La séquence qui fit basculer l’économie occidentale, de la Grande Modération – période qui suivit la Grande Inflation des années 1970 et qui s’est caractérisée par une faible volatilité du taux d’inflation et du taux de croissance – à la Grande Récession de la fin des années 2000, constitue une bifurcation dans l’histoire des pratiques et des représentations de l’institution monétaire. Rarement dans leur histoire les banques centrales n’ont connu une évolution aussi marquée, du moins en temps de paix, que celle qui se donne à voir depuis la crise financière de septembre 2008. Aucun théoricien de la monnaie, aucun macro-économiste monétaire n’eût envisagé un doublement du bilan de la banque centrale en un seul trimestre, un triplement en trois ans. Une telle hypothèse aurait communément conduit à des craintes renvoyant au risque d’hyperinflation. Bien que les banques centrales n’étaient plus contraintes par le régime métallique, comme cela pouvait être le cas durant la Grande Dépression des années 1930, le risque macroéconomique auquel les banques centrales devaient faire face durant la Grande Récession était celui de la déflation (Eichengreen, 2015). Si de fortes augmentations du bilan des banques centrales ont pu être observées dans l’histoire suite à des chocs exogènes, tels que les conflits armés, d’autres résultent de la politique de la banque centrale visant à contrer le cycle financier engendré de manière endogène par les innovations financières, le développement du système de crédit basé sur les marchés de titres e…