La CHAINE D’UNION n’a pas à et ne souhaite pas prendre parti en faveur de l’initiation des femmes au GODF.Ce débat nepeut être tranché que par le convent. Le présent dossier ne fait que refléter et synthétiser les positions qui pouvaient être connues en juin 2011. L’article de Peter Bu qu’on lira ci-dessous reprend, nous semble-t-il, la quasi-totalité des arguments des partisans du statu quo.
1Les partisans de l’admission des femmes au Grand Orient de France en parlent sans jamais mentionner la raison d’être de l’initiation maçonnique. Ils ne font aucune différence entre les sociétés civiles et les sociétés initiatiques. Ils évoquent uniquement les points de vue sociaux et politiques qui pourraient plaider en faveur de l’admission des femmes, et certains prétendent que le caractère masculin du GODF, parce qu’il ne figure pas dans ses statuts, serait une forme de discrimination, donc illégal et attaquable en justice. Ce regard donne une image déformée de la franc-maçonnerie.
2Les maçonneries féminines et mixtes existent en France depuis des décennies et le GODF accueille les Sœurs sur ses colonnes. L’aspect sociétal du débat est donc assez archaïque. La seule question qui vaille est de savoir si par rapport à l’évolution de notre société le sens de l’initiation maçonnique est modifié si profondément que cela doit entraîner des changements dans son organisation et ses procédures.
3Le monde a-t-il changé au point d’exiger une initiation commune des femmes et des hommes? Ce n’est pas exclu, mais ce n’est pas sûr non plus. Si demain cette hypothèse s’avère juste, il faudra changer les rituels. Ce besoin éventuel de modifier nos rituels n’a jamais été mentionné au cours des discussions, pourtant très anciennes, sur l’initiation des femmes au GODF et sur sa ‘’mixité’’. Pour que ces débats ne continuent pas à tourner en rond, il faut se concentrer sur cette question.
Raisons historiques du débat su r l’initiation des femmes
4Les Constitutions de 1723, rédigée par les pasteurs Anderson et Desaguliers, qui est à la base de toute la franc-maçonnerie moderne, n’admettent pas parmi les maçons ‘’les athées incultes, les femmes, les serfs’’. Cela pouvait paraître justifié au XVIIIe siècle, mais le monde a changé et la maçonnerie a évolué, elle aussi.
5Sur le plan politique et social, au moins en théorie, l’égalité des sexes ne semble plus poser de problème, ni en Grande-Bretagne, ni en France, ni ailleurs en Europe. En ce qui concerne la franc-maçonnerie féminine, aujourd’hui même la Grande loge Unie d’Angleterre la reconnaît, sans pour autant recevoir les Sœurs sur ses colonnes. Admettre l’égalité des droits sociaux et politiques, ainsi que le droit des femmes d’être admises en franc-maçonnerie, n’implique pas automatiquement la réception, dans les loges, des initiés du sexe opposé. Le point de vue de la GLUA (UGLE) est sans doute discutable et il est contesté, mais il sera défendable tant que l’on n’aura pas démontré que l’initiation séparée des femmes et des hommes, ce qui a été presque toujours le cas au cours de l’histoire, ne se justifie plus.
L’initiation : pourquoi faire ?
6Traditionnellement, l’initiation est le passage de l’enfance, période où chaque enfant a l’impression que le monde tourne autour de lui, à l’âge où l’être humain doit comprendre que ce n’est pas le cas. L’initiation lui permet
- de se découvrir comme parcelle, plus ou moins grande, plus ou moins importante, des êtres collectifs comme la famille, l’école, l’entreprise, le syndicat, le parti, l’église, la cité etc. jusqu’à l’humanité entière,
- de comprendre sa place dans l’univers, ce qui implique les questions métaphysiques : qui suis-je ? d’où viens-je ? quelle est l’origine du monde ? s’il a été créé par une ‘’volonté’’, quelle est la relation de l’humanité avec elle ? en sommesnous séparés ? en faisons-nous partie ?
- d’accepter sa personnalité et sa destinée, d’admettre les limites inhérentes à la condition humaine, d’affronter l’idée de sa mort,
- d’apprendre à assurer son rôle par rapport à la société (ce qu’il fera plus ou moins bien en fonction de la compréhension des questions précédentes).
8Par l’initiation la société signifie à ses adolescents que désormais elle les considère comme adultes. En franc-maçonnerie, en nous mettant de temps en temps – par des initiations successives et évolutives – en situation d’adolescents, elle nous rappelle que nous restons d’éternels “apprentis”.
9L’initiation est donc un processus psychologique (individuel), philosophique (qui inclut la dimension métaphysique) et politique (concernant toute la société).
L’homme naît seul, mais grandit avec les autres
Cérémonie de réception d’une Sœur, gouache sur papier, début du XIXe siècle. Musée de la Franc-maçonnerie – Collection GODF
Cérémonie de réception d’une Sœur, gouache sur papier, début du XIXe siècle. Musée de la Franc-maçonnerie – Collection GODF
10Le passage de l’enfance – ‘’centre du monde’’ – à l’âge adulte est une nouvelle naissance, thème de toutes les initiations. L’enfant meurt à sa vie ancienne, individualiste, pour renaître dans la vie collective, ce qui ne veut évidemment pas dire l’abandon de son individualité, pas plus que de sa curiosité et de sa créativité, propres à l’enfance. Il s’agit d’assimiler la double nature de l’homme, à la fois individu et parcelle plus ou moins inséparable des collectivités auxquelles il appartient, puis d’apprendre à vivre simultanément et harmonieusement ces deux pôles de son être. L’homme naît seul, mais grandit avec les autres et finit par se dissoudre dans ses descendants, dans l’humanité, ou, s’il est croyant, par rejoindre son ou ses dieux.
11Ce changement est complexe, difficile, douloureux et ne peut être maîtrisé uniquement par le biais du raisonnement. C’est pour cela que l’initiation maçonnique, comme toutes les initiations traditionnelles, n’est pas seulement un enseignement, mais aussi et surtout une expérience particulière de vie. Les rites et symboles initiatiques représentent la transformation de la ‘’chenille’’ en ‘’papillon’’ humain par des moyens qui s’adressent à la fois à l’intellect et à tous les sens. Elle a toujours un double rôle : tester la capacité des impétrants à s’adapter à la vie en société (pas seulement comme individu passif qui la subit, mais comme son membre actif qui saura agir dans l’intérêt commun) et l’aider à comprendre l’univers. Parfois, tout au moins dans les sociétés primitives, l’initiation pouvait être violente parce qu’elle devait éprouver les possibilités de survie des adolescents dans un milieu hostile. En maçonnerie, elle est symbolique parce qu’à présent cette adaptation n’exige plus nécessairement la force physique ou un courage particulier.
The lady freemason, Mrs Aldworth, gravure imprimée anglaise, sur papier, fin du XVIIIe, début du XIXe siècle.
The lady freemason, Mrs Aldworth, gravure imprimée anglaise, sur papier, fin du XVIIIe, début du XIXe siècle.
12Dernière société initiatique occidentale, la franc-maçonnerie s’adresse uniquement aux adultes. Compte tenu de l’élargissement de notre ‘’village’’ à la terre entière et de la complexité de notre monde, il s’agit à présent d’accepter toutes les civilisations et de s’agréger à l’humanité, pas seulement aux groupes de moindre échelle. (Ce n’est pas par hasard que la maçonnerie moderne est née suite à la Renaissance, à l’Époque des Lumières quand l’Occident a découvert l’échelle planétaire de l’humanité et l’interdépendance de toutes formes de vie.) Par rapport aux périodes précédentes, le champ de l’initiation s’est élargi. Elle ne s’arrête pas avec l’adolescence, mais demande des années, pour ne pas dire toute une existence. Plus haut a été rappelé comment nos initiations nous rappellent que le franc-maçon est un ‘’éternel apprenti ‘’.
Parfois, on prétend que les femmes n’ont pas besoin d’être initiées
13Certaines sociétés ancestrales initiaient uniquement les hommes, mais il y en avait d’autres qui considéraient tout aussi nécessaire l’initiation des femmes. Pour quelles raisons cette ségrégation pouvait-elle exister?
14Parfois, on prétend que les femmes n’ont pas besoin d’être initiées puisque elles savent, grâce à leur capacité d’enfanter, qu’elles sont à la fois une et plusieurs. La mère est physiquement et psychologiquement soudée à l’enfant, donc à un autre être qu’ellemême. Si cette compréhension innée (ou, parfois, acquise pendant la grossesse, et pour certaines femmes seulement après un dur combat avec elles-mêmes) de la bipolarité humaine, inhérente aux femmes peut, à la rigueur, paraître suffisante dans les sociétés où elles restent cantonnées à leur famille et au cercle des filles et des mères, cette initiation biologique ne suffit plus dans le monde actuel où elles assument les mêmes tâches que les hommes – et se posent les mêmes questions sur leur place dans le monde et le cosmos. Puisqu’elles participent à la gestion de nos sociétés, elles doivent être initiées, quitte à tenir compte, dans les procédures d’initiation, de leur différence. L’initiation des premières femmes à la fin du XIXe siècle correspond à cette conviction.
La mixité des loges
15Faut-il en déduire que le Grand Orient de France doit initier les femmes et/ou bien que toutes les obédiences maçonniques doivent devenir mixtes ?
16Le premier argument des défenseurs de l’initiation des femmes au GODF est l’égalité des sexes. Cette égalité n’est plus mise en cause. Le débat n’aurait donc de raison d’être que si, en France, à côté de la maçonnerie masculine, n’existait aucune obédience féminine ni mixte. Ce n’est heureusement pas le cas. Elles existent, fonctionnent bien, sont reconnues par la franc-maçonnerie masculine ouverte, et communiquent avec elle.
17Certains Frères plaident pour l’admission des femmes au GODF au nom de l’universalisme maçonnique. Ils se demandent comment nous pouvons être universels si nous n’admettons pas parmi nous la ‘’moitié de l’humanité’’. Or, si la franc-maçonnerie est universaliste, elle ne prétend pas réunir en son sein la totalité des humains. C’est contraire à ses fondements philosophiques et à ses méthodes de travail. Tout en plaidant pour la fraternité de tous, elle sélectionne ses membres et n’a jamais postulé que tous les hommes et femmes devaient en faire partie. La franc-maçonnerie n’est pas comme les religions monothéistes ou certains partis politiques qui ne conçoivent le salut des humains qu’à condition de tous les convertir et englober.
18Un raisonnement similaire prétend que “nous ne pouvons pas refuser le droit à la parole à la moitié de l’humanité”, ou bien “nous ne pouvons pas ne pas écouter la moitié de l’humanité”. D’une part, pas plus que les hommes qui n’appartiennent pas à notre mouvement, les femmes n’ont pas besoin d’être présentes sur nos colonnes pour s’exprimer, ni pour que nous les entendions. La franc-maçonnerie ne vit pas en circuit fermé en s’intéressant uniquement à elle-même.
19D’autre part, elle, et encore moins un Grand Orient ou une Grande loge, ne détiennent pas à eux tout seuls l’exclusivité du droit à la parole. Les femmes, initiées ou pas, ni les autres profanes ne nous ont pas attendus pour s’exprimer. Et que changerait, sur ce point, la présence de quelques Sœurs dans nos loges ? Elles ne pourraient prétendre, pas davantage que nous-mêmes, à parler au nom de toutes les femmes qui, toutes, ont droit de s’exprimer par elles-mêmes.
20En l’occurrence, bien qu’elles partagent notre philosophie universaliste, pourquoi nos Sœurs des obédiences féminines ne se posent-t-elles pas ce genre de questions ? Pourquoi ne demandentelles pas à nous initier ? Et le voudrions-nous ?
21Par exemple, la Grande Loge Féminine de France ne considère pas le caractère masculin du GODF comme méprisant vis-à-vis des femmes et refuse avec constance l’initiation de celles-ci au sein de notre obédience. Nos Sœurs veulent préserver la maçonnerie féminine parce qu’elles apprécient la possibilité de se rencontrer en loges en tant que simples êtres humains, sans plus penser à leur rôle de filles, épouses et mères, sans se préoccuper de séduction, heureuses d’oublier un instant les relations de domination qu’elles vivent au sein des entreprises, des partis politiques ou d’autres groupes profanes, ou même dans leur propre famille (cf. l’enquête du Sénat sur la mixité des obédiences, relatée dans la revue Humanisme, Paris, n° 67/2004.) Nous ne pouvons que respecter leur choix.
Qui demande la fin des loges exclusivement féminines ?
22Nos Sœurs veulent échapper en loge, pendant un moment, aux jeux de séduction. Et nous, les hommes ? Pour nous, la question des relations entre les sexes ne se pose pas tout à fait de la même manière (raison de plus pour respecter le point de vue de la GLFF), mais, n’empêche, c’est un élément à prendre en compte. Personne ne niera que l’attention de la plupart des hommes est très polarisée vers la conquête féminine et donc, quand ils se tournent dans cette direction, cela restreint leur liberté de méditer sur d’autres sujets. Car, d’après des biologistes faisant des recherches sur le cerveau, les hommes, à la différence des femmes, ne savent faire qu’une chose à la fois… Ne serait-ce donc pas aussi un “métal” à laisser au dehors du Temple, au moins de temps en temps?
23Dernier argument évoqué: des Frères prétendent que les femmes devraient pouvoir être initiées au GODF parce qu’il est différent des autres obédiences. Ailleurs, elles ne trouveraient pas le même type de franc-maçonnerie. Est-ce vrai ? En 1982, un certain nombre de loges se sont détachées du GODF, avec son accord, pour créer une entité, la Grande Loge Mixte de France. Elle partage l’esprit et les procédés de leur obédience mère, mais initie les femmes (en 2010, elle compte entre 2500 et 3000 membres, la répartition hommes/femmes étant à peu près 50/50 %). Qu’est ce qui empêche ceux et celles qui veulent la mixité du GODF de rejoindre la GLMF ? Les loges du GODF qui, récemment, ont initié les premières femmes, ne l’ont pas fait. Qu’est ce qui motive leur refus de bouger ?
24L’expérience des femmes et des hommes n’est pas la même, loin s’en faut. Leur perception du monde et leurs capacités d’en tirer connaissance ne le sont pas non plus. Leur façon de se construire et de trouver leur place dans le monde ne peut donc pas être identique, même si les hommes et les femmes peuvent faire une partie de ce chemin ensemble.
25Les obédiences mixtes représentent un cas particulier. A leur naissance, en 1882, elles étaient une affirmation de l’égalité des droits des femmes par rapport aux hommes. Elles l’imposaient à la franc-maçonnerie sans se poser de questions sur l’aspect initiatique. Elles ont gardé les rites et les rituels masculins. Est-ce satisfaisant ? Faudrait-il les changer ? Si la mixité, telle qu’elle est pratiquée depuis plus d’un siècle par différentes obédiences, était LA solution, elle se serait déjà imposée au GODF et aux autres. Ce n’est pas le cas. Les obédiences mixtes devraient être considérées comme des laboratoires qui observent l’évolution des relations entre les femmes et les hommes pour, le moment venu, tester de nouveaux rituels avant de les proposer à l’ensemble de la franc-maçonnerie.
Nos Sœurs des obédiences féminines ne demandent pas à se fondre dans les obédiences masculines
26Tout au plus exigent-elles le droit de visite qu’elles nous accordent généralement dans leurs loges. Réciproquement, la plupart des Ateliers du GODF, qui tous sont libres de le faire, leur ouvrent leurs portes. Pourtant, ils ne sont pas assaillis de visiteuses qui, de surcroît, n’interviennent que rarement dans les débats. Elles en ont le droit, mais semblent majoritairement préférer observer simplement notre façon de voir. Et inversement, elles tiennent à pouvoir développer au sein des loges féminines leur propre vision du monde, fondée sur leur vécu spécifique. Il est très inspirant d’étudier et de croiser le travail des loges masculines, des loges féminines et des loges mixtes, ce que la maçonnerie libérale, non seulement tolère, mais encourage. L’uniformité nous priverait de cette richesse.
27Les motivations des Sœurs qui veulent garder les obédiences féminines ne sont pas très différentes de celles de la majorité des Frères qui ont opté pour une obédience masculine, au lieu de demander l’initiation dans une loge mixte.
28Les hommes et les femmes sont égaux sans pour autant être identiques. Ils sont faits pour vivre ensemble. Mais pour le réussir pleinement, il faut d’abord que chacun affirme sa personnalité dans sa particularité. Vivre ensemble ne signifie pas renoncer à être soi-même. Il suffit de regarder autour de soi pour se convaincre que les femmes ont parfois besoin de se retrouver entre elles et les hommes entre eux.
Le futur
29Il est possible que l’évolution des femmes et des hommes converge et qu’un jour, peut-être demain, ils auront besoin d’être initiés ensemble. S’agira-il d’une initiation commune dans sa globalité, ou bien seulement partielle (comme cela pouvait se produire chez certains peuples où la préparation à la vie sexuelle des garçons et des filles intervenait à la fin du processus) ?
30Compte tenu du fait que les francs-maçons modernes s’adressent aux adultes qui ont déjà vécu leur initiation sexuelle, la question ne se pose pas de cette façon, mais cela n’exclut pas qu’il puisse être utile de créer des rituels permettant de consacrer une partie de l’initiation aux hommes et femmes ensemble, pour arriver à une meilleure compréhension mutuelle et une coexistence plus pacifique.
31Le débat récurrent au GODF sur la mixité est fondé sur des prémices qui semblent logiques, mais qui peuvent aussi bien s’appuyer sur des préjugés idéologiques ou d’inavouables motivations inconscientes. Plutôt que sur les aspects sociétaux, les recherches sur cette question devraient porter sur sa dimension initiatique.