Notes
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[*]
Pierre Le Masne est maître de conférences-HDR à l’Université de Poitiers et chercheur au CRIEF (EA 2249) ; le-masne.pierre@wanadoo.fr. Je remercie les deux rapporteurs anonymes des Cahiers d’économie politique pour leurs utiles remarques, Romuald Dupuy pour le travail en commun à l’occasion de la réédition de la Philosophie rurale, enfin Gabriel Sabbagh (Université Paris-Diderot) pour m’avoir incité à m’intéresser aux Elemens de la Philosophie rurale.
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[1]
Meek (1963), Herlitz (1996), Théré, Charles et Perrot (dans Quesnay, 2005, pp. 391-396 et pp. 639-820), et Trabucchi (2008) apportent de nombreux éléments à ce propos.
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[2]
Sur le rôle de Butré, Théré et Charles (2008), Le Masne (2014) et Sabbagh (2015).
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[3]
Sur ce point, Charles (2003). La nouvelle présentation du Tableau ne figure pas dans l’article du Journal d’Agriculture de juin 1766 sur L’Analyse de la formule arithmétique du Tableau (Quesnay, 2005, p. 527).
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[4]
Les références à la Philosophie rurale (PR) sont désormais notées par rapport à l’édition de 2014.
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[5]
Selon Barna (1975), le Tableau suppose la réforme fiscale déjà réalisée. L’impôt est prélevé sur le produit net des propriétaires par l’État et le clergé (qui sont des fractions particulières de la classe des propriétaires), avec des redistributions internes à la classe des propriétaires, invisibles dans le Tableau, et que Barna explicite.
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[6]
Les flux de gauche concernent les recettes de la classe productive. Le chiffre du haut (1000) représente les achats des propriétaires à la classe productive. Le chiffre du bas (1000) représente les achats de la classe stérile à la classe productive, effectués avec le produit des ventes de 1000 de la classe stérile aux propriétaires ; les diverses recettes de la classe productive sont agrégées en un seul chiffre. Les flux de droite concernent les recettes de la classe stérile : le chiffre du haut (1000) représente les achats de biens industriels des propriétaires à la classe stérile ; le chiffre du bas (1000) représente le total des achats de la classe productive à la classe stérile.
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[7]
Il s’écoule donc plus d’un an et demi entre l’installation et la première récolte (PR, 2014, p. 429). Butré (1781, pp. 23-26) donne des indications plus détaillées à ce propos.
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[8]
Meek (1963) et Vaggi (1987, p. 48) insistent sur la part très importante du cheptel dans le capital fixe.
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[9]
Dans les comptes de la Philosophie rurale, l’intérêt est calculé sur l’ensemble du capital engagé, avances primitives plus avances annuelles, soit sur 12 000, donnant un montant d’environ 1200 (1197).
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[10]
Sur les 3000 de dépenses de la classe productive, 1000 sont dépensées auprès de la classe stérile. Vaggi (1987, p. 48) note qu’une partie des achats de la classe productive à la classe stérile doit concerner l’investissement.
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[11]
Le report s’effectue en proportion des montants de ces éléments dans la première colonne du tableau 4.
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[12]
Les consommations industrielles se déduisent par soustraction, puisque la consommation totale des salariés agricoles (1871) est égale aux salaires et celle des fermiers (538,2) aux rétributions (tableau 3). Il est supposé que la classe stérile a une consommation en produits industriels égale à celle en produits agricoles.
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[13]
Dans l’industrie, il s’agit de la rémunération du travail des salariés industriels et des patrons artisans.
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[14]
On peut se demander pourquoi le produit net du secteur des bestiaux est nul, alors que Quesnay considère que les bœufs sont une activité très profitable (Quesnay, 2005, pp. 150-152). Une compensation s’effectue entre les chevaux de trait et les bovins. Le prix d’achat des chevaux est élevé et le prix de revente à la boucherie en fin de vie faible ; cette activité déficitaire reste indispensable pour la traction des attelages. Les autres animaux, surtout ceux destinés à la boucherie, sont très profitables. Le profit net global est nul : on peut discuter de ce traitement.
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[15]
Ces chiffres sont obtenus en reprenant dans le tableau 3 la proportion de salaires (77,6 %) et rétributions (22,4 %) dans le total (salaires + rétributions) et en arrondissant légèrement.
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[16]
La consommation finale en produits industriels des salariés agricoles et des fermiers, 900, soit 2000 – 1000 – 100, peut être répartie de diverses manières : nous choisissons 675 pour les salariés et 225 pour les fermiers ; les fermiers sont 5 fois moins nombreux que les salariés, mais ont un niveau de vie plus élevé.
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[17]
La consommation finale de la classe stérile en produits agricoles a augmenté de 772,6 à 1000 entre les tableaux 5 et 7. La classe stérile utilise 227,4 de matières agricoles (1000 – 772,6) pour fabriquer des produits industriels pour elle-même ; ce sont maintenant des consommations finales et non des CI.
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[18]
Avec des avances de 2000, la classe productive produit 5000. Alors que l’industrie reproduit 1 pour 1, l’agriculture reproduit 5 pour 2 d’avances annuelles, « les avances annuelles reproduisent deux cent cinquante pour cent » (Quesnay, 2005, p. 548).
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[19]
R. Meek (1963, p. 295) et J. Cartelier (1991, p. 40) donnent aussi une représentation matricielle du Tableau dans laquelle la classe productive reçoit des CI de la classe stérile.
-
[20]
Les tableaux 5 et 7 sont, sur ce point, basés sur les Elemens et non la Philosophie rurale. Il est toutefois possible de construire des tableaux 5 et 7 basés plus strictement sur la Philosophie rurale, en considérant que l’investissement des fermiers est entièrement d’origine agricole. Par rapport au tableau 7 par exemple, ceci aboutit à modifier certains emplois finals. La FBCF des fermiers est pour 1000 d’origine agricole et pour 0 d’origine industrielle (au lieu de 900 et 100) ; la consommation finale totale des salariés de 1550 est pour 775 d’origine agricole et 775 d’origine industrielle ; la consommation finale des fermiers est inchangée, ainsi que le total des emplois finals de la classe productive.
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[21]
Préoccupation de croissance ne veut pas dire théorie achevée de la croissance. La théorie de Quesnay, comme le montre J. Cartelier (1976, 1991) reste en deçà de la théorie classique de la croissance, dans la mesure où il n’y a pas de concurrence entre les capitaux ni de tendance à l’égalisation des taux de profit entre les secteurs.
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[22]
La comparaison est ici incomplète, car dans la Philosophie rurale (PR, 2014, p. 534), les agriculteurs modifient aussi la structure de leur consommation.
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[23]
La Philosophie rurale (PR, 2014, p. 241) suppose une règle importante, rarement soulignée, selon laquelle les avances stériles sont égales au quart de la somme des avances annuelles de l’agriculture et du produit net. Leontief (1953) développe de son côté des modèles faisant intervenir des variations du capital fixe.
Introduction
1Au XVIIIe siècle, François Quesnay invente le Tableau économique. Au XXe siècle, Wassily Leontief invente le Tableau qui porte son nom et les modèles input-output. Leontief (1941, p. 2) commence sa Structure of the American Economy 1919-1929 en reconnaissant une relation entre son Tableau et celui de Quesnay et en affirmant qu’il construit un Tableau économique des États-Unis pour 1919 et 1929.
2Cet article compare le Tableau de Quesnay et le Tableau de Leontief. Il s’intéresse aux voies de passage du premier au second que permettent les comptes de la Philosophie rurale. Après avoir expliqué certains concepts de Quesnay, par rapport à la comptabilité nationale moderne, il transpose les comptes de la Philosophie rurale en un Tableau d’Entrées-Sorties (TES), en essayant d’être fidèle aux idées exprimées par Quesnay. Cette transposition facilite les comparaisons mais fait apparaître que les préoccupations de modélisation de Quesnay sont différentes de celles de Leontief et plus larges.
3Les 3 classes de Quesnay sont appelées, dans ce texte, classe productive, classe des propriétaires et classe stérile. Les comparaisons effectuées sont économiques et laissent de côté la dimension politique et sociale du projet de Quesnay, la restauration de la grandeur de la Monarchie française sur la base de l’agriculture (Cartelier, 1991), dont l’équivalent n’existe pas chez Leontief.
4La première partie s’intéresse au Tableau et aux problèmes de sa transposition sous forme de TES. La deuxième partie procède à une transposition des données comptables du chapitre VII de la Philosophie rurale de 1763, en tenant compte des compléments apportés dans les Elemens de la Philosophie rurale (Mirabeau et Quesnay, 1767). Cette transposition aboutit à deux TES, dont l’un correspond au Tableau de Quesnay. La troisième partie compare la modélisation économique de Quesnay et celle de Leontief et montre que les problématiques sont différentes sur un certain nombre de points.
1 – Le Tableau, les difficultés de sa transposition et les choix effectués
1.1 – Bref historique du Tableau de Quesnay
5Le Tableau de Quesnay a une histoire, avec des différences importantes entre les versions successives. Les évolutions sont liées aux difficultés rencontrées, que Quesnay tente de lever pas à pas. Comme le montre L. Herlitz (1996), aucun Tableau ne peut faire la synthèse de tous les précédents, car de nombreuses hypothèses changent d’un Tableau au suivant. Revenir brièvement sur les versions successives du Tableau [1] facilite la compréhension des difficultés et des solutions apportées.
6La première version du Tableau, fin 1758, version « zig-zag », donne déjà la structure en 3 classes et 3 colonnes et est accompagnée de commentaires économiques succincts (Quesnay, 2005, pp. 397-403) ; le produit net est de 400 livres. La seconde version, début 1759 n’est pas très différente, mais le produit net est passé à 600 (Quesnay, 2005, pp. 404-411). La troisième version, à l’automne 1759, qui en reste à un produit net de 600, effectue des changements importants (Quesnay, 2005, pp. 412-438). Elle mentionne en haut du Tableau « 12 objets à considérer », qui sont aussi donnés dans les deux versions suivantes (voir tableau 1) : le Tableau est de cette manière relié à des considérations économiques sur les types de cultures, le capital, la masse monétaire, la population. La quatrième version, Tableau économique avec ses explications, publiée en juin 1760 dans le tome 6 de L’Ami des hommes (Quesnay, 2005, pp. 439-526), reprend la logique de la version précédente et le produit net de 600 livres, mais élargit les données économiques fournies et approfondit la modélisation. Pendant trois ans, Quesnay et Butré [2] préparent des changements importants qui aboutiront à la cinquième version du Tableau, publiée en 1763 dans la Philosophie rurale. Le produit net passe à 2000 (ou 2000 millions de livres). Une nouvelle présentation du Tableau apparaît, le Précis (qui complète ou se substitue au « zig-zag ») et des comptes détaillés de l’agriculture sont donnés. Une nouvelle présentation du Tableau paraît, quatre ans plus tard, dans les Elemens de la philosophie rurale (Mirabeau et Quesnay, 1767, p. 47) et dans Physiocratie en 1767-1768 (Quesnay, 2005, pp. 545-635), appelée Analyse de la formule arithmétique du Tableau [3]. La présentation du Tableau change, mais l’économie décrite est la même. Physiocratie se réfère aux comptes de la Philosophie rurale et Quesnay (2005, p. 556) y affirme : « Si on veut entrer dans un examen plus détaillé de la distribution des dépenses d’une nation, on le trouvera dans la Philosophie rurale, chap. 7. »
Grand Tableau de la Philosophie rurale (2000 livres de produit net)
Grand Tableau de la Philosophie rurale (2000 livres de produit net)
7La Philosophie rurale fournit à propos du Tableau des éléments importants absents des autres textes physiocratiques, notamment les comptes du chapitre VII. C’est la version mature du Tableau : nous la prenons comme base. Une comparaison entre la Philosophie rurale de 1763 et le Tableau économique avec ses explications de 1760 fait apparaître des changements importants :
- Les comptes de l’agriculture n’existent pas dans le Tableau économique avec ses explications. Décomposés en 7 secteurs, ils donnent dans la Philosophie rurale des indications détaillées sur les dépenses de chaque secteur (achats, salaires), son produit net, son capital, sa population.
- Le Tableau économique avec ses explications fait des hypothèses sur le commerce extérieur (Quesnay, 2005, p. 453). Dans la Philosophie rurale, il est fait abstraction de la question du commerce extérieur, ce qui simplifie le Tableau (PR, 2014, p. 256) [4].
- Le traitement du fourrage pour les bestiaux est modifié, ainsi que celui du commerce rural, lui aussi grand consommateur de fourrage ; la réflexion sur les CI est approfondie.
- Le Tableau de la Philosophie rurale tient compte uniquement des opérations contribuant à la génération du produit net et met de côté celles qui n’y contribuent pas. Par exemple, les dépenses de la classe stérile pour acheter des produits industriels sont incluses dans les comptes du chapitre VII ; en revanche, elles sont exclues du Tableau (comme l’a remarqué Meek (1963, p. 278)). Deux types de comptes sont à distinguer : les premiers prennent en compte l’ensemble de l’économie, les seconds les opérations ayant une influence sur le produit net (seules notées dans le Grand Tableau).
8La Philosophie rurale, complétée sur certains points par les Elemens de la Philosophie rurale, permet de répondre à des questions délicates : les chiffres donnés sont-ils réalistes ou imaginaires ? L’agriculture a-t-elle des CI ? La classe stérile consomme-t-elle des produits industriels ? L’investissement en capital fixe de la classe productive comporte-t-il des biens d’origine industrielle ?
1.2 – Le Grand Tableau et le Précis de la Philosophie rurale
9Le Grand Tableau de la Philosophie rurale, reproduit dans le Tableau 1, représente sous forme « zig-zag » l’économie française durant une année, ou, plus exactement, la plus grande partie de cette économie. L’économie est dans un état stationnaire, se reproduit à l’identique d’année en année. Les trois classes de la société effectuent des opérations et des échanges entre elles ; au bout d’une année, après que l’agriculture ait reproduit les ressources, l’économie revient à sa situation de départ. L’économie a une production brute de 5000 (millions de livres tournois) et une production nette de 2000 (millions). Le produit net de la Philosophie rurale a plus que triplé par rapport à celui du Tableau économique avec ses explications. La Théorie de l’impôt présentait déjà, en décembre 1760, des comptes de l’agriculture, décomposés en 4 secteurs et correspondant à l’état actuel de l’économie, avec un produit net un peu supérieur à 400 (millions). Une projection dans un « état de prospérité » de ces mêmes comptes aboutissait à un produit net de 1938 (millions) (Mirabeau et Quesnay, 1760, p. 165). La Philosophie rurale reprend une logique semblable et un produit net de 2000, voisin des 1938 de la Théorie de l’impôt. Elle donne des comptes de l’agriculture correspondant à un état de prospérité et à une grande culture. Mais, à la différence de la Théorie de l’impôt, elle ne fournit pas les données de départ à partir desquelles s’est faite la projection. Le passage à la grande culture a permis d’augmenter les avances à 2000, avec un taux de produit net (Produit net/avances annuelles) de 100 %. Selon les auteurs (PR, 2014, p. 104), « c’est la valeur possible et naturelle de la France que nous prenons pour exemple ». La fixation du produit net à 2000, dont 2/7 sont prélevés par l’État, autorise un prélèvement de 572 (Quesnay, 2005, p. 548), montant correspondant aux besoins de l’État exprimés dans la Théorie de l’impôt.
10La classe des propriétaires inclut le clergé et l’État [5]. Le produit net de 2000 versé aux propriétaires lance le circuit économique. Les propriétaires dépensent ces 2000 pour moitié auprès de la classe productive, pour moitié auprès de la classe stérile. La classe productive et la classe stérile s’entre-achètent 50 % des sommes qu’elles viennent de recevoir de l’autre classe. Les avances de la classe stérile, 1000, sont le quart de la somme des avances de la classe productive et du revenu (PR, 2014, p. 241).
11Après le Grand Tableau est donné un autre Tableau de la même économie, appelé Précis (tableau 2).
Précis de la Philosophie rurale (2000 livres de produit net)
Précis de la Philosophie rurale (2000 livres de produit net)
12La reproduction totale est égale à toutes les sommes qui se réunissent et se dépensent à la classe productive, Sçavoir ;
13Le Précis, plus synthétique, est destiné à favoriser la modélisation économique. La partie haute du Précis reprend le Grand Tableau sous forme simplifiée. La ligne supérieure du Précis donne, comme dans le Grand Tableau, les avances de la classe productive (2000), le revenu destiné aux propriétaires (2000), enfin les avances de la classe stérile (1000). Les chiffres entre les deux accolades horizontales en gras représentent les flux entre les 3 classes de la société [6]. Une première partie auxiliaire du Précis détaille la « reproduction totale » de 5000, en fait la production agricole de l’année. Une deuxième partie auxiliaire figure en bas du Précis avec le titre « Masse totale des richesses » de l’économie. Cette masse (8000) est la somme de la reproduction du secteur agricole (5000), de l’argent pour payer le revenu (2000) et des avances annuelles de la classe stérile (1000). L’argent pour payer le revenu met l’accent sur la dimension monétaire du Tableau : les échanges supposent certaines disponibilités monétaires.
1.3 – Les transpositions du Tableau et les concepts économiques de Quesnay
14L’idée de transposer le Tableau de Quesnay en un Tableau de Leontief n’est pas nouvelle. La première tentative d’A. Phillips (1955) est suivie par celles de S. Maital (1972), T. Barna (1975) et P. Samuelson (1982). Ces tentatives diffèrent dans leurs méthodes et leurs résultats. Phillips transpose le Tableau de 1767-1768 (Analyse de la formule arithmétique du Tableau) en un modèle de Leontief fermé à 3 secteurs. Il n’y a pas de valeur ajoutée et pas de demande finale, la somme des coefficients techniques de chacune des 3 colonnes est égale à 1. La distinction n’est pas faite entre emplois finals et emplois intermédiaires. Il n’y a pas de surplus, le produit net étant supposé correspondre à une location de terre par les propriétaires à la classe productive. S. Maital (1972) critique le caractère fermé du tableau de Phillips et l’affirmation que les revenus des propriétaires résultent d’une vente de services. Il transforme le Tableau de Phillips de manière à ce que les achats des propriétaires aux deux autres classes ne soient plus des intrants de ces deux classes. Maital avance néanmoins peu par rapport à Phillips, car la classe productive et la classe stérile n’ont pas d’emplois finals dans son Tableau.
15Barna considère que la représentation de Phillips ne rend pas justice à Quesnay, notamment parce que des flux intermédiaires et finals sont agrégés. Barna fournit des comptes sociaux détaillés (à partir du Tableau de l’automne 1759), en distinguant emplois intermédiaires et emplois finals, et en prenant en compte le commerce extérieur. Barna distingue trois secteurs d’activité : il ajoute à l’agriculture et à l’industrie un secteur concernant l’investissement de la classe productive. Les propriétaires ne constituent pas un secteur d’activité : ils consomment le surplus fourni par la classe productive, et en rétrocèdent une partie au clergé et à l’État. Le Tableau de Barna représente un progrès très significatif par rapport à celui de Phillips. On peut toutefois reprocher à Barna de ne pas expliquer suffisamment comment il différencie les opérations intermédiaires des opérations finales, et de considérer que tout l’investissement de la classe productive est d’origine agricole.
16La transposition de Samuelson, à partir du Tableau de 1767-1768 et de la Philosophie rurale, aboutit à un TES à 3 secteurs. Samuelson introduit une colonne relative au travail et à sa reconstitution ; il suppose un salaire de subsistance, dans l’agriculture et dans l’industrie. Les propriétaires ont une consommation finale, mais les deux autres classes ont seulement des CI. La classe productive n’a ni consommation finale ni investissement : Samuelson s’éloigne des hypothèses de Quesnay.
17Notre transposition ressemble sur certains points à celle de Barna, mais elle explique plus le traitement des CI et considère que l’investissement de la classe productive est en partie d’origine industrielle.
18Le Tableau de Quesnay se réfère à des classes. Le Tableau de Leontief est construit par rapport à des secteurs d’activité mais recourt aussi à des secteurs institutionnels (ménages, entreprises). Il est possible d’identifier classe et secteur d’activité pour la classe productive (agriculture) et pour la classe stérile (industrie), car ce sont des classes « actives » (PR, 2014, pp. 100, 145, 468). Les propriétaires ne sont pas « actifs ». Leur rôle économique est de consommer (Quesnay, 2005, p. 218) : « Les propriétaires ne sont utiles à l’État que par leur consommation : leurs revenus les dispensent de travailler, ils ne produisent rien, si leurs revenus n’étoient pas distribués aux professions lucratives, l’État se dépeupleroit par l’avarice de ces propriétaires injustes et perfides. » Le revenu des propriétaires, librement disponible, n’est pas une dépense productive. Les propriétaires ne sont pas un secteur d’activité, mais un secteur institutionnel jouant un rôle du fait de sa consommation finale.
19Nous considérons seulement deux secteurs d’activité, celui de la classe productive (agriculture) et celui de la classe stérile (industrie). Au sein de la classe productive, les fermiers (qui perçoivent des rétributions) sont distingués des salariés agricoles (qui reçoivent des salaires). Les fermiers et les salariés agricoles consomment des produits agricoles et des produits industriels ; les fermiers ont un investissement. La classe stérile a des recettes lui permettant d’acheter produits agricoles et industriels, un stock (avances stériles) mais pas d’investissement en capital fixe ; sa production de produits industriels pour elle-même n’est pas enregistrée dans les opérations relatives au Grand Tableau.
20Les avances primitives correspondent au capital nécessaire à un fermier qui s’installe dans une exploitation pour une dizaine d’années, un bail de 9 ans plus une période avant récoltes. Le nouveau fermier s’installe en général dans sa ferme à la Saint-Martin (11 novembre, année n). Le fermier précédent a déjà semé le blé, en octobre n, et reviendra le récolter pour lui en juillet (n + 1). Le nouveau fermier sèmera en octobre (n + 1) et récoltera son premier blé en juillet (n + 2) [7]. Les avances primitives sont d’abord ce qui est nécessaire au fermier jusqu’à l’été (n + 2), vivres, mais aussi fourrage pour les animaux, semences pour octobre (n + 1). Les avances primitives comportent ensuite les meubles du fermier, ainsi que le capital d’exploitation. Le capital d’exploitation est constitué d’un côté du matériel, charrues et harnais en cuir (produits par l’industrie), de l’autre d’animaux, chevaux, bœufs, moutons (PR, 2014, p. 109). Au XVIIIe siècle, le cheptel vivant représente l’essentiel du capital d’exploitation : l’investissement est principalement d’origine agricole (bestiaux) [8], secondairement d’origine industrielle (charrues). L’historien J.-M. Moriceau (1994, pp. 268-271) considère que le cheptel vivant représente 86,8 % du capital total des fermiers de l’Île-de-France. Le prix d’un cheval de labour représente au moins vingt fois celui d’une charrue. Les avances primitives sont reconstituées chaque année ; pour effectuer cette reconstitution, les fermiers gardent de la production chaque année un « intérêt » (le mot ne correspond pas au sens actuel), 10 % des 10 000 livres d’avances primitives totales, soit 1000 [9]. Il s’agit d’un amortissement ou d’une consommation de capital fixe (CCF), comme le notent Phillips (1955), Meek (1963), Barna (1975, p. 490) ou Samuelson (1982, p. 76) ; toutefois, il y a aussi dans l’« intérêt » une dimension de provision pour risque (épidémies, mauvaises récoltes). Quesnay (2005, p. 417) affirme que les intempéries enlèvent en dix ans au moins les récoltes d’une année.
21Les avances annuelles sont les dépenses effectuées durant l’année pour l’exploitation de la ferme. Elles comprennent les salaires versés aux salariés agricoles, les rétributions des fermiers, mais aussi des dépenses que nous appelons aujourd’hui CI : ceci amène à parler des semences, du fourrage et des frais de transport du commerce rural.
22Les semences ne sont pas comptabilisées comme des avances annuelles. Elles sont considérées, pour une seule année, comme des avances primitives du fermier, permettant de semer en octobre (n + 1) (PR, 2014, pp. 426 et 429). Les autres années, elles sont un prélèvement sur la production, qui n’apparaît pas dans l’évaluation de cette production : à partir de l’été n + 2, le fermier retient de la récolte la quantité de blé nécessaire pour semer à l’automne suivant ; la production est évaluée « semence prélevée » (PR, 2014, pp. 261-262 et 409).
23Le fourrage est une avance annuelle que nous reclassons en CI. Le fourrage sert à nourrir les chevaux de trait mais aussi les vaches (lait) ou les bœufs (boucherie). Il est enfin indispensable au commerce rural. Le transport (avec ses frais) est en général un préalable à la consommation, et le commerce rural, avec ses frais de transport, est une partie de l’agriculture (PR, 2014, pp. 253-254). Les frais de transport (notamment du bois) comportent une valeur ajoutée (salaires) et des CI (fourrage), mais pas de surplus (produit net). La Philosophie rurale note les CI de fourrage dans ses comptes, puis les annule lors du passage au Tableau lorsque les secteurs concernés ont un produit net nul.
24La Philosophie rurale utilise deux systèmes de comptes. Le premier système s’intéresse à l’ensemble des richesses produites, le second, déduit du premier, s’attache aux seuls éléments qui contribuent au produit net et interviennent dans le Tableau. Les auteurs parlent de « distinguer la distribution des dépenses des différens genres d’exploitation d’avec les dépenses du revenu des propriétaires, et des dépenses de la rétribution des Agens de la classe productive, et celle des Agens de la classe stérile, telle qu’elle est tracée dans le Tableau, où l’on s’est borné aux dépenses du revenu d’une Nation, et à celles qui lui sont annexées » (PR, 2014, pp. 254-255). Le premier système donne une comptabilité développée de la société française, avec une production brute de l’agriculture de 6,3672 milliards de livres. Il inclut des dépenses concernant notamment la production de bestiaux et le commerce rural, avec des CI de fourrage de 900 millions (PR, 2014, pp. 277-278). Le deuxième système de comptes n’est pas détaillé dans la Philosophie rurale. On le déduit du premier système de comptes, notamment en éliminant les opérations ou secteurs qui ne contribuent pas au produit net. C’est le cas des secteurs des bestiaux et du commerce rural (PR, 2014, pp. 275-276) : « Ces dernières parties de la classe productive qui coopèrent à la production du revenu, mais qui ne donnent pas de revenu, je veux dire les bestiaux de profit, et les frais du commerce rural dont il s’agit présentement, ne sont point compris dans le Tableau qui représente l’ordre de la distribution des dépenses et de la reproduction des revenus par la dépense du revenu ; parce que ne donnant pas de revenu, elles ne peuvent entrer dans le Tableau de la distribution et de la reproduction des revenus, et qu’il suffit de les évaluer et de les ajouter ici à la masse de la reproduction annuelle, pour compléter la supputation détaillée et générale des rapports des produits et des dépenses. » Le deuxième système de comptes a une production brute de 5 milliards, 5000 livres dans le Grand Tableau. Les Elemens de la Philosophie rurale (Mirabeau et Quesnay, 1767, pp. 125-179) et L’Analyse de la formule arithmétique du Tableau de 1767-1768 (Quesnay, 2005, p. 556) reprennent la distinction entre comptes en 6,3672 milliards et comptes en 5 milliards.
25Le Tableau ne tient pas non plus compte des achats de produits industriels par la classe stérile. Plusieurs types de commerce prennent place entre les classes (PR, 2014, p. 125). Les salariés agricoles et les fermiers achètent des produits agricoles et des produits de l’industrie sur divers marchés. Les membres de la classe stérile se procurent des produits de l’agriculture et des produits artisanaux : le cordonnier achète sur le marché rural d’une part des subsistances pour sa famille, d’autre part du cuir pour élaborer les chaussures qu’il fabrique. Avec l’argent de la vente de ses chaussures, il peut acheter des draps sur le marché artisanal. Mais il n’est pas tenu compte de ces derniers achats dans le Grand Tableau, car ils sont considérés comme sans effet sur le produit net.
2 – La transposition des comptes de la Philosophie rurale sous forme de TES
26Dans les comptes du chapitre VII de la Philosophie rurale, l’agriculture comprend 7 secteurs, culture du grain, vignes, bois, prairies, autres parties (mines, carrières, pêche), bestiaux et commerce rural. Pour chacun de ces secteurs, les auteurs donnent la ventilation du produit brut en divers éléments. En reclassant certaines dépenses en CI, on obtient une ventilation en 5 éléments : CI, salaires des salariés, rétributions des fermiers, intérêts des fermiers, produit net. Il est possible de reconstituer sans difficulté les comptes de 5 secteurs, avec leurs avances et leur population : la culture du grain, les vignes, les prairies, les autres parties, le commerce rural (voir tableau 3). Deux secteurs comportent des erreurs, ou une comptabilité incomplète, le bois et la production de bestiaux. Nous expliquons dans l’encadré 1 comment nous remédions à ces erreurs, en gardant le produit total de 6,3672 milliards (PR, 2014, p. 278).
Les comptes de l’agriculture (chapitre VII, Philosophie rurale)
Les comptes de l’agriculture (chapitre VII, Philosophie rurale)
Encadré 1. Les comptes de la Philosophie rurale et les corrections apportées
Quesnay a vu en 1767 une erreur dans les comptes de la Philosophie rurale. Les Elemens de la Philosophie rurale donnent à nouveau les comptes de la Philosophie rurale. Ils apportent une correction, repérable en comparant les Elemens (Mirabeau et Quesnay, 1767, p. 170) à la Philosophie rurale (PR, 2014, p. 277). Quesnay modifie un secteur qui s’appelait en 1763 « Mines, carrières, etc. », avec un produit net de 80 millions et l’appelle en 1767 « Mines, dépaîtres, carrières, etc. », avec un produit net de 142 millions. Le « dépaître » est un terrain collectif. En introduisant des « dépaîtres », Quesnay invente une nouvelle ressource qui lui permet d’augmenter le produit net du secteur de 62, ainsi que le produit net de l’ensemble des secteurs (qui passe de 2001 à 2063). Il veut corriger l’erreur sur les intérêts non comptabilisés des bestiaux en augmentant les ressources d’un autre secteur, mais la correction n’aboutit pas.
D’un côté, il manque 75 dans le secteur du bois, de l’autre 215 d’intérêt du secteur des bestiaux n’ont pas été comptabilisés et répartis entre les autres secteurs. Nous compensons en partie les deux erreurs. Nous affectons 75 d’intérêts au secteur du bois, dont les intérêts passent de 60 à 135 : les comptes de ce secteur sont désormais équilibrés. Les 215 d’intérêts notés dans le secteur des bestiaux sont annulés ; une contrepartie a été trouvée pour 75 dans le secteur bois, mais 140 (des 215) n’ont pas de contrepartie. Le total des intérêts des fermiers est diminué en conséquence de 140, 1057 au lieu de 1197. Les intérêts des fermiers ne représentent plus 10 % du total des avances primitives et annuelles, mais seulement 10,6 % des seules avances primitives. Les chiffres du tableau 3 qui ont été modifiés sont barrés et remplacés par de nouveaux montants.
P. Trabucchi (2008) et B. Milanovic (2015) aboutissent aux mêmes chiffres que ceux du tableau 3 (avant nos corrections). Le tableau 3 donne également la population des divers secteurs de l’agriculture. La population agricole est celle des salariés et des fermiers, avec 4 personnes par famille, soit au total 17,5 millions de personnes. La population de la classe stérile s’ajoute pour 8,4 millions, et celle des propriétaires pour 4 millions, 29,9 millions de personnes pour les 3 classes. Ce chiffre est supérieur à celui donné ailleurs par Quesnay, 16 millions (Quesnay, 2005, p. 260). Il s’agit donc d’une population qui a fortement augmenté à la suite du passage à la grande culture.
27À côté des ressources de l’agriculture (tableau 3), la Philosophie rurale (PR, 2014, p. 280) donne également les emplois en produits agricoles (pour les 7 secteurs réunis), avec le même total de 6,3672 milliards. Ces emplois, reproduits dans la première colonne du tableau 4, doivent être retraités avant de les juxtaposer aux ressources pour constituer un tableau des emplois et ressources. Les chiffres comportent en effet la même erreur sur les « intérêts », évalués à 1197 dans le texte original, mais qui ont dû être corrigés à 1057 à cause des erreurs sur les ressources (voir tableau 3 et encadré 1).
Emplois de l’agriculture
Emplois de l’agriculture
28L’investissement en capital fixe pose une question délicate. Dans la première colonne du tableau 4, tout l’investissement est d’origine agricole : les « intérêts » de 1197 sont employés entièrement à l’intérieur de l’agriculture. Il n’y a donc pas d’investissement d’origine industrielle. C’est contradictoire avec ce qui est dit sur la ferme de Lisoir (PR, 2014, p. 426) qui utilise du capital fixe industriel, nécessairement renouvelé. La réflexion des auteurs n’est pas achevée sur ce point dans la Philosophie rurale. En 1767, quatre ans plus tard, dans les Elemens de la Philosophie rurale, les auteurs affirment de façon nouvelle qu’une partie de l’investissement doit être d’origine industrielle et évoquent les « instrumens de la culture » (Mirabeau et Quesnay, 1767, pp. 52-53) : « La classe productive dépense plus sur elle-même qu’elle ne dépense en achats à la classe stérile, parce qu’elle se livre peu au luxe, et qu’elle réduit ses achats à la classe stérile aux choses nécessaires. Mais ces choses nécessaires s’étendent un peu loin, par rapport aux instrumens qui servent à l’exploitation de la culture. C’est pourquoi on porte la dépense à la classe stérile jusqu’à un tiers de la dépense totale [10]. » La réflexion marque un progrès important dans la compréhension du circuit économique et des rapports agriculture-industrie : il faut racheter des charrues. Nous suivons sur ce point les Elemens de la Philosophie rurale plutôt que la Philosophie rurale, et admettons qu’une partie de l’investissement de l’agriculture est d’origine industrielle. Les données prises comme point de départ pour calculer l’importance de cet investissement sont celles de la ferme de Lisoir (PR, 2014, p. 426). Les avances primitives de cette ferme de grande culture sont composées pour l’essentiel de produits d’origine agricole (sur ce point, PR, 2014, pp. 109 et 115) et pour une petite part de machines et d’instruments de culture (6,2 % du total) et d’ustensiles de ménage (3,1 %). Les éléments d’origine industrielle représentent 9,3 % du total des avances primitives. Nous arrondissons à 10 % : l’investissement de la classe productive (1057) est alors composé de 951 de produits de l’agriculture (90 %) et de 106 (10 %) de produits de l’industrie.
29Le tableau 4, dans sa seconde colonne, corrige les emplois de l’agriculture de la Philosophie rurale. L’investissement agricole est de 951, au lieu de 1197. La différence de 246 a deux raisons. D’une part, il est tenu compte de l’erreur de 140 corrigée dans le tableau 3. D’autre part, nous introduisons un investissement de l’agriculture d’origine industrielle de 106, qui correspond aux Elemens de la Philosophie rurale mais ne figure pas dans la Philosophie rurale. Ces 246 sont reportés sur les éléments dont le montant n’est pas déterminé dans le tableau 3 : CI de la classe stérile, consommation finale des salariés agricoles, des fermiers et de la classe stérile [11].
30Le tableau 5 donne, à partir des tableaux 3 et 4, le TES correspondant au système développé des comptes de la Philosophie rurale, en tenant compte d’un investissement conforme à celui des Elemens de la Philosophie rurale. Cette transposition moderne présente l’industrie sur le même plan que l’agriculture, ce qui est plus proche de la comptabilité nationale actuelle que des idées de Quesnay.
TES de l’économie française (système développé de comptes) [13]
TES de l’économie française (système développé de comptes) [13]
31Du côté des ressources, la valeur ajoutée agricole de 5467,2 est constituée d’un produit net de 2001, d’une CCF de 1057, de salaires des salariés et de rétributions des fermiers. Les ressources de la classe stérile (3090,4) sont composées pour moitié de valeur ajoutée ou de travail et pour moitié de matières premières de l’agriculture. Les CI de l’agriculture sont de 900. La classe stérile reçoit et 1545,2 comme matières premières à transformer (CI) et 772,6 de produits agricoles pour sa subsistance. Les propriétaires reçoivent 1000 en produits agricoles. Les emplois finals de la classe productive sont décomposés en investissement, consommation finale des salariés et des fermiers. La consommation finale des fermiers est égale à leurs rétributions et celle des salariés à leurs salaires [12].
32Pour obtenir des comptes correspondant au Grand Tableau, le tableau 6 élimine du tableau 3 les opérations ne contribuant pas au produit net.
Les comptes de l’agriculture (système réduit)
Les comptes de l’agriculture (système réduit)
33Les colonnes des secteurs des bestiaux et du commerce rural, dont le produit net est nul [14], sont supprimées, ce qui fait disparaître les dépenses de fourrage et les CI de l’agriculture.
34Le tableau 6 recalcule de nouveaux totaux après suppression des 2 secteurs et ajoute une dernière colonne correspondant aux chiffres du Grand Tableau. Dans cette colonne, les chiffres sont arrondis : sans cet arrondi, il serait impossible, en partant d’un ensemble de comptes, d’aboutir aux proportions physiocratiques, par exemple à l’égalité des avances annuelles et du produit net ou à des avances primitives égales à cinq fois les avances annuelles (PR, 2014, p. 117). Le produit brut passe de 4707,2 à 5000, le produit net de 2001 à 2000. Les salaires des salariés agricoles sont de 1550 et les rétributions des fermiers de 450 [15], pour des avances de 2000 et un taux de produit net de 100 %.
35Le tableau 7 présente, en s’appuyant sur le tableau 6, un TES correspondant au Grand Tableau.
TES relatif au Grand Tableau (5000 de produit brut)
TES relatif au Grand Tableau (5000 de produit brut)
36Les seules CI sont celles de la classe stérile, 1000 de produits agricoles. Les emplois de la classe stérile sont de 2000, 1000 livrés aux propriétaires et 1000 à la classe productive [16]. Les ressources de 5000 de la classe productive sont utilisées pour servir le produit net (2000), les rétributions des fermiers (450) et les salaires des salariés agricoles (1550), enfin une CCF de 1000 (compensée en emplois par un investissement de 1000). Les ressources de la classe stérile (2000) sont fournies pour 1000 par la classe productive (CI), et pour 1000 par son travail. La consommation finale de la classe stérile est de 1000 en produits de l’agriculture, celle en produits industriels ne figure pas dans le tableau [17]. L’industrie ne crée pas de produit net [18] : la valeur de ses ouvrages est égale au coût des matières premières plus le coût des subsistances de ses membres (Quesnay, 2005, Grains, p. 198)). Les 1000 de produits industriels livrés à la classe productive par la classe stérile vont pour 100 à l’investissement, et 900 à la consommation finale des fermiers (225) et des salariés agricoles (675).
37Conformément à la Philosophie rurale, le tableau 7 ne tient pas compte du commerce extérieur. Il n’explique pas les redistributions internes à la classe des propriétaires, en faveur de l’État et du clergé. Ces éléments peuvent être ajoutés par le lecteur, en s’inspirant par exemple de Barna (1975).
3 – Tableau de Quesnay et Tableau de Leontief : les préoccupations diffèrent
38La réécriture du Tableau de Quesnay sous la forme d’un tableau d’emplois et ressources ne signifie pas que les modélisations de Quesnay et Leontief sont identiques. Les hypothèses sectorielles de Quesnay sont évoquées ainsi que ses préoccupations, plus larges que celles de Leontief.
3.1 – Découpage sectoriel et caractère décomposable du système productif de Quesnay
39Le Tableau de Quesnay est bi-sectoriel, avec des fournitures de CI par le seul secteur agricole au secteur industriel. Le Tableau de Leontief est multisectoriel et chaque secteur fournit chaque autre.
40Pour Quesnay, la production passe par deux stades successifs. Dans un premier stade, la nature, stimulée par le travail humain et les instruments des hommes, produit les matières premières de l’agriculture. Dans un second stade, celui de l’industrie, les hommes transforment par leur travail les matières premières de l’agriculture et obtiennent des produits finis. Les Elemens de la Philosophie rurale (Mirabeau et Quesnay, 1767, p. 130) décrivent ainsi ces deux stades : « La classe productive comprend tous les hommes employés aux travaux nécessaires, pour obtenir les productions de la terre, propres à la jouissance des hommes. Ces travaux se terminent à la vente des productions en première main. Par cette vente, ces productions passent comme matière première, dans les mains des agens de la classe stérile, pour la fabrication des ouvrages de cette classe ; ou comme marchandises dans les mains des Commerçans, pour être transportées & revendues aux lieux de leur consommation. »
41Quesnay appelle un des 7 secteurs agricoles « Dernières parties » (PR, 2014, p. 273). Cette dernière activité comprend la pêche en mer, les mines et les carrières. Le charbon et le minerai de fer sont pour Quesnay des produits de l’agriculture. Nous considérons aujourd’hui que le poisson est un produit de l’activité « Pêche », et le minerai de fer et l’acier des produits des « Mines » ou de la « Sidérurgie ». La présentation de Quesnay rappelle que toutes les activités dépendent pour leurs ressources du sol, de la terre ou de la mer ; la présentation moderne occulte cette dimension écologique. Le secteur du « commerce rural » relève de l’agriculture, alors que nous considérons aujourd’hui le commerce comme un service. Tandis que les productions destinées à la consommation finale passent pour Quesnay par deux stades successifs, la production de matières premières, puis leur transformation et commercialisation, Leontief considère qu’il y a un nombre n de processus industriels simultanés, chaque processus industriel pouvant fournir, en principe, chaque autre. La vision de Quesnay de la production est inspirée par l’agriculture et son rythme annuel d’activité. Leontief se situe dans un monde industriel où l’agriculture est devenue un secteur parmi d’autres.
42Dans le système développé du tableau 5, l’agriculture a des intra-CI, correspondant à du fourrage pour nourrir les animaux. Ces CI sont éliminées dans le tableau 7 correspondant au Grand Tableau de Quesnay. Le système productif de Quesnay est décomposable (Gosh, 1960), au niveau des CI, car l’agriculture ne dépend pas des CI de l’industrie. Le résultat obtenu diffère de ceux de Phillips et Maital qui considèrent que l’agriculture reçoit des CI de l’industrie [19]. Il n’est toutefois pas très surprenant par rapport à d’autres résultats : Barna (1975, p. 495) affirme que la matrice des emplois intermédiaires du tableau est décomposable, et qu’il y a très peu d’interdépendances industrielles dans le système de Quesnay ; Samuelson (1982) considère que l’agriculture ne reçoit pas de CI de la classe stérile. Le résultat est justifié ici par une analyse approfondie des CI. L’agriculture de Quesnay est éloignée de celle d’aujourd’hui, qui utilise beaucoup de CI industrielles.
43L’agriculture n’est cependant pas totalement indépendante de l’industrie. L’agriculture doit renouveler ses charrues. Il faut attendre 1767 et les Elemens de la Philosophie rurale pour que la nécessité de cet investissement d’origine industrielle soit clairement affirmée [20].
44Peut-on dire que la distinction entre CI et capital fixe tient seulement à une convention moderne de prendre l’année comme période de temps ? La distinction entre un système de Quesnay décomposable au niveau des CI, et non décomposable au niveau du capital fixe serait alors artificielle et le système de Quesnay serait globalement indécomposable. Selon cette lecture, on imposerait artificiellement au système de Quesnay les concepts de la comptabilité nationale d’aujourd’hui. La réponse nous paraît négative, car Quesnay utilise des concepts comptables proches de la comptabilité nationale moderne, prend l’année comme référence, comprend la notion de CI, distingue soigneusement les flux annuels de recettes ou de dépenses des fonds de capital fixe.
45La discussion sur le caractère décomposable du système de Quesnay a ses limites, car elle porte sur un Tableau élaboré en un temps où le calcul matriciel n’existait pas. Pour Quesnay, deux stades se succèdent au cours de la production. Au premier stade, celui de l’agriculture et des matières premières, a lieu la création de valeur et de surplus. Le second stade, celui de l’industrie, transforme les matières premières produites au premier stade. Le second stade est entièrement dépendant du premier et ne peut créer lui-même de produit net. Cette affirmation de la productivité exclusive du premier stade, celui de l’élaboration des matières premières, est liée à l’idée que la nature produit, mais est stimulée par le travail humain et les instruments de l’homme. Les transformations du second stade n’aboutissent pas à la création de matières nouvelles, en ce sens ce stade est qualifié de « stérile ». Néanmoins, le stade de l’industrie exerce un effet en retour sur le stade de l’agriculture, car le recours aux instruments de culture augmente la production agricole. Ce recours est, économiquement, peu important : seulement 5 % des livraisons de l’industrie (100 sur un total de 2000) sont destinées à renouveler le capital fixe agricole. La dépendance de l’agriculture vis-à-vis de l’industrie reste très faible.
3.2 – Autres différences : rôle de la monnaie et du temps
46Quesnay décrit une économie monétaire. Les classes doivent avoir les disponibilités monétaires nécessaires pour que les transactions puissent s’effectuer. Pour que les propriétaires puissent acheter des produits agricoles, il faut, par exemple, que les fermiers leur aient versé l’argent du fermage. La masse monétaire doit permettre de réaliser les opérations des trois classes. Le Précis de la Philosophie rurale (tableau 2) indique dans la « Masse des richesses contenues dans le Tableau » que « l’argent du revenu » (qui permet aux fermiers de payer les propriétaires) est de 2000, et que les avances annuelles de la classe stérile sont de 1000. Ces avances stériles sont soit des produits finis (forme marchandise), soit de la monnaie (forme argent).
47Le passage de la forme marchandise à la forme argent et le passage inverse ne sont pas expliqués de façon approfondie par Quesnay, mais ils sont suggérés. Il est possible de transcrire les échanges entre les classes sous forme de plusieurs comptabilités en partie double, et de faire apparaître les contraintes temporelles et monétaires (Dupuy, Le Masne et Roman, 2015). Les propriétaires achètent par exemple 1000 de produits industriels à la classe stérile. Mais à quel moment ? Si on suppose que les avances de la classe stérile sont en argent, les achats des propriétaires à la classe stérile ne peuvent s’effectuer immédiatement. Il faut que la classe stérile achète en début de période des matières premières et des biens de subsistance à la classe productive, puis prenne le temps de les transformer avant de pouvoir vendre ses produits industriels aux propriétaires.
48Dans le Tableau de Leontief, les échanges sont sans temporalité au cours de l’année. La quantité de monnaie en circulation dans l’économie ne compte pas. La question de la transformation argent-marchandise n’est pas envisagée. Les processus économiques de Quesnay sont séquentiels, comme le montre Schumpeter (1944, pp. 238-243). Le temps joue un rôle très important.
3.3 – Problématique de Leontief et problématique de Quesnay
49Leontief veut donner une description statistique exacte de l’économie ‒ il y réussit très bien ‒ et réfléchir sur les interdépendances sectorielles. Le modèle de Leontief, sur cette base, se propose, en adoptant un certain nombre d’hypothèses simples, de montrer les conséquences d’une variation de la demande finale d’un secteur sur les autres secteurs. Le modèle statique ouvert de Leontief fait jouer un rôle symétrique à l’agriculture et à l’industrie. Il est un modèle sectoriel et non un modèle de croissance.
50Pour Quesnay, le secteur agricole est essentiel et le secteur industriel en dépend. La préoccupation centrale de Quesnay est l’augmentation de la production de l’agriculture. L’augmentation de la production agricole sera suivie de celle de l’industrie. Mais l’industrie ne peut jouer le rôle moteur : il y a asymétrie entre les secteurs.
51Quesnay pose constamment la question de l’augmentation de la production agricole et du produit net. Il y consacre le très long chapitre IX de la Philosophie rurale, qui propose d’aller bien au-delà des 2 milliards de produit net du chapitre VII. Le chapitre IX de la Philosophie rurale envisage le passage à un taux de produit net de 150 %, avec un produit net de 3 milliards (PR, 2014, p. 395). Un Tableau dynamique de ce même chapitre montre l’augmentation progressive et sur dix ans du produit net : la dernière année, le produit net augmente de 1,728 milliard de livres (PR, 2014, p. 505). Meek (1963), Eltis (1998), Steenge et Van den Berg (2007) soulignent la préoccupation de croissance de Quesnay [21].
52La macroéconomie de Quesnay est susceptible de poser des questions sectorielles, concernant par exemple l’effet de la consommation excessive de produits industriels (le « luxe »). Un exemple de la Philosophie rurale permet de comparer la modélisation de Quesnay à celle de Leontief. Les auteurs (PR, 2014, pp. 532-539), partant d’une dépense des propriétaires de 1000 en produits agricoles et 1000 en produits industriels, supposent que ces propriétaires consacrent désormais 1200 à l’achat de produits industriels et 800 aux produits agricoles. La modélisation de la Philosophie rurale couvre deux années successives, mais, pour permettre des comparaisons avec le Tableau de Leontief, nous nous intéressons à la seule première année. Le changement fait tomber pour Quesnay la production totale en un an de 5000 à 4680, soit de 320. Les avances annuelles de la classe stérile (pour acheter plus de matières premières agricoles) augmentent de 320. Les avances de la classe productive passent de 2000 à 1800, le produit net diminue de 320, 1680 au lieu de 2000.
53Il est possible de simuler les effets d’un changement équivalent de la structure de consommation des propriétaires selon un modèle de Leontief appliqué au TES du Tableau 7. En reprenant les hypothèses habituelles de ce modèle, avec X vecteur-colonne des emplois des branches, Y vecteur-colonne de la demande finale, A matrice carrée des coefficients techniques, on peut déduire X de Y, avec X = (I – A)–1Y.
54Dans le Tableau 7, au départ, , , , .
55La situation de base X = (I – A)–1Y correspond à
57Lorsque la demande finale des propriétaires passe à 800 de produits agricoles et 1 200 de produits industriels, la demande finale totale devient 3 800 en produits agricoles et 2 200 en produits industriels, en supposant que la demande finale de la classe productive est inchangée [22]. On obtient alors la variante :
59La valeur ajoutée globale de l’économie n’a pas changé, les ressources totales sont passées de 7000 (5000 + 2000) à 7100 (4900 + 2200). Les emplois-ressources de l’agriculture ont légèrement baissé, de 5000 à 4900.
60Le modèle de Leontief suppose la symétrie de l’agriculture et de l’industrie, ce que refuse Quesnay. Pour Leontief, la production du secteur agricole n’est pas affectée en profondeur par l’évolution de la structure de la demande finale qui lui est adressée (hypothèse de fixité des coefficients techniques). La valeur ajoutée totale ne varie pas, seulement le total des CI. Pour Quesnay, la diminution de la demande agricole aboutit à des bouleversements profonds de la structure de la production, à une baisse des avances agricoles, puis de la production brute et du produit net. Les coefficients techniques se modifient. Le produit net diminue proportionnellement plus que les avances annuelles. Dans l’exemple précédent, les avances annuelles de l’agriculture diminuent de 10 %, et le produit net de 16 %.
61Steenge et Van den Berg (2007) défendent l’approche de Quesnay et proposent un input-output « à la Quesnay ». Au lieu de supposer la fixité des coefficients techniques, il faut plutôt s’interroger sur la façon dont le changement technique les modifie. Les enchaînements entre augmentation de l’offre (avances), progrès technique (taux de produit net) et orientation favorable de la demande (refus du « luxe ») sont à l’origine de la croissance. Le changement technique modifie de façon privilégiée certaines parties du système productif. Leontief lui-même, parfois, ou R. Stone et A. Brown (1962) adoptent une démarche de ce type. La recherche de clusters au sein du système productif (Morillas et Diaz, 2008) ou des changements importants des coefficients techniques (De Mesnard, 2004) procède de cette même démarche.
62Leontief n’envisage pas la question de la variation du stock de capital circulant. Les stocks et le capital circulant s’adaptent sans difficulté à l’évolution de la demande. L’évolution des flux est disjointe de celle des stocks, là où Quesnay tente de les relier, en supposant certaines proportionnalités entre les avances stériles et le reste de l’économie, avec difficulté il est vrai [23].
63Le modèle de Leontief est simple. Cette simplification est nécessaire pour tenir compte des interdépendances entre un grand nombre de secteurs. Il élimine néanmoins des questions difficiles que Quesnay a le mérite de poser, sans envisager tous les développements possibles.
Conclusion
64Le Tableau de Quesnay est assez complexe si on veut en comprendre les détails. Le Tableau a fait l’objet de perfectionnements importants de 1758 à 1767-1768. Quesnay, en une dizaine d’années, fait faire des progrès remarquables à l’analyse du circuit économique et à ce qui deviendra la comptabilité nationale.
65Il a été montré en quoi consistent précisément ces progrès successifs, souvent mal compris, encore aujourd’hui. Le Tableau de Quesnay est adossé dans la Philosophie rurale à des comptes détaillés de l’agriculture, exprimés sous forme monétaire, qui permettent de tracer un tableau complet de l’économie et de la société ; à partir de ces comptes, la classe productive peut être décomposée comptablement en deux sous-parties, fermiers et salariés agricoles. Malgré de regrettables erreurs, ces comptes peuvent être transposé sous la forme de TES. Le Tableau de Quesnay constitue une synthèse qui ne donne pas toute l’information disponible, de même que le cadre central de la comptabilité nationale ou le TES modernes ne fournissent pas toute l’information figurant dans les éléments satellites.
66Quesnay considère deux stades successifs dans la production, dont seul le premier, qui élabore les matières premières, est producteur de surplus. Quesnay saisit le rôle des CI dans le système productif et élabore des modalités pour en rendre compte ; elles peuvent bien sûr être discutées. Il distingue clairement les flux économiques des fonds, et comprend comment certains flux renouvellent certains fonds. Il s’attache au traitement des dépenses de transport de l’agriculture. Il comprend, tardivement, la nécessité de prendre en compte le renouvellement du capital fixe industriel.
67Plus général que le Tableau de Leontief, le Tableau de Quesnay a fait l’objet de développements dans de nombreuses directions. Dans une première direction, il a favorisé l’invention par Leontief de son Tableau et des techniques input-output, avec en particulier des applications novatrices en matière d’écologie (Leontief, 1970). Dans d’autres directions, il a favorisé ou a préfiguré certains modèles de croissance keynésiens à la Harrod ou Domar (Eltis, 1998), ou certains modèles de Marx (1974). Les modèles développés par Leontief (1953) et s’appuyant sur des matrices de biens capitaux sont également influencées par Quesnay. La monnaie joue un rôle dans le Tableau de Quesnay. Ce point n’a pas été pleinement développé ici. Mais Quesnay anticipe sur les analyses de Malthus, Marx et Keynes, en montrant que la monnaie peut être à l’origine de goulets d’étranglement et de déséquilibres dans le circuit économique (Hunt, 1979).
68Le Tableau de Quesnay est un point de départ très innovant. Extrêmement succinct, il ne va pas jusqu’au bout des innovations qu’il suggère. Il préfigure de nombreuses approches postérieures et de nombreuses modélisations novatrices.
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- Moriceau J.-M. (1994), Les fermiers de l’Île-de-France, Paris, Fayard, 1069 p.
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Mots-clés éditeurs : physiocratie, consommations intermédiaires, Leontief, tableau de quesnay, tableau d’entrées-sorties
Date de mise en ligne : 21/12/2016.
https://doi.org/10.3917/cep.071.0031Notes
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[*]
Pierre Le Masne est maître de conférences-HDR à l’Université de Poitiers et chercheur au CRIEF (EA 2249) ; le-masne.pierre@wanadoo.fr. Je remercie les deux rapporteurs anonymes des Cahiers d’économie politique pour leurs utiles remarques, Romuald Dupuy pour le travail en commun à l’occasion de la réédition de la Philosophie rurale, enfin Gabriel Sabbagh (Université Paris-Diderot) pour m’avoir incité à m’intéresser aux Elemens de la Philosophie rurale.
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[1]
Meek (1963), Herlitz (1996), Théré, Charles et Perrot (dans Quesnay, 2005, pp. 391-396 et pp. 639-820), et Trabucchi (2008) apportent de nombreux éléments à ce propos.
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[2]
Sur le rôle de Butré, Théré et Charles (2008), Le Masne (2014) et Sabbagh (2015).
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[3]
Sur ce point, Charles (2003). La nouvelle présentation du Tableau ne figure pas dans l’article du Journal d’Agriculture de juin 1766 sur L’Analyse de la formule arithmétique du Tableau (Quesnay, 2005, p. 527).
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[4]
Les références à la Philosophie rurale (PR) sont désormais notées par rapport à l’édition de 2014.
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[5]
Selon Barna (1975), le Tableau suppose la réforme fiscale déjà réalisée. L’impôt est prélevé sur le produit net des propriétaires par l’État et le clergé (qui sont des fractions particulières de la classe des propriétaires), avec des redistributions internes à la classe des propriétaires, invisibles dans le Tableau, et que Barna explicite.
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[6]
Les flux de gauche concernent les recettes de la classe productive. Le chiffre du haut (1000) représente les achats des propriétaires à la classe productive. Le chiffre du bas (1000) représente les achats de la classe stérile à la classe productive, effectués avec le produit des ventes de 1000 de la classe stérile aux propriétaires ; les diverses recettes de la classe productive sont agrégées en un seul chiffre. Les flux de droite concernent les recettes de la classe stérile : le chiffre du haut (1000) représente les achats de biens industriels des propriétaires à la classe stérile ; le chiffre du bas (1000) représente le total des achats de la classe productive à la classe stérile.
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[7]
Il s’écoule donc plus d’un an et demi entre l’installation et la première récolte (PR, 2014, p. 429). Butré (1781, pp. 23-26) donne des indications plus détaillées à ce propos.
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[8]
Meek (1963) et Vaggi (1987, p. 48) insistent sur la part très importante du cheptel dans le capital fixe.
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[9]
Dans les comptes de la Philosophie rurale, l’intérêt est calculé sur l’ensemble du capital engagé, avances primitives plus avances annuelles, soit sur 12 000, donnant un montant d’environ 1200 (1197).
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[10]
Sur les 3000 de dépenses de la classe productive, 1000 sont dépensées auprès de la classe stérile. Vaggi (1987, p. 48) note qu’une partie des achats de la classe productive à la classe stérile doit concerner l’investissement.
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[11]
Le report s’effectue en proportion des montants de ces éléments dans la première colonne du tableau 4.
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[12]
Les consommations industrielles se déduisent par soustraction, puisque la consommation totale des salariés agricoles (1871) est égale aux salaires et celle des fermiers (538,2) aux rétributions (tableau 3). Il est supposé que la classe stérile a une consommation en produits industriels égale à celle en produits agricoles.
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[13]
Dans l’industrie, il s’agit de la rémunération du travail des salariés industriels et des patrons artisans.
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[14]
On peut se demander pourquoi le produit net du secteur des bestiaux est nul, alors que Quesnay considère que les bœufs sont une activité très profitable (Quesnay, 2005, pp. 150-152). Une compensation s’effectue entre les chevaux de trait et les bovins. Le prix d’achat des chevaux est élevé et le prix de revente à la boucherie en fin de vie faible ; cette activité déficitaire reste indispensable pour la traction des attelages. Les autres animaux, surtout ceux destinés à la boucherie, sont très profitables. Le profit net global est nul : on peut discuter de ce traitement.
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[15]
Ces chiffres sont obtenus en reprenant dans le tableau 3 la proportion de salaires (77,6 %) et rétributions (22,4 %) dans le total (salaires + rétributions) et en arrondissant légèrement.
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[16]
La consommation finale en produits industriels des salariés agricoles et des fermiers, 900, soit 2000 – 1000 – 100, peut être répartie de diverses manières : nous choisissons 675 pour les salariés et 225 pour les fermiers ; les fermiers sont 5 fois moins nombreux que les salariés, mais ont un niveau de vie plus élevé.
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[17]
La consommation finale de la classe stérile en produits agricoles a augmenté de 772,6 à 1000 entre les tableaux 5 et 7. La classe stérile utilise 227,4 de matières agricoles (1000 – 772,6) pour fabriquer des produits industriels pour elle-même ; ce sont maintenant des consommations finales et non des CI.
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[18]
Avec des avances de 2000, la classe productive produit 5000. Alors que l’industrie reproduit 1 pour 1, l’agriculture reproduit 5 pour 2 d’avances annuelles, « les avances annuelles reproduisent deux cent cinquante pour cent » (Quesnay, 2005, p. 548).
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[19]
R. Meek (1963, p. 295) et J. Cartelier (1991, p. 40) donnent aussi une représentation matricielle du Tableau dans laquelle la classe productive reçoit des CI de la classe stérile.
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[20]
Les tableaux 5 et 7 sont, sur ce point, basés sur les Elemens et non la Philosophie rurale. Il est toutefois possible de construire des tableaux 5 et 7 basés plus strictement sur la Philosophie rurale, en considérant que l’investissement des fermiers est entièrement d’origine agricole. Par rapport au tableau 7 par exemple, ceci aboutit à modifier certains emplois finals. La FBCF des fermiers est pour 1000 d’origine agricole et pour 0 d’origine industrielle (au lieu de 900 et 100) ; la consommation finale totale des salariés de 1550 est pour 775 d’origine agricole et 775 d’origine industrielle ; la consommation finale des fermiers est inchangée, ainsi que le total des emplois finals de la classe productive.
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[21]
Préoccupation de croissance ne veut pas dire théorie achevée de la croissance. La théorie de Quesnay, comme le montre J. Cartelier (1976, 1991) reste en deçà de la théorie classique de la croissance, dans la mesure où il n’y a pas de concurrence entre les capitaux ni de tendance à l’égalisation des taux de profit entre les secteurs.
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[22]
La comparaison est ici incomplète, car dans la Philosophie rurale (PR, 2014, p. 534), les agriculteurs modifient aussi la structure de leur consommation.
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[23]
La Philosophie rurale (PR, 2014, p. 241) suppose une règle importante, rarement soulignée, selon laquelle les avances stériles sont égales au quart de la somme des avances annuelles de l’agriculture et du produit net. Leontief (1953) développe de son côté des modèles faisant intervenir des variations du capital fixe.