Notes
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Penser l’homme et la folie, 1991, Millon
1L’histoire de ce cas est constituée de deux parties : une présentation de la patiente par le psychiatre gestaltiste hospitalier, le Dr Patrick Zillhardt, un récit de la thérapie gestaltiste qui a été menée parallèlement avec Sylvie Schoch de Neuforn.
2Les progrès cliniques obtenus en quelques années et la richesse de l’approche phénoménologique mise en œuvre au cours des séances de thérapie ont incité P. Zillhardt et S. Schoch de Neuforn à présenter ce cas aux collégiales de janvier 2005.
3Patrick Zillhardt : psychiatre, hôpital Bichat, Claude Bernard.
4Mlle C. 28 ans me fut adressée par la psychothérapeute du service, une amie de la mère de C.
5Cette dernière est décrite comme un cas très lourd, psychotique, ayant fait plusieurs tentatives de suicide.
6« Elle est très mal, il n’y a que toi qui pourrais peut-être la gérer », me dit la thérapeute.
7« Ça flatte l’ego, mais ce n’est sûrement pas un cadeau », pensai-je.
8Mlle C. fut donc admise et hospitalisée pour un temps dans notre service.
9Une rapide étude du volumineux dossier médical de mes prédécesseurs praticiens indique qu’elle est diagnostiquée « schizophrène de type paranoïde… elle serait peu compliante au traitement et mettrait fréquemment ses psy en échec. Elle aurait fait plusieurs tentatives de suicides par objets tranchants (phlébotomies profondes) et médicaments (séjour en réanimation intensive). A son arrivée dans le service, elle commet par deux fois des automutilations…. Le contenu du dossier est évocateur : elle souffre, d’hallucinations acoustico-verbales assez polymorphes : voix menaçantes intrusives lui ordonnant de se tuer, voix discutant en elle en parlant d’elles, automatisme mental nombreuses distorsions cognitives avec notamment des difficultés de perceptions temporelles des épisodes d’hallucinations cénesthésiques l’humeur est fortement perturbée : dysphorique ou franchement dépressive avec des idées noires. Une angoisse intense, profonde avec un vécu de dislocation de l’expérience existentielle et du corps est présente surtout les premiers mois de notre prise en charge, mais pas de dissociation idéo verbales ou affectives.
Peu de choses dans son histoire, si ce n’est une agression sexuelle par un inconnu à l’âge de 9 ans, pas de psychotraumatisme notable dans son histoire familiale.
La rencontre
10Lors de ma première consultation, Mlle C. m’apparut comme une assez belle jeune femme, brune mais terrorisée en face de moi. Son regard fixe, derrière de grosses lunettes, me marque encore.
11Egarée, pétrifiée, fortement évocateur des profils psychotiques et il en fut ainsi pendant de nombreuses séances. Elle venait cependant très régulièrement, avec un brin de curiosité et toujours son sac à dos et sa bouteille d’eau… Au bout de quelques séances, elle me promit de ne « plus de faire de mal ». La promesse resta tenue.
L’alliance thérapeutique
12Une alliance, puis un lien thérapeutique sont comme chacun sait, nécessaire à toute démarche psychothérapeutique. Avec C., elles furent construites en quelques mois.
13De moi, hors des règles d’éthiques et de déontologie médicales habituelles, je sais peu de chose sur les mécanismes de structuration de notre relation. En revanche, j’ai en mémoire ma curiosité vis-à-vis d’elle, non comme objet d’étude, mais comme personne fascinante… le mystère de son regard en face de moi, tout en n’ignorant pas le polymorphisme des projections paranoïdes et fantasmatiques des patients soi-disant psychotiques.
14Néanmoins, j’ai adapté au cours de tous les entretiens même brefs une posture gestaltiste.
15Le travail en frontière contact, dans le moment présent, m’a vite paru porteur d’espoir. Petit à petit, Mlle C. sort de son mutisme et de sa terreur,
16elle donne sens et relativise quelque peu ses manifestations délirantes,
17elle prend confiance dans le lieu thérapeutique, un peu, mais sans certitude
18elle est demandeuse d’information sur autrui en général,
19elle fait des exercices sur la temporalité et les repères de l’espace. Ceux-ci seront d’ailleurs complétés plus tard avec Sylvie. Elle arrive à trouver quelques petits travaux de secrétariat à temps partiels, malgré des difficultés relationnelles.
20Sylvie Schoch de Neuforn
21J’ai vu Catherine de 2000 à 2004. Ce qui suit est une transcription de notes (en italiques) que j’ai prises lors de cette thérapie, d’extraits de messages électroniques (en retrait) qu’elle m’envoyait entre les séances, plus rarement des paroles prononcées en séance et des commentaires écrits au cours de la rédaction de cet article.
22A aucun moment je ne tente de répondre à cette question « que s’est-il passé pour qu’on la considère aujourd’hui comme guérie ? ». On l’avait étiquetée schizophrène (elle s’identifiait comme dépressive), elle était sous neuroleptiques, antidépresseurs et anxiolytiques, elle vivait une angoisse permanente, elle était pensionnée « COTOREP ». Tous ces signes d’une pathologie lourde avaient disparu à la fin de la période où je l’ai rencontrée. Tous, ou presque : l’étiquette est restée là, avec un point d’interrogation.
23Dans l’après coup, je ne cherche pas à comprendre. Ou plutôt je m’abstiens d’essayer de comprendre et d’en faire quelque chose de généralisable. Je livre ces fragments, avec l’impression de me tenir en bordure, et que tout est là.
24Posture non scientifique, bien certainement. Même pas clinique.
25Montrer, ou plutôt laisser deviner, et non pas exposer ou démontrer.
26J’ai avancé de manière intuitive. Je ne me suis pas appuyée, me semblait-il, sur une connaissance antérieure. Je découvrais au jour le jour. Pourtant, en relisant Maldiney [1], je me suis dit que tout était là, dans ce livre, et que ce livre, je l’avais lu bien avant ma rencontre avec Catherine. Donc j’étais déjà prête, sans doute, comme un cuir qui a été assoupli. Mais aussi peut-être aurais-je su accompagner Catherine sans avoir lu ce livre, et d’autres livres. On ne peut savoir comment œuvre ce qui est en arrière-fond.
Les fragments qui suivent, sous des thèmes divers, ne sont pas ordonnés, ni par rapport à leur déroulement dans le temps, ni par rapport à la logique d’une démarche clinique. Je vous les livre en l’état car cela me semble traduire l’entremêlement des niveaux, des modalités temporelles, des styles de cette thérapie, où je n’ai rien vu venir, mais où tout a été là à un moment donné pour lui permettre de se sentir guérie.
Silences
27Dernier entretien :
28« Les moments difficiles, c’était le silence, au début. C’était une souffrance extraordinaire. Mais je sentais votre présence, vous ne me laissiez pas trop longtemps, vous disiez, un mot, une phrase. Mais en même temps, vous me laissiez de la place. Au début, je sentais qu’il fallait que je parle pour que ça cesse, cette souffrance, ça m’a aidé à dire. Et ce que je ne pouvais dire, je vous l’écrivais après la séance. »
Faire semblant
29Il y a quelque chose qui la tient : faire semblant d’aller bien, semblant d’être adaptée. Elle n’avance pas masquée. Elle est toujours vraie. Simplement elle semble réduire toutes ses possibilités à celles dont elle imagine qu’elles sont socialement acceptables.
30« Sylvie, excusez-moi d’aller mal », « Excusez-moi de vous dire ces choses incohérentes ».
31(Là, elle m’énerve. D’ailleurs, je lui dis.
32Le nerf de la guerre du thérapeute : le refus de l’ennui, l’envie d’aller vers du non convenu.)
33On fait tous semblant, cela nous permet de ne pas passer pour des psychotiques. Je fais semblant de ne pas voir votre bouton sur le nez, je fais semblant de suivre notre conversation, je fais semblant de ne rien savoir de ce que je sais de vous… Que se passerait-il si je me mettais à parler ou agir depuis ailleurs que là où on m’attend : « Mais elle est devenue folle… ».
34Je me souviens d’un enfant dont la mère me disait qu’on l’avait guéri de sa psychose : il ne pouvait plus être que dans le semblant. Adapté mais absent à lui-même, c’est comme s’il avait perdu son âme.
Médicaments
35Janvier 2001
36Chère Sylvie, le Dr Z. voudrait vous joindre, aussi, appelez le… pour être plus sûre de l’avoir. Mon rdv avec lui s’est bien passé mais je voyais le Dr Z. avoir envie de baisser mon traitement et ça m’a effrayée. Je suis sortie très angoissée. STOP ! Il est trop tôt et puis il y a tellement de moments d’angoisse… dont je ne lui ai pas parlé, faute de temps et de courage. Je me sens tellement angoissée et souvent si désespérée.
37Janvier 2002
38Nous avons diminué le traitement et mis à la place du Déroxat, du Risperdal.
39Sylvie, j’espère que je ne vous embête pas trop en vous faisant part de mes difficultés, ma souffrance.
40Le travail autour des doses de médicaments. L’écoute du Dr Z. Il est branché sur l’expérience de sa patiente, ils font la relation entre les perturbations et le dosage. Il accompagne, il décide en fonction de ce qu’elle lui dit, de ses craintes. Il l’incite à essayer de diminuer les doses, il la soutient pour supporter le sevrage. Mais tout en souplesse. Il n’impose pas. Il a une bonne dose d’humilité. Ils tâtonnent ensemble. Il la fait sujet de son traitement médicamenteux. Elle devient sujet.
Neutre
41Le Neutre de ma posture est ma boussole, c’est ma base. C’est mon détachement par rapport au projet, et mon engagement dans la relation qui repose sur un oui, celui que l’on dit au patient quand on accepte de le prendre en thérapie. Une responsabilité dégagée du « bien » faire.
42C’est laisser de côté tout ce qui est déjà constitué en tant que savoir. Rien à choisir, rien à affirmer. Une sorte d’abstinence de la pensée qui n’est pas nonchalance, mais vitalité. J’«y » suis, sans convoquer la pensée.
43C’est le degré zéro de l’interprétation.
44Mon neutre est une qualité particulière d’engagement : engagement dans le fond et non dans la forme, fond de toutes les potentialités. Toute chose a même valence. Il n’y a que ce qui existe.
Mais ici, pour continuer, et éviter l’explication, je dois faire silence.
Espace
45En séance, il s’ouvre un espace où elle ne se désensibilise pas, et où elle n’est pas non plus submergée. Elle reste juste en deçà. Elle sait, nous savons qu’elle a de la réserve, et que le trop-plein peut s’écouler dans les courriels qu’elle m’adressera.
46Impression de fluidité, mais aussi tension : mise en tension de l’expérience pour qu’elle se mettre à vibrer et sortir en mots. Eprouvant, sans doute : elle dit « ouf » au bout de la demi-heure de séance.
Parcours
47Notes prises après le premier entretien :
48Stratégie a minima : c’est en marchant qu’on crée le chemin.
49Ecouter ce qu’elle a à dire sur sa maladie. Pas de position d’expertise. La faire sujet de son parcours, de sa guérison.
50La prendre comme partenaire. Lui signifier que je la considère comme responsable.
51Délirer ensemble dans la contenance.
52Ne pas l’identifier à sa perturbation.
Vivre
53Janvier 2004
54« Je n’ai aucune honte à vivre, moi !!! »
55Mai 2003
56« Jamais je ne m’avouerai vaincue de la vie !!!! »
Réponses
57Le 16 juillet 2000, ma réponse à un de ses courriers
58« objet : Re : découragement
59Je suis contente de recevoir un mail de vous, mais attristée de vous sentir découragée. Vous décrivez un monde d’adulte où je ne me reconnais pas, peuplée de sexes d’homme, de sexes effrayants. Que reste-t-il quand on remet ces sexes impertinents (et pour vous menaçants) à leur place ? Y-a-t-il autre chose dont vous ne voulez pas ?
60A bientôt.
61Sylvie »
62Elle ne reprend jamais le contenu de mes réponses à ses messages. De toutes façons, il n’y a pas lieu de le faire. Ils sont juste destinés à lui faire entendre qu’elle s’adresse à quelqu’un.
63Mai 2000
64« … Je vous sens comme dans un espace intermédiaire où vous venez parler de ce que vous vivez – à moi, au Dr Z., et à vos parents dans une certaine mesure –, mais en même temps vous n’êtes pas sûre de pouvoir vraiment communiquer ce que vous vivez, et cela vous renvoie dans la solitude. Je pense que tout le monde vit cela plus ou moins, mais chez vous c’est tellement accentué que c’est dramatique.
65Excusez-moi de vous dire des choses aussi approximatives sur vous. Seule vous-même pouvez trouver les mots appropriés, mais j’essaie de m’approcher…
66A demain
67Sylvie »
Présence
68Février 2004
69Et toujours, j’entends de sa part : « merci d’être là » (merci de m’accompagner dans mes essais pour me diriger). Peut-être la thérapie c’est cela : être là. Avec toutes les composantes qui complexifient à l’infini cet être-là, lorsque nous le déplions, mais pour le patient, ce qu’il en perçoit, ce qu’il en reçoit, ce qu’il peut en dire, c’est : être là.
70Merci d’être là. Souvent c’est ce que j’entends dans les derniers instants de la thérapie : merci d’avoir été là. Non pas merci pour ce que vous avez fait, non pas merci pour ce que vous êtes. Merci d’avoir été là.
71La posture thérapeutique ? Je-suis-là. Où ? là. C’est où, le là ? Là où tu sens que cela te convient, là où tu peux respirer. Là où tu as assez d’espace, mais pas trop, où tu te sens différentié, mais pas isolé. Là où ça fait écho. Là où ça devient.
72Avril 2000
73Lui offrir par ma présence incarnée un lieu prosaïque et sécuritaire.
74Non pas présence événementielle d’un Je-Tu, mais présence ordinaire.
75Entrer en poésie et délirer ensemble dans la contenance.
76Ouverture d’un monde commun
77L’idée de tenir ensemble deux pôles (le mode prosaïque et le mode poétique).
Ecoute
78Mai 2001
79Ca va mieux à chaque fois que je vous vois : vous me faites penser à « un animal doué de raison » de Robert Merle : à un dauphin sensible et ouvert à toutes les réponses et aux questions…. et toujours avec la soif de comprendre ce qui me manque. J’espère, Sylvie que ça ne vous choque pas. Ce livre m’a révélé l’intelligence des dauphins tellement sensibles…
Processus
80Septembre 2001
81Remettre des mots là où il n’y a que du corps, où l’afflux soudain d’excitation n’a pu être mis en figure. Créer du temps avec les mots.
82Globalement, cela paraît figé, on est toujours dans un passé qui habite son présent, mais dans de la séance, il y a interaction, il y a mouvement. Elle est totalement présente à son expérience. Des mots, des gestes émergent du préverbal, du corporel, comme des bulles, et le symbolisent. Elle cherche à décrire son expérience au plus près, pas en terme de catégories ou d’abstraction, mais souvent en terme d’images, de métaphores.
83La sécurité vient du fait que je ne cherche pas à provoquer une évolution, une transformation. Je reste avec elle dans ce processus en tourbillon, où nous revenons sans cesse au centre, comme dans l’œil du Cycatne. Ce -jour là, elle le décrit ainsi : « …la vision terrifiante du sexe de l’homme qui m’a violée. C’est tellement terrifiant, ça me fait comme des flashs, et après tout devient mou autour de moi ».
Apprivoiser
84Elle est là, et elle me met là où elle veut me mettre : elle aménage son espace, avec moi dedans. Je m’y laisse poser. Je ne cherche pas à mettre du mouvement. C’est elle qui vient me chercher. C’est comme cela qu’elle me demande de l’apprivoiser. Cela me rappelle le renard du Petit Prince qu’elle évoquait souvent en s’identifiant à lui :
85« Comme il n’existe pas de marchand d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi. — Que faut-il faire, dit le petit prince. — Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près… ».
Envol
86Avril 2004 (dernier courriel)
87Maintenant, je ressens le besoin de « m’envoler » comme un oiseau blessé qui aurait été soigné et qui un beau jour, guéri, aurait pris son envol et je pense que vous pouvez tout à fait le comprendre ? Je pense qu’effectivement, nous nous reverrons le jeudi 3 juin à 19h mais que je pense que ce sera la « dernière fois ».
Thèmes
88Le viol,
89l’angoisse,
90la petite Cat de 7 ans, qui a peur, qui a honte, qui a peur du monde adulte. La grande Cat qui ne sait pas être une femme
91Le sexe
92Les médicaments
93Merci…
94J’ai honte de vous dire..
95Le Dr Z m’a dit que…
96La prise de distance entre elle et sa mère
Les mots
97Sortie de l’indicible.
98Séance après séance, elle prend le temps pour laisser monter les images et les mots qui décrivent son paysage intérieur, le monde dans lequel elle vit. Parfois je lui décris les images et les impressions qui sont là pour moi, de ce qu’elle me montre. Parfois je lui suggère un mot, mais elle prend toujours soin de vérifier s’il correspond, et la plupart du temps, elle préfère chercher encore jusqu’à ce qu’elle en trouve un qui traduise parfaitement ce qui est là. Les gestes de sa main précèdent ou accompagnent souvent le mot. Ou le complètent.
99Janvier 2004
100Et pourtant, j’ai réussi à comprendre et à parler de ce si lourd secret, ce viol et surtout, dans le mot « parler », il y a tout ce défi, ce sort dans lequel m’a enfermé cet homme en me disant : «si tu parles, je te tue » et ce défi, j’ai réussi à le briser; il m’a brisée et à mon tour, j’ai réussi à le briser.
101Dernier entretien :
102« les mots dans le dictionnaire sont poussiéreux, ils sont en prison. Moi j’ai eu besoin de faire vivre les mots, d’en faire ce que j’en ressentais, des les utiliser à ma manière, de les mettre ensemble. Cela me permettait de m’échapper.
103(moi) : j’ai l’image de tous ces mots qui viennent à la surface comme des bulles.
104Oui, les mots étaient enfouis au fond, enfermés. Vous leur avez permis de s’échapper. »
105Elle s’étonne qu’un mot ne veuille pas dire la même chose selon que l’on l‘emploie dans un contexte ou dans un autre. Elle a un compte à régler avec les mots qui enferment et plaint ceux qui sont eux-mêmes enfermés dans la définition du dictionnaire. Elle est patiente avec eux, jusqu’à ce que ce soit le mot juste qui se présente.
106Elle voudrait leur apporter toutes les nuances dont ils ont besoin pour traduire ce qu’elle cherche à exprimer. Elle s’aide avec les mains : on dirait parfois que les mots lui sortent des doigts.
107Septembre 2003
Elle apprend le langage des signes.
Encore des mots
108Novembre 2003.
109Je suis en train de lire « Nouvelles Orientales » de Marguerite Yourcenar ; c’est un livre magnifique mêlé de poésie, d’imaginaire et de réalité…ça me rappelle un peu moi, souvenez-vous lorsque je disais : j’ai soleil, ça éclamousse, les étoiles d’araignées…
110Janvier 2004
111Dans le mot peine, il y a de la tristesse, et il y a de l’effort !! Et pourtant, pour moi, ce n’est pas un effort d’avoir de la peine. Décidément, je ne comprendrai jamais la langue française.
112Février 2003
113Tous ces petits bobos du monde qui font que mon monde à moi est malade.
114Avril 2001
115chère Sylvie, il y a des mots que je dois vous dire car je ne supporte plus de les retenir :
bite, couilles, putain, anus…. ce sont tous les mots que mon violeur m’a dit : je ne l’ai encore jamais dit à personne. C’est donc un progrès j’imagine.
Psychiatrisation
116Elle a été traumatisée par ses nombreux séjours en psychiatrie. Cependant :
117Avant le Dr Z, il y a eu quelques infirmiers qui m’ont fait sentir qu’ils croyaient en moi, et je me suis sentie différente des gens qui étaient si atteints.
Dissociation, unification
118Dissocier ce qui était amalgamé, et unifier ce qui était éclaté.
119Dissocier :
120« …toutes les petites filles n’ont pas été violées. Je pensais que si ».
121« je n’ai pas violé cet homme. Je pensais que si ».
122Unifier :
123« j’ai l’impression que ma vie est en mille morceaux ».
124« La petite fille de 7 ans et l’adulte : je suis les deux, je ne sais pas ce que je suis ».
125« …leur monde, et le mien »
126Une partie d’elle est restée suspendue au moment du viol, le réactualisant sans arrêt, et l’autre a continué, dans le « faire semblant », c’est sa partie adaptée.
127Les mondes étranges qu’elle m’a dessinés un jours ne sont que des façons d’aménager cette dissociation.
128Associer :
129Dr Z. et moi
130Elle et moi
131Elle et le Dr Z.
En fait on est trois :
Violence
132Décembre 2002
133Je me pose la question : existe-t-il un médicament contre cette violence intérieure qui surgit contre moi. Dans ce cas-là, je suis capable de tout.
134J’ai si honte et si peur de tout le monde, et je souffre d’être, tout simplement. J’ai le mal en moi, je ressens le besoin d’imposer ma violence envers (…)que j’avais l’intention de violer.
135Le monstre qui m’a violé m’a transmis sa violence en héritage :
136Janvier 2002
137Cela a été étonnant pour moi de réaliser aujourd’hui qu’en essayant de me suicider, je ne faisait que reproduire le viol que j’avais vécu à 7 ans avec cette colère « intime » qui se retournait contre moi. C’est un grand pas que j’ai fait. Si vous saviez combien je me sens bien sans être groggy.
138Mars 2001
La petite fille a mal : j’ai l’impression d’avoir violé cet homme.
Temps
13917 Novembre 2002
140Je me rends compte que le passé se mêle au présent et que le temps est mélangé. Est-ce que j’ai le droit de « parler ? ». J’ai si peur de dire des mots…
14117 octobre 2002
142Ça me rappelle « ETRE, SEMBLER, DEMEURER », verbes quand je faisais de l’orthographe qui étaient des verbes exception…(je ne sais pas trop.), mais voilà, ma personnalité se résume par ces trois verbes, et la petite Cat, elle ne sait pas où se placer dans le monde.
1436 décembre 2002
144Le temps et le silence m’emprisonnent. Les souvenirs se mélangent avec le présent et c’est mon gros problème.
145Notes : elle ne peut dérouler une temporalité qui lui aurait permis de donner du sens, de la direction, mais n’est-ce pas dû au traumatisme lui-même, qui écrase le temps en un présent sans cesse revécu.
146Le chemin : revenir avec elle sans cesse sur ce moment foudroyant, mettre des mots, encore des mots, créer avec ces mots du temps pour l’en éloigner, pour permettre à l’événement de retourner dans le passé.
147Créer du temps dans l’expérience partagée, dans un cheminement à deux, dans la régularité des rencontres, lui donner une temporalité auxiliaire, le temps qu’elle reconstruise la sienne. Pour un temps, la mettre en phase avec mon temps.
148Au printemps 2003, il y a une reprise, un écoulement du flux. Ses messages deviennent narratifs. Il y a des événements, des causes, des effets, des projections sur un futur.
Solitude
149Avril 2002
150Chère Sylvie, c’est un grand pas que nous avons fait. En effet il y a de la petite Cat que personne ne connaît et que je cache, seule dans les toiles d’araignées obscures. Sylvie, aidez-moi car je me sens si seule et j’ai peur d’avancer à cause des ombres des arbres, le noir. Et la petite Cat qui est seule l’a été pendant ces 11 années de silence : comment ai-je pu tenir ?
Contact
15119 février 2004
152Ce qui compte énormément aussi, c’est le contact.
153Comme je vous le disais, Sylvie, ça a marché parce que c’était vous, parce que c’était moi, parce que c’était le Dr Zillhardt.
154Montaigne : « si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer, qu’en répondant « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il y a un au delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. »
155Sans oublier Kairos : « parce que c’était le bon moment ».
Durée
156Moi j’ai tout le temps : mon présupposé est qu’on ne guérit pas de la schizophrénie. La notion de la durée de la thérapie est liée implicitement à un résultat escompté, à une réparation possible, à un terme, un achèvement qui serait la guérison. (être bon c’est arriver le plus vite possible au but). Pourquoi pas, quand le but, c’est le terme à une souffrance.
Psychotique
157Je me suis interrogée sur le diagnostic qui avait été posé : qu’est-ce que moi, je mets derrière ce mot ? le psychotique non en tant que personnification d’un type de perturbation, mais comme un terme qualifiant un type d’expérience.
158Pour moi il n’y a jamais eu de « psychotique » chez C., en ce sens que je n’ai rien senti d’étrange, d’inquiétant, de rupture par rapport à l’évidence.
159Ce qui marquerait pour moi le « psychotique », c’est l’angoisse ressentie à me déporter de mes propres formes et représentations. Ou ma peur de laisser l’autre s’embarquer dans des logiques qui lui échappent. Ma peur de le voir perdre la cohérence de son propre monde. Mais en fait, ma peur de ne pas le voir revenir dans une familiarité.
160Y a-t-il des psychotiques, ou simplement la peur chez l’entourage de l’étrangeté, l’incapacité à admettre les écarts à une norme ?
161Dans « le psychotique » y a aussi la souffrance du lien qui ne tient pas, qui peut se casser à tout moment, et fait vivre la souffrance infinie de ne plus rejoindre l’autre, et parfois, l’un et l’autre par leur tentative même de le recréer ce lien, rendraient cette impossibilité plus violente encore. (Avec cette image : l’un dans un bateau, qui tend la main, et l’autre à l’eau, qui est mis dans l’impossibilité de pouvoir la rattraper, emporté par le courant).
162Dans mes rencontres avec certains psychotiques, j’ai pu ressentir notre intégrale inadaptation à cette relation qui pourtant s’offre parfois. L’impression que je n’en sortirai pas indemne, de me mettre en danger, à moins de m’en distancier complètement. Dans ma relation avec Catherine, c’est tranquille.
163Pas de danger dans cette relation, pas de risque de rupture du lien, pas d’insécurité qui font que l’on a l’impression de marcher sur des œufs. Ça tient bon.
Avenir
16419 février 2002
165C’est vrai, j’ai la trouille que les hommes aient la trouille d’envisager d’accepter de vivre une vie avec quelqu’un qui a un tel passé et un tel présent/avenir.
166Une façon de mailler le passé et l’avenir, de restaurer sa capacité à projeter. La projection ouvre vers l’autre et vers l’a-venir. Pour se remettre à exister.
Guérison
167Février 2002
168Mais que se passe-t-il dans votre tête quand vous me voyez pleurer ? Vous n’êtes pas obligée de me répondre, bien sûr. Vous savez, Sylvie, j’ai l’impression que mon histoire est un genou broyé et que je n’arriverai plus à marcher (c’est une image). Ca fait mal et c’est comme si je devais porter des béquilles à vie. On peut même pousser la comparaison avec vous qui êtes la béquille droite et le Dr Z., la béquille 2. Qu’en pensez vous ?
1691er mai 2001
Il faut que je saute mais j’ai besoin de savoir que vous et le Dr Zillhardt sont simplement là. Vous savez Sylvie, j’ai beaucoup de difficultés à me mettre dans l’idée que je vais être presque comme vous et moi (même si j’ai un traitement à vie). Comment faut-il que je me comporte pour être normale ?
Fin
170Elle prend son temps, elle dit que cela fait bizarre de se quitter, que ce n’est pas facile. Elle se tient debout, m’exprime encore sa reconnaissance : sans vous et le docteur Z, je ne m’en serais jamais sortie. Elle énonce sa vérité, l’émotion est là, mais n’affleure que dans la voix bien timbrée et le regard appuyé. Je me sens reconnue en tant que personne. Puis elle me dit qu’elle aimerait me faire un cadeau, un objet qui traduise ce que je représente pour elle et qu’elle ne voit pas encore ce que cela peut être.
171La séance de la fin : c’est souvent debout, près de la porte de sortie, que nos patients prennent le temps de nous rencontrer. Non plus un patient et un thérapeute, mais deux personnes. Ce jour-là, il ne débordent pas de la séance, ils se donnent ce temps hors séance.
Processus encore et dans l’après-coup
172Je n’ai rien vu changer, se trans-former. Plutôt quelque chose qui était là, et qui serait sorti de sa gangue. (gangue = angoisse, non-dicible, honte).
173Elle faisait peu état de sensations et d’émotions dont les variations auraient fluctué avec celles de la situation et des circonstances de sa vie. C’était plutôt une tentative de traduire un état, issu d’un présent qui dure, un vécu intemporel, un paysage onirique auquel elle me donnait accès, une succession de formes diverses que prenait la même angoisse, et que je visitais avec l’aide de mon propre imaginaire. Son « il y a », son informe prenait forme par son désir de m’y donner accès. Mais peut-on parler de construction de sens ? Un contacter, oui, en ce sens où l’on partait du ça indicible de son expérience pour faire résonner la clarté et la vigueur du « oui, c’est ça », lorsqu’elle avait pu nommer. Processus dont elle me faisait participante.
174Comme si l’issue, c’était de pouvoir recréer du langage : elle avait perdu confiance dans les mots (les mots signifiants, pas les mots instrumentaux : ceux-là, elle les possédait et les dirigeait). Ils s’étaient détachés d’elle, ou elle les avait chassés. Ou bien elle s’était étouffée avec. Ou encore ils avaient éclaté, elle n’en n’avait plus que des morceaux.
Juste les mêmes thèmes : le viol, la relation à sa mère, sa difficulté à se situer dans son environnement.
Folie
175J’ai besoin de la folie des autres. Elle me fait transgresser les limites de ma pensée, de mon imaginaire. De même que parfois les autres ont besoin de ma folie.
176Et pourtant, il y ce versant si triste, cette radicale solitude : je me sens avec l’autre, mon patient, et lui se sent complètement seul là ou il est.
177Merci, Cat, de m’emmener parfois dans vos mondes étranges et poétiques. Mais parfois, j’ai envie de vous dire : « ne pourriez-vous pas être encore un peu plus déraisonnable ? »
Léger
178Mai 2001
179Elle va mal, elle souffre. Et pourtant elle ne veut pas peser sur moi. Et elle y arrive. Je me sens disponible cependant pour me charger avec elle. Mais ce n’est pas ça qui se passe. Peut-être a-t-elle besoin de me sentir légère ? Alors c’est bien comme cela, et je suis contente de passer ce moment avec elle. Je n’y peux rien, c’est ainsi. Je suis actrice dans un scénario dont je n’ai pas lu le synopsis.
180Octobre 2001
181Elle ne m’entraîne pas vers le bas, elle ne me demande pas d’être naufragée avec elle, ce qui lui convient, c’est ce qui tient, c’est ce qui est léger. Me demande-elle de la tirer vers le haut ? Non, pas de la tirer, juste d’y être, pour m’y trouver quand elle vient me rejoindre. Fréquemment, du reste. Dans ce lieu partagé qui est l’alternative à la dépression, à l’angoisse : rire, complicité, banalité.
182Juin 2003
183Elle m ‘envoie le double d’un courriel envoyé à ses parents, où elle règle ses comptes sur quatre pages.
184Chers parents,
185C’est l’appel du 18 juin et c’est la Révoltée qui a mangé du Bounty qui vous parle !
186Il y a encore des petites choses que je ne peux concevoir :
187[…]
188J’espère qu’un jour, Maman, tu pourras à ton tour faire une psychothérapie car j’en ai marre que tu traînes derrière toi et surtout derrière moi toutes ces choses que moi j’ai réussi à évacuer et que toi, tu t‘obstines à charger sur mon dos, et surtout que tu acceptes le fait que je suis guérie,[…]. C’est vrai, quand je vais chez ma psy, c’est pour parler de toi et de tes réactions. Ce n’est plus à moi d’y aller.
189[…]
Gentillesse
190Février 2003
191Elle me dit : « il (Dr Z) est si gentil »…C’est vrai, il est si gentil. La gentillesse serait-elle thérapeutique ?… c’est un terme qui n’est pas en vigueur dans notre vocabulaire de « psy » : ne pourrait-on pas le réintroduire ?
192Avril 2001
193La gentillesse de Catherine : est-ce moi qui l’accueille, ou elle qui m’accueille ? Je sens que c’est important pour elle que je sois bien. Sa sécurité, sans doute. Je me mets à penser à sa famille. Je pourrais en comprendre quelque chose. Je pourrais, mais je n’ai pas envie.
Voyages
194Quand je pars en voyage (loin, mais pas longtemps), je lui dis où je vais. Je m’arrange pour pouvoir être joignable par courriel.
Art
195L’autre jour, chez R, je rencontre un homme (il se dit artiste), dont je me dis : « quel mal-être ! ». Puis : « il doit être psychotique ». Prête à passer à autre chose. Je ne suis pas « on duty », ce soir. Mais il m’invite dans son atelier pour voir son travail. Je le suis. Je suis transportée : de l’art.
196Tiens, je pourrais voir Cat comme une œuvre d’art !
Merci
197Septembre 2001
198Merci un million (zillon en américain) de fois d’être ce que vous aide, d’aider des gens qui en ont besoin.
199A bientôt
Bébés
200Mars 2001
201Chère Sylvie, j’ai vu le Dr Z. J’ai rêvé que je tombais amoureuse et faisait l’amour et je m’apercevais que j’avais oublié de prendre la pilule ! Il m’a dit que c’était très intéressant et qu’il faudrait qu’on en reparle. Ce dont je me rappelle c’est que c’était angoissant. Ce n’est pas de faire l’amour, c’est le problème d’avoir un bébé. Je sais que si j’avais des enfants, je ne saurais pas m’en occuper.
Pensées
202Avril 2004
203Dites pleins de bonnes choses de ma part au Dr Zillhardt et surtout que je vais bien et que je pense souvent à lui… Mais dites-lui surtout que je n’ai jamais rechuté !!!
204A bientôt Sylvie et je vous enverrais sûrement un mail un de ces jours et merci encore.
Sens
205Septembre 2003
206Ce qui fait sens pour elle maintenant, c’est guérir, pour leur montrer tous, à ces psychiatres par qui elle ne s’est pas sentie respectée, qu’ils se sont trompés, qu’ils s’y sont mal pris. Faire leur procès en quelque sorte, réparer cet épisode de sa vie, à défaut d’avoir pu mettre en procès l’homme qui l’a abusée sexuellement.
207Et aussi, donner de l’espoir à d’autres malades.
Projets
208Il y en avait un, extérieur à la thérapie : dire quelque chose de cette expérience de collaboration entre un psychiatre gestaltiste hospitalier et une gestalt-thérapeute en cabinet : faire une communication à un congrès, par exemple. Comme si, au départ, dans sa proposition, le Dr Z. manifestait quelque chose d’une intuition qu’il serait d’un intérêt d’en rendre compte.
209Du point de vue de la thérapie, le Dr Z. me dit, quand il m’adresse sa patiente, qu’il espère, par la psychothérapie gestaltiste, que son état se stabilisera et qu’il pourra diminuer par la suite la dose de médicaments.
210Février 2004 : On parle de fin de thérapie. Je l’informe que l’année suivante, Dr Z. et moi aimerions faire un communication sur ce parcours à trois. Elle adhère au projet et en profite pour faire passer des messages :
211Il ne faut pas oublier qu’une dépression est avant tout une maladie de l’âme et que cela ne servira à rien de bourrer son patient de cachets…[…]
212Si le psychiatre aussi ne fait rien pour que « ça marche », ça ne marchera pas. Le Dr Z. et vous, vous avez pris le temps et vous m’avez prise comme j’étais, avec ce handicap de la parole, tout en me laissant l’exprimer …Et que ce qui m’a aidée, c’est de réaliser aussi que les sentiments ont leur place : vous avez tout à fait le droit d’être en colère (même contre votre psychothérapeute entre autre !!!) et que vous n’avez même pas à vous justifier, le fait de dire les mots même avec des mots d’enfants, ce que l’on ressent, de parler même avec des images (ce qui est et a beaucoup été mon cas). Tout est important et il est primordial de laisser « sa liberté » au patient.[…].
213Le thérapeute ne doit jamais oublier qu’il a une obligation de devoir envers son patient : s’il voit que le patient n’«accroche pas avec lui », il ne doit pas hésiter à lui dire qu’il connaît tel ou tel thérapeute qui serait mieux à même de lui convenir… Ça s’appelle du courage et aussi de la conscience professionnelle.
214… « vous aimez bien faire des cocktails » dit d’un ton ironique après une tentative de suicide n’est certainement pas la bonne solution !!! et aurait pu avoir un effet aggravant envers moi !!! Donc, Messieurs et Mesdames les médecins, prenez garde à ce que vous dites… il vaut mieux être proche de « son ou des » patients que de montrer « sa supériorité. […]
Message transmis
Sens
215A-t-on « construit » du sens. Pourquoi faudrait-il en construire ? toute son histoire est insensée, ces violences subies : le viol, le silence familial, la spirale de la psychiatrisation. Ce que nous faisons c’est mettre des mots sur cet insensé innommable, le mettre en partage, et aussi, retrouver le sens de la vie, dans une remise en route vers un quotidien supportable, et une capacité à créer autre chose que du symptôme.
Départ
216Août 2001
217Un appel téléphonique sur mon lieu de vacances. Le seul au cours de sa thérapie.
218« – Je suis gare Montparnasse, je dois rejoindre mes parents, Sylvie je suis perdue, excusez-moi de vous déranger sur votre lieu de vacances. Je ne sais plus où aller, quel train prendre, le contrôleur m’a mal renseignée… »
219Mars 2003
220Elle peut partir.
221Elle veut partir dans le Sahara. Mais elle ne peut obtenir d’aucune compagnie une assurance rapatriement.
222Elle décide de partir faire une cure de thalassothérapie.
223A son retour, le temps qui s’était figé se dissout. On est en marche vers l’avenir. Elle me fait savoir qu’elle a rencontré un homme avec lequel elle a beaucoup parlé.
224Elle n’a jamais narré les événement de sa vie. D’ailleurs, il ne s’y passait rien, dans sa vie. Un face à face avec l’angoisse, les cauchemars de la nuit, et l’effort pour aplanir les petites aspérités de son quotidien, qui lui semblaient des montagnes.
225Elle n’en dit pas plus, de cette rencontre. Mais maintenant il y a eu cet événement, et ça pousse pour aller de l’avant. Le passé se dissout dans l’avenir, tout ce qui se brasse dans le présent de nos rencontres semble enfin s’écouler.
226J’ai appris par la suite qu’ils s’étaient téléphonés tous les deux jours pendant des mois, voire plus. Merci, Catherine, de votre jardin secret. Un beau cadeau pour un psy, de ne pas avoir vue sur tout le paysage intérieur de son patient.
227Eté 2003
Catherine part en Inde. Je ne sais pas grand chose de son voyage, si ce n’est qu’il s’est bien passé.
Libre
228Et pourtant, elle devenue libre…mais ne me demandez pas comment, à moi, la thérapeute.
229Cela eut lieu.
230J’aurais aimé parler d’une personne, d’une rencontre. Je vous livre des fragments de cette rencontre. Et aussi j’ai souhaité que vous l’entendiez s’exprimer, à travers ses mots et les miens. J’aurais aimé me garder d’en donner des explications. Peut-être suis-je allée plus loin, trop loin déjà.
231Maintenant, prenez la suite. Si vous voulez y mettre de la théorie, faites-le vous-même. Ce n’est pas très difficile. Nous sommes dans un journal professionnel, c’est légitime de vouloir théoriser. Moi-même j’ai été tentée de la faire.
232S’abstenir
233S’abstenir de savoir
234S’abstenir d’expliquer
235S’abstenir de faire savoir
236Laisser à l’autre la place dont il a besoin, plus même
237Le laisser construire son sens
Mais l’aider à trouver les conditions dans lesquels il va créer du sens.
Notes
-
[1]
Penser l’homme et la folie, 1991, Millon