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Article de revue

Origine monétaire des cycles d'affaires et changement technologique : Hicks versus Hayek

Pages 215 à 229

Notes

  • [1]
    Universität Hohenheim, Institut für Volkswirtschaftslehre (520), hagemann@ uni-hohenheim. de
  • [2]
    Une première version de ce texte a fait l’objet d’une présentation aux Journées d’Étude "Hicks", Sorbonne, Paris, 23 – 25 Octobre 1997 ainsi qu’à la seconde conférence annuelle de l’European Society for the History of Economic Thought, Bologne (Italie) 27 février - 1 mars, 1998, sous le titre "Monetary Causes of the Business Cycles and Technological Change : Hicks versus Hayek". Les citations suivies d’un astérisque ont été traduites pour les besoins de ce papier, les autres sont issues de traductions préexistantes dont les références sont mentionnées en bibliographie.
  • [3]
    Pour plus de détails, se référer à Hamouda (1993, chapitre 8).
  • [4]
    Notons ici que l’effet Ricardo occupa une place centrale au sein de la théorie des fluctuations industrielles dés lors que l’on cessa de mettre l’accent sur l’étude de la monnaie et du taux d’intérét pour privilégier l’analyse du capital et du profit (cf. Hayek 1939, pages 3 et suivantes).
  • [5]
    Ceci remonte à sa contribution de 1935 "Suggestion for Simplifying the Theory of Money", qui constitue un repère décisif dans l’évolution de la théorie de la préférence pour la liquidité grâce à laquelle Hicks est devenu un économiste influent en matière monétaire, en passant par les Critical Essays in Monetary Theory en 1967 jusqu’à son dernier ouvrage A Market Theory of Money (1989a).
  • [6]
    Contribution to the Theory of the Trade Cycle (1950a).
  • [7]
    Pour une analyse détaillée des conséquences de l’introduction d’une nouvelle mécanisation sur l’emploi se référer à Hagemann (1994b).
  • [8]
    Les deux sections suivantes sont basées sur Hagemann (1994a).
  • [9]
    Hayek lui-même le considérait comme son principal opposant (1929a, page 57) en soulignant la grande valeur historique de ce travail.
  • [10]
    Hayek (1933, pages 191-192).
  • [11]
    Voir par exemple, Boianovsky (1995) et Leijonhufvud (1997).
  • [12]
    Voir par exemple le dernier ouvrage de Hicks A Market Theory of Money (1989a).

1 – Introduction [2]

1La pensée économique de Keynes et celle de Hayek ont toujours été considérées par Hicks comme un défi au développement de sa propre théorie. Tandis que la première est bien connue d’un large public et peut être symbolisée par les quatre lettres, IS - LM [3], l’influence de Hayek sur le développement des travaux de Hicks est d’une autre nature, plus controversée et aujourd’hui encore moins connue. En effet, après la publication par Hicks en 1967, de la dramatique Hayek’s Story qui conduisit Hayek à écrire ses tardives "élucidations" (1969) sur l’effet Ricardo [4], il est apparu que si la théorie des cycles d’affaires de Hayek n’était pas parvenue à convaincre un vaste public c’était pour une large part à cause du rapide succès obtenu par la Théorie Générale de Keynes dés 1936. Exceptées certaines incohérences dans sa combinaison des effets Cantillon et Ricardo (Cf. Hagemann et Trautwein 1998), "ce que Hayek disait paraissait peu pertinent" comparé "aux opportunités ouvertes par la Théorie Générale" (Hicks 1967, page 205). Parce que Hayek n’avait pas grand chose à dire concernant les derniers stades d’un processus cumulatif de déflation ou encore sur le point bas de retournement du cycle, sa théorie sembla totalement à contre-courant de la réalité de la Grande Dépression.

2Hicks a toujours été sceptique face aux propos de Hayek selon lesquels, en l’absence de perturbations monétaires, l’économie serait à l’équilibre. Cette position est déjà manifeste dans un précédent essai sur l’équilibre et le cycle, dans lequel Hicks confronte le Hayek de Prix et production avec celui du concept d’équilibre intertemporel de 1928. Hicks conteste alors la conclusion de Hayek selon laquelle "un changement dans le volume de la monnaie en circulation doit être considéré comme une cause indépendante de déséquilibre. Je ne peux accepter cela au pied de la lettre, bien que je sois prêt à accepter que dans un monde d’imparfaite prévision les variations monétaires peuvent engendrer de sérieux déséquilibres" (Hicks 1982 [1933], page 32)*. Hicks réalisa que pour analyser la monnaie, il était nécessaire de prendre en compte l’incertitude et les anticipations. Il fournit un effort de longue haleine afin de présenter une version fondamentalement dynamique du fonctionnement de l’économie au sein de laquelle, les décisions courantes des agents représentent autant de tentatives pour gérer un futur incertain en tenant compte des contraintes monétaires et réelles héritées des actions passées. Toutefois, bien que Hicks ait contribué à la théorie monétaire de manière importante et sur une période couvrant pratiquement six décennies [5], il n’eut de cesse de souligner "le caractère réel (non-monétaire) du processus cyclique" (Hicks, 1950a, page 136)*. C’était en effet là l’un des principaux objectifs de sa Contribution à la théorie du cycle d’affaire[6] que "de montrer que les principales caractéristiques du cycle peuvent être expliquées de manière satisfaisante en termes réels" (ibid.)*.

2 – Du séminaire de Hayek à la London school of economics à la théorie néo-autrichienne de Capital and Time

3L’une des contributions majeures de Hayek fut de montrer l’importance de la structure temporelle du processus de production dans l’analyse des fluctuations. Hicks souligna à maintes reprises combien il avait été influencé par les séminaires dispensés par Hayek à la London School of Economics entre 1931 et 1935. Plus spécifiquement, Hayek initia Hicks aux travaux de Wicksell - qui avait établi un lien entre les travaux de Böhm-Bawerk et de Walras – le conduisant ainsi également à envisager le processus productif comme un processus temporel. Une différence substantielle subsiste néanmoins. Pour Hayek les problèmes d’ajustement cyclique sont engendrés par des facteurs monétaires comme des modifications du comportement d’épargne et des expansions du crédit qui déforment la structure des prix relatifs. A l’opposé, Hicks a toujours exprimé son scepticisme concernant la déclaration de Hayek selon laquelle en l’absence de perturbations monétaires, l’économie serait toujours à l’équilibre. Bien qu’il ait puisé chez Hayek l’idée selon laquelle l’impact d’un choc sur la structure réelle de la production constitue un élément des plus importants, il est très clair que contrairement à cet auteur, Hicks considère que la divergence du sentier régulier et le processus d’ajustement dynamique ne sont pas causés par des facteurs monétaires mais par des facteurs réels comme le changement technologique.

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"Le point où je me sépare de lui (ou de ce qu’il disait en 1931), je peux ici le souligner, c’est lorsqu’il prétend que les perturbations sont d’origine monétaire. Il ne s’était pas libéré de l’illusion (…) selon laquelle lorsque l’on retire la monnaie, donc, lorsque l’on raisonne sur une économie "en état de troc", tout doit s’adapter d’une manière ou d’une autre. L’un de nos objectifs en écrivant ce livre a été de détruire cette illusion qui ne pouvait venir que de ce que la théorie de l’économie de troc avait de suffisamment élaboré. Il y a peu de monnaie dans mon modèle, mais il y a pourtant beaucoup de difficultés d’ajustement. Il n’est donc pas vrai qu’en se débarrassant de la monnaie, on se trouve automatiquement en équilibre que celui-ci soit conçu comme un état stationnaire (Wicksell), comme une économie où règnent des prévisions parfaites (Hayek) ou comme tout autre type d’état stable. Les désordres monétaires peuvent bien sûr, se surimposer aux autres désordres, mais ces derniers demeurent les plus fondamentaux."
(Hicks [1973d] 1975, page 148)

5Il devient donc clair que le modèle néo-autrichien de Hicks est créé comme une économie de troc au sein de laquelle, dans le meilleur des cas, la monnaie représente le moyen d’échange. Par conséquent, on ne peut garantir que "la loi anti-Say prévaut comme c’est la cas dans le modèle de la Théorie Générale de Keynes" (Morishima 1989, page 185)*. Puisque la propre théorie néo-autrichienne de Hicks ne traite pas des problèmes de l’économie monétaire, elle ne peut prendre en compte le chômage keynésien ; mais elle peut permettre de traiter des conséquences en termes d’emploi de la restructuration physique du capital engendrée par une augmentation de la mécanisation, i.e. du chômage technologique. Désormais, la découverte de Hicks selon laquelle l’introduction du progrès technologique peut conduire à une contraction temporaire de la production et de l’emploi dans les premières phases de la traverse, ne contredit pas en soi la loi de Say. Il est manifeste que ce type de théorie "néo-autrichienne" s’inspire tout à la fois de Ricardo, Böhm-Bawerk et Hayek, un fait d’ailleurs ouvertement reconnu par Hicks (1985a, page 156)* : "l’endroit où nous sommes arrivés en suivant la route autrichienne est proche de Ricardo (…) de ces dernières réflexions qu’il n’eut pas le temps d’exploiter. La méthode autrichienne est en fait une méthode classique".

6A la fin des années 1960, Hicks était devenu totalement fasciné par l’effet machine de Ricardo, i.e. par les conséquences sur l’emploi de l’introduction d’une méthode de production différente c’est-à-dire, plus "mécanisée". Hicks en vint à défendre ce qu’il pensait être le message central de l’analyse de Ricardo concernant la question de la mécanisation : il existe des situations dans lesquelles l’introduction d’un nouveau type de mécanisation peut à la fois réduire la production réelle et l’emploi dans le court terme. Cet effet pernicieux peut persister un certain temps, mais l’investissement accru engendré par des profits plus élevés -eux-mêmes dus à une augmentation de l’efficience du nouveau processus de production – doit conduire à un sentier de production et d’emploi supérieur à celui qui aurait été atteint avec l’ancien processus de production [7].

7Hicks n’a pas été le dernier des grands économistes à s’intéresser au chapitre de Ricardo concernant l’effet machine. Typiquement, dans son ouvrage Path of Economic Growth Lowe (1976) fonde son étude des conséquences macroéconomiques du changement technologique et des conditions nécessaires afin de ramener une économie vers une sentier de croissance équilibrée, sur l’analyse de l’effet machine de Ricardo. Plus récemment, Samuelson (1988, 1989) entreprit de soutenir les propositions de Ricardo selon lesquelles la mécanisation peut affecter les salaires ainsi que réduire la production et l’emploi. La démonstration de Samuelson contient des exemples numériques qui conduisent à une nouvelle position de long terme avec du travail non employé, i.e. caractérisé par la présence d’un chômage technologique permanent. Dans l’exemple numérique de Ricardo, l’économie quittait un état d’équilibre stationnaire et l’évolution des productions brute et nette était calculée pour trois périodes successives, décrivant les effets de la construction et de l’utilisation des machines sur la production agrégée (Ricardo 1951, pages 388 - 90). Il y n’a cependant aucun indice dans son analyse permettant de penser que l’économie puisse atteindre un équilibre unique déterminé. En d’autres termes, l’évolution ultérieure des profits, de l’investissement, de la production et de l’emploi demeure assez obscure. Pour cette raison, l’exemple de Ricardo peut s’envisager comme "une analyse précoce et brute de la traverse" (Cf. Kurz 1984)* contenant une théorie du chômage technologique temporaire fondée sur le manque de capitaux (Capital shortage). Selon Ricardo, l’accumulation du capital et le développement de la production agiront dans le long terme comme des facteurs compensant le phénomène de remplacement initial engendré par le processus de mécanisation. Cette idée a été totalement reprise par Hicks qui, à la fin des années soixante, entreprend d’achever l’analyse ricardienne de la traverse.

8Les conséquences du changement technologique sur l’emploi ont constitué le cœur de la recherche d’Adolphe Lowe dont les travaux sur la théorie des Cycles d’Affaires, concernant plus particulièrement les pré-requis méthodologiques à une analyse des cycles, représentèrent un défi majeur pour le jeune Hayek [8].

3 – Le problème des cycles d’affaires : réflexions méthodologiques

9Dans son article de 1926 intitulé "How is business cycle theory possible at ail?" Lowe (1997) souligna non seulement la pertinence d’une analyse multisectorielle des Cycles d’Affaires mais aussi le fait que le concept d’équilibre, central dans tous les systèmes représentatifs de l’Economie depuis les physiocrates, est logiquement lié à un système interdépendant fermé, et donc, statique. L’analyse critique de la littérature traitant des théories des cycles d’affaires le conduisit alors à la conclusion suivante :

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"Le problème posé par les cycles n’est pas de critiquer la nature statique d’un système mais de s’opposer à ce dernier parce que ces deux termes sont antinomiques. Le problème ne peut être résolu que dans un système au sein duquel la polarité des retournements de tendance est engendrée de manière analytique à partir des conditions du système exactement comme un ajustement non perturbé dériverait des conditions d’un système statique. Ceux qui espèrent résoudre le problème des Cycles d’Affaires doivent sacrifier le système statique. Ceux qui adhèrent au système statique doivent abandonner le problème posé par les Cycles d’Affaires. J. B. Say qui entreprit consciencieusement cette démarche, fut logiquement guidé par son réalisme vers le voisinage de Pälmström qui déduit avec le tranchant d’un rasoir "dass nicht sein kann, was nicht sein darf""
(Lowe 1997, page 267)*.

11Lowe identifia clairement le problème : si la théorie économique explique de manière satisfaisante les Cycles d’Affaires, elle ne peut le faire de manière si simple en ne soulignant que les conséquences d’un facteur perturbateur surimposé de manière exogène sur une économie qui, sans cela, serait statique. Au contraire, la théorie économique doit rechercher les causes endogènes au système lui-même, capables de déformer les interrelations rigides induites par le système d’équilibre statique.

12Comment Hayek a-t-il réagi à l’opinion de Lowe selon laquelle la théorie des Cycles d’Affaires nécessitait une révision fondamentale de ses fondements méthodologiques? Tout d’abord, il existe de nombreux éléments communs aux positons de ces deux auteurs. Hayek (1933, page 28) est en accord total avec la vision de Lowe concernant la relation entre observations empiriques et explications théoriques:

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"Nos connaissances des interconnexions théoriques entre les cycles économiques et les lois structurelles de la circulation n’a pas du tout été enrichie par toutes ces phases de description et de calculs d’autocorrélations. (…) Espérer un approfondissement immédiat d’un système théorique par une augmentation des connaissances empiriques signifierait bien évidemment une incompréhension de la relation logique entre théorie et recherche empirique."
(Lowe 1997, page 246)*

14En outre, Hayek accepta l’argument de Lowe selon lequel toutes les théories des cycles d’affaires existantes souffraient d’une faiblesse fondamentale, celle de dépendre de chocs exogènes, de perturbations ou bien d’ajustements consécutifs à ces chocs, dans un cadre d’équilibre. Une telle procédure ne peut que difficilement fournir une théorie satisfaisante capable d’expliquer la régularité avec laquelle les fluctuations économiques semblent apparaître. En effet, la logique de la théorie de l’équilibre

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"correctement suivie, ne peut rien faire de plus que démontrer que de telles perturbations de l’équilibre ne peuvent que survenir de l’extérieur i.e. qu’elles représentent un changement des données économiques et que le système économique réagit toujours à ces changements par sa méthode d’adaptation bien connue, i.e. par la formation d’un nouvel équilibre."
(Hayek 1933, pages 42-3)*

16La théorie des cycles, comme tout autre théorie économique, se doit de satisfaire deux critères de cohérence afin d’éviter les pièges qui conduiraient à l’émergence de fluctuations cycliques via l’introduction de chocs exogènes au sein d’un système qui, sans cela, demeure statique.

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"Premièrement, elle doit être déduite avec une logique naturelle des notions fondamentales d’un système théorique et deuxièmement, elle doit expliquer à partir d’une méthode purement déductive les phénomènes avec toutes leurs spécificités telles que nous les observons dans les véritables cycles. Une telle théorie ne pourrait être "fausse" qu’au travers de la faiblesse de sa logique ou parce que les phénomènes qu’elle explique ne correspondent pas aux faits observés."
(Hayek 1933, pages 32-33)*

18Hayek souligne de manière explicite l’analogie entre ses arguments et ceux exprimés par Lowe (1928). Plus important encore, il fait cause commune avec Lowe en identifiant l’incorporation des phénomènes cycliques dans la théorie de l’équilibre comme le problème crucial de la théorie des cycles d’affaires et en montrant la nécessité de fonder le cycle sur un facteur endogène.

19Néanmoins, les deux auteurs diffèrent de manière fondamentale dans les conclusions issues de leur réflexion méthodologique. Ceci est particulièrement vrai concernant le rôle du concept d’équilibre. Alors que Lowe juge que le concept traditionnel d’équilibre statique doit être remplacé par un nouveau concept de système dynamique dont la polarité des phases d’expansion et de crises possède le même statut que l’équilibre dans le système statique (cf. par exemple Lowe 1926, pages 267-8), Hayek adhère au concept d’équilibre en le considérant comme un outil indispensable à la théorie économique en générale, et à la compréhension des relations intertemporelles des prix en particulier. Dans l’analyse des cycles de Hayek, il est fondamental de partir de la notion d’équilibre. Prix et production est ainsi caractérisé par la conviction de Hayek selon laquelle "si nous voulons expliquer les phénomènes économiques, nous n’avons d’autres moyens que de construire sur les fondements donnés par le concept de tendance vers l’équilibre" (Hayek 1935, page 34)*. Concernant l’analyse des questions dynamiques, il est fondamental d’incorporer le facteur temps dans la notion d’équilibre et de prendre en considération les différences de prix des mêmes biens à différents points du temps.

20Hayek adhère à l’utilisation du concept d’équilibre dans son analyse des Cycles d’Affaires et sa position possède des fondements à la fois théoriques et empiriques. Alors qu’il envisage l’économie de marché comme intrinsèquement stable, ce qui suppose que tous les mouvements peuvent être essentiellement envisagés comme des processus d’ajustement vers l’équilibre, Lowe est à l’inverse convaincu de l’existence d’une tendance au désordre des marchés industriels incontrôlés pour lesquels la maximisation du profit a perdu sa détermination classique. C’est de là que naîtra son futur plaidoyer en faveur de l’interventionnisme afin de combiner la liberté économique et politique avec l’objectif de rationalité collective (Cf. Lowe 1965).

21La théorie des Cycles d’Affaires de Hayek repose sur l’idée selon laquelle les prix déterminent la nature de la production. La fonction des prix comme mécanisme de coordination intertemporel est de fournir aux entrepreneurs l’information nécessaire à leurs décisions d’investissement et d’allocation des ressources. Si dans un cadre d’équilibre l’offre et la demande sont équilibrées via le mécanisme des prix, comment est-il alors possible que les fluctuations économiques soient des phénomènes réguliers, puisque qu’aucun changement interne au système ne peut donner lieu à ces phénomènes?

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"Le seul et unique moyen de résoudre ce dilemme est d’expliquer la différence entre le cours des événements décrits par la théorie statique … et celui qui est réellement observé, par le fait que, en montrant qu’avec l’introduction de la monnaie …, on intègre une nouvelle source de fluctuations. La monnaie étant un bien qui, au contraire de tout autre, est incapable in fine de satisfaire la demande, son introduction supprime l’interdépendance rigide et l’autosuffisance d’un système d’équilibre fermé et rend ainsi possible des mouvements exclus de ce type de système. On a donc ici un point de départ qui remplit les conditions essentielles pour une théorie des Cycles d’Affaires satisfaisante."
(Hayek 1933, pages 44 - 5)*

4 – Identification du facteur endogène : monnaie et crédit versus changement technologique

23Ce fut Fritz Burchardt [9], le plus proche des collaborateurs de Lowe, qui dans son remarquable papier de 1928 sur l’histoire de la théorie monétaire des cycles d’affaires, montra comment les changements structurels dans l’histoire économique modifiaient le caractère de la théorie. Au cours du dix-neuvième siècle, la théorie des crises évolua vers la théorie des Cycles d’Affaires. Incarnant désormais les symptômes du cycle, l’expansion du crédit et les mouvements du taux d’intérêt occupèrent une place plus importante. Reconnaissant les influences monétaires qui se manifestent particulièrement au travers des modifications du niveau des prix, Burchardt conclut toutefois que les facteurs monétaires ne pouvaient expliquer à eux seuls les phénomènes cycliques. De son point de vue, les facteurs non-monétaires ont un rôle important à jouer. Ceci est tout particulièrement vrai pour le progrès technique qui est reconnu comme le déterminant essentiel du cycle. En référence à la théorie influente de Wicksell, Burchardt souligna par exemple qu’en dépit de l’importance des variations du taux d’intérêt de marché pour les mouvements du niveau des prix, la véritable source de perturbation de l’équilibre d’une économie était engendrée par le progrès technique qui conduit à une augmentation du taux naturel (Cf. Burchardt 1928, page 119).

24De son côté, Hayek souligna que toute théorie des cycles se devait de considérer les influences de la monnaie (et du crédit) comme son point de départ. Une théorie de l’économie monétaire pourrait alors expliquer des phénomènes comme des fluctuations cycliques caractérisées par des développements disproportionnés qui demeurent impensables dans le système d’équilibre d’une économie de troc. Le point de départ de l’explication des crises doit être celui de l’analyse des variations de l’offre de monnaie qui se produisent automatiquement au cours de ces événements, et en aucun cas le produit d’une quelconque intervention forcée (Cf. Hayek 1928b, pages 285 - 286).

25Ainsi, non seulement Hayek considérait sa théorie du Cycle des Affaires comme une théorie incontestablement monétaire mais soulignait également qu’une théorie des fluctuations cycliques autre que monétaire n’était que difficilement concevable. Dans cette perspective, il considérait que c’est dans la nature monétaire versus non-monétaire que résidait le principal clivage des théories des Cycles d’Affaires. Cependant, dans la version anglaise de Geldtheorie und Konjunkturtheorie, Hayek introduisit une nouvelle note de bas de page montrant beaucoup plus de réserve sur ce point :

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"Depuis la publication de l’édition allemande de cet ouvrage, je suis moins convaincu du fait que l’opposition entre les analyse monétaires et non-monétaires représente le point de désaccord majeur entre les différentes théories des cycles. D’un côté, il me semble que parmi les analyses monétaires, la différence entre les théoriciens qui analysent le phénomène superficiel des changements de la valeur de la monnaie comme un facteur décisif dans la détermination des fluctuations cycliques et ceux qui soulignent l’importance des changements réels dans la structure de la production suscités par des facteurs monétaires, est beaucoup plus importante que la différence entre ces derniers et ceux que l’on a coutume d’appeler les théoriciens non-monétaires comme les Professeurs Spiethoff et Cassel. D’un autre côté, il me semble que les oppositions entre ces analyses qui recherchent l’origine des crises dans la rareté du capital et celles que l’on qualifie de théories de "la sous-consommation" sont, tant d’un point de vue théorique que pratique, d’une importance plus cruciale que la différence entre théories monétaires et non-monétaires."
(Hayek 1933, page 41)*

27Ce changement de position n’est pas surprenant dans la mesure où depuis le début de son analyse, Hayek soulignait deux arguments :

  1. Sa théorie des cycles d’affaires est essentiellement monétaire. Néanmoins, si les facteurs monétaires causent le cycle, ce sont les phénomènes réels qui le constituent. Bien que les fluctuations d’origine monétaire, en particulier celles dues à l’expansion du crédit, soient inévitables dans les économies industrielles modernes, c’est l’impact sur la structure réelle qui demeure l’élément le plus important.
  2. La théorie monétaire n’a en aucune manière accompli sa tâche si elle se contente d’expliquer le niveau absolu des prix. Hayek s’oppose donc aux théories quantitatives simplifiées qui analysent de manière exclusive la relation entre la quantité de monnaie et le niveau général des prix. La dichotomie classique doit alors être envisagée comme une erreur cardinale de la théorie économique. Une tâche beaucoup plus importante de la théorie monétaire consiste à expliquer les changements de la structure des prix relatifs engendrés par des "injections" monétaires ainsi que les disproportions qui s’ensuivent au sein de la structure de production, ces dernières étant engendrées par un système de prix fournissant alors une fausse information sur les préférences des consommateurs ainsi que sur les ressources disponibles. La mauvaise allocation des ressources engendrée par l’expansion du crédit peut survenir malgré la stabilité du niveau des prix. Par conséquent, comme Hayek (1925) le fait remarquer en commentant la politique monétaire menée par les États-Unis au cours de la période de prospérité des années vingt, des prix constants ne peuvent être systématiquement considérés comme le signe d’une stabilité monétaire.
Ces arguments constituent également les fondements de la réaction de Hayek aux critiques de Burchardt et de Lowe vis-à-vis des théories monétaires du cycle. D’une part, Hayek reconnaît explicitement plusieurs de ces critiques. En particulier, il ne conteste pas le plus important des arguments de Lowe à l’encontre des théories contemporaines du cycle et ce, même en référence à la théorie de son mentor tant admiré, Mises. L’argument concerne le caractère exogène de la théorie qui émerge au travers de la supposition purement arbitraire de l’existence d’interférences du côté des banques comme point de départ du cycle. Hayek dédie alors le totalité de son chapitre IV de Monetary Theory and the Trade Cycle au problème soulevé par Lowe afin de montrer qu’il n’a jamais eu recours à ces interférences du comportement bancaire ni à la tendance générale des banques à diminuer le taux d’intérêt de la monnaie. Au contraire, il insiste sur le fait que la cause fondamentale des fluctuations cycliques est bien de nature endogène.

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"La situation pour laquelle le taux d’intérêt de la monnaie est inférieur au taux naturel ne requiert en aucun cas la diminution délibérée par les banques de leur taux d’intérêt. Le même effet peut évidemment être engendré par une amélioration des anticipations concernant les profits ou par une diminution du taux d’épargne pouvant conduire le "taux naturel" (i.e. le taux pour lequel la demande et l’offre d’épargne s’égalisent) en dessous de son niveau antérieur ; tandis que les banques tentent de limiter l’augmentation de leur taux d’intérêt dans une proportion raisonnable, elles continuent de prêter au taux précédent, et donc satisfont une plus grande demande d’emprunts qu’il n’aurait été possible de le faire en utilisant exclusivement l’offre d’épargne disponible. La véritable signification de ce phénomène n’est pas, de mon point de vue, qu’il s’agit de la plus habituelle des pratiques mais plutôt que cela doive inévitablement se produire en raison de l’organisation actuelle du crédit."
(Hayek 1933, pages 147 - 148)*

29La plus importante source d’amélioration des anticipations concernant le profit, qui conduise à une augmentation du taux naturel, est l’apparition d’un progrès technique, un argument qui fut présenté au préalable par Wicksell puis repris par Burchardt. Cependant, quand Hayek assure que la divergence entre les taux d’intérêt naturel et monétaire ne présuppose aucune action délibérée de la part des autorités monétaires et que le progrès technique peut causer une augmentation du taux naturel qui ne corresponde à aucun ajustement immédiat du taux monétaire, la question importante est alors de savoir si cette divergence, et au travers d’elle la monnaie et le crédit, est ou n’est pas essentielle à l’émergence des fluctuations cycliques. Lowe dirait qu’elle ne l’est pas, car si les fluctuations peuvent être intensifiées par un crédit excessif distribué aux innovateurs, cela peut également se produire en l’absence de crédit additionnel. Hayek en déduit au contraire qu’un modèle de Cycles d’Affaires satisfaisant doit être de nature monétaire. Ainsi, bien qu’il reconnaisse l’importance des facteurs non-monétaires - comme le progrès technique – en tant que mécanisme de propagation des fluctuations cycliques, il considère néanmoins que l’origine fondamentale des fluctuations se trouve dans la sphère monétaire.

30On peut identifier ici le résultat le plus novateur de Hayek. Alors que dans son analyse du processus cumulatif, Wicksell se concentrait sur les variations du pouvoir d’achat de la monnaie et ne développa jamais sa théorie monétaire au sein même des modèles de cycles, Hayek accomplit précisément cette tâche. Il combine l’analyse du processus cumulatif de Wicksell avec le concept classique d’épargne forcée afin de développer une théorie monétaire des fluctuations (spécialement dans la production de biens capitaux) au sein de laquelle l’expansion du crédit bancaire induit des perturbations du système des prix relatifs ainsi que des distorsions de la structure temporelle de la production via la divergence entre taux naturel (d’équilibre) et taux d’intérêt du marché.

31La principale critique que Hayek adressa alors à Burchardt et Lowe est que ces derniers suivirent l’hypothèse de Wicksell qui suppose

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"que seuls les changements du niveau général des prix peuvent être identifiés comme des effets monétaires. Mais les modifications des prix ne sont pas les facteurs essentiels d’une théorie monétaire des cycles ; non seulement ils sont inutiles, mais ils seraient totalement non-pertinents si seulement ils étaient "généraux" – c ’est-à-dire, s’ils affectaient tous les prix en même temps et dans la même proportion."
(Hayek 1933, page 123, en italique dans la version originale)*

33Concernant le rôle du progrès technique, on constate une évolution significative des écrits de Hayek. Dans Monetary Theory and the Trade Cycle, Hayek soutenait l’argument de Wicksell selon lequel l’expansion monétaire était fréquemment induite par des variations du "taux de capital" c’est-à-dire, par des améliorations des anticipations sur le profit, et mentionnait que le progrès technique était la cause majeure de ces variations [10]. Ainsi, il reconnaissait que le progrès technique prenait part non seulement à l’impulsion du cycle mais aussi, de manière plus implicite, au mécanisme de propagation des fluctuations. Dans les travaux qui suivirent, il accorda moins d’attention, voire aucune, au progrès technique. Apparemment, il ne semblait pas vouloir remettre en cause sa conviction concernant le caractère inévitable des crises et le retour systématique vers la position d’équilibre d’origine. Cependant, la réduction de l’effet Ricardo à un problème de choix de technique nécessitait de modifier les hypothèses relatives à l’origine des expansions monétaires et donc, de rompre avec la référence au changement technique au profit d’une analyse de la diminution autonome des taux d’intérêt (cf. Hagemann et Trautwein 1998).

34Par opposition aux économistes qui, comme Hayek, considéraient que le cycle était causé par les facteurs monétaires, Lowe souligna le rôle du progrès technique en tant que déterminant essentiel à la fois du cycle mais aussi de la croissance de long terme, refusant donc la possibilité de séparer ces deux aspects l’un de l’autre. Le programme de recherche de l’École de Kiel eut pour objectif de développer une théorie de l’accumulation, du progrès technique et du changement structurel. Sur fond de révolution microélectronique, il semble aujourd’hui que le programme comme les méthodes utilisées soient clairement d’actualité. Le principal objectif de recherche de ce groupe était la construction d’un modèle théorique de croissance cyclique analytiquement fondé sur l’idée selon laquelle une explication satisfaisante des fluctuations industrielles devait s’inscrire dans le cadre plus général d’une théorie économique de flux circulaires semblable à celle de Quesnay ou de Marx. La première étape consista à élaborer un modèle sensible à la transformation dynamique et incorporant à la fois la dimension physique et celle de la valeur. Pour Lowe et pour les autres membres de l’École de Kiel, les aspects physiques et techniques représentaient un déterminant fondamental du système économique, comme plus spécifiquement les contraintes induites par le changement structurel et le comportement des agents durant le processus de transition. Cette dimension structurelle ne pouvait être négligée que si les facteurs de production étaient parfaitement flexibles, mobiles et adaptables au changement. Afin de développer un cadre de référence pour l’analyse sectorielle de la croissance économique, l’attention du groupe de Kiel fut dirigée vers l’analyse classique puisque les écoles de Lausanne comme de Cambridge, soulignaient que les variables prix et l’exclusion des structures physiotechniques, n’avaient pas offert de point de départ fructueux. La tentative de Lowe de développer une théorie de l’accumulation, du progrès technique et du changement structurel constitua une approche dominante pendant plus de 40 années, jusqu’à la parution de The Path of Economic Growth (1976). Cet ouvrage présente Lowe comme le second pionnier de l’analyse de la traverse après John Hicks. Il étudie en fait les conditions qui doivent être satisfaites afin de permettre à l’économie de retrouver un sentier de croissance équilibrée après une variation de l’un des déterminants de la croissance, comme l’offre de travail ou le progrès technique.

5 – Conclusions

35A la fin des années soixante, quand Hicks prit le parti de soutenir la thèse de l’effet machine de Ricardo, il fonda son analyse de la traverse sur une représentation néo-autrichienne des structures de la production au sein desquelles le temps, essence du capital, entrait de deux manières : comme durée du processus par lequel les facteurs travail sont convertis en biens de consommation mais également en tant que production intertemporelle jointe de la production finale à différentes dates, une séquence engendrée par les biens capitaux fixes. Dans cette représentation, le capital devient alors l’expression de la séquence de production. En traitant explicitement des biens capitaux fixes, la théorie de Hicks diffère de celle de Böhm-Bawerk et de celle de Hayek dans Prix et Production qui confinaient leurs modèles à l’analyse du capital circulant et ainsi, ne pouvaient appréhender que le fonctionnement des processus de production du type flux de facteurs – production ponctuelle. Puisque Hicks considérait les biens capitaux comme la source du flux global de biens de consommation finale à différentes dates, cela signifie qu’il considérait les processus productifs comme des flux de produit. Il abandonna ainsi de manière explicite les concepts typiquement autrichiens que représentaient la période moyenne de construction de Böhm-Bawerk ou la notion de degré de détour de production. Hicks identifia donc l’avantage décisif de l’approche néo-autrichienne par rapport à "l’ancienne" comme étant l’incorporation du capital fixe, la faiblesse qui représentait le talon d’Achille du modèle autrichien, soulignée en tout premier par Burchardt (1931/32).

36Hayek répondit à la critique de Burchardt en concédant que le modèle séquentiel ou encore l’approche verticalement intégrée, qu’il avait utilisée dans Prix et Production "donne l’impression d’une simple linéarité entre le dépendance de différents stades de production qui ne se produit pas dans un monde où les biens durables sont la plus importante forme de capital" (1939, pp. 21-22)*. Cependant, dans sa théorie des Cycles d’Affaires, il est resté fidèle au modèle autrichien et continua de négliger les flux circulaires.

37L’analyse de l’impact des innovations de processus sur les structures industrielles représente la force du modèle horizontal, ou encore modèle sectoriel, et ce, bien que cette approche éprouve quelques difficultés à traiter de manière adéquate les innovations de produits comme à définir le profil temporel des ajustements inter-industries du système. Hicks perçut l’avantage incontestable de la méthode autrichienne dans sa capacité à appréhender la caractéristique majeure des innovations de processus qui engendrent presque toujours l’introduction de nouveaux biens capitaux qui ne peuvent être a priori spécifiés de manière physique. C’est précisément cet argument qui conduisit Hicks à abandonner le modèle horizontal de Capital and Growth (1965a) au profit du modèle vertical de Capital and Time (1973d) puisque pour les innovations en cours

38

"(…) la seule relation qui peut être établie [entre les biens capitaux requis pour une technique et ceux requis pour les autres] s’établit en termes de coûts et de capacité à produire le bien final ; et c’est précisément ce qui est préservé dans la théorie autrichienne."
(Hicks 1977a, page 193)

39Ainsi, tout au long de sa vie, Hicks critiqua mais aussi contribua au développement de la théorie originale des cycles de Hayek, pour finalement retourner à la théorie autrichienne du capital. Il réévalua également le message contenu dans le chapitre de Ricardo concernant l’effet machine dans un passage qui semble reproduire dans son ensemble l’effet Ricardo au sein de la théorie des cycles de Hayek:

40

"Réaliser une industrialisation sans le support de l’épargne, c’est aller au devant d’ennuis. C’est un principe que les économistes praticiens ont appris par expérience. Il mérite donc une place réelle dans l’économie théorique."
(Hicks 1975 [1973d], page 110)

41Il y a cependant un point essentiel que Hicks partage avec Wicksell dont les idées représentent le point de départ de la théorie autrichienne du cycle telle qu’elle fut développée par Mises et Hayek. Hicks a toujours envisagé le cycle comme un phénomène fondamentalement réel reflétant les changements technologiques et les fluctuations de l’investissement qui l’accompagnent. Les désordres monétaires peuvent se surimposer à ces désordres réels mais ils demeurent d’une importance secondaire. Wicksell soutint également une théorie réelle des cycles [11]. Bien que son analyse demeure partielle, ses deux articles "The Enigma of Business Cycles" (1953) et "A New Crisis Theory" (1998), tous deux écrits en 1907 et influencés par les travaux de Tugan-Baranowsky et Spietoff, soulignent l’importance qu’il attache au phénomène du cycle et à l’identification du flux irrégulier des innovations comme représentant l’origine la plus fondamentale des fluctuations. Concernant le rôle central du progrès technique, Wicksell se situe donc "beaucoup plus près de la tradition de Marx-Schumpeter dans la théorie du cycle que de n’importe quelle autre tradition monétaire" (Laidler 1991, page 145)*. Ceci marque une différence nette vis-à-vis de Hayek pour qui le cycle est essentiellement causé par des facteurs monétaires alors que les facteurs réels le constituent. Wicksell souligne les chocs technologiques et perçoit, au travers des facteurs réels qui conduisent au changement du taux naturel de l’intérêt, l’origine essentielle des fluctuations. Il ne convient cependant pas d’identifier cet auteur comme précurseur des théories modernes des cycles d’équilibre : il n’est pas seulement très éloigné du principe méthodologique consistant à supposer des marchés continuellement soldés, mais il considère également les problèmes de coordination intertemporelle comme l’essence de sa pensée économique. Hicks, qui dans ses derniers travaux sur la théorie monétaire [12] était très proche de la perspective néo-wicksellienne, partage avec Wicksell cette conception du cycle en tant que phénomène éminemment réel. C’est précisément là le désaccord fondamental qui l’oppose à Hayek pour qui les désordres monétaires sont de première et non de seconde importance.

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Date de mise en ligne : 01/02/2009

https://doi.org/10.3917/cep.039.0215

Notes

  • [1]
    Universität Hohenheim, Institut für Volkswirtschaftslehre (520), hagemann@ uni-hohenheim. de
  • [2]
    Une première version de ce texte a fait l’objet d’une présentation aux Journées d’Étude "Hicks", Sorbonne, Paris, 23 – 25 Octobre 1997 ainsi qu’à la seconde conférence annuelle de l’European Society for the History of Economic Thought, Bologne (Italie) 27 février - 1 mars, 1998, sous le titre "Monetary Causes of the Business Cycles and Technological Change : Hicks versus Hayek". Les citations suivies d’un astérisque ont été traduites pour les besoins de ce papier, les autres sont issues de traductions préexistantes dont les références sont mentionnées en bibliographie.
  • [3]
    Pour plus de détails, se référer à Hamouda (1993, chapitre 8).
  • [4]
    Notons ici que l’effet Ricardo occupa une place centrale au sein de la théorie des fluctuations industrielles dés lors que l’on cessa de mettre l’accent sur l’étude de la monnaie et du taux d’intérét pour privilégier l’analyse du capital et du profit (cf. Hayek 1939, pages 3 et suivantes).
  • [5]
    Ceci remonte à sa contribution de 1935 "Suggestion for Simplifying the Theory of Money", qui constitue un repère décisif dans l’évolution de la théorie de la préférence pour la liquidité grâce à laquelle Hicks est devenu un économiste influent en matière monétaire, en passant par les Critical Essays in Monetary Theory en 1967 jusqu’à son dernier ouvrage A Market Theory of Money (1989a).
  • [6]
    Contribution to the Theory of the Trade Cycle (1950a).
  • [7]
    Pour une analyse détaillée des conséquences de l’introduction d’une nouvelle mécanisation sur l’emploi se référer à Hagemann (1994b).
  • [8]
    Les deux sections suivantes sont basées sur Hagemann (1994a).
  • [9]
    Hayek lui-même le considérait comme son principal opposant (1929a, page 57) en soulignant la grande valeur historique de ce travail.
  • [10]
    Hayek (1933, pages 191-192).
  • [11]
    Voir par exemple, Boianovsky (1995) et Leijonhufvud (1997).
  • [12]
    Voir par exemple le dernier ouvrage de Hicks A Market Theory of Money (1989a).

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