Notes
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[1]
Je remercie vivement les deux rapporteurs pour leurs nombreuses suggestions ainsi que Bernard Baudry, Pierre Dockès et Jérôme Maucourant : leurs lectures d’une version préliminaire m’ont été d’une grande utilité. Que soit aussi remerciée Joëlle Cicchini pour ses corrections. Je suis néanmoins seul responsable des erreurs ou omissions que ce texte comporte. Les principales idées avancées ici ont d’abord fait l’objet d’une présentation au colloque de la European Society for the History of Economie Thought (ESHET), en 1998 à Bologne (Italie). Enfin, je précise que j’étais encore membre du Centre Walras (Lyon 2) au moment où cet article a été rédigé.
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[2]
Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, MATISSE-CNRS, UMR 8595, btinel@ univ-paris1. fr.
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[3]
En témoignent les nombreux recueils de textes qui l’ont reproduit, partiellement ou dans sa totalité (cf. par exemple Putterman (1986), Barney & Ouchi (1986) ou Ricketts (1988)), et la place centrale qu’il tient dans les manuels de troisième cycle (Hess (1983), Milgrom & Roberts (1992)) ou les articles de synthèse (Archibald (1987), Cheung (1987b), Holmström & Tirole (1989)).
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[4]
Durant les années 1930 aux États-Unis, avait eu lieu un premier débat sur la nature de la firme, auquel les économistes institutionnalistes, dont notamment J.R. Commons, ont pris part (sur Commons, cf. Bazzoli (1999) et le numéro spécial des Cahiers d’Économie politique nos 40-41 (2001)).
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[5]
Et ce, même si d’autres travaux sur l’organisation, à l’instar de ceux d’Harvey Leibenstein, Herbert Simon ou de Cyert et March, avaient déjà vu le jour en marge du courant dominant depuis les années 1950 et 1960.
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[6]
Ce modèle a donné lieu à de nombreuses autres investigations théoriques mais n’est pas considéré comme ce qui serait la version « canonique » d’une théorie de la firme.
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[7]
Depuis cette date il est professeur à UCLA.
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[8]
Ce dernier assurera la direction de la publication du Journal of Law and Economies de 1964 à 1982. C’est dans cette revue que seront publiés de nombreux articles sur la théorie des property rights, à l’instar de celui de Demsetz en 1964.
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[9]
Le lecteur consultera les principales publications de ces deux auteurs en la matière : Alchian (1965b) et (1987), Alchian et Demsetz (1973), Demsetz (1964), (1966), (1967), (1968), (1969) et (1972). Pour une présentation synthétique de la théorie des property rights, cf. Furubotn & Pejovich (1972). On trouvera une approche plus récente et peu différente dans Barzel (1989). En français, on lira l’excellente contribution critique de Andreff (1982).
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[10]
Outre Alchian et Demsetz, on citera par exemple Cheung, Barzel, De Alessi, Furubotn, Pejovich etc.
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[11]
À la suite de Gordon (1954) et Hardin (1968), une telle situation est désignée par l’expression de « tragédie des commons ».
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[12]
Sur ce point, voir en particulier la critique que Demsetz (1969) adresse à Arrow.
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[13]
Notons que si Alchian (1950) est une contribution importante à la théorie économique moderne de l’évolutionnisme, ce thème n’est à notre connaissance qu’implicitement présent dans la théorie des droits de propriété.
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[14]
Pour une discussion des positions néo-institutionnalistes de North, cf. Rollinat (1997) et Maucourant (1997).
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[15]
Il est significatif que l’article d’Alchian et Demsetz, destiné à sensibiliser les historiens à la théorie des droits de propriété, ait été publié en 1973 dans le Journal of Economic History : D.C. North assumait alors des fonctions éditoriales dans cette revue. Cet article est l’occasion pour Alchian et Demsetz d’exhorter leurs collègues historiens à ne pas laisser l’histoire économique entre les mains des critiques de gauche ; ils écrivaient : « It is unfortunate that the study of the underpinnings of capitalism has been left by default to its critics on the left » (Alchian & Demsetz (1973), p. 16).
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[16]
Cf. Alchian (1965b) ; Cheung (1969), (1987a), (1987b) ; De Alessi (1980) ; sur les réformes intervenues en URSS à la fin des années soixante, cf. Pejovich (1969a), (1969b) ; pour une tentative de généralisation, cf. Pejovich (1971).
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[17]
Cf Pejovich (1969b), (1971) ; sur l’entreprise yougoslave, cf. Furubotn & Pejovich (1970), (1972) ; Cheung (1983).
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[18]
Remarquons que l’intérêt témoigné par ces auteurs américains pour l’analyse de l’efficacité comparée des systèmes n’avait rien d’original ; avec Max Weber, L. von Mises et K. Polanyi, la tradition européenne procéda dès les premières décennies du XXe siècle à un débat intense sur la question ; cf. Maucourant (1993) et Palermo (1998).
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[19]
Il faut noter que le courant était déjà fortement influencé par la Monthly Review, créée en 1949 par P. Sweezy et l’historien Leo Huberman. Mais les radicaux cherchent toutefois à marquer très tôt leurs distances vis-à-vis de leurs aînés marxistes par le refus de recourir à la théorie de la valeur. En outre, la RRPE n’était pas la seule publication à émerger. On peut aussi citer Socialist Review, Newleft Review, Capital and Class, et surtout Politics & Society (cf. Flaherty (1987)). Ce dernier périodique fut publié en Californie à partir de 1970. Il absorbera d’autres périodiques dès la fin de la même décennie.
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[20]
Pour une argumentation dans ce sens, cf. Fine (1998).
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[21]
A propos de ce jeu de défis et contre défis entre économistes radicaux et néoclassiques, cf. Tinel (2002).
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[22]
Cf. Franklin & Tabb (1974), p. 127.
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[23]
Ce texte fut écrit durant l’été 1970 et circulait dès 1971 sous la forme d’un document de travail de l’université de Harvard, il a été publié pour la première fois en français dans un ouvrage collectif coordonné par A. Gorz, en 1973. Landes (1986) consacrera un article entier à contredire la thèse de Marglin. De nombreux autres auteurs, parmi lesquels Stiglitz (1975), Williamson (1975) et (1985), Goldberg (1980) ou Hess (1983), la discuteront aussi.
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[24]
La très grande majorité des théoriciens de l’entreprise parlent indifféremment de hiérarchie ou d’autorité, pour désigner la subordination de l’employé à l’employeur, c’est-à-dire le pouvoir d’imposer l’obéissance. Nous ferons de même dans ce papier par souci de simplification. Mais précisons tout de même que la notion de hiérarchie est, selon nous, purement formelle. Elle désigne une simple relation d’ordre entre différents éléments. En revanche, l’idée d’autorité revêt un caractère beaucoup plus substantiel, puisqu’elle renvoie à l’idée de fondation voire de création. L’autorité implique nécessairement un principe de hiérarchisation, mais l’inverse n’est pas vrai. Ainsi, c’est par métonymie que la hiérarchie peut désigner l’autorité.
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[25]
Elles sont rassemblées dans un ouvrage très connu, publié en 1974 sous le titre The limits of organization.
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[26]
C’est précisément dans ce sens que Marglin fait référence à Coase : « Ronald Coase appears to be unique in recognizing that the very existence of capitalist enterprise is incompatible with the reliance of perfect competition on the market mechanism for coordinating economic activity » (Marglin (1971), p. 84, n. 46).
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[27]
Alchian et Demsetz (1972) écrivent en effet (p. 783) : « Our view of the firm is not necessarily inconsistent with Coase’s ; we attempt to go further and identify refutable implications ».
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[28]
Pour des exposés critiques en français, cf. Gabrié & Jacquier (1994) et Coriat & Weinstein (1995).
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[29]
Cet exemple est celui à partir duquel Alchian & Demsetz avancent l’hypothèse d’une non-séparabilité de la fonction de production.
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[30]
Par ailleurs, Williamson, Wachter & Harris (1975) critiqueront vigoureusement l’idée d’une renégociation permanente des contrats.
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[31]
Cf. Alchian (1965b).
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[32]
Cette approche est aussi désignée par les termes de « théorie des droits de propriété », alors même que celle-ci n’a que peu de rapport dans sa méthode avec la « vieille » théorie des property rights développée notamment par Alchian et Demsetz durant les années soixante.
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[33]
Pour des développements concernant l’analyse de l’autorité dans les approches standard contemporaines, cf. Baudry & Tinel (2003).
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[34]
Ceci ne signifie évidemment pas, bien au contraire, que la microéconomie contemporaine souscrit en tous points aux arguments des radicaux.
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[35]
Ceci (faut-il le préciser ?) ne signifie aucunement que le défi radical soit la cause unique de la publication de cet article.
Introduction
1Quel peut être l’intérêt d’appréhender les théories contemporaines, et en particulier la micro-économie, sous l’angle de l’histoire de la pensée ? D’une part, les années 1970 et 1980, bien que peu éloignées de nous, font déjà partie de l’histoire. D’autre part, en dépit du caractère récent de la « nouvelle micro-économie », suggéré par une telle appellation, son épanouissement et sa position aujourd’hui dominante attestent d’une histoire déjà ancienne. Tout comme la plaidoirie d’un avocat peut se révéler parfaitement incompréhensible si l’on n’a pas entendu préalablement le réquisitoire du procureur, il n’est souvent pas possible de comprendre pleinement ce qui est dit si l’on ne connaît pas les idées anciennes par rapport auxquelles se développent les idées nouvelles. Celles-ci n’étant pas formulées en dehors de l’histoire sociale, il convient aussi d’articuler l’histoire des idées à l’histoire de la société.
2Publiée en 1972 dans l’American Economie Review, la contribution d’Armen A. Alchian et Harold Demsetz consacrée à la théorie de la firme et de l’organisation est considérée, depuis déjà un certain temps, comme un « classique » [3]. Pourquoi cette contribution a-t-elle acquis une telle notoriété ? Tout économiste s’intéressant à ces questions répondra sans doute qu’il s’agit là de l’une des premières tentatives d’élaboration d’une théorie générale de la firme qui s’émancipe de l’approche néoclassique de l’entreprise comme « boîte noire », depuis l’article fondateur de Ronald Coase (1937) [4]. C’est d’ailleurs ce qu’écrit en substance Mark Blaug à propos de l’article d’Alchian et Demsetz, qu’il qualifie « d’immensément influent », en soutenant qu’il « est à peu près le premier à retenir la suggestion de Coase selon laquelle les coûts de transaction sont la clé de la création des firmes et à examiner par le menu les implications de cette idée pour la relation d’emploi entre le travail et le management » (Blaug (1985)). Jusqu’alors, l’organisation interne de l’entreprise était en effet généralement considérée comme ne relevant pas du domaine d’investigation de l’économiste, mais à la fois de celui de l’ingénieur et des sciences du management. C’est donc l’une des originalités de cette publication que d’avoir été parmi les premières à relier les questions managériales aux questions économiques [5]. En outre, cette contribution d’Alchian et Demsetz est souvent présentée comme énonçant des problématiques jugées nouvelles, telles que, par exemple, l’aléa de moralité en équipe, les questions de mesure de la productivité individuelle et du contrôle, à partir desquelles se développeront par la suite non seulement la théorie de la firme et des organisations, mais aussi la théorie des contrats, l’une et l’autre étant fortement reliées.
3La notoriété de cet article proviendrait donc, en partie, des innovations théoriques qu’il contient. Pourtant, en lui-même, le modèle d’Alchian et Demsetz n’a pas été retenu pour servir de cadre de référence aux approches ultérieures en matière de théorie de la firme. En effet, mis à part le modèle de production en équipe d’Holmström (1982) [6], les publications récentes ne laissent subsister que très peu d’éléments de l’approche initiale d’Alchian et Demsetz. Précisément, le rôle primordial donné par ces auteurs à la non-séparabilité des facteurs de production a fait l’objet de vives critiques dès le milieu des années soixante-dix. De plus, une lecture attentive de cet article permet de déceler un certain nombre de limites internes qui peuvent partiellement expliquer le fait que ce modèle n’ait pas été retenu comme cadre de référence. Finalement, les mentions encore fréquentes de ce texte se concentrent aujourd’hui essentiellement dans des débats portant sur ce qui fonderait la spécificité du contrat de travail au regard d’un contrat « ordinaire » (Masten (1988), Kreps (1990), Hart (1995)). Ainsi, cette contribution est encore présente dans les recherches sur la théorie de la firme uniquement par des allusions à un passage très circonscrit et très connu, où les auteurs comparent la relation d’emploi que nouent un salarié et son employeur à la relation marchande que nouent un épicier et son client.
4La place de cet article est donc équivoque. D’une part, il est considéré comme un classique et, à ce titre, nombreux sont ceux qui s’en réclament. Mais, d’autre part, peu d’auteurs reprennent (ou ont repris) vraiment son contenu. Dès lors, ce texte fait référence encore aujourd’hui moins en raison de son apport net que comme un momentum de la première synthèse vers une théorie « générale » orthodoxe de la firme. En outre, seul un court passage, qui traite de la spécificité de la relation d’emploi, intéresse encore aujourd’hui certains chercheurs. Pourquoi seul ce court extrait a-t-il subsisté ?
5Parmi la multitude des facteurs intervenant dans la production du savoir en économie, l’historien de la pensée doit tenter de dissocier ce qui relève de la logique interne, propre au déroulement d’un programme de recherche, de ce qui relève plus largement de l’histoire sociale. Ceci sans oublier que toute activité de recherche et de création est à la fois singulière et indéterminée. Aussi, la présente contribution se propose-t-elle de mieux comprendre la position équivoque de la publication d’Alchian et Demsetz (1972) par une mise en perspective historique. Il s’agit, d’une part (première section), de montrer en quoi elle s’inscrit dans une relative continuité vis-à-vis de la théorie des droits de propriété, le programme de recherche que ces deux auteurs dirigèrent durant les années 1960. D’autre part, au delà de la cohérence interne de leur œuvre, celle-ci s’inscrit en relation avec l’histoire sociale. En effet, peu avant que cette théorie de la firme ne soit élaborée et publiée, émergeait aux États-Unis un nouveau courant dans la sphère académique. Porteur de l’esprit contestataire et anti-hiérarchique de la fin des années 1960, l’économie politique radicale fut très tôt considérée comme posant un « défi » au courant dominant (seconde section). Or, si la théorie de la firme d’Alchian et Demsetz apparaît bien comme une synthèse de leurs travaux passés et un momentum vers une théorie « générale orthodoxe », elle répond aussi implicitement à ce défi (troisième section). Enfin, (quatrième section) une interprétation de la place équivoque occupée aujourd’hui par cet article est proposée à la lumière du contexte historique dans lequel il est apparu voilà plus de trente ans.
1 – La théorie des droits de propriété
6Publié en 1972, l’article sur la théorie de la firme d’Alchian et Demsetz ne propose pas une analyse vraiment nouvelle. Il provient d’un courant bien particulier ayant élaboré la théorie dite des droits de propriété, auquel il emprunte de nombreux procédés d’analyse. Ceux-ci furent élaborés au cours des années 1960, notamment par ces deux auteurs. Pour ces raisons, ces derniers ont peut-être moins fait preuve d’innovation conceptuelle dans leur contribution de 1972 que dans celles qui la précèdent.
7Après une brève présentation biographique de ces deux auteurs, cette première section donne une vue d’ensemble sur les thématiques abordées initialement par la théorie des droits de propriété dans les années 1960 et, ensuite, présentes dans l’article de 1972. Cette section montre que la théorie des droits de propriété avait pour objet l’étude du système économique dans son ensemble et non celle des unités qui le composent.
8L’activité de recherche d’Alchian et Demsetz ne débute pas avec la théorie des droits de propriété puisque, d’une part, Armen A. Alchian, né en 1914, a commencé sa carrière à la Rand Corporation où il fut en poste de 1947 à 1964 [7]. C’est ainsi par exemple que sa contribution de 1950, publiée dans le Journal of Political Economy, est l’une des pièces fondatrices de la théorie évolutionniste moderne. Son article de 1969 est de même considéré comme une contribution importante à la théorie du job search. D’autre part, né en 1930, professeur à UCLA depuis 1971, Harold Demsetz est notamment connu depuis la fin des années 1950 pour ses travaux sur le monopole. Il était depuis 1963 en poste à Chicago où il a côtoyé Ronald Coase [8]. Durant la période des années 1950-60, l’engagement universitaire d’Alchian et Demsetz est étroitement lié à leur engagement politique contre le communisme et l’interventionnisme : ils deviendront tous deux très tôt des membres actifs de la Société du Mont Pèlerin.
9Alchian et Demsetz ont élaboré la théorie des droits de propriété [9] dans le sillage de la contribution de Coase (1960). Cette approche correspond à une volonté de réforme de l’analyse marginaliste dominante de l’immédiat après-guerre, en vue d’une compréhension plus fine et plus étendue du monde réel, auquel elle est supposée s’appliquer. Elle pourrait donc être considérée à première vue comme « dissidente » par rapport à la théorie de l’équilibre général. Cependant, la littérature consacrée à la théorie des droits de propriété n’est pas une hétérodoxie. Au contraire, elle appartient clairement au courant dominant. Ainsi, les aspects fondamentaux du mainstream, tels l’individualisme méthodologique, la rationalité, la supériorité supposée de l’autorégulation des marchés et de la libre entreprise, la non remise en cause des dotations initiales des agents, etc. sont conservés. La théorie des droits de propriété témoigne d’une ambition à la fois théorique, de réforme du néoclassicisme, et politique, de combat pour la propriété privée et le marché auto-régulé, contre non seulement toute forme de socialisme mais aussi contre l’État interventionniste. De ce point de vue, Alchian et Demsetz ont contribué à fourbir les armes avec lesquelles la contre-révolution conservatrice a mené sa politique de libéralisation généralisée de l’économie et de privatisations, à partir de la fin des années 1970.
10Les tenants de cette approche [10] considèrent la propriété privée, en vertu de son caractère exclusif et transférable, comme le meilleur moyen de valorisation des ressources. Toute propriété commune, en raison de son caractère non exclusif, conduirait nécessairement à une surutilisation des richesses. En effet, lorsque la propriété revêt un caractère collectif, des comportements de « passager clandestin » se généraliseraient quasi mécaniquement [11]. L’essentiel de cette littérature consiste en un développement poussé de ces réflexions qu’Alchian et Demsetz réutiliseront dans leur article de 1972. Ainsi que l’enseigne le « théorème » de Coase dans sa version la plus répandue, dans un univers où les coûts de transaction sont nuls, quelle que soit l’allocation initiale des droits de propriété, l’utilisation des ressources est toujours réalisée de manière optimale. Toutefois, dans un monde où les coûts de transaction ne sont pas nuls, il peut être impossible de définir parfaitement certains droits ou de procéder à leur réallocation. C’est l’un des points importants de la théorie des property rights que de relier la question des coûts de transaction à celles de la définition et de la spécification des droits de propriété. Dans un monde sans coûts de transaction, il est possible de préciser clairement tous les droits de propriété sous une forme privée, donc aucun problème de free riding n’apparaît. Dans le monde « réel », les coûts liés à la spécification des droits expliqueraient l’existence des formes variées de propriété. Toute forme de propriété non totalement privée ne serait par conséquent qu’un second best.
11Pour ces auteurs, le marché réalise une allocation optimale des droits de propriété privée. Lorsque, en raison d’une imprécise spécification des droits, le free riding se généralise dans une situation donnée, il conviendrait de s’interroger sur le coût comparé des différents moyens de coordination possibles. La meilleure solution consisterait à créer un marché de droits privés. Toutefois, un mécanisme allocatif administré serait parfois moins coûteux. Enfin et surtout, il pourrait même être plus efficient de ne rien faire si les coûts de mise en place, c’est à dire de définition des droits, de l’un ou l’autre des deux mécanismes de coordination sont trop élevés au regard de la valorisation économique qu’ils sont susceptibles d’induire. Contre leurs adversaires libéraux (au sens américain), les tenants de la théorie des droits de propriété insistent pour que l’État ne soit pas le seul supplétif envisagé aux défaillances du marché : l’absence de tout mécanisme de coordination pourrait être préférable dans certains cas à l’interventionnisme [12].
12Pour Alchian et Demsetz, l’existence et la persistance dans le temps de la propriété privée seraient imputables au fait qu’une très large majorité de personnes reconnaîtrait ses vertus et éprouverait ainsi le désir de la promouvoir. La propriété privée serait particulièrement souhaitable car elle permettrait, par le truchement du marché, d’atteindre non seulement une situation satisfaisante au niveau individuel mais aussi l’harmonie sociale.
13Les normes sociales et les institutions résulteraient, pour Alchian, d’un processus évolutionniste sélectionnant les comportements et les institutions relativement supérieurs. La propriété privée serait donc le résultat d’un processus de sélection évolutionniste, une forme de propriété relativement supérieure aux autres [13]. Dans leur ouvrage intitulé L’essor du monde occidental, North et Thomas (1980) élaborent une histoire économique visant à rendre compte de ce processus de sélection. L’histoire économique de notre civilisation correspondrait à la lente recherche d’un système de droits de propriété toujours plus efficient. L’organisation sociale qui prévaut à un moment donné serait une réponse optimale à la structure des droits de propriété [14]. Celle-ci devrait encourager l’initiative économique pour qu’augmente le revenu par tête [15].
14Une littérature abondante est consacrée à l’étude comparée des systèmes d’allocation des ressources par l’intermédiaire des prix et par voie administrée [16]. L’efficience comparée des firmes capitalistes et des firmes socialistes, lesquelles sont toujours appréhendées comme des « boîtes noires », et les incidences de la structure contractuelle, du niveau des coûts de transaction et du niveau d’information sur la croissance sont des thèmes classiques de ce courant [17].
15L’intérêt que porte Alchian à la théorie de la firme est ancien, ainsi qu’en témoignent, entre autres, son article de 1950 et la synthèse qu’il publie quinze ans plus tard dans le Journal of Industrial Economies (Alchian (1965a)) ou encore les développements contenus dans son manuel (Alchian & Allen (1964)). Malgré cette attention prononcée pour l’étude de l’entreprise, la théorie des droits de propriété continue toujours à analyser la firme en tant que telle comme une « boîte noire ». En effet, ce courant s’intéresse beaucoup moins à l’organisation interne des unités qui composent l’économie qu’à l’organisation du système économique dans son ensemble. Durant les années 1960, la théorie de la firme, en tant qu’organisation, n’est pas une priorité pour le courant des property rights et notamment pour Alchian et Demsetz.
16Au cours des dix années qui ont précédé la publication de leur article de 1972, Alchian et Demsetz ont joué un rôle prépondérant, au sein du courant des property rights, dans des réflexions menées sur les notions de contrat, d’asymétrie d’information, de free riding, de définition et de transfert de droits de propriété etc. Ils utiliseront toutes ces notions dans leur théorie de la firme, qui apparaît dès lors moins comme une véritable innovation que comme une synthèse de leurs travaux précédents. Mais, il reste à comprendre pourquoi ces deux auteurs se sont subitement détournés de l’étude de l’organisation du système économique dans son ensemble, au profit de l’étude des unités qui le composent. Bien qu’il n’existe probablement pas une réponse simple et unique à cette question, la prise en compte du contexte historique nous offre un éclairage précieux.
2 – Le « défi radical »
17Alchian et Demsetz appartiennent à une génération profondément marquée par la guerre froide. Durant tout l’après-guerre, la marche du monde, en particulier dans ses aspects politiques et économiques, ne pouvait être comprise sans prendre en compte l’affrontement entre les deux blocs. Cet affrontement était aussi une concurrence entre deux systèmes économiques. On saisit alors mieux le sens de l’engagement de ces auteurs en faveur du marché autorégulateur et de la propriété privée. Peu importait l’étude du fonctionnement interne des entreprises, il s’agissait de défendre l’économie de marché dans son ensemble contre l’ennemi extérieur, le communisme et son affidé intérieur, l’interventionnisme [18].
18Au fil du temps, la situation a évolué vers la détente et la nécessité de défendre le système capitaliste contre le communisme a pu paraître moins pressante au regard de ce qui se passait à l’intérieur même des sociétés fondées sur la propriété privée et le marché. En effet, depuis le début des années 1960, les sociétés occidentales, en particulier les États-Unis, étaient bousculées par un large mouvement multiforme de contestation sociale : contre-culture, féminisme, droits civiques ou mouvement pacifiste s’opposant à la guerre du Viêt-nam. Ces différents mouvements avaient en commun d’adopter une posture anti-hiérarchique. Toutes les formes d’autorités devaient être mises à bas. Elles étaient dénoncées comme étant à l’origine de toutes les formes d’injustice et « d’aliénation » que subissaient tant les individus que les minorités. La critique du système capitaliste et de l’entreprise comme système hiérarchisé destiné à exploiter les salariés était l’un des thèmes les plus prisés par cette « nouvelle gauche ».
19Cette agitation n’aurait probablement pas eu d’influence sur la science économique standard si elle n’avait pas eu une traduction directe et active dans le champ académique sous la forme de l’économie politique radicale (radical political economics). Ce courant de pensée s’est institutionnalisé, dans le domaine de l’enseignement et de la recherche en économie, par la création durant l’été 1968 de l’Union for Radical Political Economics (URPE). Rapidement, l’association radicale se dote de moyens destinés à diffuser ses idées : un bulletin de liaison bimestriel intitulé Newsletter of the URPE, un magazine appelé Dollars and Sense et surtout la publication du premier numéro de la Review of Radical Political Economics (RRPE) en mai 1969. Celui-ci avait été précédé, en décembre 1968, par les 1968 Conference Papers of the URPE [19]. La qualité de ce périodique a sans doute contribué à donner une crédibilité à ce qui, sans cela, serait probablement resté, comme tant d’autres, un mouvement de révolte de jeunesse aussi utopique que désordonné.
20En réaction à la virulence des critiques radicales vis-à-vis de l’économie néoclassique, le courant standard a rapidement et largement rendu compte des travaux de ses jeunes détracteurs. À leur tour, les surveys réalisés par les économistes orthodoxes sur les travaux de cette « nouvelle gauche » furent très critiques. En effet, dès le début de la contestation de sa propre prééminence, le courant dominant a éprouvé le besoin de justifier ses pratiques et sa position hégémonique. Le mainstream devait se défendre en répondant formellement aux attaques dont il faisait l’objet. Par exemple, dès 1970, un survey fut publié par M. Bronfenbrenner dans le Journal of Economic Literature. Le titre de la première section (Sleeping dogs awaken), à lui seul, laisse présager de l’ironie condescendante avec laquelle l’auteur rend compte des travaux des radicaux.
21De même, on peut citer l’ouvrage, lui aussi très critique, publié par A. Lindbeck en 1971, intitulé The political economy of the New Left. Ce livre servit de point de départ à un symposium d’une cinquantaine de pages sur les radicaux, paru dans le Quarterly Journal of Economics en 1972. Les auteurs, bien qu’adoptant un ton plus cordial que celui de Bronfenbrenner, ne font toutefois pas mystère de leurs divergences. À cette époque, l’idée selon laquelle l’économie radicale lancerait un « défi » à l’approche standard est déjà explicite. En effet, G.L. Bach (1972) (p. 643) écrit à propos des travaux radicaux qu’il s’agit « d’un important défi pour l’économie conventionnelle (…) ». En 1974, le Journal of Economic Issues ira même jusqu’à publier une contribution intitulée « The challenge of radical political economics ». Les auteurs radicaux, quant à eux, n’étaient pas exclus des grandes revues académiques ainsi qu’en témoignent les nombreux articles publiés par exemple dans l’American Economic Review (Edwards & MacEvan (1970), Gintis (1971), Bowles (1973) et (1974), Bowles & Gintis (1975), Edwards, Gordon & Reich (1973), Vietorisz & Harrison (1973)). Plusieurs surveys publiés par des auteurs néoclassiques dans les revues les plus prestigieuses tenteront explicitement de relever le « défi radical ». Il en est ainsi par exemple des travaux de Wachter (1974) et Cain (1975) et (1976), à propos de l’approche radicale de la segmentation du marché du travail, lesquels paraîtront respectivement dans les Brookings Papers on Economic Activity, dans l’American Economic Review et dans le Journal of Economic Literature.
22C’est sans doute dans sa relation avec le mainstream que le courant radical se singularise. S’il s’agit bien de s’opposer à l’économie dominante, il n’est en revanche certainement pas question de rompre radicalement avec elle. Pour beaucoup de radicaux il s’agit plutôt de détourner le néoclassicisme de son orientation conservatrice. C’est précisément ce qu’écrivent Franklin et Tabb (1974) (p. 129) : « les radicaux, en particulier ceux formés dans les grandes universités, emploient fréquemment les outils et modes d’analyse traditionnels du mainstream pour tirer des conclusions très radicales. En d’autres termes, ils utilisent l’économie dominante contre elle-même ». Cette volonté de réforme sera tout aussi bien une cause de succès que de déclin, une quinzaine d’années plus tard : le courant radical sera finalement pris à son propre jeu et véritablement phagocyté par l’approche standard. Au début des années 1980, une partie des représentants les plus connus du courant radical, tels que Bowles, Devine, Gintis et Reich, s’est définitivement tournée vers la micro-économie standard, laissant ainsi passer au second plan l’histoire et l’induction. À la fin des années 1990, il ne restera plus grand-chose du courant radical [20]. Ceux qui n’auront pas choisi de se fondre dans le courant dominant soit rejoindront les autres hétérodoxies (marxisme, courant post-sraffaien, courant keynésien et institutionnalisme), soit s’orienteront vers d’autres sciences sociales comme la sociologie ou l’anthropologie.
23L’écho de la contestation étudiante a donc résonné jusque dans les colonnes des revues académiques en économie. Par conséquent, comprendre la pensée économique des années 1970 suppose notamment de prendre en compte le rôle perturbateur, et aussi incitateur, qu’a pu jouer plus ou moins directement le courant radical sur l’approche standard. Compte tenu des enjeux politiques qui découlaient du caractère « sociétal » de ce mouvement, les économistes du courant dominant ont été poussés à répondre implicitement ou explicitement à ces attaques [21]. Des titres de presse comme le Wall Street Journal ou Business Week, ont même rendu compte de ces antagonismes académiques dès 1972 [22].
24Concernant la théorie de la firme, c’est sans doute Marglin (1971) [23] qui formule le plus clairement l’une des principales thématiques du courant radical. À la provocante question « À quoi servent les patrons ? », posée par le titre de sa contribution, Marglin tente de montrer par l’histoire que la hiérarchie [24] capitaliste ne s’est pas imposée pour des raisons de supériorité technologique. L’historiographie économique met en effet très souvent en avant des éléments d’ordre technologique pour expliquer l’avènement de la fabrique : centralisation de la force motrice, nouvelles machines, nouveaux procédés, etc. Contre cette thèse dominante, le passage du putting-out system au système de la fabrique par l’interposition du capitaliste entre le marché et l’ouvrier-artisan serait, selon Marglin, davantage lié à des questions de pouvoir et de luttes sociales qu’à des questions d’efficience, y compris d’ordre organisationnel. Pour cet auteur, la mise en pratique dans la sphère de la production du grand principe politique du « diviser pour régner » est l’une des principales stratégies par lesquelles les capitalistes ont acquis une position dominante dans le système économique. La division du travail imposée par le putting-out system serait l’une de ses manifestations. Les capitalistes se seraient imposés et rendus indispensables par cette stratégie. Ce phénomène de dépendance envers les capitalistes fut accentué par, entre autres, l’appropriation des secrets de fabrique et les avances sur salaires. Ceci afin de prélever la quasi-totalité du surplus.
25Cette prise de pouvoir par le capitaliste se serait effectuée en deux temps. Dans un premier temps, le passage au putting-out system aurait reposé uniquement sur la pleine exploitation du principe du « diviser pour régner » : chaque artisan aurait été spécialisé par le marchand-fabricant sur un seul segment du procès de production. Désormais, le marchand-fabricant était le seul à avoir entre ses mains une véritable marchandise, c’est-à-dire un produit fini pouvant être vendu sur le marché. Dans un second temps, le passage à la fabrique aurait permis de mettre en place un contrôle destiné à éviter toute une série de comportements que la microéconomie moderne qualifie aujourd’hui d’opportunistes : détournement de matières premières, mouillage des fibres textiles vendues au poids, etc.
26Par un raisonnement néoclassique, Marglin considère que, sous le système du putting-out, les travailleurs restaient maîtres de l’organisation de leur segment de production et de leur journée de travail, notamment dans l’arbitrage entre travail et « loisir ». Ils pouvaient cesser le travail dès qu’ils estimaient avoir obtenu un gain monétaire suffisant. Les capitalistes ne pouvaient pas les contraindre à travailler davantage. Marglin donne une illustration, dans les catégories mêmes de la microéconomie, du fait très connu que l’offre de travail n’est pas forcément une fonction croissante du salaire. Il considère au contraire que, historiquement, l’offre de travail était plutôt décroissante par rapport à son prix. Lorsqu’ils avaient le choix dans leur arbitrage entre travail et « loisir », les ouvriers ont montré qu’ils pouvaient se contenter d’un salaire monétaire très bas. Ainsi, maintenir le prix des pièces à un faible niveau ne suffisait pas à assurer aux marchands-fabricants que des produits intermédiaires de bonne qualité seraient livrés dans les temps et en bonne quantité.
27Dans un second temps, selon Marglin, le système de la fabrique devait permettre aux capitalistes de remédier à cet inconvénient du putting out system. La fabrique aurait donc permis au capitaliste de prendre le contrôle de la totalité du processus de production. Contrôler le processus signifiait notamment décider de l’arbitrage entre travail et « loisir » à la place de l’ouvrier. La réunion des ouvriers sous un même toit et sous l’œil du capitaliste donnait alors les moyens d’imposer un rythme de travail plus soutenu sans accroître les salaires réels. Ainsi, contrairement à la thèse dominante, les capitalistes n’auraient pas mis en place un système permettant d’améliorer l’efficience. Le système de la fabrique aurait uniquement modifié la répartition de rémunération entre le producteur direct, l’ex « artisan-façonnier », et le capitaliste. Ce système ne serait dès lors pas plus efficient que le précédent car il n’aurait pas permis de dégager davantage d’output pour la même quantité d’inputs. En réalité, il aurait simplement conduit à obtenir davantage d’output par l’usage de davantage d’inputs de travail, sans même que ce supplément de travail fût rémunéré. Marglin raisonne ici à l’aide d’une fonction de production à un seul facteur : pour qu’il y ait un accroissement de l’efficience technologique, la fonction de production doit se déplacer vers le haut, il y a alors plus de produit pour la même quantité de facteur ; si l’accroissement de produit est obtenu simplement par un déplacement le long de la courbe, donc par un accroissement de la quantité de facteur, il n’y a pas d’amélioration technologique. Selon Marglin, le passage au système de la fabrique correspond à ce second cas : l’efficience technologique n’aurait pas été améliorée, seule une intensification de l’usage de la main d’œuvre aurait eu lieu, sans même qu’une contrepartie salariale ait été versée aux travailleurs.
28L’intensification de l’effort au travail n’a pas, tout d’abord, conduit à accroître les salaires réels mais à accroître la profitabilité de la production. Marglin défend donc une position anti-hiérarchique et antiautoritaire : les patrons n’élevant pas vraiment la productivité et s’étant rendus artificiellement nécessaires, pour s’approprier le surplus, la hiérarchie ne servirait dès lors à rien, tout du moins au départ.
29Cette approche, à l’instar de celles de Braverman (1974), Stone (1974) ou d’Edwards (1979), cherchait à s’émanciper du déterminisme technologique strict dans lequel les courants tant néoclassique que marxiste se seraient enfermés. Ainsi, pour les radicaux, l’organisation sociale de la production dépend au moins autant des luttes et des rapports de pouvoir, tant dans la société qu’au sein de la firme, que de la technologie existante. Si cette dernière est largement reconnue par les radicaux comme influant sur l’état des forces productives, en revanche, elle est aussi influencée par les luttes sociales et les formes historiques de l’organisation du processus de production. Ainsi, c’est l’organisation capitaliste de la production qui aurait façonné depuis deux cents ans la technologie, laquelle serait venue en retour renforcer l’organisation capitaliste.
3 – La théorie de la firme selon Alchian et Demsetz : une réponse au « défi radical »
30Les prémisses d’une théorie radicale de l’entreprise apparaissent donc dès la fin des années 1960. Face à l’avancée de cette contestation de l’organisation capitaliste de la production jusque sur le terrain académique, le courant dominant ne pouvait pas justifier ou même simplement appréhender la hiérarchie interne à l’entreprise, car il n’avait alors pas cherché à élaborer une théorie de l’organisation interne de la firme (mises à part des tentatives isolées, telles que Coase (1937) et Simon (1951)). Étant donné le contexte, le courant dominant se devait de répondre aux radicaux, à la fois pour des raisons théoriques et pour des raisons politiques. Sur le plan théorique, il ne pouvait pas laisser le champ libre aux radicaux : le mainstream, qui prétendait incarner le discours économique par excellence, était sommé de dire quelque chose sur un sujet aussi important que l’organisation de la production dans l’entreprise. Sur le plan politique, les tenants libéraux (au sens américain) du courant dominant devaient montrer aux radicaux qu’ils pouvaient être au moins en partie entendus ; au contraire, les conservateurs devaient à la fois nier tout fondement aux critiques radicales et légitimer l’ordre existant.
31Les conférences prononcées par Arrow en 1970 et 1971 [25] donnent une réponse libérale aux radicaux sur cette thématique. L’auteur refuse de remettre totalement en question l’autorité et met en garde son auditoire : « La mise en question de l’autorité peut conduire dans un cas extrême à réaffirmer son importance et même à l’exalter de façon hystérique, ou à la refuser et à l’écarter complètement dans l’autre cas extrême que créent les tendances antinomiques et anarchisantes » (Arrow (1974), p. 79). Arrow reconnaît pourtant en partie la pertinence des critiques radicales : « l’autorité est souvent mauvaise ; on perçoit clairement le besoin de contrôler, d’obliger l’autorité à rendre compte » (ibid.). Mais il revendique une position intermédiaire qui consiste à rechercher un « équilibre raisonnable » entre autorité et responsabilité : « Une réaction modérée consiste cependant à affirmer qu’il est nécessaire d’être responsable, qu’il faut des systèmes dans lesquels l’autorité joue son rôle fonctionnel, mais où elle soit soumise par ceux qui la subissent à des actions correctives » (ibid.).
32La réponse conservatrice au défi radical, visant à la fois à justifier la fonction de l’employeur et à nier toute pertinence aux discours contestataires, est venue d’Alchian et Demsetz (1972). À l’aide de la théorie des droits de propriété, ces auteurs tentent d’appréhender et de légitimer l’organisation de l’entreprise capitaliste, qu’ils désignent par le vocable de firme « classique ». Ainsi, Alchian s’est engagé dans deux batailles successives. La première, contre la « vieille gauche » marxiste, avait trait à la concurrence des systèmes : socialisme contre capitalisme. On l’a vu, son article de 1950, qui défend l’idée d’une rationalité de système, et sa théorie des property rights, qui défend les vertus économiques du système de propriété privée, sont autant de charges contre le socialisme. La seconde, par le truchement de sa contribution de 1972 sur la firme, fut une bataille livrée contre les radicaux et leur idéologie anti-hiérarchique. Les raisons pour lesquelles Alchian et Demsetz, qui s’intéressaient jusque-là essentiellement à l’organisation du système économique dans son ensemble, se sont subitement tournés vers l’organisation interne des unités économiques apparaissent dès lors plus clairement. La théorie de la firme de ces deux auteurs résulte moins du déroulement normal de leur programme de recherche que d’un « choc exogène » provoqué par le surgissement du défi radical dans la sphère académique.
33Dès la première page de leur article, Alchian et Demsetz écrivent (p. 777) de manière significative qu’il « est commun de voir la firme caractérisée par le pouvoir de décider par décret (fiat), par autorité ou par une action disciplinaire supérieure à celle disponible sur le marché conventionnel. C’est une illusion. (…) (La firme) n ’a ni pouvoir de décret (fiat), ni autorité, ni action disciplinaire différente dans le moindre degré de la contractualisation marchande ordinaire entre deux personnes ». La thèse centrale est donc énoncée : il s’agit de comprendre l’organisation de la firme comme celle d’un marché. Le marché est ici implicitement considéré comme le lieu sans pouvoir par excellence. Les auteurs s’interrogent alors sur la spécificité du pouvoir de décision du manager au sein de la firme et argumentent en faveur d’une identité entre transactions marchandes et transactions, au sein de l’entreprise, entre employé et employeur : « Quelle est donc la teneur du pouvoir présumé de diriger et d’affecter les travailleurs à des tâches variées ? Exactement la même que celle du petit pouvoir dont dispose un consommateur pour diriger et affecter son épicier à diverses tâches. (…) Parler de manager, diriger ou affecter les travailleurs à différentes tâches est une manière trompeuse de noter que l’employeur est continuellement conduit à renégocier les contrats en des termes qui doivent être acceptables pour les deux parties. Dire à un employé de taper cette lettre plutôt que de remplir ce document c’est comme si je demande à un épicier de me vendre telle marque de thon plutôt que telle marque de pain. Tout comme je n’ai pas de contrat pour continuer à faire mes courses chez l’épicier, ni l’employé ni l’employeur n’est lié par une quelconque obligation contractuelle de continuer leur relation. Les contrats de long terme entre l’employeur et l’employé ne sont pas l’essence de l’organisation que nous appelons une firme » (p. 777). Dès lors, ces auteurs cherchent à récuser la contestation de la légitimité de l’autorité au sein de l’entreprise en rejetant l’alternative coasienne entre autorité et marché.
34Il est par conséquent utile de dire ici quelques mots sur la position d’Alchian et Demsetz vis-à-vis de l’article de Coase (1937). Paradoxalement, ce dernier pouvait apparaître comme un appui possible à la thèse anti-hiérarchique puisque Coase fonde son argumentation sur l’opposition entre deux modes d’allocation des ressources : d’une part le marché, où l’allocation se fait par les prix, et d’autre part l’entreprise, où l’allocation se fait par l’autorité. Même si l’on ne partageait pas les vues de Coase sur l’entreprise comme moyen d’économiser les coûts de transaction, cet auteur pouvait être utilisé pour, non seulement mettre en doute la prééminence du marché dans le fonctionnement effectif de l’économie [26], mais aussi revendiquer l’importance pratique d’une forme ou une autre de planification. Celle-ci mettant nécessairement en œuvre un principe d’autorité, les réflexions sur un contrôle démocratique des différentes formes de coordination trouvaient alors toute leur place. Bien que Coase décernât une énième récompense à l’entreprise capitaliste, cet article était embarrassant. Des auteurs comme Alchian et Demsetz, désireux d’affirmer la supériorité totale du marché sur toute autre forme d’organisation, devaient réinterpréter la contribution de Coase en affirmant que l’entreprise ne met pas en œuvre un mécanisme d’allocation différent de celui du marché. C’est pourquoi, malgré l’énergie qu’ils dépensent pour nier, notamment contre Coase, tout principe d’autorité propre à la firme, Alchian et Demsetz revendiquent explicitement dans le même article la continuité de leur approche avec celle de cet auteur [27].
35Il n’y aurait donc pas d’autorité spécifique à la firme. Quel serait alors l’élément qui différencierait celle-ci du marché ? Selon Alchian et Demsetz, l’utilisation en équipe des inputs conduirait à une centralisation de « l’arrangement contractuel » particulier que l’on appelle une firme. Les auteurs recourent ici au procédé analytique déjà éprouvé par la théorie des droits de propriété. Le droit de propriété privée permettrait, lorsqu’il est applicable, d’éviter toute inefficience liée aux externalités. Si, au contraire, pour des raisons techniques exogènes il n’est pas possible de recourir à la propriété individuelle, alors la présence d’externalités conduira à un arrangement contractuel singulier visant à minimiser leurs inconvénients. C’est sur ce cas particulier qu’Alchian et Demsetz construisent leur approche ; la firme est donc fondée pour ces auteurs sur un donné technique exogène : la nécessité dans certains cas de produire en équipe. La production en équipe se caractérise par la non-séparabilité de la fonction de production. La coopération des inputs, par effet de complémentarité non stricte, permet d’obtenir un produit plus important que si chaque individu travaillait indépendamment des autres. La théorie d’Alchian et Demsetz repose entièrement et exclusivement sur la présence de ces caractéristiques de la fonction de production.
36Cette contribution étant très connue, il n’est pas utile de restituer ici leur analyse en détail [28]. Rappelons simplement que la non-séparabilité de la fonction de production conduirait à une généralisation des comportements de free riding du fait des difficultés de mesure des productivités marginales individuelles. Selon les auteurs, ce résultat sous optimal serait évité en ayant recours à un « contrôleur central ». Sa principale tâche consisterait à produire de l’information sur le niveau d’effort de chaque participant à l’équipe de production en vue de les rémunérer en conséquence, afin d’éviter tout comportement opportuniste. L’efficacité maximale de l’équipe de production serait garantie si le « contrôleur central » était investi des cinq droits suivants : 1) être le bénéficiaire du résidu, 2) observer le comportement des inputs, 3) être la partie centrale commune à tous les contrats passés avec les inputs, 4) modifier la composition de l’équipe (fonction disciplinaire) et enfin 5) vendre ces cinq droits.
37Répondant aux radicaux, l’objectif d’Alchian et Demsetz est donc double : à la fois légitimer l’entreprise capitaliste et nier toute idée de domination. L’autorité d’un employeur sur son employé serait comparable à celle d’un client sur son épicier. L’entreprise ne serait qu’une espèce particulière de marché. Cette particularité serait à imputer à une cause exogène : le caractère inséparable de la fonction de production. De nombreuses critiques furent adressées à l’encontre de cette contribution, y compris et surtout en provenance du courant dominant. Compte tenu de ces critiques, pour quelles raisons cet article est-il resté à la postérité ?
4 – Que reste-t-il de la contribution d’Alchian & Demsetz ?
38De nombreux auteurs tels que par exemple Putterman (1984), Langlois (1986), Masten (1988) ou Holsmtröm & Tirole (1989) ont fait part de leur insatisfaction vis-à-vis de cette approche. Une critique parmi les plus rédhibitoires, qui fut reprise par Jensen & Meckling (1976), a été formulée par Williamson (1975). Ce dernier considère la notion de non-séparabilité comme beaucoup trop restrictive. Il écrit (p. 50) : « bien que l’exemple du transport et du chargement manuel [29] soit très familier aux économistes et quelque répandue que soit l’opinion de l’omniprésence de telles non-séparabilités, je suggère qu’il y a de nombreuses tâches pour lesquelles de tels effets d’interaction sont absents. La question peut être exposée de la manière suivante. Si l’on maintient constante la technologie des tâches individuelles, jusqu’au transfert physique d’un produit d’un poste à un autre sans toutefois l’inclure, est-il communément possible de couper les connexions entre les travailleurs successifs en plaçant entre eux un stock intermédiaire de produit ? Je suggère que de nombreuses tâches sont séparables dans ce sens – souvent entre des travailleurs individuels et presque invariablement entre de petits groupes de travailleurs » (souligné par nous). En effet, l’un des aspects du projet taylorien, qui a vu le jour non pas sur le marché, mais au cœur de l’entreprise industrielle, consistait bien à subdiviser et isoler les tâches les unes des autres le plus minutieusement possible.
39En outre, la notion d’information impactedness, développée par Williamson (1975), conduit à remettre en cause une hypothèse centrale pour Alchian et Demsetz. Ceux-ci considèrent que l’effort productif de chaque individu serait mal observable au sein de l’équipe. Au contraire, selon Williamson, les fortes interactions qui existent dans les petites équipes de production génèrent une information spécifique disponible uniquement pour les insiders : c’est l’information impactedness. Contrairement à ce que présupposent Alchian et Demsetz, cette idée conduirait à dire qu’en présence d’indivisibilités telles que celles examinées par les deux auteurs, une tierce personne ne peut pas obtenir l’information adéquate sur le niveau d’effort des protagonistes. Ainsi, pour Dockès (1999), c’est la hiérarchie elle-même qui peut conduire les membres dominés à cacher leurs apports personnels par des pratiques collectives reposant sur l’adage « notre ennemi, c’est notre maître ». De ce point de vue, la non-séparabilité, loin d’impliquer la nécessité d’un contrôle par un tiers comme le suggèrent Alchian et Demsetz, peut au contraire servir d’argument en faveur de l’instauration d’un certain degré d’auto-organisation ! Pour ces raisons, Williamson refuse de fonder une théorie de la firme sur la notion de non-séparabilité [30].
40La publication d’Alchian et Demsetz se trouve dans la situation paradoxale d’un « père fondateur » sans descendance : citée par la plupart des auteurs comme l’une des premières synthèses modernes sur la firme, mais dont le contenu réel fut finalement très peu repris. La théorie de la production en équipe, pour des raisons probablement liées à ses limites internes, n’a pas fait florès en tant que cadre général pour comprendre la firme.
41Cet article fourmille d’idées pour la plupart inspirées de la théorie des property rights. Ces idées seront reprises et disséquées grâce à l’explosion de la « nouvelle microéconomie » (théorie de l’agence et théorie des incitations) au milieu des années soixante-dix. Pourtant, la notoriété de cette contribution d’Alchian et Demsetz est peut être en partie fondée sur un malentendu. Il est en effet souvent avancé que cet article serait l’un des premiers à bien formuler la problématique des asymétries d’information qui caractérisent la relation principal-agent. Ainsi, cette contribution serait l’une des premières à identifier la question des incitations. Pourtant, dès 1965, Alchian [31] les avait déjà placées au cœur de son analyse sur les méfaits productifs de la propriété collective. En outre, en 1969, Cheung avait proposé une étude très poussée de l’arbitrage entre divers dispositifs incitatifs dans le domaine de l’agriculture. De même, les réflexions d’Alchian et Demsetz contenues dans l’article de 1972 sont souvent présentées comme préfigurant les travaux sur la révélation de l’information et sur la distinction, subtile mais fondamentale, entre action non observable et action non verifiable. Or, ces questions étaient déjà présentes dans l’article publié par Demsetz, en 1964, dans sa discussion à propos de la mise en application (enforcement) des droits de propriété. Concernant, les phénomènes d’aléa de moralité et les questions liées à l’opportunisme post-contractuel, la notion de free rider avait à maintes reprises déjà permis à la théorie des droits de propriété de les identifier, si ce n’est de les nommer. Surtout, cet article est souvent considéré comme marquant l’entrée de la microéconomie dans l’ère de la théorie des contrats. Inspirés par la lecture d’Alchian et Demsetz, Jensen & Meckling (1976) lanceront l’idée, popularisée par Cheung (1983) et reprise par le titre de la publication collective éditée par Aoki, Gustafsson & Williamson (1990), de la firme comme nœud de traités. Pourtant, l’article d’Alchian et Demsetz n’est pas le premier à proposer une approche où le contrat occupe une place centrale dans l’analyse. C’est Coase (1937) qui, longtemps avant eux, en fera un élément clé de la définition des coûts de transaction (ils sont précisément définis au départ comme les coûts de rédaction des contrats !). Par la suite, Coase (1960) reprendra à nouveau un cadre d’analyse où le contrat occupe une place centrale, à tel point que sa contribution donnera lieu à l’émergence d’une nouvelle discipline : l’économie du droit (cf. Kirat (1999)). Durant les années 1960, les tenants de la théorie des droits de propriété, en particulier Demsetz, développeront sans discontinuer ce modèle inauguré par Coase.
42Finalement, bien que l’article d’Alchian et Demsetz (1972) soit fréquemment considéré comme innovateur, voire fondateur, pour de nombreux domaines, il se présente bien davantage comme la synthèse des travaux antérieurs effectués dans le cadre de la théorie des droits de propriété durant les dix ou douze années précédentes. Pourtant, l’apport net d’Alchian et Demsetz (1972) n’est pas mince : la tentative elle-même de construction d’une nouvelle théorie de la firme. En d’autres termes, cet article ne contient pas d’innovation de procédé, contrairement à ce qui est couramment suggéré, mais une innovation de produit. Or, nous avons vu que ce « produit », c’est-à-dire la théorie de la firme elle-même, s’est « mal vendu » chez les économistes en raison de ses défauts de conception. Ne proposant pas vraiment de nouveau procédé d’analyse et contenant un modèle critiqué de toutes parts, au-delà du malentendu consistant à lui attribuer de manière erronée la paternité de certaines notions, à quel propos et pourquoi cet article fait-il encore aujourd’hui l’objet d’éventuelles discussions ? Autrement dit, quelle en est l’actualité ?
43Pour répondre à cette question, un regard d’ensemble sur l’histoire des idées est nécessaire. En effet, la contribution d’Alchian et Demsetz (1972) occupe une position véritablement médiane entre « l’ancienne » et les « nouvelles » théories de la firme. Pour les raisons qui viennent d’être exposées, elle se situe résolument dans le champ de l’analyse contemporaine, mais elle est en même temps l’une des dernières contributions à défendre l’idée, à l’œuvre dans l’ancien paradigme, exprimée par Samuelson (1957) comme suit : « sur un marché concurrentiel, il est vraiment sans importance de savoir qui embauche qui ; alors disons que c’est le travail qui embauche le capital ». C’est ce point de vue qu’Alchian et Demsetz tentent de réaffirmer, contre les radicaux, lorsqu’ils nient tout rapport d’autorité ou de pouvoir au sein de la firme. La relation d’emploi est alors réduite à une simple transaction commerciale entre un épicier et son client. Pourtant, en dépit du refus de Williamson (1993) et de Stiglitz (1993) de recourir au vocable de pouvoir, ces mêmes auteurs peuvent difficilement accepter l’idée selon laquelle « peu importe qui embauche qui » et ce en raison même de leurs propres travaux sur l’autorité et la hiérarchie. D’autres publications situées au cœur du courant dominant, telles que Hart (1995) ou Rajan et Zingales (1998) sur la théorie des contrats incomplets, iront même jusqu’à ébaucher une théorie du pouvoir dans la firme.
44Finalement ce n’est pas totalement un hasard si c’est la théorie des contrats incomplets [32] qui répondra le plus directement (et définitivement ?) à la problématique des sources incertaines de l’autorité que soulève l’exemple trivial de l’épicier. En effet, alors que Williamson résout la difficulté en considérant que la spécificité de la relation d’emploi repose sur l’acceptation volontaire de l’autorité de son employeur par le salarié (cf. Baudry (1999)), Alchian et Demsetz remettent en question l’alternative entre autorité et marché, posée comme un axiome par Coase (1937). C’est précisément cette remise en cause qui a permis de poser, dans le cadre du mainstream, la question des fondements de l’autorité soulevée par les radicaux à la fin des années 1960. En effet, Hart (1995) écrit que « comme Alchian et Demsetz (1972) l’ont mis en avant, la source de l’autorité d’un employeur sur un employé n’est pas claire. Il est vrai qu’un employeur peut dire à un employé ce qu’il doit faire, mais il est aussi vrai qu’un contractant indépendant peut dire à un autre contractant indépendant ce qu’il doit faire. La question intéressante est pourquoi l’employé y prête attention alors que ce n’est (peut-être) pas le cas du contractant indépendant ? » (p. 57). L’auteur reprend alors en note l’exemple de l’épicier et répond que « Dans le premier cas, si la relation s’arrête, l’employeur part avec tous les actifs non-humains, en revanche dans l’autre cas chaque contractant indépendant conserve des actifs non humains. L’individu i est davantage susceptible de faire ce que veut l’individu j si j peut exclure i des actifs dont i a besoin pour être productif que si i peut garder ces actifs avec lui (…). En d’autres termes, le contrôle des actifs non humains mène au contrôle des actifs humains » (Hart (1995), p. 58, souligné par l’auteur). Pourquoi le salarié obéit-il à l’employeur ? Parce que ce dernier peut le priver de l’usage des moyens de production. Les fondements de l’autorité dans l’entreprise sont donc, selon Hart, à relier à la propriété [33]. Hart procède par conséquent ici à ce que les auteurs néoclassiques, et en particulier Alchian et Demsetz, ont toujours refusé notamment pour s’opposer aux marxistes, puis aux radicaux : fonder l’asymétrie de la relation d’emploi sur la propriété des moyens de production.
45Par une ruse de l’histoire, l’article d’Alchian et Demsetz, dont l’un des buts implicites était de répondre au « défi radical », a posé les termes qui favoriseront la reprise à son compte par le courant dominant, via la théorie des contrats incomplets, des arguments radicaux auxquels il était censé s’opposer initialement [34]. Ainsi, l’originalité de la contribution d’Alchian et Demsetz réside moins dans leur théorie de la firme que dans la manière dont ils posent la question de la spécificité de la relation d’emploi. Telle est l’actualité de ce célèbre article.
Conclusion
46C’est dans un contexte où le courant dominant était quelque peu sommé de relever le « défi radical » qu’a été publié l’article d’Alchian et Demsetz en 1972 [35]. Si cette contribution est désormais considérée comme un classique, en revanche son contenu théorique n’a pas été retenu par la suite pour forger une « théorie générale » de la firme, laquelle n’est d’ailleurs toujours pas conçue de manière unifiée (cf. Bolton & Scharfstein (1998)). Cet article servira finalement à reposer vingt ans plus tard la question des sources de l’autorité et à intégrer, au sein du courant dominant, l’idée que soutenaient les radicaux dans les années 1970 selon laquelle le caractère asymétrique de la relation d’emploi serait fondé sur la propriété des moyens de production.
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Notes
-
[1]
Je remercie vivement les deux rapporteurs pour leurs nombreuses suggestions ainsi que Bernard Baudry, Pierre Dockès et Jérôme Maucourant : leurs lectures d’une version préliminaire m’ont été d’une grande utilité. Que soit aussi remerciée Joëlle Cicchini pour ses corrections. Je suis néanmoins seul responsable des erreurs ou omissions que ce texte comporte. Les principales idées avancées ici ont d’abord fait l’objet d’une présentation au colloque de la European Society for the History of Economie Thought (ESHET), en 1998 à Bologne (Italie). Enfin, je précise que j’étais encore membre du Centre Walras (Lyon 2) au moment où cet article a été rédigé.
-
[2]
Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, MATISSE-CNRS, UMR 8595, btinel@ univ-paris1. fr.
-
[3]
En témoignent les nombreux recueils de textes qui l’ont reproduit, partiellement ou dans sa totalité (cf. par exemple Putterman (1986), Barney & Ouchi (1986) ou Ricketts (1988)), et la place centrale qu’il tient dans les manuels de troisième cycle (Hess (1983), Milgrom & Roberts (1992)) ou les articles de synthèse (Archibald (1987), Cheung (1987b), Holmström & Tirole (1989)).
-
[4]
Durant les années 1930 aux États-Unis, avait eu lieu un premier débat sur la nature de la firme, auquel les économistes institutionnalistes, dont notamment J.R. Commons, ont pris part (sur Commons, cf. Bazzoli (1999) et le numéro spécial des Cahiers d’Économie politique nos 40-41 (2001)).
-
[5]
Et ce, même si d’autres travaux sur l’organisation, à l’instar de ceux d’Harvey Leibenstein, Herbert Simon ou de Cyert et March, avaient déjà vu le jour en marge du courant dominant depuis les années 1950 et 1960.
-
[6]
Ce modèle a donné lieu à de nombreuses autres investigations théoriques mais n’est pas considéré comme ce qui serait la version « canonique » d’une théorie de la firme.
-
[7]
Depuis cette date il est professeur à UCLA.
-
[8]
Ce dernier assurera la direction de la publication du Journal of Law and Economies de 1964 à 1982. C’est dans cette revue que seront publiés de nombreux articles sur la théorie des property rights, à l’instar de celui de Demsetz en 1964.
-
[9]
Le lecteur consultera les principales publications de ces deux auteurs en la matière : Alchian (1965b) et (1987), Alchian et Demsetz (1973), Demsetz (1964), (1966), (1967), (1968), (1969) et (1972). Pour une présentation synthétique de la théorie des property rights, cf. Furubotn & Pejovich (1972). On trouvera une approche plus récente et peu différente dans Barzel (1989). En français, on lira l’excellente contribution critique de Andreff (1982).
-
[10]
Outre Alchian et Demsetz, on citera par exemple Cheung, Barzel, De Alessi, Furubotn, Pejovich etc.
-
[11]
À la suite de Gordon (1954) et Hardin (1968), une telle situation est désignée par l’expression de « tragédie des commons ».
-
[12]
Sur ce point, voir en particulier la critique que Demsetz (1969) adresse à Arrow.
-
[13]
Notons que si Alchian (1950) est une contribution importante à la théorie économique moderne de l’évolutionnisme, ce thème n’est à notre connaissance qu’implicitement présent dans la théorie des droits de propriété.
-
[14]
Pour une discussion des positions néo-institutionnalistes de North, cf. Rollinat (1997) et Maucourant (1997).
-
[15]
Il est significatif que l’article d’Alchian et Demsetz, destiné à sensibiliser les historiens à la théorie des droits de propriété, ait été publié en 1973 dans le Journal of Economic History : D.C. North assumait alors des fonctions éditoriales dans cette revue. Cet article est l’occasion pour Alchian et Demsetz d’exhorter leurs collègues historiens à ne pas laisser l’histoire économique entre les mains des critiques de gauche ; ils écrivaient : « It is unfortunate that the study of the underpinnings of capitalism has been left by default to its critics on the left » (Alchian & Demsetz (1973), p. 16).
-
[16]
Cf. Alchian (1965b) ; Cheung (1969), (1987a), (1987b) ; De Alessi (1980) ; sur les réformes intervenues en URSS à la fin des années soixante, cf. Pejovich (1969a), (1969b) ; pour une tentative de généralisation, cf. Pejovich (1971).
-
[17]
Cf Pejovich (1969b), (1971) ; sur l’entreprise yougoslave, cf. Furubotn & Pejovich (1970), (1972) ; Cheung (1983).
-
[18]
Remarquons que l’intérêt témoigné par ces auteurs américains pour l’analyse de l’efficacité comparée des systèmes n’avait rien d’original ; avec Max Weber, L. von Mises et K. Polanyi, la tradition européenne procéda dès les premières décennies du XXe siècle à un débat intense sur la question ; cf. Maucourant (1993) et Palermo (1998).
-
[19]
Il faut noter que le courant était déjà fortement influencé par la Monthly Review, créée en 1949 par P. Sweezy et l’historien Leo Huberman. Mais les radicaux cherchent toutefois à marquer très tôt leurs distances vis-à-vis de leurs aînés marxistes par le refus de recourir à la théorie de la valeur. En outre, la RRPE n’était pas la seule publication à émerger. On peut aussi citer Socialist Review, Newleft Review, Capital and Class, et surtout Politics & Society (cf. Flaherty (1987)). Ce dernier périodique fut publié en Californie à partir de 1970. Il absorbera d’autres périodiques dès la fin de la même décennie.
-
[20]
Pour une argumentation dans ce sens, cf. Fine (1998).
-
[21]
A propos de ce jeu de défis et contre défis entre économistes radicaux et néoclassiques, cf. Tinel (2002).
-
[22]
Cf. Franklin & Tabb (1974), p. 127.
-
[23]
Ce texte fut écrit durant l’été 1970 et circulait dès 1971 sous la forme d’un document de travail de l’université de Harvard, il a été publié pour la première fois en français dans un ouvrage collectif coordonné par A. Gorz, en 1973. Landes (1986) consacrera un article entier à contredire la thèse de Marglin. De nombreux autres auteurs, parmi lesquels Stiglitz (1975), Williamson (1975) et (1985), Goldberg (1980) ou Hess (1983), la discuteront aussi.
-
[24]
La très grande majorité des théoriciens de l’entreprise parlent indifféremment de hiérarchie ou d’autorité, pour désigner la subordination de l’employé à l’employeur, c’est-à-dire le pouvoir d’imposer l’obéissance. Nous ferons de même dans ce papier par souci de simplification. Mais précisons tout de même que la notion de hiérarchie est, selon nous, purement formelle. Elle désigne une simple relation d’ordre entre différents éléments. En revanche, l’idée d’autorité revêt un caractère beaucoup plus substantiel, puisqu’elle renvoie à l’idée de fondation voire de création. L’autorité implique nécessairement un principe de hiérarchisation, mais l’inverse n’est pas vrai. Ainsi, c’est par métonymie que la hiérarchie peut désigner l’autorité.
-
[25]
Elles sont rassemblées dans un ouvrage très connu, publié en 1974 sous le titre The limits of organization.
-
[26]
C’est précisément dans ce sens que Marglin fait référence à Coase : « Ronald Coase appears to be unique in recognizing that the very existence of capitalist enterprise is incompatible with the reliance of perfect competition on the market mechanism for coordinating economic activity » (Marglin (1971), p. 84, n. 46).
-
[27]
Alchian et Demsetz (1972) écrivent en effet (p. 783) : « Our view of the firm is not necessarily inconsistent with Coase’s ; we attempt to go further and identify refutable implications ».
-
[28]
Pour des exposés critiques en français, cf. Gabrié & Jacquier (1994) et Coriat & Weinstein (1995).
-
[29]
Cet exemple est celui à partir duquel Alchian & Demsetz avancent l’hypothèse d’une non-séparabilité de la fonction de production.
-
[30]
Par ailleurs, Williamson, Wachter & Harris (1975) critiqueront vigoureusement l’idée d’une renégociation permanente des contrats.
-
[31]
Cf. Alchian (1965b).
-
[32]
Cette approche est aussi désignée par les termes de « théorie des droits de propriété », alors même que celle-ci n’a que peu de rapport dans sa méthode avec la « vieille » théorie des property rights développée notamment par Alchian et Demsetz durant les années soixante.
-
[33]
Pour des développements concernant l’analyse de l’autorité dans les approches standard contemporaines, cf. Baudry & Tinel (2003).
-
[34]
Ceci ne signifie évidemment pas, bien au contraire, que la microéconomie contemporaine souscrit en tous points aux arguments des radicaux.
-
[35]
Ceci (faut-il le préciser ?) ne signifie aucunement que le défi radical soit la cause unique de la publication de cet article.