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Article de revue

« Queréis saber, muy noble señora »: jeux de pouvoir dans les prologues de trois traités d'éducation destinés aux femmes

(fin xve- début xvie)

Pages 243 à 255

Notes

  • [1]
    Ainsi, on trouve dans le troisième chapitre de la première partie de l’Avisación la phrase suivante : « era cosa natural y mucho razonable que la muger, que comúnmente, commo tiene flaco el cuerpo, y mucho menor el esfuerço, assí no tiene tan complida discreción, sigua y obedezca el seso y querer del varón, que en todo es más perfecto » (Cécile Codet, édition critique de la « Avisación a la virtuosa y muy noble señora doña María Pacheco », mémoire de master 2, Lyon : ENS de Lyon, 2010, p. 124). De même, dans l’Institutione foeminae christianae, on peut lire : « in conjugio enim, ut in homine, vir est pro animo, mulier pro corpore ; illum imperare, hoc servire oportet, sic victurus est homo » (Juan Luis Vives, Opera omnia, Valence : frères Mayáns, 1782-1790, t. IV, livre 2, chap. 3, p. 190). Enfin, dans le Carro de las donas, livre I, chapitre 5, on lit : « la muger es menor por naturaleza que el hombre varón » (Carmen Clausell Nácher [éd.], Carro de las donas [Valladolid, 1542], estudio preliminar y edición anotada, Bellaterra [Barcelone] : Universitat Autònoma de Barcelona, 2004, t. 2, p. 31).
  • [2]
    Il faut en effet prendre en compte un certain nombre d’incohérences chronologiques : la « Comunera » serait née à Grenade en 1496, c’est-à-dire l’année même où l’Avisación y est imprimée. Or, le texte fait clairement allusion à une femme mariée, et qui a même déjà plusieurs enfants. Par ailleurs, la version originelle du texte est antérieure à cette version imprimée d’au moins dix ans, puisque le titre fait référence au fait que Talavera était alors « prior del monasterio de sancta María de Prado » (Avisación…, éd. citée, p. 117), poste qu’il occupa seulement jusqu’en 1486. La « María Pacheco » pour laquelle ce texte a été écrit n’est donc pas la « Comunera ». En revanche, c’est bien la destinataire de l’Avisación qui faisait partie de la cour d’Isabelle la Catholique, et non sa nièce.
  • [3]
    Cette expression est la traduction littérale des mots employés par Cristina Segura Graíño dans le titre de l’un de ses articles (« Las sabias mujeres de la corte de Isabel la Católica », in : María del Mar Graña Cid (dir.), Las sabias mujeres, educación, saber y autoría, Madrid : Asociación cultural Al-mudayna, 1994, p. 175-188, en particulier p. 175). Si elle identifie, à tort, María Pacheco avec « La Comunera » (voir note précédente), il n’en reste pas moins qu’une femme portant ce nom faisait partie des cercles de courtisans les plus proches d’Isabelle la Catholique, et que cette femme est très certainement la destinataire de l’Avisación, dans la mesure où celle-ci avait le même confesseur que la reine.
  • [4]
    Le titre exact de ce texte est en effet Avisación a la virtuosa y muy noble señora doña María Pacheco, Condessa de Benavente de cómmo se deve cada día ordenar y occupar para que expienda bien su tiempo, hecha a su instançia y petición por el licenciado fray Fernando de talavera, indigno prior del monasterio de sancta María de Prado, y su confessor (éd. citée, p. 117). Le seul manuscrit conservé de cette œuvre se trouve dans la Bibliothèque de l’Escurial (cote b-IV-26), dans un codex qui contient aussi le Tractado provechoso que demuestra cómmo en el vestir y calçar comúnmente se cometen muchos peccados, y aún tanbién en el comer y bever. Il a également été imprimé à Séville en 1496 par Meinardo Ungut et Juan Pegnitzer. Plusieurs exemplaires de cet incunable nous sont parvenus, dont un est conservé à la Biblioteca Nacional de Madrid, sous la cote INC 2489.
  • [5]
    Une remarque de Georges Martin lors du colloque des 20 et 21 octobre 2011 va d’ailleurs dans ce sens : il pense en effet que la construction du prologue répond à la volonté de María Pacheco de s’affirmer comme modèle de vertu, et qu’elle n’aurait donc pas seulement commandé l’opuscule, mais aussi influencé sa rédaction. Il me semble néanmoins qu’il ne faut pas considérer Hernando de Talavera comme un simple exécutant, voire comme l’instrument de l’affirmation du prestige social et moral de sa destinataire, même si la demande de celle-ci n’était certainement pas dénuée d’arrière-pensées.
  • [6]
    Précisons toutefois que le terme prólogo n’apparaît que dans la version manuscrite du texte (qui est celle que j’ai choisie comme base de mon édition critique). En revanche, le texte est présent dans les deux versions (manuscrite et imprimée).
  • [7]
    L’association de l’Avisación avec le Tractado provechoso que demuestra cómmo en el vestir y calçar comúnmente se cometen muchos peccados, y aún tanbién en el comer y bever dans le manuscrit de l’Escurial (b-IV-26) permettrait de corroborer cette hypothèse, dans la mesure où le second texte critique les excès de la cour à Valladolid.
  • [8]
    L’année de publication de l’Institutione, Vives épouse à Bruges (26 mai 1524) la judéoconverse valencienne Margarita Valldaura dont il avait été le précepteur et dont la famille, installée dans les Flandres depuis les premières années du xvie siècle, avait des liens de parenté avec la mère de l’humaniste. On connaît, d’ailleurs, le rôle fondamental joué par Margarita Valldaura comme « secrétaire » de son mari : en raison des problèmes de santé de Vives, c’est elle qui écrivait ses textes sous sa dictée, qui préparait le travail d’impression et de correction d’épreuves, qui sauvait et mettait en forme certains textes et en envoyait d’autres à des amis pour les diffuser. Elle fut une épouse modèle, sans enfants, entièrement dévouée au travail intellectuel de son mari. Voir Espido Freire, « Margarita Valldaura : una gran mujer tras el gran hombre », El Mundo, 416, 2005.
  • [9]
    Le texte exact est : « ad serenissimam dona Catharinam Hispanam, Angliae Reginam », selon l’édition des œuvres complètes de Juan Luis Vives (Juan Luis Vives, Opera omnia, Valence : frères Mayáns, 1782-1790, t. IV, p. 65). Nous suivons le texte latin, tout en nous aidant d’une traduction moderne en anglais : Charles Fantazzi (éd. et trad.), The Education of a Christian Woman, a Sixteenth-Century Manual, Chicago-Londres : The University of Chicago Press (The other voice in early modern Europe), 2000. Ce choix présente un inconvénient : le texte que nous étudions, à savoir la version latine, n’est certainement pas celui qui a été le plus diffusé, et l’étude des éditions du xvie siècle montre au contraire que ce sont les traductions de ce texte dans les différentes langues vernaculaires qui ont été les plus lues. Cependant, ces traductions ne sont jamais exactes, et, pour le sujet qui nous intéresse, il importait de connaître les mots précisément employés par Vives pour s’adresser à la reine. Par ailleurs, l’auteur lui-même a procédé en 1538 à une révision et à une réédition de son œuvre après sa première publication en 1524. C’est cette dernière version qu’utilisent les frères Mayáns.
  • [10]
    C’est là une des modalités fréquentes du prologue selon Antonio Porqueras Mayo. Alors que prologue et dédicace devraient être deux pièces séparées, il arrive que les deux se confondent, donnant lieu à des pièces dont le titre commence par les mots « prologue à », comme c’est le cas ici. Voir Antonio Porqueras Mayo, El prólogo como género literario, su estudio en el Siglo de oro español, Madrid : CSIC, 1957, p. 112.
  • [11]
    C’est justement parce que ce texte a été pensé pour avoir une portée universelle qu’il a été imprimé directement après sa rédaction, alors que l’opuscule de Talavera, rappelons-le, a dû attendre au moins dix ans avant de passer sous presse.
  • [12]
    Comme l’indique Edward V. Georges, « Rhetoric in Vives », in : Antonio Mestre (coord.), Ioannis Lodovici Vivis Valentini, Opera omnia, Valence : Edicions Alfons et Magnànim, 1992, vol. 1, p. 113-175, en particulier p. 123, Vives affirme en effet la nécessaire exemplarité du souverain dans ses Meditationes in septem psalmos.
  • [13]
    Dans la thèse qu’elle a consacrée à l’édition et à l’étude du Carro de las donas, Carmen Clausell Nácher remarque en effet qu’on sait que l’auteur est un franciscain, qu’il a fait partie de la cour d’Adrien d’Utrecht (qu’il aurait même accompagné à Rome), et qu’il a également été le chapelain des souverains portugais. À l’aide de ces quelques indices, elle émet l’hypothèse que le personnage en question pourrait être le confesseur d’Adrien d’Utrecht, qui fut pape sous le nom d’Adrien VI, de janvier 1522 à septembre 1523, et qui, semble-t-il, inspira à l’auteur la traduction de l’œuvre d’Eiximenis. Voir C. Clausell Nácher (éd.), Carro de las donas, éd. citée, t. 1, p. 195-230.
  • [14]
    Il s’agit donc, on l’aura compris, comme dans le cas précédent, d’un prologue-dédicace.
  • [15]
    Il est assez surprenant de constater que, dans cette généalogie, ce ne sont nullement les aïeux de Catherine qui sont évoqués, mais celles qui l’ont précédée sur le trône portugais, comme si la vertu de ces femmes ne dépendait pas de leur propre personnalité mais du trône lui-même, de la royauté qui les transcenderait. On peut voir plusieurs explications à cela. D’une part, on sait qu’à l’époque, par le mariage, la femme quitte symboliquement la famille de son père pour intégrer celle de son époux, qui devient dès lors sa « vraie » famille. D’autre part, si Catherine pouvait se prévaloir d’une grand-mère à la vertu exemplaire (Isabelle la Catholique), le personnage de sa mère (Jeanne la Folle) était plus ambigu, et cela explique peut-être le choix de l’auteur.
  • [16]
    Si cette idée de miroir est, je crois, fondamentale, il ne faut toutefois pas minimiser l’importance politique et économique de cette reine, comme me le firent remarquer, lors du colloque des 20 et 21 octobre 2011, Maria do Rosário Ferreira et Isabel Sofia Calvário Correia. Qu’elles soient remerciées pour leur remarques.
  • [17]
    La publication du Carro intervient en effet au moment où le roi vit encore, et non au moment de la régence, que la reine Catherine exercera de 1557 à 1562.

Introduction

1Les ouvrages destinés à éduquer leurs lecteurs impliquent d’emblée une relation d’autorité, sinon de pouvoir, entre l’auteur et son public, dans la mesure où l’application des conseils donnés nécessite la reconnaissance de leur légitimité et de celle de la personne qui les donne. Cette relation d’autorité est peut-être encore plus sensible dans le cas de manuels destinés aux femmes, puisque ceux-ci reprennent les postulats traditionnels d’une société patriarcale quant à l’infériorité physique, psychique et morale des femmes. Face à elles, l’auteur, presque toujours de sexe masculin, parfois clerc, est reconnu par la société, comme, a priori, par son lectorat, comme une figure d’autorité, compte tenu de sa supériorité psychique, morale (du simple fait de son sexe), mais aussi souvent grâce à son érudition.

2Ce postulat de base est, a priori, applicable aux trois textes qui vont faire l’objet de cette étude : l’Avisación à María Pacheco de Hernando de Talavera (avant 1486), l’Institutione foeminae christianae de Juan Luis Vives (1524, rééditée en 1538) et le Carro de las donas, d’un franciscain anonyme (1542), dans lesquels, d’ailleurs, la supériorité masculine sur le sexe faible ne manque pas d’être rappelée, parfois même avec insistance [1]. On peut donc être surpris par l’écart entre les rapports de pouvoir que suggèrent ces affirmations et ceux que dénotent les prologues des textes en question, qui font apparaître des relations bien plus complexes, et variables d’un auteur à l’autre. Un point commun, pourtant, peut être souligné : ces trois prologues mettent tous en présence un auteur doté d’une autorité morale et une femme qui, par sa noblesse ou son trône, ainsi que par ses moyens économiques, détient une certaine forme de pouvoir. Le prologue va donc être le lieu d’un va-et-vient, d’une tension constante entre différents pouvoirs, celui de l’auteur comme pédagogue, celui de la dédicataire du prologue comme détentrice de moyens politiques et financiers, le tout devant les yeux d’une troisième entité : le lectorat, sur lequel il s’agit également pour l’auteur d’établir son autorité.

3Nous nous interrogerons donc sur les enjeux qui commandent la mise en place de stratégies variées, ainsi que sur les rapports d’autorité qui apparaissent dans ces textes, et sur la représentation qui nous est donnée des figures de pouvoir potentielles et concurrentes que sont l’auteur et sa destinataire.

4Nous le ferons en respectant l’ordre chronologique d’apparition des textes, et verrons en quoi le prologue de l’Avisación vise à établir l’autorité de l’auteur de façon incontestable, notamment en humiliant sa destinataire. Ce n’est pas la voie qu’emprunte Vives, qui exalte au contraire sa destinataire pour mieux diviser son lectorat, et ainsi établir plus facilement son empire. Cette exaltation est portée à son comble par l’auteur du Carro, qui semble s’humilier devant la femme à laquelle il s’adresse, une humilité lourde néanmoins de multiples ambiguïtés.

Stratégie de l’humiliation dans le prologue à l’Avisación de Talavera

5On l’a vu, l’infériorité supposée du sexe faible concernait à la fois la force physique, mais aussi les facultés psychiques et la moralité. C’est à cette dernière faiblesse que choisit de s’attaquer Hernando de Talavera en s’adressant à María Pacheco : en tant que femme, mais aussi en tant qu’épouse et en tant que noble, elle est forcément encline au péché. C’est donc la figure d’une femme pécheresse que dessine l’auteur, tandis qu’il devient, lui, le précepteur dont les conseils indispensables permettront à son public de suivre le chemin ardu de la vertu.

Le hiéronymite face à la « muy noble señora »

6Hernando de Talavera, moine hiéronymite âgé d’une cinquantaine d’années à l’époque de l’écriture du traité, avait forgé sa vision des femmes lors de son parcours universitaire et par le biais de ses lectures conventuelles : son esprit était donc tout à fait imprégné des théories d’Aristote, mais aussi de celles des Pères de l’Église, dont il cite les écrits tout au long de son traité.

7Face à lui, une femme : María Pacheco. Si elle ne doit pas être confondue avec son homonyme surnommée La Comunera[2], qui n’est autre que sa nièce, cette femme n’en tient pas moins une place importante dans la société de son temps : membre par le sang et par mariage de deux des plus grandes familles du moment (Pacheco et Benavente), c’est une fidèle de la reine qu’elle accompagne à l’occasion dans ses déplacements, mais c’est aussi une femme habituée à régenter le domaine qu’elle possède avec son mari, et elle est enfin considérée comme une femme savante[3].

8Femme savante, femme de cour et femme indépendante dans la gestion de son domaine : trois caractéristiques qui s’accordaient sans doute difficilement avec ce qu’Hernando de Talavera avait appris des femmes, et qui semblaient défier l’autorité masculine. María Pacheco, cependant, paraît faire amende honorable, et reconnaître à la fois ses défauts et l’autorité de Talavera, puisque c’est elle-même qui a demandé la rédaction de l’Avisación, qui est dite « hecha a su instancia y petición » [4]. Cependant, est-ce parce qu’il soupçonne qu’une telle démarche est guidée par un effet de « mode » ou par l’envie de renvoyer d’elle une image vertueuse [5] ? Est-ce parce qu’il ressent le besoin d’affirmer plus fermement une domination qu’il sent malgré tout menacée ? Le fait est que l’auteur va sans cesse insister, dans son prologue, sur les faiblesses de sa destinataire et sur ses profondes imperfections.

Un prologue en forme de réquisitoire

9Il convient de souligner combien cette première étape était cruciale pour l’auteur : en effet, il nomme prologue[6] l’ensemble de la première partie de son opuscule qui en compte trois, ce qui représente cinq chapitres sur quatorze et pas moins de treize folios sur vingt-sept. Si les épithètes que Talavera utilise pour s’adresser à María Pacheco restent fort aimables (« muy noble señora » étant le plus fréquent), et s’il fait quelques allusions laudatives à ses bonnes dispositions telles que « la buena tierra de vuestra noble ánima » (éd. citée, chap. 1, p. 118) ou encore « vuestra muy noble devoción » (loc. cit.), il va s’employer à faire porter ses attaques sur tout ce qui pouvait être pour María Pacheco un objet de fierté, à commencer par son statut de noble : le deuxième chapitre de ce prologue est entièrement consacré à une critique des frasques de la noblesse, qui perd son temps en sorties nocturnes et dont la morale est largement corrompue : « ¿O, quién pudiesse dezir, y por menudo escrivir quántos y quántos peccados y males se cometen a esta causa en los palacios y casas de muchos grandes? » (p. 123). Dès lors, l’adjectif noble que Talavera emploie sans cesse pour qualifier sa pénitente prend un autre sens, et, d’aimable, devient accusateur.

10Le troisième chapitre, quant à lui, accentue le trait en faisant cette fois de la condition d’épouse un obstacle à l’application d’une vie vertueuse. Cependant, si le mariage est vu comme une contrainte dans la mesure où la femme est soumise à la volonté de son mari et ne pourra pas, par exemple, exercer la charité comme elle l’entend, c’est avant tout la faiblesse intrinsèque du sexe féminin qui est soulignée :

11

Era cosa natural y mucho razonable que la muger que, comúnmente, commo tiene flaco el cuerpo, y mucho menor el esfuerço, assí no tiene tan complida la discreción, sigua y obedezca el seso y querer del varón, que en todo es más perfecto.
(p. 124)

12Enfin, le réquisitoire est parachevé dans le quatrième chapitre de ce prologue, puisque Talavera considère comme peccamineux le désir de savoir, qui a conduit María Pacheco à commander la rédaction de cet opuscule, compte tenu du fait qu’elle souhaiterait connaître ce qu’elle ne peut mettre en œuvre. Cette ultime attaque prend tout son sens si l’on se souvient que María Pacheco gravitait au sein des cercles cultivés qui entouraient Isabelle la Catholique : c’est cette prétention féminine au savoir que Talavera veut ici rabattre. Dans ce même but, il ne cesse, dans ce traité, de déployer une érudition qui concerne autant l’astronomie que l’Écriture sainte, en passant par la philosophie, le droit et l’histoire. Ainsi, l’affirmation de son autorité passe aussi par celle de son savoir.

13La stratégie déployée dans ce prologue paraît donc relativement simple : face à une lectrice potentiellement rebelle à son autorité du fait de son pouvoir économique et politique, l’auteur sape tous les fondements de ce pouvoir et en démontre la vanité. María Pacheco, humiliée, et à travers elle toutes les lectrices qui partagent sa condition, est prête à recevoir sans sourciller les enseignements qui vont couler de la plume de son confesseur.

Un plaidoyer pour un certain ordre social

14Au-delà des mots adressés à María Pacheco en particulier, il faut en effet replacer ce texte dans une perspective plus large : celle de sa diffusion au sein de la cour de Castille et, ensuite, dans tout le royaume. En effet, ce texte s’est sans doute rapidement diffusé au sein de la cour dont Isabelle la Catholique s’employait à réformer les mœurs. Dès lors, la critique envers le comportement amoral de certains nobles prend une autre dimension : c’est bien la noblesse dans son ensemble qu’il s’agit de remettre dans le droit chemin, en lui faisant abandonner les pratiques somptuaires et festives auxquelles elle s’était abandonnée sous Henri IV [7]. La véhémence de Talavera trouve peut-être ici sa justification : il s’agit de légitimer l’intervention des tenants d’une réforme morale.

15De même, le prologue de l’Avisación peut être compris comme la réaffirmation de l’autorité masculine sur le sexe faible, à une époque où, compte tenu de l’importance prise à la cour par certaines femmes cultivées ou appartenant à de grands lignages, on pouvait craindre une « prise de pouvoir » des femmes.

16Enfin, n’oublions pas que ce texte fut diffusé, sans modification notable quant au contenu doctrinal, dans toute la ville de Grenade, et dans tout le royaume de Castille. Ce n’est donc plus seulement l’autorité d’un confesseur sur sa pénitente ou sur un groupe de personnes particulier qu’il s’agit d’affirmer, mais celle d’un prélat sur la communauté dont il a la charge, d’autant plus qu’il est nouvellement arrivé à sa tête et qu’elle est en majorité composée de nouveaux chrétiens. En outre, le chapitre sur le mariage, qui définit la domination que le mari doit exercer sur l’épouse, prend alors une valeur presque didactique, qu’il avait moins dans une société où le mariage chrétien était entré dans les mœurs.

17Talavera, confesseur d’Isabelle la Catholique, se savait investi par elle d’une autorité morale qui en faisait l’un des principaux guides de la réforme des mœurs qu’elle envisageait. Le prologue de l’Avisación vise à affirmer cette autorité aux yeux du grand public, que Talavera entend soumettre à ses directives. Quarante ans plus tard et dans un contexte différent, bien qu’il visât des buts semblables, Vives n’opta pas pour la même stratégie.

Diviser pour mieux régner dans le prologue de l’Institutione foeminae christianae de Juan Luis Vives

Le pédagogue et la princesse

18Vives est, on le sait, un des grands esprits de l’humanisme européen du xvie siècle. Par ailleurs, il n’est pas un clerc : bien que ses connaissances en matière d’Écriture sainte ne sauraient être remises en doute, il n’est pas, par sa fonction, éloigné des femmes et du monde [8]. De même, c’est en tant que pédagogue et non en tant que confesseur qu’il s’adresse à son public : il n’attend donc pas de lui qu’il ait des fautes à se faire pardonner, mais qu’il se forme. Cependant – et le contenu de son traité le démontre assez –, il est tout aussi pénétré que Talavera des théories religieuses, philosophiques et médicales visant à affirmer la faiblesse des femmes.

19Face à lui, la destinataire de son texte (du moins celle qui en a motivé l’écriture) n’est autre que la princesse Marie, la future reine Marie Tudor, fille de Catherine d’Aragon, et donc petite-fille d’Isabelle la Catholique. Ce n’est d’ailleurs pas à Marie que Vives s’adresse dans son prologue, mais à sa mère, la « sérénissime » reine d’Angleterre [9], sous la forme d’un prologue-dédicace [10]. Celle-ci connaissait le latin, et avait sans doute la culture suffisante pour apprécier pleinement la prose de celui qui, en plus d’être son compatriote, devint un de ses plus proches et plus fidèles conseillers, au point que le soutien qu’il lui apporta lors de son divorce lui valut la disgrâce d’Henri VIII d’Angleterre.

20Cependant, si Marie Tudor est la première destinataire du texte, elle n’en a jamais été la seule, et cela est manifeste dès le prologue, où Vives évoque le lectorat féminin dans son ensemble [11]. Cette présence explicite, et non plus implicite, de l’ensemble des femmes lectrices derrière la destinataire du prologue conditionne directement la stratégie adoptée par Vives, qui développe des attitudes distinctes quand il s’adresse à la reine et quand il évoque ses autres lectrices.

La reine Catherine : mise en scène d’une admiration complice

21La première chose qui frappe les yeux et l’esprit du lecteur qui entame le prologue de l’Institutione foeminae christianae est le fait que Vives emploie le tutoiement latin pour s’adresser à la reine : « Movit me sanctitas morum tuorum » (éd. citée, p. 65). Certes, il pouvait difficilement en être autrement à la suite des choix linguistiques et culturels de l’auteur, il n’en reste pas moins que l’effet produit est celui d’une complicité entre la souveraine et celui qu’elle a choisi pour être le pédagogue de sa fille. De cette façon, Vives ne cherche pas à imposer son autorité à celle à qui il adresse son prologue : il cherche au contraire à s’en faire une complice pour mieux asseoir sa domination morale sur l’ensemble des lectrices.

22Cette complicité, de plus, ne va pas sans une série de paragraphes flatteurs qui font de Catherine un modèle de vertu. Vives vante en effet la sainteté de sa vie (« sanctitas morum tuorum », éd. citée, p. 65) mais aussi son zèle dans l’étude des choses saintes (« animi tui ardor in sacra studia », loc. cit.). Ces deux points, qui sont soulignés dès la première ligne, sont particulièrement intéressants au sens où ils correspondent à ceux que Talavera évoquait lui-même dans son texte : alors que les deux femmes ont fréquenté la même cour et le même milieu (quoiqu’elles n’eussent pas le même âge), l’une aurait des coutumes fort dépravées et l’autre des coutumes proches de celles d’une sainte. De même, le même désir de savoir est vu comme peccamineux par un auteur, et comme exemplaire par l’autre : construction de mots guidée davantage par la volonté de produire certains effets sur le lecteur que par celle de refléter une quelconque réalité, le prologue se révèle ici dans toute sa dimension stratégique et manipulatrice. Si Talavera opte pour la critique cinglante afin de mieux établir son autorité sur sa pénitente, Vives cherche au contraire à faire de Catherine un modèle de vertu, et, parallèlement, respecte les usages sociaux et les rapports de pouvoir qu’ils transcrivent, dans la mesure où il se montre respectueux envers sa souveraine.

23Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette stratégie n’est en rien implicite, comme le montre le dernier paragraphe du texte :

24

Habebunt igitur feminae omnes, ut per vitam et actiones tuas exemplum, sic per hoc tibi dedicarum opus praecepta et rationem vivendi : utrunque debebunt probitati tuae, qua et tu sic vixisti, cet ego ad scribendum impulsus sum.
(ibid. p. 69)

25L’ensemble des lectrices est donc invité à imiter la reine, dont l’Institutione de Vives se présente comme un portrait, ainsi que lui-même l’affirme un peu plus haut dans le même prologue.

Vives face à l’ensemble de son lectorat : diviser pour mieux régner

26On le voit, une première division apparaît dans le public féminin entre la reine et les autres personnes de son sexe : Catherine devient ainsi presque une nouvelle Vierge, ou tout simplement l’incarnation du souverain exemplaire, digne d’être imité en tout par son peuple, tel que le souhaitaient Vives [12] et de nombreux théoriciens politiques. Cependant, cette fracture initiale n’est pas la seule, et l’auteur opère, dès son prologue, une scission entre deux groupes de femmes : les femmes vertueuses et les pécheresses. Voici comment il qualifie chacun des groupes : « puellis stultis, vanis, insulsis, quae spectari, quae adamari gaudent, et approbari sua vitia cuperent multitudine peccantium » (ibid., p. 67) et « Stabunt a nobis graves et cordati viri, castae virgines, probae matronae, prudentes viduae, omnes denique qui vere et ex animo sunt Christiani, non solo nomine » (ibid., p. 68). En opérant cette division, Vives s’assure l’adhésion de son public. Qui, en effet, aimerait être classé dans la première catégorie ? Or, l’appartenance à la deuxième implique avant tout que l’on accepte les principes qu’il propose, et donc son autorité. Par ailleurs, il n’hésite pas à définir explicitement deux pédagogies (et donc deux formes d’autorité) bien différentes pour ces deux groupes de femmes :

27

Sanctas feminas leviter tantum officii sui admonui ; ceteras interdum paulo castigavi acrius, quod viderem documenta sola parum proficere in iis quae ducenti reluctantur et invitae fere trahendae sunt quo oportet.
(ibid., p. 68)

28Il prétend donc traiter les saintes femmes avec douceur, tandis qu’il contraindra les autres à lui obéir presque contre leur gré.

29En somme, la stratégie que Vives adopte repose sur une hiérarchie des vertus : tout en haut se tient Catherine, au milieu les femmes chastes, et, tout en bas, les pécheresses. En établissant cette échelle, il incite le premier échelon, par les flatteries qu’il lui dispense, à poursuivre dans le droit chemin, tandis que le deuxième est poussé à la fois à monter d’un cran et à éviter de tomber par le vocabulaire flatteur qu’il utilise, mais aussi par le mépris qu’il montre envers le troisième échelon, qui, lui, ne peut que souhaiter progresser pour échapper aux qualificatifs sévères que l’auteur lui réserve. Par un procédé que l’on pourrait presque qualifier de manipulation, Vives s’assure, dès le prologue, l’adhésion de l’ensemble du public féminin et sa soumission à ses directives.

30S’il reconnaît le prestige de sa souveraine, Vives ne renie donc rien de son autorité. L’auteur du Carro de las donas, lui, n’a de cesse d’affirmer son insignifiance, sa médiocrité, tant par rapport à la souveraine à laquelle il s’adresse que face à l’ensemble de ses lecteurs. Comment, dans ces conditions, établir son autorité en tant que pédagogue ?

L’humilité calculée dans le prologue au Carro de las donas

Le franciscain face à son mécène

31Il convient tout d’abord de souligner une particularité du texte : il ne s’agit pas d’une œuvre entièrement originale, mais d’une traduction du Llibre de les dones de Francesc Eiximenis (1391), à laquelle l’auteur anonyme du Carro a ajouté de multiples passages sortis tout droit de sa plume. Ces additions lui ont paru suffisamment importantes pour qu’il change le titre de son œuvre, la différenciant ainsi du Libro de las donas, traduction plus fidèle de l’œuvre d’Eiximenis qui circulait déjà en Castille depuis de nombreuses années. Cette posture de traducteur, d’auteur secondaire, peut peut-être expliquer en partie l’humilité démontrée dans le prologue par un auteur dont on sait finalement peu de choses [13]. Dans le prologue, deux éléments apparaissent : d’une part, nous apprenons qu’il est « fraile menor y pobre sacerdote sin merecimiento » (éd. citée, t. 2, p. 12), c’est-à-dire franciscain, et qu’il est le chapelain de celle à qui il s’adresse (« el vuestro verdadero capellán », ibid., t. 2, p. 8).

32Celle-ci n’est autre que la nièce de Catherine d’Aragon et la cousine de Marie Tudor, c’est-à-dire la fille de Jeanne la Folle et de Philippe le Beau, qui devint, en 1523, reine du Portugal en épousant Jean III le Pieux, second fils de Manuel Ier. Cependant, dans ce texte, la reine n’importe pas tant par son pouvoir politique que, comme nous allons le voir, par son pouvoir économique. Elle est en effet un mécène, dont l’auteur cherche à obtenir le soutien (ce dont, d’ailleurs, il ne se cache pas), et, dès lors, les flatteries et les démonstrations de soumission qu’il adresse à la souveraine sont d’autant plus enthousiastes qu’elles sont intéressées. Si la relation de pouvoir semble inversée par rapport au premier texte, l’auteur se soumettant (du moins dans le discours) à sa destinataire, cette soumission n’est que stratégique.

Une humilité intéressée

33L’auteur, donc, déploie avec insistance tout un arsenal de superlatifs à l’intention de la souveraine à laquelle il s’adresse, et ce, dès le titre : « a la christianíssima, muy alta y muy poderosa señora doña Catherina, reyna de Portugal, señora nuestra » [14] (ibid., t. 2, p. 1). Dans aucun des deux autres textes que nous venons d’étudier on ne retrouve une telle somme d’adjectifs laudatifs, parmi lesquels « christianíssima » est celui qui revient le plus souvent sous la plume de l’auteur, ce qui n’est peut-être pas innocent dans un contexte où la peur de l’hérésie s’est installée dans l’Europe chrétienne. La reine est donc proprement magnifiée, comme le prouve également l’énumération des reines du Portugal qui l’ont précédée, chacune avec ses mérites respectifs, le tout formant une chaîne de vertus dont Catherine est le dernier maillon [15].

34À cet encensement de la figure royale correspond l’humiliation de l’auteur, qui passe par l’argument traditionnel selon lequel il n’est pas digne de la tâche qu’il se propose (louer les mérites de Catherine), et par toute une série d’adjectifs dépréciatifs (« el menor », ibid., t. 2, p. 2 et 11, « indigno », p. 10 et 11, etc.) qu’il utilise pour caractériser sa propre personne, sacrifiant ainsi pleinement au topos de la modestia auctoris. Cependant, l’humilité de notre auteur n’est jamais aussi accusée que quand il en vient au fait :

35

yo, como verdadero orador e indigno capellán de vuestra real alteza, con el devido acatamiento, humilmente me inclino a suplicalle resciba aqueste devoto libro en servicio […]. Y entre otros servicios que vuestra real alteza ha hecho a Dios, haga éste, que le mande imprimir.
(ibid., t. 2, p. 10)

36Cette demande, que l’auteur réitère à la fin de son prologue, sans doute dans un souci d’efficacité, donne donc une autre coloration à la démarche qu’il a mise en place, et fait de ses louanges et de ses manifestations d’humilité les éléments d’une stratégie visant à obtenir de la reine qu’elle réponde à une sollicitation.

37Cette notion de mécénat était absente de la relation entre Talavera et María Pacheco, et, même si Vives écrivait son Institutione à la demande de la reine Catherine, il ne faisait pas appel à son intervention pour faciliter la publication de son œuvre. Si cette fonction de mécène que la reine peut exercer lui donne un certain pouvoir, on peut aussi voir dans cette démarche une façon de chercher à maintenir des prérogatives qu’elle pouvait perdre dans d’autres domaines.

38Cependant, au-delà de cette visée immédiate (à savoir, obtenir de la reine qu’elle réponde à une de ses demandes, et donc, d’une certaine manière, obtenir son obéissance), les louanges qu’il lui adresse ont, selon moi, un autre but.

Un modèle à imiter

39On peut être surpris, en lisant les premières pages du Carro de las donas, par le fait que le second prologue rédigé par notre franciscain anonyme ne s’adresse pas a las lectoras, mais, « a los lectores ». Faut-il y voir un substantif neutre, permettant de s’adresser aux deux sexes, ou simplement un substantif masculin, auquel cas la femme à éduquer ne serait qu’un objet entre les mains de l’auteur et des hommes chargés de son éducation (manifestation ultime de l’absence de pouvoir du genre féminin) et non un sujet capable de s’éduquer elle-même par la lecture d’un livre ? Il est en tout cas manifeste que l’auteur avait conscience de tout le public qu’il pouvait toucher, et écrivait aussi en fonction de lui, et pas seulement en fonction de ce qu’il voulait obtenir de la reine.

40Cette considération me conduit à formuler une hypothèse. En effet, il me semble que, par-delà l’aide de la reine, ce que l’auteur vise en dessinant d’elle un portrait laudatif est la formation d’une image idéale destinée aux autres femmes. La reine, donc, est tellement magnifiée qu’elle n’est plus réelle, mais devient une allégorie de toutes les vertus, et, dès lors, au lieu que le prestige de la femme soit reconnu et qu’elle exerce un certain pouvoir par sa fonction de mécène, elle devient un outil que l’on manipule pour arriver à une fin dont elle n’est plus qu’un moyen : éduquer les femmes. Dans ce livre qui se veut un miroir, elle n’est qu’un reflet que les lectrices doivent incarner [16].

Conclusion

41On l’a vu, dans chacun des trois prologues que nous avons étudiés, l’auteur doit répondre à plusieurs objectifs. S’il cherche fondamentalement à établir son autorité sur son lectorat en faisant reconnaître sa légitimité de pédagogue, il poursuit également d’autres fins, qu’elles soient pratiques (obtenir des subsides pour la publication de son œuvre) ou idéologiques (imposer son autorité à la cour, faire de la femme à qui il s’adresse un modèle pour ses lectrices, etc.). Le choix de l’une ou l’autre stratégie pour atteindre ces buts implique la mise en scène de rapports de pouvoir qui peuvent être très divers.

42Ainsi, chaque texte produit une image de la femme dans ses relations avec l’auteur, et du pouvoir que l’un exerce ou est en droit d’exercer sur l’autre. Or, si l’on s’en tient à ces images, Catherine de Portugal exercerait un empire bien plus grand que María Pacheco. Il me semble au contraire que ce changement d’image est, précisément, révélateur de l’évolution inverse : la violence avec laquelle Talavera cherche à restreindre le pouvoir potentiel d’une noble dame est symptomatique d’un moment où ce pouvoir peut devenir menaçant, alors que l’auteur du Carro de las donas ne prend plus de risques en exaltant le pouvoir d’une souveraine au moment où celle-ci, en tant que reine consort, voit ses prérogatives se réduire [17].


Date de mise en ligne : 04/09/2014.

https://doi.org/10.3917/cehm.035.0243

Notes

  • [1]
    Ainsi, on trouve dans le troisième chapitre de la première partie de l’Avisación la phrase suivante : « era cosa natural y mucho razonable que la muger, que comúnmente, commo tiene flaco el cuerpo, y mucho menor el esfuerço, assí no tiene tan complida discreción, sigua y obedezca el seso y querer del varón, que en todo es más perfecto » (Cécile Codet, édition critique de la « Avisación a la virtuosa y muy noble señora doña María Pacheco », mémoire de master 2, Lyon : ENS de Lyon, 2010, p. 124). De même, dans l’Institutione foeminae christianae, on peut lire : « in conjugio enim, ut in homine, vir est pro animo, mulier pro corpore ; illum imperare, hoc servire oportet, sic victurus est homo » (Juan Luis Vives, Opera omnia, Valence : frères Mayáns, 1782-1790, t. IV, livre 2, chap. 3, p. 190). Enfin, dans le Carro de las donas, livre I, chapitre 5, on lit : « la muger es menor por naturaleza que el hombre varón » (Carmen Clausell Nácher [éd.], Carro de las donas [Valladolid, 1542], estudio preliminar y edición anotada, Bellaterra [Barcelone] : Universitat Autònoma de Barcelona, 2004, t. 2, p. 31).
  • [2]
    Il faut en effet prendre en compte un certain nombre d’incohérences chronologiques : la « Comunera » serait née à Grenade en 1496, c’est-à-dire l’année même où l’Avisación y est imprimée. Or, le texte fait clairement allusion à une femme mariée, et qui a même déjà plusieurs enfants. Par ailleurs, la version originelle du texte est antérieure à cette version imprimée d’au moins dix ans, puisque le titre fait référence au fait que Talavera était alors « prior del monasterio de sancta María de Prado » (Avisación…, éd. citée, p. 117), poste qu’il occupa seulement jusqu’en 1486. La « María Pacheco » pour laquelle ce texte a été écrit n’est donc pas la « Comunera ». En revanche, c’est bien la destinataire de l’Avisación qui faisait partie de la cour d’Isabelle la Catholique, et non sa nièce.
  • [3]
    Cette expression est la traduction littérale des mots employés par Cristina Segura Graíño dans le titre de l’un de ses articles (« Las sabias mujeres de la corte de Isabel la Católica », in : María del Mar Graña Cid (dir.), Las sabias mujeres, educación, saber y autoría, Madrid : Asociación cultural Al-mudayna, 1994, p. 175-188, en particulier p. 175). Si elle identifie, à tort, María Pacheco avec « La Comunera » (voir note précédente), il n’en reste pas moins qu’une femme portant ce nom faisait partie des cercles de courtisans les plus proches d’Isabelle la Catholique, et que cette femme est très certainement la destinataire de l’Avisación, dans la mesure où celle-ci avait le même confesseur que la reine.
  • [4]
    Le titre exact de ce texte est en effet Avisación a la virtuosa y muy noble señora doña María Pacheco, Condessa de Benavente de cómmo se deve cada día ordenar y occupar para que expienda bien su tiempo, hecha a su instançia y petición por el licenciado fray Fernando de talavera, indigno prior del monasterio de sancta María de Prado, y su confessor (éd. citée, p. 117). Le seul manuscrit conservé de cette œuvre se trouve dans la Bibliothèque de l’Escurial (cote b-IV-26), dans un codex qui contient aussi le Tractado provechoso que demuestra cómmo en el vestir y calçar comúnmente se cometen muchos peccados, y aún tanbién en el comer y bever. Il a également été imprimé à Séville en 1496 par Meinardo Ungut et Juan Pegnitzer. Plusieurs exemplaires de cet incunable nous sont parvenus, dont un est conservé à la Biblioteca Nacional de Madrid, sous la cote INC 2489.
  • [5]
    Une remarque de Georges Martin lors du colloque des 20 et 21 octobre 2011 va d’ailleurs dans ce sens : il pense en effet que la construction du prologue répond à la volonté de María Pacheco de s’affirmer comme modèle de vertu, et qu’elle n’aurait donc pas seulement commandé l’opuscule, mais aussi influencé sa rédaction. Il me semble néanmoins qu’il ne faut pas considérer Hernando de Talavera comme un simple exécutant, voire comme l’instrument de l’affirmation du prestige social et moral de sa destinataire, même si la demande de celle-ci n’était certainement pas dénuée d’arrière-pensées.
  • [6]
    Précisons toutefois que le terme prólogo n’apparaît que dans la version manuscrite du texte (qui est celle que j’ai choisie comme base de mon édition critique). En revanche, le texte est présent dans les deux versions (manuscrite et imprimée).
  • [7]
    L’association de l’Avisación avec le Tractado provechoso que demuestra cómmo en el vestir y calçar comúnmente se cometen muchos peccados, y aún tanbién en el comer y bever dans le manuscrit de l’Escurial (b-IV-26) permettrait de corroborer cette hypothèse, dans la mesure où le second texte critique les excès de la cour à Valladolid.
  • [8]
    L’année de publication de l’Institutione, Vives épouse à Bruges (26 mai 1524) la judéoconverse valencienne Margarita Valldaura dont il avait été le précepteur et dont la famille, installée dans les Flandres depuis les premières années du xvie siècle, avait des liens de parenté avec la mère de l’humaniste. On connaît, d’ailleurs, le rôle fondamental joué par Margarita Valldaura comme « secrétaire » de son mari : en raison des problèmes de santé de Vives, c’est elle qui écrivait ses textes sous sa dictée, qui préparait le travail d’impression et de correction d’épreuves, qui sauvait et mettait en forme certains textes et en envoyait d’autres à des amis pour les diffuser. Elle fut une épouse modèle, sans enfants, entièrement dévouée au travail intellectuel de son mari. Voir Espido Freire, « Margarita Valldaura : una gran mujer tras el gran hombre », El Mundo, 416, 2005.
  • [9]
    Le texte exact est : « ad serenissimam dona Catharinam Hispanam, Angliae Reginam », selon l’édition des œuvres complètes de Juan Luis Vives (Juan Luis Vives, Opera omnia, Valence : frères Mayáns, 1782-1790, t. IV, p. 65). Nous suivons le texte latin, tout en nous aidant d’une traduction moderne en anglais : Charles Fantazzi (éd. et trad.), The Education of a Christian Woman, a Sixteenth-Century Manual, Chicago-Londres : The University of Chicago Press (The other voice in early modern Europe), 2000. Ce choix présente un inconvénient : le texte que nous étudions, à savoir la version latine, n’est certainement pas celui qui a été le plus diffusé, et l’étude des éditions du xvie siècle montre au contraire que ce sont les traductions de ce texte dans les différentes langues vernaculaires qui ont été les plus lues. Cependant, ces traductions ne sont jamais exactes, et, pour le sujet qui nous intéresse, il importait de connaître les mots précisément employés par Vives pour s’adresser à la reine. Par ailleurs, l’auteur lui-même a procédé en 1538 à une révision et à une réédition de son œuvre après sa première publication en 1524. C’est cette dernière version qu’utilisent les frères Mayáns.
  • [10]
    C’est là une des modalités fréquentes du prologue selon Antonio Porqueras Mayo. Alors que prologue et dédicace devraient être deux pièces séparées, il arrive que les deux se confondent, donnant lieu à des pièces dont le titre commence par les mots « prologue à », comme c’est le cas ici. Voir Antonio Porqueras Mayo, El prólogo como género literario, su estudio en el Siglo de oro español, Madrid : CSIC, 1957, p. 112.
  • [11]
    C’est justement parce que ce texte a été pensé pour avoir une portée universelle qu’il a été imprimé directement après sa rédaction, alors que l’opuscule de Talavera, rappelons-le, a dû attendre au moins dix ans avant de passer sous presse.
  • [12]
    Comme l’indique Edward V. Georges, « Rhetoric in Vives », in : Antonio Mestre (coord.), Ioannis Lodovici Vivis Valentini, Opera omnia, Valence : Edicions Alfons et Magnànim, 1992, vol. 1, p. 113-175, en particulier p. 123, Vives affirme en effet la nécessaire exemplarité du souverain dans ses Meditationes in septem psalmos.
  • [13]
    Dans la thèse qu’elle a consacrée à l’édition et à l’étude du Carro de las donas, Carmen Clausell Nácher remarque en effet qu’on sait que l’auteur est un franciscain, qu’il a fait partie de la cour d’Adrien d’Utrecht (qu’il aurait même accompagné à Rome), et qu’il a également été le chapelain des souverains portugais. À l’aide de ces quelques indices, elle émet l’hypothèse que le personnage en question pourrait être le confesseur d’Adrien d’Utrecht, qui fut pape sous le nom d’Adrien VI, de janvier 1522 à septembre 1523, et qui, semble-t-il, inspira à l’auteur la traduction de l’œuvre d’Eiximenis. Voir C. Clausell Nácher (éd.), Carro de las donas, éd. citée, t. 1, p. 195-230.
  • [14]
    Il s’agit donc, on l’aura compris, comme dans le cas précédent, d’un prologue-dédicace.
  • [15]
    Il est assez surprenant de constater que, dans cette généalogie, ce ne sont nullement les aïeux de Catherine qui sont évoqués, mais celles qui l’ont précédée sur le trône portugais, comme si la vertu de ces femmes ne dépendait pas de leur propre personnalité mais du trône lui-même, de la royauté qui les transcenderait. On peut voir plusieurs explications à cela. D’une part, on sait qu’à l’époque, par le mariage, la femme quitte symboliquement la famille de son père pour intégrer celle de son époux, qui devient dès lors sa « vraie » famille. D’autre part, si Catherine pouvait se prévaloir d’une grand-mère à la vertu exemplaire (Isabelle la Catholique), le personnage de sa mère (Jeanne la Folle) était plus ambigu, et cela explique peut-être le choix de l’auteur.
  • [16]
    Si cette idée de miroir est, je crois, fondamentale, il ne faut toutefois pas minimiser l’importance politique et économique de cette reine, comme me le firent remarquer, lors du colloque des 20 et 21 octobre 2011, Maria do Rosário Ferreira et Isabel Sofia Calvário Correia. Qu’elles soient remerciées pour leur remarques.
  • [17]
    La publication du Carro intervient en effet au moment où le roi vit encore, et non au moment de la régence, que la reine Catherine exercera de 1557 à 1562.
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