Notes
-
[1]
Le président proposait d’interdire les répudiations orales, effectuées en dehors de la présence d’un notaire (ma’dhun). Voir Ceremony Marking Police Day, 24 janvier 2017, <https://www.youtube.com/watch?v=MN3O8nTK50c> (consulté le 31 mars 2020).
-
[2]
Dar al-Ifta’, communiqué de presse, 2 février 2017, <http://www.dar-alifta.gov.eg/ar/Viewstatement.aspx?sec=media&ID=4772> (consulté le 31 mars 2020).
-
[3]
Loi n° 25 de 1920 relative aux pensions alimentaires et à certaines autres questions se rattachant au statut personnel. Ce texte a été modifié par la loi n° 100 de 1985 modifiant certaines dispositions de la loi sur le statut personnel.
-
[4]
Loi n° 25 de 1929 relative à certaines questions se rattachant au statut personnel. Ce texte a lui aussi été modifié par la loi n° 100 de 1985 modifiant certaines dispositions de la loi sur le statut personnel.
-
[5]
Pour une étude du contexte de l’adoption de ces deux textes et de l’influence du mouvement réformiste, en particulier du cheikh Maraghi, voir Costet-Tardieu (2009).
-
[6]
Le législateur affirme ainsi, dans la note introductive de la loi de 1929, s’être appuyé sur la doctrine malékite pour introduire le divorce à l’initiative de la femme ou sur l’école chaféite pour fixer, d’après la seule condition du mari, le montant de la pension due à la femme.
-
[7]
C’est ainsi que, dès 1923, les tribunaux ont reçu l’ordre de refuser d’examiner des litiges relatifs à des mariages précoces ou non enregistrés. Si, juridiquement, le contrat de mariage était considéré comme valablement formé, l’État déclinait toutefois sa responsabilité pour trancher les litiges qui pouvaient en découler.
-
[8]
Le mouvement féministe égyptien est considéré comme pionnier dans le monde arabe. Dès les années 1920, des femmes éduquées des classes supérieures de la société lièrent libération nationale et libération de la femme (Badran 1991, 1993). Sous Nasser, le mouvement souffrit des restrictions imposées par l’État à la constitution d’associations autonomes de la société civile, avant de retrouver une nouvelle vigueur sous Sadate, à condition toutefois de ne pas heurter les mouvements fondamentalistes. À partir de Moubarak sont apparus des mouvements féministes islamistes, à côté des mouvements féministes libéraux et séculiers (El Ali 2000). Voir aussi Karam (1998) et Mayeur-Jaouen (2013).
-
[9]
L’ijtihad avait déjà été recommandé par les penseurs réformistes au xixe siècle, comme Mohammed Abduh, qui préconisaient une « réouverture des portes de l’ijtihad » pour sortir de l’imitation (taqlid) qui aurait entraîné une stagnation puis le déclin des sociétés musulmanes (Botiveau 1990 ; Costet-Tardieu 2009).
-
[10]
Loi n° 1 de 2000 organisant certaines formes et procédures du contentieux relatif au statut personnel.
-
[11]
Cette étude se base sur l’analyse d’une trentaine de décisions de justice de différents quartiers du Caire. Les jugements en matière de khul‘ n’étant pas sujets à appel et la Cour de cassation ayant perdu sa compétence pour examiner les pourvois en matière de droit de la famille depuis 2004 (loi n° 10), tous les jugements sont des jugements de premier et dernier degré.
-
[12]
Selon N. J. Coulson (1995 : 194), le législateur égyptien avait déjà recouru à un « -quasi-ijtihad » en 1946 lorsqu’il avait introduit le concept de legs obligatoire en faveur des petits enfants exclus de la succession de leurs grands-parents suite au décès de leur père.
-
[13]
Voir par exemple Bernard-Maugiron (2005, 2008) et Sonneveld (2012).
-
[14]
La loi a repris la formulation du verset 229 de la sourate al-baqara (La Vache). Parmi de telles infractions aux prescriptions de Dieu, on trouverait le fait de se montrer désagréable avec son époux et de lui rendre la cohabitation difficile, de ne pas respecter ses biens et son honneur, de ne pouvoir lui accorder ses droits légitimes, de ne pas lui obéir, de ne pas savoir garder les secrets de famille ou de tenir des propos déplacés (Al-‘Aguz 2001 : 368).
-
[15]
Le mari doit verser une dot à sa femme, somme d’argent qui lui appartient en propre. En Égypte comme dans de nombreux pays arabes, la coutume est de diviser la dot en deux parties, l’une étant versée au moment du mariage et l’autre lors de sa dissolution (décès de l’époux ou divorce).
-
[16]
Deux tentatives de conciliation, séparées d’au moins trente et au maximum soixante jours, doivent être organisées si les époux ont un enfant.
-
[17]
Il était visé par les articles 6 et 24 du règlement de 1931 sur les tribunaux de charia ainsi que par l’article 5 de la loi n° 25 de 1929 relative à certaines questions se rattachant au statut personnel.
-
[18]
Notaire chargé d’enregistrer les mariages et les répudiations entre Égyptiens musulmans.
-
[19]
Le khul‘ sans la nécessité du consentement de l’époux existait toutefois déjà au Pakistan depuis les années 1960 (Sonneveld & Stiles 2019 : 1).
-
[20]
Art. 39 du règlement des ma’dhun de 1955.
-
[21]
Le législateur tunisien avait déjà montré la voie dès 1956, lorsque le président Bourguiba avait présenté les réformes parfois audacieuses introduites dans le Code tunisien du statut personnel comme le fruit d’un ijtihad. Se basant sur une réinterprétation du verset coranique autorisant un mari à avoir plusieurs épouses, il avait ainsi réussi à interdire la polygamie, aucun mari ne pouvant pratiquer une stricte justice entre ses épouses dans les conditions sociales et économiques de l’époque. De même, une réinterprétation d’un hadith avait permis l’interdiction de la répudiation, cet « acte détestable ». Plus récemment, le Maroc a recouru lui aussi à l’ijtihad pour réformer son Code de la famille en 2004.
-
[22]
Les féministes d’autres pays, notamment au Maroc et en Tunisie, ont également renoncé pour beaucoup d’entre elles à se battre sur des positions purement laïcistes et fondent notamment leur appel à réformer le droit successoral sur l’argumentaire religieux. Pour une étude des défis posés aux féministes séculières en Égypte, voir N. Al-Ali (2000).
-
[23]
Parallèlement à la mobilisation en faveur de l’adoption du khul‘, la coalition essayait également de modifier le formulaire du contrat de mariage afin de faciliter l’ajout de clauses matrimoniales par les époux.
-
[24]
Les ONG qui choisissent cette nouvelle voie se heurtent cependant à la fois à des critiques internes de membres qui estiment que se placer sur le terrain du religieux vient légitimer la place de la religion et à celles des religieux qui leur nient toute légitimité à réinterpréter les sources de la charia (Sharafeldin 2013).
-
[25]
Pour une critique de cette position, voir Afshari (1994).
-
[26]
Traduction de R. Blachère, Le Coran, Paris, Maisonneuve & Larose, 1980.
-
[27]
Pour une étude du rôle ambigu joué par les institutions religieuses tout au long de la discussion du projet de réforme, voir Sonneveld (2012 : 43 sq.).
-
[28]
Procès-verbal de la séance du 16 janvier 2000 de l’Assemblée du peuple, p. 7.
-
[29]
Concernant les débats du projet de loi devant l’Académie des recherches islamiques d’al-Azhar et devant l’Assemblée du peuple, voir Mansour (2001 : 275 sq.). Voir aussi Ferrié & Dupret (2004).
-
[30]
Mise en place en 1979, la Haute Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la conformité des lois et des règlements à la constitution (la constitution de 1971, à l’époque de la décision). Elle est composée de juges dont la plupart proviennent du Conseil d’État et de la Cour de cassation, et sont tous des juristes formés dans les facultés de droit au droit positif. Une seule femme a siégé à la cour, de 2004 à 2012.
-
[31]
Haute Cour constitutionnelle, n° 21/23, 15 décembre 2002.
-
[32]
Conformément à la jurisprudence constante de la cour (HCC, 15 mai 1993, n° 7/8e), les règles flexibles de la charia (al-ahkam al-zanniyya), soit dans leur origine soit dans leur signification soit dans les deux à la fois, sont en effet évolutives dans le temps et dans -l’espace, dynamiques, et doivent s’adapter à la nature et aux besoins changeants de la société. La cour leur oppose les principes « dont l’origine et la signification sont -authentiques » (« al-ahkam al-shar‘iyya al-qat‘iyya fi thubutiha wa dalalatiha »), qui représentent des normes non contestables, que ce soit dans leur source ou dans leur signification, et qui doivent être obligatoirement appliquées. Ces principes sont figés, ne peuvent donner lieu à raisonnement interprétatif (ijtihad) ni évoluer avec le temps (Lombardi 1998 ; Bernard-Maugiron & Dupret 1999 ; Brown & Lombardi 2006).
-
[33]
Une étude menée en 2002 par le Center for Egyptian Women Legal Assistance (CEWLA) sur la mise en œuvre du khul‘ durant les deux premières années suivant son adoption dans six gouvernorats d’Égypte montrait qu’au Caire, en 2001, 2 695 femmes avaient demandé un divorce par khul‘ contre 2 509 demandes en divorce. Le ratio était similaire pour le gouvernorat de Giza et d’Alexandrie. De nombreuses requêtes en divorce, pendantes devant les tribunaux, s’étaient transformées en demande de divorce pour khul‘. Dans le gouvernorat de Sohag, en Haute Égypte toutefois, les requêtes en divorce étaient restées plus importantes que celles pour khul‘ (Sulayman & ‘Salah 2003 : 13 sq. ; Bernard-Maugiron 2005).
-
[34]
Pour l’étude de profils de femmes ayant décidé de recourir au khul‘ et les difficultés qu’elles ont dû affronter, voir Al-Sharmani (2008 : 81-110).
-
[35]
Les tribunaux de charia ont été supprimés en 1955 et le contentieux du droit de la famille a été confié aux tribunaux nationaux, où siègent des juges séculiers formés au droit positif dans les facultés de droit, et qui peuvent siéger indifféremment — et parfois -simultanément — dans des affaires civiles, commerciales, pénales ou relatives au statut personnel. Depuis 2004, tout le contentieux du droit de la famille a été regroupé au sein de tribunaux de la famille.
-
[36]
Les maris, qui ressentent comme une humiliation la requête de leur épouse, refusent généralement de coopérer (Al-Sharmani 2008).
-
[37]
Tribunal de la famille d’Imbaba, no 515/2008.
-
[38]
Un constat similaire a été dressé par M. Lindbekk (2016) dans d’autres tribunaux de la famille du Caire.
-
[39]
Sheikh Al-Sayed Sabiq (cheikh égyptien du XXe siècle), Fiqh al-Sunna.
-
[40]
Tribunal de la famille d’Omraniyya, affaire n° 1820/2010, 28 avril 2001.
-
[41]
Sheikh El-Sayed Sabiq, Fiqh al-Sunna, 2e édition, 1988 et Fiqh al-Bari, Explication de Bukhari, n. d.
-
[42]
Tribunal de la famille de Dokki, n° 130/2005, 30 juillet 2006.
-
[43]
Il s’agit d’un ouvrage du juge Ahmed Nasr al-Jindi, dont M. Lindbekk (2016) a trouvé, elle aussi, des références par d’autres tribunaux.
-
[44]
Tribunal de la famille de Shubra, n° 73/2008, 29 juillet 2008.
-
[45]
Les ma’dhun touchant un pourcentage d’environ 5 % du montant de la dot versée au moment du mariage, les mariés ont tendance à indiquer une somme fictive dans le contrat de mariage.
-
[46]
Tribunal de la famille de Badrashin, n° 276/2005, 26 avril 2007. Après des débuts plutôt hésitants (Sonneveld 2010), la jurisprudence semble s’être stabilisée autour de la compétence du tribunal de la famille pour examiner les demandes en réévaluations du montant de la dot, à condition que le mari fournisse la preuve de sa prétention.
-
[47]
Pour une application de la procédure de khul‘ à un couple de chrétiens de rites différents (copte orthodoxe/syrien orthodoxe), voir Hasan (2003).
-
[48]
Le code de 2011 a renommé ce type de rupture unilatérale à l’initiative de l’épouse « divorce contre rançon » (« tafriq li-l-iftida’ »).
-
[49]
Au Maroc, le khul‘ a toujours besoin du consentement du mari, mais le code précise que si le mari refuse de rechercher un accord sur une contrepartie pour que son épouse recoure au khul‘ afin de rompre son mariage, elle pourra recourir à la procédure de divorce pour discorde (shiqaq) (art. 120 de la Mudawwana de 2004). D’autres pays en dehors du monde arabe (ex. Zanzibar, Inde et Indonésie), ont également adopté des formes particulières de khul‘ pour leurs communautés musulmanes. Voir le numéro spécial d’Islamic Law and Society (Sonneveld & Stiles 2019).
-
[50]
Voir l’article de presse de L. Reem, « Compromising Women’s Rights ? », Al-Ahram Weekly, 7 November 2019.
-
[51]
Voir l’article de presse de S. Amin, « Can New Amendment Undermine Egyptian Women’s Rights to Divorce ? », al-Monitor, <https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2019/10/amendment-to-divorce-law-a-rollback-to-womens-rights.html#ixzz639gNETq4> (consulté le 31 mars 2020). Voir aussi les articles de S. Osama, « A Guide to the Proposed Amendments to Egypt’s Family Law », al-Ahram Weekly, 19 décembre 2019 et « Debate on Egypt’s New Personal Status Draft Law », Daily News, 10 mars 2019.
1En janvier 2017, alors que le président égyptien Abdelfattah al-Sissi appelait à encadrer davantage la répudiation afin de protéger la famille [1], le mufti de la République, plus haute autorité d’interprétation de la loi islamique dans le pays, lui répondit que l’accroissement du nombre de divorces était dû au recours à la procédure de khul‘ et que c’est donc ce mode de dissolution du mariage qu’il fallait modifier [2]. Selon les statistiques de l’Office national des statistiques (capmas) de 2015, si la répudiation est toujours le premier mode de rupture du mariage, elle est suivie du khul‘ puis du divorce judiciaire.
2Si la procédure de khul‘ a rencontré un grand succès auprès des femmes égyptiennes depuis son entrée en vigueur en 2000, son adoption a toutefois donné lieu à des débats intenses et a divisé la société égyptienne. Composée d’activistes proches du pouvoir, la coalition de femmes et d’associations à l’origine de l’introduction de ce mode de dissolution du mariage a dû faire appel à des modes de mobilisation nouveaux, fondés sur des arguments d’ordre religieux.
3La référence à la loi islamique est en effet une modalité incontournable de participation à tout débat public sur le droit de la famille et « en quelque sorte, une condition d’“audibilité” et de respectabilité — l’une conditionnant l’autre — que peu de gens songent à mettre en cause » (Ferrié & Dupret 2004 : 264). Le droit de la famille est chargé d’une symbolique politique forte et exprimerait une identité musulmane à préserver impérativement. Lorsqu’elle s’est lancée dans un processus de codification du statut personnel au début du xxe siècle, l’Égypte s’est donc attachée à justifier l’adoption des normes les plus éloignées des interprétations traditionnelles de l’école hanafite par le recours à diverses techniques argumentatives, déployant en ce domaine « un effort qui tient de la prouesse » (Chehata 1970 : 93). Se posant en gardien des valeurs religieuses, l’État égyptien s’est attaché à présenter ses réformes comme le résultat d’un processus interne de rénovation, issu de la loi islamique et respectant les principes de l’islam, et non comme le résultat de l’importation de codes et principes de l’étranger.
4C’est ainsi qu’en 1920 [3] et 1929 [4], le législateur égyptien [5] a recouru principalement à deux procédés pour réformer le droit de la famille : puiser des normes au sein d’autres écoles de droit et les combiner entre elles (talfiq et takhayyur) et interdire aux tribunaux de se saisir de certaines affaires (Linant de Bellefonds 1955). Bien que l’école officielle en Égypte soit l’école hanafite, le législateur s’est appuyé sur des normes d’autres écoles sunnites de droit, même minoritaires ou marginales, allant jusqu’à « ressusciter » des auteurs dissidents ou oubliés pour opérer un certain nombre de réformes, sans heurter de front les conservateurs [6]. Dans certains cas, il n’a pu trouver d’opinion, même isolée ou dissidente, d’un auteur classique ou orthodoxe qui lui aurait permis de justifier une réforme de la règle traditionnelle. Il a alors recouru, faute de mieux, à un autre procédé : limiter les pouvoirs du juge en invoquant l’exception d’incompétence ou la fin de non-recevoir [7].
5À partir du début des années 2000, tant le Parlement que les mouvements féministes égyptiens [8] ont recouru à l’ijtihad [9] (effort d’interprétation) pour justifier l’adoption de nouvelles réformes particulièrement novatrices ou controversées, et en particulier pour introduire un nouveau mode de dissolution du mariage à l’initiative de la femme : le khul‘ [10]. L’analyse des travaux préparatoires de la loi, des campagnes de la coalition de féministes et de la jurisprudence des tribunaux égyptiens [11] montre que, derrière la contrainte argumentative de la référence au religieux, se dessine une volonté de prendre en compte l’évolution de la société et d’assurer une meilleure protection de la femme au sein de la famille [12].
Le khul‘ dans la loi n° 1 de 2000 : la volonté unilatérale de l’épouse
6Le khul‘, tel que codifié par le législateur égyptien en 2000 [13] (art. 20), est un mode unilatéral de rupture du mariage qui permet à l’épouse d’obtenir la dissolution judiciaire de son union en échange du versement à son époux d’une compensation financière. À la différence d’une requête en divorce, elle n’a pas besoin de prouver l’existence d’un préjudice. Il lui suffit de s’adresser au juge en affirmant que la poursuite de la vie conjugale lui est devenue intolérable et qu’elle « craint d’enfreindre les prescriptions de Dieu (hudud allah) [14] » en cas de poursuite de la vie commune. Elle devra toutefois payer une « rançon » ou « indemnité de rachat » (« iftadat nafsaha ») en renonçant à tous ses droits financiers légaux (jami‘ huquqiha al-maliyya al-shar‘iyya), renoncer à sa pension alimentaire (nafaqa) et ne pourra réclamer de compensation financière (mut‘a). Elle devra également rembourser le montant de la dot (sadaq) qui lui avait été versée au moment du mariage et renoncer à l’arriéré non versé [15]. Ses autres droits ne sont toutefois pas atteints, en particulier la possibilité d’obtenir la garde de ses enfants et de recevoir une pension alimentaire pour leur entretien (art. 20 al. 3), ou d’occuper avec eux le domicile conjugal pendant toute la durée de la garde. La loi de 2000 a prévu, par ailleurs, un mécanisme de conciliation entre les époux (art. 18.2 et 19). Le tribunal ne doit pas prononcer un divorce au moyen du khul‘ sans avoir préalablement fait une tentative de conciliation (muhawwalat al-sulh). Deux médiateurs (hakamayn), nommés par chaque partie au sein de leur famille respective, vont essayer pendant une période maximale de trois mois de réconcilier les époux [16]. S’ils n’y parviennent pas à l’expiration de ce délai, et que la femme maintient sa requête, alors le juge est tenu de dissoudre le mariage, même contre l’avis de l’époux. Face à l’encombrement des tribunaux et à leur lenteur dans la résolution des litiges, cette procédure devait permettre à l’épouse d’obtenir une dissolution rapide et automatique de son union conjugale, même si les conséquences financières pour elle sont plus lourdes qu’en cas de divorce judiciaire.
7Bien que constituant une règle de fond du droit du statut personnel, le khul‘ a été incorporé à une loi de procédure, la loi n° 1 de 2000, organisant certaines formes et procédures du contentieux relatif au statut personnel, et non aux lois de 1920 et 1929 où figurent pourtant les autres modes de dissolution du mariage (répudiation et divorce). Malgré cette tentative de la majorité parlementaire de désamorcer les risques de controverse en introduisant cette mesure dans un texte de procédure, le khul‘ a pris une telle importance que la loi est connue sous le nom de « loi sur le khul‘ (qanun al-khul‘) » alors même qu’un seul article (art. 20) sur les 79 que compte la loi, lui est consacré.
8Le khul‘ était déjà connu du droit égyptien avant 2000 [17] mais, d’une part, le juge n’intervenait pas dans la procédure qui se déroulait entièrement devant le ma’dhun [18] et, d’autre part, l’accord du mari était toujours requis [19]. S’il acceptait de répudier son épouse moyennant contrepartie financière ou renonciation par elle à sa pension alimentaire, tous deux se rendaient chez le ma’dhun pour enregistrer cette répudiation « convenue ». Le certificat de répudiation devait alors indiquer ce qui avait été convenu entre les époux au sujet de la compensation [20]. Toutefois, si son mari refusait de la répudier, l’épouse n’avait d’autre recours que de déposer une requête en divorce. Le caractère révolutionnaire de la loi de 2000 réside donc dans le fait que le consentement du mari n’est désormais plus nécessaire.
9La procédure de khul‘ par consentement mutuel faisait également l’objet d’une description détaillée dans le Code du statut personnel et des successions de Qadri Pasha de 1875, première codification — officieuse — du droit hanafite de la famille (Livre iii, titre 22 « al-Khul‘ » art. 273-297) où il avait la valeur d’une répudiation définitive (ba’in) (art. 278). La compensation pouvait être plus élevée que le montant de la dot (art. 276) mais le mari ne pouvait exiger qu’elle consiste en la renonciation à la garde des enfants (art. 288). Selon les historiens, de nombreuses femmes recouraient à cette procédure à l’époque ottomane au Caire (Sonbol 1995), à Istanbul (Zilfi 1997) ou même déjà à l’époque médiévale au Caire, à Damas ou à Jérusalem (Rapoport 2005) pour pouvoir rompre leur union et contourner l’interdiction posée par l’école hanafite de demander le divorce pour des raisons autres que l’impuissance de leur mari. Le khul‘ était encore très utilisé en Égypte au début du xxe siècle (Shaham 1997).
10Le khul‘ est une institution traditionnelle du droit musulman (Arabi 2001b ; El-Alami 2001) que des pays comme l’Algérie (1984), le Yémen (1992), le Soudan (1991) ou la Syrie (1953) avaient codifiée eux aussi dans leurs lois du statut personnel, mais tous exigeaient l’accord du mari. Les quatre écoles sunnites requièrent en effet le consentement de l’époux pour que la femme puisse y recourir (Arabi 2001a : 175 sq.). Pour s’éloigner de ces interprétations traditionnelles, le législateur égyptien a recouru à la technique de l’ijtihad en procédant à une réinterprétation des textes classiques. Cette technique repose sur une conception évolutive des sources religieuses et leur nécessaire adaptation aux évolutions de la société [21].
Mobilisation du référent religieux par la coalition
11C’est un groupe d’activistes, avocates, ong et universitaires, proches des cercles du pouvoir qui sont à l’origine de l’adoption de la loi sur le khul‘, après avoir obtenu le soutien du cheikh d’al-Azhar, du président Hosni Moubarak et de libéraux, grâce au recours à différents types d’argumentation, dont le répertoire religieux (Singerman 2005). Comme l’a souligné Annelies Moors (2003 : 4-7), durant les années 1990, les organisations de femmes ont davantage participé à la lutte en faveur de la réforme du statut personnel. Néanmoins, accusées par les mouvements islamistes mais aussi par des gouvernements autoritaires de porter les valeurs de l’Occident et de faire le jeu de l’impérialisme culturel occidental, beaucoup d’entre elles ont finalement choisi de se placer elles aussi sur le terrain du religieux [22]. Elles puisent de nouvelles interprétations des sources classiques dans l’héritage islamique afin de légitimer leurs appels à la modernisation de la condition féminine, affirmant que les interprétations actuelles de la charia qui consacrent le statut d’infériorité de la femme sont le résultat du système patriarcal de la société et d’interprétations erronées, masculines, de la norme islamique (Singerman 2005). Pour elles, le statut inférieur de la femme serait donc dû à des raisons culturelles et non religieuses. Rien dans l’enseignement coranique ne justifierait l’actuelle situation de la femme ; seule l’ignorance, particulièrement l’ignorance par la musulmane de ses droits, pourrait l’expliquer. Une nouvelle interprétation de la charia, prenant en considération les conditions sociales et économiques actuelles, devrait donc selon elles permettre de mettre fin à ces inégalités.
12Il s’agit d’une stratégie nouvelle de ces associations féministes, apparue à la fin des années 1990. Au début du xxe siècle, elles avaient plutôt utilisé le discours nationaliste pour se faire reconnaître et formuler leurs revendications. Certaines avaient alors appelé à améliorer le statut de la femme en rappelant que les enfants sont éduqués par les mères et que des femmes analphabètes et incultes ne peuvent donner une éducation convenable à leurs enfants, contribuant ainsi à l’affaiblissement des familles et donc de la nation. À l’époque, une alliance nationaliste/féministe avait produit un nouveau discours sur les femmes et sur la famille,
dont le ton était essentiellement instrumental. L’analphabétisme des femmes, leur isolement et la pratique de la polygynie n’étaient pas dénoncés simplement parce qu’ils réduisaient de manière flagrante les droits humains individuels de la moitié de la population, mais aussi parce qu’ils créaient des mères ignorantes, des partenaires superficiels et intrigants, des unions conjugales instables et des membres de la société paresseux et improductifs. Les femmes étaient de plus en plus présentées comme une ressource nationale sous-exploitée (Kandiyoti 1991 : 9 sq.).
14À la fin des années 1990, profitant de l’arrivée à la tête du ministère de la Justice d’un de leurs alliés, la coalition de féministes décida de mobiliser le référent religieux, tout d’abord lors d’une campagne en faveur de la réforme du formulaire du contrat de mariage [23]. En prônant une réforme des droits de la femme à partir du référent islamique et non plus du seul répertoire des droits humains [24], la coalition égyptienne suivait Abdullahi an-Naïm, selon lequel les défenseurs des droits humains doivent se placer dans le cadre de l’islam s’ils veulent être efficaces, car les standards internationaux des droits humains sont perçus comme étrangers aux valeurs des pays musulmans :
La seule approche efficace pour parvenir à une réforme suffisante de la charia par rapport aux droits universels de l’Homme consiste à reprendre les sources du Coran et de la Sunna qui ne sont pas compatibles avec ces droits universels de l’Homme et à les expliquer dans leur contexte historique, tout en se référant aux sources qui viennent à l’appui des droits de l’Homme comme fondement des principes et règles juridiques de la loi islamique applicables de nos jours (An-Na’im 1990 : 171) [25].
16Mona Zulficar, avocate égyptienne et leader de la coalition, rappelle ainsi que :
Pour la première fois dans le mouvement des femmes égyptiennes, nous avons revendiqué notre droit à redéfinir notre patrimoine culturel en tant que femmes musulmanes selon les principes de la charia. Il était évident que nous ne pouvions pas compter sur les droits constitutionnels modernes d’égalité devant la loi, car ils ne s’appliquaient pas de façon égale dans le cadre des lois sur la famille, qui affirmaient être fondées sur les principes de la charia. Nous ne pouvions pas nous permettre d’éviter le défi et continuer à utiliser uniquement une stratégie fondée sur les droits constitutionnels et les droits de l’Homme. Nous devions prouver que le discours religieux pouvait aussi être utilisé par les femmes pour défendre leur cause (Zulficar 2008 : 242).
18Selon elle, cette stratégie était bien destinée à légitimer leur intervention en tant que défenseurs des droits de la femme face aux islamistes, en se plaçant sur le même terrain :
Les groupes extrémistes religieux placent systématiquement les questions relatives aux femmes au premier plan de leur agenda en faveur de la mise en œuvre des principes de la charia ou de « codification » de la charia et d’affirmation de leur identité culturelle. Ils accusent donc toute opposition féministe séculière d’être anti-islamique, un agent du bloc oriental « non religieux » ou du bloc occidental « corrompu ». Il était donc essentiel que le mouvement des femmes diversifie son approche et adopte une stratégie crédible qui puisse atteindre et gagner le soutien d’hommes et de femmes religieux simples et ordinaires (ibid.).
20Les acteurs institutionnels, comme par le passé, se sont placés eux aussi sur le terrain du religieux. Le législateur, puis le juge constitutionnel égyptien, ont ainsi mobilisé à leur tour ce référent pour faire adopter puis pour légitimer la loi sur le khul‘.
Mobilisation du référent religieux par le Parlement et par la Haute Cour constitutionnelle
21Pour justifier la possibilité pour le juge de passer outre à l’absence de consentement du mari, le législateur égyptien a invoqué un hadith du Prophète, connu sous le nom « d’affaire de Habiba ». La note explicative de la loi de 2000 explique ainsi que le khul‘ trouve sa source dans la sourate de La Vache (al-baqara) ainsi que dans le hadith de Ibn Habath. Elle cite le verset 229 de la sourate selon lequel :
La répudiation a lieu deux fois : donc, reprendre [l’épouse] d’une manière reconnue [convenable] ou [lui] donner la liberté de bonne grâce. Il ne vous est pas licite de prendre quelque chose sur ce que vous avez donné [comme] douaire à vos épouses. À moins que tous deux craignent de ne pas appliquer les lois (hudud) d’Allah. Si vous craignez que tous deux n’appliquent point les lois d’Allah, nul grief à leur faire à tous deux si l’époux se rachète [26].
23Quant au hadith, c’est celui rapporté par al-Bukhari et al-Nisa’i selon lequel l’épouse de Thabit b. Qays, qui ne supportait plus de vivre avec son époux, s’adressa au Prophète afin qu’il lui offre une solution. Ce dernier lui demanda de restituer un terrain que lui avait offert son mari au moment du mariage, en échange de la rupture de son union et s’adressa ensuite à Thabit b. Qays pour lui ordonner d’accepter le terrain et de répudier son épouse. La note explicative souligne ensuite que ce mode de rupture du mariage décharge le mari d’un lourd fardeau, puisqu’il est exempté des obligations financières à l’égard de son épouse et que cette dernière, de plus, lui rembourse la partie de la dot qu’il lui a versée au moment du mariage.
24Le gouvernement, à travers son ministre de la Justice, joua un rôle essentiel dans la préparation du projet de loi. Il s’attacha, tout d’abord, à la faire valider par les institutions islamiques officielles [27]. Le cheikh al-Azhar apporta ainsi son soutien tout au long de la procédure d’élaboration du texte et vint même défendre le projet devant la chambre basse, affirmant qu’il était parfaitement conforme à la charia islamique et que le khul‘ figurait bien dans le Coran et dans la sunna [28]. Les opposants au projet affirmèrent, en revanche, que ce texte était contraire à la charia, qui exige l’accord du mari pour que la femme puisse rompre unilatéralement son mariage [29]. Si tous les acteurs des débats parlementaires se positionnèrent par rapport à la référence religieuse, ils n’évoquèrent cependant pas le répertoire des droits humains et de la femme.
25Le projet de loi fut finalement adopté, au terme de débats très animés tant au Parlement qu’au sein de la société (Sonneveld 2012), et entra en vigueur quelques jours plus tard. La conformité de cet article à la constitution et à la loi islamique fit toutefois l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité portée devant le juge constitutionnel égyptien. Près de trois ans après l’adoption de la loi, la Haute Cour constitutionnelle égyptienne [30], saisie par un mari dont l’épouse avait entamé une procédure de khul‘ à son encontre, affirma que cette loi était conforme à la constitution et rejeta le recours en inconstitutionnalité soulevé contre cette disposition [31].
26La cour expliqua que le mariage devait se poursuivre tant que la relation personnelle entre les époux rendait la vie conjugale appropriée. Mais si l’aversion venait à remplacer la compassion, si la discorde s’intensifiait et que l’entente devenait de plus en plus difficile, alors la charia avait autorisé l’époux à mettre fin à la relation conjugale par le biais de la répudiation, à laquelle il pouvait recourir en cas de nécessité et dans les limites qu’elle avait fixées. En contrepartie de ce droit, il était nécessaire que l’épouse puisse demander le divorce sur différents fondements et qu’elle puisse se libérer elle-même en reversant à son mari ce qu’il lui avait payé comme dot, procédure connue sous le nom de khul‘.
27La cour ajouta que le khul‘ faisait partie des règles flexibles de la charia [32] et que le wali al-amr — le législateur — pouvait procéder à son interprétation, en recourant au raisonnement individuel. En effet, un verset coranique et un hadith du Prophète y faisaient certes allusion, mais les détails de son organisation avaient donné lieu à des divergences d’interprétation entre jurisconsultes. La cour rappela que différentes versions de ce hadith existent et que si, selon certaines, l’époux était présent lors de la restitution du terrain, selon d’autres récits, le Prophète prononça la répudiation lui-même, en l’absence du mari. Si le khul‘ fait bien partie des principes absolus dans leur origine, ajouta le juge constitutionnel, les détails de son organisation n’ont pas été fixés de façon absolue, ce qui a conduit les jurisconsultes à se livrer à son interprétation. Les auteurs du passé n’étaient pas tombés d’accord quant au caractère obligatoire ou non du consentement préalable du mari. Certains ont estimé que son accord était indispensable pour que la femme puisse recourir au khul‘ alors que pour d’autres, l’accord entre les époux n’est pas nécessaire. Or, le texte objet du recours avait autorisé l’épouse à recourir au khul‘ en cas de nécessité, si elle ne supportait plus la vie avec son mari. Ce n’est qu’une solution logique, affirma la cour, qui ne venait en rien contredire les desseins de la charia islamique. On ne peut imposer par la force à une femme de vivre avec un homme. La cour ajouta s’être appuyée sur l’opinion de l’école malékite et sur les objectifs de la charia (maqasid al-shari‘a), bien que les auteurs malékites dans leur ensemble interprètent le hadith comme un conseil et non comme un ordre et exigent donc le consentement du mari.
28La Haute Cour constitutionnelle a donc validé cette réforme en niant toute violation de la normativité islamique par le législateur. On remarque également qu’elle n’a fait aucune allusion au droit international des droits humains dans sa décision, alors même qu’il lui était arrivé à de nombreuses reprises par le passé d’évoquer des conventions internationales.
29Les débats et mobilisations dont le khul‘ fut l’objet, ainsi que sa validation par la Haute Cour constitutionnelle, sont révélateurs des tensions et des enjeux qui divisent la scène politique égyptienne contemporaine. On y voit également la prégnance du cadre de référence religieux ainsi que la flexibilité et la souplesse des normes de la charia, tributaires des interprétations qui en sont données par les différents acteurs en fonction de leurs intérêts. Ainsi, bien que les quatre écoles sunnites exigent l’accord préalable du mari afin que la femme puisse procéder à la rupture unilatérale de son union par la voie du khul‘, le législateur égyptien, soutenu par la Haute Cour constitutionnelle, réussit à légitimer cette réforme en invoquant une réinterprétation d’un hadith.
L’application de la loi sur le khul‘ par les tribunaux de la famille
30Alors que ses détracteurs prédisaient que le khul‘ serait réservé aux femmes de milieux sociaux élevés, seules capables de rembourser la dot et de renoncer à leurs droits financiers, il rencontra immédiatement un vif succès auprès des classes les plus défavorisées de la population [33]. Vingt ans après son entrée en vigueur, il est devenu la première voie de rupture du mariage à l’initiative de la femme. La lenteur de la procédure en divorce, la nécessité de se rendre à plusieurs reprises au tribunal et l’obligation de prouver l’existence d’un préjudice poussent, en effet, les femmes à privilégier cette voie plus rapide donc moins onéreuse en frais de justice et honoraires d’avocats. Pour beaucoup d’entre elles, la renonciation à leurs droits financiers ne constitue pas un argument dissuasif, un grand nombre d’ex-maris condamnés à verser des pensions alimentaires et des compensations financières ne s’acquittant pas de leurs obligations. De plus, le montant de la dot qu’elles doivent rembourser est souvent très faible, la coutume étant de fractionner le paiement en deux parties inégales. La première fraction — versée au moment du mariage — que les femmes doivent rembourser est souvent très faible alors que la fraction la plus importante — à laquelle elles doivent renoncer — n’est versée qu’au moment de la rupture du mariage (ou en cas de décès), pour dissuader les époux de recourir à la répudiation.
31S’adresser aux tribunaux pour demander la rupture de son mariage par khul‘ reste toutefois socialement répréhensible [34]. Les pressions sociales et familiales tendent à dissuader les femmes de dissoudre leur union, surtout si elles ont des enfants. La famille, unité de base de la société, doit être préservée et protégée, même aux dépens des sentiments personnels de la femme. Une épouse qui se bat pour obtenir le divorce est considérée comme responsable de la destruction de son foyer, même si sa demande est le résultat de mauvais traitements infligés par son mari. Elle est stigmatisée et souvent mise au ban de la société. Le déshonneur rejaillit même sur sa famille et sur ses propres enfants. Si la demande en divorce est mal accueillie socialement, le recours à la procédure de khul‘ l’est plus encore, puisqu’elle est perçue par le mari comme une atteinte à son honneur et à sa virilité (Shukri 2003 : 181). Certains maris peuvent toutefois y voir un mode de rupture du mariage plus avantageux que la répudiation et poussent leur épouse à y recourir afin d’être libérés de leurs obligations financières et de récupérer le montant de la dot qu’ils avaient versée au moment du mariage. Le fait qu’il soit devenu le premier mode de rupture du mariage à l’initiative de la femme montre toutefois que le khul‘ répond à un véritable besoin social. Il permet de rétablir un certain équilibre au sein du couple face à la possibilité pour le mari de recourir à la répudiation. Certaines femmes l’utilisent même comme moyen de pression contre leur époux et retirent leur requête après avoir obtenu satisfaction.
32Malgré quelques difficultés de mise en œuvre dans les premières années, dues notamment à l’ambiguïté de la formulation du texte législatif, les juges du fond [35] ne semblent plus manifester de réticence à appliquer cette procédure qu’ils qualifient de « divorce irrévocable par khul‘ » (« tatliq ba’ian bi-l-khul‘ »). Si la trentaine de jugements analysés dans le cadre de la préparation de cet article accordent le divorce par khul‘ aux épouses qui en font la demande, leur motivation est toutefois très différente d’un tribunal à l’autre. Certains sont très brefs et se contentent de vérifier que les conditions d’application fixées par l’article 20 de la loi n° 1 de 2000 sont bien remplies : l’épouse doit affirmer que la poursuite de la vie conjugale avec son mari est devenue intolérable et qu’elle craint de ne pouvoir respecter les prescriptions de Dieu. Elle doit s’engager à restituer la dot reçue au moment du mariage et renoncer à tous ses droits financiers. Le juge doit s’assurer que les tentatives de conciliation effectuées par les arbitres ont échoué. En pratique, les maris semblent réticents à participer à la procédure et un grand nombre de jugements étudiés précisent que les tentatives de conciliation ont échoué en raison de l’absence du mari [36]. D’autres se contentent d’affirmer que les arbitres n’ont pas réussi à réconcilier les conjoints en raison de la détermination de l’épouse à dissoudre son union. Alors même que la procédure devait accélérer l’accès au divorce, qui peut durer plusieurs années, elle prend parfois jusqu’à deux ans entre le dépôt de la requête et le jugement de divorce. Certains jugements précisent en quoi la vie conjugale est devenue intolérable pour l’épouse. Le tribunal de la famille d’Imbaba rapporte ainsi que la requérante se plaint des mauvais traitements de son mari (yu‘amilha bi-su’), qui la frappe, l’insulte (yaqum bi-darbiha wa ihanatiha) et porte atteinte à sa dignité (ihdhar karamatiha) devant les tiers, ce qui lui est préjudiciable [37].
33Plusieurs décisions convoquent des éléments tirés du répertoire religieux. Certains juges rappellent ainsi le verset 229 de la sourate de La Vache et/ou le hadith de Thabit b. Qays. Aucun, toutefois, ne remet en question l’interprétation adoptée par le législateur égyptien en 2000 ni n’en conteste la légitimité. La référence au fiqh vient à l’appui de la législation positive, comme si les juges se sentaient tenus de justifier et « sur-valider » la loi de 2000 [38]. C’est ainsi que le tribunal de la famille de Badrashin, quartier populaire au sud du Caire, consacre presque la moitié de ses considérants à légitimer la procédure de khul‘ par des arguments d’ordre religieux : il est bien connu (min al-muqarrar), affirme-t-il, que la vie conjugale ne peut reposer que sur la sérénité, l’affection (muwadda), la miséricorde (rahma) et une cohabitation harmonieuse (husn al-mu‘ashara). Si le mari se met à détester sa femme ou l’épouse à détester son mari, l’islam préconise la patience (sabr) et l’endurance (ihtimal) et la recherche des causes de cette animosité. Mais si la haine ne fait que s’accroître, que les conflits s’intensifient et que disparaissent la sérénité, la tendresse et la miséricorde sans espoir de restauration d’une vie conjugale, alors l’islam a prévu que l’unique remède est la répudiation si la haine vient du mari ou le khul‘ si elle émane de l’épouse. Le tribunal invoque alors à l’appui de ses affirmations le hadith de Thabit b. Qays, tel que relaté dans un ouvrage contemporain [39].
34De même, le tribunal de la famille d’Omraneya [40], autre quartier populaire du Caire, rappelle non seulement le verset coranique et le hadith, mais fait également référence au consensus des savants (ijma‘ al-ulama‘), troisième source du fiqh, et cite le même ouvrage de fiqh contemporain que le tribunal de Badrashin [41] pour en conclure également que dans le fiqh malikite, le khul‘ est considéré comme un divorce et non comme une annulation du mariage, et qu’il est définitif puisque la femme a remboursé le montant de sa dot.
35D’autres tribunaux de la famille, comme celui de Dokki, quartier plus résidentiel du Caire, sont beaucoup plus laconiques. Après avoir rappelé les faits et énoncé l’article 20 de la loi n° 1 de 2000, le tribunal se contente ainsi d’affirmer qu’il ressort de cet article que le khul‘ requiert en principe l’accord des deux époux mais que, s’ils ne parviennent pas à s’entendre, l’épouse n’a alors d’autre solution que de s’adresser au juge, qui devra s’assurer que les conditions d’application sont bien remplies [42].
36De même, le tribunal de la famille de Shubra, se référant à un commentaire de la loi n° 1 de 2000 [43], se contente de rappeler que, selon Abu Hanifa, le khul‘ est prononcé à la demande de la femme et en échange d’une compensation de sa part, sans s’interroger lui non plus sur la nécessité ou non du consentement du mari, avant de s’assurer que les conditions prévues par l’article 20 de la loi n° 1 de 2000 sont bien remplies en l’espèce et d’accorder lui aussi à l’épouse le divorce par khul‘ [44].
37Le montant de la dot à restituer par l’épouse donne souvent lieu à contestation de la part des maris. En effet, beaucoup d’entre eux affirment que le montant qui figure dans le contrat de mariage est fictif et, qu’en réalité, ils ont versé une somme bien plus importante [45]. Les juges acceptent d’examiner ces objections mais exigent que les maris étayent leur prétention par des éléments de preuve. La plupart des décisions étudiées dans le cadre de cet article se contentent d’indiquer que l’épouse a remboursé la dot qu’elle a reçue, sans préciser son montant. Un jugement du tribunal d’instance d’Imbaba, autre quartier populaire du Caire, mentionne que la femme a remboursé la partie reçue de la dot (muqaddam al-sadaq) qui était d’une livre. Ce chiffre, symbolique, ne correspond manifestement pas au montant réellement versé par le mari, mais il ne semble pas que ce dernier l’ait contesté dans cette affaire.
38Dans une autre affaire portée devant le tribunal de la famille de Badrashin, l’époux prétendait avoir versé 20 000 livres égyptiennes, sous forme d’argent, d’or et de biens personnels, et non une seule livre, comme cela figurait dans le contrat de mariage. Le juge refusa toutefois de réévaluer le montant de la dot, après avoir entendu les témoins de l’épouse et n’exigea de cette dernière que la restitution de cette seule livre égyptienne qui figurait dans le contrat de mariage, avant de lui accorder le divorce par khul‘ [46].
39Le khul‘ a été tellement bien intégré dans le droit positif égyptien que des femmes non musulmanes recourent elles aussi à cette procédure pour rompre leur union et que les tribunaux semblent le leur accorder sans opérer de distinction entre elles et les musulmanes. C’est ainsi que le tribunal du sud du Caire a accepté la demande en divorce par khul‘ d’une copte orthodoxe, dont le mari s’était converti à l’islam avant de prendre une seconde épouse. Dans sa décision, très concise, le juge s’est contenté de vérifier que les conditions d’application du khul‘ fixées par l’article 20 étaient remplies, sans même se poser la question de la légalité de l’application de cette procédure à une copte orthodoxe. Il est vrai qu’en droit égyptien, les non-musulmans peuvent se voir appliquer la loi du statut personnel de leur communauté religieuse, mais à condition que les deux époux soient de même communauté et de même rite. Dans le cas présent, le mari s’était converti à l’islam et ce sont donc les règles du statut personnel des musulmans qui devaient s’appliquer et non le règlement copte orthodoxe de 1938. De plus, la loi n° 1 de 2000, dans laquelle figure la procédure de khul‘, est une loi de procédure qui, en tant que telle, a vocation à s’appliquer à tous les Égyptiens, quelle que soit leur religion. Le recours à la procédure de khul‘ est donc ouvert également aux non-musulmans [47].
40❖
41L’étude de l’élaboration de la loi sur le khul‘ montre que si le législateur égyptien mobilise le répertoire religieux, il n’hésite cependant pas à adopter une interprétation en phase avec l’évolution de la société. Ainsi, selon la note introductive à la loi n° 25 de 1929 : « La loi islamique a pour politique de faciliter la pratique du droit en l’interprétant de manière large et en consultant les savants chaque fois qu’il est nécessaire de trouver un remède à une maladie sociale devenue difficile à soigner, de sorte que les hommes sentent que la loi apporte une solution à toutes les difficultés et libère de toute adversité. » La loi doit donc évoluer en fonction des besoins de la société. Cette conception évolutive du droit est également adoptée par la Cour constitutionnelle, qui considère que les principes relatifs de la charia doivent évoluer en fonction des époques et des lieux et s’adapter aux changements de la société.
42Aucun acteur ne remet en cause la prédominance de la référence religieuse, et même les mouvements de défense des droits de la femme ont fini par se rallier à ce cadre discursif dominé par la quête du « véritable sens » des sources religieuses. La souplesse de la charia, les différences entre écoles et le recours à différentes méthodes d’interprétation laissent toutefois une grande marge de liberté pour faire évoluer le droit en fonction des besoins de la société, tout en restant formellement dans le cadre du référent religieux.
43Les juges du fond, amenés à se prononcer sur des demandes de divorce pour khul‘, se réfèrent eux aussi très souvent à la loi islamique, mais sans remettre en question l’interprétation pourtant audacieuse adoptée par le législateur. Les décisions étudiées s’attachent toutes à souligner la conformité de la loi à la charia. Certains juges mentionnent certes des ouvrages sur le droit islamique à l’appui de leur démonstration, mais ce ne sont pas les manuels de fiqh classiques mais des ouvrages contemporains, rédigés par des juges ou des professeurs de droit. Formés dans les facultés de droit des universités égyptiennes au droit égyptien contemporain, tel que codifié sur le modèle des droits occidentaux, ces juges des tribunaux de la famille ont en effet rarement une solide connaissance du fiqh islamique classique qui leur permettrait un accès aux ouvrages et manuels des savants du passé. Le fait que leurs décisions en matière de khul‘ ne soient soumises ni à appel ni à cassation invalide l’argument selon lequel ils appliqueraient la loi de crainte que leurs décisions ne soient cassées par une juridiction supérieure.
44Le modèle égyptien d’un divorce par khul‘ sans le consentement du mari a été repris dans de nombreux pays de la région, comme la Jordanie (art. 114 du Code de 1976 tel qu’amendé en 2001 et art. 214 du Code de 2011 [48] ), l’Algérie (art. 54 du Code de la famille tel qu’amendé en 2005) ou même dans les pays du Golfe comme le Qatar (art. 122 du Code de 2005), les Émirats (art. 110.5 du Code de 2005) ou le Bahreïn (art. 92.2 du Code unifié de 2017), qui ont également inséré dans leur Code de la famille une disposition autorisant la femme à obtenir un divorce sans faute si les époux ne parviennent pas à se mettre d’accord [49].
45En Égypte, des appels à la révision de la loi ont toutefois été lancés en 2019, tant de la part d’al-Azhar — qui a élaboré un projet de réforme du droit de la famille qui allongerait la procédure de khul‘ [50] — qu’au sein du Parlement où un député a proposé de limiter la possibilité d’y recourir [51]. Des appels à remettre cette loi en question avaient déjà été lancés sous le président frère musulman Mohammed Morsi (2012-2013) à l’initiative de députés salafistes, mais aucune suite n’y avait été donnée et le Parlement avait ensuite été dissous par une décision de la Cour constitutionnelle. Ainsi, malgré son succès populaire, l’avenir du khul‘ reste toutefois tributaire du rapport de forces entre le politique et le religieux.
Bibliographie
- Afshari R., 1994, « An Essay on Islamic Cultural Relativism in the Discourse of Human Rights », Human Rights Quarterly, 16 : 235-276.
- Al-ʽAguz N., 2001, Da‘awa al-tatliq wa al-khul‘ (Les requêtes en divorce et en khul‘), Alexandrie, Manshi’at al-Ma‘arif.
- Al-Ali N., 2000, Secularism, Gender & the State in the Middle East : The Egyptian Women’s Movement, Cambridge, Cambridge University Press.
- Al-Ali N., 2011, « Dossier 28 : Secular Women’s Activism in Contemporary Egypt » (décembre 2006), <http://www.wluml.org/node/572>.
- Al-Sharmani M., 2008, Recent Reforms in Personal Status Laws and Women’s Empowerment : Family Courts in Egypt, Cairo, American University in Cairo, Social Research Center.
- Al-Sharmani M., 2017, Gender Justice and Legal Reform in Egypt. Negotiating Muslim Family Law, Le Caire, Press of the American University in Cairo.
- An-Na’im a. A., 1990, Toward an Islamic Reformation : Civil Liberties, Human Rights, and International Law, Syracuse-New-York, Syracuse University Press.
- Arabi O., 2001a, Studies in Modern Islamic Law and Jurisprudence, La Haye-Londres-Boston, Kluwer Law International.
- Arabi O., 2001b, « The Dawning of the Third Millennium on Shari’a : Egypt’s Law n° 1 of 2000, or Women May Divorce at Will », Arab Law Quarterly, 16 (1) : 2-21.
- Badran M., 1991, « Competing Agenda : Feminists, Islam and the State in 19th and 20th Century Egypt », in D. Kandiyoti (ed.), Women, Islam and the State, Houndmills, Basingstoke-London, Macmillan : 201-236.
- Badran M., 1993, « Independent Women : More Than a Century of Feminism in Egypt », in J. Tucker (ed.), Arab Women : Old Boundaries, New Frontiers, Bloomington, Indiana University Press : 129-149.
- Bernard-Maugiron N., 2005, « Normes et pratiques en matière de statut personnel : la “loi sur le khul‘” en Égypte », Maghreb-Machrek, 181 : 77-98.
- Bernard-Maugiron N., 2008, « The Judicial Construction of the Facts and the Law. The Egyptian Supreme Constitutional Court and the Constitutionality of the Law on the Khul’ », in B. Dupret et al. (eds.), Narratives of Truth in Islamic Law, Le Caire, CEDEJ ; Londres, I. B. Tauris : 243-264.
- Bernard-Maugiron N. & Dupret B., 1999, « Les principes de la sharî’a sont la source principale de la législation. La Haute Cour constitutionnelle et la référence à la loi islamique », Égypte-Monde arabe, 2 : 107-125.
- Botiveau B., 1990, « 1979-1985, le droit de la famille en question », Maghreb-Machrek, 127 : 51-64.
- Brown N. & Lombardi C, 2006, « Do Constitutions Requiring Adherence to Shari‘a Threaten Human Rights ? How Egypt’s Constitutional Court Reconciles Islamic Law with the Liberal Rule of Law », American University International Law Review, 21 : 379-435.
- Chehata C., 1970, Précis de droit musulman. Applications au Proche Orient, Paris, Précis Dalloz.
- Costet-Tardieu F., 2005, Un réformiste à l’Université al-Azhar, Œuvre et pensée de Mustafâ al-Marâghî (1881-1945), Paris, Karthala ; Le Caire, CEDEJ.
- Costet-Tardieu F., 2009, « Les réformes du statut personnel en Égypte : les lois de 1920 et 1929 », in M. H. Benkheira & P. Bonte (dir.), Les réformes contemporaines du droit de la famille dans les sociétés musulmanes, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille (« Droit et religions, 4 ») : 705-713.
- Coulson N. J, 1995, Histoire du droit islamique, Paris, Presses universitaires de France.
- Cuno K., 2015, Modernizing Marriage. Family, Ideology, and Law in Nineteenth and Early Twentieth-Century Egypt, Syracuse, Syracuse University Press.
- El-Alami D., 2001, « Remedy or Device ? The System of Khul‘ and the Effects of its Incorporation into Egyptian Personal Status Law », Yearbook of Islamic and Middle Eastern Law, 6 : 134-139.
- El-Azhary Sonbol A., 2005, « History of Marriage Contracts In Egypt », Hawwa, 3 (2) : 159-196.
- El-Azhary Sonbol A., 2009, « The Genesis of Family Law : How Sharia Custom and Colonial Laws Influenced the Development of Personal Status Codes », in Z. Anwar (ed.), Wanted : Equality and Justice in the Muslim Family, Malaysia, Musawah, ed. Selangor, <http://arabic.musawah.org/sites/default/files/Wanted-AEAS-EN-2ed.pdf>.
- Ferrie J.-N. & Dupret B., 2004, « Préférences et pertinences : analyse praxéologique des figures du compromis en contexte parlementaire. À propos d’un débat égyptien », Information sur les sciences sociales, 43 (2) : 263-290.
- Hanna N., 1996, « Marriage among Merchant Families in 17th Century Cairo », in A. Sonbol (ed.), Women, the Family and Divorce Laws in Islamic History, Syracuse, Syracuse University Press : 143-154.
- Hasan A., 2003, « Granting Khul‘ for a Non-Muslim Couple in Egyptian Personal Status Law : Generosity or Laxity ? », Arab Law Quarterly, 18 (1) : 81-89.
- Kandiyoti D. (ed.), 1991, Women, Islam and the State, Houndmills-Basingstoke, Hampshire, Macmillan.
- Karam A. M., 1998, Women, Islamisms and the State. Contemporary Feminisms in Egypt, Basingstoke, Macmillan.
- Linant De Bellefonds Y., 1955, « Immutabilité du droit musulman et réformes législatives en Égypte », Revue internationale de droit comparé, 1 : 5-39.
- Lindbekk M., 2016, « Inscribing Islamic Shari‘a in Egyptian Divorce », Oslo Law Review, 3 (2) : 103-135.
- Lombardi C. B., 1998, « Islamic Law as a Source of Constitutional Law in Egypt : The Constitutionalization of the Shari’a in a Modern Arab State », Columbia Journal of Transnational Law, 37 : 81-123.
- Mansour H. H., 2001, Traité de droit du statut personnel (Al-muhit fi shar’h masa’il al-ahwal al-shakhsiyya), Le Caire, Dar al-Nahda al-Arabiya.
- Mayer A. E., 2001, « Issues Affecting the Human Rights of Muslim Women », in K. D. Askin & D. M. Koenig (eds.), Women and International Human Rights Law, Ardsley, N.Y., Transnational : 367-377.
- Mayeur-Jaouen C., 2013, « Les familles au Moyen-Orient moderne et contemporain (XVIIe-XXIe siècle) », in M. H. Benkheira, A. Giladi, C. Mayeur-jaouen et al. (dir.), La famille en islam : d’après les sources arabes, Paris, Les Indes savantes : 391-492.
- Moors A., 2003, « Introduction : Public Debates on Family Law Reform », Islamic Law and Society, 10 (1) : 1-11.
- Peters R. 1980, « Idjtihâd and Taqlîd in 18th and 19th Century Islam », Die Welt des Islams, 20 :131-146.
- Rapoport Y., 2005. Marriage, Money and Divorce in Medieval Islam, Cambridge, Cambridge University Press.
- Sadiqi F. (ed.), 2016, Women’s Movements in Post-Arab Spring « North Africa », New York, Palgrave Macmillan-Springer Nature (« Comparative Feminist Studies Series »).
- Shaham R., 1997, Family and the Courts in Modern Egypt, A Study Based on Decisions by the Sharī‘a Courts, 1900-1955, Leiden, Brill.
- Shaham R., 1999, « State, Feminists and Islamists : The Debate over Stipulations in Marriage Contracts in Egypt », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, 62 (3) : 462-483.
- Sharafeldin M., 2013, « Egyptian Women’s Rights NGOs. Personal Status Law Reform between Islamic and International Human Rights Law », in Z. Mir-Hosseini, K. Vogt, L. Larsen & C. Moe (eds.), Gender and Equality in Muslim Family Law. Justice and Ethics in the Islamic Legal Tradition, New York, I. B. Tauris : 57-80.
- Shukri ‘A, 2003, La femme égyptienne entre héritage et réalité, Le Caire, Université du Caire, Faculté de lettres, Centre de recherches et d’études sociales (en arabe).
- Singerman D., 2005, « Rewriting Divorce in Egypt : Reclaiming Islam, Legal Activism and Coalition Politics », in R. Hefner (ed.), Remaking Muslim Politics : Pluralism, Contestation, Democratization, Princeton, Princeton University Press : 161-188.
- Sonbol A., 1995, « Modernity, Standardization, and Marriage Contracts in Nineteenth Century Egypt », in D. Panzac (dir.), Histoire économique et sociale de l’Empire ottoman et de la Turquie (1326-1960) : Actes du Sixième Congrès International Tenu à Aix-en-Provence du 1er au 4 Juillet 1992, Paris, Peeters : 485-496.
- Sonneveld N., 2010, « Khulʽ Divorce in Egypt : How Family Courts are Providing a “Dialogue” between Husband and Wife », Anthropology of the Middle East, 5 (2) : 100-112.
- Sonneveld N., 2012, Khulʽ Divorce in Egypt : Public Debates, Judicial Practices, and Everyday Life, Cairo-New York, The American University in Cairo Press.
- Sonneveld N. & Stiles E. (eds.), 2019, Special Issue « Khulʽ : Local Contours of Global Phenomenon », Islamic Law and Society, 26 (1-2).
- Sulayman’ A. & Salah ‘A., 2003, « al-Khul‘ qanunan wa tatbiqan (Le khul‘, droit et pratique) », in A. al-sawi (ed.), al-Hisad.‘Aman ‘ala al-khul‘. Dirasa tahliliyya (La récolte. Deux ans après le khul‘. Étude détaillée), Le Caire, Markaz Qadayya al-Mar’a al-Misriyya.
- Zilfi M. C., 1997, « We Don’t Get Along : Women and Hul Divorce in the Eighteenth Century », in M. C. Zilfi (ed.), Women in the Ottoman Empire, Leiden, Brill : 264-296.
- Zulficar M., 2008, « The Islamic Marriage Contract in Egypt », in A. Quraishi & F. E. Vogel (eds.), The Islamic Marriage Contract. Case Studies in Islamic Family Law, Cambridge M A, Harvard Law School (« Harvard Series in Islamic Law, 6 ») : 231-274.
Mots-clés éditeurs : ijtihad, réforme, khul‘, famille, contrat, Égypte, mariage
Mise en ligne 21/06/2021
https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.34339Notes
-
[1]
Le président proposait d’interdire les répudiations orales, effectuées en dehors de la présence d’un notaire (ma’dhun). Voir Ceremony Marking Police Day, 24 janvier 2017, <https://www.youtube.com/watch?v=MN3O8nTK50c> (consulté le 31 mars 2020).
-
[2]
Dar al-Ifta’, communiqué de presse, 2 février 2017, <http://www.dar-alifta.gov.eg/ar/Viewstatement.aspx?sec=media&ID=4772> (consulté le 31 mars 2020).
-
[3]
Loi n° 25 de 1920 relative aux pensions alimentaires et à certaines autres questions se rattachant au statut personnel. Ce texte a été modifié par la loi n° 100 de 1985 modifiant certaines dispositions de la loi sur le statut personnel.
-
[4]
Loi n° 25 de 1929 relative à certaines questions se rattachant au statut personnel. Ce texte a lui aussi été modifié par la loi n° 100 de 1985 modifiant certaines dispositions de la loi sur le statut personnel.
-
[5]
Pour une étude du contexte de l’adoption de ces deux textes et de l’influence du mouvement réformiste, en particulier du cheikh Maraghi, voir Costet-Tardieu (2009).
-
[6]
Le législateur affirme ainsi, dans la note introductive de la loi de 1929, s’être appuyé sur la doctrine malékite pour introduire le divorce à l’initiative de la femme ou sur l’école chaféite pour fixer, d’après la seule condition du mari, le montant de la pension due à la femme.
-
[7]
C’est ainsi que, dès 1923, les tribunaux ont reçu l’ordre de refuser d’examiner des litiges relatifs à des mariages précoces ou non enregistrés. Si, juridiquement, le contrat de mariage était considéré comme valablement formé, l’État déclinait toutefois sa responsabilité pour trancher les litiges qui pouvaient en découler.
-
[8]
Le mouvement féministe égyptien est considéré comme pionnier dans le monde arabe. Dès les années 1920, des femmes éduquées des classes supérieures de la société lièrent libération nationale et libération de la femme (Badran 1991, 1993). Sous Nasser, le mouvement souffrit des restrictions imposées par l’État à la constitution d’associations autonomes de la société civile, avant de retrouver une nouvelle vigueur sous Sadate, à condition toutefois de ne pas heurter les mouvements fondamentalistes. À partir de Moubarak sont apparus des mouvements féministes islamistes, à côté des mouvements féministes libéraux et séculiers (El Ali 2000). Voir aussi Karam (1998) et Mayeur-Jaouen (2013).
-
[9]
L’ijtihad avait déjà été recommandé par les penseurs réformistes au xixe siècle, comme Mohammed Abduh, qui préconisaient une « réouverture des portes de l’ijtihad » pour sortir de l’imitation (taqlid) qui aurait entraîné une stagnation puis le déclin des sociétés musulmanes (Botiveau 1990 ; Costet-Tardieu 2009).
-
[10]
Loi n° 1 de 2000 organisant certaines formes et procédures du contentieux relatif au statut personnel.
-
[11]
Cette étude se base sur l’analyse d’une trentaine de décisions de justice de différents quartiers du Caire. Les jugements en matière de khul‘ n’étant pas sujets à appel et la Cour de cassation ayant perdu sa compétence pour examiner les pourvois en matière de droit de la famille depuis 2004 (loi n° 10), tous les jugements sont des jugements de premier et dernier degré.
-
[12]
Selon N. J. Coulson (1995 : 194), le législateur égyptien avait déjà recouru à un « -quasi-ijtihad » en 1946 lorsqu’il avait introduit le concept de legs obligatoire en faveur des petits enfants exclus de la succession de leurs grands-parents suite au décès de leur père.
-
[13]
Voir par exemple Bernard-Maugiron (2005, 2008) et Sonneveld (2012).
-
[14]
La loi a repris la formulation du verset 229 de la sourate al-baqara (La Vache). Parmi de telles infractions aux prescriptions de Dieu, on trouverait le fait de se montrer désagréable avec son époux et de lui rendre la cohabitation difficile, de ne pas respecter ses biens et son honneur, de ne pouvoir lui accorder ses droits légitimes, de ne pas lui obéir, de ne pas savoir garder les secrets de famille ou de tenir des propos déplacés (Al-‘Aguz 2001 : 368).
-
[15]
Le mari doit verser une dot à sa femme, somme d’argent qui lui appartient en propre. En Égypte comme dans de nombreux pays arabes, la coutume est de diviser la dot en deux parties, l’une étant versée au moment du mariage et l’autre lors de sa dissolution (décès de l’époux ou divorce).
-
[16]
Deux tentatives de conciliation, séparées d’au moins trente et au maximum soixante jours, doivent être organisées si les époux ont un enfant.
-
[17]
Il était visé par les articles 6 et 24 du règlement de 1931 sur les tribunaux de charia ainsi que par l’article 5 de la loi n° 25 de 1929 relative à certaines questions se rattachant au statut personnel.
-
[18]
Notaire chargé d’enregistrer les mariages et les répudiations entre Égyptiens musulmans.
-
[19]
Le khul‘ sans la nécessité du consentement de l’époux existait toutefois déjà au Pakistan depuis les années 1960 (Sonneveld & Stiles 2019 : 1).
-
[20]
Art. 39 du règlement des ma’dhun de 1955.
-
[21]
Le législateur tunisien avait déjà montré la voie dès 1956, lorsque le président Bourguiba avait présenté les réformes parfois audacieuses introduites dans le Code tunisien du statut personnel comme le fruit d’un ijtihad. Se basant sur une réinterprétation du verset coranique autorisant un mari à avoir plusieurs épouses, il avait ainsi réussi à interdire la polygamie, aucun mari ne pouvant pratiquer une stricte justice entre ses épouses dans les conditions sociales et économiques de l’époque. De même, une réinterprétation d’un hadith avait permis l’interdiction de la répudiation, cet « acte détestable ». Plus récemment, le Maroc a recouru lui aussi à l’ijtihad pour réformer son Code de la famille en 2004.
-
[22]
Les féministes d’autres pays, notamment au Maroc et en Tunisie, ont également renoncé pour beaucoup d’entre elles à se battre sur des positions purement laïcistes et fondent notamment leur appel à réformer le droit successoral sur l’argumentaire religieux. Pour une étude des défis posés aux féministes séculières en Égypte, voir N. Al-Ali (2000).
-
[23]
Parallèlement à la mobilisation en faveur de l’adoption du khul‘, la coalition essayait également de modifier le formulaire du contrat de mariage afin de faciliter l’ajout de clauses matrimoniales par les époux.
-
[24]
Les ONG qui choisissent cette nouvelle voie se heurtent cependant à la fois à des critiques internes de membres qui estiment que se placer sur le terrain du religieux vient légitimer la place de la religion et à celles des religieux qui leur nient toute légitimité à réinterpréter les sources de la charia (Sharafeldin 2013).
-
[25]
Pour une critique de cette position, voir Afshari (1994).
-
[26]
Traduction de R. Blachère, Le Coran, Paris, Maisonneuve & Larose, 1980.
-
[27]
Pour une étude du rôle ambigu joué par les institutions religieuses tout au long de la discussion du projet de réforme, voir Sonneveld (2012 : 43 sq.).
-
[28]
Procès-verbal de la séance du 16 janvier 2000 de l’Assemblée du peuple, p. 7.
-
[29]
Concernant les débats du projet de loi devant l’Académie des recherches islamiques d’al-Azhar et devant l’Assemblée du peuple, voir Mansour (2001 : 275 sq.). Voir aussi Ferrié & Dupret (2004).
-
[30]
Mise en place en 1979, la Haute Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la conformité des lois et des règlements à la constitution (la constitution de 1971, à l’époque de la décision). Elle est composée de juges dont la plupart proviennent du Conseil d’État et de la Cour de cassation, et sont tous des juristes formés dans les facultés de droit au droit positif. Une seule femme a siégé à la cour, de 2004 à 2012.
-
[31]
Haute Cour constitutionnelle, n° 21/23, 15 décembre 2002.
-
[32]
Conformément à la jurisprudence constante de la cour (HCC, 15 mai 1993, n° 7/8e), les règles flexibles de la charia (al-ahkam al-zanniyya), soit dans leur origine soit dans leur signification soit dans les deux à la fois, sont en effet évolutives dans le temps et dans -l’espace, dynamiques, et doivent s’adapter à la nature et aux besoins changeants de la société. La cour leur oppose les principes « dont l’origine et la signification sont -authentiques » (« al-ahkam al-shar‘iyya al-qat‘iyya fi thubutiha wa dalalatiha »), qui représentent des normes non contestables, que ce soit dans leur source ou dans leur signification, et qui doivent être obligatoirement appliquées. Ces principes sont figés, ne peuvent donner lieu à raisonnement interprétatif (ijtihad) ni évoluer avec le temps (Lombardi 1998 ; Bernard-Maugiron & Dupret 1999 ; Brown & Lombardi 2006).
-
[33]
Une étude menée en 2002 par le Center for Egyptian Women Legal Assistance (CEWLA) sur la mise en œuvre du khul‘ durant les deux premières années suivant son adoption dans six gouvernorats d’Égypte montrait qu’au Caire, en 2001, 2 695 femmes avaient demandé un divorce par khul‘ contre 2 509 demandes en divorce. Le ratio était similaire pour le gouvernorat de Giza et d’Alexandrie. De nombreuses requêtes en divorce, pendantes devant les tribunaux, s’étaient transformées en demande de divorce pour khul‘. Dans le gouvernorat de Sohag, en Haute Égypte toutefois, les requêtes en divorce étaient restées plus importantes que celles pour khul‘ (Sulayman & ‘Salah 2003 : 13 sq. ; Bernard-Maugiron 2005).
-
[34]
Pour l’étude de profils de femmes ayant décidé de recourir au khul‘ et les difficultés qu’elles ont dû affronter, voir Al-Sharmani (2008 : 81-110).
-
[35]
Les tribunaux de charia ont été supprimés en 1955 et le contentieux du droit de la famille a été confié aux tribunaux nationaux, où siègent des juges séculiers formés au droit positif dans les facultés de droit, et qui peuvent siéger indifféremment — et parfois -simultanément — dans des affaires civiles, commerciales, pénales ou relatives au statut personnel. Depuis 2004, tout le contentieux du droit de la famille a été regroupé au sein de tribunaux de la famille.
-
[36]
Les maris, qui ressentent comme une humiliation la requête de leur épouse, refusent généralement de coopérer (Al-Sharmani 2008).
-
[37]
Tribunal de la famille d’Imbaba, no 515/2008.
-
[38]
Un constat similaire a été dressé par M. Lindbekk (2016) dans d’autres tribunaux de la famille du Caire.
-
[39]
Sheikh Al-Sayed Sabiq (cheikh égyptien du XXe siècle), Fiqh al-Sunna.
-
[40]
Tribunal de la famille d’Omraniyya, affaire n° 1820/2010, 28 avril 2001.
-
[41]
Sheikh El-Sayed Sabiq, Fiqh al-Sunna, 2e édition, 1988 et Fiqh al-Bari, Explication de Bukhari, n. d.
-
[42]
Tribunal de la famille de Dokki, n° 130/2005, 30 juillet 2006.
-
[43]
Il s’agit d’un ouvrage du juge Ahmed Nasr al-Jindi, dont M. Lindbekk (2016) a trouvé, elle aussi, des références par d’autres tribunaux.
-
[44]
Tribunal de la famille de Shubra, n° 73/2008, 29 juillet 2008.
-
[45]
Les ma’dhun touchant un pourcentage d’environ 5 % du montant de la dot versée au moment du mariage, les mariés ont tendance à indiquer une somme fictive dans le contrat de mariage.
-
[46]
Tribunal de la famille de Badrashin, n° 276/2005, 26 avril 2007. Après des débuts plutôt hésitants (Sonneveld 2010), la jurisprudence semble s’être stabilisée autour de la compétence du tribunal de la famille pour examiner les demandes en réévaluations du montant de la dot, à condition que le mari fournisse la preuve de sa prétention.
-
[47]
Pour une application de la procédure de khul‘ à un couple de chrétiens de rites différents (copte orthodoxe/syrien orthodoxe), voir Hasan (2003).
-
[48]
Le code de 2011 a renommé ce type de rupture unilatérale à l’initiative de l’épouse « divorce contre rançon » (« tafriq li-l-iftida’ »).
-
[49]
Au Maroc, le khul‘ a toujours besoin du consentement du mari, mais le code précise que si le mari refuse de rechercher un accord sur une contrepartie pour que son épouse recoure au khul‘ afin de rompre son mariage, elle pourra recourir à la procédure de divorce pour discorde (shiqaq) (art. 120 de la Mudawwana de 2004). D’autres pays en dehors du monde arabe (ex. Zanzibar, Inde et Indonésie), ont également adopté des formes particulières de khul‘ pour leurs communautés musulmanes. Voir le numéro spécial d’Islamic Law and Society (Sonneveld & Stiles 2019).
-
[50]
Voir l’article de presse de L. Reem, « Compromising Women’s Rights ? », Al-Ahram Weekly, 7 November 2019.
-
[51]
Voir l’article de presse de S. Amin, « Can New Amendment Undermine Egyptian Women’s Rights to Divorce ? », al-Monitor, <https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2019/10/amendment-to-divorce-law-a-rollback-to-womens-rights.html#ixzz639gNETq4> (consulté le 31 mars 2020). Voir aussi les articles de S. Osama, « A Guide to the Proposed Amendments to Egypt’s Family Law », al-Ahram Weekly, 19 décembre 2019 et « Debate on Egypt’s New Personal Status Draft Law », Daily News, 10 mars 2019.