1La parution du « Monde maçonnique des Lumières (Europe-Amériques & Colonies) », est intervenue pratiquement au moment où le Grand Orient de France a fêté le 240e anniversaire de sa naissance. Il ne peut y avoir de meilleure façon de commémorer cet événement que de se plonger dans la lecture des multiples histoires que renferment ces trois tomes qui retracent, à travers les histoires des maçons, l’histoire de la fondation de la maçonnerie.
2Une tâche immense menée à bien par Charles Porset, malheureusement décédé en mai 2011 avant la sortie de ce qui aurait constitué l’aboutissement d’une carrière universitaire vouée à la franc-maçonnerie, et Cécile Révauger qui poursuit à l’université de Bordeaux III les recherches dans une discipline qui a acquis, grâce à eux et d’autres pionniers, ses lettres de noblesse. Pour raconter cette épopée qui débute en Angleterre et en Ecosse avec celle des Lumières, les deux coordinateurs de ce dictionnaire ont rassemblé près de cent cinquante spécialistes du XVIIIe siècle parmi les plus réputés et ont choisi la forme prosopographique. Plus de 1000 notices sont consacrées à l’histoire des frères et des soeurs – il n’y en a que neuf ! – qui ont participé à cette aventure.
3Le XVIIIe siècle constitue « l’âge d’or » de la Franc-maçonnerie. C’est à ce moment que les loges, espaces de convivialité et expression concrète de la nouvelle sociabilité, franchissent les océans pour encourager la création de réseaux intellectuels et commerciaux, l’intégration coloniale comme les mouvements d’émancipation. Les biographies critiques et historiographiques toujours accompagnées d’une bibliographie renvoyant aux sources utilisées, rendent compte de ce foisonnement.
4Il s’agit d’une entreprise d’une ampleur inégalée dans son projet et d’une qualité incomparable dans sa réalisation. Ces trois tomes permettent une approche humaine et scientifique d’une histoire trop souvent fantasmée. La maçonnerie a souffert d’un double excès, dénoncée par ceux qui voulaient voir en elle le laboratoire de tous les bouleversements de la société, portée au pinacle par d’autres, d’ailleurs pour les mêmes motifs. Depuis plusieurs années déjà, les chercheurs accomplissent leur véritable travail d’historien remontant aux sources, confrontant les documents, rétablissant les faits pour éclairer une période riche et complexe. On peut entrer dans ces notices au hasard de ses propres curiosités, flâner dans ce dédale qui restitue, à travers l’érudition, la vérité humaine des francs-maçons, célèbres ou obscurs, pour mieux saisir le paysage global. Jamais hagiographiques, les auteurs rectifient même quelques erreurs dues à un excès de zèle apologétique : le chevalier Saint-Georges ne fut sans doute pas plus initié que Toussaint Louverture, par exemple.
5La Chaîne d’Union tente, à travers les articles de plusieurs auteurs du dictionnaire, et non des moindres, de donner une idée juste de l’ensemble, des révolutionnaires aux martinistes, montrant tout à la fois la diversité d’un mouvement sans tête mais non sans raison, puisant dans les Lumières les racines de son développement le plus fécond.
6Ce numéro, nous transportant deux siècles plus tard, rend compte également d’un livre important consacré à René Guénon, illustre représentant d’un courant intellectuel aux confluents de l’ésotérisme et de la maçonnerie. Enfin, en cette année anniversaire, il convenait d’évoquer Richard Wagner, né comme Verdi en 1813 et dont la thématique s’inspirait fortement des thèmes maçonniques.