Notes
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[1]
PHARE, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Maison des Sciences Économiques, bureau 326, 106-112, boulevard de l’Hôpital, 75647 Paris cedex 13. E-mail : michael. assous@ univ-paris1. fr. Une première version de ce papier a été présentée à l’université d’été en Histoire de la Pensée et Méthodologie Économique de Nice, en 2004, et à la journée d’étude du CLERSE et de l’ADEK à Paris, en 2004. Il a aussi été présenté dans les séminaires externes de l’Université de Saint Etienne et de l’Université de Marne-La-Vallée. L’auteur remercie vivement Carlo Benetti, Alain Béraud, Claude Marguet et les deux rapporteurs anonymes des Cahiers d’Économie Politique pour leurs remarques et suggestions et tout particulièrement Antoine Rebeyrol pour son aide précieuse. L’auteur reste évidemment seul responsable des omissions et erreurs qui pourraient exister.
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[2]
Ironiquement, il semble que ce soit précisément ces caractéristiques à partir desquelles ces propositions peuvent être déduites qui ont conduit à délaisser la formalisation de Meade. Frisch et Tinbergen notamment se sont interrogés sur la validité de l’analyse de la stabilité de Meade. Leurs réticences ont sans doute contribué au succès de l’approche de Hicks. La correspondance entre Frisch et Meade à ce propos est éclairante. Dans une lettre du 8 octobre 1936, Frisch écrit : "I was much interested in your paper on the stability question in connection with Mr. Keynes’ system. If the definition and the fundamentals of the stability situation could be discussed in more exact terms than those you use in your paper, I think the paper would be an excellent one and I should be very glad to see it appear in Econometrica. I feel rather definitely, however, that before it appears a thorough-going overhauling ought to be made, particularly with a view to bringing out the exact meaning stability and the assumptions under which your conclusions hold good. May I suggest that you discuss this matter with Marshak?’ (Young, 1987 : 37). Cependant, Meade ne modifiera pas son analyse de la stabilité, préférant publier son article dans la Review of Economic Studies.
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[3]
’If there is increase investment in any given type of capital during any period of time, the marginal efficiency of that type of capital will diminish as the investment in it is increased… because, as a rule, pressure on the facilities for producing that type of capital will cause the supply price to increase’ [Keynes 1936: 136]
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[4]
"Admettons que le taux d’investissement s’est effectivement élevé à un niveau tel que le nouveau prix des biens d’investissement, conjointement à l’état initial [souligné par Kalecki] des anticipations, détermine une efficacité marginale égale au taux d’intérêt. Toutefois, l’augmentation de l’investissement entraînera non seulement une augmentation du prix des biens d’investissement mais aussi une augmentation des prix (ou plus précisément le déplacement vertical des courbes de revenu marginal) et de l’emploi dans toutes les industries. Etant donné que "les faits de la situation présente jouent un rôle disproportionné dans la formulation de nos anticipations à long terme", l’état de nos anticipations s’améliorera et l’efficacité marginale des actifs sera plus élevée que le taux d’intérêt. Par conséquent, l’équilibre n’est pas atteint et l’investissement continue de croître." (Kalecki, 1990 : 538)
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[5]
"Nous pouvons à présent constater que la conception keynésienne, qui nous indique seulement quel sera le niveau de l’investissement si le déséquilibre donné se transforme en équilibre, rencontre une difficulté sur ce point, car il apparaît que l’augmentation de l’investissement ne conduit pas du tout à un équilibre (et en tout cas, pas à un équilibre immédiat)." (Kalecki, 1990 : 539).
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[6]
Meade définit en réalité un modèle de 10 équations dans lequel n’apparaît pas explicitement la condition d’équilibre (11) entre prix de demande et prix d’offre des biens d’investissement.
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[7]
De la même façon, le prix des biens de consommation s’accroît proportionnellement quand le taux de salaire augmente. Il croît quand le niveau de la production augmente. Meade note ? l’élasticité de courte période de l’offre de biens capitaux, autrement dit le rapport de l’accroissement de la production à l’accroissement du coût marginal du travail :
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[8]
De (5), (8) et (11), il vient :De (1), (2), (3) et (4), il vient:Par (7), on a donc:
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[9]
Quand (12) est vérifiée, on a :
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[10]
. Par conséquent, quand ,
Introduction
1L’objectif de cet essai est de revisiter le modèle keynésien de Meade (1937). Meade le présente pour la première fois en 1936 au meeting de l’Econometric Society dans une session consacrée à la Théorie générale de Keynes à laquelle Hicks était également présent pour exposer son célèbre article "M. Keynes et les ’Classiques’". Ces deux modèles sont très proches. Comme Hicks, Meade décrit une économie à deux secteurs de production : le secteur des biens d’investissement et le secteur des biens de consommation, dans laquelle, d’une part, le taux de salaire monétaire est donné et, d’autre part, la demande de monnaie, conformément à l’analyse keynésienne de la préférence pour la liquidité, dépend du taux d’intérêt. Pourtant, ces deux modèles ne sont pas identiques : de profondes différences existent, la plus importante relevant sans doute du traitement des anticipations. Meade admet que les profits courants conditionnent les perspectives de profit des entreprises et montre que la stabilité de l’équilibre keynésien dépend de l’élasticité des profits anticipés vis-à-vis des profits courants. Cette différence est d’une importance cruciale en ce qui concerne l’analyse du chômage. C’est elle qui permet au modèle de Meade de s’interroger sur les conditions permettant de retrouver deux propositions développées par Keynes notamment dans le chapitre 19 de la Théorie générale [2] : 1) pour un niveau donné des salaires monétaires, l’économie peut être bloquée dans une position stable caractérisée par du chômage 2) partant de cette situation, un ajustement des salaires à la baisse est susceptible de rendre l’économie instable et de réduire l’emploi.
2Dans un premier temps, cette étude rendra compte de la manière dont Meade se démarque de Keynes en proposant d’endogénéiser les anticipations de long terme, s’inscrivant en réalité dans le prolongement de la critique que Kalecki adresse à l’analyse de l’investissement de Keynes. Dans un second temps, l’étude proposera une représentation graphique de l’équilibre du modèle de Meade afin de mieux analyser sa stabilité. Enfin, les conditions dans lesquelles un ajustement à la baisse des salaires monétaires est susceptible de provoquer des baisses de la production globale et de l’emploi seront examinées.
3D’autres études, notamment celle de Darity et Cotrell (1987) et celle de Peter Rappoport (1992) ont montré que le modèle de Meade était plus fidèle à l’esprit de la Théorie générale que celui de Hicks. Darity et Cotrell considèrent les anticipations comme exogènes à partir d’un modèle bisectoriel. Peter Rappoport considère que les anticipations sont endogènes mais raisonne à partir d’un modèle amendé réduit à un secteur de production. Ici, l’étude prend en compte simultanément le caractère endogène des anticipations et le caractère bisectoriel de l’économie.
1 – Les anticipations de long terme et l’analyse de l’investissement
4L’analyse de l’investissement de Meade est proche de celle de Keynes. À l’équilibre :
’The rate of interest equals the marginal efficiency of capital. We shall suppose that the same yield is expected in each future year on a unit of capital installed now and that this expected yield depends solely upon the profits being made at present in industry ? a rise in present profits causing some rise in the yield expected in future years. The expected annual yields divided by the current cost price of a unit of capital goods is the rate at which we must discount the future annual yields to make the present value of a unit of capital equal to its present supply price; and in equilibrium this must equal the current rate of interest."
6Pour bien mesurer la signification de cette relation d’équilibre entre le taux d’intérêt et l’efficacité marginale du capital, il est utile de la rapprocher de l’analyse keynésienne de la décision d’investir fondée sur les concepts marshalliens de prix d’offre et de prix de demande du capital. Le prix d’offre du capital est le prix qui est juste suffisant pour décider un producteur à produire une unité supplémentaire de ce capital. Keynes appelle efficacité marginale du capital le taux d’escompte qui égalise la valeur présente actualisée des rendements nets attendus de ce capital avec le prix d’offre courant d’une unité de capital. L’efficacité marginale du capital est donc un taux d’escompte, ?, tel que :
8où ?t+j représente le rendement net attendu au temps t + j, le prix d’offre du capital au temps t et n la durée de vie de ce capital.
9Le prix de demande du capital est quant à lui la valeur présente des rendements nets attendus de ce capital escomptés par le taux d’intérêt courant. Au temps t, le prix de demande du capital i, se définit donc :
11où r représente le taux d’intérêt qui est supposé donné.
12Keynes admet qu’en raison des rendements décroissants, le rendement escompté du capital diminue lorsque sa quantité augmente. En désignant par i la quantité de capital, on aboutit ainsi à la fonction de prix de demande du capital décroissante par rapport à la quantité de capital et par rapport à son autre argument, le taux d’intérêt. Le prix d’offre du capital est quant à lui fonction croissante de sa quantité en raison des rendements décroissants des entreprises [3] (il serait constant dans le cas limite de constance des rendements d’échelle). On aboutit ainsi à la fonction de prix d’offre du capital croissante par rapport à la quantité de capital.
13L’équilibre sur le marché du capital impose l’égalité du prix de demande de ce bien et du prix d’offre correspondant donnée par l’égalité représentée sur la Figure 1 à l’intersection des courbes de prix de demande et de prix d’offre.
Une représentation de l’analyse de l’investissement de Keynes (chapitre 11 de la Théorie generale)
Une représentation de l’analyse de l’investissement de Keynes (chapitre 11 de la Théorie generale)
14Cette présentation graphique met en évidence un point essentiel de l’analyse de l’investissement de Keynes : les conditions de production du capital - représentées par la pente de la courbe de prix d’offre - jouent un rôle aussi déterminant dans la détermination du niveau d’investissement que les conditions d’utilisation de ce capital - représentées par la pente de la courbe de prix de demande. Admettons en effet que le taux d’intérêt baisse. L’équilibre est rétabli à la fois par une baisse du prix de demande et une hausse du prix d’offre. L’économie glisse en effet vers la droite le long de la nouvelle courbe de prix de demande et de la courbe de prix d’offre initiale jusqu’à atteindre le nouvel équilibre.
15Considérons maintenant la proximité entre l’analyse de Meade et cette analyse de l’investissement. D’après ce qui précède, quand l’efficacité marginale du capital, ?, est égale au taux d’intérêt, r, le prix de demande du capital, , est égal au prix d’offre du capital, . Quand la durée de vie du capital est infinie, n ? ?, et que ?a représente les rendements attendus de ce capital, on obtient la condition d’équilibre de Meade.
17Jusque là, à la différence près qu’elle suppose un flux de revenus infini et stationnaire, l’analyse de Meade est identique à celle de Keynes. Elle s’en démarque cependant nettement quand elle suppose, contrairement à Keynes, que les anticipations de profit sont endogènes et dépendent des profits courants. Grâce à cette modification, il est intéressant de voir que l’analyse de l’investissement de Meade ne tombe pas sous le coup de la critique que Kalecki (1936) avait adressée à Keynes dans son compte rendu de la Théorie générale. Pour Kalecki, il est en effet incorrect de supposer que pendant le processus d’ajustement qui conduit à l’équilibre entre le taux d’intérêt et l’efficacité marginale du capital, les anticipations de long terme ne seront pas modifiées.
’Let us assume that the rate of investment has really, say, risen so much that the new level of investment prices and the initial [souligné par l’auteur] state of expectations give a marginal efficiency equal to the rate of interest. The increase of investment, however, will cause not only the prices of investment goods to rise, but also a rise of prices (or, more precisely, the upward shift of marginal revenue curves) and employment in all branches of trade. Thus, because the ’facts of the existing situation enter, in a sense disproportionately, into the formation of our long-term expectations’, the state of expectations will improve and the marginal efficiency of assets appears again higher than the rate of interest. Consequently equilibrium is not reached and investment continues to rise.’
19Pour Kalecki, les anticipations de long terme ne resteront donc pas inchangées pendant le processus d’ajustement du marché du capital. Keynes indique en effet au chapitre 12 de la Théorie générale que les anticipations de long terme sont de nature conventionnelle et précise qu’elles résultent de manière déterminante de l’extrapolation du présent vers le futur. Si ces anticipations réagissent donc aux variations de l’investissement, l’efficacité marginale du capital devra donc varier et l’équilibre de courte période, relativement aux anticipations initiales, sera perturbé :
"we see now that the Keynesian conception, which tells only how great investment will be if the given disequilibrium changes into an equilibrium, encounters a difficulty in this respect also, for it appears that the rise of investment does not lead to equilibrium at all (in any case, not to immediate equilibrium).’
21Pour Kalecki, il s’agit donc de décrire les ajustements du marché du capital en tenant compte de la modification des anticipations de long terme des investisseurs.
22Ainsi, l’analyse de Meade ne tombe pas sous le coup de la critique de Kalecki dans la mesure où la courbe de prix de demande du capital tient compte de l’influence des profits courants sur les profits anticipés mesurée par l’élasticité des profits anticipés vis-à-vis des profits courants. Pour une valeur élevée de l’élasticité d’anticipation, Meade est notamment en mesure d’envisager le cas où la courbe de prix de demande est croissante. Si la pente de la courbe de prix de demande est plus forte que la pente de la courbe de prix d’offre, pour un ajustement par les quantités, l’équilibre devient instable. L’analyse graphique permet ici d’illustrer cette situation d’instabilité.
Instabilité de l’équilibre quand les anticipations de long terme sont endogènes
Instabilité de l’équilibre quand les anticipations de long terme sont endogènes
23Cette analyse de l’investissement de Meade a permis d’avoir une première approche des relations entre le traitement des anticipations et la question de la stabilité. Afin de rechercher en quoi ce traitement des anticipations joue un rôle dans l’analyse du chômage, il est nécessaire de considérer le modèle de Meade dans sa totalité. L’analyse graphique sera un des moyens d’y parvenir.
2 – Le modèle de Meade (1937)
24Meade représente le modèle de la Théorie générale par le système d’équations suivant.
26Le modèle comprend donc onze équations [6]. La production de biens d’investissement, i, est une fonction du niveau de l’emploi, ni, dans ce secteur (équation (1)). La production de biens de consommation, c, est une fonction de l’emploi, nc, dans ce secteur (équation (2)). Dans les deux secteurs, le taux de salaire monétaire, W, est égal à la productivité marginale du travail, où désigne le prix d’offre des biens d’investissement et pc désigne le prix des biens de consommation (équation (3) et (4)). Les valeurs pcc et des productions des deux biens s’ajoutent pour former le revenu nominal Y (équation (5)). En terme de revenu, le produit national se définit comme la somme des salaires versés, Wn, et des profits, ? (équation (6)). L’emploi total est noté n. Il est égal à la somme des quantités de travail demandées dans les deux secteurs (équation (7)). Les ménages épargnent une fraction s de leur revenu qui est égale à la valeur de la production globale. L’investissement est égal à l’épargne en l’absence d’un Etat (équation (8)). Le prix de demande des biens d’investissement est égal aux profits anticipés escomptés par le taux d’intérêt (équation (9)), où E(?) est le rendement attendu du capital, lié à l’état des anticipations de long terme, fonction des profits courants, et le prix de demande du capital. Le portefeuille des agents comprend de la monnaie, des titres et des actifs réels. Les agents souhaitent détenir une quantité de monnaie dans leur portefeuille. Le rapport entre la valeur des actifs physiques qu’ils détiennent (k étant le volume des équipements fixes) et cette monnaie thésaurisée est une fonction croissante du taux d’intérêt (équation (10)). Enfin, l’équation (11) désigne la condition d’équilibre entre le prix de demande et le prix d’offre des biens d’investissement.
27Les variables endogènes sont les quantités de biens d’investissement, i, et de biens de consommation, c, les prix d’offre et de demande des biens d’investissement, et , les prix des biens de consommation pc, le produit global nominal Y, l’emploi dans le secteur des biens de consommation, nc, l’emploi dans le secteur des biens d’investissement, ni, l’emploi global, n, les profits monétaires totaux, ? et le taux d’intérêt, r.
28Les variables exogènes sont la masse monétaire , le taux de salaire monétaire W, la propension marginale à épargner s, le stock de capital k et la proportion de revenu nominal détenu sous forme d’encaisses liquides à des fins transactionnelles, ?.
29Meade suppose que la part des salaires dans le revenu est constante et que cette part est la même dans les deux secteurs d’activités. Les fonctions de productions de chaque secteur peuvent donc s’écrire comme des fonctions Cobb-Douglas telles que et où ? désigne la part des salaires dans le revenu et A et B des coefficients fixes.
30De (1) il vient :
32dont on déduit de (3):
34Autrement dit le prix d’offre des biens capitaux s’accroît proportionnellement quand le taux des salaires monétaires augmente [7]. Il croît quand le niveau de la production augmente. Cette équation permet donc de tracer la courbe de prix d’offre de biens capitaux. Celle-ci est croissante dans le plan (pi, i) et se déplace vers le haut quand le taux de salaire monétaire s’accroît.
35D’après (5), l’épargne est égale à l’investissement. Le produit national s’écrit donc :
37Sachant que :
39On tire:
41Le taux d’intérêt est égal au rapport des profits anticipés à la valeur du stock de capital (équation (9)):
43Quand où représente l’élasticité d’anticipation, le taux d’intérêt s’écrit :
45ou encore:
47L’équilibre sur le marché de la monnaie implique, si l’on traite la monnaie comme variable exogène:
49On peut déterminer une fonction de prix de demande de biens capitaux en partant de cette relation. Quand les profits anticipés dépendent des profits courants, on obtient une courbe croissante ou décroissante dans le plan pi – i.
Une représentation graphique du modèle bisectoriel de Meade
Une représentation graphique du modèle bisectoriel de Meade
50Considérons maintenant en détail la manière dont la sensibilité des profits anticipés au profit courant agit sur la stabilité de l’équilibre global et quelles sont ses implications du point de vue des effets de la flexibilité des salaires sur l’emploi.
3 – Stabilité et flexibilité des salaires
51Considérons les mécanismes d’ajustement suivants :
53où est l’offre de travail (supposée inélastique) et n la demande de travail. La première équation indique que l’investissement croît en fonction de l’excès du prix de demande sur le prix d’offre du capital, autrement dit de l’écart entre l’efficacité marginale du capital et le taux d’intérêt. Le second mécanisme d’ajustement indique que les salaires monétaires baissent quand l’offre de travail excède la demande de travail.
54Au voisinage de l’équilibre, on a :
58La matrice jacobienne s’écrit:
60Les deux conditions nécessaires et suffisantes de stabilité sont :
62Si les salaires sont rigides, la première de ces deux conditions est suffisante pour la stabilité, c’est la condition donnée par Meade. Elle requiert que la pente en valeur absolue de la courbe de prix de demande, ne soit pas plus forte que celle de la courbe de prix d’offre, [9]. A taux d’intérêt constant, cette condition signifie que les variations de la production de biens d’investissement exerce une influence plus faible sur la courbe de prix de demande, via l’effet des profits courants sur les profits anticipés, que sur la courbe de prix d’offre, via son effet sur le coût des entreprises.
63Si les salaires sont flexibles, la stabilité de l’équilibre stationnaire dépend à nouveau de (12). Si (12) est vérifiée, l’équilibre stationnaire est stable et l’ajustement à la baisse des salaires, en partant d’une situation de chômage, ramène l’économie à une position d’équilibre de plein-emploi. En revanche, si (12) n’est pas vérifiée, le modèle est instable et un ajustement des salaires à la baisse est susceptible de déstabiliser l’économie. Ce cas est celui où la pente de la courbe de prix de demande est supérieure celle de la courbe de prix d’offre. Ce cas d’instabilité correspond donc à un défaut de stabilité statique.
64La dynamique de l’économie est représentée par les deux diagrammes de phases (voir annexe).
Instabilité
Instabilité
Stabilité
Stabilité
65Admettons que l’économie est bloquée dans le cadran nord-ouest de la figure 4.A. Dans cette situation d’équilibre avec chômage, les deux variables commencent par baisser. Dans le repère investissement-prix des biens d’investissement, les courbes des prix de demande et d’offre des biens d’investissement se déplacent vers le bas, entraînant du même coup une baisse des profits nominaux. Pour un niveau inchangé de la production des biens d’investissement, l’effet de la baisse des profits nominaux courant sur le prix de demande des biens d’investissement dépendra de la réaction des profits anticipés à la variation des profits courant déterminée par l’élasticité d’anticipation [10]. Pour que le produit diminue quand les salaires baissent, il faut donc que pour chaque niveau de produit, la baisse du prix de demande des biens d’investissement soit plus forte que la baisse du prix d’offre des biens d’investissement. Sur le diagramme, la trajectoire s’incurve vers la verticale au fur et à mesure que l’on se rapproche du lieu de stationnarité de i et que l’on s’éloigne de celui de W. Lorsque l’on touche le lieu , la trajectoire est verticale parce que, si i ne se modifie pas, le fort taux de chômage fait évoluer les salaires à la baisse. Ce qui entraîne cette fois, dans le cadran sud-ouest, un accroissement de la production de biens d’investissement et du produit global, et permet la reprise économique. La trajectoire s’incurve alors vers l’horizontale au fur et à mesure que l’on se rapproche du lieu de stationnarité de W, etc. Une évolution en forme d’escargot divergent se dessine ainsi.
66Cette propriété d’instabilité de l’équilibre stationnaire ne peut manquer de faire échos au chapitre 19 de la Théorie générale. Pour autant, ce modèle s’en démarque sur deux points essentiels. Premièrement, l’ajustement des salaires monétaires se révèle déstabilisant seulement dans le cas où l’économie se trouve initialement dans une position d’équilibre avec chômage et salaire fixe instable. Or la situation décrite par Keynes est celle où une baisse des salaires déstabilise l’économie initialement bloquée dans une position d’équilibre stable. Un point qui permet d’ailleurs à Keynes de conclure que la rigidité des salaires, plutôt que d’être la cause du chômage est au contraire la garantie d’un certain niveau d’emploi. Deuxièmement, tandis qu’un ajustement des salaires à la baisse est susceptible de plonger l’économie dans une phase de récession longue chez Keynes, elle se traduit chez Meade par l’alternance de phases de récession et d’expansion.
Conclusion
67L’analyse de Meade ne s’est pas révélée capable d’exprimer simultanément deux propositions centrales de la Théorie générale : l’équilibre avec chômage, quand les salaires sont rigides, est stable et partant de cette situation, un ajustement à la baisse des salaires peut réduire l’emploi. Dans le modèle de Meade, l’ajustement des salaires monétaires se révèle déstabilisant seulement dans le cas où l’économie se trouve dans une position d’équilibre avec chômage et salaire fixe instable.
68Pour autant, par son traitement des anticipations, le modèle de Meade offre un cadre adéquat à une analyse des phénomènes dynamiques décrits par Keynes dans le chapitre 19 de la Théorie générale. C’est en effet précisément à partir d’un modèle de ce type mais dans lequel jouent les effets "dynamiques" de la baisse des prix et des salaires sur la structure financière des entreprises, que Tobin (1975) parvient presque 40 ans plus tard à exprimer simultanément ces deux propositions de Keynes.
69Ne peut-on imaginer brièvement les conséquences pour le développement de la macroéconomie si on avait pris en compte cet article de 1937 ? Peut-être les économistes keynésiens d’après-guerre seraient plus rapidement arrivés à ce résultat et n’auraient pas conclu aussi rapidement que la rigidité des salaires est la cause du chômage mais plutôt la garantie d’un certain niveau d’emploi. Peut-être auraient-ils défendu la thèse que le clivage entre classiques et keynésiens porte autant sur les propriétés de stabilité de l’équilibre de plein emploi que sur celle de l’équilibre keynésien à salaire fixe.
71Ou encore
73où
75Les lieux et de stationnarité sont donnés par :
77Quand la condition de stabilité sur la trace (condition 12) n’est pas vérifiée, l’équilibre à salaire fixe est instable : la pente de la droite de prix de demande est plus forte que la pente de prix d’offre des biens d’investissement . Dans ce cas, on a donc A > 0 et le lieu est une droite croissante de pente – A/B et d’ordonnée à l’origine – C/B. En dessous de cette droite, i augmente car la relation est croissante en i et inversement au dessus. Le lieu ? = 0 est une droite verticale à – E/D. A droite, W augmente car la relation ? est croissante en : lorsque i est ’élevé’, le taux de chômage est faible et le taux de croissance des salaires est plus fort. Et inversement à gauche du lieu ? = 0.
Bibliographie
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Notes
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PHARE, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Maison des Sciences Économiques, bureau 326, 106-112, boulevard de l’Hôpital, 75647 Paris cedex 13. E-mail : michael. assous@ univ-paris1. fr. Une première version de ce papier a été présentée à l’université d’été en Histoire de la Pensée et Méthodologie Économique de Nice, en 2004, et à la journée d’étude du CLERSE et de l’ADEK à Paris, en 2004. Il a aussi été présenté dans les séminaires externes de l’Université de Saint Etienne et de l’Université de Marne-La-Vallée. L’auteur remercie vivement Carlo Benetti, Alain Béraud, Claude Marguet et les deux rapporteurs anonymes des Cahiers d’Économie Politique pour leurs remarques et suggestions et tout particulièrement Antoine Rebeyrol pour son aide précieuse. L’auteur reste évidemment seul responsable des omissions et erreurs qui pourraient exister.
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[2]
Ironiquement, il semble que ce soit précisément ces caractéristiques à partir desquelles ces propositions peuvent être déduites qui ont conduit à délaisser la formalisation de Meade. Frisch et Tinbergen notamment se sont interrogés sur la validité de l’analyse de la stabilité de Meade. Leurs réticences ont sans doute contribué au succès de l’approche de Hicks. La correspondance entre Frisch et Meade à ce propos est éclairante. Dans une lettre du 8 octobre 1936, Frisch écrit : "I was much interested in your paper on the stability question in connection with Mr. Keynes’ system. If the definition and the fundamentals of the stability situation could be discussed in more exact terms than those you use in your paper, I think the paper would be an excellent one and I should be very glad to see it appear in Econometrica. I feel rather definitely, however, that before it appears a thorough-going overhauling ought to be made, particularly with a view to bringing out the exact meaning stability and the assumptions under which your conclusions hold good. May I suggest that you discuss this matter with Marshak?’ (Young, 1987 : 37). Cependant, Meade ne modifiera pas son analyse de la stabilité, préférant publier son article dans la Review of Economic Studies.
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’If there is increase investment in any given type of capital during any period of time, the marginal efficiency of that type of capital will diminish as the investment in it is increased… because, as a rule, pressure on the facilities for producing that type of capital will cause the supply price to increase’ [Keynes 1936: 136]
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"Admettons que le taux d’investissement s’est effectivement élevé à un niveau tel que le nouveau prix des biens d’investissement, conjointement à l’état initial [souligné par Kalecki] des anticipations, détermine une efficacité marginale égale au taux d’intérêt. Toutefois, l’augmentation de l’investissement entraînera non seulement une augmentation du prix des biens d’investissement mais aussi une augmentation des prix (ou plus précisément le déplacement vertical des courbes de revenu marginal) et de l’emploi dans toutes les industries. Etant donné que "les faits de la situation présente jouent un rôle disproportionné dans la formulation de nos anticipations à long terme", l’état de nos anticipations s’améliorera et l’efficacité marginale des actifs sera plus élevée que le taux d’intérêt. Par conséquent, l’équilibre n’est pas atteint et l’investissement continue de croître." (Kalecki, 1990 : 538)
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"Nous pouvons à présent constater que la conception keynésienne, qui nous indique seulement quel sera le niveau de l’investissement si le déséquilibre donné se transforme en équilibre, rencontre une difficulté sur ce point, car il apparaît que l’augmentation de l’investissement ne conduit pas du tout à un équilibre (et en tout cas, pas à un équilibre immédiat)." (Kalecki, 1990 : 539).
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Meade définit en réalité un modèle de 10 équations dans lequel n’apparaît pas explicitement la condition d’équilibre (11) entre prix de demande et prix d’offre des biens d’investissement.
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De la même façon, le prix des biens de consommation s’accroît proportionnellement quand le taux de salaire augmente. Il croît quand le niveau de la production augmente. Meade note ? l’élasticité de courte période de l’offre de biens capitaux, autrement dit le rapport de l’accroissement de la production à l’accroissement du coût marginal du travail :
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De (5), (8) et (11), il vient :De (1), (2), (3) et (4), il vient:Par (7), on a donc:
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Quand (12) est vérifiée, on a :
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. Par conséquent, quand ,