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Publié dans le numéro 9 de la Chaîne d’Union, paru au printemps 1988
Le conte a une valeur initiatique fondamentale. Au fil des aventures imagées qu’il propose, c’est tout un symbolisme de l’aventure humaine qui est décrit. Souvent le conte fait peur, on y passe du mal absolu au bien absolu. Cela est nécessaire pour impressionner l’imagination, nourrir la réflexion, investir la mémoire. Dans ce texte, publié une première fois en 1988 , Michel Watier déplie une grille de lecture exploitant la méthode et la culture maçonniques et offre un accès privilégié aux mystères de Blanche-Neige.
1 [1]Les contes de fées. Voilà un genre littéraire qui ne jouit plus d’une grande considération de nos jours. On en garde quelques-uns, par tradition, dans des livres pour enfants destinés à favoriser le sommeil. Si l’enfant est trop petit pour lire et que le papa se voit réclamer une histoire, le livre de contes de fées sera le bienvenu pour suppléer une imagination défaillante. Mais, dès ses huit ans, l’enfant s’intéressera moins aux contes de fées ou aux contes et légendes de type mythologique, pour préférer épanouir son rêve du côté de la science-fiction.
2Le conte, donc, genre aujourd’hui dévalué, a pourtant connu un regain de vogue grâce au dessin animé dans les longs métrages de Walt Disney. (Finalement, nous adorons qu’on nous raconte des histoires.)
3Il y a 300 ans, Perrault et plus tard Grimm et Andersen mirent en forme toute une littérature orale traditionnelle. Orale, car le conte, c’est évidemment ce que l’on raconte, et non ce qu’on lit.
4Le conte, c’est la veillée devant la cheminée, avec le jeu des flammes et des ombres, et les bruits de la nuit au-dehors. Le conte, c’est avant tout un conteur, dont la voix change avec les personnages, qui module ses effets, qui crée une atmosphère et un rêve collectif, alors que le livre ne crée qu’un rêve individuel.
5Le conte avait une valeur initiatique fondamentale, car à travers les aventures imagées c’était tout un symbolisme de l’aventure humaine qui était décrit. Et si le conte faisait souvent peur, c’était pour laisser une marque, pour impressionner les imaginations, motiver les réflexions, pénétrer les mémoires.
Du mal absolu au bien absolu
6Il faut noter la forme dialectique du contenu, les oppositions, les violences extrêmes. On voit froidement le loup dévorer la grand-mère, l’ogre mettre les enfants au saloir jusqu’à ce que Saint-Nicolas vienne miraculeusement leur rendre leur intégrité physique et la vie. On passe du mal absolu au bien absolu par un coup de baguette magique qui établit l’exemplarité du conte, sa distance vis-à-vis du réel, et nous ramène à cette logique enfantine qui est celle des grandes profondeurs psychiques. Comme disent les enfants : « On dirait que c’est vrai… On dirait que je suis le prince… On dirait que je monte sur les oiseaux pour survoler le monde… »
7En fait, les prémisses totalement convenues sont une certaine appropriation du réel, et le déroulement est exemplaire. La leçon, prise au second puis au troisième degré, se développera au cours du temps, avec la vie de l’individu, jusqu’au moment où, à son tour, il racontera à ses enfants puis à ses petits-enfants les histoires traditionnelles. Et, parce qu’elles sont traditionnelles, parce qu’elles font partie de la petite enfance avant de faire partie de l’âge adulte, elles nous rattachent à nos racines profondes, à notre moi intime, à ce qui nous remue, nous émeut, nous justifie.
Trois degrés d’interprétation
8Un premier degré d’interprétation des contes de fées est celui de Carl Gustav Jung, aidé de son assistante Marie-Louise von Franz. (Plus tard, Bruno Bettelheim suivra la même interprétation.) Pour Jung, toute l’aventure relatée par le conte reflète la lutte que mène l’inconscient pour accéder à la conscience. Le conte utilise les voies de l’émotivité, du vécu et de l’instinct pour conduire de grandes pulsions et de grands enseignements jusqu’à la prise de conscience, par un chemin non rationnel.
9Marie-Louise von Franz rapporte un mythe des Indiens Ojibwa d’Amérique du Nord. Quand le Grand Dieu voulut transmettre aux hommes la connaissance de la « médecine secrète », il ne put se faire comprendre d’eux. Alors, il instruisit une loutre qui, à son tour, enseigna les humains. Le dieu est donc passé par un animal (c’est-à-dire par un instinct) pour se faire comprendre. Marie-Louise von Franz conclut : « Dès que la conscience humaine adopte une forme de conviction absolue, un dogmatisme, face au mystère du monde qui l’entoure et de la psyché, le pôle spirituel est fermé. J’ai souvent constaté qu’en pareil cas, l’archétype qui veut se manifester à la conscience doit emprunter la voie de la loutre. »
10Un second niveau d’interprétation, celui que je propose ci-après, exploite totalement la méthode et la culture maçonniques : c’est la voie symbolique.
11Un troisième niveau se relie aux mythes spiritualistes les plus élaborés des traditions ésotériques et mystiques (Hindous, Juifs, Chrétiens). Ce niveau dépend de chaque interprétation personnelle, en fonction de la culture et des goûts de chacun.
12Mais, avant d’en arriver là, il faut tout d’abord passer par la lecture symbolique. Prenons l’exemple de Blanche-Neige (je m’inspire ici d’un article paru il y a quelque quarante ans dans Renaissance Traditionnelle et qui était dû à Jean Duprat).
13Pour que la référence soit plus aisée au souvenir de chacun, je me fonderai sur le déroulement du film de Walt Disney, qui suit exactement le conte. En parlant de films, d’ailleurs, n’est-il pas intéressant qu’un conte fantastique moderne comme La Guerre des étoiles éprouve le besoin de faire appel à une notion de chevalerie, d’initiation, d’apprentissage dans la maîtrise de soi et de recours à une force supérieure ?
Les Nains comme le Miroir sont les figures de facultés humaines
14Laissons se dérouler le fil de l’histoire en admettant comme clé d’interprétation que presque tous les personnages, la Reine, Blanche-Neige, le Miroir, les Nains, sont les figures de différents aspects ou de différentes facultés d’une même personne humaine dont l’itinéraire spirituel nous est conté. N’oublions pas que ce conte, issu d’une tradition ancienne, a mûri dans un contexte à l’époque obligatoirement religieux, qui évoquait l’intervention divine, mais que nous pouvons aujourd’hui, à notre choix, interpréter dans le contexte spirituel qui conviendra à chacun.
15Au départ, c’est la rencontre de deux personnages : Blanche-Neige (l’âme) et le Prince Charmant (qui représente l’état supérieur de la conscience, apparaissant ici comme vecteur de l’amour divin dans une interprétation théiste, ou en général comme la faculté de dépassement vers un état supérieur de l’être).
16Le conte débute dans un château. Une femme belle, hiératique et dure, interroge le Miroir magique. Pour la première fois, celui-ci lui répond qu’elle n’est pas la plus belle, mais que « Blanche-Neige est plus belle que toi ». Quelque part dans le château, Blanche-Neige, une toute jeune fille vêtue en souillon, accomplit des travaux serviles.
17La Reine (la femme qui interroge le Miroir) est l’âme mondaine, attachée aux apparences, dans son égoïsme satisfait. Le Miroir, c’est la conscience que cette âme peut avoir d’elle-même. Dans toute la littérature d’imagination symbolique, le miroir représente la prise de conscience de soi. Quand Alice au pays des Merveilles passe de l’autre côté du miroir, elle va explorer d’autres aspects de sa personnalité. Blanche-Neige, elle, figure l’âme spirituelle, qui était complètement écrasée par la mondanité dominatrice que représente la Reine.
18Aucune des virtualités que Blanche-Neige porte en elle n’avait pu se développer jusqu’à ce moment précis où, devant un auditoire représenté par des oiseaux, elle chante son désir de rencontrer le Prince Charmant. L’âme spirituelle a pris conscience d’elle-même et de sa vocation. Nous l’avons déjà constaté dans le fait que sa beauté, jusqu’ici voilée, devient apparente, ce que reconnaît le Miroir magique.
19Une seconde conséquence va se produire aussitôt. Le premier mouvement de l’âme vers sa transfiguration reçoit sa réponse : un cavalier s’approche de Blanche-Neige. Celle-ci ne l’aperçoit d’abord que par sa réflexion dans l’eau du puits sur lequel elle est penchée. Effarouchée, la jeune fille s’enfuit à l’intérieur du château puis, confuse de sa tenue, elle a un geste de coquetterie avant de se montrer à la fenêtre. Elle échange avec le Prince un baiser symbolique dont une colombe est le messager.
20Observons soigneusement la succession des événements :
- un désir humain de dépassement et de rencontre spirituelle ;
- la contemplation imparfaite et par réflexion du messager ;
- enfin, un regard face à face, lorsque Blanche-Neige a pris conscience d’elle-même.
21L’aspect supérieur, d’ordre divin, de l’être humain, était auparavant voilé par les conséquences d’une « chute » ou d’une « déchéance ». Il y a nombre de contes, comme dans Cendrillon ou Peau-d’Âne, où une jeune fille de bonne naissance se trouve réduite en servitude.
Le Prince Charmant c’est la faculté de dépassement vers un état supérieur de l’être
22Alors, une intervention d’ordre supérieur est nécessaire pour opérer le rachat et faire sortir l’âme de sa léthargie. Cette intervention n’est pas autre chose que la transmission d’une influence spirituelle représentée par le regard échangé. Cette rencontre de l’humain et du divin se produit dans le rite initiatique.
23Le geste de coquetterie de Blanche-Neige consiste à passer la main dans ses cheveux pour en arranger l’ordonnance. Cela indique qu’elle prend conscience à la fois de sa beauté naturelle et de l’état d’effacement dans lequel cette beauté se trouve voilée.
24La Reine, elle, l’âme humaine, restait belle, selon sa nature, malgré sa déchéance et sa mondanité, jusqu’à l’arrivée du Prince. Mais toute cette beauté s’effondre devant « l’âme de l’âme » dès que celle-ci est illuminée par la perspective supérieure.
25Soulignons le symbolisme du regard qui « projette » sa lumière. Bien sûr, le symbole est à l’inverse des règles de l’optique physique, mais ne dit-on pas couramment « jeter un regard » ? Ce regard illuminateur et re-créateur est donc un symbole adéquat de l’influence profonde que transmet l’initiation.
26Nous voici parvenus au premier nœud dramatique. Devant la franchise du Miroir Magique, la Reine se rebelle. On peut avoir conscience d’un fait, mais c’est autre chose que de l’accepter. Aussi la Reine convoque-t-elle un garde auquel elle donne l’ordre d’emmener Blanche-Neige dans la forêt et là, de la tuer. L’âme égoïste et mondaine sent le danger que représente pour elle la spiritualité. Son instinct de conservation lui fait rejeter une aventure spirituelle qui serait sa propre destruction.
27Le meurtre ne sera en fait que symbolique. On apprendra qu’à Blanche-Neige épargnée sera substituée une biche dont le cœur sera présenté à la Reine. Nous avons ici un thème analogue à celui du sacrifice d’Isaac : la biche est l’équivalent féminin et forestier du bélier.
28Le meurtre simulé de Blanche-Neige correspond à la première mort initiatique. Il s’agit pour l’âme de mourir à un état d’esclavage pour renaître dans un état de liberté.
29La spiritualité de l’âme reprend sa place privilégiée grâce à cette mort initiatique et il est intéressant de citer ici un passage du Coran - ce qui nous permet pour une fois d’élargir nos traditionnelles références judéo-chrétiennes. Il est écrit, dans la sourate dite « des Aumailles » : « Certes Dieu est le fendeur du grain et du noyau. Il fait sortir le vivant du mort et il est celui qui tire le mort du vivant. »
La fuite de Blanche-Neige est comme une descente aux Enfers
30Ayant échappé au couteau, Blanche-Neige, éperdue, s’enfuit. Dans sa peur panique, la forêt lui apparaît affreusement hostile. Un monde ténébreux se manifeste à elle. Les arbres deviennent des monstres grimaçants qui l’agrippent de leurs griffes au passage. Elle court, trébuche, s’enfuit, jusqu’au moment où, à bout de forces, elle s’effondre en sanglotant dans une clairière, puis s’endort.
31On pense évidemment à une descente aux Enfers, qui accompagne la première mort initiatique. Cet aspect infernal est particulièrement marqué dans le film de Walt Disney par la chute verticale de Blanche-Neige, au cours de sa fuite, dans un marécage où les troncs flottants deviennent des crocodiles.
32Pendant le sommeil de Blanche-Neige, la forêt est devenue un lieu paradisiaque éclairé par une lumière de printemps. Les animaux convergent vers la clairière où la jeune fille est étendue. Celle-ci s’éveillera dans un monde d’âge d’or, ou de Paradis terrestre (nous rejoignons ici l’idée d’effacement de la chute et d’une éventuelle faute originelle). Aucune hostilité n’existe entre les bêtes, et toutes paraissent attirées par Blanche-Neige. Cette dernière s’est éveillée pour une seconde naissance. La lumière est donnée, il reste à l’actualiser.
33Blanche-Neige est conduite jusqu’à une maison dont les occupants sont absents. Ces derniers, sept nains, sont en train de travailler dans une mine creusée dans la montagne, d’où ils extraient des diamants. Le thème des nains gardiens d’un trésor est fréquent (voir les Niebelungen). Ils apparaissent souvent aussi au terme d’un voyage qu’accomplit le héros.
34Il convient de remarquer qu’ici le voyage est intérieur : les sept nains représentent les sept puissances de l’âme. Les noms qu’ils portent désignent des qualités du psychisme. Ils travaillent dans la montagne, lieu privilégié du symbolisme hermétique, et plus précisément dans la mine ou la caverne, qui figure le cœur.
35Ainsi, pendant que se déroulait la renaissance de l’âme spirituelle en dépit de sa partie profane, les fonctions naturelles de l’être, figurées par les nains, recherchent la lumière sous sa forme cristallisée : le diamant.
36La maison des nains est mal tenue. Aidée par les animaux de la forêt, Blanche-Neige entreprend de nettoyer et de mettre de l’ordre. Pour ce faire, elle « rassemble des objets qui sont épars ». Ayant achevé son travail, fatiguée, elle s’étend en travers des lits. Les lits des nains sont petits : elle prend possession de plusieurs d’entre eux, marquant ainsi la domination de l’âme spirituelle sur les facultés psychiques. Du même coup est signifiée l’unité fondamentale de l’être humain.
37Et Blanche-Neige s’endort.
La Reine est l’âme individuelle pervertie
38Il nous est possible maintenant de mieux situer les uns par rapport aux autres les différents aspects de l’être évoqués par les principaux personnages.
- La Reine est l’âme individuelle pervertie, c’est-à-dire faisant porter son unique intérêt sur un « moi » dont le centre de gravité est en décalage par rapport au véritable centre de l’humain. Par rapport à la théorie chrétienne, elle a les caractéristiques de Lucifer, le plus beau et le plus indépendant des anges.
- Les Nains représentent les diverses facultés qui, par nature, ne sauraient être perverties. Ils échappent un peu au raisonnement moral, aux notions de bon et de mauvais, bien que la visite illuminante de Blanche-Neige les amène à faire leur toilette. Ils expriment quelque chose de relativement innocent dans l’âme humaine. Cette innocence est celle d’une égale incapacité de tomber ou de s’élever. Ils peuvent conquérir la vérité sous la forme condensée du cristal, comme un germe dont les virtualités ne se sont pas développées.
- Blanche-Neige est, dans l’âme, la possibilité de pure spiritualité. Elle a suivi le processus initiatique dans ses phases essentielles : mort, descente aux Enfers, résurrection, travail.
Sept nains, sept cascades, sept collines
39Poursuivons le récit. Quand les Nains rentrent du travail, leur première réaction sera l’effroi : quelque chose a changé dans la demeure. Une fois qu’ils auront compris que Blanche-Neige a réalisé l’unité de l’être, et qu’elle a en quelque sorte rencontré ce dernier, la fête succédera au trouble. Blanche-Neige danse avec les Nains. Ainsi la danse fait pendant à la fuite dans la forêt. L’une étant la descente aux enfers dans le pessimisme, l’autre est l’exaltation de l’optimisme.
40À cette étape du récit, l’initié a réalisé en lui l’état primordial. Sa démarche fut jusqu’ici horizontale, de la périphérie au centre. C’est l’achèvement de ce qu’on a appelé les Petits Mystères.
41Que se passe-t-il alors ? La Reine apprend par le Miroir que Blanche-Neige « qui est plus belle que toi » est toujours en vie et réside chez les sept Nains, par-delà les sept cascades, au pied des sept collines. La Reine a alors recours à deux pratiques magiques : elle se transforme en une horrible sorcière pour ne pas être reconnue, et élabore une pomme empoisonnée. Elle rejoint Blanche-Neige au domicile des sept Nains et, en l’absence de ces derniers, l’empoisonne. Blanche-Neige s’effondre, apparemment morte. Les Nains arrivent trop tard. Ils poursuivent la sorcière à travers les rochers d’une montagne dénudée. Elle tombe dans un ravin et se tue à son tour.
42Nous sommes évidemment en présence d’un récit destiné à évoquer le début d’une seconde phase initiatique. Blanche-Neige est soumise à la seconde mort, celle qui ouvre le chemin des Grands Mystères. Cette seconde mort est la dissolution des facteurs individuels ou des résidus psychiques qui leur servent de support. Et voilà pourquoi Blanche-Neige apparaît morte aux yeux des Nains, qui ne peuvent pas voir au-delà de leur propre monde.
43Soulignons que l’expression « seconde mort » se trouve dans l’Apocalypse de Saint Jean, dans le passage suivant : « L’enfer et la mort furent jetés dans l’étang de feu, c’est-à-dire la seconde mort. »
44Pour l’individualité, il s’agit de l’annihilation pure et simple, donc de l’éventualité la plus angoissante. C’est bien ce qui va se produire pour la Reine-sorcière. Elle incarne les possibilités « infernales » de l’être humain qui sont alors destinées à disparaître totalement. Cette disparition sera la chute dans le ravin, fin du caractère illusoire de ces possibilités. Nous avons dit que la Reine avait un aspect luciférien (le plus beau et le plus indépendant des anges). Maintenant la nature satanique remplace l’aspect luciférien : elle apparaît comme une sorcière très laide et très dangereuse, jusqu’à sa disparition.
45Blanche-Neige avait cheminé jusqu’ici de façon horizontale, jusqu’au centre de son être. Maintenant qu’elle l’a trouvé, son chemin va être vertical. Il s’agira d’une transformation au sens étymologique, c’est à dire d’un passage au-delà de la forme, qui est, avec le temps, une caractéristique de la manifestation matérielle. Blanche-Neige est morte à l’individualité.
46La première étape initiatique était une sortie de l’état profane. Mort symbolique, puisqu’il y avait substitution par la biche. L’individualité n’est pas détruite : elle doit au contraire prendre possession de toutes ses possibilités.
47La seconde mort marque un décrochement d’un autre ordre : Blanche-Neige, en tant qu’individu, n’existe plus.
48La première mort se faisait par blessure, et le cœur était symboliquement arraché : l’amande devait être ôtée de la coque, le germe mis à nu. La seconde mort passe par la consommation d’un fruit empoisonné, fruit qui, comme par hasard, est une pomme ! Nous revoilà dans l’ésotérisme chrétien, dans le fruit de la connaissance… Vous savez que quand on coupe une pomme en deux horizontalement, on voit apparaître au centre une étoile à cinq branches.
Le départ du Prince Charmant et de Blanche-Neige dans un flamboiement de soleil correspond aux Grands Mystères
49Blanche-Neige, donc, meurt aux apparences. Les Nains l’ont allongée dans une châsse de verre, jusqu’au moment où le cavalier transcendant du début de l’histoire apparaît et réveille Blanche-Neige d’un baiser. Il l’emmène sur son cheval, dans un flamboiement de soleil. Ce départ vers un avenir radieux, mais non explicité, cette ellipse de la fin, correspond bien aux Grands Mystères. Au niveau des Petits Mystères, le travail était montré (Blanche-Neige mettait de l’ordre dans la maison des Nains) et le résultat acquis était fêté par la danse. Mais maintenant plus rien n’est accessible de l’extérieur. On peut se demander quel est le niveau de réalisation spirituelle suggéré par la fin de l’histoire. S’agit-il de l’identité suprême, de l’ascension au niveau supérieur de l’esprit ? Le fait que l’homme et la femme, unis, s’envolent à travers les airs vers un château céleste flamboyant de lumière peut le laisser supposer.
Notes
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Publié dans le numéro 9 de la Chaîne d’Union, paru au printemps 1988