Couverture de CEP_072

Article de revue

« Some aspects of railroad rates » (1922) : Edward H. Chamberlin avant Harvard, l’oligopole comme un premier pas vers la concurrence monopolistique

Pages 115 à 131

Notes

  • [1]
    Nous aimerions remercier pour leurs patientes relectures plusieurs chercheurs du laboratoire TRIANGLE, parmi eux Constance André-Aigret, Joachim De Paoli, Alban Mathieu et bien évidemment Jean-Pierre Potier. Nous avons également une pensée particulière pour Nicola Giocoli et ses précieux retours. Mais bien plus encore, nous remercions très chaleureusement Mrs. Spalding pour son accueil et sa disponibilité sans qui nos recherches n’auraient jamais pu être aussi fructueuses.
  • [2]
    Doctorant à l’Université Lyon 2 sous la direction de Jean-Pierre Potier, TRIANGLE UMR 5206. Contact : thibault.guicherd@univ-lyon2.fr.
  • [3]
    J. V. Robinson [1933].
  • [4]
    Chamberlin fait référence à une idée alors (et toujours) répandue selon laquelle sa théorie est issue des cendres de la théorie d’Alfred Marshall.
  • [5]
    Cette citation, ainsi que les suivantes, sont le fruit de notre propre traduction. Nous en assumons seul les éventuelles erreurs. « Indeed, if monopolistic competition theory rose from the ashes of anything, it was twelve years earlier (1921), and the ashes were those of the Taussig-Pigou controversy as to whether “charging what the traffic will bear” in railway rates was to be explained in terms of monopolistic discrimination or in terms of joint costs. »
  • [6]
    « In 1921, as a graduate student at the University of Michigan, I took a course in Railway Transportation under Professor I. L. Sharfman, and wrote a course paper on the Taussig-Pigou controversy over railway rates. […] Meanwhile, the paper has been lost (or mislaid), but perhaps even more important than the paper is a long footnote in the thesis (1927), evidently drawn from it and indicating clearly how the conclusions there reached served as a lead to further examination of the theoretical relationship between monopoly and competition. »
  • [7]
    Issu des archives personnelles d’Edward H. Chamberlin, détenues par sa famille à Cambridge (Massachusetts, États-Unis) qui nous a aimablement autorisé sa publication. On note par ailleurs que les contributions suivantes ont pris acte de l’existence d’un tel essai et l’importance que lui donne l’auteur : Reinwald [1977], Blitch [1985], Glais [2002].
  • [8]
    Bien que Chamberlin se réfère systématiquement à l’année 1921, durant laquelle l’essai a vraisemblablement été rédigé, nous nous référerons désormais à l’année 1922 telle que figurant sur le document et qui correspond à la date de remise.
  • [9]
    Il est notamment l’auteur d’un ouvrage, The American Railroad Problem (1921).
  • [10]
    Nous entendons par « concurrence monopolistique » tant les successives éditions de The Theory of Monopolistic Competition (1933 pour la première édition, 1965 pour la huitième) que sa thèse éponyme de doctorat de 1927 dont il fut adapté. Nous incluons également son premier article « Duopoly: Values where Sellers are few » de 1929, celui-ci étant une copie quasi identique du chapitre III de son ouvrage et qui était déjà présent, sous une forme moins développée, en 1927.
  • [11]
    Chamberlin [1937 et 1950].
  • [12]
    « Economic literature affords a curious mixture, confusion and separation of the ideas of competition and monopoly ».
  • [13]
    Chamberlin [1927, p. 117 et 1933, p. 60].
  • [14]
    Initialement écrit par Richard T. Ely [1893], ce manuel a largement été augmenté grâce aux contributions de Thomas S. Adams, Max O. Lorenz et Allyn A. Young. Nous nous référons ici à la troisième édition [1920] qui fut certainement celle connue de Chamberlin.
  • [15]
    « “Dead level” of competition ».
  • [16]
    Chamberlin [1961, p. 525].
  • [17]
    Ce terme de « simple competition » semble être emprunté à la terminologie utilisée dans The Economics of Welfare d’A. C. Pigou, en l’occurrence la première édition de 1920. Il est assez difficile de définir précisément ce que recouvre ce terme. Ses attributs principaux sont donnés en pages 190-191 : il s’agit d’un état où chaque producteur, représentant une part infime de l’offre globale du marché, produit une quantité maximale étant donné le prix de marché.
  • [18]
    C’est le cas par exemple des Principles of Economics de Fred M. Taylor, professeur à l’Université du Michigan, qui assurait le cours principal du cursus économique à l’époque où Chamberlin y étudiait. F. M. Taylor aura laissé une empreinte assez forte dans la mémoire du jeune auteur [Chamberlin, 1961, p. 519].
  • [19]
    Nous faisons ici bien évidemment référence aux « joint costs ».
  • [20]
    « Exasperating slowness » [Chamberlin, 1922, p. 3].
  • [21]
    À titre critique, on peut ici remarquer que Chamberlin raisonne à partir d’une vision sinon monolithique, du moins restreinte du capital, l’assimilant dans ce deuxième cas à l’ensemble des infrastructures. On peut tout aussi bien dire que pour l’auteur, le capital ferroviaire s’assimile au terme anglais « plant ».
  • [22]
    On ne peut s’empêcher de rappeler que la même année, en septembre, donc quelques mois plus tard, paraîtra le célèbre article de J. H. Clapham [1922]. Cet auteur également attirera l’attention sur le fait que l’observation de la croissance, constance ou décroissance des coûts pour une même industrie, est largement fonction de la construction de l’ensemble des données statistiques, du laps de temps et de la définition de l’industrie retenue.
  • [23]
    Nous rappelons que l’essai de 1922 essaie de répondre à la question de la valeur dans l’industrie ferroviaire. Chamberlin s’appuie sur la controverse qui a eu lien entre Frank W. Taussig et Arthur C. Pigou à ce sujet. Les deux auteurs se sont opposés en 1912 et 1913 sur les fondements théoriques de la valeur du transport ferroviaire, le premier privilégiant une analyse en termes de coûts joints (joint costs) et le second se basant sur la discrimination monopolistique. A. C. Pigou opère par ailleurs une distinction entre coûts joints et coûts communs, reprise ici par Chamberlin.
  • [24]
    Celles-ci ne semblent par ailleurs pas imputables à Sharfman étant donné son ouvrage de 1921. Il y dépeint l’industrie ferroviaire comme naturellement monopolistique compte tenu « des caractéristiques physiques et économiques fondamentales » [Sharfman, 1921, p. 55].
  • [25]
    « The distinction between pure competition and monopolistic competition has been of service to the writer in trying to reach a judgment of the Taussig-Pigou controversy over joint-cost in the railway industry, and he suggests herewith a “compromise” solution. »
  • [26]
    « We believe with Prof. Pigou, that unequal charges for coal and copper are due to monopoly. But a very slight element of monopoly, through changing the processes of competition, will support Prof. Taussig’s conclusion. »
  • [27]
    « Prices adjustments are only one phase, and often a relatively unimportant phase of the whole competitive process. »
  • [28]
    Harrod [1930 et 1931].
  • [29]
    « The first and most obvious basis for a hybrid theory of monopoly and competition seemed to be that of numbers, with duopoly as an already recognized middle group between the two extremes; and it is a fact that the “discovery” of what later became the second of the two phases of the problem, “product differentiation”, arose in part out of trying reconcile conflicting theories of duopoly, in particular those of Cournot and of Edegworth. »
  • [30]
    E. H. Chamberlin [1929].
  • [31]
    Sous l’hypothèse que chaque concurrent ne puisse couvrir seul toute la demande par son unique offre.
  • [32]
    « If all the competitors followed suit instantly the moment any cut was made, each would gain his quota of the resulting increase in output, and no one would gain any larger proportion of his previous business than a monopoly would gain by a similar cut in prices. Thus the competitive cutting of prices would naturally stop exactly where it would if there were no competition. »
  • [33]
    « Allyn Young was of some help, although he was so busy that I actually saw very little of him. »

I – Introduction

1Dans son article « The Origin and Early Development of Monopolistic Competition » (1961), l’économiste américain Edward H. Chamberlin apporte de nombreux éléments sur la genèse de la théorie de la concurrence monopolistique. En particulier, il insiste sur les différences qui la distinguent de la théorie de la concurrence imparfaite développée outre-Atlantique par Joan V. Robinson [3]. Cette dernière théorie s’inscrivait dans le débat post-marshallien qui faisait rage à Cambridge durant les années 1920 et au début des années 1930. Même si, historiquement, la première attaque contre l’hégémonie marshallienne avait été portée en 1922 par J. H. Clapham, la controverse à laquelle l’ouvrage de Joan Robinson apporte une réponse a réellement pris racine via l’article « The Laws of Returns under Competitive Conditions » (1926), dans lequel Piero Sraffa montrait l’incompatibilité dans la théorie marshallienne entre les hypothèses de rendements décroissants et de concurrence parfaite. En revanche, Chamberlin précise bien :

2

« En effet, si la théorie de la concurrence monopolistique a émergé des cendres de quelque chose [4], c’était douze ans plus tôt (1921), et les cendres étaient celles de la controverse Taussig-Pigou à savoir si, en matière de tarifs ferroviaires, “charger ce que le trafic supportera” devait être expliqué en termes de discrimination monopolistique ou en termes de coûts joints. » [5]
[Chamberlin, 1961, p. 517]

3Toujours à propos de cette année 1921, il ajoute à peine plus loin :

4

« En 1921, en tant qu’étudiant diplômé à l’Université du Michigan, j’ai suivi un cours de Transport Ferroviaire assuré par le Professeur I. L. Sharfman, et j’ai rédigé un papier sur la controverse Taussig-Pigou à propos des tarifs ferroviaires. […]. Depuis, le papier a été perdu (ou égaré), mais peut-être plus important que ce papier, il existe une longue note de bas de page dans la thèse (1927), évidemment tirée de celle-ci et indiquant clairement comment les conclusions obtenues ont servi de guide à de plus amples examens de la relation théorique entre le monopole et la concurrence. » [6]
[ibid.]

5Cet essai de 1921 semble être pour l’auteur un premier pas déterminant vers ce qui deviendra la théorie de la concurrence monopolistique. Néanmoins, il peut paraître étonnant qu’il ait pu déjà esquisser les grandes lignes d’une telle théorie à une époque où il n’était pas encore entré à l’Université d’Harvard et n’avait pas encore été sous l’influence de son directeur de thèse, Allyn A. Young. Se posent alors toute une série de questions sur l’apport de ce dernier à cette théorie et sur l’étendue de l’originalité du jeune Chamberlin.

6Nous avons eu l’opportunité de consulter et d’étudier le tapuscrit inédit [7] comprenant quelques corrections autographes, reproduit en annexe du présent article, intitulé « Some Aspects of Railroad Rates » et daté du 8 février 1922 [8]. Il a été rédigé dans le cadre du cours « Economics 6 », autrement intitulé « Transport Ferroviaire » (Railroad Transportation), assuré par le Professeur Isaiah Leo Sharfman [9] (1886-1969), de l’Université du Michigan. Celui-ci montre en effet quelques intuitions explicites qui seront reprises et exploitées dans la théorie de la concurrence monopolistique [10]. Cependant, l’importance de ce court essai est à nuancer, surtout au sujet de l’importance que Chamberlin lui donne dans une note de bas de page de sa thèse de 1927 (reportée dans son intégralité dans l’article de 1961). La lecture de cet essai est riche en enseignements et donne une relecture intéressante de la théorie de la concurrence monopolistique, notamment sur la manière dont la littérature secondaire l’a définie, parfois en contradiction avec l’idée que Chamberlin s’en faisait. En effet, l’essai permet d’identifier des éléments qui ne sont, a priori, imputables qu’à Chamberlin, ce dernier ne travaillant pas encore avec Allyn Young. Mais cette même étude paraît sur d’autres points assez loin de ce à quoi la concurrence monopolistique ressemblera : que ce soit par son thème principal, les déterminants théoriques de la valeur dans l’industrie ferroviaire, ou par ses concepts mobilisés. Il n’est, en effet, pas encore question de différenciation du produit, de groupe large, de coûts de vente, autant d’éléments constitutifs de cette théorie.

7Nous allons dans cet article tenter d’identifier quelles idées déjà présentes en 1922 ont pu guider Chamberlin dans l’élaboration de sa théorie de la concurrence monopolistique. Ce faisant, nous essaierons également de voir à quel point Chamberlin a éventuellement réinterprété ou redéfini sa théorie afin de montrer d’une part une continuité depuis cet essai jusqu’à la première édition de son livre en 1933 et d’autre part de se démarquer des influences qui ont orienté l’œuvre de Joan V. Robinson, The Economics of Imperfect Competition, à laquelle il est souvent associé malgré ses propres réserves [11].

8Pour ce faire, nous diviserons notre exposé en deux temps majeurs. Une première section (II) s’attardera sur les éléments explicites qui peuvent laisser présager la concurrence monopolistique telle qu’on peut la trouver usuellement. Il s’agit surtout d’idées qui s’appliquent à déconstruire la dichotomie présente dans la théorie de la valeur marshallienne entre le cas de concurrence parfaite et celui de monopole. Une seconde section (III) se concentrera sur des éléments ayant plus trait à la théorie de l’oligopole de Chamberlin. L’intégration de celle-ci dans la théorie de la concurrence monopolistique est moins évidente, même si l’auteur a insisté sur son aspect fondamental.

II – Les prémices de la concurrence monopolistique

9Que ce soit dans sa thèse de doctorat de 1927 ou dans la première édition de son ouvrage de 1933, E. H. Chamberlin part du même constat sur les insuffisances théoriques de son époque : « La littérature économique se permet un étrange mélange, une confusion et séparation entre les idées de concurrence et de monopole » [12] [Chamberlin, 1927, p. 1 et 1933, p. 3]. La théorie de la concurrence monopolistique se veut une réponse à cette insatisfaisante dichotomie en présentant chaque firme comme étant en situation de monopole partiel grâce à son produit différencié. Cette propension qu’ont les firmes à s’extraire de la concurrence parfaite par l’hétérogénéisation du bien considéré est inspirée, dixit Chamberlin lui-même [13], par Allyn Young dans l’ouvrage Outlines of Economics[14]. Ce dernier laisse entendre que la production de brevets et de marques est issue d’une incitation générée par la concurrence elle-même, poussant un entrepreneur à s’extraire du « “niveau mort” de la concurrence » [15] [Ely, 1920, p. 196]. Cette inspiration est par ailleurs rappelée dans son article de 1961 [16].

10Cependant, les déterminants théoriques fondant la dichotomie entre concurrence et monopole semblaient, dès 1921, sujets à caution aux yeux de Chamberlin. Comme on peut le lire sur la page de couverture de cet essai dactylographié, il s’agit d’un mémoire rédigé dans le cadre du cours « Economics 6 » dispensé par le Pr. Sharfman, portant sur l’analyse économique des transports ferroviaires. Le gouvernement devant réguler cette industrie, sujette selon la théorie économique à la monopolisation, il apparaît nécessaire de déterminer quels seraient les prix appliqués par une compagnie de chemin de fer qui évoluerait en « concurrence simple » [17]. Chamberlin doit donc examiner en quoi l’industrie ferroviaire diffère des autres industries dites normales ou concurrentielles.

11Dans la plupart des manuels d’économie alors en vigueur [18], les chemins de fer « tombent dans une classe distincte, par exemple, qu’ils sont “naturellement monopolistiques” alors que les autres industries sont naturellement concurrentielles » [Chamberlin, 1922, p. 1]. Cette distinction de nature s’appuie sur quelques différences fondamentales, dont la nature des coûts, selon qu’ils soient croissants ou décroissants.

12Afin d’appréhender au mieux les forces qui régissent la détermination des tarifs des chemins de fer, Chamberlin va entreprendre un examen des éléments qui peuvent définir cette industrie a priori monopolistique. L’auteur comprend alors très vite que ceux-ci ne diffèrent pas des autres industries (sous-entendues les industries concurrentielles) du point de vue de leur type, mais du point de vue de leur degré d’intensité ; ces éléments se retrouvent d’une industrie à l’autre, mais sont plus ou moins présents ou agissants. Parmi ces éléments, Chamberlin va examiner 1) la mobilité du capital, 2) la tendance des coûts à être décroissants, et 3) la nature jointe des coûts [19].

13Concernant la mobilité du capital, l’auteur accepte l’idée selon laquelle on peut observer une lenteur toute particulière [20] dans l’industrie ferroviaire, mais en aucun cas une immobilité qui déterminerait un monopole absolu. Toute industrie évolue sous une certaine contrainte de mobilité du capital [21]. Celle-ci varie de l’une à l’autre et est affaire de degré. « Le capital une fois investi dans une industrie donnée ne peut être transféré vers aucune autre sans de sérieuses conséquences qui rejailliront sur l’entrepreneur concerné par ce mauvais jugement » [ibid., p. 4]. Aussi, « le capital est de manière générale moins mobile dans l’industrie des chemins de fer que dans les autres, mais cela ne constitue pas une différence fondamentale entre elles » [ibid., p. 5].

14Chamberlin analyse ensuite la tendance aux coûts décroissants. D’après lui, il faut nuancer le fait communément admis selon lequel l’industrie de transport ferroviaire évoluerait suivant une décroissance des coûts. Toute industrie passerait en fait d’une période de coûts croissants (phase extensive) à des coûts décroissants (phase intensive). Généralement, il est difficile de conclure à une diminution globale des coûts sur les réseaux, les voies les moins rentables, voire déficitaires, pouvant être compensées par des voies très utilisées, aux frais généraux largement ou plus qu’amortis. Aussi, de son point de vue, Chamberlin conjecture : « Les extensions survenant à différents moments et sur des lignes différentes devraient maintenir le ratio des coûts par rapport aux volumes de trafic comparativement constant » [ibid., p. 7] [22]. Enfin, l’auteur opère une distinction entre les conditions « normales », où l’on n’observe pas de fluctuations appréciables de la demande et des conditions plus particulières, où des variations de demande importantes permettent des tendances plus franches des coûts unitaires (moyens) à être décroissants ou croissants : « Les légères fluctuations par rapport aux conditions “normales” dans toute industrie feront que l’industrie devra opérer à un coût plus que proportionnel que dans les conditions “normales”, où, vraisemblablement, la plus grande efficience prévaut » [ibid., p. 8].

15Troisième et dernier élément apparemment distinctif des industries naturellement monopolistiques : l’existence de coûts joints. Chamberlin les définit comme suit : « coûts qui sont nécessaires à la production de deux ou plus de deux marchandises qui doivent inévitablement être produites dans des proportions fixes » [ibid., p. 10]. S’appuyant sur cette définition, il rejette aussitôt la nature jointe des coûts, car « un grand pourcentage des coûts totaux sont communs à plusieurs marchandises transportées, mais un train de wagons peut être composé de biens transportés dans n’importe quelles proportions » [ibid.]. Dans une certaine mesure, Chamberlin adopte le point de vue d’A. C. Pigou [23] et reprend même sa nouvelle terminologie qui distingue les coûts communs, « coûts qui sont encourus pour le trafic dans sa totalité » [ibid.] des coûts spécifiques, « qui peuvent être alloués » [ibid.]. Encore une fois, tout est une question de degré : certains coûts sont clairement du premier type, d’autres du second. Entre ces deux extrémités prennent place des coûts « à la fois communs et spécifiques » [ibid., p. 11]. Cette distinction sera utile à Chamberlin afin de disserter sur la nature et la détermination des tarifs de chemin de fer, mais elle n’a pas grand intérêt en l’occurrence. En revanche, une phrase retient particulièrement notre attention : « Les coûts communs ne sont pas spécifiques à l’industrie ferroviaire, mais peuvent être trouvés dans toutes les industries et sont habituellement désignés comme “généraux” » [ibid.]. La seule spécificité de l’industrie des chemins de fer est qu’elle comprend dans ses coûts une part substantielle de frais généraux.

16Après l’examen de ces trois éléments, Chamberlin peut aboutir à une conclusion finalement intéressante : « Les chemins de fer ne sont pas une industrie sui generis » [ibid.]. Dès 1922, il s’émancipe de la dichotomie entre concurrence et monopole ; dans un cas plutôt particulier, il est vrai. Mais en reprenant le fil logique et le fond même de son argumentaire, rien ne distingue l’industrie ferroviaire des autres industries, sinon des éléments plus ou moins présents, plus ou moins déterminants. Son but étant de trouver les déterminants des tarifs appliqués, cet argumentaire était surtout là pour sortir du cadre purement monopolistique des chemins de fer et réfléchir avec « les mêmes lois qui gouvernent les valeurs des biens produits en général » [ibid., pp. 11-12].

17Nous avons dans cet essai l’idée explicite selon laquelle les déterminants théoriques d’un monopole ne lui sont pas exclusifs. Ils sont également présents dans une situation concurrentielle, à moindre échelle, et occultés par d’autres déterminants. Autant ces quelques intuitions [24] préfigurent assez clairement une direction vers une théorie conciliant concurrence et monopole, autant une filiation directe avec la concurrence monopolistique en tant que telle est largement à nuancer. Premièrement, Chamberlin use largement du concept d’industrie qu’il s’efforcera par la suite d’écarter de sa théorie : une industrie se définissant par un bien homogène, il ne peut la concilier avec sa notion fondamentale de différenciation du produit. Deuxièmement, loin de considérer que chaque firme doit être analysée comme un monopole partiel, il semble préférer pour le moment une simple récusation du monopole comme cas absolument distinct de la concurrence parfaite. Troisièmement, et contrairement à ce que Chamberlin avance en 1927 (et tel qu’il le reprend en 1961), ses notions de concurrence pure et de concurrence parfaite sont absolument absentes de cet essai.

18Pourtant, l’auteur affirme, en 1927, dans une note de bas de page (pp. 193-195, mais intégralement recopiée dans son article de 1961) : « La distinction entre concurrence pure et concurrence monopolistique a rendu service à l’auteur lorsqu’il essayait d’arriver à un jugement sur la controverse Taussig-Pigou sur les coûts joints dans l’industrie des chemins de fer, et il suggère ici une solution de “compromis” » [25] [Chamberlin, 1961, p. 517]. Dans cette note, Chamberlin est assez vague sur la manière qui lui a permis de parvenir à certaines de ses futures conclusions. On retient deux phrases qui se glissent après un résumé très succinct des positions qui s’affrontent dans cette controverse : « Nous croyons comme le Professeur Pigou, que les charges inégales pour le charbon et le cuivre sont dues au monopole. Mais un très léger élément de monopole, en faisant évoluer les processus de concurrence, va soutenir la conclusion du Professeur Taussig » [26] [ibid., p. 518]. En effet, pour Taussig, les différences de tarifs appliquées dans les chemins de fer s’expliquent par les coûts joints et par la différenciation des marchandises par leur fonction de demande. Pigou s’appuie, quant à lui, sur la discrimination monopolistique. Chamberlin formule donc une troisième voie où les producteurs ne vont pas avoir tendance à baisser leurs prix et à les différencier, même en concurrence, pour peu qu’une discrimination soit possible par un élément monopolistique.

19Pour cela, Chamberlin doit reformuler les notions de concurrence et forge la « concurrence pure » d’une part, et la « concurrence parfaite » d’autre part, pour s’émanciper de la « concurrence simple » en opposition avec le monopole, comme le font Taussig et Pigou. Rappelons que la « concurrence pure » est la situation exempte d’éléments de monopole (typiquement : lorsqu’on a un bien homogène, un grand nombre de concurrents dont aucun n’a de poids appréciable sur le marché), tandis que la « concurrence parfaite » est une série d’hypothèses structurelles qui agissent sur le fonctionnement du marché (temps d’ajustement, information plus ou moins complète…). Ainsi, selon Chamberlin, on peut avoir une concurrence pure imparfaite, où un marché est divisé entre plusieurs concurrents, sans oligopole, mais où de fait les transactions peuvent prendre du temps et des déséquilibres momentanés surviennent.

20Alors que cette distinction est fondamentale en 1927, elle est totalement absente de l’essai de 1922 et elle est très loin de guider Chamberlin dans son exposé. Son utilisation de la « concurrence parfaite » [Chamberlin, 1922, pp. 21-22] souffre de l’amalgame entre concurrence pure (il n’existe a priori pas d’éléments monopolistiques comme une absence d’atomicité, une hétérogénéité du produit, tout élément assurant à l’entreprise individuelle un contrôle sur l’offre) et concurrence parfaite (absence de frictions, parfaite mobilité des facteurs, information parfaite). Manifestement, cette distinction s’est forgée après la rédaction de cet essai.

21Encore une fois, les intuitions effectivement présentes en 1922, à elles seules, nous paraissent insuffisantes pour avancer ne serait-ce que l’embryon de la concurrence monopolistique. En effet, quid du groupe large, de la différenciation du produit, des coûts de vente ? Nous laissons volontairement d’autres éléments constitutifs de la concurrence monopolistique de côté comme la condition d’équilibre du groupe large (la tangence entre courbe de demande et courbe de coûts moyens) ou celle d’équilibre de la firme individuelle (où les revenus marginaux sont égaux aux coûts marginaux). Concernant le premier, il est bien présent dès 1927 [Chamberlin, 1927, pp. 202-204], mais, comme Chamberlin le souligne, « les ajustements de prix ne sont qu’une phase, et souvent relativement non importante, du processus concurrentiel dans son ensemble » [27] [ibid., p. 164]. Quant au deuxième, et comme le remarque T. Reinwald [1977], la courbe de revenu marginal est totalement absente de la thèse de 1927 et ne sera ajoutée qu’à la première édition du livre en 1933, rendant crédit au passage à Roy F. Harrod qui l’aura développée entre temps [28]. Bien que ces deux éléments prendront par la suite une place centrale dans les théories microéconomiques de la firme, il ne s’agissait pas des voies théoriques initialement empruntées par Chamberlin. Comme il le précise en 1961 :

22

« La première et la plus évidente base pour une théorie hybride du monopole et de la concurrence semblait être celle du nombre de concurrents, avec le duopole d’ores et déjà reconnu comme un groupe intermédiaire entre ces deux extrêmes ; et c’est un fait que la “découverte” de ce qui deviendra plus tard la seconde des deux phases du problème, la “différenciation du produit”, a émergé en partie de la tentative de réconciliation des différentes théories du duopole, en particulier celles de Cournot et d’Edgeworth. » [29]
[Chamberlin, 1961, p. 520]

23Concernant la différenciation du produit, il n’en existe aucune trace en 1922 et le crédit revient largement à Allyn Young. Reste à explorer la question du duopole et de l’oligopole dont certaines intuitions apparaissent déjà clairement.

III – L’oligopole aux fondements de la concurrence monopolistique

24La page de couverture de l’essai étudié est paraphée d’un « This was the beginning of mon. comp. ». Cette inscription a été écrite de la main mal assurée et déjà partiellement paralysée d’un Chamberlin victime d’un accident cardiaque. Lorsque l’auteur qualifie cet essai de « début » de la concurrence monopolistique, il le fait sûrement après la rédaction de son article de 1961, ayant retrouvé plus tard le document. Si l’on suit Chamberlin à la lettre, la concurrence monopolistique est issue d’un processus intellectuel cherchant à concilier les théories du duopole, l’amenant ensuite à la différenciation du produit.

25Après l’exposé des trois axes vu précédemment, Chamberlin passe à la deuxième partie de son essai où il tente de répondre à la question qu’il se pose : « Quels principes gouvernent la valeur des services ferroviaires ? » [ibid., p. 12]. Nous ne rentrerons pas dans les détails sur les tarifs à proprement parler. Notre attention sera attirée par les arguments, parfois assez péremptoires, invoqués pour justifier ses conclusions. On y trouvera de manière assez explicite des prémices à ce qui s’incarnera plus tard dans sa théorie de l’oligopole.

26Concernant l’importance des coûts décroissants, Chamberlin reprend sa distinction entre conditions normales et, pourrait-on dire, anormales. Dans le dernier cas, des variations de demande plus fortes peuvent être observées. Les réactions en termes de quantités produites sur l’industrie permettent alors à de tels coûts d’influencer les prix, la quantité proposée et éventuellement une concurrence dite « à couteaux tirés » (cut-throat competition). Premièrement, Chamberlin nuance cette dernière conclusion : « Bien évidemment la concurrence à couteaux tirés est par essence irrationnelle ; personne ne regardant plus loin que le futur immédiat n’initierait une telle politique dans aucune industrie » [ibid., p. 13]. Cette affirmation fait référence à une certaine clairvoyance des concurrents qui, plutôt que de se lancer dans une guerre des prix sinon suicidaire, pour le moins sous-optimale, préféreraient se partager le marché au prix de monopole. De plus, et cela encore une fois préfigure ses futures réflexions sur le duopole et la concurrence de manière générale : « Même si deux marchandises aux coûts spécifiques égaux donnent différents prix, les entrepreneurs n’amèneront pas les prix à égalité, même en concurrence simple si l’effet est de diminuer leurs profits totaux » [ibid., p. 20]. La clairvoyance et la rationalité des concurrents vont les désinciter à baisser leurs prix. Cette approche sera à la base du développement de la future théorie de Chamberlin. Déjà dans sa thèse de 1927, il réinterprète les équilibres de Cournot et l’oscillation d’Edgeworth pour soutenir la tendance des concurrents en oligopole à ne pas baisser leur prix, à maintenir celui de monopole afin de s’assurer le plus haut profit possible, quitte à se partager entre eux la quantité de monopole leur permettant d’appliquer ce prix. Cela sera repris dans sa première publication dans le Quarterly Journal of Economics[30] et dans le troisième chapitre de The Theory of Monopolistic Competition [1933]. On note enfin que, dans son article de 1961, Chamberlin lui-même insiste sur l’importance de cet argument fondateur pour la formulation de sa théorie. Outre cet indice intéressant, un passage de l’essai de 1922, que l’on se doit de retranscrire pleinement, confirme cette intuition :

27

« Les forces les plus immédiates œuvrant à n’importe quel moment seraient, comme dans les autres industries, celles de la valeur de monopole. Soit en période de demande ralentie, soit de demande en excès de l’output possible, les prix fixés par la libre concurrence d’hommes rationnels seraient identiques avec ceux qui résulteraient d’une coopération consciente – ceux qui rapporteront le plus grand rendement net à l’industrie tout entière. »
[ibid., p. 13, nos italiques]

28Ici, Chamberlin met clairement en parallèle le fait que, dans toute industrie, la première force déterminante est celle du monopole. Autrement dit, la tendance et la volonté à la monopolisation d’une industrie par ses concurrents (afin de s’assurer un profit maximal) dominent l’autre tendance, à savoir rentrer en concurrence directe les uns avec les autres en attaquant les marchés de ses vis-à-vis par une guerre des prix, par exemple. Il explique ensuite que la clairvoyance des concurrents les pousserait plutôt à partager le marché, comme expliqué plus haut. Même si, pour le moment, l’auteur n’apporte que peu de justifications techniques (il le fera plus tard via le duopole), on voit clairement l’idée qu’il a en tête : la maximisation du profit ne mène pas nécessairement à une situation concurrentielle où les prix tombent au plus bas possible ; au contraire, elle aurait même plutôt tendance à les élever au niveau du monopole. D’où la conclusion sur laquelle il construira son chapitre sur le duopole, dès 1927 :

29

« Le prix fixé de manière indépendante en concurrence rationnelle serait exactement le même que le prix fixé par accord délibéré – le prix qui assurerait le plus grand rendement net pour les deux pris ensemble. Cela s’explique par le fait que toute réduction de ce prix par une partie amènerait nécessairement la même réduction de la part de l’autre et par conséquent une baisse des gains de chacun. »
[ibid., p. 15]

30Selon Chamberlin [1922], il n’y a pas, de manière générale, d’incitation à la baisse des prix par la concurrence. Dès 1927, il nuancera ce point de vue et le fera d’autant plus en 1929 dans son article. Il trouvera des éléments d’incitations à la baisse, tels que l’incertitude quant à la clairvoyance de ses concurrents, le nombre croissant de ceux-ci (qui augmente cette incertitude) ou encore la manière dont le marché est structuré (c’est-à-dire à quel point les firmes ont un poids appréciable sur le marché pour l’influencer, si elles ont une dimension de faiseuses de prix). Mais il restera sur le cas général où en oligopole, même avec un bien homogène, le prix sera celui de monopole [31]. Bien qu’aucune référence, note de bas de page ou bibliographie ne ponctue l’essai de 1922 (sinon Economics of Welfare de Pigou et sa controverse avec Taussig), il est impossible de dire avec certitude d’où il a pu tirer cette idée. Même si l’on peut trouver une certaine correspondance avec l’idée d’A. Young selon laquelle la concurrence génère les situations de monopole, Chamberlin semble aller plus loin en introduisant l’idée que les concurrents ne se confrontent même pas à une situation concurrentielle. Ils seraient capables, par anticipation, de choisir une stratégie optimale à l’instar d’un jeu. Plus tard, la thèse de 1927 lui fera citer l’ouvrage de J. M. Clark, Studies in the Economics of Overhead Costs [1923], où l’auteur avance l’argument suivant :

31

« Si tous les concurrents suivaient instantanément le moment où toute réduction serait appliquée, chacun gagnerait son quota de l’accroissement d’output qui en résulterait, et aucun ne gagnerait de part de marché plus grande que précédemment, par rapport à ce qu’un monopole gagnerait par une coupe similaire dans ses prix. Aussi la baisse concurrentielle des prix s’arrêterait exactement là où elle le ferait s’il n’y avait pas de concurrence. » [32]
[Clark, 1923, p. 417]

32En l’occurrence, la citation de Clark qui est présentée dans la thèse de 1927, dans son article de 1929 et évidemment dès la première édition de The Theory of Monopolistic Competition [1933] apparaît finalement à la lecture de l’essai de 1922 postérieure à la formulation de notre jeune auteur.

33Notons encore que cette idée préfigure également celle d’Allyn A. Young dans le compte rendu qu’il fera en 1925 de l’ouvrage d’Arthur Bowley The Mathematical Groundwork of Economics où le futur directeur de thèse de Chamberlin avance l’idée selon laquelle, sous hypothèse de rationalité et de clairvoyance des concurrents, l’équilibre dans la situation exposée par Cournot sera celui de monopole où les deux compétiteurs se partageront la quantité de monopole, sans collusion ou alliance formelle. Sans aucun doute cette formalisation guidera et confirmera Chamberlin dans son idée première et l’aidera à l’appliquer au duopole d’Edgeworth.

IV – Conclusion

34L’essai de 1922 peut à certains égards apparaître comme le premier pas de Chamberlin vers la théorie de la concurrence monopolistique. À condition toutefois que cette théorie soit largement redéfinie. À suivre l’auteur, sa théorie est issue d’une tentative de réconciliation de théories du duopole. La réponse qu’il en a tirée, à savoir la tendance qu’ont les concurrents à appliquer tant qu’ils le peuvent un prix de monopole plutôt que concurrentiel, l’a poussé à envisager le cas où ces mêmes concurrents, ne pouvant pas jouir de situation monopolistique, la généraient via la différenciation de leur produit. Dès lors, il peut en déduire des conditions d’équilibre du groupe large (la notion d’industrie définie par un bien homogène étant caduque) et de la firme individuelle. Dans tous les cas, l’accent est mis sur l’analyse du processus concurrentiel, suivant les différentes possibilités qui s’offrent aux concurrents, et leurs conditions. À présenter la théorie comme cela, l’essai de 1922 se pose comme témoin des premières intuitions qu’a pu formuler Chamberlin dans ce sens.

35Néanmoins, cela demande une large réinterprétation de la théorie telle qu’elle peut être habituellement présentée : où l’accent est mis sur la solution de tangence entre courbes de coût et de revenu moyen ou encore sur les coûts de vente. Et cela passe également par une certaine réécriture de la théorie a posteriori par Chamberlin. Il pose l’essai de 1922 comme terreau sur lequel ont germé les notions de concurrence pure et parfaite alors que celles-ci en sont manifestement absentes.

36Quoi qu’il en soit, l’existence de cet essai et le fait que l’auteur le place comme un premier pas vers sa future théorie nous permettent une certaine relecture de celle-ci, dont la pertinence peut prêter à discussion. Surtout, elle nous en apprend beaucoup sur le rôle d’Allyn A. Young sur la genèse de la théorie de la concurrence monopolistique. Autant l’idée de différenciation du produit comme tendance des entrepreneurs à s’extraire de la concurrence semble établie et explicite, autant son apport sur la théorie du duopole et de l’oligopole peut être ramené à une formalisation d’une intuition déjà claire dans l’esprit du jeune Chamberlin. De manière générale, sans nier en bloc son importance et contrairement à ce que Charles P. Blitch avance [Blitch, 1985 et Blitch, 1995, pp. 118-119], A. Young n’a pas été si présent pour Chamberlin, comme ce dernier le confiera dans une lettre à un étudiant de l’Université de Saint-Louis, Norman Wilson : « Allyn Young fut d’une certaine aide, quand bien même il était si occupé que je ne l’ai en fait que très peu vu » [33] [Chamberlin à Wilson, 20 février 1950 in Personal Papers]. Cela n’enlève rien à l’apport intellectuel à proprement parler que Chamberlin a pu tirer de l’œuvre ou de ses rares échanges avec Young. Mais cela fonde encore un peu plus la qualification par Paul Samuelson de Chamberlin comme un « loup solitaire » [Samuelson, 1967, p. 106]. Sa théorie de la concurrence monopolistique serait finalement le fruit d’intuitions personnelles dont les formalisations, que cela soit la solution d’A. Young en duopole ou l’utilisation de revenus marginaux par Roy F. Harrod, ont opportunément été intégrées au fur et mesure de ses recherches et du développement des théories de ses contemporains.

References

  • Blitch Charles [1985], « The Genesis of Chamberlinian Monopolistic Competition Theory: Addendum, with a Comment by Thomas P. Reinwald », History of Political Economy, vol. 17, n° 3, pp. 395-402.
  • Blitch Charles [1995], Allyn Young: the peripatetic economist, Basingstoke, New York: Macmillan Press, St. Martin’s Press.
  • Bowley Arthur L. [1924], The Mathematical Groundwork of Economics: an Introductory Treatise, Oxford: Clarendon Press.
  • Chamberlin Edward H. [1922], « Some aspects of railroad rates », in Edward H. Chamberlin, Personal Papers, Cambridge, Mass.
  • Chamberlin Edward H. [1927], The Theory of Monopolistic Competition, Harvard University Thesis.
  • Chamberlin Edward H. [1929], « Duopoly: Value Where Sellers are Few », The Quarterly Journal of Economics, vol. 44, n° 1, pp. 63-100.
  • Chamberlin Edward H. [1933], The Theory of Monopolistic Competition, Cambridge, Mass.: Harvard University Press.
  • Chamberlin Edward H. [1937], « Monopolistic or Imperfect Competition? », The Quarterly Journal of Economics, vol. 51, n° 4, pp. 557-580.
  • Chamberlin Edward H. [1950], « Product Heterogeneity and Public Policy », American Economic Review, vol. 40, n° 2, pp. 85-92.
  • Chamberlin Edward H. [1961], « The Origin and Early Development of Monopolistic Competition Theory », The Quarterly Journal of Economics, vol. 75, n° 4, pp. 515-543.
  • Chamberlin Edward H., Personal Papers, Cambridge, Mass.
  • Clapham J. H. [1922], « Of Empty Economic Boxes », The Economic Journal, vol. 32, n° 127, pp. 305-314.
  • Clark John M. [1923], Studies in the Economics of Overhead Costs, Chicago, IL: University of Chicago Press.
  • Ely Richard T., Adams Thomas S., Lorenz Max O., Young Allyn A. [1920], Outlines of economics, New York: Macmillan.
  • Glais Michel [2002], « Chamberlin Edward H. The Theory of Monopolistic Competition », in Dictionnaire des grandes œuvres économiques (pp. 81-89). Paris : Dalloz.
  • Harrod Roy F. [1930], « Notes on Supply », The Economic Journal, vol. 40, n° 158, pp. 232-241.
  • Harrod Roy F. [1931], « The Law of Decreasing Costs », The Economic Journal, vol. 41, n° 164, pp. 566-576.
  • Pigou Arthur C. [1920], Economics of Welfare, London: Macmillan.
  • Reinwald Thomas P. [1977], « The Genesis of Chamberlinian Monopolistic Competition Theory », History of Political Economy, vol. 9, n° 4, pp. 522-534.
  • Robinson Joan V. [1933], The Economics of Imperfect Competition, London: Macmillan.
  • Samuelson Paul A. [1967], « The Monopolistic Competition Revolution », in Robert E. Kuenne (ed.)., Monopolistic Competition Theory: Studies in Impact (pp. 105-138). New York, London, Sydney: Wiley and Sons.
  • Sharfman I. Leo [1921], The American Railroad Problem, New York: The Century.
  • Sraffa Piero [1926], « The Laws of Returns under Competitive Conditions », The Economic Journal, vol. 36, n° 144, pp. 535-550.
  • Taylor Fred M. [1921], Principles of Economics, New York: Ronald Press.
  • Young Allyn A. [1925], « Review of The Mathematical Groundwork of Economics by A. L. Bowley », Journal of the American Statistical Association, vol. 20, n° 149, pp. 133-135.

Mots-clés éditeurs : Edward Chamberlin, duopole, concurrence monopolistique, Allyn Young, oligopole

Date de mise en ligne : 11/07/2017

https://doi.org/10.3917/cep.072.0115

Notes

  • [1]
    Nous aimerions remercier pour leurs patientes relectures plusieurs chercheurs du laboratoire TRIANGLE, parmi eux Constance André-Aigret, Joachim De Paoli, Alban Mathieu et bien évidemment Jean-Pierre Potier. Nous avons également une pensée particulière pour Nicola Giocoli et ses précieux retours. Mais bien plus encore, nous remercions très chaleureusement Mrs. Spalding pour son accueil et sa disponibilité sans qui nos recherches n’auraient jamais pu être aussi fructueuses.
  • [2]
    Doctorant à l’Université Lyon 2 sous la direction de Jean-Pierre Potier, TRIANGLE UMR 5206. Contact : thibault.guicherd@univ-lyon2.fr.
  • [3]
    J. V. Robinson [1933].
  • [4]
    Chamberlin fait référence à une idée alors (et toujours) répandue selon laquelle sa théorie est issue des cendres de la théorie d’Alfred Marshall.
  • [5]
    Cette citation, ainsi que les suivantes, sont le fruit de notre propre traduction. Nous en assumons seul les éventuelles erreurs. « Indeed, if monopolistic competition theory rose from the ashes of anything, it was twelve years earlier (1921), and the ashes were those of the Taussig-Pigou controversy as to whether “charging what the traffic will bear” in railway rates was to be explained in terms of monopolistic discrimination or in terms of joint costs. »
  • [6]
    « In 1921, as a graduate student at the University of Michigan, I took a course in Railway Transportation under Professor I. L. Sharfman, and wrote a course paper on the Taussig-Pigou controversy over railway rates. […] Meanwhile, the paper has been lost (or mislaid), but perhaps even more important than the paper is a long footnote in the thesis (1927), evidently drawn from it and indicating clearly how the conclusions there reached served as a lead to further examination of the theoretical relationship between monopoly and competition. »
  • [7]
    Issu des archives personnelles d’Edward H. Chamberlin, détenues par sa famille à Cambridge (Massachusetts, États-Unis) qui nous a aimablement autorisé sa publication. On note par ailleurs que les contributions suivantes ont pris acte de l’existence d’un tel essai et l’importance que lui donne l’auteur : Reinwald [1977], Blitch [1985], Glais [2002].
  • [8]
    Bien que Chamberlin se réfère systématiquement à l’année 1921, durant laquelle l’essai a vraisemblablement été rédigé, nous nous référerons désormais à l’année 1922 telle que figurant sur le document et qui correspond à la date de remise.
  • [9]
    Il est notamment l’auteur d’un ouvrage, The American Railroad Problem (1921).
  • [10]
    Nous entendons par « concurrence monopolistique » tant les successives éditions de The Theory of Monopolistic Competition (1933 pour la première édition, 1965 pour la huitième) que sa thèse éponyme de doctorat de 1927 dont il fut adapté. Nous incluons également son premier article « Duopoly: Values where Sellers are few » de 1929, celui-ci étant une copie quasi identique du chapitre III de son ouvrage et qui était déjà présent, sous une forme moins développée, en 1927.
  • [11]
    Chamberlin [1937 et 1950].
  • [12]
    « Economic literature affords a curious mixture, confusion and separation of the ideas of competition and monopoly ».
  • [13]
    Chamberlin [1927, p. 117 et 1933, p. 60].
  • [14]
    Initialement écrit par Richard T. Ely [1893], ce manuel a largement été augmenté grâce aux contributions de Thomas S. Adams, Max O. Lorenz et Allyn A. Young. Nous nous référons ici à la troisième édition [1920] qui fut certainement celle connue de Chamberlin.
  • [15]
    « “Dead level” of competition ».
  • [16]
    Chamberlin [1961, p. 525].
  • [17]
    Ce terme de « simple competition » semble être emprunté à la terminologie utilisée dans The Economics of Welfare d’A. C. Pigou, en l’occurrence la première édition de 1920. Il est assez difficile de définir précisément ce que recouvre ce terme. Ses attributs principaux sont donnés en pages 190-191 : il s’agit d’un état où chaque producteur, représentant une part infime de l’offre globale du marché, produit une quantité maximale étant donné le prix de marché.
  • [18]
    C’est le cas par exemple des Principles of Economics de Fred M. Taylor, professeur à l’Université du Michigan, qui assurait le cours principal du cursus économique à l’époque où Chamberlin y étudiait. F. M. Taylor aura laissé une empreinte assez forte dans la mémoire du jeune auteur [Chamberlin, 1961, p. 519].
  • [19]
    Nous faisons ici bien évidemment référence aux « joint costs ».
  • [20]
    « Exasperating slowness » [Chamberlin, 1922, p. 3].
  • [21]
    À titre critique, on peut ici remarquer que Chamberlin raisonne à partir d’une vision sinon monolithique, du moins restreinte du capital, l’assimilant dans ce deuxième cas à l’ensemble des infrastructures. On peut tout aussi bien dire que pour l’auteur, le capital ferroviaire s’assimile au terme anglais « plant ».
  • [22]
    On ne peut s’empêcher de rappeler que la même année, en septembre, donc quelques mois plus tard, paraîtra le célèbre article de J. H. Clapham [1922]. Cet auteur également attirera l’attention sur le fait que l’observation de la croissance, constance ou décroissance des coûts pour une même industrie, est largement fonction de la construction de l’ensemble des données statistiques, du laps de temps et de la définition de l’industrie retenue.
  • [23]
    Nous rappelons que l’essai de 1922 essaie de répondre à la question de la valeur dans l’industrie ferroviaire. Chamberlin s’appuie sur la controverse qui a eu lien entre Frank W. Taussig et Arthur C. Pigou à ce sujet. Les deux auteurs se sont opposés en 1912 et 1913 sur les fondements théoriques de la valeur du transport ferroviaire, le premier privilégiant une analyse en termes de coûts joints (joint costs) et le second se basant sur la discrimination monopolistique. A. C. Pigou opère par ailleurs une distinction entre coûts joints et coûts communs, reprise ici par Chamberlin.
  • [24]
    Celles-ci ne semblent par ailleurs pas imputables à Sharfman étant donné son ouvrage de 1921. Il y dépeint l’industrie ferroviaire comme naturellement monopolistique compte tenu « des caractéristiques physiques et économiques fondamentales » [Sharfman, 1921, p. 55].
  • [25]
    « The distinction between pure competition and monopolistic competition has been of service to the writer in trying to reach a judgment of the Taussig-Pigou controversy over joint-cost in the railway industry, and he suggests herewith a “compromise” solution. »
  • [26]
    « We believe with Prof. Pigou, that unequal charges for coal and copper are due to monopoly. But a very slight element of monopoly, through changing the processes of competition, will support Prof. Taussig’s conclusion. »
  • [27]
    « Prices adjustments are only one phase, and often a relatively unimportant phase of the whole competitive process. »
  • [28]
    Harrod [1930 et 1931].
  • [29]
    « The first and most obvious basis for a hybrid theory of monopoly and competition seemed to be that of numbers, with duopoly as an already recognized middle group between the two extremes; and it is a fact that the “discovery” of what later became the second of the two phases of the problem, “product differentiation”, arose in part out of trying reconcile conflicting theories of duopoly, in particular those of Cournot and of Edegworth. »
  • [30]
    E. H. Chamberlin [1929].
  • [31]
    Sous l’hypothèse que chaque concurrent ne puisse couvrir seul toute la demande par son unique offre.
  • [32]
    « If all the competitors followed suit instantly the moment any cut was made, each would gain his quota of the resulting increase in output, and no one would gain any larger proportion of his previous business than a monopoly would gain by a similar cut in prices. Thus the competitive cutting of prices would naturally stop exactly where it would if there were no competition. »
  • [33]
    « Allyn Young was of some help, although he was so busy that I actually saw very little of him. »

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions