Notes
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[1]
Université de la Méditerranée, CEFI, cefi@ univ-aix. fr
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[2]
Université de Toulon et du Var, CEFI, cefi@ univ-aix. fr
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[3]
"Le papier monnaie de la banque (…) n’offre à ses détenteurs aucune espérance de profit, rien qui tente de le garder en portefeuille, puisqu’au contraire, on perd l’intérêt par le chômage. Chacun n’est donc disposé à en garder que la quantité précisément nécessaire pour effectuer ses paiements. " (Thornton 1802, p.234 ; 1803, p.212).
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[4]
Sur l’originalité et la modernité de l’œuvre de Juglar, voir Gilles (1996, pp.47-50).
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[5]
Par exemple (Beaugrand 1981, p.47) et (Diatkine 2001, p.11).
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[6]
c’est-à-dire les lettres de change et les billets successivement endossés dont il est difficile de vérifier la réalité de la contrepartie, donc la garantie, qui participent de l’asymétrie d’information, et dont Thornton (1802, p.253 ; 1803, pp.232-3) développe l’idée en critique à l’analyse des actifs réels de Smith.
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[7]
Thornton n’emploie pas le terme de prêteur en dernier ressort, que nous devons à Baring ( 1797), mais les fonctions qu’il attribue à la Banque centrale correspondent précisément à la définition moderne du PDR.
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[8]
La définition de la crédibilité (crédit invariable ou hight credit, Thornton 1802, p.97 ; 1803, p.35) de la Banque centrale proposée par Thornton est remarquablement moderne. Elle recouvre trois attributs : 1° l’importance de ses fonds propres pour assurer sa fonction de prêteur en dernier ressort (Ibid., p. 105 ; p.47) ; 2° son indépendance vis-à-vis des Autorités publiques, ce qui lui permet de concevoir le maintien des finances et du crédit publics comme un Bien public (Ibid., pp.105-6 ; p.47, p.49) ; 3° sa gouvernance interne (élection des directeurs par les actionnaires, droits d’inspection et de contrôle, un esprit public dirigé vers la prospérité de l’Angleterre, etc.) (Ibid., pp.109-10 ; p.54). Pour une analyse contemporaine de la crédibilité, voir Gilles (1992).
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[9]
Pour une analyse contemporaine, voir Goodhart (1988).
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[10]
ce qui n’est pas sans rappeler l’analyse contemporaine de Goodhart and Schoenmaker (1995).
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[11]
C’est-à-dire un équilibre de type tâche solaire où les déposants d’une banque, observant la faillite d’une autre banque, anticipent que tous les autres déposants vont paniquer, ce qui rationalise leur propre comportement de panique (Diamond and Dybvig 1983).
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[12]
Lorsque les banques investissent dans des actifs aux rendements corrélés, la faillite d’une (a fortiori de plusieurs) d’entre elles constitue un signal pour les déposants qui ont investi dans des actifs similaires, les conduisant rationnellement à retirer leurs dépôts. Ce phénomène peut être rapproché des actifs fictifs (cf. supra).
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[13]
"L’expérience du passé instruira les banques et les particuliers, soit à prévenir le mal, soit à ne le point provoquer par de vaines erreurs." (Thornton 1802, p.189 ; 1803, p. 161).
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[14]
"De tels événements [i.e. liés à la cessation du crédit du papier] donnent à toutes les entreprises de banque et de commerce, l’apparence d’un jeu de hasard ; et, par cela même, ils détournent les gens sages et qui ont de l’aisance, de se vouer, ou de vouer leurs enfants à la carrière du commerce. " (Thornton 1802, p. 187 ; 1803, p. 158).
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[15]
"Il semble qu’il y ait un moyen terme que pourrait se fixer la Banque centrale (public bank) en soutenant les banques secondaires (inferior establishments, country banks) (…) Le soutien ne doit être ni si rapide et généreux qu’il aboutisse à éviter à ceux qui gèrent mal leurs affaires toutes les conséquences normales de leurs erreurs, ni si limité et lent qu’il mette grandement en danger l’intérêt général (general interests). Cet intérêt, néanmoins, est sûrement invoqué par toute personne en proie à des difficultés économiques dont le volume d’affaires est important, quel que soit le degré de l’état de ses affaires." (Thornton 1802, p.188 note).
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[16]
Il y a aléa moral lorsqu’en fournissant une assurance contre un risque donné, on encourage des comportements qui rendent la concrétisation de ce risque plus probable. En effet, le fait que les marchés de capitaux ne soient pas parfaits, autrement dit qu’il existe une information asymétrique entre les prêteurs et les emprunteurs jointe à l’aversion pour le risque ou la solvabilité limitée, rend généralement impossible l’obtention de résultats optimaux. Sur le plan macro-économique, si un emprunteur souverain sait que le FMI exercera sans doute sa fonction de prêteur en dernier ressort, il sera incité à tirer davantage parti de l’information asymétrique existant entre lui et le prêteur (sa situation réelle, l’état de ses finances publiques, le degré d’avancement de ses réformes, ses prévisions, etc.) en prenant des risques excessifs quant à ses choix de politique économique.
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[17]
Avec les créations, entre autres, de la facilité pétrolière en 1974, de la Facilité d’Ajustement Structurel en 1986, puis de la FAS renforcée en 1988, de la facilité pour la transformation systémique destinée aux pays de l’Est en 1992, de la Facilité de Réserve Supplémentaire destinée aux pays attaqués sur leurs réserves de change et/ou sur le compte de capital de leur balance des paiements en 1997, enfin, en 1999, des lignes de crédit contingentes destinées aux pays préoccupés par les risques de contagion d’une crise susceptible de les affecter.
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[18]
Un débiteur souverain too big to fail est entendu, ici, comme un pays dont le seul défaut menace directement la stabilité globale du système monétaire international, autrement dit dont le seul défaut détermine un risque de système. Il s’agit donc d’un pays pour lequel le coût de son renflouement est inférieur aux externalités induites de son non-renflouement. Partant, le verbe "to fail" fait référence à la deuxième étape (la faillite, la répudiation, etc.) et non à la première (le défaut). Crise ne signifie donc pas effondrement ; autrement dit, le renflouement permet la sortie de crise de ce pays tout en évitant une crise systémique.
1 – Introduction
1La crise asiatique de 1997-1998 a suscité de réelles controverses chez les économistes. Cette crise a répondu à un accroissement radical du risque perçu par les investisseurs internationaux, se traduisant par une perte drastique de confiance. Mais cette défiance était-elle justifiée par les fondamentaux, autant en Thaïlande, en Indonésie, en Corée, aux Philippines ? Certains l’affirment, et perçoivent cette crise comme l’aboutissement d’une détérioration insoutenable des fondamentaux macro-économiques et la sanction de politiques inadaptées, même si l’ampleur de la crise et sa diffusion dans la région dénotent un manque de discernement et une contagion irrationnelle, dans un contexte de fragilité des marchés financiers domestiques (Corsetti, Pesenti, Roubini 1999). A l’inverse, pour d’autres économistes, la crise asiatique s’apparente à une panique financière qui ne peut être directement associée à une aggravation subite des déséquilibres macro-économiques. Elle doit plutôt faire l’objet d’une analyse en termes de prophéties auto-réalisatrices (Krugman 1998b) ayant déclenché une crise d’illiquidité (Radelet, Sachs 1998a, 1998b) à cause d’un assèchement imprévu des entrées de capitaux. En tout état de cause, la crise asiatique n’est pas une crise de change conventionnelle. Elle s’apparente à une crise financière profonde qui présente tous les ingrédients d’une crise systémique enchâssée dans les structures de la finance mondiale contemporaine (rôle-clé des financements courts renouvelables en devises, forte concentration parmi les créanciers bancaires internationaux, transformations d’échéances élevées, forte volatilité des collatéraux, corrélations croissantes des prix d’actifs sur les marchés émergents...).
2Dans le même temps, la nouvelle architecture financière internationale définie en juin 1999 sous l’égide du G 7 et mise en œuvre, depuis, par le FMI constitue la réponse politique apportée aux crises systémiques des années 90. Il s’agit de moderniser l’architecture des marchés financiers dans les pays émergents et de conforter les moyens de prévention et de gestion des crises à l’échelle internationale, ce qui recouvre quatre objectifs : améliorer la transparence et l’accès à l’information ; conforter la place des Institutions financières internationales pour les aider à répondre aux défis de la globalisation des marchés ; développer le rôle du secteur privé en lui faisant supporter une part appropriée du fardeau en temps de crise ; et renforcer la réglementation des institutions financières dans les économies émergentes (Cartapanis 2001). L’ambition n’est donc pas d’ériger un nouveau système monétaire international mais de favoriser de nouvelles pratiques et d’améliorer la gouvernance des marchés internationaux de capitaux, surtout en période de crise, ce qui revient à consolider et à étendre parmi les pays émergents l’architecture des systèmes financiers des pays les plus développés. Mais la nouvelle architecture s’est réduite à un compromis politique, plus néolibéral que néo-keynésien (Cartapanis, Herland 2002), qui paraît inachevé, et l’on assiste à nouveau au déclenchement de crises financières de vaste ampleur en Turquie, en Argentine, au Brésil… C’est dire que le débat sur la prévention et la gestion des crises financières internationales n’est pas clos.
3Les discussions qui se poursuivent aujourd’hui, s’agissant des dispositifs de supervision ou de réglementation prudentielle ou à propos du statut d’un prêteur international en dernier ressort, abordent évidemment les problèmes institutionnels, juridiques ou politiques que posent la redéfinition des systèmes prudentiels avec le nouveau ratio international de solvabilité des banques, le ratio MacDonaugh, la gouvernance du FMI, l’éventuelle mise en faillite d’un État ou l’implication du secteur privé dans la résolution des crises. Mais ces questions, sans être secondaires, doivent être assujetties à des principes théoriques de nature à répondre à la nature des crises, leurs fondements, leurs déterminants. C’est sur ce plan qu’il est d’un réel intérêt de revisiter l’œuvre de Henry Thornton.
4En effet, dans An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain (1802), non seulement il préfigure, bien avant Bagehot, les principes d’intervention du prêteur en dernier ressort, mais il fournit les bases théoriques des processus cumulatifs engendrés par le mécanisme du crédit, que reprendront à leur compte, plus tard, Juglar, Wicksell, Keynes, Minsky… Ce faisant, Thornton spécifie les sources d’instabilité bancaire en mobilisant des mécanismes qui ressemblent étrangement aux séquences de crises de la période contemporaine : excès du crédit, rôle de la confiance excessive et de l’état de l’opinion, renversement des anticipations, propagation des faillites bancaires, crise générale d’illiquidité… Bien sûr, le contexte de l’Angleterre du début du XIXème siècle n’est pas celui que nous connaissons aujourd’hui, et les questions de diffusion internationale d’un choc local ou les problèmes de change ne se posaient certainement pas dans les mêmes termes. De la même manière, l’excès du crédit ne se traduit pas nécessairement par un choc inflationniste et peut tout autant alimenter une bulle sur les prix d’actifs. Enfin, Thornton privilégie les sources domestiques d’instabilité bancaire et financière, pouvant se traduire par des faillites bancaires en chaîne au sein d’un pays donné, tandis qu’il s’agit désormais d’identifier les facteurs de déclenchement d’une crise de change et les mécanismes de contagion conduisant aux crises financières internationales. Mais sur le plan des principes, la relecture de Thornton à l’aune des crises systémiques les plus récentes est pleine d’enseignements et conforte l’appréciation de Goodhart et Delargy (1998) à propos des crises financières : Plus ça change, plus c’est la même chose…
5Tel est donc l’objet de cette analyse que de revisiter An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain afin d’en tirer des enseignements sur les principes de la prévention et de la gestion des crises financières internationales. Dans la section 2, on examine les principaux enseignements théoriques issus de la dernière décennie quant aux mécanismes constitutifs des crises de change et des crises financières internationales, surtout parmi les pays émergents, qui s’apparentent désormais à des crises de change systémiques. Dans la section 3, on souligne l’étonnante actualité des thèses développées dans An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, avant de voir, dans la section 4, ce que pourraient être les contours d’une politique de prévention et de gestion des crises financières internationales à la Thornton, autant sous l’angle d’une politique macro-prudentielle qu’en ce qui concerne les caractéristiques d’un prêteur international en dernier ressort.
2 – Les modèles de crises financières internationales dans les années 90
6La crise asiatique a conduit les économistes à redéfinir les facteurs de vulnérabilité aux crises, en allant au-delà des déterminants macro-économiques, en élargissant les variables explicatives aux faiblesses des systèmes bancaires et financiers, et en privilégiant l’occurrence de crises d’illiquidité internationale.
A l’origine des modèles de troisième génération, une crise de change asiatique à dominante bancaire
7Dans une première génération de modèles, dans la lignée des articles fondateurs de Krugman (1979) ou de Flood et Garber (1984), la crise de change est indissociable de l’apparition de déséquilibres persistants, sur le marché de la monnaie ou sur le plan budgétaire, qui entrent en conflit avec la contrainte d’un stock limité de réserves de change. Dès que celles-ci atteignent un niveau critique, les investisseurs jugent inéluctable le changement de parité et se désengagent du pays concerné afin de se protéger de la perte de change pouvant atteindre leur portefeuille. L’abandon de la parité, ou la modification des taux-pivots si l’on maintient une zone-cible, sont donc provoqués par l’attaque spéculative, mais seraient intervenus, tôt ou tard, même en son absence. De nombreuses extensions ont été apportées à ce modèle de base en intégrant explicitement d’autres fondamentaux, des déséquilibres courants cumulatifs ou la surévaluation du taux de change nominal par exemple, sans que leur logique d’ensemble ait été modifiée. Ce sont toujours des options erronées de politique macro-économique qui impulsent la perte de confiance des détenteurs d’actifs dont le comportement déclenche une crise que les fondamentaux rendaient inéluctable.
8Dans les modèles de la deuxième génération, développés dans les années 90 sous l’impulsion de Obstfeld (1994), le scénario de crise n’est plus déterministe et s’apparente à un jeu d’influence entre le gouvernement et les marchés. Une crise peut alors être déclenchée sans aggravation significative, ex ante, des fondamentaux. On considère en effet que les politiques économiques ne sont pas prédéterminées, mais répondent à l’ensemble des chocs qui touchent l’économie, y compris les développements intervenant sur le marché des changes, ce que les investisseurs n’ignorent pas. On est donc en présence d’une configuration d’équilibres multiples et des crises auto-réalisatrices peuvent alors apparaître. Le comportement des autorités monétaires et du gouvernement reste au centre du processus de crise, mais selon un cheminement logique tout différent. Le gouvernement est supposé arbitrer entre sa préférence pour des taux de change fixes et ses objectifs fondamentaux à long terme. Dès qu’un doute s’instaure quant à son engagement de change, compte tenu de la nécessaire cohérence inter-temporelle de son action et des coûts de la défense du taux de change, en termes de taux d’intérêt anormalement élevés par exemple, l’attaque spéculative intervient en prévision d’une renonciation de la banque centrale. Elle y est alors contrainte et la crise s’analyse en termes de prophéties auto-réalisatrices. Les anticipations de change deviennent contingentes à l’orientation future des politiques économiques qui, elle-même, n’est pas prédéterminée et répond tout autant à la fonction objectif des autorités qu’aux évolutions futures de l’économie, y compris les développements apparaissant sur le marché des changes. C’est cette circularité qui donne naissance à des équilibres multiples et rend possible le déclenchement de crises auto-réalisatrices dès que la confiance des marchés est entamée.
9C’est après la crise asiatique de 1997 qu’apparaissent les modèles de crise de change de troisième génération (Pesenti, Tille 2000 ; Krugman 2001), quelquefois qualifiés de modèles inter-générations (Flood, Marion 1999) au sens où ils combineraient des séquences de crises déjà spécifiées dans les deux générations précédentes. Cette inflexion touche d’abord la nature des chocs ou des déséquilibres susceptibles d’enclencher une attaque spéculative puisque l’on privilégie désormais l’imperfection de l’information sur les marchés financiers et la fragilité des systèmes bancaires, plutôt que les distorsions macro-économiques.
10Avec le concept de crise jumelle, la littérature offrait déjà des analyses associant crises de change et crises bancaires. Mais cela s’opérait surtout sur le plan empirique, dans l’extension des indicateurs d’alerte aux fragilités financières, par exemple en intégrant parmi les facteurs potentiels de crise le montant des crédits bancaires rapportés au PIB ou les engagements extérieurs des banques (Kaminsky, Reinhart 1998 ; IMF 1997a). On admet désormais que les déséquilibres bancaires peuvent provoquer un basculement d’opinion de vaste ampleur qui s’étend au marché des changes. Cela peut répondre à l’apparition de désajustements d’échéances dans les bilans bancaires ou bien à des chocs touchant ponctuellement les collatéraux, par exemple en présence de l’éclatement d’une bulle sur les marchés d’actifs ou d’une bulle sectorielle (immobilier, micro-processeurs…). Ces perturbations engendrent alors des problèmes d’illiquidité bancaire (Radelet and Sachs 1998) qui deviennent le vecteur d’une propagation systémique par le jeu de boucles auto-aggravantes : crise de liquidité, soit en réponse au sur-investissement, soit à cause d’une inversion conjoncturelle ou de faiblesses sectorielles ; contexte macro-économique offrant plusieurs scénarios contradictoires ; modification brutale des anticipations collectives ; retrait des capitaux étrangers et extension contagieuse ; crise de solvabilité ; chute de l’activité… (Artus 2000).
11Du coup, l’une des particularités des modèles de troisième génération apparaît nettement : ce ne sont plus des modèles de crises de change stricto sensu, liés à des distorsions de change, et suscitant des tensions sur le marché des devises. Leur objet est plutôt de spécifier une dynamique d’instabilité financière ou bancaire, sur la base de modèles initialement conçus en économie fermée, qu’il s’agisse des modèles de run bancaire (Diamond, Dybvig 1983) ou des modèles de désajustements d’échéances au sein des bilans bancaires (Bernanke, Gerler 1989), mais en intégrant de nouvelles ramifications avec le marché des changes.
12Compte tenu de l’étendue des mécanismes d’instabilité financière ou bancaire, les modélisateurs de troisième génération vont ainsi retenir des facteurs de déclenchement des crises très divers : les uns mettent l’accent sur l’endettement externe excessif, lié à un phénomène d’aléa moral (Krugman 1998 ; Corsetti, Pesenti, Roubini 1999) ; d’autres se cantonnent à la transposition du modèle canonique de run bancaire en substituant aux déposants domestiques les créanciers internationaux (Chang, Velasco 2000a, 2000b) ; certains placent au cœur de l’analyse la dégradation des bilans bancaires ou des bilans des entreprises, en fonction de la structure d’appariement par échéances entre créances et engagements (Krugman 1999 ; Mishkin 1998, 1999, 2000) ; d’autres, enfin, sans être exhaustif, combinent des bulles sur les prix d’actifs et des crises de bilan (Schneider, Tornell 2000). Dans tous les cas, la crise de change et la dépréciation qui en est l’aboutissement s’apparentent à un effet collatéral, voire à un symptôme (Krugman 2001), au sein d’une crise financière plus étendue, tout en jouant un rôle important dans l’amplification du choc et son extension à l’ensemble de l’économie, via les réactions de politique économique et les effets de contagion, mécaniques ou psychologiques.
13Au-delà du déplacement de l’analyse vers la sphère bancaire, ce qui caractérise également ces approches, c’est la place qu’occupent les mouvements internationaux de capitaux, non seulement dans le déroulement concret de la crise de change, après le choc bancaire ou financier, mais surtout, en amont, dans les entrées excessives de capitaux. Ce sont les afflux de capitaux bancaires ou les investissements massifs de portefeuille qui ont fragilisé les économies émergentes, tant à l’échelle des marchés financiers domestiques que sur le plan réel. Ce sont ces afflux d’épargne qui se trouvent à la source des tensions bancaires internes, puis au cœur du renversement des anticipations qui déclenche, in fine, la crise. C’est ce qui explique qu’une très large part des modèles de crises de change de troisième génération s’apparente à des modèles d’illiquidité bancaire en situation d’information imparfaite.
Illiquidité et déséquilibres de bilans bancaires
14Les fragilités bancaires qui sous-tendent les risques d’illiquidité internationale sont explicitement spécifiées dans une série de modèles de Chang et Velasco (1998, 2000a, 2000b, 2001). Il s’agit alors de retracer les interactions entre un run sur les dépôts domestiques et un mouvement de panique touchant les créditeurs étrangers en réponse à la perception subite d’une maturité excessivement courte de la dette externe et, par là, de la probabilité accrue d’un défaut international. Ici la crise se déclenche à partir d’un jugement porté par les banques créancières sur l’éventuelle situation d’illiquidité internationale des banques domestiques. On ne se trouve pas dans une problématique de crise de change stricto sensu, mais plutôt de crise financière induisant un impact collatéral sur le marché des changes. Ce sont les excès d’entrées de capitaux, sous la forme de dépôts auprès des banques domestiques, qui se trouvent au cœur de la montée des risques, dans un contexte prudentiel et informationnel très imparfait, avant d’être à l’origine de la crise elle-même lorsqu’un renversement d’opinion se produit.
15Sur le plan de la spécification théorique, cette démarche conduit à transposer le modèle canonique de Diamond et Dybvig à l’économie ouverte, notamment en se focalisant sur les transformations d’échéances réalisées par les banques domestiques et, donc, sur le problème de l’illiquidité possible de leurs créances. Si le run a pour initiateurs les créanciers internationaux lorsqu’ils réévaluent leur risque, son déclenchement n’est pas endogène. L’illiquidité internationale répond à un jugement sur la valeur de liquidation des actifs qui dépend elle-même du montant des engagements extérieurs accumulés vis-à-vis de l’ensemble des banques créancières. On est donc dans un contexte d’équilibres multiples, conditionnels à ce type de jugement, et comprenant par conséquent des équilibres de run, incluant même un risque de défaut parmi les banques domestiques. Dans cette ligne, tout un ensemble de modèles, en particulier chez Caballero et Krishnamurthy (1998), mettent l’accent sur l’illiquidité bancaire dans les pays émergents fortement endettés et les failles qui naissent de l’insuffisance des collatéraux.
16De son côté, Mishkin (1998, 1999, 2000) privilégie le rôle des asymétries d’information dans la détérioration des bilans bancaires qui précède la crise de change, par exemple dans le cas de la Corée (Hahm, Mishkin 2000) et souligne l’impact des désajustements dans les structures de bilans, autant du point de vue de la qualité des créances, à l’actif, que de la part des financements étrangers à court terme, du côté du passif. C’est d’ailleurs en ce sens que Dornbusch (2001) parlait de new-style balance sheet crises. C’est l’information asymétrique, source de sélections adverses sous l’emprise de l’aléa moral, qui fonde une telle dynamique et la situation macro-économique, si elle n’est pas totalement négligée, passe désormais au second plan. Liée à l’évolution relative de la valeur des collatéraux face à la structure et à la maturité des engagements, la richesse nette des banques est au cœur du scénario. Mais c’est la liquidité associée aux engagements financiers qui en est le vecteur. Cette liquidité n’est pas attachée à un marché particulier, ni à telle ou telle institution financière, contrairement à la solvabilité. C’est une externalité, une relation stratégique (Aglietta 1998) qui sous-tend la confiance collective, et se trouve donc assujettie à un risque de défiance collective puisqu’elle ne peut être satisfaite que par liquidation des actifs détenus ou des engagements antérieurs, créant alors des débordements, des contagions, de marchés en marchés, la recherche de liquidité imposant la liquidation des collatéraux et accentuant la déflation des prix d’actifs. Tout choc sur la valeur anticipée des collatéraux peut donc conduire au basculement dans la défiance, au non-renouvellement des prêts externes, et à la crise de change.
17Ainsi, les flux de capitaux contribuent tout à la fois à la fragilisation financière et au déclenchement de la crise selon un scénario avéré. D’abord, une phase euphorique : un optimisme démesuré du côté des créanciers internationaux, des banques en particulier, conduisant à des situations de sur-financement, au-delà en tout cas des besoins liés aux déficits courants et aux écarts entre épargne et investissement domestiques, provoquant tout à la fois un boom du crédit, avec sélections adverses et risque moral, une profitabilité bancaire élevée mais précaire, un choc d’investissement et un boom d’activité, des augmentations de réserves jouant un rôle de collatéral implicite, des surréactions, voire des bulles sur les marchés d’actifs, en particulier sur le taux de change… Puis une phase neurasthénique qui provoque une inversion de toutes ces séquences : détérioration de la situation financière des entreprises, dégradation des bilans bancaires, pessimisme excessif, sous-investissement, ralentissement de l’activité, pertes massives de réserves, chute des cours boursiers, faillites bancaires, étranglement du crédit et crise réelle, diffusion de la panique, attaque spéculative, sorties de capitaux, crise de change…
18On est loin des analyses spécifiquement consacrées aux crises de change puisque ce scénario met en jeu une conception intrinsèquement instable des systèmes financiers qu’accentuent les mouvements internationaux de capitaux. La dégradation des bilans en constitue le symptôme et s’explique par l’information imparfaite et les décisions non optimales des opérateurs bancaires.
Des crises de change peu dissociables du risque systémique dans les pays émergents
19Dans les modèles de troisième génération, les crises de change sanctionnent un défaut généralisé de coordination parmi les intermédiaires financiers, domestiques et étrangers, en présence de bilans bancaires déséquilibrés. La dévaluation qui en résulte exerce des effets d’aggravation si les engagements externes en devises sont élevés, mais également si les tentatives de sauvetage de la part des autorités induisent, soit une forte augmentation des taux d’intérêt, soit encore, sur le plan budgétaire, de nouveaux besoins de financement à monétiser. Mais alors, la crise de change devient indissociable d’une crise systémique.
20On ne saurait parler d’un paradigme établi à propos du risque systémique (De Bandt, Hartmann 2000), certains jugeant même ce concept encore méthodologiquement non solide (Marshall 1998). Si elle fait l’objet de définitions multiples (De Bandt, Hartmann 2000 ; Aglietta, Brender 1990 ; Aglietta, Moutot 1993), la notion de risque systémique recouvre d’abord le risque de contagion régionale ou globale d’un choc local. Pour la BRI (1994), c’est le risque que la défaillance d’un participant face à ses engagements contractuels puisse se transmettre aux autres participants en proie à des défaillances, le long d’une chaîne de réactions conduisant à des difficultés financières croissantes. L’idée de base est donc que certains chocs, dans un contexte spécifique, peuvent exercer des effets qui dépassent leur dimension initiale et donc prendre la forme d’une crise qui met en cause la stabilité du système financier global (Eichengreen 2001), autant du côté des débiteurs que des créanciers.
21Mais le risque de système ne se réduit pas à la simple juxtaposition, voire à la propagation des risques individuels. Cette notion recouvre l’éventualité que les réponses rationnelles des agents puissent conduire, de façon endogène, à des modifications brutales des anticipations, reflétant des sauts dans l’insécurité perçue, de nature à perturber la détermination des prix sur les marchés d’actifs et la rationalité de l’allocation de l’épargne. En ce sens, le risque systémique ne se matérialise pas seulement sous la forme de crises ou d’accidents mais peut également s’exprimer de façon plus insidieuse par des inefficiences, des coûts d’ajustement ou des contraintes macro-économiques que ne justifiait nullement un changement des fondamentaux (Aglietta, Brender 1990 ; Aglietta 1996).
22Ces anomalies ne sont pas imputables à la concurrence financière, per se, mais au fait que la libéralisation des mouvements de capitaux s’est le plus souvent traduite par une forte augmentation des engagements liquides, notamment de l’endettement à court terme en devises par l’entremise des banques, ce qui a considérablement accentué la vulnérabilité des économies concernées à un changement dans l’état de confiance, à un choc dans l’évaluation des risques de la part des investisseurs internationaux. De ce fait, la mobilité internationale des capitaux accentue et multiplie les sources de turbulences et de crises, tout particulièrement dans les économies émergentes encore marquées, depuis des décennies, par des connexions très étroites entre les banques et les États qui assuraient la stabilité des engagements financiers. Quant à la réversibilité de ces transferts d’épargne, elle a été considérablement accentuée par la montée en puissance des engagements bancaires à très court terme et la liquidité de ces crédits devient hautement hypothétique en période de stress. A ce sujet, Diamond et Rajan (2001) considèrent que ces crédits à court terme sont les seuls à pouvoir financer des investissement réels jugés illiquides, faute de marché secondaire, à profitabilité lointaine, et donc peu à même de susciter la confiance à long terme des créanciers internationaux.
23Si l’acception donnée au risque de système, on l’a dit, reste encore peu unifiée, c’est sans doute aussi parce qu’on l’applique à des champs très divers allant des problèmes posés à un système de paiement par une faillite ou un run bancaire, limités à un seul établissement, jusqu’au déclenchement d’une crise financière internationale qui se propage à l’échelle de l’ensemble d’une région du monde. Dans la littérature anglo-saxonne sur le risque systémique, chez Kaufman (2000) ou Marshall (1998) par exemple, on s’appuie communément sur des tableaux synoptiques qui décomposent, plus qu’ils n’intègrent analytiquement, le déclenchement de la crise systémique, celle-ci pouvant d’ailleurs répondre à une information systémique rationnelle, mais aussi à des bruits dénués de fondements rationnels.
24Plusieurs traits saillants se dégagent toutefois de la littérature se référant explicitement au risque systémique (Cartapanis 2003). D’abord avec la prise en compte de multiples externalités, les prises de risques excessives chez les uns provoquant des fragilités croissantes chez d’autres, fussent-ils les plus pusillanimes jusqu’alors. Ensuite, en se référant à un environnement informationnel très éloigné des hypothèses habituelles de l’efficience des marchés ou des anticipations rationnelles, en l’occurrence un univers d’information imparfaite chez Mishkin ou de fragilité financière intrinsèque en référence à Minsky. Également, en traitant explicitement des effets de contagion ou de débordement, de marchés en marchés, faute de coordination suffisante, et conduisant par là même à l’extension globale d’un choc local. Enfin, en se posant explicitement la question des formes que devraient prendre les politiques publiques pour y répondre, sous l’angle de la supervision puisque les logiques d’assurance et de gestion individuelle des risques s’avèrent défaillantes, ou bien en justifiant une intervention en dernier ressort.
25La théorie économique standard du risque appréhende celui-ci sur un plan microéconomique, ce qui assure sa séparabilité et rend possible sa gestion au moyen de la diversification. Mais on se situe ici à une échelle macro-financière où l’économie n’est pas composée d’une juxtaposition de risques individuels mais d’une combinaison et d’un enchevêtrement d’externalités et d’interdépendances stratégiques. La valeur nette d’une institution financière dépend alors de la valeur des autres établissements financiers, autant sous l’angle des créances croisées qu’en référence à la confiance systémique. Quand le risque de système se transforme en crise systémique, révélant des perturbations allant au-delà des limites où les organisations établies sont efficaces (Aglietta, Moutot 1993), alors les réactions s’aggravent, les processus de propagation et d’amplification des chocs entrent en jeu et se diffusent, en particulier vers le marché des changes.
26Excès du crédit, illiquidité, défiance généralisée et mouvement de panique… Tels sont les ingrédients de la crise de change systémique, mais tels sont aussi les fondements des analyses proposées dès le début du XIXème siècle par Thornton à propos de l’instabilité bancaire en Angleterre.
3 – L’étonnante actualité des analyses de H. Thornton
27Les débats contemporains relatifs à la gestion et à la prévention des crises financières réactualisent l’analyse de Henry Thornton (1802, 1803) centrée sur les moyens de limiter l’instabilité bancaire et le risque de système par les deux attributs qu’il assigne à la Banque centrale : assurer la stabilité de la monnaie et exercer le prêt en dernier ressort.
L’analyse des crises bancaires et financières
28Sa conception de la monnaie est marquée par la nécessité d’assurer la régulation du système financier et de crédit, grâce à un niveau suffisant de liquidité. Ceci le conduit à insister sur l’état de confiance ou de défiance qui conditionne le degré de préférence pour la liquidité des agents et la vitesse de circulation des instruments de crédit, donc le risque de liquidité :
"lorsque la confiance est bien établie, dans les affaires de commerce, les banquiers n’ont pas besoin d’une réserve aussi considérable de fonds de caisse. Ils savent que s’il arrivait qu’on leur demandât un remboursement dont l’époque est incertaine, ils trouveraient de quoi y satisfaire, avec la plus grande facilité (…). Mais si la défiance vient à se répandre, la prudence veut qu’on néglige le petit bénéfice d’un intérêt de quelques jours, et qu’on ait sa provision de billets de banque prête, pour faire face au moment nécessaire (…). On dit que l’argent se cache, lorsque la défiance règne. Il est vrai que les particuliers gardent plus d’argent chez eux dans les temps de crainte, mais la cause la plus efficace de la rareté de l’argent, c’est que les banquiers (…) augmentent plus ou moins le fond en numéraire qu’ils gardent habituellement en caisse pour pourvoir aux besoins possibles (…). C’est ainsi que la circulation se ralentit, et que la quantité totale de numéraire en circulation devient insuffisante pour opérer les paiements ordinaires"
30La valeur du papier crédit reflète alors le degré de confiance qu’on lui confère, qui varie selon les périodes. Plus précisément, face à une encaisse de transaction a priori incompressible [3], l’encaisse de précaution (ou de spéculation (Beaugrand 1981, pp.44 et s., p. 107)), dépend du taux d’intérêt et de cet état de confiance. Partant, en période de croissance de l’activité économique et de prospérité, la préférence pour la liquidité diminue ; en période d’alarme, elle augmente fortement et devient insensible au coût d’opportunité de sa détention, donc au taux d’intérêt.
31Ce rôle prépondérant joué par le taux d’intérêt permet donc à Thornton d’établir le principe de l’élasticité de la demande de fonds prêtables au taux d’intérêt et d’asseoir son analyse des crises bancaires fondées sur l’emballement du crédit (overbanking) : lors des phases de confiance, l’incitation à emprunter est forte lorsque le taux de profit espéré est plus élevé que le taux d’intérêt auquel les opérateurs empruntent :
"Examinons quel serait le profit des emprunteurs dans la supposition d’un accroissement considérable dans les émissions. Ce profit dépendrait de deux points : 1° l’intérêt payé par l’emprunteur ; 2° le profit que cet emprunteur pourrait espérer de l’emploi des sommes dans le commerce, ou autrement. Le gain que l’on peut faire dans le commerce est ordinairement le plus considérable de tous, et il règle, en grande partie, le taux des autres gains : il s’agit donc ici principalement de la comparaison du taux de l’intérêt payé à la banque, avec le taux courant des profits mercantiles."
33En outre, les lois sur l’usure interdisent aux banques de pratiquer, "même en temps de guerre" (Ibidem), un taux d’intérêt supérieur à 5%. Ainsi, lors d’une période d’euphorie des affaires, pour reprendre l’expression de Juglar (1862, 6) [4], la demande de prêts peut s’avérer insatiable et déclencher une dynamique cumulative, auto-entretenue par les anticipations de hausse des prix et de sur-profit en réponse à la dépréciation attendue de la monnaie qui diminue le taux d’intérêt réel :
"un accroissement considérable dans les signes d’échange ne produit point tout à coup un accroissement semblable dans les valeurs réelles : or le profit mercantile ne se fait que sur les valeurs réelles, et non point sur les évaluations nominales qu’un grand accroissement dans la quantité des signes d’échange peut faire varier (…) ; lorsque la nouvelle émission aura fait monter les denrées et marchandises au point qui se trouverait en rapport avec la quantité du papier et l’activité de la circulation (…), le négociant sera placé précisément comme auparavant, le profit annuel à espérer d’une certaine quantité d’achats et de vente sera le même, et par conséquent l’intérêt courant sera le même. "
35Ce processus cumulatif qui conduit avec une probabilité croissante à l’inflation, à la contraction des affaires et à la crise bancaire est très proche de celui que développera Wicksell [5] avec la distinction entre taux d’intérêt du marché et taux naturel. Plus généralement, l’analyse de Thornton relative aux crises d’overbanking est centrée sur les excès et les imprudences tant des banques, quant à l’octroi des crédits, que des agents, quant à la demande de crédit, commis dans l’euphorie d’une confiance sans réserve dans l’avenir, génératrice de comportements oublieux des crises passées (disaster myopia). Cette analyse s’inscrit à l’avant-garde du programme de recherche sur les fragilités financières, de Juglar à Wicksell, Keynes puis Minsky.
36Ainsi, Thornton démonte précisément le mécanisme de l’instabilité endogène de la finance domestique. Il décrit le processus de sous-évaluation des risques lié à l’illusion de sécurité provoquée par l’appréciation du prix des actifs réels, eux-mêmes financés par les crédits (cf. supra). Il souligne également la sur-exposition des banques aux risques de crédit qu’amplifie l’asymétrie d’information du marché du crédit à cause des effets fictifs [6] :
"Si les directeurs de la banque étaient obligés de mesurer l’étendue de leurs escomptes, sur la quantité des lettres de change non fictives [i.e. correspondant à une contrepartie, donc une garantie, réelle], il arriverait que les banquiers particuliers (…) ne travailleraient plus sur des lettres de change et des billets fictifs. On pourrait imaginer que si les directeurs réglaient leur confiance en partie sur les capitaux des emprunteurs, en partie sur la nature des lettres de change offertes, et en partie encore sur la vraisemblance d’un paiement régulier, ils auraient des règles de conduite certaines."
38Face à ces crises d’overbanking, la Banque centrale doit d’abord éviter les deux écueils d’une trop forte émission, qui déprécierait le papier, et d’une restriction excessive de la circulation, qui aggraverait la détresse commerciale. Entre ces deux extrêmes, elle doit adopter un pilotage au cas par cas de l’offre de monnaie, garant d’une plus grande confiance et d’une stabilité accrue du système bancaire, afin de fixer les anticipations :
"Limiter la quantité totale des émissions et pour cela recourir à un principe efficace de restriction, quand il y a beaucoup d’empressement pour emprunter ; ne jamais trop diminuer la quantité absolue de billets de banque en circulation mais ne la laisser fluctuer qu’entre certaines limites ; lui laisser une lente et prudente croissance, à mesure que le commerce de l’Angleterre s’étend ; permettre une forte mais temporaire augmentation dans le cas d’une crise dans le commerce –meilleur moyen de prévenir la demande excessive de guinées ; et pencher plutôt vers la diminution lorsque l’or quitte le pays, et que les changes restent longtemps défavorables. Voilà qui semble la bonne politique des directeurs d’une institution comme la Banque d’Angleterre. Subir les sollicitations des négociants, ou les demandes du Gouvernement, pour déterminer l’ampleur des émissions de la banque, c’est incontestablement adopter un très mauvais principe de conduite. "
40Malgré ces interventions, la crise bancaire peut se transformer en crise de liquidité, lorsque la défiance contagieuse s’empare des opérateurs à la recherche désormais d’actifs liquides assortis d’une bonne réputation de l’émetteur. L’analyse de ces comportements de fuite vers la sécurité lors des phases de méfiance conduit Thornton à avancer deux idées forces particulièrement d’actualité : i) les banques retrouvent lors de ces phases leur rôle de market maker, autrement dit l’intermédiation bancaire contribue fortement à l’efficience du marché des fonds prêtables ; ii) le rétablissement de la régularité des paiements et de la confiance nécessite une Banque centrale dotée d’une rationalité publique qui se manifeste par sa fonction de prêteur en dernier ressort (ou prêteur ultime) [7].
41i) Pour Thornton, les banques permettent aux agents de connaître la réputation de l’emprunteur. D’une part, en fonction de son degré d’aversion face au risque, ce qui permet de discriminer entre les bons et les mauvais emprunteurs :
"Les banques découragent les entreprises hasardées ; parce que les directeurs de ces établissements étudient avec soin les dispositions et les moyens de ceux qui s’adressent à eux pour emprunter de l’argent, refusent leur confiance aux gens qui hasardent trop, ou dont la réputation commerciale est douteuse."
43D’autre part, en fonction de son niveau d’endettement, ce qui contribue à la réduction de l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs, de même qu’entre les banques (mutual assistance) :
"Il est de l’intérêt des banques de se communiquer réciproquement (…) le degré de confiance qu’elles accordent à tel ou tel individu, afin de pouvoir régler, d’après la totalité des emprunts de cet individu, la mesure des prêts qu’on peut lui accorder avec sûreté ; et surtout afin de décourager les négociants de l’usage des circulations, ou des lettres de change fictives qu’ils tirent les uns sur les autres pour se procurer des fonds."
45D’où la conclusion de Thornton selon laquelle c’est un système bancaire hiérarchisé, c’est-à-dire le maillage des banques provinciales contrôlées par les sièges sociaux londoniens, eux-mêmes inspectés par la banque d’Angleterre, qui assure la juste mesure de la confiance des marchés financiers :
"Les directeurs d’une banque sont singulièrement bien placés pour apprécier le degré de crédit dont jouit chaque individu dans son commerce. Ils ont connaissance de toutes les opérations de change de la place. Ils jugent de la confiance dont jouit le papier de chaque maison. C’est par l’institution des banques que l’appréciation du crédit de tous les individus qui font un commerce quelconque est devenue une science [qui] est une des causes de la prospérité du commerce de la Grande-Bretagne, et du crédit dont ses négociants jouissent à l’étranger (…). C’est ainsi qu’il s’est formé une sorte d’équilibre qui se maintient par la nature même de la chose, et qui prévient, sinon tout à fait, du moins jusqu’à un certain point, les spéculations hasardées (adventurous speculation)."
47ii) Dans un contexte de fuite vers la qualité (flight to quality), la forte crédibilité (hight credit) de la Banque centrale [8] conditionne les comportements des agents dans le sens d’une forte demande pour ses billets, très liquides, qui sont à la base du système de crédit et souvent l’instrument de règlement ultime entre banques dans un système hiérarchisé (cf. supra). Dès lors, l’engouement pour ces actifs peut conduire à leur raréfaction, générant un risque de rupture du système de paiements et, partant, un risque de système. D’où la nécessité, pour rétablir la régularité des paiements, et donc la confiance, d’une intervention de la Banque centrale via sa fonction de prêteur en dernier ressort, sous la forme d’un renflouement (Thornton 1802, pp.109-10 ; 1803, p.54) et/ou d’une politique d’open market (Ibid. 1803, p. 80). Toutefois, ces interventions sont délicates à mener dans la mesure où les crises de liquidité affectent aussi bien les agents (et les banques) illiquides qu’insolvables, ce qui pose le problème de la pertinence de la règle de Bagehot [9] :
"(…) lorsque l’alarme se répand dans le commerce, le discrédit tombe également sur les banques qui sont solides et sur celles qui ne le sont pas. Si une banque suspend ses paiements, tout le monde court pour chercher de l’argent chez les autres banques ; et si celles-ci n’ont pas une grande quantité d’or à répandre, le mal devient très fâcheux. "
49En outre, la Banque centrale assume un risque de crédit lorsqu’elle prête à une banque subissant un run, d’où la nécessité de disposer d’un capital suffisant pour maintenir la confiance en la monnaie [10] et pour enrayer ces mécanismes de courses aux retraits qui, dans un contexte de rationalité limitée des agents (Thornton 1802, p. 171 ; 1803, pp. 134-5), peuvent conduire à des crises de défiance généralisée :
"Chacun craignant de ne pouvoir se procurer des billets de banque en quantité suffisante pour opérer ses paiements (…) se hâtait de se les assurer par avance (…). Les porteurs de billets de banque se présentèrent en foule à la banque pour obtenir des guinées (…), l’embarras principal du commerce de la capitale vint du défaut d’une quantité insuffisante de billets de banque pour fournir aux paiements courants. La demande de billets était si forte, que pendant les jours qui précédèrent la suspension des paiements, l’intérêt monta à seize ou dix-sept pour cent."
Une conceptualisation déjà très moderne
51Ces crises se caractérisent par des contagions de faillites bancaires qui résultent du basculement des comportements (voire des anticipations) des déposants. C’est le cas en présence d’une contagion à la Diamond et Dybvig [11], ou d’une contagion liée à la similitude des actifs [12]. Les deux cas sont alors porteurs d’un risque de système :
"Les crises dues à la cessation du crédit du papier tourmentent -cruellement ceux qui les traversent sans y succomber ; enfin, comme elles réduisent un grand nombre d’individus très sages, et très respectables, à l’humiliante nécessité de suspendre leurs paiements, elles tendent à égarer l’opinion sur leur compte, et à les assimiler aux gens d’affaires qui n’ont aucune de ces qualités, et qui ont mérité leur malheur par leur imprudence. "
53Dans ces contextes de crise, l’action du prêteur en dernier ressort agit comme une assurance de la continuité des paiements en réponse à des causes internes de crise (internal drain, i.e. chute de la confiance et thésaurisation) ou à des causes externes (suspension de convertibilité, external drain, changes défavorables et exportations d’or), selon trois configurations principales :
- le renflouement par le prêteur en dernier ressort face au risque d’illiquidité des négociants :"Les maisons de négociants doivent être présumées dans le tort, lorsqu’elles suspendent leurs paiements, tant que la banque d’Angleterre fournit aux siens ; parce que, pour peu que ces maisons aient pourvu d’avance à ce que la prudence exige (tolerably prudent provision), elles trouvent dans la banque d’Angleterre une ressource certaine. Si ce moyen de secours leur est enlevé, elles deviennent encore plus exposées à une faillite que la banque, parce que les moyens qu’elles ont de se procurer de l’argent sont extrêmement précaires."
- le renflouement par le prêteur en dernier ressort face aux contagions de faillites bancaires :"La banque nationale (great public bank) étant obligée d’avoir toujours beaucoup de fonds en numéraire (…), elle devient, en quelque sorte, un réservoir d’or, où les banques particulières (private banks) peuvent aller puiser en cas de nécessité (…). La banque nationale a à pourvoir à ces besoins accidentels (i.e. la course aux retraits) qui dépendent de la crainte et de l’inquiétude. Il faut qu’elle ait un fonds extraordinaire en guinées, égal à la somme des billets des banques particulières qu’une alarme peut faire annuler. "
- le renflouement par le prêteur en dernier ressort afin d’éviter les suspensions (interne et externe) des paiements :"L’Angleterre s’est trouvée placée entre deux dangers : l’un de voir décréditer son papier-monnaie ; l’autre, d’éprouver une interruption dans l’emploi de ce papier-monnaie, de laquelle aurait résulté la stagnation du commerce et des manufactures. Or, je pense que l’Angleterre a de grandes obligations aux directeurs de la banque nationale, pour avoir maintenu la même quantité de papier-monnaie qu’auparavant, dans la circulation"
"Les banques des villes de province ne portent donc pas elles-mêmes le fardeau qui les concerne : elles le font supporter à la banque nationale, laquelle doit le trouver bien lourd dans les circonstances critiques."
55On doit d’ailleurs souligner, ici, combien Thornton définit avec une remarquable modernité le concept d’aléa moral :
"Les actes d’insolvabilité laissant sur le caractère des négociants une tache moins forte (i.e. dans les temps de crise) que dans les temps ordinaires, la crainte d’être réduit à la nécessité de se déclarer insolvable n’a point assez de prise sur chaque individu. L’opinion ne pouvant discerner les causes dans le grand nombre de faillites qui se succèdent, chacun se dit que s’il est réduit à suspendre ses paiements, on en accusera la fortune et non sa prudence : il suit de là que l’on fait un plus grand nombre de spéculations hasardées (adventurous speculation), et que le principal motif pour soutenir la régularité des paiements se trouve affaibli."
57De même :
"(…) si l’on suppose une augmentation graduelle dans la masse totale des émissions, la banque nationale fournira continuellement de nouveaux moyens d’effectuer les paiements avec régularité : elle fournirait aux spéculateurs les plus extravagants, des moyens faciles de payer ponctuellement à l’échéance. "
59Face à ces externalités, la régulation du système financier et de crédit nécessite une architecture financière hiérarchisée où le prêteur en dernier ressort peut compter sur des banques de second rang capables d’assurer efficacement les risques de transformation, de contrepartie et d’échéances. Pour cerner les conditions de cette efficience, Thornton définit d’abord la vulnérabilité des banques face aux risques de runs, qui est consubstantielle au métier bancaire :
"Le banquier (…) fait un nombre de promesses qu’il est hors d’état d’accomplir, si tous les porteurs des engagements venaient à la fois lui demander de les remplir, chose qui n’est point tout à fait impossible. (Cela) revient à dire qu’un banquier qui reçoit des dépôts ne devrait jamais en laisser sortir de sa caisse aucune partie ; car s’il n’a point fait de condition pour être averti d’avance au moment où on lui redemandera ces dépôts, il est possible qu’on les lui redemande le même jour. "
61Toutefois, cette probabilité est faible, ce qui légitime le métier bancaire et définit les règles prudentielles et de gestion des risques d’illiquidité :
"La banque d’Angleterre, les banques particulières, les banquiers, les marchands qui font un commerce quelconque, se conduisent dans les affaires, non d’après les règles d’une certitude morale absolue (moral certainty, i.e. la rationalité pure et parfaite), mais d’après celle d’une probabilité suffisante (reasonable and sufficient probability). L’objection, ainsi énoncée, prouverait trop, puisqu’il n’est aucune promesse de paiement qui suppose une parfaite certitude qu’elle sera remplie. La règle des probabilités suffisantes est celle de tous les gens raisonnables, dans les intérêts ordinaires de la vie, pourquoi ne la suivrait-on pas dans les affaires de commerce !"
63De même, c’est la maîtrise des risques bilantiels qui fonde la réputation des banques :
"Les banques ont un motif de circonspection de plus que tous les autres prêteurs, dans le choix des confiances qu’elles font : c’est que si elles placent mal cette confiance et que l’emprunteur vienne à manquer, la chose sera publique, parce que les décisions des syndics de faillites étant communiquées à tous les créanciers, ceux-ci auront occasion de remarquer l’imprudence des directeurs de la banque ; et le crédit de l’établissement pourra souffrir."
65D’où la conclusion qu’
"une banque est donc jugée agir avec sagesse lorsqu’elle conserve dans sa caisse ce qui lui suffit pour faire face aux besoins que les probabilités raisonnables lui font prévoir."
67Cette assertion n’est pas sans lien avec les débats actuels sur l’orientation des Accords de Bâle et sur le principe et le contenu des règles prudentielles :
"ll serait à désirer (…) que l’on pût trouver des mesures réglementaires concernant la législation des banques dont il résultât soit l’affaiblissement du danger des crises de défiance qui font accourir tout le monde à la banque nationale pour avoir de l’or, soit un obstacle à ce que les établissements d’une consistance médiocre fissent des émissions de billets. "
69Au terme de cette relecture de l’œuvre de Thornton, il paraît indiscutable que celui-ci a proposé une analyse étonnamment moderne de l’instabilité bancaire. Au-delà de ce constat et de la place de choix qui doit lui être réservée dans l’histoire de la pensée économique relative aux crises financières, ce que souligne d’ailleurs Schumpeter (1954, Ed. française, 1983, T. II, p. 438), il importe maintenant d’examiner les enseignements que l’on peut en tirer, deux siècles plus tard, en matière de prévention et de gestion des crises financières internationales.
4 – Prévention et gestion des crises financières internationales à la Thornton
70Dans l’immense chantier de la nouvelle architecture financière internationale, l’accent est actuellement placé sur les problèmes posés par les défauts souverains et sur l’éventuelle mise en faillite d’un État. Mais, de façon plus générale, il s’agit d’améliorer les dispositifs de prévention et de gestion des crises financières internationales.
71Prévenir les crises revient à contenir les comportements générateurs de risques, donc à réduire la fréquence de celles-ci. Gérer les crises consiste à éviter leur propagation systémique et à minimiser leur ampleur et leur coût, en rétablissant la confiance des agents économiques. Malgré les innombrables rapports publiés par le FMI, la Banque Mondiale, le Forum de Stabilité Financière ou la BRI à propos des progrès enregistrés dans l’évaluation des fragilités financières ou la définition des normes et des codes de nature à améliorer la résilience des systèmes financiers (IMF 2001), l’application opérationnelle de ces dispositifs reste encore embryonnaire. Les crises se répètent, surtout parmi les pays émergents, et le débat sur les modes de régulation de l’instabilité financière internationale n’est pas clos.
72On se propose donc de spécifier ce que pourraient être les fondements d’une prévention et d’une gestion des crises financières internationales à la Thornton. Mais auparavant, il convient de revenir sur les sources de déclenchement de la crise systémique.
Le déclenchement de la crise systémique
73Les modèles de crises les plus récents s’apparentent au paradigme de la crise systémique dont la crise asiatique constitue un cas d’école : échec de coordination des marchés financiers en présence d’équilibres multiples, attaques spéculatives auto-réalisatrices issues de défaillances bancaires en chaîne, effondrement de l’activité économique (Aglietta 1998)… Mais comment s’opère le changement de régime qui provoque le basculement d’opinion et le passage de la phase d’euphorie à la phase de détresse, pour reprendre l’expression de Kindleberger (1989) ?
74Cette question bénéficie souvent de réponses ad hoc mobilisant des causes exogènes. De Bandt et Hartmann (2000) établissent un distinguo entre les chocs idiosyncratiques qui affectent une seule institution ou un seul actif et les chocs systématiques qui touchent de façon commune l’ensemble des acteurs et des marchés financiers. De son côté, Dornbusch (2001) souligne combien la situation d’un système bancaire national peut changer en très peu de temps, typiquement si une concentration d’engagements, par exemple dans l’immobilier, se révèlent subitement trop risqués après une hausse des taux d’intérêt, surtout s’il s’agit de prêts courts renouvelables ou encore si, subitement là encore, les créditeurs internationaux changent de scénario, se préoccupant désormais de fragilités macro-économiques jusqu’alors totalement négligées. Dans la même veine, Artus (2000) note qu’en présence d’équilibres multiples interviennent des sauts, d’un équilibre sans crise à un équilibre avec crise, en réponse à une modification brutale des anticipations pouvant répondre à deux types de causes possibles : en référence aux modèles à la Obstfeld, si apparaît un nouvel état des anticipations quant aux politiques économiques futures ; ou encore, dans la lignée des modèles à la Masson, en présence d’anticipations de défaut sur la dette extérieure. Mais à chaque fois, le changement brutal des anticipations est exogène, comme le run bancaire dans le modèle canonique de Diamond et Dybvig (1983), et reste donc inexpliqué.
75En revanche, chez Aglietta (2001) ou parmi certains économistes post-keynésiens qui ont transposé à l’économie ouverte les schémas d’analyse de Minsky (Arestis, Glickman, 2002), le renversement d’opinion qui conduit de l’euphorie à la crise présente un caractère endogène et se trouve associé aux interactions entre cycle du crédit et prix des actifs. C’est à ce niveau qu’apparaît avec le plus d’acuité l’intérêt et l’actualité d’une référence à Thornton, sous couvert, évidemment, d’apporter plusieurs types d’extensions pour l’appliquer au contexte contemporain.
76Pour ce qui est de l’accumulation des tensions, Thornton décrit parfaitement les risques croissants de solvabilité bancaire qu’occasionne l’over-banking, en l’occurrence l’excès de crédit et de spéculation (Diatkine, 2001), lorsque l’état de confiance s’étend et que les taux d’intérêt restent inférieurs aux taux de profit espérés. Cette situation alimente la croissance sans que les banques puissent toujours évaluer correctement la solvabilité des emprunteurs. L’emballement du crédit encourage à l’excès la spéculation, puis la hausse des prix, ce qui réduit les taux d’intérêt réels et alimente à nouveau le processus cumulatif. On est évidemment très proche, ici, de Wicksell et c’est un mécanisme endogène qui conduit avec une probabilité croissante à l’inflation, à la contraction des affaires et à la crise bancaire dès que la spéculation s’inverse et suscite une crise de liquidité.
77Comme le note Schumpeter, Thornton démontre que "mis à part la convertibilité, la logique interne du mécanisme de crédit en lui-même ne comporte aucune restriction qui empêcherait le crédit bancaire de dépasser la limite au-delà de laquelle il provoque une augmentation inflationniste des prix" (1954, Ed. française, 1983, T. II, p. 457). On devrait écrire aujourd’hui une augmentation inflationniste des prix d’actifs. Et cela intervient même en présence d’une saine pratique bancaire conduisant à ne prêter que sur solide garantie (ibid.).
78Ce type de mécanisme, qui associe au cycle du crédit une instabilité endogène de la finance, est récemment réapparu dans la littérature contemporaine autour du thème de la pro-cyclicité des comportements bancaires et de la montée endogène des risques, en particulier à la BRI (Borio et al. 2001 ; Borio 2002 ; BRI 2002). Il s’agit de comprendre pourquoi le risque financier (risque de non-recouvrement des créances bancaires, risque d’effondrement des prix d’actifs) se trouve sous-estimé pendant les phases de boom et d’euphorie, ce dont témoignent, parmi les banques, la faiblesse des spreads, la croissance excessive des encours, l’inflation artificielle des collatéraux, la réduction des provisions, et, à l’inverse, pourquoi ce risque se trouve-t-il sur-estimé dans les phases de ralentissement ou de retournement de l’activité économique ? C’est en ce sens que les systèmes financiers engendreraient, tout à la fois, des effets pro-cycliques sur l’output et une accentuation de l’instabilité financière, occasionnant une prolongation des phases d’expansion mais aussi une augmentation de la sévérité et de la durée des retournements, associée aux difficultés et aux crises bancaires. Au cœur d’une telle dynamique figure l’évaluation très imparfaite du risque global. Les institutions financières sont en effet beaucoup plus à même d’estimer le risque relatif des différentes catégories de titres ou d’institutions, voire de pays, à l’échelle internationale, qu’elles ne sont capables d’évaluer le risque systématique adossé à l’évolution globale du cycle des affaires. Au plan micro-économique, cela s’explique par un ensemble de biais cognitifs comme la myopie face au désastre, la sous-estimation des risques de chocs massifs à probabilité très faible mais non nulle, la sur-estimation de la mémoire accordée aux événements les plus récents (Borio et al. 2001). On est alors ramené aux facteurs constitutifs du risque systémique et à la succession de vagues d’optimisme ou de pessimisme excessif.
79Dans la phase haute du cycle, le crédit s’étend, les prix des actifs et des collatéraux bancaires s’envolent et la confiance débridée se trouve légitimée par une rentabilité financière élevée. Du coup, les provisions pour risques n’augmentent pas, voire se réduisent, alors même que c’est au cours de cette phase que les comportements les plus risqués se multiplient et que le risque global s’accentue, porté par les asymétries d’information. Comme le notait Minsky (1982), la fragilité financière est toujours dissimulée parce qu’elle est engendrée au cours de la phase d’euphorie. C’est un scénario dont la pertinence, pour les pays en développement, a été maintes fois attestée sur le plan empirique, les crises bancaires ou les crises jumelles apparaissant au terme de périodes de forte croissance domestique (Sundarajan, Balino 1991) ou de boom du crédit (Gavin, Hausmann 1995). Lorsque les inflexions se manifestent, au niveau des prix d’actifs mobiliers ou immobiliers, quand les débiteurs dévoilent leur fragilité, alors une défiance excessive peut intervenir et déclencher la panique, phase dans laquelle vont se combiner et s’auto-alimenter les crises de liquidité et de solvabilité, mais aussi, pour des pays émergents endettés en devises, la crise de change systémique.
80Il faut donc étendre ce type de raisonnement à la Thornton aux flux bancaires internationaux et donc à l’ouverture financière, notamment en référence aux transferts opérés dans la décennie 90 vers les pays émergents.
81On s’est beaucoup interrogé sur les causes du développement massif des mouvements de capitaux à court-terme vers les pays émergents, tout au moins jusqu’en 1997, et sans doute cette dynamique explosive et les crises qui l’ont bien souvent accompagnée sont-elles liées au choc structurel de la libéralisation financière, tout particulièrement en Asie (Demirgüç-Kunt, Detragiache 1998 ; Plihon 2000). Mais dans le même temps, certaines études récentes ont permis de souligner combien la dynamique des flux bancaires internationaux vers les émergents et, plus encore le déclenchement des crises bancaires ou des crises jumelles dans ces pays, relevaient très largement de facteurs externes, en l’occurrence de déterminants situés pour une part significative parmi les pays développés.
82Ainsi, dans une étude récemment menée à la BRI (Jeanneau, Micu 2002), il apparaît qu’au cours de la période 1986-2000 les causes externes (push factors), comme la croissance élevée des pays les plus développés, mesurée par l’output gap, ou la forte liquidité des systèmes bancaires occidentaux, ont joué un rôle important et pro-cyclique dans la taille des mouvements de capitaux bancaires vers les pays émergents, à côté des déterminants internes (pull factors) que sont les rendements boursiers ou la croissance de l’output domestique. La relation est plus significative pour les prêts bancaires européens ou japonais et pour les flux agrégés, à court-terme et à long-terme, qu’elle ne l’est pour les prêts des banques américaines ou pour les flux bancaires à court-terme. Il y aurait donc une forme de diffusion internationale de la croissance économique et du climat des affaires des pays développés en direction de certains pays émergents, via les mouvements internationaux de capitaux. Ces afflux d’épargne ont ainsi alimenté la croissance réelle des pays concernés, tout particulièrement en Asie, mais ils ont aussi participé à l’apparition de phénomènes de bulle spéculative sur les marchés d’actifs locaux. Cela peut résulter de la profitabilité élevée des banques occidentales, en phase de haute conjoncture, de nature à les encourager à prendre plus de risques, en l’occurrence en augmentant leurs engagements avec des débiteurs des pays émergents qui ont ainsi bénéficié d’une convention financière optimiste (Aglietta, 2001). Mais on voit bien qu’au-delà de la montée endogène des risques que le crédit international, surtout s’il est libellé en devises, tend à engendrer, une telle connexion conduit à placer le risque de crise de change systémique sous la menace d’un retournement des conditions macro-économiques ou financières des pays créanciers, surtout si le tarissement de ces flux vient affaiblir la crédibilité des engagements de change. Or, s’il est une relation bien établie à propos des déterminants des crises de change ou des crises bancaires parmi les pays en développement, c’est bien celle qui les associe aux contractions de la politique monétaire dans les pays industrialises, principalement aux États-Unis, et donc aux augmentations touchant les taux d’intérêt occidentaux (Eichengreen, Rose 1998 ; Eichengreen, Mody 1998 ; Frankel, Roubini 2001).
83Ainsi, à l’instabilité endogène de la finance domestique s’ajoute une autre source d’incertitude, liée à la globalisation financière, dont on conçoit facilement qu’elle s’avère particulièrement difficile à mesurer, à prévoir, et donc à provisionner, même pour les institutions financières les plus efficientes.
84En ce qui concerne le déclenchement de la phase de crise, la relecture de Thornton apporte assez peu d’éléments significatifs, sur le plan analytique, au-delà de l’évocation des changements dans l’état de confiance.
85Dans les années 90, les crises jumelles sont apparues, dans la très grande majorité des cas, dans des économies déjà fragilisées par une détérioration tendancielle, et non pas accidentelle, des fondamentaux macro-économiques. Ainsi, Demirgüç-Kunt et Detragiache (1998) ont clairement établi que l’environnement macro-économique jouait un rôle fondamental dans l’augmentation des probabilités de crises bancaires, en l’occurrence la faible croissance de l’output, des taux d’intérêts réels élevés et une forte inflation, auxquels s’ajoutent la croissance élevée du crédit domestique dans un passé récent ou la hausse du ratio M2/réserves. Mais en présence d’une exposition renforcée à une fragilité financière latente (poids de la dette extérieure à court terme, bilans bancaires dégradés, bulle spéculative sur les prix d’actifs…), c’est souvent après un choc idiosyncratique (choc externe, inquiétude politique, accident individuel, échéance électorale…) que la crise apparaît. Le basculement dans la perte de confiance n’était pas inéluctable ex ante mais il enclenche très vite les séquences auto-aggravantes de la crise de change systémique : inversion ou forte diminution des entrées de capitaux, pertes de réserves de change, extension de la défiance, crise de change, dévaluation ou flottement.
86Cette perte de confiance reste donc quelque peu mystérieuse et à propos de la crise asiatique les déterminants de la défiance dont sera subitement victime le bath thaïlandais sont encore aujourd’hui assez opaques (Buira 1999 ; Willet 2000). Dès que l’on est en présence de bilans dégradés ou de fondamentaux détériorés, c’est un événement relativement mineur qui peut conduire les créditeurs internationaux à changer de scénario (Dornbusch 2001). Mais cela peut ne pas arriver. De ce fait, si la genèse de la crise de change systémique se situe dans l’optimisme irraisonné ayant conduit à des entrées excessives de capitaux, dans un contexte micro-économique de myopie face au désastre et de défaut d’évaluation du risque systémique associé au surendettement, en revanche le renversement d’opinion relève de la psychologie des marchés et des animal spirits des agents économiques (Jeanne, 1997). Fur-man et Stiglitz (1998) soulignent que ce n’est que très peu de temps avant la crise asiatique que les créanciers se sont rendu compte de l’importance de la dette externe à court terme, notamment en Thaïlande, puis en Corée, provoquant alors, et alors seulement, la crise de liquidité. S’agissant de la Thaïlande, les fondamentaux s’étaient quelque peu dégradé dès 1996 (croissance et investissement en net ralentissement, inversion des courbes sur les cours boursiers), mais sans entraîner de défiance. La crise d’illiquidité de certains établissements bancaires thaïlandais a été provoquée par le tarissement des flux bancaires internationaux destiné, justement, à réduire l’exposition des collatéraux. C’est à ce moment que la panique bancaire puis le choc global sont apparus (Rajan, 2001). On ne doit pas négliger non plus les effets des réactions de politique monétaire car les hausses de taux d’intérêt destinées à la défense des taux de change, par exemple en Indonésie (Azis 2001), ont eu des conséquences foudroyantes sur les bilans bancaires, sur l’investissement domestique et même sur les sorties de capitaux, en venant confirmer, voire aggraver, le changement de croyance collective.
87Le basculement d’opinion qui déclenche un scénario de crise de change systémique n’est pas rationnellement explicable en termes déterministes. Dans certaines configurations macro-économiques ou macro-financières qui suscitent le doute chez les investisseurs, c’est la psychologie grégaire des marchés qui provoque, ou non, la crise de change et qui la transforme, ou non, en crise systémique. Quant à la dépréciation du taux de change, elle accentue le choc récessif, surtout si l’on utilise la hausse des taux d’intérêt pour freiner les sorties de capitaux. Les politiques de prévention et de gestion des crises financières internationales n’en sont que plus nécessaires.
Prévention et gestion des crises chez Thornton
88Face à la perte de bien-être suscitée par les crises d’overbanking et les runs (notamment lorsque la liquidation des investissements provoquée par la crise de liquidité est supérieure à ce qui est socialement optimal), la stabilité des marchés monétaire, financier et bancaire s’apparente, pour Thornton, à un bien public. Cela nécessite une politique prudentielle, au sens moderne du terme, c’est-à-dire un dispositif de lignes de défense articulées, où la réglementation, la supervision, le prêteur en dernier ressort sont complémentaires (Garcia, Plautz 1988). C’est précisément ce dispositif qui est développé par Thornton dans An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, autour d’une Banque centrale remplissant une fonction de gestionnaire des crises de liquidité contagieuses. De ce point de vue, il offre une lecture extraordinairement moderne des principes de prévention et de gestion des crises financières et bancaires.
89D’abord, Thornton propose une conception unifiée du prêteur en dernier ressort en reliant ses fonctions micro-économiques (i.e. son incidence sur les comportements des agents dans un cadre d’anticipations adaptatives [13]) et macro-économiques (i.e. l’orientation contra-cyclique des politiques monétaires et du crédit vers la prospérité du pays (Thornton 1803, p.80, p.84)) destinées à empêcher ou à enrayer les processus cumulatifs euphoriques conduisant à la défiance contagieuse.
90Ensuite, il fournit une analyse circonstanciée des externalités, en termes d’aléa moral, de sélection adverse [14], voire de cas de too big to fail [15], qui contrarient l’efficacité des interventions du prêteur en dernier ressort. Cela le conduit à envisager un rationnement du crédit (Thornton 1802, pp.258-9 ; 1803, p.240) et à proposer une démarche empreinte d’ambiguïté constructive :
"En autorisant la suspension des paiements en numéraire tandis qu’il restait encore des guinées dans les coffres de la banque, le Parlement diminuait la secousse que devait occasionner cet étrange événement (…) Il rendait ainsi à ce signe d’échanges le crédit qu’il avait perdu."
92Enfin, il avance deux principes d’organisation de la fonction de prévention et de gestion des crises qui présentent une étonnante actualité à l’aune des débats contemporains relatifs à la nouvelle architecture financière internationale.
93D’une part, Thornton défend le principe de l’unicité de la Banque centrale :
"Dira-t-on qu’il y aurait de l’avantage à ce qu’il y eût plusieurs banques, au lieu d’une seule banque nationale ? Chacune alors aurait sa propre administration, ses vues, son esprit à part. Elles compteraient peut-être trop légèrement les unes sur les autres, pour se procurer de l’argent au besoin. Enfin, au lieu de soigner le crédit public en même temps que leur propre crédit, elles seraient tentées de s’occuper trop exclusivement de leur intérêt du moment, et de faire des opérations qui croiseraient les intérêts des autres. Si l’on suppose qu’il y eût entre ces diverses banques un parfait accord, et une unité de vues telle qu’elle existerait dans un seul établissement, cela ressemblerait alors à l’institution telle qu’elle est aujourd’hui (…). L’établissement d’une seule banque nationale est (…) la garantie la plus rassurante que le public puisse avoir que les paiements du commerce ne puissent être suspendus par l’effet d’une crise violente"
95D’autre part, Thornton considère que l’universalisme doit présider à la définition des règles :
"Il se réalise de temps en temps des événements qui rappellent (…) qu’il y a du danger à confier de trop grosses sommes, et pour longtemps, à d’autres négociants qui ne sont point soumis aux mêmes lois. "
97Ce principe n’est pas sans lien avec les interrogations actuelles sur la faisabilité de l’application de la taxe Tobin ou les débats sur l’opportunité d’un ratio de capitalisation unique au niveau mondial afin d’éviter que les disparités de réglementations nationales produisent des distorsions de concurrence et, également, afin d’écarter le risque d’une déréglementation compétitive (i.e. un démantèlement des dispositifs contraignants).
98Thornton n’a évidemment pas abordé la question des crises financières internationales, ni traité des mécanismes de contagion planétaire d’un choc local. De même, au début du XIXème siècle, en Europe, les questions de change ne se posaient certainement pas dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que sur le plan théorique, s’agissant des comportements qui alimentent la fragilité financière ou des séquences qui conduisent à la défiance généralisée, les similitudes de principe sont nombreuses. Comment, alors, prévenir et gérer les crises systémiques ? On se limitera, ici, à deux volets, la question de la politique prudentielle à caractère contra-cyclique et le statut du prêteur international en dernier ressort.
Vers une prévention macro-prudentielle ?
99Si elle vise la prévention de l’ensemble des risques associés aux activités financières, la réglementation prudentielle peut répondre à deux objectifs distincts : assurer la sécurité des institutions financières individuelles et, par là, des systèmes bancaires, afin de protéger les déposants ou les investisseurs en présence d’accidents individuels ; stabiliser le système monétaire et financier dans sa dimension globale, voire macro-économique, et, donc, contenir le risque systémique. Ces deux volets recouvrent étroitement les deux types de chocs susceptibles de mettre en difficultés les institutions financières : les chocs idiosyncratiques et les chocs systématiques. Or, malgré l’intérêt de la redéfinition en cours du ratio international de solvabilité des banques, le ratio MacDonaugh, l’essentiel des systèmes prudentiels répondent encore à la première fonction et ne semblent pas en mesure de limiter les effets pro-cycliques et déstabilisants précédemment décrits. C’est ce qui justifie l’intérêt récemment porté, tant au FMI (Evans et al. 2000 ; IMF 2001) que, surtout, à la BRI (Crockett 2000 ; Borio et al. 2001 ; Borio 2002), aux préventions macro-prudentielles de nature à introduire des incitations ou des règles de provisions qui présenteraient un caractère contra-cyclique et qui amélioreraient le traitement dynamique du risque. Au sens propre, "la finalité d’une approche macro-prudentielle est de limiter le risque de détresse financière impliquant des pertes significatives en termes d’output réel pour l’économie tout entière. Celle d’une approche micro-prudentielle est de limiter le risque de détresse financière pour des institutions individuelles, indépendamment de leur impact sur le reste de l’économie" (Borio 2002, p.3).
100Vis-à-vis des politiques prudentielles usuelles, le changement de perspective est très net et dépasse largement la technique de supervision ou de réglementation financière : le risque qu’il s’agit de réduire est explicitement présenté comme étant de caractère très largement endogène et dynamique, se traduisant par des situations de stress ou de crise, non seulement parmi les institutions financières mais aussi à l’échelle macro-économique. L’ambition est bien de contenir le risque systémique en limitant les forces pro-cycliques et les sources de fragilité financière. Une telle politique de prévention macro-prudentielle des crises exige alors plusieurs types de corrections au sein des dispositifs de supervision et de réglementation.
101Sur un premier plan, il s’agit d’introduire la dynamique macro-économique dans la quantification du risque de crédit en considérant que l’évolution prévisible du cycle des affaires, mais également celle des prix d’actifs, en présence d’une bulle par exemple, rétroagiront nécessairement sur la qualité des créances, ce que les méthodes usuelles négligent. Une formule possible, selon Borio (2002), consisterait à intégrer dans la mesure du risque de crédit certains indicateurs d’alerte, qualifiés de macro-prudentiels, dont on sait empiriquement qu’ils préfigurent la montée des vulnérabilités et des probabilités de détresse future (déviations cumulées vis-à-vis du trend pour le ratio crédits privés/PIB, pour les prix d’actifs ou le niveau d’investissement).
102Sur un second plan, l’idée est de renforcer les provisions minimales pour risques dans les périodes de haute conjoncture, alors même que les institutions financières ont tendance à les alléger et que les agences de notation, de la même manière, s’avèrent peu sensibles à la cyclicité de l’activité tant que celle-ci reste soutenue. A l’inverse, il conviendrait d’en autoriser la diminution, dans une certaine limite, lors des phases de ralentissement. Il s’agirait donc de limiter les effets d’emballement et, surtout, de renforcer les capacités futures de résilience lorsque les conditions globales d’activité se seront détériorées. Ainsi, Goodhart (2001) propose-t-il de relier les normes prudentielles à la croissance, et non pas au niveau, du crédit ou des prix d’actifs. Dans un autre registre, des asymétries pourraient intervenir quant aux exigences de fonds propres imposées à certaines institutions dont la taille ou la place dans les relations inter-bancaires accorderaient une responsabilité particulière dans la propagation systémique d’un choc. Elles pourraient être assujetties à des normes plus rigoureuses en capitaux propres, en fonction de leur contribution marginale au risque systémique (Borio 2002, p. 14), ce qui est une façon de compenser l’aléa de moralité associé à un statut de too big to fail. Enfin, des changements apportés aux règles comptables d’évaluation des portefeuilles de prêts des banques, actuellement recensés à leur valeur historique, permettraient d’introduire un pré-provisionnement pour risque de non-recouvrement sans détériorer la rentabilité bancaire, ce qui éviterait, selon la BRI (2002), les provisions trop tardives, et surtout, ce qui atténuerait là encore la pro-cyclicité quand on connaît la propension des banques à accroître leurs prêts quand leurs bénéfices sont élevés, et, à l’inverse, à les ralentir quand leur profitabilité diminue.
103En théorie, le nouvel accord de Bâle est supposé pouvoir répondre à ces principes en augmentant les exigences en fonds propres au moment d’un boom et en les réduisant en phase de ralentissement ou de récession. Dans le cadre du Pilier I, cela sera rendu possible par le caractère évolutif de l’appréciation des risques de crédit. Mais cela suppose que les procédures d’évaluation internes ou externes respectent la logique macro-prudentielle et retiennent un horizon de prévision suffisamment long pour intégrer les phases de retournement, ce qui n’est pas assuré. Telle est la finalité du Pilier II, justement, que de procéder à l’examen prudentiel des méthodes d’évaluation interne des banques. Mais à l’heure actuelle, comme le note le Rapport 2002 de la BRI, les méthodes d’évaluation de la qualité des portefeuilles de créances vont dans un sens inverse : le risque de crédit calculé diminue en période d’expansion et augmente pendant les phases conjoncturelles à la baisse (2002, p. 146).
104S’agissant des effets de la réforme sur les transferts de fonds en direction des pays émergents, dès que le nouvel accord de Bâle II sera opérationnel, les banques internationales seront amenées à restructurer leurs portefeuilles de créances en fonction de cette nouvelle donne, et cela se fera très probablement au détriment des emprunteurs émergents, souverains ou privés, les plus mal notés, avec des effets induits sur les spreads. Pour les pays émergents membres de l’OCDE (Mexique, Turquie, Corée), dont la pondération dans l’actuel ratio Cooke est de 0 %, dans un système avec notation externe celle-ci passerait à 50 ou 100 %, selon les ratings, et pourrait aller jusqu’à 150 % pour les autres émergents les plus mal notés (Caillard, Laurent, Seltz 2000). On peut donc s’attendre à une pénalisation des crédits bancaires vers les émergents couplée au renforcement probable de la part des obligations émergentes (Béranger et Laurent 2001). Cela pourrait ainsi limiter les sources d’instabilité financière qu’induisent, on l’a vu, les afflux massifs de capitaux, notamment sous la forme de flux bancaires à court-terme libellés en devises. En ce sens, la réforme MacDonaugh pourrait activement contribuer à la prévention des crises financières internationales à condition que les sources macro-prudentielles de stress soient réellement prises en compte, soit dans les méthodes d’évaluation interne, soit par les agences de notation.
105Ces mesures s’appliqueront tout autant aux banques des pays créanciers qu’aux établissements des pays en développement. On peut donc en attendre un meilleur contrôle des risques, au sein des émergents. Mais comme on l’a déjà souligné à propos de la mise en œuvre de la nouvelle architecture financière internationale, les difficultés sont considérables lorsque l’on vise l’application de nouvelles normes financières dans ces pays. Cela met en cause des pratiques d’allocation des crédits peu transparentes, et cela suppose que l’on développe les procédures de contrôle interne, que l’on crée des instances de supervision disposant des compétences requises, autant de conditions qui pourraient exiger de longs délais, au-delà des difficultés politiques à ne pas négliger (Plihon 2000). D’autant qu’en fonction de l’expérience récente des crises bancaires ou des crises jumelles, certains auteurs préconisent une sur-réglementation prudentielle pour les pays émergents (Eichengreen, Rose 1998). Il y a là, par conséquent, une tâche de longue haleine qui rend d’autant plus urgente sa mise en application rapide. Mais quelle qu’en soit l’ampleur, une prévention efficace des crises pourra sans doute en réduire la probabilité ou la fréquence, mais ne permettra certainement pas de les éliminer. Il faut donc aussi améliorer la gestion des crises d’illiquidité internationale.
Quel prêteur international en dernier ressort ?
106L’analyse du rôle joué par le Fonds Monétaire International dans la gestion des crises récentes et les controverses sur son aptitude à remplir la fonction de prêteur international en dernier ressort (Aglietta, de Boissieu 1999 ; Cartapanis 2002 ; Gilles 2002) peuvent être enrichies à partir des réflexions de Thornton.
107En effet, les crises récentes sont, à l’échelle internationale, très proches des dynamiques cumulatives analysées dans An Inquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain. En particulier, ces crises sont révélatrices de l’ampleur des risques découlant de l’absence, d’une part, de réglementation des activités internationales des banques et, d’autre part, d’un prêteur international en dernier ressort capable d’enrayer les logiques de défiance contagieuse génératrices de crises de système. D’où la nécessité de spécifier la nature de l’Institution financière internationale à même d’assurer cette régulation, notamment l’art du prêteur en dernier ressort.
108Dès lors que celui-ci procure une assurance collective contre le risque systémique, l’optimalité de l’intervention d’un prêteur international en dernier ressort exige de limiter l’aléa moral [16] inhérent à toute action de renflouement susceptible d’être anticipée. Parallèlement, l’existence même d’un prêteur international en dernier ressort recèle une ambiguïté consubstantielle puisque son action est simultanément une violation du fonctionnement des marchés et une des conditions de leur pérennité. Cette ambivalence continue d’alimenter un débat, dont l’origine remonte à Baring (1797) et dont les références majeures sont les œuvres de Bagehot (1873) (Moore 1999, pp.445-6 ; Aglietta 1995, p. 89) et de Thornton (1802, 1803). Toutefois, ces analyses font référence au refinancement d’institutions bancaires au sein d’un système de financement domestique et non à l’échelle d’une Institution multilatérale.
109La modernité de l’œuvre de Thornton, au delà de la réfutation avant l’heure de la règle de Bagehot, réside dans sa capacité à apporter des réponses aux interrogations actuelles, à l’échelle internationale, sous plusieurs volets : unicité versus multiplicité des instances publiques de prêt en dernier ressort (Kindleberger 1978, pp. 172-3) ; degré d’articulation entre réglementation prudentielle, supervision bancaire et intervention du prêteur en dernier ressort (Goodhart 1988, p.8, p.63) ; niveau d’imprévisibilité sur l’éventualité et les modalités d’intervention du prêteur international en dernier ressort, spécifiant les contours d’une ambiguïté constructive attachée à sa fonction de régulation du système financier international (Goodhart, Huang 2000).
110En référence à ce cahier des charges, le FMI dispose en théorie de nombreux atouts pour remplir la fonction de prêteur international en dernier ressort à la Thornton, autrement dit un nouveau FMI empreint d’universalisme et d’unicité quant à ses objectifs et son fonctionnement.
111D’abord, sous sa forme originelle d’une assistance mutuelle entre États, dans un cadre multilatéral, le FMI possède d’ores et déjà les germes d’une légitimation politique internationale du prêt en dernier ressort en tant qu’acte de souveraineté monétaire. C’est, en outre, la seule institution dotée sui generis d’une vision macro-économique des interdépendances internationales du point de vue de leur cohérence globale.
112Ensuite, le FMI dispose d’un attribut de souveraineté monétaire internationale via les DTS, dont l’originalité est d’être créés ex nihilo, c’est-à-dire sans couverture par un autre actif (i.e. un dépôt en monnaie nationale ou des réserves déposées au Fonds). Partant, ils pourraient conférer au FMI un pouvoir inconditionnel de création monétaire, donc une offre globale de liquidités internationales quasi illimitée, indispensable à l’action de renflouement dévolue au prêteur en dernier ressort.
113Enfin, le FMI dispose d’instruments, comme les Facilités de Réserve Supplémentaire (Supplement Reserve Facility) et les Lignes Contingentes de Crédit (Contingent Credit Lign), particulièrement adaptés à l’endiguement des effets de contagion des crises actuelles (Aglietta, Moatti 2001).
114Toutefois, si le FMI possède théoriquement les qualités pour s’affirmer comme le pilier central de la nouvelle architecture financière internationale, il ne pourra devenir l’institution supranationale susceptible d’assurer la gouvernance politique du système monétaire international qu’à l’issue d’une réforme profonde touchant ses statuts, ses moyens d’action et ses missions.
115Aujourd’hui, le FMI actuel n’est pas en mesure d’enrayer seul les crises systémiques, donc de garantir structurellement la stabilité du système monétaire et financier international. Ces crises se traduisent par des sorties de capitaux atteignant des montants considérables. Lors de la crise asiatique de 1997, les sorties nettes de capitaux provenant des cinq pays les plus touchés, en l’occurrence la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et la Corée, ont ainsi dépassé en quelques mois les 100 milliards de dollars, soit environ 10% de leur PIB agrégé (Pesenti, Tille 2000). Partant, les systèmes bancaires nationaux et, donc, les économies elles-mêmes, sont explicitement menacés d’effondrement à défaut d’un refinancement extérieur massif et d’une extrême rapidité. A cette fin, les moyens propres du Fonds ont été progressivement augmentés (relèvement des quotes-parts, émission de DTS, Accords Généraux d’Emprunts), et les possibilités d’assistance aux États en difficulté élargies [17]. Mais ils restent notoirement insuffisants au regard de l’ampleur des déséquilibres induits, dans un contexte de globalisation financière, d’une mobilité quasi parfaite des capitaux.
116Ainsi, durant la crise mexicaine, 48 milliards de dollars ont été mobilisés, soit davantage que l’encours total des crédits du FMI à l’ensemble des pays en développement fin 1994. Mais ce n’est pas le FMI, incapable de réunir ces fonds, mais le Trésor américain qui a organisé l’opération de sauvetage, n’hésitant pas, dans ce cas précis, en raison du caractère régional de la crise mexicaine, à mobiliser 20 des 25 milliards de dollars de son fonds de stabilisation des changes, à solliciter auprès de la Fed 6 milliards de crédits à court terme, et à intervenir auprès de la BRI, afin que 10 milliards de dollars de crédits soient débloqués. Ce plan s’inscrivait, ainsi, dans une longue tradition de régulation informelle du système financier international caractérisée, durant les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, par le montage de nombreux prêts-relais au profit des pays en développement, en attendant l’ouverture des facilités de crédit du FMI.
117La construction d’un nouveau FMI, jouant pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort dans le cadre d’une régulation formelle au sein d’un nouvel ordre financier international redonnant au Politique la souveraineté qu’il avait cédée à l’Économique et aux tenants du marché, exigera de nouveaux moyens, quantitatifs et qualitatifs, indispensables à sa légitimité supranationale, de même qu’à son efficacité.
118Sur le plan quantitatif, les capacités d’intervention d’un nouveau FMI devraient donc être considérablement étendues dans le sens, par exemple, du développement des Nouveaux Accords d’Emprunt créés en 1995, jusqu’à présent plafonnés à 34 milliards de DTS, afin de compléter les ressources ordinaires tirées des quotes-parts. Parallèlement, le FMI pourrait acquérir une des propriétés des banques centrales, à savoir la capacité de créer des réserves, en émettant des lignes de crédit libellées en DTS destinées aux banques centrales nationales. De même, les instruments comme la Facilité de Réserve Supplémentaire et la Ligne Contingente de Crédit, qui constituent d’ores et déjà de véritables attributs de prêteur international en dernier ressort, pourraient être développés. Afin de financer ces lignes, le nouveau FMI devrait pouvoir, à l’instar de l’actuelle Banque mondiale, s’endetter auprès des marchés financiers privés, le mécanisme des quotes-parts étant peu adapté à la célérité requise pour le prêt en dernier ressort.
119Mais cela ne saurait intervenir sans une plus grande implication du secteur privé dans la gestion des crises, ce qui supposerait que des réponses politiques soient apportées à deux questions-clés : d’une part, jusqu’où doit aller la puissance publique pour sauvegarder des intérêts privés ou, exposé différemment, quel doit être le degré de responsabilité et d’implication que les créanciers privés devront assumer dans la résolution des crises ? ; d’autre part, ne convient-il pas d’instaurer une procédure de banqueroute souveraine (bankruptcy approach) par laquelle, à l’image des entreprises, les États qui ne pourraient plus faire face à leurs engagements financiers seraient traduits devant un tribunal des faillites réservé aux pays et aux gouvernements convaincus d’une sorte de faillite frauduleuse (Fischer 2001) ? Ces deux interrogations renvoient aux conditions d’optimalité de l’intervention d’un prêteur international en dernier ressort : limiter le risque d’aléa moral inhérent à toute action de renflouement susceptible d’être anticipée, dans le premier cas, par les agents privés et, dans le second, par des emprunteurs souverains too big to fail [18] tirant avantage de leur situation pour faire supporter une partie de leurs coûts d’ajustement par les Institutions multilatérales, comme l’a enseigné, par exemple, la crise russe de 1998 (Bastidon, Gilles 2001).
120Pour ce qui concerne le qualitatif, le nouveau FMI devrait devenir le maître d’œuvre d’un système de règles de bonne conduite et de transparence définies, non pas au regard d’une orthodoxie néo-libérale érigée en dogme, mais dans l’optique d’un développement durable des économies concernées. A cette fin, le nouveau FMI devrait rompre avec l’idéologie selon laquelle les hypothétiques défaillances du Marché sont toujours moins graves que les inévitables défaillances des Gouvernements. Il pourrait également posséder un droit d’ingérence économique lui permettant de se substituer aux Gouvernements en quête de crédibilité auprès des marchés, en matière de supervision et de réglementation prudentielle de leurs marchés financiers, ou en réactivant l’article VIII des statuts actuels du Fonds autorisant les pays membres menacés par des mouvements de capitaux déstabilisants à se protéger provisoirement par un contrôle des changes, rejoignant, en cela, l’article 73 du Traité de Maastricht qui autorise l’instauration d’un contrôle des changes limité dans le temps (i.e. six mois). Parallèlement, se poserait la question du pouvoir politique accordé au Comité Monétaire et Financier International du FMI (i.e. l’ancien Comité Intérimaire), et de sa transformation en un organe de décision multilatéral et supranational au sein duquel aucun pays ne disposerait d’un droit de veto, renouant ipso facto avec l’universalisme prôné par Thornton et avec la proposition de Keynes, dans ses Proposals for an International Clearing Union, consistant à créer une Banque centrale des banques centrales.
121Il y a là beaucoup de conditions à l’affirmation du rôle d’un nouveau FMI exerçant pleinement la fonction de prêteur en dernier ressort et de régulation des crises à l’échelle internationale. La relecture de Thornton nous a permis de montrer que les fondements théoriques d’une telle action sont connus depuis déjà deux siècles. Mais alors, pourquoi un tel prêteur international en dernier ressort n’existe-t-il toujours pas ?
5 – Conclusion
122La question de la prévention et de la gestion des crises financières internationales n’est qu’un aspect de la gouvernance économique mondiale, et donc des réponses apportées à la question de savoir comment gouverner sans gouvernement (Jacquet, Pisani-Ferry et al. 2002). Sans doute cette gouvernance économique internationale devrait-elle principalement répondre aux défaillances des marchés, tout en respectant les principes d’équité ou de légitimité dans la mise en œuvre et le contrôle des procédures ou des dispositifs institutionnels adoptés. Mais la gouvernance des crises financières internationales est du ressort des États. Ces derniers obéissent à des intérêts et poursuivent des finalités propres. Tel est évidemment le cas des États-Unis dont le leadership est patent au sein du FMI actuel et dont on a pu observer le rôle clé à l’occasion des interventions en dernier ressort menées ces dernières années dans les pays émergents.
123Dans le domaine financier, comme en matière commerciale ou environnementale d’ailleurs, la première préoccupation du gouvernement américain est de préserver sa liberté d’action et d’intervention afin d’assurer la sécurité nationale et les intérêts vitaux de l’Amérique, ce qui recouvre le maintien de son leadership économique. Il y a donc une réelle méfiance, voire une opposition de principe, vis-à-vis des engagements internationaux, des normes ou des règles qui se substitueraient aux standards américains, et par-là même vis-à-vis des Institutions internationales qui disposeraient de mandats impératifs ou dans lesquelles leur poids ne serait pas dominant. Cela explique d’ailleurs la préférence accordée au FMI, plutôt qu’au Comité des banques centrales de Bâle et à la BRI, pour la mise en œuvre des interventions multilatérales d’urgence. D’où, également, la prédilection accordée par les États-Unis aux formes les moins contraignantes de la coopération internationale, la préférence pour les engagements unilatéraux et les démarches fondées sur l’adhésion volontaire (Allard 2002), ce qui, en matière de gestion des situations de crises financières, revient à préférer l’approche au cas par cas, éventuellement en négociant ou en agissant seuls, sur des bases d’appréciation qui leur restent propres (ibid.), tout en associant des partenaires, qu’il s’agisse du FMI ou de certains membres du G 7, ne serait-ce que pour partager les charges financières. On l’a vu très clairement lors de la crise mexicaine en décembre 1994, à l’occasion du sauvetage asiatique (Cœuré, Pisani-Ferry 2000) ou au moment de la crise russe de l’été 1998. Ainsi, l’impératif des États-Unis, tout particulièrement du Département du Trésor, de mener une gestion pragmatique des situations de stress (Aglietta 2002) s’est très précisément exprimé dans l’opposition à toute réforme politique du FMI.
124D’autant que la gouvernance sous pilotage américain des crises financières internationales répond aussi à la position clé qu’occupent toujours le dollar et le système financier américain, en particulier la Fed, dans la finance mondiale et, par-là, dans les instruments de gestion des crises systémiques. Lors de la crise du Mexique, en 1994-95, ou de la Russie, en 1998, dans une moindre mesure en Asie, en 1997, une large part des créanciers se trouvaient à Wall Street, et le poids de l’endettement en dollars des pays émergents reste encore prédominant malgré la montée en charge de l’euro comme monnaie d’emprunt. En outre, c’est en référence à la monnaie américaine que la plupart des pays émergents définissent leur ancrage monétaire, fut-ce de façon plus flexible qu’au début des années 90. Dès lors, en cas de crise d’illiquidité internationale, une fois les réserves officielles épuisées ou en voie de l’être, seuls le Trésor américain et la Fed, plus encore que le FMI, ont les moyens et la crédibilité leur permettant de rétablir très rapidement la confiance sur les marchés financiers mondiaux et de jouer pleinement le rôle de prêteur international en dernier ressort. Mais les États-Unis ne s’y prêtent que lorsque les intérêts américains l’exigent. Ce fut typiquement le cas, en 1998, au moment de la crise russe et à l’occasion de l’effondrement de LTCM, ou encore, à titre conservatoire, en réponse aux attentats de septembre 2001. En juillet 2002, le FMI et les États-Unis ne jugeaient pas opportun de répondre aux besoins de refinancement du Brésil. Pourtant, début août, au terme d’une visite à Brasilia du Secrétaire au Trésor américain, Paul O’Neill, dans un contexte économique et politique pour le moins incertain, celui-ci annonça un revirement d’attitude. L’octroi d’une aide d’urgence de 30 milliards de dollars fut officialisé par le FMI quelques jours plus tard, mais les versements s’étaleront au-delà de l’élection présidentielle si l’ajustement engagé sur le plan macro-économique se poursuit…
125Dès lors, la nouvelle architecture néo-libérale de la finance mondiale, sans véritable dispositif macro-prudentiel, sans prêteur international en dernier ressort officiel, est-elle réellement à même d’améliorer la prévention et la gestion des crises financières internationales ou n’est-ce là qu’un faux-semblant ?
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Notes
-
[1]
Université de la Méditerranée, CEFI, cefi@ univ-aix. fr
-
[2]
Université de Toulon et du Var, CEFI, cefi@ univ-aix. fr
-
[3]
"Le papier monnaie de la banque (…) n’offre à ses détenteurs aucune espérance de profit, rien qui tente de le garder en portefeuille, puisqu’au contraire, on perd l’intérêt par le chômage. Chacun n’est donc disposé à en garder que la quantité précisément nécessaire pour effectuer ses paiements. " (Thornton 1802, p.234 ; 1803, p.212).
-
[4]
Sur l’originalité et la modernité de l’œuvre de Juglar, voir Gilles (1996, pp.47-50).
-
[5]
Par exemple (Beaugrand 1981, p.47) et (Diatkine 2001, p.11).
-
[6]
c’est-à-dire les lettres de change et les billets successivement endossés dont il est difficile de vérifier la réalité de la contrepartie, donc la garantie, qui participent de l’asymétrie d’information, et dont Thornton (1802, p.253 ; 1803, pp.232-3) développe l’idée en critique à l’analyse des actifs réels de Smith.
-
[7]
Thornton n’emploie pas le terme de prêteur en dernier ressort, que nous devons à Baring ( 1797), mais les fonctions qu’il attribue à la Banque centrale correspondent précisément à la définition moderne du PDR.
-
[8]
La définition de la crédibilité (crédit invariable ou hight credit, Thornton 1802, p.97 ; 1803, p.35) de la Banque centrale proposée par Thornton est remarquablement moderne. Elle recouvre trois attributs : 1° l’importance de ses fonds propres pour assurer sa fonction de prêteur en dernier ressort (Ibid., p. 105 ; p.47) ; 2° son indépendance vis-à-vis des Autorités publiques, ce qui lui permet de concevoir le maintien des finances et du crédit publics comme un Bien public (Ibid., pp.105-6 ; p.47, p.49) ; 3° sa gouvernance interne (élection des directeurs par les actionnaires, droits d’inspection et de contrôle, un esprit public dirigé vers la prospérité de l’Angleterre, etc.) (Ibid., pp.109-10 ; p.54). Pour une analyse contemporaine de la crédibilité, voir Gilles (1992).
-
[9]
Pour une analyse contemporaine, voir Goodhart (1988).
-
[10]
ce qui n’est pas sans rappeler l’analyse contemporaine de Goodhart and Schoenmaker (1995).
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[11]
C’est-à-dire un équilibre de type tâche solaire où les déposants d’une banque, observant la faillite d’une autre banque, anticipent que tous les autres déposants vont paniquer, ce qui rationalise leur propre comportement de panique (Diamond and Dybvig 1983).
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[12]
Lorsque les banques investissent dans des actifs aux rendements corrélés, la faillite d’une (a fortiori de plusieurs) d’entre elles constitue un signal pour les déposants qui ont investi dans des actifs similaires, les conduisant rationnellement à retirer leurs dépôts. Ce phénomène peut être rapproché des actifs fictifs (cf. supra).
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[13]
"L’expérience du passé instruira les banques et les particuliers, soit à prévenir le mal, soit à ne le point provoquer par de vaines erreurs." (Thornton 1802, p.189 ; 1803, p. 161).
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[14]
"De tels événements [i.e. liés à la cessation du crédit du papier] donnent à toutes les entreprises de banque et de commerce, l’apparence d’un jeu de hasard ; et, par cela même, ils détournent les gens sages et qui ont de l’aisance, de se vouer, ou de vouer leurs enfants à la carrière du commerce. " (Thornton 1802, p. 187 ; 1803, p. 158).
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[15]
"Il semble qu’il y ait un moyen terme que pourrait se fixer la Banque centrale (public bank) en soutenant les banques secondaires (inferior establishments, country banks) (…) Le soutien ne doit être ni si rapide et généreux qu’il aboutisse à éviter à ceux qui gèrent mal leurs affaires toutes les conséquences normales de leurs erreurs, ni si limité et lent qu’il mette grandement en danger l’intérêt général (general interests). Cet intérêt, néanmoins, est sûrement invoqué par toute personne en proie à des difficultés économiques dont le volume d’affaires est important, quel que soit le degré de l’état de ses affaires." (Thornton 1802, p.188 note).
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[16]
Il y a aléa moral lorsqu’en fournissant une assurance contre un risque donné, on encourage des comportements qui rendent la concrétisation de ce risque plus probable. En effet, le fait que les marchés de capitaux ne soient pas parfaits, autrement dit qu’il existe une information asymétrique entre les prêteurs et les emprunteurs jointe à l’aversion pour le risque ou la solvabilité limitée, rend généralement impossible l’obtention de résultats optimaux. Sur le plan macro-économique, si un emprunteur souverain sait que le FMI exercera sans doute sa fonction de prêteur en dernier ressort, il sera incité à tirer davantage parti de l’information asymétrique existant entre lui et le prêteur (sa situation réelle, l’état de ses finances publiques, le degré d’avancement de ses réformes, ses prévisions, etc.) en prenant des risques excessifs quant à ses choix de politique économique.
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[17]
Avec les créations, entre autres, de la facilité pétrolière en 1974, de la Facilité d’Ajustement Structurel en 1986, puis de la FAS renforcée en 1988, de la facilité pour la transformation systémique destinée aux pays de l’Est en 1992, de la Facilité de Réserve Supplémentaire destinée aux pays attaqués sur leurs réserves de change et/ou sur le compte de capital de leur balance des paiements en 1997, enfin, en 1999, des lignes de crédit contingentes destinées aux pays préoccupés par les risques de contagion d’une crise susceptible de les affecter.
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Un débiteur souverain too big to fail est entendu, ici, comme un pays dont le seul défaut menace directement la stabilité globale du système monétaire international, autrement dit dont le seul défaut détermine un risque de système. Il s’agit donc d’un pays pour lequel le coût de son renflouement est inférieur aux externalités induites de son non-renflouement. Partant, le verbe "to fail" fait référence à la deuxième étape (la faillite, la répudiation, etc.) et non à la première (le défaut). Crise ne signifie donc pas effondrement ; autrement dit, le renflouement permet la sortie de crise de ce pays tout en évitant une crise systémique.