Notes
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Au nom et sous les auspices du Grand Orient de France
Le 24 septembre 1879, la Loge Le Phénix, à l’Orient de Joigny célèbre son centenaire (elle a été fondée le 13 octobre 1777). Pour témoigner de l’événement, elle publie en 1880 un opuscule dont la rédaction a été confiée au plus jeune de ses membres. L’ouvrage, dont un exemplaire a été retrouvé il y a peu, est présenté et analysé par Jean-Paul Lévy.
1C’est un petit livre bleu à la couverture fragile, intitulé « Historique du premier siècle de la L∴ Française Le Phénix à l’O∴ de Joigny (1777-1879) », vendu 1 franc, portant la marque de l’Imprimerie Hamelin-Zanote, Grande-rue 27, à Joigny et daté de 1880. L’auteur en est le F: Edgar Bérillon, étudiant en médecine.
2La devise du Grand Orient de France (GODF) ainsi que les initiales ANESLADGODF [1] figurent au fronton de l’ouvrage sous lequel on peut lire la mention « Fête du centenaire du Phénix célébrée le 24 septembre 1879 ».
3La page de garde porte le cachet de la loge orné d’un compas, d’une équerre et d’une étoile en son centre. Une dédicace figure au verso ainsi libellée :
« A mon T∴C∴Vén∴ du Phénix, M. Berthe-Havard, adjoint au Maire de la Ville de Joigny. Souvenir affectueux à tous mes FF∴ présents à la Fête du Centenaire »
4À l’antépénultième page de l’opuscule on peut lire que, « suivant extrait du Livre d’Or de la Loge, au compte-rendu de la Fête du Centenaire […] Le jeune F∴ Edgar Bérillon, Lowton du Phénix, Aff∴ à la L∴ l’École Mutuelle, de Paris, retrace l’histoire du premier siècle de notre R∴At∴. L’impression de cet intéressant travail par le moyen d’une souscription est votée d’acclamation par tous les FF∴ présents et séance tenante la liste de souscription est signée et remplie… »
5Arrêtons nous un instant sur la date de cette tenue mémorable, elle se situe près de douze ans après le premier débat qui s’est déroulé au Convent de 1867 sur l’éventualité de la suppression de la référence obligatoire à l’existence de Dieu (le statu quo l’emportera alors), quatre ans après la réception d’Émile Littré et de Jules Ferry sur les colonnes de la Clémente Amitié, dont Roger Dachez, dans son Que-Sais-Je consacré à l’histoire de la Maçonnerie Française, dira qu’« elle fut un événement mondain et maçonnique d’une portée considérable qui souligne l’importance désormais acquise de la pensée positiviste et du combat laïc au sein de la Maçonnerie ».
6Mais c’est surtout deux ans après l’adoption par le Convent de 1877 du vœu précédemment écarté par les Convents de 1875 et de 1876, consacrant l’abandon par le GODF du principe déiste sur le rapport du F∴ Frédéric Desmons.
7Le texte du frère Bérillon s’ouvre sur une citation du frère Francolin, Vénérable Maître de la Loge L’École Mutuelle à l’Orient de Paris, Orateur du Convent de 1879 (séance du 13 septembre 1879) : « La loi de justice doit régner sur le monde soyez en les fidèles serviteurs ; La loi de vérité est la seule règle des sciences, faites-vous-en les apôtres ; La loi du travail est la condition du bonheur de l’existence, nul ne peut s’y soustraire ».
8Cette exhortation est très significative de l’atmosphère qui règne alors au GODF, cette « Église de la République », selon le mot de Pierre Chevallier : plus d’obligation de croire en Dieu même si le GADLU (qui n’a pas disparu pour autant) peut être soumis à la libre interprétation de chacun, c’est le moment de la liberté de conscience.
9Les années 1880 seront celles du combat laïc et de l’intrication de l’action de l’obédience dans la lutte pour la République et pour l’École.
10En ce sens la Loge Le Phénix est bien de son temps, elle a d’ailleurs, tout au long de son premier siècle d’existence, reflété fidèlement les évolutions du GODF et de la société dans laquelle elle baignait.
Une loge dont l’itinéraire se calque sur celui de l’obédience
11Créée le 13 octobre 1777 à l’initiative de la Loge La Concorde à l’Orient de Sens, ses feux sont allumés par le Vén∴ M∴ de cet atelier qui n’est autre que… le curé de Saint-Savinien, elle compte alors sur ses colonnes des officiers royaux, conseillers de l’élection, procureur du Roi, ou lieutenant de baillage et des ecclésiastiques, elle porte alors le nom d’Aigle de Saint-Jean.
12Douze ans plus tard, ses membres les plus éminents seront les rédacteurs des cahiers de réformes de Joigny et lors de l’élection des représentants du baillage de Montargis c’est le vénérable de la loge de Joigny, Gillet de La Jacqueminière qui sera élu député du Tiers aux États-Généraux
13D’ailleurs le F∴ Bérillon souligne, lorsqu’il évoque le cahier de doléances de la ville de Joigny préparé par les maçons de sa loge, avant les États-Généraux (p.24),
« le cahier renferme toutes les aspirations libérales et anticléricales, dont il nous est enfin permis aujourd’hui d’espérer la complète réalisation… »
14Singulier anachronisme pour un atelier qui comptait avant la Révolution cinq prêtres parmi ses membres, l’auteur relève cependant à ce propos (p.22) :
« Peut-on s’étonner de la présence de ces ecclésiastiques dans la L∴, quand, cinq ans plus tard, les membres du clergé par leur union avec le Tiers-Etat, consomment le triomphe des idées modernes. On ne s’expliquerait aujourd’hui leur absence de nos L∴ que par l’Art. 11 des Règ∴ Gén∴ qui veut que les Maç∴ soient libres et de bonnes mœurs » In cauda venenum…
15Les francs-maçons de Joigny seront donc conventionnels avec la Convention, thermidoriens après Thermidor, directoristes avec le Directoire et très naturellement ils accueilleront le Consulat avec satisfaction.
16Ils se couleront donc sans difficulté dans le moule de la franc-maçonnerie impériale, faisant du sous-préfet puis du président du tribunal de commerce leurs vénérables successifs tandis que le collège des officiers rassemble notables et juges du tribunal civil.
L’Aigle de Saint-Jean renait de ses cendres sous le nom de Le Phénix
17La Restauration vaudra à L’Aigle quelques tracas (la loge est suspendue), mais s’il laisse dans l’expérience quelques plumes il renaîtra de ses cendres sous le nom du Phénix en 1826… L’Orateur dans son rapport sur la reprise des travaux s’en expliquera (p. 33) :
« Puisque l’Aigle choisi par la Divinité pour communiquer les impressions du Ciel à l’un des quatre Évangélistes est considéré, en cette circonstance, comme un emblème séditieux, je demande le changement de titre de l’Aigle de Saint-Jean en celui du Phénix ».
18Les membres sont dès lors conviés à des travaux exclusivement philanthropiques, on crée un souverain chapitre à l’usage des plus lettrés.
Le phénix. Représentation au XVIIIe siècle
Le phénix. Représentation au XVIIIe siècle
191830, La commotion de la Révolution de Juillet ouvre une ère de paix pour la loge qui devient… louis-philipparde, mais perd ses FF∴ militaires sur instruction du maréchal Soult, ministre de la Guerre.
201848, La République revient et la Loge Le Phénix en fournit les cadres :
21Le Vénérable Maître est élu conseiller général ; l’Orateur est nommé procureur de la République ; des frères de l’atelier sont portés à la députation.
22Les choses vont se gâter avec l’élection du Prince-Président : la loge est victime d’une dénonciation auprès de l’obédience, elle est sous le coup d’une menace de suspension, Grenet son Vénérable Maître est décrit comme un « homme dangereux » pour le parti de l’ordre. Le 2 décembre, il est arrêté avec l’un de ses officiers par le commissaire de police, ils sont tous deux conduits et enfermés dans les écuries du Grand Quartier, ils seront traînés ignominieusement sous escorte à la gare et déportés.
23Grenet est exilé, refusant sa grâce, il sera finalement libéré pour revenir mourir dans sa ville natale au milieu des siens en 1853.
24La loge est en sommeil et la tenue funèbre de Grenet sera célébrée dans le temple de l’atelier Les Vrais Zélés d’Auxerre, bel exemple de solidarité maçonnique.
25La Loge Le Phénix ne rouvrira sous surveillance qu’en 1860, reprenant son titre de L’Aigle et poursuivra ses travaux jusqu’en 1870 sous le maillet d’un chirurgien militaire de la garnison. À l’annonce de la guerre franco-prussienne, l’atelier fondera une ambulance, mais dès le 4 septembre elle fournira au gouvernement Provisoire les cadres de la Commission Municipale nommée par Gambetta.
26L’ambulance accueillera blessés et malades français et prussiens lors de l’occupation de la ville alors que la loge constituera un foyer de résistance, constituant l’armature de groupes de francs-tireurs en liaison avec l’armée de Dijon.
27La loge reprendra ses travaux le 18 avril 1871 portant à sa tête l’adjoint au maire de Joigny, elle reprend son titre Le Phénix, reléguant L’Aigle dans les poubelles de l’Histoire, puisque comme le note Edgar Bérillon « la chute ignominieuse du dernier empire prédite dans les Châtiments par notre Fv (sic) l’immortel Victor Hugo venait de s’accomplir à Sedan » (p.53).
28Comme on l’a déjà vu, le frère Bérillon développe une vulgate maçonnique bien en accord avec le ton de son époque, tout est dans sa péroraison (p. 59) :
« En confiant au plus jeune d’entre vous le soin de retracer le premier siècle de votre histoire, vous avez voulu unir le passé à l’avenir.
Vous avez voulu monter que la lutte est loin d’être terminée, qu’il reste des périls à braver, de grandes et nobles choses à accomplir. Vous avez voulu dire :
Jeunes gens, dans l’armée du progrès, votre place est à l’avant-garde ! »
29Dans cet ouvrage hagiographique, la Loge Le Phénix se décrit comme l’héritière de vertus et la porteuse d’un corpus idéologique qui est celui du progrès.
Une Loge aux traditions républicaines
30L’auteur exalte les souvenirs de la Grande Révolution :
P. 22 : « quelques mois après, la Révolution éclatait.
Les Maçons ne furent pas les derniers à prendre le poste qui leur convenait le mieux pour défendre la liberté et sauvegarder les intérêts de la patrie »
P. 23 : « les uns comme les FF∴ Kellermann, Carnot, Hoche, Kleber, Massena, Davoust, etc., repoussent glorieusement l’invasion, éclairant d’un rayon de gloire la jeune République, que fondent dans les Assemblées, en la scellant pour la plupart de leur sang, les FF∴ Mirabeau, Bailly, Lafayette, Sieyès, Camille Desmoulins, Danton, Saint-Just, les Girondins Brissot, Péthion, et tant d’autres aux noms immortels.»
31La Loge de Joigny paya aussi à la patrie son tribut de dévouement.
32On notera l’absence du frère Robespierre…
33Sous la IIe République l’auteur relève (p. 42) :
« ce qu’il est bon de constater, c’est que, quand le suffrage universel, à son aurore, chercha dans l’Yonne des hommes dignes d’être les représentants du peuple, ce fut dans les L∴ Maç∴ qu’il les trouva »
34Sous le Second Empire, Grenet, Ven∴ M∴ de la loge, est décrit comme un martyr républicain, un proscrit intraitable qui ne rentrera que pour mourir et dont les obsèques donneront lieu à une manifestation républicaine férocement réprimée (p. 48) :
« Ce F∴ qui personnifiait en lui toutes les vertus maçonniques fut un véritable martyr de la franc-maçonnerie. Il est la gloire la plus pure de notre At∴. Il mourut en aimant l’œuvre de progrès et de fraternité à laquelle il avait voué son existence. À l’exemple des vrais sages, il avait pardonné à ses bourreaux ».
35Cette vertu républicaine on va la retrouver dans la création de la commission municipale de Joigny mise en place par le Gouvernement Provisoire après le 4 septembre et par l’adhésion des FF∴ à la République (p. 55) puis par cette allusion in fine aux événement de 1877 qui voit la confrontation des Républicains à Mac-Mahon tourner au désavantage de ce dernier :
« En 1877, nos FF∴ avaient voulu célébrer à une date fixe le Centenaire de notre L∴. L’arrivée au pouvoir des hommes qu’un vote de la Chambre des députés a flétris naguère, alors que l’opinion publique n’avait plus rien laissé faire à ce sujet, retarda la solennité ». Ainsi la petite histoire doit-elle parfois céder le pas devant la marche de la grande…
Des traditions philanthropiques et une belle pratique de la fraternité
36On ne peut que renvoyer sur ce point à la lecture du passionnant dossier de La Chaîne d’Union paru sous le titre « La Fraternité, cet autre nom de la Franc-Maçonnerie », dans le numéro 84 publié en avril 2018.
37Cet « esprit de fraternité » est rappelé dès l’introduction du livre dans laquelle son auteur se livre à un rappel historique des origines de la franc-maçonnerie (p. 10), dans une « démonstration des prodiges que peut accomplir la solidarité maçonnique »
38Un peu plus loin, alors qu’est évoquée la vie de l’atelier sous la Restauration, le frère Bérillon relève (p. 35) :
« Deux fêtes solsticiales ont eu lieu. À la première, quatre cents livres de pain ont été distribuées aux pauvres ; à la seconde, six cents livres. De nombreux secours ont été donnés à des maçons et à des profanes malheureux; et suivant l’expression textuelle du F∴ Grenet : « Vous n’avez pas voulu que votre bienfaisance s’étendît exclusivement sur des Maç∴ malheureux, vous avez encore étendu vos bienfaits sur une foule de Prof∴ qui ont appris de vous à bénir une société que, jusqu’alors, les préjugés et les calomnies des bigots ne leur avaient fait envisager qu’avec une espèce d’horreur ».
39La « bienfaisance » est alors le maître mot (p. 38), le V: M : est décrit comme un « homme généreux ».
40Sous le Second Empire les FF∴ se cotisent, alors que la L∴ est en sommeil pour acquitter les loyers de ses locaux afin de les lui conserver (p. 50), on a vu également que dès l’engagement des hostilités en 1870 l’atelier fonde une ambulance qui fonctionnera tout au long du conflit grâce à l’investissement personnel des FF∴ dont l’un succombera au typhus contracté en soignant Français et Prussiens (p. 55) :
« La loge prit soin de sa veuve et de son fils, qui fut adopté. Un appel aux LL: de France produisit en leur faveur plus de dix-huit cents francs ».
41Cette philanthropie trouvera même chez l’ennemi un écho favorable puisqu’un officier supérieur prussien, lui-même franc-maçon, se fera reconnaître par le V∴M∴ pour le féliciter « de présider une loge qui comprenait si bien ses devoirs philanthropiques » (P. 55).
Les vertus patriotiques et militaires
42Avant que le Maréchal Soult sous la monarchie de Juillet n’interdise aux officiers de la garnison de fréquenter ses colonnes, la loge a compté des militaires parmi ses membres. Dès l’avènement de la Seconde République, les FF∴ sont membres de la Garde Nationale, le V∴ M∴ est d’ailleurs porté à sa tête en 1848.
43En 1870-1871, ils vont, pour certains, s’enrôler dans les francs-tireurs de l’Yonne sous la conduite du F: Bouxin, commandant la compagnie de marche d’Auxerre et sa bravoure sera célébrée par la loge, tout d’abord dès la reprise des travaux puis, à sa mort, lors de ses obsèques ou trois discours seront prononcés sur sa tombe par 3 FF∴, l’un saluant le « libre-penseur », le second « le maçon fidèle à ses convictions » et le troisième « le capitaine qui avait donné si souvent l’exemple du plus pur patriotisme quand la patrie était en danger » (p. 57).
Une loge « sur la route ardue du Progrès »
44Cette expression sous la plume du F∴ Bérillon résume assez bien par sa symbolique les fondamentaux philosophiques et politiques de l’atelier lors de son centenaire.
45Héritiers des Lumières, les FF∴ du Phénix de Joigny n’ont pu qu’approuver l’évocation par l’auteur (p. 14) des membres réels ou supposés de la loge des Neufs Sœurs, de la réception en son sein du frère Voltaire, illustrée d’une citation du frère Louis Blanc : « A la veille de la Révolution Française, la franc-maçonnerie se trouvait avoir pris un développement immense. Répandue dans l’Europe entière, elle secondait le génie méditatif de l’Allemagne, et présentait partout l’image d’une société fondée sur des principes contraires à ceux de la société civile » (p. 15).
46De même l’auteur n’échappe-t-il pas à la tentation de présenter la franc-maçonnerie comme le fourrier de la Révolution, empruntant à front renversé les thèses de l’abbé Barruel et de Burke. C’est ainsi qu’on peut lire (p. 16) :
« Les citoyens se préparaient dans les temples par la discipline maçonnique, à l’exercice des vertus et des devoirs civiques qui, dix ans plus tard, devaient assurer le triomphe définitif de l’Égalité ».
47Les frères sont présentés comme des conspirateurs, « Mais conspirateurs respectueux des Lois de leur pays, soutenant l’éternelle lutte de la loyauté contre l’hypocrisie, de la raison éclairée contre la foi stupide et aveugle ».
48Le positivisme va d’ailleurs, dès le réveil de la loge dans le Second Empire finissant, devenir « la base des travaux de la loge » grâce aux conférences du nouveau Vénérable Maître, un chirurgien militaire (p. 52).
49C’est le même positivisme qui présidera à la réception d’Émile Littré et de Jules Ferry en 1875 à la Loge La clémente Amitié, animé par cette même croyance dans la marche de la science et de la liberté vers le progrès, l’ouvrage soulignant d’ailleurs que la disparition des premières entraîne le recul du second :
« Mais après ce recul des idées libérales en France, pourquoi le progrès s’arrête-t-il subitement dans sa course ? Pourquoi la science et la Liberté disparaissent-elles pour faire place à l’ignorance et à la tyrannie religieuse, la plus redoutable de toutes ? C’est que la franc-maçonnerie a disparu » (p. 12).
… « comme aujourd’hui, la lutte se livra entre la science et la superstition, entre la philosophie et le cléricalisme d’alors, entre le travail et les Croisades, dont les pèlerinages modernes ne sont qu’une pâle et grotesque imitation ».
50Ces quelques lignes renvoient évidemment à l’apostrophe lancée alors par le frère Gambetta le 4 mai 1877 devant la Chambre des Députés :
« Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »
51La présence de plusieurs médecins parmi les Vénérables Maîtres successifs de la loge jovinienne illustre encore cette veine scientiste : Grenet le martyr du 2 décembre 1851 est le prédécesseur de son confrère de Maugras, chirurgien militaire à l’armée du Rhin, ils sont tous deux les héritiers de Bourdois de Lamotte, médecin en chef de l’armée des Alpes en l’An III puis médecin du Roi de Rome et enfin membre de l’Académie de Médecine ; Edgar Bérillon est lui-même un carabin.
52Cette tension entre la science, le progrès et la philosophie d’une part et le cléricalisme et le l’ignorance conduit tout naturellement l’atelier à soutenir activement l’École Laïque, il s’agit d’une composante majeure de l’identité du Phénix.
53Ainsi la loge participe-t-elle à toutes les œuvres libérales, qu’il s’agisse de favoriser la création et le développement de nouveaux établissements, de donner chaque année des récompenses pour encourager (p. 58) « la moralité des élèves, garçons et filles, elle a montré qu’elle allait rentrer dans une voie nouvelle, féconde en résultats ».
54La loge adhère à la Ligue de l’Enseignement qualifiée « d’œuvre éminemment maçonnique » et le F∴ Bérillon de citer à nouveau le V∴M∴ de sa loge d’affiliation L’École Mutuelle, Orateur du Convent de 1879 :
« J’ai cru qu’il fallait dire nettement que nous sommes l’avant-garde de l’éducation laïque et républicaine, et que partout où il y a un enfant, partout où il y a une école, on trouvera la main d’un franc-maçon, afin que la parole célèbre devienne une vérité : La Franc-Maçonnerie et l’Éducation sont une seule et même chose, et toujours en face de l’Internationale noire, qui veut les ténèbres et la soumission, l’on trouvera, vigilante et dévouée, l’Internationale bleue, l’Internationale des fils d’Hiram, qui veut la Lumière, la justice et la Liberté ».
55On voit donc que c’est dans cette lutte prométhéenne entre les Lumières et l’obscurantisme, que se place la loge du Phénix lors de sa Fête du Centenaire, contre ce qu’Anatole France appellera quelques années plus tard, en pleine Affaire Dreyfus, le Parti Noir dans son ouvrage éponyme ou le Parti-Prêtre.
56C’est dans cet anticléricalisme de défense de la République, dans ce combat laïc que s’inscrivent ces frères qui, à n’en pas douter, sont des républicains opportunistes et pour les plus avancés des radicaux. C’est au nom de la construction de la République que ce thème est constamment décliné.
57Ne s’agit-il pas là d’une incantation propre à ces radicaux qui préféraient célébrer la laïcité plutôt que d’aborder la difficile question sociale à l’avènement du régime républicain comme le soutient Gérard Noiriel dans son Histoire Populaire de la France récemment parue ?
58Si cette analyse n’est pas complétement infondée, elle n’est pas toutefois complète, car la République s’est incontestablement construite contre les Légitimistes, les Orléanistes et les Bonapartistes de tous poils qui peuplèrent la Chambre et le Sénat de la prime jeunesse de la IIIe République. Ceux-là étaient aidés et soutenus par un clergé catholique accroché à ses privilèges et à la domination sans partage qu’il exerçait sur l’École depuis la loi Veuillot et le Second Empire et ils ne voulaient pas du nouveau régime.
59Il fallait donc bien en passer par là pour asseoir la légitimité de l’État républicain, la Loi de Séparation viendra en 1905 mettre un point final (provisoire ?) à la querelle.
60Le combat n’est jamais achevé…
Notes
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[1]
Au nom et sous les auspices du Grand Orient de France