagnements menés dans une posture psynodique existent indépendamment des théories qui visent à les décrire.
57Ce présent document lui-même ne peut pas prétendre fonder la posture psynodique. Il s’agit d’une description longuement travaillée et pour autant incomplète qui nécessitera des ajustements et des compléments afin de décrire encore plus précisément cette posture.
Conclusion
58La posture psynodique n’est pas nouvelle et ce texte ne vise pas à fonder une nième approche de psychothérapie. Dans le champ de la psychothérapie, elle trouve sans doute son origine à la fin de la première moitié du 20e siècle dans le mouvement d’émancipation de la psychanalyse du champ médical puis dans la création de l’approche centrée sur la personne et de la gestalt-thérapie.
59Les traits constituant la posture psynodique ont un degré de généralité permettant de penser que la pratique de praticiens se réclamant de méthodes autres que la gestalt-thérapie présente ces mêmes traits. Dit autrement, il est probable que certains psychanalystes, certains praticiens de l’approche centrée sur la personne et de la psychothérapie relationnelle [20] mettent en œuvre une posture psynodique, comme c’est le cas de certains gestalt-thérapeutes.
60La distinction entre postures finaliste et psynodique rend explicite une ligne de démarcation implicite existant en deçà des différences de vocabulaire, de concepts, de théories et de méthodes de référence.
61L’accompagnement psynodique ne relève à l’évidence pas du champ médical, orienté par la guérison ou l’aménagement des symptômes, même si un tel accompagnement a des effets de réorganisation de la personnalité, du rapport à soi-même et au monde et peut avoir des effets sur la souffrance et sur le rapport à la souffrance.
Montbos, accouplement
Montbos, accouplement
62Il ne relève pas non plus du simple développement personnel, orienté par une recherche d’amélioration de l’un ou l’autre des aspects de la personne, bien qu’il contribue de façon significative à la transformation de la personne qui se produit tout au long de la vie.
Bibliographie
Bibliographie
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- BRISSAUD Frédéric (2016), Éclairer l’existence et cultiver la croissance — Tome 1 : Pratique altruiste, La Pensée Vagabonde.
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- BUCHETON Dominique (2009), L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés, Octares Éditions.
- BUCHETON Dominique, DEZUTTER Olivier (2008), Le développement des gestes professionnels dans l’enseignement du français, Collectif sous la direction de, Éditions De Boeck.
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- JORRO Anne (2006), L’agir professionnel de l’enseignant, Séminaire de recherche du Centre de Recherche sur la Formation, CNAM Paris.
- MAUGIN Marcelle (2019), Manifeste – Pour une pratique pleinement relationnelle de la psychothérapie, Enrick B Editions.
- PAUL Maela (2016), La démarche d’accompagnement — Repères méthodologiques et ressources théoriques, De Boeck Supérieur.
- PERRENOUD Philippe, ALTET Marguerite, LESSARD Claude, PAQUAY Léopold (2008), Conflits de savoirs en formation des enseignants — Entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de l’expérience, De Boeck.
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- ROGERS Carl (1951), Client-centered Therapy : Its current practice, implications and theory, Boston, Hoghton Mifflin et London, Constable.
- TARDIF Jacques (1996), Le transfert des compétences analysé à travers la formation de professionnels, In : Meirieu Ph., Develay M., Durand C. et Mariani Y. dir.) Le concept de transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Lyon, CRDP.
Mots-clés éditeurs : accompagnement, imprévisibilité, gestalt-thérapie, posture finaliste, posture psynodique
Mise en ligne 15/04/2021
https://doi.org/10.3917/cges.044.0139Notes
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[1]
Avenier M-J. & al. 2007, Barbier J-M. 1996, Bucheton D. 2009, Jorro A. 2006, Perrenoud P. & al. 2008.
-
[2]
Bucheton D. & Dezutter O. 2008, Bucheton D. 2009.
-
[3]
Tradif J. 1996.
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[4]
F. Brissaud 2012, 2016.
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[5]
Psynodique: « cheminer avec l’esprit » de psychè « esprit, âme », syn «avec» et odos « chemin », cf. F. Brissaud 2016.
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[6]
C. Rogers 1951.
-
[7]
Cf. journal PRAXIQUES: n° 1, janvier 2014, n° 2, janvier 2016, n° 3, mars 2018.
-
[8]
Dans les séances je suis d’abord présent continûment dans mon identité de praticien et ensuite, par moments, dans mon identité de chercheur, mobilisée volontairement afin d’approcher ma pratique réelle dans le vif de son déroulement. Cette co-identité s’est développée ces vingt dernières années passées à approcher ma pratique en 1ère personne, c’est-à-dire du point de vue du praticien qui la conduit et non d’un point de vue extérieur, en 3e personne.
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[9]
Groupe de recherche visant à documenter la pratique de gestalt-thérapeutes.
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[10]
Institut de formation à la pratique de la gestalt-thérapie selon la posture psynodique.
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[11]
Association visant à faire connaître la posture psynodique.
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[12]
M. Paul 2016.
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[13]
M. Paul 2016, p. 92.
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[14]
Enjeux habituellement qualifiés de phénomènes transférentiels.
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[15]
M-J. Del Volgo & R. Gori 2010 ; R. Gori 2009.
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[16]
Le terme finaliste est entendu dans ce texte au sens de : viser un objectif final ou intermédiaire atteignable.
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[17]
Notamment les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), les approches orientées solutions et les traitements visant explicitement la réduction ou la disparition d’un symptôme.
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Il conviendrait sans doute de distinguer les praticiens expérimentés qui se sont petit à petit installés à leur insu dans une pratique répondant aux caractéristiques de cette posture, et les jeunes praticiens formés dans des écoles mettant explicitement au travail la notion de posture et véhiculant une posture psynodique. Lorsque ces derniers font le choix d’adopter une posture psynodique, ils ont à faire sciemment et volontairement le chemin souvent escarpé et difficile d’intégration de cette posture.
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Le terme d’incommensurabilité a été introduit par Thomas Kuhn en épistémologie dans l’ouvrage « La Structure des révolutions scientifiques ». Deux paradigmes sont incommensurables lorsque, alors qu’ils concernent une même science, leur comparaison est impossible en raison de différences fondamentales dans leurs structures et les schèmes de pensée qu’ils mobilisent.
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P. Grauer & Y. Lefebvre 2018.